JUNKPAGE#40—DÉCEMBRE 2016

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GASTRONOMIE

Harmony & Jerome Billot — Dan Bordeaux

Pour se régaler chez Dan, il faut réserver longtemps à l’avance mais on ne perd rien pour attendre. Laissons la parole au chef, Jérôme Billot, 35 ans, qui, avec son épouse, ouvre un bar à dim sum très alléchant rue de la Devise.

SOUS LA TOQUE DERRIÈRE LE PIANO #101 L’endroit est charmant, l’accueil idéal et l’assiette surprenante tout en restant compréhensible. Dan fait fureur et c’est mérité. Moules avec farce fine de maigre de ligne, poitrine de canard gras parfumée de prunes saumurées et rôties… Ce que l’on goûte chez Dan, on ne le goûte pas ailleurs. La fusion – notion qui déroute autant dans la gastronomie que dans la musique – est ici réussie et plus encore. Entre l’Escoffier et la cuisine chinoise principalement cantonaise apprise par le chef à Hong-Kong, on navigue et se régale, mais l’endroit est déconseillé aux ultra-conservateurs. Compter 5060 € par personne. Quel est votre parcours professionnel ? Comme tout cuisinier français, j’ai commencé tôt. Dans de grandes cuisines et de moins grandes dans ma région d’Annecy et en Suisse. J’avais 21 ans lorsque je suis allé à HongKong, expérimenté comme un chef de partie mais pas plus, plein d’envies. J’ai pris un poste de sous-chef dans un restaurant de cuisine du monde dont le chef était irlandais et connaisseur de la cuisine asiatique. Au bout d’un an, il m’a confié les rênes d’un petit café de style parisien. Cela a si bien marché que dix-huit mois plus tard, on en ouvrait trois autres sous le même nom. J’avais réussi à me créer une identité à base de cuisine française un peu déconstruite, une soupe à l’oignon par exemple qui est devenue une référence là-bas. Puis, j’ai pris en charge un établissement de 150 couverts sur la baie et là

j’ai pu développer cette tendance jusqu’à mon retour en France. Comment définiriez-vous la cuisine de Dan ? C’est une cuisine de métissage avec l’Asie principalement. J’ai toujours été attiré par l’Asie, je ne sais pas vraiment pourquoi. Gamin, je calligraphiais des idéogrammes. Ma cuisine est empreinte de classicisme mais en même temps de, comment dire… d’un besoin de m’évader. Besoin aussi de partager l’expérience de la réminiscence qui vient d’une assiette où les goûts et les textures sont nouveaux. C’est la surprise que j’aime procurer au client, la surprise qu’il éprouve en se retrouvant dans quelque chose qui lui est étranger, tout en polissant les angles de la cuisine asiatique pour éviter le choc culturel. Pour les piments, par exemple, que j’ai été obligé de revoir à la baisse.

« À la fin d’un repas, dans un restaurant étoilé il y a quinze ans, on sortait peut-être moins bien en point qu’aujourd’hui. »

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Vous proposez cinq menus de 32 à 85 €. Pourquoi autant de choix ? J’ai commencé avec une minicarte qui comportait 10 articles en tout. Cela fonctionnait mais ici c’est un petit endroit (25 couverts, ndlr) et surtout la cuisine ! Pour améliorer le stockage et donc la qualité, je suis passé à un menu unique mais j’ai senti une certaine réticence. Déjà, mon travail est assez atypique, mais, avec le menu surprise, donc imposé, les gens savaient encore moins où ils allaient. Les associations de saveurs peuvent déranger encore plus si elles ne sont pas choisies. J’étais sûr de mon

assiette pourtant j’ai compris que pour me développer cela me portait tort. On me demandait les wonton de crevettes parfumées au foie gras (ravioles frits servis avec une bisque, ndlr). Avec le cochon char siu (barbecue de porc de Canton) et le sago (tapioca) à la noix de coco et mangue, elles sont désormais sur notre menu signature (32 €). Désormais, je change la carte tous les mois et les menus, de trois à neuf services, permettent de multiplier les formules avec au départ deux entrées, trois plats, un fromage et un dessert. Vous adorez les sauces… Tous les mois, ça change. Quand je travaille les menus, la saison compte bien sûr mais aussi le climat, la température extérieure. Bon, j’adore les sauces, mais disons que c’est l’arrivée du froid. L’été, on est davantage avec des saumures, du fruit, du légume cru, les sauces disparaissent ou s’affinent. J’aime aussi les bouillons, or étrangement la clientèle d’ici n’apprécie pas tant que ça. Parfois, je sers un consommé avec un foie gras fumé vapeur, ils reviennent intouchés. De vrai consommés pourtant, bien corsé et limpide, que je retrouve intacts dans les bols. Quel sera le style de votre nouvel endroit ? Dan qui est intimiste témoigne d’une expression personnelle, toutefois, j’avais besoin d’un peu plus de fun. L’idée est de transposer les restaurants à dim sum (l’équivalent des tapas à Canton, ndlr) de Hong-Kong, qui sont des endroits très classiques attirant les familles, mais en mode bar. Bouchées à la vapeur, brioches farcies, ravioles, pattes de poulet. Non, on va éviter les pattes de poulet, mais on fera le canard laqué, le vrai, qui est rare à Bordeaux.

par Joël Raffier

En fonction de la clientèle que nous attirerons, nous ferons des produits simples ou bien nous monterons en gamme avec des dim sum au homard et aux truffes par exemple. Il y un choix énorme pour cette cuisine. Il y aura de l’électro et on ouvrira toute la journée. Comment est perçue la cuisine française à Hong-Kong ? Elle se porte bien, cependant sa tradition a perdu en prestige. À Hong-Kong, la culture de la vogue est très intense. Cinq ans avant mon arrivée, on était dans la période française, nappe blanche et grande carte des vins. Ensuite, on est passé à la mode italienne. En 2006, la cuisine américaine traditionnelle est arrivée et a bien marché. J’ai senti alors une perte d’intérêt pour notre cuisine, mais la roue tourne. Énormément de progrès ont été effectués ces dernières années au niveau technique comme dans les produits. Un restaurant comme Noma (Restaurant de Copenhague classé en 2010, 2011, 2012 et 2014 par la revue Restaurant comme la meilleure cuisine du monde, ndlr) va chercher ses fourmis dans la forêt la plus proche pour pousser le locavorisme à l’extrême. On consomme quelque chose parce que c’est là. La cuisine française ne souffre pas de cette modernité, elle s’affine et devient encore plus agréable. À la fin d’un repas, dans un restaurant étoilé il y a quinze ans, on sortait peut-être moins bien en point qu’aujourd’hui. Dan

6, rue du Cancera. Ouvert du mardi au samedi de 19 h 30 à 22 h 30. Réservations (très conseillées) : 05 64 28 59 51.

www.danbordeaux.com Madame Pang

16, rue de la Devise.


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