Kiblind 61 - Numéro Sauvage

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KIBLIND Magazine NumĂŠro Sauvage


Une création originale qui révèle toute la fraîcheur naturelle du citron vert.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION. RICA CAARRDD SAS au ccapita pit l dee 54. 54.000. 0000 00 000 00 euro u s - 4-6 4 rue 4ruue Bert Be helo lot 13 1 014 0 Mars M rseeillle - 330 Mar 303 03 656 566 375 75 RCSS Mars aarseill eille.ee..


Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons Collectif Le Grand Cerf Bleu Boris Charmatz Jeanne Added Christiane Jatahy 49 Swimming Pools / Emmanuel Tellier Maroussia Diaz Verbèke Dorothée Munyaneza Cabadzi X Blier

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Collectif OS’O Tommy Milliot Bérangère Jannelle Aurélien Bory Yann Frisch

Olivier Py

Gérald Kurdian Dimitri de Perrot Clédat & Petitpierre Claire Diterzi Christian Rizzo Jean Le Peltier aalliicceelleessccaannnnee &ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii

Ermitologie, Clédat & Petitpierre © Yvan Clédat

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Jérôme Thomas Juliette Deschamps Orchestre de chambre de Paris Kaori Ito Amala Dianor Ayelen Parolin Olivier Dubois Johanna Faye et Saïdo Darwin Omar Rajeh, Hiroaki Umeda, Koen Augustijnen, Anani Dodji Sanouvi Ula Sickle Dominique Boivin Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme Pierre Rigal Mathieu Desseigne BERLIN Lia Rodrigues Salia Sanou Emily Loizeau Roland Auzet Opéra Pagaï ...

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Réalisé par Simon Bournel - KIBLIND avec Photoshop CC et les brosses de Munch pour Adobe


Êtes-vous un maître de notre génération ? Imaginez que vous puissiez utiliser les pinceaux d'un génie comme Edvard Munch. Conservés dans la chambre forte du musée Munch à Oslo, ces pinceaux ont été reproduits numériquement par Kyle T. Webster et sont désormais à votre disposition dans Adobe Creative Cloud. Edvard Munch a réalisé quatre versions du tableau « Le Cri ». C’est maintenant à votre tour de créer la cinquième version de l'œuvre de l'artiste en utilisant ses brosses dans Adobe Photoshop CC (ou Sketch). Inscrivez-vous au concours « The Adobe 5th SCREAM CONTEST » et soumettez votre projet entre le 15 juin et le 14 juillet à minuit 00 :00 CET. Un jury composé d'experts désignera le gagnant, qui recevra un prix d'une valeur de 6 000 €, un abonnement d'un an à Creative Cloud, 100 images Adobe Stock, une entrée pour la conférence Adobe Max qui aura lieu au mois d'octobre, et un voyage tous frais payés à Oslo pour assister à l’exposition de sa création au musée Munch. Le nom du lauréat sera annoncé le 28 juillet sur les réseaux sociaux officiels d’Adobe.

Participer au concours : https://adobe.ly/2rujq1W Téléchargez les brosses d'Edvard Munch : https://adobe.ly/2qMzHSW?sdid=CMR42FB4&mv=other


Édito Il ne s'agirait pas d’oublier que tout au fond de notre être rugit la bestialité. Bien sûr, ça ne se voit pas du premier coup d’œil. Les chemisettes dernier cri et les porte-clés ouvre-bouteilles – parmi d’autres exemples de la modernité émancipatrice – cachent bien souvent une nature plus profonde de l’être humain : l’instinct primaire. Au travers de la Thaïlande, du Béarn, de logos, d’illustrations, du Musée de la chasse, de films mythiques, d’albums à écouter, de festivals où s’enjailler, nous sommes partis à la découverte de notre instinct animal, ce deuxième nous, cette sauvagerie recouverte trop souvent d’un vernis civilisationnel incassable. Mais les fins limiers que nous sommes ne s’arrêtent pas à de bas camou-

Photo : Thomas Chéné

flages technologiques. Accroupis dans les fourrés, nous l’avons débusqué et coincé. Voici notre trophée.


Kiblind magazine n°61 – Sauvage Été 2017 SÉLECTION 1/2 12 INTRO PICTOS

Sauvage 20

INTERVIEW

Cruschiform 22

CARNET DE VOYAGE

Terrain de chasse 26

INTERLUDE

L'enfant sauvage 31

CRÉATIONS ORIGINALES

Sauvagerie dessinée 34

DISCUSSION

Déontologie du sauvage moderne 42

DISCUSSION

Born to be wild 46

INTERLUDE

Le blob 49

REPORTAGE GRAPHIQUE

Lundi, ou la vie sauvage 50

RÉTROGRAPHIE

L'art de la bêtise 56

INTERLUDE

Man vs. Wild 61

MODE

Wild Thaï 62

OUTRO

Playlist sauvage DISCUSSION

Arrabal : de la lutte entre bon sauvage et Backstreet Boys 44

71

SÉLECTION 2/2 72


Contributeurs

Rémy Carras – Seul dans son doux foyer d'Alfortville, Rémy Carras pense énormément. À ses livres, bien sûr, qu'il publie chez L'Arlésienne, mais aussi et sans doute au coup du scorpion de Charles-Édouard Corridon contre Porto, en 2004.

Thomas Chéné – La merveilleuse École des Gobelins a donné en 2011 un cadeau bien précieux : le photographe Thomas Chéné qui alterne aujourd'hui projets mode et envolées artistiques.

Cruschiform – Cruschiform, de son vrai nom Marie-Laure Cruschi, est une artiste de talent avé l'accent. Entre de nombreuses commandes pour Taschen (et son fameux Cabins), Wired, Le Monde, la SNCF, ou Gallimard Jeunesse, elle a illustré la couverture de notre numéro « Sauvage ». Mieux que ça, elle l'a retourné et placé sous le signe de l'émotion et de la subtilité : point de foisonnement, mais un silence en forme de respect pour la nature éternelle. Enfermée dans son écrin, elle nous rappelle que nous ne sommes que la poussière du rien.

Matthieu Chiara – Parisien grand et ancien de la HEAR de talent, Matthieu Chiara monopolise notre attention depuis 2 ans grâce à son excellent Hors-Jeu (éd. L'Agrume) et son Dessins Variés, Effets Divers à l'origine de sa présence ici.

Malina Cimino – Passionnée de longue date par l'illustration et les jolies choses, Malina Cimino œuvre ça (Beware) et là (nous) pour partager tout son amour. Elle fait bien.


Contributeurs

Thibaut Hofer –

Manon Raupp –

Ce genre de type qui sait parler de tout, en tout lieu, à tout heure. À la tête de son petit business Edition, etc, Thibaut Hofer fournit la presse et les clients privés qui ont l'intelligence de faire appel à lui.

Férue de musique indépendante jouissive, Manon Raupp, depuis Toulouse, fabrique tout aussi indépendamment son fanzine Ductus Pop.

Jean-Samuel Kriegk –

Basil Sedbuk –

Éminent spécialiste du jeu vidéo et de la bande dessinée, Jean-Samuel Kriegk est tellement à l'aise qu'il a sorti le livre Art Ludique chez Sonatine et qu'il rend fier des clients tels que Rockyrama, Le Huffington Post ou KissKissBankBank.

Basil Sedbuk est un passionné d'illustration qui abreuve son monde sur son excellent blog, LaBelleIllustration.blogspot.com.

Élodie Lascar –

Ted Supercar –

Diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg, Élodie Lascar a pour ça déjà un peu d'avance dans notre cœur. À cela, elle a aussi ajouté une gigantesque dose de talent et un fanzine sur Dalida. Parfait.

Activiste artistique et écrivain public pour Hartzine.fr, Ted Supercar a l'oreille aiguisée comme peu dans ce monde. Et quand il nous dit que la musique est bonne, lui, on le croit.

Elora Quittet –

Delphine Zehnder –

Brillante étudiante lyonnaise en management de stars, Elora a également l'avantage de porter hautes les couleurs du FC Sochaux-Montbéliard dont elle conserve précieusement un gobelet effleuré par les lèvres pulpeuses de Ryad Boudebouz.

Ancienne du Petit Bain parisien, Delphine est également amoureuse de la bande dessinée dont elle colporte les ébats autant qu'elle peut.


STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Direction Kiblind & Klar : Jérémie Martinez Jean Tourette  Baptiste Viry Gabriel Viry Team Kiblind  Magazine : Maxime Gueugneau & Simon Bournel-Bosson - Alix Hassler - Alizée Lagé Jérémie Martinez - Justine Ravinet - Jean Tourette Olivier Trias - Baptiste Viry - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier  Merci à : Agathe Bruguière - Paul Lacour - Matthieu Sandjivy Direction artistique :  KIBLIND Agence (www.kiblind.com)

INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni Couverture : Arcoprint Milk 300g - Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Orphéon (Marine Stephan) Imprimeur  : DEUX-PONTS Manufacture d'histoires www.deux-ponts.fr Édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon . 27 rue Bouteille -  69001 Lyon 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris  04 78 27 69 82  - www.kiblind.com  Le magazine est diffusé en France. Liste complète sur www.kiblind.com. Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 20 pages pour la région Rhône-Alpes. ISSN : 1628-4146 Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. THX CBS. Contact : redaction@kiblind.com


Maintenant vu par Erosie

80 artistes • 20 lieux • 5 jours Abdulla Rashim (SE) • Andreas Trobollowitsch (AT) Airsouth (FR) • Black Zone Myth Chant (FR) Chloé (FR) & Vassilena Serafimova (BG) Clara! (BE) • Courtesy (DK) • Fraction (FR) IDLV (FR) • Inga Mauer (RU) • Erosie (NL) Karina Smigla-Bobinski (PL) • Kassem Mosse (DE) Orchestre Symphonique de Bretagne (FR) Puzupuzu (FR) • Myriam Bleau (QC-CA) N.M.O. (ES/NO) • NSDOS (FR) SKY H1 (BE) • Varg (SE) • Willow (UK)... Ateliers • Concerts • Créations Conférences • Expositions • Performances


SĂŠlection 1/2

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INSTANT INSTA

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images

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LE BULLETIN DU PRINTEMPS

SCREEN SHOT Ce qu'il se passe sur internet, reste sur internet

Dans notre monde de performance, il était temps que les saisons et ceux qui les font reçoivent une juste sanction.

Fragments of Euclid

Le studio NuSan nous a pondu un jeu comme on n'osait à peine en rêver : un casse-tête gratos qui prend comme base les mondes impossibles de M.C. Escher. Évidemment, c'est très difficile et diablement jouissif. Covfefe → Serrer des pognes : 2/10

→ Les Jeux des jeunots : 5/10

Quitte à enfoncer des portes ouvertes pour tirer sur des ambulances : non, cette campagne électorale n'était pas terrible. Et la suite ne s'annonce pas plus folichonne que ça, avec pour toute analyse politique le décryptage d'une poignée de main Marcon/Trump qui ne semble pas avoir eu plus d'effet que ça. Il suffisait de s'en foutre, comme d'hab.

Faut-il vraiment que jeunesse se fasse ? La question s'est posée quand l'avalanche de ces très inutiles hand-spinners nous est tombée sur la face. Et puis nous nous sommes souvenus des puces en caoutchouc, des ressorts ondamania ou des POG. Et au final, les jeunes ont plutôt élevé le niveau.

→ Le Court Philippe Chatrier : 10/10

→ Les poils : 3/10

Les grincheux diront sans doute que ça manquait un peu de suspense. Que de voir Nadal rester plus d'un quart d'heure sur un court de tennis n'aurait pas été plus mal. On s'en fout, on vient de voir l'un des plus grands moments de l'histoire du tennis et du sport.

Alors qu'en hiver il apportent douceur et réconfort à celui ou celle qui les porte, la superbe toison humaine perd beaucoup de points en été. C'est triste à dire, mais de petit plaid naturel elle passe à vilaine fourrure suante une fois la mi-mai passée. Il lui suffira d'être patiente.

→ Les Trucs : 9/10

→ Les Tubes hispanisants : 7/10

Depuis 10 000 ans et l'invention de l'agriculture, l'être humain invente des trucs et des machins. Mieux, il organise à présent des brocantes géantes lors desquelles on peut se les échanger à l'infini. C'est souvent moche, absurde, vieux et sale, mais ça le rend si heureux, que voulez-vous.

La folle jeunesse qui rappe aime beaucoup se souvenir de ses jeunes années et rendre cool les choses qui ne l'étaient vraiment pas. « La Macarena » a subit ce lifting via Damso et via la horde de personnes dynamiques qui scandent à tout va « Macarena-la-la-la-la-la-la-la ». Merci Sabrina.

Va-t-on un jour arrêter le roi du tweet ? À une étonnante réactivité, Donald Trump a ajouté en mai le miel du mystère. « Despite the constant negative press covfefe », tel était son tweet qui laissa le monde aux abois.. Les blagues et les mèmes furent, alors, la seule bouée de sauvetage. Qwant

Le « Google français », selon les mots du désormais célèbre Emmanuel Macron est peut-être en passe de mettre des moyens à son ambition. Crée en 2013, par Éric Léandri et Jean-Manuel Rozan, Qwant a pris un nouvel envol en mars avec une levée de fond pas dégueu : 18,5 millions d'euros.


Sélection 1/2

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AFFICHES

Festival d'été Parce que toutes ces forêts ravagées par l'affichage obsessionnel méritaient bien qu'on leur rende hommage.

Il est là, le joli mois de juin qui voit fleurir sur les crépis et les réseaux sociaux la belle flore des posters de festivals. Le nombre de manifestations, bien sûr, la liberté donnée aux auteurs et la belle époque que nous vivons en terme d'arts appliqués font que les évènements se drapent de plus en plus souvent dans des habits chatoyants. Alors, gourmands, nous avons choisi de picorer dans le tas encore fumant des festivals à venir pour choisir 5 des plus belles affiches de cet été,

prouvant aux mécréants la richesse et la diversité du domaine. Entre collage, photographie, graphisme, peinture et illustration, le panel utilisé par Pierre Vanni (Les Siestes Électroniques), Twice (Baleapop), Studio Parade (Touquet Music Beach Festival), Atelier Bingo (Rock en Seine) et Jeroen Erosie (Maintenant) est vaste et assez jouissif. Et si on rajoute celle qu'on a fait pour le Heart of Glass, Heart of Gold, on atteint carrément l'extase.


images

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CLIP GROSSE BOUFFE Pas de doute, musique et nourriture font partie du top 5 des plaisirs de la vie. Et quand surgit la bonne idée de les mêler dans un clip vidéo, c’est du pain bénit pour Youtube. Dernière gloutonne en date, la chanteuse américaine Katy Perry se fait littéralement cuisiner dans « Bon appétit ». Oh que oui, malaxemoi comme une pâte à pizza dans de la farine. Et que vas-y, fais monter la température dans un jacuzzi de soupe de légumes et de bikini. La recette secrète avait déjà été appliquée par Fergie qui nous livrait en 2006 son Fergalicious, ôde à elle-même sur fond de bataille de nanas dans de la génoise au chocolat. Autre tendance du clip de bouffe : le banquet. Il suffit de mettre toujours plus de nourriture et surtout de la bien sale. En la matière, on ne saurait que conseiller « Megadose » de Vald, ou le plus ancien mais non moins gargantuesque clip de Fat Boys, « All you can eat ».

— Matthieu Chiara


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JEU DES 7 ERREURS

Élodie Lascar

JEU DES 7 ERREURS

Élodie Lascar

LOGO-TYPES La SNCF dit OUI. Le 29 mai dernier, la compagnie ferroviaire française a dévoilé le logo de son TGV du turfu, InOui. Ce nouveau naming s’inscrit dans un grand lifting de la marque qui souhaite construire un écosystème 100% OUI avec Ouigo, Ouibus, Ouicar...jusqu’au portail voyages-sncf.com, prochainement rebaptisé Oui.sncf. Exit les logos minimalistes des années 80-90, ciao l’escargot retourné, bonjour la positivité d’entreprise et les couleurs flashy. À voir si le concept prend sur le long terme et sur le grand public, la nouvelle identité visuelle ayant reçu un accueil assez sceptique, plus proche du « non » que du « oui ».


! e r è i m u L le cinéma nventé 13.06.2017 - 25.02.2018 Lyon exposition-lumiere.fr

en coproduction avec


Photo : Thomas Chéné


Sauvage Sauvage Sauvage Sauvage Sauvage Sauvage


intro pictos

Derrière les

20

, derrière

les immeubles et les

.

Derrière les administrations, les institutions et les lois, un

brûle

en nous. On a du mal à l'identifier, à la caractériser, mais elle est là, à chaque instant, cette énergie capable d'envoyer valser les

, la bienséance et la raison.

Car finalement, si on épluche les différentes couches de l'

,

ne reste de nous que l'état sauvage.


Sauvage

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Nous sommes des et c'est une caractéristique qu'il faut savoir caresser. Caressons-nous alors, cajolons la bête qui

en nous

et laissons sortir ses

le temps

d'une cinquantaine de pages consacrées au sauvage qui fait battre notre

et dont on a voulu

envisager les mille et uns profils, en création visuelle, en mode, en reportage, en BD ou en

.



Interview

23

La vie de Marie-Laure Cruschi s’est trouvée métamorphosée lorsque les éditions Taschen lui ont proposé de réaliser les illustrations de l’ouvrage d’architecture Cabins. Le livre a connu un succès international et la jeune artiste, maîtresse dans la géométrie vectorielle, s’est alors aventurée pendant quelques années et de nombreuses heures dans la réalisation de somptueux

Cruschiform, géométrie sauvage paysages naturels modulaires. « Cruschiform », son studio fondé en 2007, est avant tout l’histoire d’une artiste passionnée qui, si elle travaille par ailleurs pour de nombreux commanditaires, aime à prendre le temps de penser ses prochains livres jeunesse, rester seule à étudier et observer au loin, perchée dans sa cabane familiale parisienne au-dessus du bassin de la Villette.


Comment expliquerais-tu ta formation ? Aux Arts Décoratifs comme à Estienne, j’étais très attachée à trouver un style, à apprivoiser les techniques et finalement à rester dans une forme de cocon artistique, confortable mais assez hermétique. J’ai pu renouer avec les arts appliqués en arrivant en agence de communication à la sortie de l’école. J’aime ça, trouver une réponse à un cahier des charges. En agence, pendant un an, je me suis amusée à changer de style quand ça s’y prêtait, à chaque nouvelle commande. De cette expérience, j’ai conservé la faculté de me mettre assez facilement à la portée d’un commanditaire quel qu’il soit (presse, agence, éditeur, etc.), parce que j’ai été de l’autre côté. Et l’amour du géométrique ? À l’origine, j’aimais beaucoup travailler la typographie avec l’image. Ça remonte à ma formation à Estienne au LEG (l’atelier au troisième sous-sol),

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où il y avait un matériel pour fabriquer de la typographie au plomb. Il y a donc eu ce déclic à Estienne, puis aux Arts décoratifs où j’ai pu approfondir le côté modulaire. C’est cette logique combinatoire que j’ai pu transposer dans l’illustration… En réalité, je faisais une passerelle entre l’illustration et la typographie par le biais des modules, le tout avec une logique assez rigoureuse. Je rejetais pour ainsi dire le côté narratif. J’étais uniquement dans des mécanismes de modulation, d’où le nom « cruschiform ». Et puis j’ai été sollicitée dans la presse pour des dessins plus généreux, afin de créer un ancrage avec le lecteur. De formes extrêmement géométriques, les modules sont progressivement devenus, par assemblage, des formes plus réalistes. Mais la logique était la même. Toujours sur Illustrator mais jamais avec des courbes de Bézier ; juste avec des carrés, des ronds et des triangles. C’est assez strict ! Plus ça allait et plus la matière grossissait. Et c’est devenu

de plus en plus figuratif. Aujourd’hui, je suis même revenue au travail préparatoire avec croquis, pour mon plus grand plaisir. Comment as-tu vécu le succès de l’ouvrage Cabins de Taschen ? C’était assez fou. Je n’étais pas vraiment préparée à ça. Je pensais pas que ça pouvait générer autant d’envie et de choses positives, mais aussi que ça puisse à ce point me représenter dans la tête des gens. La difficulté, c’est de continuer à produire sans refaire la même chose. Ne pas rester bloquée dans une esthétique. J’ai eu rapidement

" Spontanément, je trouve que mes images sont plus fortes avec l’humain visible en arrière-plan, comme une présence… "

© CRUSCHIFORM-MODUSmag

Interview


Cruschiform

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" De formes extrêmement géométriques, les modules sont progressivement devenus, par assemblage, des formes plus réalistes. Mais la logique était la même. "

© CRUSCHIFORM_SNEEOOSH_Cabins de Taschen © CRUSCHIFORM- compilation visuels pour l'ONL

Tes prochains projets ? Colorama, c'est un livre jeunesse que je fais avec Gallimard qui sort en octobre prochain. C’est le quatrième ouvrage que je fais avec eux en tant qu’auteur et illustrateur et, dans la même lignée que les précédents, c’est un imagier, mais cette fois, sur la couleur. Celui-là, il fait quasiment 300 pages dans un petit format. L’idée pour moi, c’est de faire des livres qui ne sont pas dédiés à un âge précis. J’aime bien l’idée de ces livres transversaux, qui peuvent convenir pour les tout petits enfants mais aussi pour les adultes. C’est vraiment mon objectif à chaque nouvel ouvrage. Là, le livre est construit sur le schéma : une double page = une couleur et un objet. C’était assez difficile techniquement car il y a 140 couleurs au total… Par conséquent, le plaisir de ce projet était aussi dans la documentation, pourquoi associer cet objet à cette couleur-là, et finalement revenir sur l’origine même des choses. C’est un livre sur lequel je travaillais même avant Cabins. Et puis il y a aussi la collaboration avec Simon qui me tient beaucoup à cœur. Et enfin, ça peut paraître un peu paradoxal, mais j’ai bien envie de me frotter à nouveau à des ouvrages d’architecture… Mais d’une autre manière, en ouvrage d’art par exemple pour des particuliers. On y revient toujours !

© CRUSCHIFORM- couverture Colorama

La nature dans ton travail est omniprésente… et l’humain ? L’humain est toujours suggéré d’une manière ou d’une autre, même si la nature est plus visible. Les cabanes en sont un très bon exemple. L’humain est présent par ses constructions qui prennent place dans un milieu sauvage. Mais faire uniquement de l’humain, c’est vraiment compliqué pour moi. Si je peux simplement l’évoquer, c’est plus subtil et ça laisse surtout plus de place à l’imagination. Spontanément, je trouve que mes images sont plus fortes avec l’humain visible en arrière-plan, comme une présence… J’ai beaucoup de demandes de dessins avec une base d’éléments géométriques, mais aussi de personnages expressifs. Cette partie est plus délicate à appréhender avec mon style. Les personnages que je faisais avant étaient très pictographiques, adaptés pour de la carto, etc. C’était encore très, trop modu-

laire. Mais avec le niveau de détails des dessins de Cabins, ça ne convenait pas du tout. Du coup, travailler avec Simon (Gazhole de son nom d’artiste) est un vrai plus pour moi.

© CRUSCHIFORM- Pages intérieures Colorama

besoin de me renouveler. Ce projet a aussi contribué à ce que je reste dans mon coin, très concentrée sur mon travail et finalement peu éparpillée. C’est aussi dans ma nature de fille unique ! Je travaille beaucoup à la maison, et en soi, dessiner seule n’est pas une mécanique qui me déplaît, au contraire. Quand j’ai besoin d’échanges, d’avis extérieur, j’en discute avec mon entourage proche, en particulier avec Simon (mon conjoint) avec qui je vis. On partage déjà beaucoup d’autres choses. On collabore d’ailleurs ensemble à quelques projets comme la communication jeune public de l’Orchestre national de Lyon par exemple.

Interview : Jérémie Martinez


Carnet de voyage

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Terrain de chasse Le Musée de la chasse et de la nature, à Paris, fête ses 50 ans, avec son décor délicieusement fin-de-race et ses cartouches d’art contemporain. On est parti s’y camoufler car, derrière l’arbre, il y a toute la forêt et peut-être même davantage…


Terrain de chasse

Mercredi 8 février, en plein Marais, une faune s’attroupe, déguisée, devant le Musée de la chasse et de la nature. L’établissement organise une Fête de l’Ours, sorte d’appeau pour les oiseaux de nuit et appât redoutable dans la traque d’une place to be. À l’intérieur, le musée n’a rien laissé au hasard pour se transformer, le temps d’une soirée, en véritable tanière, voire en pot de miel : installations artistiques, costumes, dance floor sauvage, cocktails de l’Ours Bar, performers à tous les étages, reproduisant, plus vrais que nature, le bruit et les déplacements de l’animal... La Fête de l’Ours est une première au Musée de la chasse, inspirée du carnaval traditionnel organisé, chaque année, dans trois villages des PyrénéesOrientales ; au-delà du happening et du coup d’un soir, bien plus empaillé et domestiqué que la version originale, l’événement illustre le projet que l’établissement défend, à cor et à cri, depuis 50 ans. « Le Musée a pour ambition de confronter l’homme à l’animal sauvage et, plus largement, à son environnement naturel, explique Ugo Deslandes, responsable de la communication. C’est un acte fondateur et très actuel, qui recouvre à la fois le rôle structurant de la chasse dans l’histoire de nos sociétés et les passerelles nécessaires entre la nature et l’urbanisation. » À l’origine du musée, François Sommer avait quelques cartouches dans sa besace : aventurier, figure de la Résistance, chasseur avec Hemingway, industriel fortuné dans les revêtements, aviateur, grand ami de Malraux, écrivain, instigateur du premier ministère de l’Environnement, philanthrope, artisan de la réintroduction du cerf dans sa forêt des Ardennes... LinkedIn n’aurait pas

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supporté et Sommer s’est contenté de laisser ses empreintes en forme de coordonnées : le domaine de Belval, à proximité de Sedan, et deux hôtels particuliers récemment adossés, au cœur du Marais, pour héberger son Musée, un club privé de chasseurs à 1 000 euros l’année et une Fondation éponyme, réputée parmi les plus riches de France. La transition se fait, à l’image du musée, entre les deux étages de la collection permanente, traver-

sant les salons luxuriants dédiés à chaque espèce (« salle du sanglier », « cabinet du cheval », « le cerf et le loup »), jusqu’à la cabane reconstituée du pionnier, aussi sommaire que son identité.

Cabinet de curiosités « Bayrou, j’ai remarqué, il serre deux fois la main. » Au cœur de l’emblématique Salle des trophées,


Carnet de voyage

le gardien de service distille ses anecdotes et ses explications en franglais. Parmi les dizaines de gueules naturalisées, chacune a droit à sa petite histoire, au même titre que la collection de fusils d’époque, dont certains remontent au XVIIe. « La panthère, c’est Giscard qui l’a offerte. Tous les trophées sont des dons de chasseurs, comme ceux du frère du Shah d’Iran ou ce loup de Pologne, qui nous a rejoints en 2000. » En sortant pour le Salon des oiseaux, un interminable ours blanc subjugue, vent debout, les Américains de passage, qui ont du mal à suivre une nouvelle histoire, pourtant vraie, de leur guide improvisé : « En 2014, un artiste (Abraham Poincheval) s’est enfermé ici, pendant 13 jours, dans le corps d’un ours brun empaillé. Il était filmé 24 heures sur 24 et se nourrissait comme lui, avec des graines, des insectes ou du poisson... » WTF ? Ça se passe comme ça au Musée de la chasse : un véritable cabinet de curiosités, mis en scène comme tel, qui mélange savamment les styles et les époques, les chiens de compagnie et les licornes fabuleuses, les armes et les tableaux, les œuvres sans âge et les performances sans lendemain. Dans le dernier clip de l’établissement, par exemple, une danseuse classique se transforme en étoile contemporaine, au milieu des rois de la forêt, forcément impassibles, mais qui donnent le parfum : « Osez le sauvage ». « La chasse est un sujet riche, complexe, profondément culturel, commente Ugo Deslandes. Elle traverse l’histoire et toutes les sociétés, entre fonction nourricière et finalité de loisir. C’est la raison pour laquelle nous la représentons dans toute sa diversité, avec hybridation, en intégrant notamment la

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Terrain de chasse

création contemporaine dans nos collections. » Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que des tableaux de Rubens côtoient le flamboyant Puppy en porcelaine de Jeff Koons dans le « Salon des chiens », ou que le polémique Jan Fabre ait revisité le plafond du « Cabinet de Diane », en hommage à la déesse protectrice de la chasse. Les expositions temporaires sont aussi l’occasion de créer ces dialogues, autour du monde sauvage, comme dans le chassécroisé entre Roger Ballen et Hans Lemmen, ou avec Sophie Calle pour la saison à venir.

Chassez le naturel… La France est le pays d’Europe qui compte le plus de chasseurs avec un million de licenciés, ce qui en fait la deuxième pratique « sportive » après le football. Ce n’est donc pas surprenant qu’elle dispose d’une telle vitrine, en plein cœur de la capitale, qui accueille des chasseurs, des touristes et des Parisiens, fidèles comme

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La France est le pays d’Europe qui compte le plus de chasseurs avec un million de licenciés, ce qui en fait la deuxième pratique « sportive » après le football.

les chiens ou bavards comme des oiseaux, en particulier pour les nombreux qui l’adooooorent ! Plus largement, l’établissement s’adresse à tous ceux désireux de savoir comment le cerf est devenu le roi de la forêt, pourquoi la licorne a des pouvoirs magiques ou à quel moment le sanglier fut l’égal du lion dans le prestige animal. « Au-delà de la chasse, dont il avait une pratique raisonnée, dans une logique d’écosystème, François Sommer est un précurseur de l’écologie moderne, dont nous sommes aussi les héritiers. » Ainsi, en plus de faire (re)découvrir la nature à ceux pour qui elle n’est plus qu’un souvenir ou une carte postale, le Musée et la Fondation dégainent un programme culturel ambitieux, volontariste, plus proche de l’arme semi-automatique que du fusil à un coup. Réalisée par Anne de Malleray, journaliste et directrice de collection, Billebaude, par exemple, est une élégante revue collaborative qui se met au défi, chaque semestre, d’explorer en profondeur un sujet aussi déterminant que le lapin, le loup ou le climat. C’est une


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forme de cran d’arrêt sur la nature, largement appuyé par l’approche visuelle du studio Des Signes. « Dans notre nouveau numéro, nous développons le thème de la piste animale, qui fait aussi écho à notre prochaine expo, restituant un travail d’enquête, de recherche et de création dans le domaine de Belval. » Acquis en 1970 par la Fondation, cet immense parc des Ardennes (600 ha) a d’abord été un espace d’observation des animaux, grâce à des miradors dédiés, avant d’être fermé au public en 2000,

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victime de son succès. Il accueille aujourd’hui un « faunoscope », un centre de formation et des résidences d’artistes. « Ils sont immergés dans un espace complètement naturel, ce qui est intéressant car ce sont généralement des personnalités très urbaines. » Pour la prochaine exposition, dont elle assure également le commissariat, Anne de Malleray a ainsi collaboré avec Bruno Latour et son Programme d’expérimentation en arts politiques à Sciences Po (SPEAP) : « Des jeunes artistes sont

Terrain de chasse

associés à des chercheurs, à travers une démarche d’enquête puis de restitution esthétique, toujours dans l’idée d’interroger la relation humaine à la nature. » C’est l’essence du lieu que l’on retrouve, à la fin de la collection, dans le cabinet des grands singes, comme un miroir immédiat ou le reflet d’une société capable d’avaler, juste à côté, du crocodile ou de l’éléphant en boîtes de conserve. Et pan ! Texte : Gabriel Viry Photos : @yohann.borel


Interlude : l’enfant sauvage

Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

LES MYTHES MYTHO

GROS MOJO Les fondateurs de Rome, les frères jumeaux Romulus et Rémus, sont les premiers enfants sauvages légendaires. Abandonnés dans un panier, sur les ordres du vil Amulius, ils voguent sur le Tibre vers un destin funeste. Mais une louve les découvre sous un figuier et les voilà sauvés. Elle les allaite comme une mère, accompagnée pour veiller sur eux de son pote l’oiseau de Mars.

PETIT SLIP ROUGE Mowgli est un enfant indien qui a été élevé par des loups et un ours, Baloo, après que ses parents l’eurent perdu lors d’une attaque de tigres (ben bravo !). Créé en 1894 sous la plume de Rudyard Kipling, l’enfant fut d’abord un héros de la littérature populaire avant d’être porté à l’écran en 1967 par les studios Disney. Il gagna au passage son célèbre micro-pagne rouge. Il en faut peu pour être heureux !

OOOOOOOOOOH Tarzan est un mix savant du « bon sauvage » et de l’« enfant sauvage ». Recueilli par une tribu de grands singes, les Manganis, Tarzan a le muscle saillant, Tarzan est très intelligent. Par exemple, il apprend seul l’anglais en utilisant des livres d’images laissés par ses défunts parents. Né dans le livre d’Edgar Rice Burroughs en 1912, notre héros est vite consacré par d’autres disciplines, de la bande dessinée au cinéma.

LES VRAIS WILD KIDS

UNE INDIENNE EN PROVENCE Qu’on se le dise, Marie-Angélique Le Blanc ne déconne pas avec l’enfance en pleine nature. Née dans la tribu des Fox au Wisconsin (à l’époque une colonie française), cette « fille sauvage » a survécu dix ans en forêt, de son évasion en 1721 du navire qui la transportait à sa capture dans le fin fond de la Champagne. Elle avait alors 19 ans. Malgré son état de « régression comportementale », MA a appris à lire et à écrire, et a été pensionnée par la reine de France. Fortiche.

VICTOR DE L’AVEYRON En 1800, une bande de chasseurs découvre et capture un enfant d’une dizaine d’années. Il semble sourd et muet et un peu chelou. Un débat s’ouvre autour de lui : « arriération mentale incurable » ou déficit d’éducation dû à son isolement social ? Un docteur, Jean Itard, va tenter de le rééduquer, avec beaucoup de conviction et d’amour. La réussite est toute relative mais l’histoire fait date. Près de 200 ans plus tard, Victor inspire le film de François Truffaut, L’Enfant sauvage, sorti en 1970.

L’ENFANT SAUVAGE — Un enfant sauvage est un enfant qui a grandi en dehors ou en marge de la société humaine. Livré à luimême après quelques mésaventures (abandon, mort des proches, séquestration, en général rien de très jojo), le petit individu est recueilli par des animaux qui l’élèvent comme l’un des leurs. Et quand ressurgit ce disparu de la société se pose la question du rapport entre culture et nature (flashback terminale), et dans le fond, de ce qui fait de nous des humains.


CrĂŠations originales

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Nikol | L'enfant sauvage nikol.fr


CrĂŠations originales

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Lisa Laubreaux | Sauvage lisalaubreaux.com


CrĂŠations originales

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Laura Ancona | La Caverne laura-ancona.com


CrĂŠations originales

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Anne-Margot Ramstein | Sans-titre anne-margot.com


CrĂŠations originales

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Kokooma | Sans-titre kokooma.tumblr.com


CrĂŠations originales

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Emmanuel Espinasse | Sauvage emmanuelespinasse.net


Créations originales

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Jérémy Piningre | Sauvage piningrestudio.com


CrĂŠations originales

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Florent Groc | Sauvage florentgroc.fr


CrĂŠations originales

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Felix Decombat | Sans-titre felixdecombat.com


Créations originales

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NIKOL

ANNE-MARGOT RAMSTEIN

JÉRÉMY PININGRE

Issu des Beaux-Arts d'Épinal et des Arts Décoratifs de Strasbourg, Nikol est un beau produit du nord-est de la France. À ce titre, il sait donc dessiner et bien dessiner, comme le prouve la tonne de ses travaux pour la presse jeunesse (J'aime Lire, Je bouquine...) comme adultes (XXI, Muze...). nikol.fr

Autre fille chérie de la HEAR de Strasbourg, Anne-Margot Ramstein voit pleuvoir sur elle les honneurs les plus grands. Ses illustrations jouant gentiment avec les arts graphiques ont en effet été reconnus par la Villa Médicis, la Bologne Children Books Fair, ainsi que par la presse (Le Tigre, Libération, Revue XXI, etc.) anne-margot.com

En voilà encore un qui ne s'encombre pas d'une discipline pour les embrasser toutes. Jérémy Piningre virevolte ente le graphisme, l'édition, le dessin et la typographie pour créer des objets uniques où l'érudition se dispute à l'inconnu. piningrestudio.com

LISA LAUBREAUX

KOKOOMA (KYUTAE LEE)

FLORENT GROC

Lisa Laubreaux est une illustratrice basée à Paris qui a terminé ses études à l'École Duperré, après son diplôme car c'est une élève consciencieuse. Elle travaille aujourd'hui à ses illustrations joliment naïves et délicieusement absurdes au sein de l'Atelier Fonta, dans le 20e arrondissement de Paris. lisalaubreaux.com

Silence, calme et volupté forment l'atmosphère renvoyée par les dessins du Coréen Kokooma. Dans son style unique et délicatement suranné, Kyutae Lee décrit des scènes anodines en empruntant à la lumière le pouvoir de les magnifier. kokooma.tumblr.com

Incroyable coup de cœur que ce Parisien de 30 ans qui vient créer des paysages qui nous font penser que la réalité même est vulgaire. Cheminant sur la belle frontière entre l'abstraction et le réalisme, Florent Groc n'œuvre que dans un seul but : que la beauté de ses dessins nous mette K.O. florentgroc.fr

LAURA ANCONA

EMMANUEL ESPINASSE

FÉLIX DECOMBAT

Co-fondatrice, avec Juliette Léveillé, des maisons d'éditions Rebond, Laura Ancona n'est pas seulement cette brillante business woman que le monde nous envie. Elle excelle dans l'art de faire s'embrasser formes et couleurs au sein de compositions d'une élégance rare. laura-ancona.com

Aussi à l'aise avec un crayon, un stylet ou un marteau, Emmanuel Espinasse ne s'effraie pas d'aller sur les terrains du dessin de presse, du récit numérique ou de l'installation. Issu de l'EESI d'Angoulême, Emmanuel Espinasse est ce genre de petit génie qui fatigue, qui fascine. emmanuelespinasse.net

Strasbourg n'en a pas fini de jeter ses talents à la face du globe. Felix Decombat est de ceux-là avec un style à cheval entre la pureté et la déraison. Dessinant comme si sa vie en dépendait, il ne cesse d'abreuver ses suiveurs avec des travaux pour rien ou pour la fine fleur des revues dessinées type Gouffre. felixdecombat.com


Discussion

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Déontologie du sauvage moderne

Dans sa Pensée sauvage de 1962, Claude Lévi-Strauss soumettait à ses lecteurs l’idée d’une pensée brute, naturelle, fondamentale à l’homme tant qu’il ne l’a pas domestiquée pour la soumettre aux nécessités du « rendement ». C’est un point de vue charnière dans la conception de la dichotomie entre le sauvage et le civilisé, l’archaïque et le moderne, car il développe l’idée que ce sont les valeurs nées de l’industrialisation et du capitalisme qui donnent

du poids au nivellement des cultures et de l’intellect. Ici, le sauvage est celui qui ne s’est pas encore assujetti au besoin matériel et aux impératifs de productivité rendus spontanés par notre société de consommation, tandis que le civilisé n’est le reflet du progrès que dans sa façon de s’y conformer. Cette approche nouvelle a fait évoluer le champ sémantique du sauvage au point qu’il est désormais difficile de limiter son sens aux seuls

caractères culturel ou intellectuel : comme le barbare de l’Antiquité, le sauvage n’existe qu’en contre-forme de la pensée dominante, de ses codes sociaux, moraux et économiques. Sans eux, il n’aurait aucune légitimité ; sans eux, il aurait disparu… Mais extrait de la forêt dont il tire son étymologie, le sauvage a gagné la ville et bat toutes les campagnes, et c’est peut-être bien notre voisin.


Thibaut Hofer

Qui est le sauvage, à présent ? Comment reconnaître le non-civilisé moderne, inaccessible aux pirogues et masqué aux hélicoptères, émigré de la frondaison flétrie d’une jungle défigurée pour se dissimuler dans la dernière sylve indéfrichable, celle des réseaux sociaux où tant d’arbres cachent la forêt ? Où l’anticonformisme se hashtague sur Instagram ? Où l’ingénuité, tout comme la nudité, est sexualisée ? Où l’illettrisme est avalé par le métissage linguistique ? Où, sacralisés, les éditorialistes ont pris la place des missionnaires, et substitué à l’autel un blog sur Mediapart ou Le Figaro ? Qui reste-t-il, aujourd’hui, pour pointer du doigt, d’un même élan éclairé et dépassant jusqu’aux clivages politiques, les contre-exemples de notre bienheureuse modernité ? Le sauvage n’a pourtant jamais manqué d’e xposition, permettant aux citoyens, du prolo à l’aristo, de comprendre très facilement de quel côté de la morale et de l’éducation se tenir, sous peine de se voir rejeté par leurs contemporains progressistes. Exhibé comme un animal dans des ménageries ambulantes, le sauvage a été l’un des arguments de vente de la modernité jusqu’au milieu du XXe siècle, et un garant du sentiment de supériorité intellectuelle et culturelle des rejetons de la révolution industrielle, jusqu’aux plus pauvres et aux plus exploités. Le sauvage fait peur, il doit faire peur. Il est la menace perpétuelle d’un comportement déviant, d’une régression à l’état animal. C’est le Cabuche de La Bête humaine, forestier grossier, entêté et violent qui « vivait à l’état sauvage, sur la lisière de la forêt de Bécourt », faux coupable idéal d’un meurtre perpétré par le bourgeois Grandmorin. Quand elle n’était pas entre les barreaux d’une cellule ou d’une cage, la place du sauvage était à l’écart, physiquement ou socialement : assez près pour servir d’avertissement, assez loin pour éviter le danger, juste à portée de regard.

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Depuis les années 1970, les temps sont durs pour le sauvage. En l’absence de véritable lutte des classes, et la traite humaine se voyant maintenant condamnée (quasiment) unanimement et surtout pénalement, les repères sont désormais confus. Le cinéma lui-même s’e st mis à détricoter progressivement l’archétype du sauvage qu’il avait mis tant d’e fforts à confectionner, accordant à tous, d’Hollywood à son canapé, la permission (ou le devoir ?) de se racheter une conscience en ironisant sur Fitzcarraldo, en s’é mouvant de La Forêt d’émeraude ou en remplissant des mouchoirs devant Danse avec les loups. Socialement, c’est pire : déchirer la chemise d’un Broseta ne suffit plus à laisser libre cours à sa sauvagerie de classe, puisqu’on y oppose l’argument d’un geste de désespoir face au capitalisme… sauvage. Bourdieu avait-il prévu ce genre de paradoxe ?

N’ayant plus nulle part où s’épanouir dans une société à la fois multiculturelle et déresponsabilisée jusqu’au moteur même de sa croissance, le sauvage n’a dorénavant d’autre choix que de respecter une déontologie, fixée non plus par ses pieuses élites moralisatrices, mais par lui-même. Isolé intérieurement mais admis par ses pairs, le sauvage moderne ne fait plus le poids, ni ne fait contrepoids : il s’adapte, s’enracine, se fait discret. Il est pondéré, irrégulier et connecté. Il est l’écart au suivisme, le remède aux antidépresseurs, l’échappée à la routine d’un confort instable. Il est nous quand la pression fait déraper, quand le conformisme fait hurler, quand la promiscuité fait fuir. Mais pas plus. Car bon, que reste-t-il après tout du sauvage aujourd’hui, sinon un cri dans un coin de verdure ou d’Internet ? Texte : Thibaut Hofer Images : Kiblind

"...que reste-t-il après tout du sauvage aujourd’hui, sinon un cri dans un coin de verdure ou d’Internet ?"


Discussion

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Arrabal : de la lutte entre bon sauvage et Backstreet Boys « I want it that way ». Citer un tube des Backstreet Boys est toujours une drôle de façon de commencer un article. Ce n’en est pas moins légitime. Que je m’explique un tantinet : quand on me proposa un article épousant la thématique de ce nouvel opus de Kiblind après quelques Chouffe, la seule histoire qui me vint à l’esprit me renvoyait à la théorie éprouvée du « bon sauvage », dont les cinq garçons fournissent la bande originale. Saut dans le temps : 2006, année Erasmus, Colchester. L’un de mes colocataires est un boursier issu d’un bled indien. Notre rencontre concorde avec sa confrontation à la « civilisation » occidentale. Ses premiers pas sont hésitants, naïfs : il ne sait pas utiliser une douche, croit que le rouleau de PQ n’est destiné qu’au postérieur et non au nettoyage de la table de la cuisine... On lui apprend. Le spectre d’un sentiment de supériorité inconscient le rend d’autant plus touchant voire – je me hasarde à employer cet adjectif avec toutes les précautions d’usage – « pur ». Le problème, MON problème, c’est qu’il


Rémy Carras

apprend vite, le bougre ! Trop vite ! Seulement trois mois après son arrivée, le voilà tout équipé, des vêtements clinquants à l’ordinateur dernier cri, muni d’enceintes surpuissantes qui dégueulent en boucle cette fameuse chanson du quintet ricain. Bordel ! En même pas un trimestre, on a réussi à le saloper ! Encore aujourd’hui, cette chanson n’est pour moi qu’un hymne à la corruption. Malheureusement, cette anecdote ethnocentriste ne trouve que peu d’écho auprès de mon commanditaire. Je contextualise davantage après une dernière tournée : avant l’Angleterre et la perversion de mon bon sauvage, je suis tombé sur un film de Fernando Arrabal qui me marqua profondément.

« Bah voilà ! Fais ça ! C’est plus intéressant. » Bon bah... d’accord. C’est parti ! En 1973, l’une des figures de proue de la vague cinématographique Panique, qui fédère entre autres les sieurs Jodorowsky et Topor, réalise le film J’irai comme un cheval fou. Ce second effort s’inscrit comme une suite logique de Viva la Muerte : rejet du capitalisme et de la moraline de nos sociétés modernes qui tendent vers le totalitarisme, volonté de liberté et d’hédonisme, le tout mâtiné de références ésotériques, théologiques et sexuelles. Ce bordel sensoriel savamment orchestré nous invite à suivre Aden, dandy parisien cherché par la police pour le meurtre présumé de sa mère. En se réfugiant dans le désert, il rencontre Marvel, un homme mystérieux qui communique avec la Terre, ses cycles et ses créatures, et qui saura éveiller son hôte aux plaisirs simples et érémitiques. Devant tant d’émerveillements, ce dernier tient en échange à lui faire découvrir son monde, en espérant que chacun reconnaisse la valeur exceptionnelle de cet étrange ami.

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Cependant, la ville n’est que leurres, futilités et perversions. Nous passons donc d’un monde pur et onirique à une réalité plus crue, sordide et cruelle. Entre choc et incompréhension mutuelle, et en dépit des efforts d’Aden pour forcer l’acceptation de son protégé, Marvel ne se laisse pas corrompre par les mœurs d’une civilisation qui sacrifie ses plantes et ses animaux sur l’autel du profit et de l’amusement. Outre les saynètes théologiques et sexuelles retraçant le passé du dandy et son rapport œdipien avec sa daronne, nous tenons ici le véritable thème du film : l’échec de notre civilisation, le dévoiement des hommes et des âmes, et in fine l’exploitation et l’instrumentalisation de la bonté et de la pureté – notamment quand Marvel est enlevé par un directeur de cirque pour créer un numéro ridicule, nous faisant furieusement penser aux Freaks de Browning. Le dernier chapitre est plus brutal. Aden et Marvel s’en retournent dans le désert, le premier étant blessé mortellement. Entre rites anthropophages et scatologiques, notre bon sauvage mange le corps et absorbe l’âme de son ami, ce qui lui permet de perpétuer son existence. Le salut d’Aden

passe donc par le retour à la poussière et son ingestion par le nabot chaman. En d’autres termes, le salut de l’homme tiendrait à son retour à l’état naturel. Marvel, transformé physiquement en Aden, s’élève aux cieux sous un soleil couchant. Le film se conclut sur une adaptation du tableau Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs durant laquelle les deux comparses se passent l’anneau au doigt et s’embrassent, pour nous signifier qu’ils ne font désormais plus qu’un. S’il est délicat d’analyser brièvement un film aussi complexe et intelligent, force est de constater que Fernando Arrabal brossa avec force dans J’irai comme un cheval fou la dichotomie, peu ou prou irréconciliable, entre la civilisation qui pervertirait les hommes et la nature qui préserverait la pureté et la bonté. Et si Marvel a résisté aux affres de la corruption civilisationnelle, mon bon sauvage, quant à lui, a définitivement succombé. Mais peutêtre les Backstreet Boys ne firent que mettre des mots sur ce que lui désirait réellement : je le veux ainsi. « I want it that way. »

Texte : Rémy Carras Images : Kiblind


Discussion

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Born to be wild Aux antipodes de ce credo de bikers valorisant l’individualisme et le refus de toute règle de bienséance, l’Américain Geof Darrow a offert un autre sens au mot « sauvage ».


Jean-Samuel Kriegk

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Tourné autant vers la culture européenne (il s’est installé quelques années en France dans les années 2000) que japonaise (« le Japon est mon pays préféré au monde », aime-t-il à répéter), Darrow est un artiste atypique qui n’a cessé de dénoncer la culture de masse et l’individualisme définissant l’ère post-hippie à travers des bandes dessinées à la violence excessive et d’une sauvagerie infinie. La plupart des albums de bande dessinée de Geof Darrow relatent des bastons épiques aux proportions dantesques, parfois sans autre fil scénaristique que le combat qu’ils représentent. Cette posture a trouvé son acmé dans le dernier volume de Shaolin Cowboy, un album muet qui voit le héros se battre contre des hordes de zombies sur plus de 140 pages sans la moindre interruption. Loin d’être ennuyeuses, ces œuvres à mi-chemin entre entertainment et avant-garde trouvent tout leur sens dans le dessin ultra-spectaculaire de Darrow, qui n’a sans doute pas d’équivalent dans le paysage de la bande dessinée. On y retrouve néanmoins une influence majeure : celle de Moebius. Le Français fut d’ailleurs un acteur clé dans le parcours de Geof au début de sa carrière dans la BD, avant de devenir son ami. Né dans l’Iowa au milieu des années 1950, Darrow intègre une école des Beaux-Arts dont il sort à l’âge de 24 ans, au seuil des années 1980. D’abord directeur artistique dans l’animation, il devient character designer du prestigieux studio Hanna-Barbera (le producteur de Tom et Jerry), dont l’inspiration cartoonesque et burlesque sur son travail ultérieur est assez évidente. Harcelé par son directeur de production, qui lui répète chaque jour à quel point il le trouve médiocre, Darrow bascule sur un projet de cinéma « live ». Ce projet n’aboutira jamais, mais l’amène à travailler sur des des-

" La sauvagerie chez Darrow ne réside pas uniquement dans son dessin, mais aussi dans une posture critique acerbe et sans cesse renouvelée contre la bêtise de ses contemporains. " sins de concept avec Moebius, qui est alors une de ses influences majeures avec d’autres Européens comme Mézières et Hermann. Cette rencontre est décisive et Darrow décide de se consacrer désormais à la BD. Il publie d’abord Bourbon Thret, l’histoire d’un chasseur de primes muet dans un monde futuriste et violent, qui pose les bases d’un style percutant et frénétique. Le trait est ultra-réaliste, fourmille de millions de détails, pour un résultat souvent explicite et choquant. Repéré par le grand Frank Miller, celui-ci ouvre la possibilité d’une collaboration : ce sera Hard Boiled en 1990, qui reste l’une des meilleures BD jamais faites aux États-Unis. Pourtant, Frank Miller s’étrangle devant l’adaptation de son script lorsqu’il découvre les premières pages, dans lesquelles une centaine de cadavres se sont invités. Car Geof Darrow est le nom d’un certain sens de la démesure.

En 1995, un Frank Miller pas rancunier, connaissant l’amour de Geof Darrow pour le Japon, lui propose une nouvelle histoire : The Big Guy and Rusty the boy robot. Cet album est réédité ce mois-ci chez Glénat Comics dans une très belle édition enrichie d’une nouvelle histoire et de dessins inédits. Hommage vibrant à la culture japonaise des années 1950 citant Godzilla autant qu’Astro Boy, Big Guy est une nouvelle preuve de la folie créatrice de Geof Darrow et de son sens de l’excès. L’histoire est celle d’un lézard géant créé par accident qui se déchaîne contre l’Humanité à Tokyo. Le gouvernement japonais envoie pour l’affronter un petit robot volant : Rusty, aussi inutile qu’incompétent, qui laisse place au robot américain Big Guy avec qui il fera désormais équipe. L’album reçoit l’Eisner Award du meilleur coloriste en 1996 (pour Dave Stewart), Geof Darrow n’obtiendra ceux du meilleur dessinateur et du


Jean-Samuel Kriegk

meilleur scénariste qu’en 2006 pour sa nouvelle série Shaolin Cowboy. Une reconnaissance tardive, et avouons-le pas encore assez universelle. The Big Guy and Rusty the boy robot est une relecture folle du mythe de David et Goliath, un récit épique de l’affrontement de personnages aux proportions extrêmes, rappelant le Pacific Rim de del Toro nourri quelques années plus tard des mêmes influences. Sa lecture est passionnante car elle rappelle que Geof Darrow est à la fois le produit de l’entertainment américain et l’instrument de sa dénonciation au

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vitriol à travers un texte toujours mordant d’ironie et de cynisme. La sauvagerie chez Darrow ne réside pas uniquement dans son dessin, mais aussi dans une posture critique acerbe et sans cesse renouvelée contre la bêtise de ses contemporains. L’histoire bonus du nouveau recueil, représentant des Américains aux corps flasques et tatoués, apathiques devant un nouveau combat dantesque de Rusty et Big Boy contre un nouveau lézard géant sur une plage jonchée de mégots, de bouteilles et de déchets, nous rappelle que sous des aspects débonnaires, Darrow reste un vrai punk.

Après cet album décisif, Geof Darrow cédera aux sirènes du cinéma pour ses amis les Wachowski. Son travail de direction artistique sur la trilogie des Matrix (qui visuellement lui doit énormément) puis de Speed Racer n’étonnera personne : on y retrouve son obsession pour la culture graphique japonaise, son sens du détail et son amour pour des histoires tournées vers le grand public mais qui grattent le vernis d’une Amérique autosatisfaite.

Texte : Jean-Samuel Kriegk Images : Kiblind

Top 6 - Bandes dessinées sauvages Sin City (Rackham)

Gantz (Tonkam)

Des sept tomes de Sin City, le premier est le plus indispensable, polar noir urbain qui revisite les archétypes des romans américains hard boiled des années 1950. Violente, sexy et vénéneuse, cette bande dessinée au noir et blanc sublime (sans aucun dégradé de gris) est aujourd’hui devenue un classique.

C’est sans doute au Japon qu’on trouve aujourd’hui les bandes dessinées les plus extrêmes. Hiroya Oku est le créateur d’un manga de science-fiction devenu culte : Gantz, nourri de sexe et d’ultra-violence. Publiée sur plus de 13 ans, cette série à ne pas mettre entre toutes les mains est, dans son genre, l’une des plus abouties. La nouvelle série d’Oku : Last Hero Inuyashiki, en cours de publication chez KiOon, est également plus que digne d’intérêt.

Mutafukaz (Ankama)

Akira (Glénat)

La création phare du label 619 chez Ankama vient d’être adaptée au cinéma. Fabriqué au Japon par le studio 4°C (Animatrix) sous la houlette de Run (l’auteur de la BD), le film sera présenté ce mois-ci au Festival d’Annecy en avant-première mondiale. La bande dessinée, graphiquement très expérimentale, est publiée en cinq volumes dont chacun est construit autour d’une énorme scène d’action.

Dans un néo-Tokyo post-Apocalypse soumis à la violence de hordes de bikers, une équipe de scientifiques au service d’une junte militaire développe une arme de destruction massive, enfermée dans le corps d’un enfant. Trente ans après sa sortie, Akira pourra sembler un peu sage aux lecteurs contemporains. Pourtant, il ne faut pas minorer la déflagration de cette œuvre majeure qui a converti l’Occident au manga à sa sortie en 1990.

Now Future (Glénat)

RanXerox (Glénat)

Avant de faire des (bons) films avec son copain Gustave Kervern, le Grolandais Benoît Delépine a touché à la BD au début des années 2000, et écrit trois albums dessinés par Stan & Vince, réédités en un volume unique en 2016. Ces récits de SF forment une trilogie cyberpunk ultra-violente et passionnante.

Androïde fabriqué à partir des pièces détachées d’une photocopieuse, RanXerox donne son nom à la bande dessinée publiée à partir de 1978 par le dessinateur Liberatore et le scénariste Stefano Tamburini (remplacé par Alain Chabat sur le troisième et dernier tome). Presque 40 ans plus tard, certains lecteurs ne s’en sont toujours pas remis...


Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

Interlude : Le blob

DANGER PLANÉTAIRE Le blob tient son petit nom d’un film américain sorti en 1958, dans lequel un extraterrestre gluant grossit à mesure qu’il dévore les habitants de la ville de Downingtown. Fun fact : ce nanar marque le début de la carrière de Steve McQueen au cinéma.

BON APPÉTIT BIEN SÛR ! Le blob est gourmand. Il mange des champignons et des bactéries mais les flocons d’avoine constituent son plat préféré. La cellule double tous les jours et il n’est pas rare de voir des blobs qui font jusqu’à 4 mètres de large.

LE CUL ENTRE DEUX CHAISES Le blob n’aime pas choisir. Il n’a qu’une seule cellule mais composée de milliers de noyaux. Il n’a pas de cerveau mais est intelligent. Il n’est ni mâle ni femelle mais a le choix entre 720 types de sexe différents.

SUPER BLOB Le blob semble immortel. Brûlezle et il aura doublé de volume le lendemain. Coupez-le en morceaux, il cicatrise en deux minutes. Ses seuls ennemis sont la lumière et la sécheresse qui l’affaiblissent.

GÉNIES SANS CERVEAUX Les blobs n’ont pas de cerveau ni de système nerveux. Pourtant, ils sont capables d’apprendre, de retenir et même de transmettre leur savoir. Les blobs savent résoudre des labyrinthes et anticiper ce qui pourrait leur faire du mal. Les blobs sont super <3

TRANSMISSION DE PENSÉES Les biologistes du CNRS de Toulouse avaient déjà appris aux blobs à passer outre des substances répulsives mais inoffensives pour eux, comme le sel. Toujours plus fort : ils ont récemment démontré qu’un « blob expérimenté », c’est-à-dire éduqué, peut fusionner avec un « blob naïf » et transmettre en 3 heures seulement son savoir à son congénère.

ACHTUNG Il ne faut pas confondre le blob avec le blobfish, poisson des abysses qui vit entre 600 et 1 200 mètres de profondeur. Même s’il est vrai que ce dernier a le même genre de corps gélatineux, visage bizarrement humain en prime.

RENCONTRER UN BLOB Pour faire la connaissance d’un être si extraordinaire, il vous suffit d’aller faire une petite balade dominicale en forêt et de chercher sous les souches d’arbres ou les feuilles une masse jaune vif. Ensuite, place à vos pokéballs !

LE BLOB — Le physarum polycephalum ou blob est un être curieux : ni animal, ni plante, ni champignon, cette créature gluante est composée d’une unique cellule géante. Sur terre depuis près de 500 millions d’années, les blobs sont partout mais vivent principalement dans les forêts. Les blobs sont gentils et inoffensifs.


Reportage graphique

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Illustration : Simon Bournel-Bosson Texte : Maxime Gueugneau

En diagonale (4/4) :

Lundi ou la vie sauvage

Au bout, la ligne d’arrivée. Le point final de notre aventure à travers la France. La main en visière, nous scrutons les quelque 250 km qui nous séparent de Pau : une vaste étendue de terre que percute un vilain cagnard et où

affleurent par moments des villes, des jardins sauvages, des panini trois fromages et des jerricans d’eau bénite. Drôle d’histoire que ce Sud-Ouest là. Coincé entre Toulouse et le Pays basque, il suit la diagonale du vide avec un zèle

presque surréaliste en même temps qu’il renferme quelques-uns des endroits les plus fascinants de notre parcours. D’autant que pour nous assurer une prise maximale sur les événements, nous sommes partis un lundi.


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→ Agen

→ Condom

Agen, merveilleuse Agen. Tu auras pourtant tout essayé. Tu nous auras sorti tes meilleurs tricks, à l’image de cette commande de pizzas par SMS ou de ta cathédrale si jolie. Mais tu ne seras qu’une terre d’accueil éphémère, le temps de louer

notre voiture à la brasserie de la gare et de filer là où le vent nous emporte, direction Walibi Sud-Ouest. Le vent est joueur. Tu nous as promis, Walibi. Et nous, on t’a cru. Mais tu étais fermé la semaine. Va mourir, l’arrache-cœur. Ni notre sourire,

là. Quoi d’autre ? Le charme d’un orage printanier ? Le passage de Rika Zaraï à la Foire Expo de 63 ? Le remède Mod’Coiffure contre la calvitie ? Non, ce serait mentir. Car si le charme de la ville, à cheval sur la Baïse, est indéniable, on se faisait surtout un immense plaisir de passer un moment coquin à Condom. Et comme de bien entendu, ce fut assez décevant. D’une part, parce que toutes

les blagues disponibles étaient en réalité plutôt nulles et d’autre part parce que Condom n’a aucun rapport avec la protection élastique. Sud-Ouest, où sont les caresses promises ? Pourquoi estu si cruel avec ceux qui ne cherchent qu’à te servir ? Le Grand Café nous a tout de même servi deux Pelforth. Ce qui constitue sans doute une forme d’excuse.

ni notre slip de bain ne toucheront à tes Chaises volantes et à ton kiosque Tam-Tam, ils ne les méritaient pas. Ciao Judas, nous filons à Condom. C’est évidemment pour la blague sur le préservatif que nous sommes arrivés


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→ Tarbes Le vent dans les cheveux, c’est fou comme ça peut faire du bien. Le moteur ronronne, l’humeur s’améliore et Tarbes nous ouvre ses bras. Délicate Tarbes, tu les connais, toi, les baumes qui soulagent l’âme, les remèdes contre la morosité et les antidotes aux lundis. Tu sais les cajoler, toi, les hommes en fin de course, rincés par les bornes et broyés par les épreuves. Non contente d’avoir installé un chic sex-shop au bas de notre hôtel, tu as pris soin de laisser ouverts tes meilleurs établissements. Oh bien sûr, les rues de ton centre sont vides et l’ambiance est au pas grandchose. Ça patati-patata un chouïa au Marylin, sur la place de Verdun, mais

guère plus. Qu’à cela ne tienne, nos oreilles ont traîné aux bons endroits et puis aussi on a Internet : on sait où se trouve le feu. Ou l’étincelle. Ou au moins un paquet d’allumettes. Le foyer de notre lundi soir sera donc Les Galopins, un bar ayant eu plusieurs bonnes idées, la première étant de passer des matches de MMA. On ne

reste pas longtemps sur la deuxième – à savoir une terrasse donnant sur les beaux bâtiments du quartier rénové de l’Arsenal –, parce que ça fait froid aux miches. La troisième, en revanche, nous ouvrira les portes d’une nouvelle dimension : les rafraîchissements servis n’avaient que très peu de points communs avec la tisane.


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→ Tarbes

La vie fait bien son boulot. La glissade fut amenée subtilement, mystérieusement, cachée à nos yeux par toutes sortes de supercheries. Mais voilà, à ce moment là, le danger fut un besoin pressant. Longeant le Jardin Massey et sa florissante végétation,

nous étions poussés par une folle envie de sauvagerie. Briser les règles, violer les lois, perturber la trop sage république. Notre humaine raison disparue, l’instinct animal pris le dessus. À ce stade, nous n’eûmes d’autre choix que celui de l’illégalité. Si les portes

fermées du parc peuvent paraître un obstacle aux diamants d’innocence, les délinquants que nous étions devenus n’en firent qu’une bouchée. Mmh. Allez, deux bouchées. De l’autre côté des grilles et de la bien-pensance, un monde s’est ouvert à nous. Les années de prison qui

nous attendaient sûrement à la sortie ne pesaient pas grand chose face au spectacle irréel auquel nous faisions face. La jungle tarbaise était devant nous, aussi majestueuse qu’impressionnante, aussi grandiose qu’hostile. Des vignes menaçantes aux buissons acérés, des

trachycarpus tentaculaires aux paons monstrueux, le glaive de la justice naturelle était prêt à s’abattre sur nous. Nous avions fait une faute, il fallait payer. La tour du musée Massey serait notre citadelle et nous y finirions nos vies, frappés par on ne sait quelle malédiction

éternelle. Nous étions toutefois prêts à vendre chèrement nos vies, peu importent nos péchés. Heureusement pour nous, la miséricorde tarbaise est sans commune mesure et nous sortirent de là indemnes et suffoquant. Il fallait à présent demander pardon.


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→ Lourdes

Quelle riche idée d'avoir placé Disneyland Lourdes à quelques kilomètres de nos récentes et mauvaises actions. Sans perdre une minute, nous pouvions nous laver de nos erreurs, recouvrer la grâce éternelle et mettre beaucoup de paix dans notre cœur. Et c'est vrai que, plus nous gravissions les rampes du château de

Cendrillon des Sanctuaires de Lourdes, plus nous sentions notre âme se délester du surplus maléfique. Ou au moins de quelques mauvaises calories. Une paix qui dura un temps. Un petit temps. Car il faut bien admettre que la ville de Lourdes porte parfois très bien son nom. Au bout d'une heure, généralement. Passé

entre ces supermarchés de la religion bourrés de bidons à eau miraculeuse ; nous frôlons, décontenancés, des hommes transis qui marmonnent, le chapelet à la main ; nous traversons, hallucinés, le dédale désert du 2e plus grand parc hôtelier de France (12 000 lits). Au milieu de tout ça, une horde de touristes coincée

entre foi véritable et marketing et, surtout, une ville de 14 000 habitants qui essaie de se conduire normalement avec sa discothèque Le Marquis, son Nocibé de rigueur, ses commerces qui périclitent et sa brasserie qui, putain, n'avait plus de moules marinières. Il est temps de faire une sieste à Soumoulou.

le moment de fascination face au pastiche architectural des Sanctuaires et à cet absurde déploiement d'activités mystiques, nous faisons face aux pauvres diables en fauteuils roulants, prêts à tout acheter pour un peu d'espoir. Redescendus du ciel, la réalité laisse un sale goût en bouche. Nous voguons, de plus en plus mal à l'aise,


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→ Pau

Cap, donc, sur la fin de notre voyage : Pau. Nous y attend sans doute une population extatique, un feu d’artifice d’émotions et des ballons par centaines. C’est l’aboutissement du plus grand projet dessiné de l’histoire du monde de la France. L’évènement est de taille. Évidemment, Pau n’en avait rien à foutre.

Certes, un circuit urbain de Formule 3 nous donna l’occasion de ressentir le frisson mécanique et quelques cours de Bachata en plein air nous offraient l’apéritif propice à la fête. Mais pourtant nos noms de figuraient nulle part et les tapes dans le dos se sont faites attendre. Très bien, on fait comme d’habitude.

Pau, c’est beau. À Pau, il y a un funiculaire, un centre-ville magnifique et des bars qui ressemblent au Kentucky. À Pau, il y a une croisette, des palmiers et des maisons de ville qu’on n’avait vues qu’en rêve. À Pau, l’air y est le plus pur du monde, le Tour de France y passera en 2017 et les bédéistes s’y sont installés

avec bonheur, à l’instar de Lucy Mazel et Cédric Mayen, rencontrés au détour d’une clope au Garage. Mais Pau ne ressemble pas à ce que nous avons traversé jusque là. Les panneaux « À vendre » y sont rares, les rues du centre sont peuplées et les volets persistent à rester ouverts. Pau

n’est pas une ville de la diagonale du vide. La diagonale du vide est en lutte. En lutte contre sa muséification, en lutte contre sa désertification, en lutte pour ne pas s’emmerder. Et à ce qu’on a pu en voir, sur ce dernier point, elle gagne de jolies batailles.


Rétrographie

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L’art de la bêtise

Le Loup et le chien, Jean de la Fontaine par Gustave Doré

Ou quelques mots sur l’utilisation des animaux sauvages dans la communication visuelle.


L'art de la bêtise

L’homme descend du singe. Une conclusion très raisonnable si l’on appréhende la vie comme une chaîne évolutive, même si les biologistes tatillons préfèrent aujourd’hui parler de la grande famille des Hominidés. Quoi qu’il en soit, la démonstration darwinienne est inéluctable : nous sommes des animaux. Certes, l’intellect et la parole nous distinguent sur le plan de l’espèce, mais nous partageons aux niveaux physique et sensoriel des caractéristiques qui nous rassemblent, à différents degrés. Sans parler de l’instinct, cette inexplicable vestige de notre animalité auquel on se fie parfois, à tort ou à raison. Civilisés et intelligents, cultivés ou « domestiqués » en un certain sens, on se prête avec un plaisir orgueilleux au jeu des comparaisons animales, pour peu qu’on y trouve son compte. Nous ne sommes que des humains après tout, policés et sociabilisés. Et l’animal apparaît bien souvent comme un référent de choix pour exprimer notre vraie « nature ». Pas l’animal domestique, qui a déjà subi la transformation de la captivité, mais la bête sauvage, l’originale, à laquelle on n’oppose ni loi ni règle. Comme le loup de la fable, qui répond au chien qu’aucun trésor ne lui fera porter un collier au prix de sa liberté. Reste à se choisir, en terme d’image, une bestiole qui ait de la gueule.

Les rois des animaux En matière d’animaux-fétiches, le must c’est les superprédateurs. Ce sont les champions, ceux qui sont au sommet de la chaîne alimentaire, les prédateurs qui ne peuvent être vaincus par aucun autre. Les rois des animaux, qui incitent à la véné-

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ration ou la crainte, selon la localisation et la culture. En tête de file : le lion, l’ours et l’aigle. Le lion, par sa force et sa majesté, est le premier animal qui dans l’Antiquité reçoit le titre de Roi des animaux, d’après un bestiaire alexandrin du IIe siècle de notre ère. Il est assimilé au Soleil et à la royauté au Proche-Orient et se retrouve immortalisé dans les bas-reliefs de Persépolis et dans l’art assyrien. En Égypte, il prend la pose solaire du Sphynx, positionné à l’Est. Sa constellation accompagne le temps chaud de l’année, quand le soleil redescend tout en étant le plus torride. Au Moyen Âge, en pleine scolastique, il est assimilé au Christ : il siège au sommet des montagnes, il dort les yeux ouverts et il ramène à la vie les lionceaux mort-nés au bout de trois jours. C’est également l’animal emblématique de SaintMarc, affublé alors d’une paire d’ailes pour l’occasion évangélique, tel qu’il trône sur la place de Venise. Sa crinière et son impassibilité lui donnent des airs de roi. Sans compter qu’il est le lauréat du droit de cuissage, avec un record de 50 coïts en 24 heures. L’ours était célébré dans les mythologies nordiques et chez les peuples germaniques pour sa force, son invincibilité et son courage. On le considérait comme le roi des animaux, voire comme un intermédiaire entre les deux espèces, du fait de sa ressemblance avec l’homme. Il était associé à des rituels païens, frénétiques et « démoniaques » dans les contrées de la Saxe, au cours desquels on revêtait sa fourrure et buvait son sang. Si bien qu’à partir du XIIe siècle et de la christianisation de l’Europe, les édiles de l’Église préférèrent installer officiellement le lion à sa place sur le

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2 1 - Blason Lyon 2 - Blason Flandres 3 - Blason Angleterre

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5 4 - Blason Berlin 5 - Blason Berne 6 - Blason Villard-de-Lans

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8 7 - Grand sceau des USA 8 - Blason Napoléon 9 - Blason Saint-EmpireRomain-Germanique

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Rétrographie

trône des animaux. Une figure plus solaire, plus christique. Si le lion ou l’ours règne sur la terre, l’aigle domine les airs. Dans de nombreuses cultures, il est le roi des oiseaux. C’est pourquoi il a été choisi maintes fois par les empereurs pour symboliser leur puissance. Historiquement, l’aigle est devenu le symbole de l’Empire. En matière de communication visuelle, les pionniers étaient certainement les seigneurs et les rois. Ceux qui portaient des armes, des armoiries et des blasons, et souhaitaient en imposer avec un symbole fort, au bout de leurs oriflammes. Une stratégie gagnante, qui possède le double avantage de renseigner à la fois sur les valeurs capitales de celui qui plastronne, tout en intimidant au passage un adversaire hésitant. C’est donc sans surprise que l’on retrouve très fréquemment les trois rois sauvages en héraldique, symboles de puissance, de force et de courage : l’aigle impériale (féminisé dans la science des blasons) a depuis Rome accompagné les grands empires européens, et même par-delà les océans ; on retrouve souvent l’ours dans les armes nordiques ou les contrées montagneuses du fait de sa proximité géographique, comme dans les régions de Berne ou de Berlin, qui tirerait d’ailleurs son nom du grand carnivore ; quant au lion, il est sans doute la star des icônes héraldiques, comme nous le résume Michel Pastoureau en citant un proverbe édifiant du XVIIe siècle : « Qui n’a pas d’armes porte un lion ».

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L'art de la bêtise

Bestialité VS Anthropomorphisme De temps immémoriaux, bien avant les empires ou les fables de La Fontaine et même d’Esope, l’Homme emprunte à l’animal sauvage ses atouts naturels : son acuité sensorielle, sa performance physique, son excellence instinctive. Les Égyptiens en faisait même des dieux. Sekhmet, la puissante lionne guerrière ; Sobek, crocodile gardien du Nil et dieu de la fertilité ; Anubis, le guide chacal du royaume des morts ; Thot, sage ibis maître des

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écriture ; Apophis, le serpent du mal et de la nuit ; et Horus, le faucon divin qui plane au-dessus de l’Égypte. Dans le chamanisme, si proche de la nature primordiale, on cherche son animal-totem. Une tradition à laquelle s’adonnent encore les adeptes de Baden-Powell. La symbolique animale est puissante et efficace. En témoignent nos blasons modernes : les logos. Comme on l’a vu en chevalerie, l’animal-emblème permet d’exprimer en un coup d’œil de hautes qualités élémentaires, sans avoir à les citer, et dans une langue univer-

selle. En matière de communication, ça vaut de l’or. Et en plus, il permet de favoriser la mémorisation. « Malinx, le lynx », comme dirait l’autre. Les marques n’ont plus qu’à se choisir l’icône animale collant au plus près de leur produit ou des valeurs qu’elles cherchent à promouvoir, et le tour est joué. Dans notre bestiaire favori, on retrouve naturellement les trois superprédateurs, pour les mêmes raisons qu’en héraldique ; mais bien d’autres sont invoqués en fonction de la performance marketing souhaitée. Les grands félins comme le puma, le jaguar ou la panthère sont


Rétrographie

très présents, pour illustrer la vitesse, l’agilité ou l’élégance. À ceuxlà s’ajoute le tigre puissant, qui vient parfois détrôner le lion, en Chine notamment. Pour la mémoire et la sagesse, il y a l’éléphant ; le renard rusé pour l’intelligence et la subtilité ; le loup pour l’instinct collectif de la meute et l’univers nocturne ; la gazelle agile, le crocodile patient et déterminé, le doux panda et le requin impitoyable.

Chacun cherche son fétiche. Avec le même effet d’entraînement, la publicité s’est emparé des bêtes sauvages. Parfois elle les instrumentalise pour faire passer un message rassurant ; et dans d’autres cas elle s’amuse à les tourner en dérision pour chercher le ressort comique. Ça marche plutôt bien sur les braves bêtes consommatrices que nous sommes, qui ont définitivement une véritable tendance à l’assimilation. Car derrière la diversité des symboles maniés habilement par le faiseur d’images, de la beauté animale à la sensation de liberté sauvage, le message reste très clair : « Achetez ! » L’homme est décidément bien un loup pour l’homme.

Texte : Jean Tourette

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L'art de la bêtise


Illustration et pictos : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler

Interlude : Man vs. Wild

PRÉAMBULE : ÉQUIPEMENT DE BASE Un couteau, une gourde et une pierre à feu. Less is more. Non, pas besoin de hand spinner ! L’URINE, CET OR JAUNE Le pipi est un fluide sous-estimé, tant ses vertus sont nombreuses pour les aventuriers et autres paumés de fin de soirée.

CONSOMMATION ÉCOLO Bear Grylls est un fin gourmet et nous révèle, en chic type, sa recette de steak aux insectes, basé sur un mélange de scarabées, sauterelles et papillons de nuit, à malaxer tendrement entre ses mains jusqu’à l’obtention d’une petite boule de bestioles. C’est plein de protéines, c’est bio et locavore. Et ça croque sous la dent.

Cas n° 1 : le froid Trop d’alcool, clés perdues, coincé dehors. Pour vous réchauffer, n’hésitez pas à faire pipi dans une bouteille vide et à la serrer fort contre vous. Eh oui Jamy ! L’urine étant conservée dans notre vessie, elle reste à la température de notre corps. Et on ne boude pas un 37 degrés en plein hiver.

Cas n° 2 : le chaud Canicule, plus de ventilo chez Casto, et, hasard du calendrier, l’eau est coupée aujourd’hui dans votre immeuble. Une vraie fournaise, ce studio sous les combles. Vous êtes en slip et en nage. Pour vous rafraîchir, faites pipi sur un linge à nouer autour de votre tête. C’est très utile, et de surcroît, plutôt fashion.

FEU LE BIDET Imaginons qu’un de ces quatre, vous soyez perdus en pleine mer, sur un radeau de fortune (ON SAIT JAMAIS). Vous êtes déshydratés. Vous avez trouvé de l’eau fraîche (yesss) mais elle est remplie de fientes d’oiseaux et elle est rance (nooo). Eh bien, sachez qu’il vous reste un moyen de vous en servir : vous prodiguer un auto-lavement. Comme le dit M. Grylls : « Avec un lavement, vous passez outre la nausée, et vous réhydratez votre corps en évitant les vomissements. » Partants ?

Cas n° 3 : montrer qui est le patron Un petit jet d’urine afin de marquer son territoire est une technique audacieuse, certes, mais qui ne tente rien…

MAN VS. WILD — Ancien membre des forces spéciales britanniques, Bear Grylls est ce surhomme qui a bravé pendant six ans les dangers du monde, afin de nous enseigner la survie en milieu hostile dans son émission Man vs. Wild. On peut légitimement se demander : à quoi bon ? Que retenir de tout ça, ô pauvres de nous, citadins ordinaires affalés dans nos canapés ? Mais après tout, la ville est une jungle et quelques enseignements peuvent être utiles face aux dangers quotidiens. La preuve en quelques tips.


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Mode

Tops, coat | MIU MIU Belt | PRADA Pants | SRETSIS Boots | LOUBOUTIN White knee Boots | STYLIST OWN


Wild ThaĂŻ

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Direction artistique : Baptiste Viry @ KIBLIND Agence Photographer : Waroon Keattisin Assistant Photographer : Prompong Dechpol, Ratchapoom Yaemnet, Arnon Boonrod Stylisme : Jirawat Sriluansoi Assistant Stylist : Porames Chantarawichien, Jantima Smithavej Make up and hair : Kachapond Phraenga Producer : Sistpat Vadhchararojana


Tops, pants | REALISTIC SITUATION Shoes | STYLIST OWN

Tops, dress | VICKTEERUT




Shirt | PAKAOMA X LALALOVE Tops, white denim pants | PONY STONE



T-shirt | T AND T White denim pants | PONY STONE

Kratingdang tops | DRY CLEAN ONLY Pants | REALISTIC SITUATION Pink Shirt, blue pants | SRETSIS


Coat | CHANEL


Outro

t s i l y Pla e g a v Sau

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Morceaux un tantinet cools qui ont l'avantage de faire référence à la sauvagerie.

Lou Reed – Walk on the Wild Side (1972) Gunplay – Savages feat. Cormega (2014) Savage Garden – Truly Madly Deeply (1997) Les Avions – Nuit Sauvage (1985) Kalash Criminel – Sauvagerie #2 (2016) Duran Duran – The Wild Boys (1984) 21 Savage – No Heart (2016) Gojira – L'Enfant Sauvage (2012) Alain Goraguer – Deshominisation/La Planète Sauvage Theme (1973) Vangelis – La Fête Sauvage (1976) Les Baxter and his Orchestra – Sophisticated Savage (1951) Jeff Mills – Call of the Wild (1999) Ghostface Killah – Wildflower (1996)

4'14'' 2'59'' 4'22'' 3'29'' 3'03'' 4'14'' 3'55'' 4'17"" 3'50'' 2'29'' 2'14'' 6'02'' 3'30''

Bonus Track Will Smith – Wild Wild West feat. Sisqo & Kool Moe Dee (1999)

4'05''

Ghost Track Philippe Lavil – Sauvage (1983)

3'45''


Sélection 2/2

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magazine

Club Sandwich Magazine REVUE Les dénominations ont des vies bien compliquées. Prenons, au hasard, le sacro-saint club sandwich. Américain, cool, moderne : le nom était mortel et le coup marketing, parfait. Malheureusement, les aires d’autoroute en ont décidé autrement, réduisant la promesse d’un lifestyle unique à deux pauvres tranches de pain de mie coupées en triangle avec, parfois, des aliments dedans. « Club Sandwich » ne signifiait plus, il y a peu, que la dépression nutritionnelle. Heureusement, Anna Broujean est née. Et quelques années plus tard, elle allait redonner ses lettres de noblesse à l’association honnie des deux termes grâce à son petit bijou, le très prometteur Club Sandwich Magazine. Que le peuple soit en joie, voici donc le nouvel enfant béni du merveilleux monde des revues jolies. Fruit d’un travail long et minutieux, Club Sandwich Magazine entend mettre en confrontation les aliments de notre quotidien avec la pop culture, l’histoire et les mythes qui les entourent. Autant le dire tout de suite, le magazine bénéficie à plein des passions éditoriales et gastronomiques d’Anna Broujean. Bien épaulée par Marie Saraiva et Leila Boutaam, membres du

comité éditorial, et par le travail du graphiste et photographe Swen Renault, la directrice de publication joue savamment le jeu de la revue moderne en alliant le neuf, le vieux, le beau, l’intrigant, l’anecdotique et le mastoc. Le premier numéro, s’il est parsemé des mignons défauts du commencement, réussit quand même le tour de force de décliner le thème de l’œuf sur 160 pages. Et bien, qui plus est. C’est un bonheur, en effet, de retrouver la plume d’Éric Chevillard ou celle de Judith Amsallem, de mater les illustrations de Thibaut Gleize ou celles de Garance Vallée pour finir par comprendre que l’œuf est le chef-d’œuvre de la nature. Pour le prochain numéro, Club Sandwich Magazine change de braquet et s’attaque à l’Alpe d’Huez : il nous parle des champignons. C’est cool, avec une omelette, ça passe bien. M. Gueugneau

Club Sandwich Magazine, sorti en mars 2017, 160 pages, 19€ clubsandwich-magazine.com


Sélection 2/2

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Travel Book Mexico CARNET DE VOYAGE Le génie graphique de Nicolas de Crécy ne faisait pas de doute mais ce nouvel ouvrage, le Travel Book consacré à Mexico, vient enrichir la malle aux trésors de l’amateur de beaux dessins. Continuant la tradition de cette collection de Louis Vuitton, il nous propose un carnet de voyage où les dessins sont réalisés sur le vif, dans les rues de la capitale mexicaine et dans ses environs. À l’aquarelle, à l’encre de Chine, au crayon, il pose sa palette au fil de ses promenades, improvise son parcours dans les méandres de la ville, passant d’un quartier de verre et d’acier à des ruelles baroques. Il en ressort une vision simple, humaine et magique d’une mégalopole, qui donne envie d’aller en découvrir le charme. Basil Sedbuk

Travel Book Mexico de Nicolas de Crécy, sorti le 04.05 aux Éditions Louis Vuitton, 152 pages, 45€ louisvuitton.com

Collection #5 Coco Jumbo REVUE « Art is not about perfection, art is about expression. » La phrase choc qui conclut Collection #5 en quatrième de couverture pourrait bien être le leitmotiv de cette nouvelle formule de l’adorée revue emmenée par Sammy Stein, Vanessa Dziuba, Julien Kendryna, Jean-Philippe Bretin et Antoine Stévenot. Nourri d’interviews-fleuves et d’illustrations fournies, ce 5e numéro laisse en effet une large place au discours d’acteurs venus de tous horizons (Éditions Matière, Maximage, Galerie 2016, Aidan Koch, etc.), bien servi par un travail de façonnage et de mise en page qui nous laisse mâchoire à terre. Continuez de parler, on a les yeux et les oreilles grands ouverts.

BD Il n’est jamais inutile de rappeler que le monde est moche et méchant. Et quelle personne arrive mieux à formuler l’éclatante vérité que Léon Maret, homme au verbe fourni et au trait audacieux. L’auteur de Cannes de fer et Lucifer et de Courses de bagnole s’arrange un récit trépidant mêlant vilains, zobs, écologie, incorruptibilité et singe savant, le tout rassemblé sous le titre de Coco Jumbo, hommage – on l’espère – à l’imparable tube des Mr. President. Et comme à son habitude, Léon Maret se démène pour que l’absurde s’allie à l’action dans un bluffant mariage des genres graphiques auquel lui seul pouvait nous inviter. Stylé. M. Gueugneau

M. Gueugneau

Collection #5, sorti en mai, 288 pages, 25€

Coco Jumbo de Léon Maret, sorti le 12.06 aux Éditions 2024, 162 pages, 16€

collectionrevue.com

editions2024.com


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Greetings From

Paiement accepté

FANZINE  Greetings From de Pauline Rivière, c’est un voyage vers une destination méditerranéenne, peu importe laquelle, où l’on suit deux femmes en vacances. Inspiré d’une collection de photos où le soleil brille et retravaillées à l’encre, ce fanzine est auto-édité par Bande De, maison d’édition bruxelloise fondée par Marine Pascal et Pauline Rivière en 2015. Elles réinventent avec brio et inspiration le livre avec des propositions graphiques étonnantes qui mixent techniques d’impression et supports autour d’une sélection d’artistes inspirés.

BD En 2058, Charles Bernet, grand réalisateur de son époque, s’apprête à réaliser le film de sa vie. Victime d’un accident de train, il se retrouve paralysé à l’hôpital, et doit laisser un jeune assistant prendre possession de son projet de toute une vie. Ugo Bienvenu, connu pour son adaptation de Sukkwan Island et ses courts-métrages, nous livre avec Paiement accepté un hommage au septième art. Des couleurs pop, un graphisme réaliste (dans la lignée d’Alex Raymond et Paul Gillon) et un ton cynique servent une critique piquante de l’industrie du cinéma et de ses acteurs.

Malina Cimino

Delphine Zehnder

Greetings From d e Pauline Rivière, disponible chez Bande De édition

Paiement accepté d’Ugo Bienvenu, sorti le 18.05 chez Denoël Graphic, 144 pages, 21,90€

bandedeedition.com

denoel.fr

36 Vues du canal St-Martin

Graphisme en France 2017

On sait que les éditions Michel Lagarde ont le bras long et l’œil finaud. Ce qui leur permet, bien souvent, de sortir des livres de qualité très supérieure. 36 Vues du canal Saint-Martin est de ceux-là, rassemblant une jolie crème d’illustrateurs qui livrent leurs visions de cet emblématique cours d'eau parisien. Au menu, Emiliano Ponzi, Vincent Pianina, Serge Bloch, Chez Gertrud, Icinori et bien d’autres.

Graphisme en France 2017, éditée par le CNAP,en est déjà à son 23e numéro. L’émotion nous submerge d’autant plus que cette édition se penche un élément central : le logo et l’identité visuelle. Bien charpentée par le studio Kiösk et admirablement remplie par Ruedi Baur, Roger Remington ou Paul Rand, GEF 2017 joue parfaitement le rôle qui lui incombe : la référence. Graphisme en France 2017, sorti en mai aux éditions du Centre national d’art plastique, disponible gratuitement sur le site > cnap.graphismeenfrance.fr

36 Vues du canal Saint-Martin, ouvrage collectif sorti le 31.05 aux éditions Michel Lagarde, 96 pages, 23€ > michellagarde.fr

L’Attraction des sumbolons

Atrabile HEAD — Genève

une co-édition Atrabile & la HEAD — Genève

L'Attraction_Couv.indd 1

Pas Vu Pas Pris sous la direction de Guillaume Dégé et Olivier Deloignon, 224 pages, 25€ > zeug.fr

12 € / 15 CHF ISBN 978-2-88923-058-7

Louise Ducatillon

Zeug éditions s’associe avec la vénérable Haute École des Arts du Rhin pour nous sortir ce petit recueil pas piqué des hannetons, sous la houlette de Guillaume Dégé et d’Olivier Deloignon, fins connaisseurs de la chose illustrée. Ce qui nous donne douze réflexions rares sur le dessin, celui qui regarde et la zone mystérieuse qui les sépare par Tom de Pékin, Guillaume Chauchat, Hélène Ibata ou encore Maël Rannou.

Louise Ducatillon

L’Attraction des Sumbolons

Pas Vu Pas Pris

L’Attraction des Sumbolons

03.05.17 14:11

La maison Atrabile revient, pour ses 20 ans, aux fondamentaux. Son plat du pied à elle, c’est le rôle de tremplin qu’elle s’est assigné dans le domaine de la bande dessinée. Pour leur retour aux sources, les éditions suisses frappent fort mais juste avec la petite merveille de Louise Ducatillon, L’Attraction des sumbolons, qui narre les tribulations d’une communauté sectaire, à l’aide d’une écriture à mi-chemin entre illustration et expérimentation. L’Attraction des sumbolons de Louise Ducatillon, sorti le 12.06 chez Atrabile, 96 pages, 12€ > atrabile.org


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Musique

Powerdove INDIE POP Pour son quatrième album, la docte colombe Annie Lewandoswki vole au-dessus d’un nid de coucous. Cheffe d’un orchestre d’allumés en thérapie émotionnelle, elle offre à chacun des instruments de son asile mélodique un langage et un rythme qui leur sont propres, libérant leur expressivité dans un émouvant brouhaha jamais cacophonique. L’approche est volontairement brute, appuyée par deux multi-instrumentistes, Thomas Bonvalet (l’Ocelle Mare) et Chad Popple, qui ne découvriront les morceaux qu’au moment de l’enregistrement, offrant à l’ouïe une poésie douce et aliénée qui suit un protocole minimal comme on suit un chorus, avant de s’en écarter pour laisser bruire les improvisations jazz ou l’atonalité no wave. Oubliez les camisoles, ces fous-là vous veulent du bien. Ted Supercar

War Shapes de Powerdove, sorti le 26.05 chez Murailles Music muraillesmusic.com

Ulrika Spacek PSYCHÉ Ulrika Spacek fournit une suite logique au discret The Album Paranoia, sorti en 2016. Les rythmiques minimalistes, les plaintes vaporeuses en arrière-plan et l’aspect hypnotique qui se dégage de Modern English Decoration pourraient laisser croire à un énième groupe de psyché. Or ici, les influences multiples sont assemblées avec goût, et les guitares, tour à tour claires ou saturées, sont à l’image de l’excellent label Tough Love (The Proper Ornaments mais aussi Yvette). Manon Raupp

Modern English Decoration d’Ulrika Spacek, sorti le 02.06 chez Tough Love toughloverecords.com

Antinote :5 Years of Loving Notes En cinq ans, le label Antinote, enfant mutant de Quentin « Zaltan » Vandewalle, n’a jamais réussi la prouesse de nous décevoir. La compilation champagne, sortie pour les cinq ans, n’est pas du genre à changer les habitudes avec son allstar game antinotien comprenant, entre autres, Domenique Dumont, Iueke, DK, Geena, Toulouse Low Trax et le nouveau venu Alek Lee. Antinote : 5 Years of Loving Notes, compilation sortie le 31.05 chez Antinote > antinoterecordings.bandcamp.com

De La Montagne Le duo De La Montagne est de ceux qui savent maîtriser l’art subtil de la légèreté. Car oui, ils sont maîtres ceux qui arrivent à faire passer la complexité de la pop pour une évidence. VOSTFR, le dernier EP du duo parisien, est un exemple du genre. Cinq petits morceaux, cinq petites pépites qui donnent tout son sens à l’expression « ne pas avoir l’air d’y toucher », tout en séduisant mieux que Luke Perry. VOSTFR de De La Montagne, sortie le 07.07 chez Belive Digital > delamontagne.bandcamp.com


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TOPS

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POP Voilà maintenant 6 ans que Montréal, ce doux vivier pop, a accouché du groupe TOPS. Quatuor à l’aura infinie, il revient nous envelopper de sa pop douce et délicate avec l’album Sugar at the gate sorti chez ce cousin québécois adoré Arbutus. Avec un nom faisant référence selon le groupe autant à l’orgasme qu’à l’idée de la carotte au bout du bâton, il fallait s’attendre à quelques divagations. Pourtant, alors que la voix faussement nonchalante de Jane Penny flotte audessus des riffs de guitare chill-esques de Marigold & Gray ou s’acoquine aux envolées mélodiques indie disco de Petals, la précision de tout le groupe reste inaltérable. Elora Quittet

Sugar at the gate de TOPS, sorti le 03.06 chez Arbutus arbutusrecords.com

Philippe Hallais Philippe Hallais alias Low Jack est allé chercher dans les résidus de l’héroïsme et son dévoiement dans les reportages d’ESPN une inspiration pour son nouveau projet, An American Hero, qui double un disque d’une série de vidéos et d’un site Internet dédié. Ode aux épopées que nous conte la chaîne sportive en même temps que véritable tour de force musical, le nouvel objet de Philippe Hallais est à l’image d’un artiste en perpétuelle recherche. An American Hero de Philippe Hallais, sorti le 16.06 chez Modern Love > modern-love.co.uk

Pop Makossa – The Invasive Dance Beat of Cameroon L’éminent label allemand Analog Africa fait un travail de champion depuis maintenant dix ans. Peut-être, avec la compilation Pop Makossa – The Invasive Dance Beat of Cameroon, avons-nous l’une de ses plus belles victoires. Le travail (huit ans de peaufinage) est colossal et le résultat indispensable, rassemblant cette pop camerounaise (Pasteur Lappé, Mystic Djim, etc.) qui unifia le pays dans les 70s/80s et qui fait notre bonheur aujourd’hui. Pop Makossa – The Invasive Dance Beat of Cameroon, compilation sortie le 16.06 chez Analog Africa > analogafrica.bandcamp.com

Musique

France Hormis un nom parfait qui empêche toute recherche Google concluante, le groupe France est surtout l’un des plus passionnants du pays éponyme. Poussant le psychédélisme musical jusqu’à l’hypnotisme, France défonce à coup de vielle à roue les portes de dimensions rarement atteintes. Live à Metamorfòsis 2019 pose une nouvelle pierre à l’édifice grandiose du groupe ligérien. Live à Metamorfòsis 2019 de France, sorti le 09.06 chez Almost Musique > almost-musique.com

Hey Colossus Le groupe anglais fait partie de cette caste étrange de musiciens qui déçoivent rarement, peu importent les routes qu’ils empruntent. Et ces gars-là bourlinguent pas mal, entre noise, psyché, post-punk, post-rock et autres branches de cette musique de sauvages. Plus brut et à la fois plus mélodique, leur dernier disque, The Guillotine, vient puiser dans une mélasse sombre des raisons supplémentaires de les aimer. The Guillotine de Hey Colossus, sorti le 02.06 chez Rocket Recordings > rocketrecordings.bandcamp.com

Josman Il est temps de répondre à l’offensive belge sur le rap francophone. Après Jorrdee et le crew 667, peut-être tient-on un nouveau héros en la personne de Josman, rappeur et producteur montant élégamment l’escalier du succès. Après l’excellente mixtape Matrix, il enchaîne avec l’album 000$, qui voit sa collaboration avec le bien-aimé producteur Eazy Dew atteindre de nouveaux sommets. 000$ de Josman, sorti le 09.06 chez Choke Industry > facebook.com/Jeezyjeezybaby/

Timothy J. Fairplay Timothy J. Fairplay façonne depuis quelques années une discographie bien particulière : bonne et libre. Chaque disque est une nouvelle preuve de sa faculté de ne se conformer à rien et de ne brancher ses machines que sur ses envies. L’acolyte d’Andrew Weatherhall au sein de The Asphodells livre avec Mindfighter EP une nouvelle preuve de sa facilité à se mettre à l’aise là où personne ne l’est. Mindfighter EP de Timothy J. Fairplay, sortie le 30.06 chez Höga Nord Rekords > hoganord.com


B E AC H F O S S IL S - F M B ELF AST PO N I H O AX - AGAR AGAR

H-B UR NS - MOLLY BU RC H - K- X - P PETIT F ANTO ME - I S LA M C HI PS Y & EEK B BO YS - CO R R ID O R - T HE BU T T E RT ON ES SK RECO R D S (carte blanche) - Y ON A T A N G A T VLAD IMIR IV KOV I C - ZA LT A N TH E P ILO TWIN G S ( Li v e ) - ZOZO b ung a low

concerts

piscine etc

S oir ée d e c hau ffe CA RT E BLA NCHE À S K REC O RDS

t o us à l a pi sc i ne! Z A L T A N B 2B T H E P I L O T W I NG S Y O NA T A N G A T

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Camping Les Tours - 12460 Saint-Amans-des-Cots

Saint-Amans-des-Côts

Laguiole

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P a ss


Sélection 2/2

78

Baleapop à la basquaise

Binic Folk Blues Festival rock balnéaire

Hello Birds panorama

En a-t-on assez de dire à tout le monde, chaque année, que le Baleapop est un petit morceau de bonheur complet ? Non, pas du tout car l’amour de la vérité nous oblige à le faire. Cette année encore, le Baleapop sera au top avec Don’t DJ, Kate NV, Daniele Baldelli, Rizan Sa’id, Zombie Zombie et autres.

Le Binic Folk Blues Festival vient se caler en Bretagne, pile-poil entre les serviettes et les crèmes solaires pour délivrer l’une des meilleures programmations indé de la saison avec Tim Presley, Le Villejuif Underground, King Khan & the Shrines, Gloria et compagnie.

À une foulée des falaises d’Étretat, on dirait bien qu’Hello Birds a trouvé le meilleur endroit pour mettre de la bonne musique. Ça tombe bien, c’est précisément le but du festival qui convoque une pléiade de bons gars tels nous mais aussi Juniore, Lenparrot, Puzupuzu, Miley Serious ou Adrien Soleiman.

23.08 > 27.08 – Saint-Jean-de-Luz

28.07 > 30.07 – Binic

Gratos, 30.06 > 02.07 – Étretat

Comme nous brûlons fiesta militante

Midi Festival à l'heure

Le Verger Festival mangez des pommes

Le féminisme et les revendications queer peuvent et doivent aussi se discuter sur le terrain de la fête. Retard, La Brigade du Stupre et Les Amours Alternatives se lient dans la joie pour proposer cinq jours de musique (Oko DJ, Badaboum, Nana Benamer, etc.), d’expositions (Avalon Lewis, Louise Duneton, Amina Bouajila, etc.) et d’ateliers autour de ces enjeux majeurs.

Le Midi Festival est comme un bon copain. On peut toujours compter sur lui pour passer d’excellents moments pile quand on en a besoin. Typiquement au beau milieu du mois de juillet où Hyères reçoit les MVP de la musique actuelle avec entre autres Bryan’s Magic Tears, le crew Antinote, Drugdealer, Egyptian Lover et ce bon vieil Objekt.

Après 4 années de bons et loyaux services à base de journées festives, l’association bordelaise tplt passe la marche du festival. Et de quelle manière. Dopplereffekt, Tornado Wallace, The Pilotwings, Lovefingers, Jayda G ou encore Orpheu the Wizard pour former un menu trois étoiles de la musique électronique.

28.06 > 02.07 – Aubervilliers

21.07 > 23.07 – Hyères

07.07 & 08.07 – Bordeaux


Événements

79

Eaux troubles tout là-haut

La Plage du Glazart tongs et paillettes

Vie Sauvage Mowgli en gironde

La dessinatrice Laho est parmi celles que nous suivons avec grand intérêt, tout simplement parce qu’elle bute. Alors quand elle vient nous proposer de plonger dans ses mondes intérieurs dans l’aimable Slow Galerie, nous sautons les deux pieds en avant, en toute confiance.

Comme tous les ans, la fameuse salle parisienne du Glazart transforme son extérieur en une sorte d’Acapulco‑surSeine, la musique en plus et en mieux. Ainsi, sur le sable chaud de la Porte de la Villette se défouleront Femi Kuti, Krampf, Detroit Swindle et Margaret Dygas, parmi d’autres.

On n’imaginait pas que Bourg-enGironde puisse être le lieu d’une liberté sans nom. C’est pourtant le cas avec le festival Vie Sauvage qui se permet tout mais surtout le bon goût, avec la venue de François & The Atlas Mountains, Whomadewho, Jaune, Barbagallo ou encore Bon Entendeur.

04.07 > 29.07 – Slow Galerie – Paris

Jusqu’au 30.09 – Paris

23.06 > 25.06 – Bourg-en-Gironde

BEACH FOSSILS - FM BELFAST PONI HOAX - AGAR AGAR

H-BURNS - MOLLY BURCH - K-X-P PETIT FANTOME - ISLAM CHIPSY & EEK B BOYS - CORRIDOR - THE BUTTERTONES SK RECORDS (carte blanche) - YONATAN GAT VLADIMIR IVKOVIC - ZALTAN THE PILOTWINGS (Live)- ZOZO Pass

bungalow

concerts

piscine etc

La Station – Gare des Mines terminus

Heart Of Glass, Heart Of Gold camping 5*

Le Collectif Mu a repris en main son spot estival pour nous filer les poils avec des aventures sonores dont lui seul a le secret. En s’associant avec quelquesuns des meilleurs crews de Paris, il parvient à faire rimer éclectisme avec excellence, à l’image de Duchess Says, Schnell Records ou Zadig qui enchanteront Aubervilliers à la fin juin.

Le chéri des festivals estivaux revient dans une forme grandiose pour une rentrée placée sous le signe des claquettes, du terrain de boules et de l’impeccable musique. Festival au camping, donc, avec les délices sonores fournis par K-X-P, Agar Agar, Poni Hoax, Islam Chipsy & EEK, Petit Fantôme ou autres FM Belfast.

Il est très fréquent, annuel même, qu’Arles se transforme de petite ville admirable en capitale mondiale. C’est le moment des Rencontres de la photographie où le meilleur de la discipline se contemple en 40 expositions qui cette année invitent Paz Errázuriz, Joel Meyrerowitz, Gideon Mendel ou encore Karlheinz Weinberger.

Jusqu’à la fin de l’été – Aubervilliers

14.09 > 17.09 – Saint-Amans-de-Cots

03.07 > 24.09 – Arles

Soirée de chauffe CARTE BLANCHE À SK RECORDS

tous à la piscine! ZALTAN B2B THE PILOTWINGS YONATAN GAT

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Les Rencontres de la photographie d’Arles clic-clac


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photographie : Sebastien Dolidon


Africaine 808, Bambounou, DC Salas...Deena Abdelwahed, Gratts, Haring, Khidja, Kong, Leon Vynehall, Modeselektor, Moscoman Live, Motor City Drum Ensemble, L’Or du Commun, San Soda ,The Hacker...

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