Keith n°8 television

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Alice Anderson_Fred Bred_Fancy_The Futurheads_Thomas Lélu_David Lynch_Jean-Pierre Mocky_Andrew Orr_Sébastien Thoen_Zazon

la télé a-t-elle besoin de se mettre au vert ? CLARO_VIRGINIE EFIRA_MICHEL GONDRY_LAURENT GRASSO_ELODIE NAVARRE_ OXMO PUCCINO_DAPHNE ROULIER_SOLDOUT




édito

édito Télé-berceau / Génération 88.

Dessins animés. Tout a commencé avec le Club Dorothée, le mercredi matin parce qu'il n'y avait pas école. Tu devais te taper tout Jeanne et Serge (les histoires d'amour et de volley, à 7 ans, ça fait chier franchement…), pour chopper Dragon Ball Z juste après, ton préféré. Puis Ranma 1/2, Sailor Moon… Premier contact avec le monde : le Japon et la culture manga. Et tu n'as pas oublié non plus les Musclés ! Cinq beaufs avec des chemises pas possibles, les mêmes que celles de ton oncle Jacky, celui qui habite dans la banlieue de Saint-Etienne mais que tu ne vois pas souvent. Puis, après 16h30, tu fonçais chez toi regarder les Minikeums. Albert le 5ème Mousquetaire (“Avec son tromblon chargé de spaghettis à la sauce bolognaise …”), Denver le Dernier Dinosaure (“Venu de la torride et ancienne jungle, c'est le plus gentil de tous les animaux. …”), Les Intrépides (“Et si tu as des ennuis, en 2 temps, 3 mouvements, relevant tous les défis on est toujours présents ! …”), et cinquante autres dont tu connaissais aussi le générique par cœur. Séries. Tu as grandi (un peu), et laissé les dessins animés “de bébé” pour la deuxième étape de l'évolution télévisuelle : les séries. Et aujourd'hui encore, tu te demandes comment tu pouvais regarder un épisode entier d'Une Nounou d'Enfer sans devenir débile, ou comment tu pouvais croire au faux bonheur des familles nombreuses de 7 à la Maison, Notre Belle Famille et La Fête à la Maison. Chacun le sait : au-delà de quatre enfants, il y en a toujours un qui se drogue, un qui se pend, un qui fait son coming out et une anorexique. A d'autres ! Mais, pour les plus précoces, tu pouvais apprendre à être un rebelle avec Drazic et Hartley Cœurs à Vif, découvrir pour la première fois les courbes du corps féminin avec Code Lisa, ou préparer tes futurs 400 coups du collège avec Parker Lewis ne perd jamais. Jeux. Puis tu as bien eu une période jeux, avoue ! Ça rythmait même tes journées : Le Juste Prix et Pyramide au déjeuner (même si tu ne comprenais rien au deuxième), le Big Dill et Qui est qui ? après les devoirs du soir (peu de gens le savent, mais Marie-Ange Nardi est une star chez les 18-25 ans), Fort Boyard et Intervilles avant d'aller se coucher (tu as vu 25 fois le même match : Mont-de-Marsan contre Puy du Fou). Et, allez savoir pourquoi, je me rappelle même d'un jeu génial qui n'a pas fait long feu : Les Bons Génies. Vous gagnerez un abonnement à vie à Keith si vous m'envoyez la liste des noms des mecs du jury… Foot. Si tu étais fan de foot, tu t'es aussi gavé d'images cultes. D'abord avec le pauvre Reynald Pedros, tête de turc des cours

de récré après avoir raté son penalty en demi-finale de l'Euro 96… Puis, plus joyeux, la coupe du monde ! Rappelle-toi, tu étais en vacances à La Baule quand Thuram élimina la Croatie à lui tout seul. A l'époque, tu étais fan de Monaco (ça valait le coup) et Henry et Trézéguet étaient plus jeunes que toi aujourd'hui ! Dit comme ça, ça fait bizarre… Et puis l'Euro 2000, le Real Madrid, Zidane, la belle époque. Clips. Puis un jour tu as décroché les posters de Barthez et Ronaldo (découpés dans Onze Mondial) de tes murs pour y coller ceux de Lââm, Nelly et Mary J. Blige. Avec M6 Music, Fun TV, MCM et les MTV, tu pouvais passer facile 8 heures de suite sans décrocher. Et tu as vu 756 fois le clip de I'm A Slave 4 U de Britney Spears, 492 fois celui de Trackin' de Billy Crawford, et 511 fois celui de Seven Days de Craig David. Télé réalité. Mais mieux que les clips, Loana est arrivée. Plus besoin d'attendre toute la journée la vidéo du Thong Song de Cisco pour voir des meufs en string. La télé réalité nous a apporté sur un plateau d'argent le cul, la vulgarité et le faste qu'on cherchait en arrière plan des clips de R'n'B. Parfait ! Et Loft Story, Popstars, Star Ac', les Colocataires, Nice People, Koh-Lanta, L'île de la tentation, Greg le millionnaire… On a la télé qu'on mérite il paraît… Politique. Depuis 2007, une autre émission de télé réalité, inspirée de Mon incroyable anniversaire sur MTV, est apparue : Mon incroyable quinquennat, diffusée tous les jours toute la journée sur TF1, France 2 et Europe 1. De la vraie télé réalité, les points communs sont flagrants ! La preuve : - des phrases cultes : le loft avait son “C'est qui qu'a pété ?”, Nicolas a son “Casse toi pauv' con”. - de grands esprits : Popstars 2 avait Bruno Vandelli (si, rappelletoi, Quadri Color !), Nicolas a Rachida Dati aux jeunesses de l'UMP. - des meufs classes : MTV a Tila Celib et Bi, Nicolas a Carla chanteuse et starfuckeuse. - des voyages autour du monde : M6 à Pékin Express présenté par Stéphane Rotenberg, Nicolas a Sénégal Express présenté par Brice Hortefeux.

Franchement, quand on y réfléchit, avec tout ce qu'on s'est tapé comme merde, on devrait être con comme des balais. Mais bizarrement, on s'en sort pas mal… En fin de compte, c'est peut-être ça le grand vide de la télé : rien ne reste. Basile de Bure.

Ont collaboré à ce KEITH Photographes : Le magazine KEITH est - Rédacteurs en chef numéro : 37, rue des Mathurins Laure Bernard, Sophie édité par la société adjoints 75008 Paris Frédéric Barat, Mateusz WHO IS KEITH ? SARL Léonard Billot Jarry, LisaPhotographes Roze KEITH Rubriques : : www.whoiskeith.com Bialecki, Thomas au capital leonardbillot@keith37, rue des Mathurins – 75008 Paris - cinéma Bizien, : Stan Coppin Laure Bernard, Sophie Jarry de 1000 Julien Blanchet, euros mag.com Special Thanks : www.whoiskeith.com art : Dorothée Tramoni Charles de Boisseguin, Direction : Clémentine Goldszal Simon Battaglia, - musiqueGiulio : Clémentine Special Thanks : RCS Paris 492 845 714 Callegari,Goldszal Julia - Directeur de la publiISSN enBlanck, cours. Dépôt clementinegoldszal@kei Philippe Blanck, littérature : Léonard Billot, Augustin Direction : Battaglia, Philippe Canarelli, Donatien Cras Delphine Simon cation légalde à parution. th-mag.com Brunet, Aïna Trapenard Delphine Brunet, Aïna Bure, Eglée de directeur de la publication de Belleval , Anthony Benjamin Blanck de Bure, Bure, Eglée Gilles de Bure, - théâtre Dorfmann : Nicolas Roux de Bure, Barbara Dumas, Benjamin Blanck, , Alphonse benjaminblack@keithImprimé(créateur en France. Rubriques : Gilles de Alexandre Bure, Giulio - design :Doisnel, EdouardMathilde Michel de Lamberterie du benjaminblanck@keith-mag.com mag.com Ne Lamberterie, pas jeter sur Clara la voie - cinéma : Stan Coppin Callegari,logo Barbara - mode : Enthoven, Laure Bernard Keith), Olivia de Audrey publique. art : Jeremy Dumas, Virginie Efira, Dessaint Piaton, Claude de Rougé, Romain Smajda Rédaction Gautier, Genki, Alain Rédaction: : Elsa Huat, Constance - musique : Clémentine directeur Ont collaboré à ce numéro : Guillerme, Thibault - Directeurdedela larédaction rédacJouven, Alexandre de KEITH est édité par la Goldszal Le magazine Basile de Bure, Mateusz Jeanmougin, Bialecki , Charles de Boisseguin, Serge tion Lamberterie (créateur - littérature : Léonard société WHO IS KEITH ? SARL au capital basiledebure@keith-mag.com Julia Canarelli, Donatien Cras de Belleval , Benjamin Basile de Bure Momo, Billot, Augustin AlphonseJoncour, de 1000 euros Doisnel,François MarjorieKraft, Donnart, du logo Keith), Kerber, basiledebure@keithClaude de Rougé, Trapenard RCS Paris 492 845 714 Mathilde Olivia Enthoven, Alain Guillerme, directeur de Lamberterie, mag.com artistique / illustrations Camila Mendez, - théâtre : Nicolas Hadrien Roux Hennequin, ISSN en cours. Dépôt légal à parution. Benjamin Kerber, Julien Crouigneau (designJune), Céline Laurens , Gil - Directeurs artistiques Romain Smajda, - design : EdouardFrançois Kraft, Céline Laurens , Juliette julien@designjune.com Lesage, Juliette Morice, illustration Dorothée Tramoni Michel Morice, Severin Muet, Donatella Musco, Pierre de Rougé, Julien Crouigneau - mode : Olivia Bidou, Imprimé en France. Eric Pellerin, Louise Ridel, Marco Rochas, rédacteurs en chef adjoints Francesco Roversi, (designJune) Lisa Roze Ne pas jeter sur la voie publique. Laura Roguet, Camille Rowe, Léonard Billot, Romain Vaslot, KenzaPierre de julien@designjune.com Rougé, Jean-Baptiste Telle, Hélèna leonardbillot@keith-mag.com Verrier Villovitch Clémentine Goldszal, clementinegoldszal@keith-mag.com K?-04


sommaire - Let's Groove Tonight :

Keith #7, Freaky Party ! p.6-7 - A l'antenne :

Daphné Roulier : Daphné dérouille la télé. p.8-9 - Dossier :

Daphné dérouille la télé

La télé dans le jardin ?

Michel

Gondry, Sa science / Ses rêves

Oxmo Mondino nument by

La littérature aux tripes

Virginie Efira Clap Your Hands

Say Yeah !

La télé a-t-elle besoin de se mettre au vert ? p.10-15 - Cinéma :

Edito : La classe américaine p.17 Coraline, La femme sans tête, La fenêtre, Millenium, United Red Army p.18-19 Albert Pereira Lazaro et Emmanuel Klotz, réalisateurs des Lascars p.20 DVD : Salo ou les 120 jours de Sodome, Tonnerre sous les Tropiques p.21 Télévision et Cinéma p.22 Michel Gondry : Sa science / Ses rêves p.23-25 - Art :

L'art vidéo c'est quoi ? P.26 Keith aime la Kreyol Factory, Andy Warhol, Vassily Kandinsky, les Controverses, les Ecritures silencieuses p.27-29 Laurent Grasso : La modernité en mouvement p.30-31 - Musique :

Oxmo Puccino : Oxmonument p.33-37 Actu Pop/Rock : Chairlift, Eels, Golden Silvers, Izia, Naïve New Beaters, Revolver, The Horrors, The Parlor Mob, The Race, Ariane Moffatt p.38-43 Introducing… Mister Soap and the Smiling Tomatoes p.44-45 Eugene McGuiness vient d'ailleurs p.46 The Revolution Will Not Be Televised ! p.47 Actu Electro/Indé : Soldout, Les Chicros, Jason Lytle, Starfucker, Richard Swift p.48-49 Vu : Kings of Leon, Glasvegas, Oasis p.50-51 - Littérature :

13ème Note : La littérature aux tripes p.53 Courbatures, L'amie américaine, Panda Sex, Une fille pour mes 18 ans, Le livre bouffon, Baudelaire à l'Académie, La littérature à la lucarne, Je suis très à cheval sur les principes, Petits meurtres entre voisins, Chasseurs de têtes, Le verdict du plomb p.54-57 Télé-Cachet p.58-59 Claro à contre-jour p.60-61 - Théâtre :

Elodie Navarre : Chouette, une tragédie ! p.62-63 - Design :

Télé Nostalgie p.64-65 - Mode :

Conte d'Efira p.67-75

- Profession :

Chauffeur de salle :Clap Your Hands Say Yeah ! p.76-77 - minuscules :

requiem : après dix-huit heures p.78-79 - Keith Story :

Serge Joncour : Arrêter d'arrêter. p.80-81


Let’s Groove Tonight

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Freaky Party.

C'est devenu une habitude : à chaque sortie de numéro, Keith organise une soirée de folie. Et pour les malchanceux qui auraient commis la terrible erreur de ne pas y assister, un petit patchwork photos de ce que vous avez raté. Vendredi 13 février dernier donc, le New York Club accueillait Keith pour un concert inoubliable de Mister Soap and the Smiling Tomatoes et The Yolks. Grandiose. Ne manquez pas la prochaine, mercredi 20 mai, toujours au New York Club…

photos : Thibault Jeanmougin et Francesco Roversi


à l’antenne

Daphné

dérouille la télé.

Le journal au sein de NPA, Plus Clair et depuis quatre ans l'Hebdo cinéma, Daphné Roulier est devenue en quelques années une figure incontournable du journalisme version Canal Plus. Rencontre avec un condensé de charme et de culot. Keith : Etes-vous une grande consommatrice de télé ? Daphné : Je l'ai beaucoup fait à l'époque où je présentais Plus Clair mais aujourd'hui je ne la regarde pas plus d'une heure par an je pense… ça reste un meuble. Et de toutes manières je passe toutes mes journées en projection pour voir des films. Donc je sature un peu niveau image… Keith : Ah… Alors l'interview télé s'arrête là. Vous ne regardez même pas des séries ? Daphné : Si plein ! Je suis une grande fan de Weeds, que je trouve génial, trash, politiquement incorrect : une vraie réussite. J'adore aussi Californication et En thérapie, mais je ne crois pas que ça passe déjà en France. Question sitcom il y a aussi How I Met Your Mother : on n'a jamais rien fait de mieux depuis Friends ! Keith : Vous n'avez cité que des séries américaines. Comment expliquez-vous qu'on n'arrive pas à la même qualité en France ? Daphné : Sans corporatisme, Canal Plus essaie quand même de faire des choses bien. Nos enfants chéris, j'ai adoré. Engrenage c'était très bien écrit, mais il faut se rendre à l'évidence : on a vingt ans de retard. Les séries américaines dont on a parlé traitent de tout. Elles se permettent de grandes tirades sur la religion et tout le monde en prend pour son grade. Le public français n'est pas prêt pour ça. Il n'est pas habitué à quelque chose d'aussi frontal. En tout cas c'est ce que les chaines s'imaginent. Keith : Vous pensez qu'elles ont raison ? Daphné : Je n'en sais rien. Mais il n'y pas un seul acteur noir en France qui soit une star ! On n'a pas de Will Smith ! Pas de Denzel Washington ! Il y a un vrai problème en France. Un fond de racisme latent. Ce n'est pas quelque chose d'assumé ou de déclaré mais c'est là. Regardez quand Harry Roselmack a pris les commandes du JT de TF1, ça a créé un évènement alors qu'honnêtement ça n'aurait pas du en être un ! Keith : Pour revenir à vous, est-ce que c'est compliqué aujourd'hui de faire une émission sur le cinéma à la télé ? Daphné : Oui, parce que tout le monde reçoit des acteurs. Je crois que l'émission de Cauet n'existe plus mais à l'époque c'était très dur de lutter contre ça. Les producteurs exercent la censure par l'audience. Ils sont là pour vendre les films donc il faut se battre pour les obtenir.

Keith : Mais leur intérêt est quand même de venir de parler de cinéma, non ? Daphné : Je le pense. Mais ils ne sont pas toujours contents Il arrive, après certaines émissions, qu'on se fasse sermonner par des attachés de presse. Jean Reno, par exemple, est venu sur le plateau parler d'un film qui s'ouvrait sur l'exode des Arméniens. Comme il ne s'est jamais caché de ses amitiés pour le président de la république, je lui ai demandé s'il pensait qu'avec la politique d'immigration actuellement menée en France, il aurait pu rester ici quand il y est arrivé (Ses parents, espagnols, ont fui le régime de Franco, ndlr). Ce n'était pas agressif, c'était justifié par le film, mais il l'a mal pris. Il s'est senti piégé. Il a demandé à ce que ce soit coupé, mais j'ai refusé. Je ne veux pas avoir le sentiment de me censurer. Mais quand Tavernier se confie un peu plus qu'il ne l'aurait voulu sur le plateau, qu'il risque d'avoir des problèmes avec ses producteurs américains, et qu'il me demande de couper, je le fais. Si c'est justifié je le fais. Je ne suis pas prête à tout pour un scoop.

Keith : Est-ce qu'il y a des sujets que vous ne pouvez pas aborder ? Daphné : L'argent ! Tout ce qui touche à l'argent est une question délicate. Les français sont très pointilleux sur ce sujet. C'est un crime de lèse-majesté de leur parler de leur cachet. Alors que les américains ont compris que le cinéma était une industrie et qu'ils ne volaient pas cet argent. Ils n'ont pas à en avoir honte. Mais si la question se justifie, si j'ai une raison de la poser, je n'hésite pas. A eux de réussir à esquiver tout en assumant leur pirouette. Keith : Avoir une émission de cinéma pour une passionnée comme vous c'était un but quand vous avez commencé ? Daphné : Absolument pas. Je suis une journaliste avant toute chose. Quand j'ai commencé je n'avais aucune envie de faire de la télé. Mais on m'a proposé un casting pour LCI que je n'ai pas pu refuser de peur de passer pour une couarde auprès de mes camarades journalistes plus confirmés. Ça a été une cata, mais néanmoins un producteur de la chaine a dû y voir un potentiel et il m'a proposé un CDD. Donc j'ai eu le choix entre un stage au Monde des Livres à 6000 francs par mois ou un poste à 13000, 14000 francs. K?-08

Comme j'habitais un studio avec les commodités sur le palier, j'ai accepté. Voilà, je suis à la télé pour des raisons bassement pécuniaires. Pas par vocation, mais par opportunité. C'est comme ça que je fonctionne. Je vais là où le vent me porte. Avec sérieux et avec travail mais sans la moindre préméditation.

Keith : Vous avez fait toute votre carrière sur Canal Plus. C'est un hasard ou c'est un choix ? Daphné : Un choix. Je partage les valeurs de cette chaine. Je suis fière des programmes qu'elle propose : Les Guignols, Groland, Le Grand Journal, Le Cercle, les séries, 90 minutes… Je n'aurais pas pu travailler ailleurs. Mais en télé, vous n'avancez qu'en changeant de chaine. C'est la seule façon de tripler son salaire. Travailler pour Canal c'est une forme d'engagement et de fierté. Je n'aurais pas pu bosser sur une chaîne qui propose de la télé-réalité… Keith : Vous imaginez votre vie sans télé ? Daphné : Je suis bien obligée. Je vais bientôt atteindre l'âge limite… Aux EtatsUnis, les femmes peuvent faire de la télé même après cinquante ans. En France ça n'existe pas. Bon j'ai encore de la marge mais quand même… Alors comme on m'a souvent dit que j'avais une voix de radio, j'irais bien vérifier ça. Il faudra choisir la bonne radio parce que je n'irai pas n'importe où. Idéalement ce serait Inter. Keith : Pour finir, est-ce que vous pouvez nous raconter votre meilleur souvenir de journaliste cinéma à Cannes ? Daphné : C'était il y a trois ans. On nous avait promis 30 minutes d'interview avec Tarantino le jeudi. Le lundi, coup de fil : si on veut l'interview ce sera dès le lendemain matin à 9H. Le stress et la fatigue libérant l'imagination, on s'est dit que n'importe quel journaliste de cinéma digne de ce nom se mettrait à genoux pour avoir cet entretien et que, donc, on allait inverser les rôles… J'ai donc offert à ce fétichiste mes pieds (surtout le gauche) qui, comme moi, sont grecs. C'était une interview idéale pour les podologues, les cinéphiles et les spécialistes des durillons. S'il revient cette année, je lui repropose une interview massage… Propos recueillis par Nicolas Roux.


photo : Lisa Roze

“Quand Harry Roselmack a pris les commandes du JT de TF1 ça a créé un évènement alors qu'honnêtement ça n'aurait pas dû en être un !”


dossier

La télé a-t-elle

besoin de se mettre

au

? t r e v vert

“Madame, Monsieur, bonsoir !” ; “C'est votre dernier mot ?” ; “Vous êtes le maillon faible, au revoir !” ; “Moi je t'emmerde, avec un grand A !” ; “Pour Jean-Michel, tapez un !” ; “Bonsoir, vous vous appelez Berthe, vous habitez un pavillon en banlieue dortoir, vous avez six enfants dont une fille prostituée et un fils homosexuel, les quatre autres se droguent, de plus, votre mari est alcoolique ; vous avez avouer - et c'est courageux - qu'il vous battait ; en 1996, vous avez été renversée par un camion de lait, depuis vous êtes défigurée, brûlée au troisième degré, vous pesez cent vingt kilos… est-ce que vous avez peur du regard des autres ?” Plus connues que les proverbes ancestraux ou les rengaines de chansons populaires, des cours de récréation aux dîners mondains, ces citations cathodiques ont envahi l'espace culturel et les bouches de millions de téléspectateurs béats. Tu l'as bien compris, je veux te parler d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas ne pas connaître. Nous sommes tous des enfants de la télé. Mais deviendrons-nous des papys du petit écran ? Crise des budgets, course à l'audience, montée des formes alternatives de diffusion, culture en berne, public versatile, qu'est devenue la lucarne magique depuis sa première démonstration publique en 1926, et enfin la question qui fâche : est-elle à l'agonie ?

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Internet kills the video star ?

Once upon a time dans un passé pas très lointain vivait une famille heureuse. Papa, Maman et leurs trois mouflets avaient l'habitude vers 19h55 de sonner le clairon et de se rassembler tous ensemble autour de quelques haricots verts et d'un bon steak - préparés amoureusement par la Maman docile et volontaire -, d'un pichet de rouge - Papa dit qu'un verre (ou deux ou trois ou tout le pichet) par jour, c'est bon pour la santé - pour partager, dans la joie et l'allégresse, un petit moment d'intimité cathodique. “Martine, lève le son et Jean-Charles ferme la, les informations vont commencer”. Alors apparaissait, dans un vacarme de jingles que tout le monde reprenait en cœur, PPDA et ses implants capillaires. C'était l'heure de la grande messe et comme à l'église, où l'on va en famille et religieusement, tout le monde écoutait la voix claire et juste de Poivre déblatérer les habituelles “Attentats à la voiture piégée en Irak : 24 morts, 72 blessés.” ; “Premier cas de grippe porcine en France, méfiez-vous des cochonnes” ou “C'est alors qu'un bande organisée et hiérarchisée d'adolescents âgés de quatre à douze ans, armés jusqu'aux dents de pistolets à eau, de sabres laser et de sucres d'orge, s'en sont pris violemment à Monique, lui arrachant avec une cruauté incroyable sa perruque et kidnappant Jean-François, son bichon maltais, sous les yeux ébahis de témoins impuissants.” Maman s'essuyait alors les commissures du bord de sa serviette tachée, Papa s'emportait : “Toujours les mêmes qui foutent la merde. Un bon coup de pied au cul que je lui filerais…” puis tout le monde s'installait dans les canapés en peau de girafe de Hollande et soufflait, le ventre plein et l'esprit léger, en profitant d'un direct ficelé présenté par le bon JeanPierre Foucault. C'était le bon temps. Aujourd'hui, à 19h55, Papa, au chômage, est sous tranxène et ne sait toujours pas faire la cuisine, Maman s'est barrée avec le coach sportif, Sophie, la cadette, est collée au collège parce qu'elle s'est encore fait prendre à rouler des pelles à Rachid dans un couloir à l'heure de l'interro de catéchisme, Jean-Charles est scotché à son ordinateur dans sa chambre depuis six jours et demi - il ne sort de la pièce qu'à intervalle

régulier de douze heures pour vider les bouteille d'Evian qu'il remplit d'urine - et Basile, le plus grand, a récupéré la chambre de bonne du septième si bien qu'on ne le voit plus que les dimanches quand il vient poser son linge sale et voler du Nutella dans le frigo. Aujourd'hui donc à 19H55, dans la famille moyenne française, c'est le bordel ! La société évolue, la famille explose et les destins s'individualisent. On pourrait croire que la télévision, premier média de la masse, souffrirait de cette évolution égocentrique au profit de supports plus adéquats et flexibles pouvant s'adapter aux besoins de chacun : internet, par exemple, grâce auquel on peut se jouer des horaires et regarder, quels que soit l'heure, le pays ou le temps qu'il fait, n'importe quels programmes. Cette nouvelle pratique d'écoute télévisuelle - hé oui, on dit “écoute” et non pas “visionnage”, parfois faut pas chercher à comprendre - est favorisée par le développement des sites de streamming, Allostreaming, Youtube et autre Dailymotion qui, non contents de bénéficier d'une banque de données presque illimitée (les internautes postent eux-mêmes les vidéos, ce qui permet un renouvellement et une mise à jour assurée) présentent également l'intérêt de proposer les versions en langues originales des séries et films étrangers. Plus besoin de se taper les versions françaises où fuck off est littéralement traduit par “tu m'ennuies à la fin”. Par ailleurs, la pratique du Catch Up (télévision de rattrapage sur le net), initiée par m6replay.fr en plein essor, aurait également dû être la source d'un basculement d'intérêt de la télé vers internet. Et bien Que nenni ! A l'inverse de ces phénomènes, les statistiques délivrées par Médiamétrie montrent que, d'une part, le temps moyen passé devant la télé par jour ne cesse d'augmenter (17 minutes en plus lors des 10 dernières années soit 3h24 en moyenne) et, d'autre part, que le pourcentage de téléspectateurs dans la population ne baisse pas. Enfin, internet, loin de kills la télé-star, est en fait devenu un outil favorisant sa plus grande diffusion. “Quoi, t'as raté Sarkozy qui léchait de la confiture de groseille sur les seins de Cauet ? File mater la vidéo sur Dailymotion.” La télé, grâce à Internet, n'a jamais été autant vue.


La télé a-t-elle besoin EDITO de se mettre au vert ?

Mais jusqu'où ira la télé-réalité ? Story, La Ferme Célébrité, La Première Compagnie, Je Comment oublier cette chaude soirée de mai 2001, suis une célébrité sortez-moi de là, Star Ac', Popstar. lorsque les caméras du Loft surprenaient Loana - pas On enferme tout le monde dans un espace confiné que vraiment besoin de re situer le personnage, on l'a l'on filme à l'aide d'une centaine de caméras tout en retrouvée overdosée dans sa salle de bain il y a deux espérant que ça finira soit en pugilat, soit en partouze mois - et Jean-Edouard - pseudo beau-gosse du Loft, bisexuelle sur-lubrifiée, soit en suicide collectif sponpseudo DJ, pseudo comédien, pseudo mec ! - fornitané, soit…les trois. Pourvu que ça rapporte des quant dans un coin ronds. Ah, j'ai oublié d'un baquet d'eau les cours d'élégance désigné par la prod' avec Greg le sous le nom de pisToujours plus loin Millionnaire, Essoufflement des formats, déprogrammation de certaines émiscine. Quand on Marjolaine et les sions (Star Ac', Ile de la tentation), lassitude du public, il semblerait regarde la vidéo (sur Millionnaires, Khoque la télé-réalité vive ses dernières heures de gloire. Mais loin de le net, ça ne s'invente Lanta, Pékin Express, faire machine arrière, les chaînes ont décidé de mettre les boupas), on rigole en chées doubles en terme de trash attitude. Petit avant-goût de ce mon préféré : l'Ile de qui vous attend. constatant qu'à l'aula Tentation (ou com- Un Questions pour un champion spécial blondes. Le concept : tre bout de la “pisment niquer son des hommes, des vrais, des burnés, devinent ce que des blondes cine” flottait, un peu mariage deux jours plastiquement parfaites mais dotés d'un Q.I équivalent à celui d'une hébétée, la touffe moule vont répondre à des questions de culture générale. Oh, les avant la cérémonie), salauds, ils ont piqué le concept à Geneviève. peroxydée de Steevy, Le camps des fortes - Chanter à tout prix. Issu d'un jeu suédois durant lequel les candisodomisateur de têtes, Super Nanny… dats doivent continuer à chanter quoi qu'il leur arrive, que Laurence Bourriquet à l'époque, La liste est encore Boccolini leur fasse un strip-tease ou qu'ils soient obligés d'assister devenu depuis chroà un débat en direct sur l'existentialisme entre Bataille et Fontaine. longue. Le concept est bien, mais quand on regarde la Star Academy on se niqueur culturel chez Mais jusqu'à présent, dit que parfois, il n'y pas besoin de grand chose pour que ça Ruquier (on ne rit pas, mis à part les fautes tourne au carnage. s'il-vous-plait). La syntaxiques de prota- Poubelle à la télé. Un jeu d'origine japonaise qui impose aux partitélé-réalité était lancipants de vivre dans un appartement sans sortir les poubelles. gonistes à la limite de Jean-Charles a commencé activement l'entraînement. Il compte cée en France. Avec l'analphabétisme, s'inscrire le plus vite possible. un final en apothéose quelques coups de - L'intérim des bimbos. En provenance d'Italie, ce programme pro: 7 294 680 téléspecgueule mémorables pose de remplacer un individu lambda - prenons Kévin Rognon - à tateurs soit 49% de son travail par une brochette de bombasses à poil. Moi, perso, je (Endemol a-t-elle fait vote pour celui-là. parts de marché pour payer à Georgesvoir Loana, donc, et Alain les portes qu'il Christophe - le avait préférées à la chauve - gagner tête de Nolwenn pour l'aventure sous les hourras d'une foule de fans (mais passer ses nerfs ?) et un mauvais goût prononcé (voir fans de quoi au fait ?) et les commentaires dithyrambila présentation des candidats de l'émission Next : ques d'un Benjamin Castaldi au bord de l'apoplexie. “Max a 24 ans, il est né en Ukraine, il aime porter des Coûts de production dérisoires (pas besoin de payer strings léopard et avoue avoir mangé son caca lors de d'acteurs, ni de scénaristes, ni d'effets spéciaux), rensa cérémonie de remise de diplôme” ou le mythique tabilité maximale (les SMS des téléspectateurs qui ser- “Je suis dur de partout, là” de Greg le Millionnaire lors vent à virer ou garder les candidats rapportent le pacd'un dîner aux chandelles romantique avec Marjolaine), tole), couverture médiatique assurée, la recette est la télé-réalité s'était limitée au malsain. C'est l'été derbonne et c'est le feu vert au “Grand N'Importe Quoi”. nier que les choses ont pris un tournant plus radicaleLoft Story 2 et 3, Nice People, Les Colocataires, Secret ment dérangeant quand Jade Goody, cette ancienne

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L'arrêt sur image d'Eric Maigret

Entre deux réunions pour sauver l'Université de la menace Pécresse, Eric Maigret, sociologue français spécialisé dans les médias et la communication politique, auteur de “L'hyperprésident” (Armand Colin) allume nos lanternes et nos tubes cathodiques.

Keith : Comment qualifier la télé aujourd'hui ? Eric Maigret : La télé, c'est le média grand public polymorphe. C'est une immense pieuvre qui va toucher quasiment tous les types de public. C'est le premier média universel. Il crée une base de culture minimale. Pourquoi polymorphe ? Car la pratique télévisuelle s'accommode d'autres pratiques. C'est ce qui rend la télévision très puissante. On peut lire devant la télévision, on peut manger, discuter, s'engueuler, on peut faire l'amour devant la télé, on peut dormir. C'est ce qui à permis à la télévision de s'imposer comme le média central de la modernité mais aussi de résister aux lames de fond venues d'autres médias, comme internet récemment. On sait aujourd'hui que les jeunes internautes peuvent surfer tout en regardant la télévision. Ou en l'écoutant. Parce que la télévision, puisqu'elle est polymorphe, ne se limite pas seulement à la vue.

Keith : Justement, la télé est-elle menacée par Internet ? Eric Maigret : Ma réponse depuis 2000, c'est non. Alors qu'Internet explosait et que l'on entendait partout qu'il allait se substituer à la télévision en termes d'audience et de pratique, les premiers internautes, effectivement, s'éloignaient de la télévision. Donc, on extrapolait sur le futur en se disant que tout le monde allait lâcher la télé. Or, on a vu très rapidement que c'était faux car ces premiers internautes diplômés, éduqués étaient des gens qui avaient une consommation de télévision plutôt basse et n'avaient pas les traits du public de masse. L'audience de la télévision n'a pas baissé depuis 2000, au contraire, elle a augmenté. Ce sont les formes de consommation qui ont évolué. Keith : Penses-tu que c'est lié au rôle socialisant de la télévision ? Eric Maigret : Ce qu'on observe, c'est que toute l'audience collective de télévision, en famille, entre copains, stagne, voire baisse. On le voit sur le 20h et sur d'autres grandes programmations collectives. Par contre, la multiplication des écoutes individuelles fait croître l'audience. Il y a une individualisation de l'écoute télévisuelle. Elle augmente également par l'intermédiaire de choses que l'on ne qualifie pas de télévisuelles, des

extraits d'émissions sur Youtube ou Dailymotion, par exemple. Ce n'est pas comptabilisé dans l'audience de télévision aujourd'hui. C'est un bon argument pour s'opposer à ceux qui disent que la télé est en train de tout perdre, de se diluer et n'est plus regardée. C'est vrai en partie, il y a une certaine “démassification” mais d'un autre côté, il y a ce moment incroyable d'une télévision qui n'a jamais été aussi vue, compulsée sur internet.

Keith: En France aujourd'hui, faut-il craindre que le “mass média” qu'est la télé ne tombe entre les mains du pouvoir ? Eric Maigret: Sur le fait de savoir s'il y a un risque plus important en ce moment, de voir le pouvoir médiatique contrôlé par le pouvoir politique actuel, la réponse est oui, bien sûr. Mais ça ne peut pas, je l'espère, aller trop loin. Mais ça va déjà, pour moi, trop loin. Dans le sens où faire nommer le directeur de France Télévision directement par le président de la république, choisir de façon évidente les journalistes qui vont interroger le président, son omniprésence médiatique etc… sont des choses totalement regrettables en démocratie. Keith : Comment expliquer sociologiquement l'engouement du public pour la télé-réalité ? Eric Maigret : Là, je pense que vous avez un petit retard (rire) : l'engouement est fort, mais il commence à dater. Il existe depuis 2001 - le premier Loft - et il est plutôt en train de retomber en ce moment. Les formules ont tendance à s'essouffler. L'intérêt du public vient de la démocratisation du sens. Les protagonistes de ce genre de programme sont des héros du quotidien. Le caractère héroïque des personnages qu'on adore au cinéma, dans les romans, est quelque chose qui s'efface en partie dans notre société qui place de plus en plus l'ego et l'individu au centre des choses. La télé-réalité, c'est l'héroïsation du non-héroïque, de l'individu du quotidien. L'observation 24H/24 permet d'exprimer des choses qui ne sont jamais scénarisées et cette recherche d'authenticité dans les relations interpersonnelles renvoie à des interactions presque charnelles entre les individus. C'est l'exemple de l'engueulade, dans les premiers Loft, entre Loana et Laure qui est resté célèbre, qui n'a pas été programmé

mais qui est emblématique d'un conflit social, d'un conflit psychologique. C'est une tendance qui a été perçue très tôt par Umberto Eco, bien avant que la télé-réalité existe. Travaillant sur Colombo, il se demandait pourquoi ce petit inspecteur mal fagoté, qui n'avait pas l'air très brillant, qui avait une bagnole pourrie fascinait plus les gens que les commissaires de police fantastiques des années 50 ? Parce qu'il y a une tendance vers l'homme ordinaire. Keith : Peut-on voir dans les séries un nouveau phénomène de société ? Eric Maigret : Pourquoi disais-je que vous avez un petit retard ? C'est parce que l'engouement pour les séries est venu après la télé-réalité et que les deux sont liés. Les séries existent depuis la création de la télévision mais, depuis les débuts des années 80, elles ont commencé à être reformulées de façon bien spécifique, avec une plus grande complexité narrative, avec aussi des collectifs de personnages qui renvoient à une psychologisation de la société plus intense. Ces séries ont subi de plein fouet la concurrence de la télé-réalité à la fin des années 90. Parce qu'il y a eu un engouement des plus jeunes. En terme de narration, les séries explorent de plus en plus les tabous, humains et sociaux. Les minorités aussi. La télé américaine a fait quelque chose d'assez remarquable depuis vingt ans, elle est devenue relativement conservatrice voire réactionnaire dans les programmes informatifs alors que tout le progressisme social est passé dans la fiction. Par exemple, l'épisode de Dr. House de cette semaine (25 avril) m'a époustouflé par son progressisme social. Il y avait une jeune fille et un jeune homme qui étaient malades. On découvrait qu'il avait une maladie génétique, ce qui signifiait qu'ils ne pouvaient être que frère et sœur alors qu'ils étaient amants depuis des années. Morale de l'histoire - ils avaient le même père - que dit l'infirmier ? “ Pas de problème, vous n'avez pas passé votre enfance sur la même plage arrière de l'automobile”, je me souviens des paroles. En terme de morale sociale, c'est extraordinaire. La question de l'inceste est encore super réprimé, c'est un des derniers véritables tabous. Propos recueillis par Léonard Billot et Romain Vaslot.


La télé a-t-elle besoin de se mettre au vert ?

assistante dentaire devenue star outre Manche grâce à son inculture assumée et son racisme non dissimulé dans deux versions de Big Brother (Loft à l'anglaise), apprend qu'elle est atteinte d'un cancer de l'utérus. Pour situer le personnage, rappelons que Jade Goody était la fille d'un délinquant mort d'une overdose et d'une lesbienne manchote (je n'invente rien). Elevée dans un quartier déshérité de Londres, elle était aussi la concubine d'un homme, actuellement en prison pour l'agression d'un adolescent, et la mère de deux garçons. Tranquille. Et Jade Goody, de retour à Londres, va prendre la décision de vendre aux médias sa lutte contre le cancer. Interviews, photos, reportages, participation à des talk-shows, elle va tout monnayer pour, dit-elle : “récolter le plus d'argent possible pour ses enfants.” Surmédiatisant son agonie, elle a fait passer la télé-réalité dans une dimension beaucoup plus morbide qui aurait dû soulever des questions éthiques. Eh bien, Que nenni de nouveau. Les réticences, à la veille de sa mort, étaient toutes tombées sous l'effet de la compassion pour cette première martyre du petit écran. Et la culture dans tout ça ? Comme il serait facile de tirer sur l'ambulance et de dire que la culture à la télé aujourd'hui, c'est Francis Lalanne, avec ses bottes et son catogan, qui s'indigne - en vers, s'il-vous-plait - des dérives anticonstitutionnelles de Sarkozy (à peu près aussi crédible que Ribéry sur la politique extérieure de l'Ouzbekistan), face à Zemmour et Naulleau successivement hébétés, amusés, agacés, insultés, effrayés puis re-hébétés. Que c'est Abd al Malik dans Paris-Dernière qui, entre deux sujets sur le dernier défilé d'un modeux éphémère où l'on croise Beigbeder et Inès de la Fressange pétés au champ' ou l'ouverture du nouveau club échangiste pour mineurs de moins quinze ans, récite une leçon bien apprise sur l'influence de Deleuze ou Dante dans la propagation du Sida en Roumanie. Ou encore que c'est Jérôme dans Un dîner presque parfait qui ne va mettre qu'un “petit” 6/10 à Frédéric parce qu' “il n'est pas vraiment sûr que la combinaison florale a été réalisée par ce dernier.” Non, ne tombons pas dans la caricature pour la caricature. La télévision, de part son statut de média de masse, apporte une base commune à la société dans son ensemble, en matière de culture. Il serait réducteur donc, de résumer la culture à la télé à Drucker, Ruquier, ou l'horrible Julien Courbet (“Votre voisin, surveillant de parking,

joue de la trompette en pleine nuit, vous lui avez déjà fracassé le pot de géranium sur la crâne mais rien ni fait, il s'obstine ; touchez la bosse de maître bossu et tout l'équipe de Sans aucun doute ira assassiner votre voisin et régler votre problème…”). Ne parlons même pas des reportages du Droit de savoir (“j'ai infiltré un réseau parisien de revendeurs d'enfants handicapés moteur”), de Zone Interdite, et autre Effet Papillon qui dressent le bilan d'un monde au bord de l'implosion dont les seules expectatives résident dans l'élimination complète et radicale de la race “jeune” et la pratique régulière de prières salvatrices pour vos âmes impies. Amen. Heureusement dans ce paysage audiovisuel occupé, quelques îlots d'irréductibles érudits résistent encore et toujours à l'envahisseur. Au rang des émissions qui stimulent (légèrement) les méninges, on peut commencer par citer le Grand Journal de Canal. Ok, je reconnais, c'est un peu démago, mais reconnaissons à Denisot le mérite d'avoir su s'entourer d'une équipe éclectique, plutôt pas con dans l'ensemble (mais va vraiment falloir me virer Pauline Lefèvre, à chaque fois que je la vois, je pleure) et combine avec succès des sujets divertissants avec une actualité parfois plus sérieuse et des nouveautés originales (genre Damien Jean !). Des racines et des ailes, Droit d'inventaire, Echappée belle sont également autant de reportages qui, malgré le marasme ambiant, continuent de proposer des sujets d'analyse historique, politique, géographique, économique sur l'actualité. N'oublions pas non plus, le talk-show, Ce soir ou jamais, durant lequel Taddeï et quelques invités se proposent de commenter les événements quotidiennement, au travers du prisme de la culture. Enfin, même sans PPDA ni Ferney, les émissions littéraires ne manquent pas : La grande librairie de Busnel sur France 5, le Café littéraire de Picouly sur France 2, Chez F.O.G sur France 5. Ce n'est pas comme si on ne pouvait pas se cultiver en regardant la télé. Plus d'excuse maintenant. Enfin bref, si ça ne te convient toujours pas, tu peux toujours faire comme 1,8% des gens et regarder ARTE, mais oui, je suis sûr que tu connais. Comment la trouver ? Et bien, tout simplement en appuyant sur la touche sinistrée de ta télécommande, la touche 5. Léonard Billot

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Ils vous ont fait rire, pleurer, gémir ou réfléchir, retour sur les dix événements télévisuels les plus marquants de l'année 2008. 10. Les paroles, les paroles, les paroles… Le 26 février, en visite au salon de l'agriculture, un peu usé par le palpage de cul bovin et la dégustation de saucisson corse que pratiquait avec tant de dextérité Chirac (sans parler des petits coups de vin blanc), Sarkozy craque. “Casse-toi pauvre con”. Un peu moins élégant que “Je vous ai compris” mais tout aussi culte. On a les citations qu'on mérite, pas vrai ?

9. La boulette.

21 avril, Ruquier entouré de sa clique à claques annonce en direct le décès de Pascal Sevran. Réaction à chaud de Christine Bravo : “C'était un très bon écrivain !”. Elle a raison Christine, souviens-toi de sa théorie sur la cause de la famine en Afrique. Pas de bol, quelques minutes plus tard, on apprend que l'info de l'AFP est erronée : Pascal est dans son lit, il ne mourra que sept jours plus tard. Ouh, la boulette.

8. Un p'tit tour et puis s'en va.

10 juillet, 20h30, après 20 ans de bons et loyaux services aux commandes du JT le plus sécuritaire de France, PPD, la gorge nouée, la larme à l'œil, “nous embrasse tous”. On en serait presque ému, dis donc. On t'avait prévenu Patrick, fallait pas le chauffer, le petit Nicolas.

7. Passement de jambes.

12 juin. Les Pays-Bas font s'étouffer dans leur binouse les 12,7 millions de téléspectateurs français. Déculottée pour les bleus (4-1) mais record d'audience de l'année pour TF1. Tant qu'il resta du sport et du cul à l'antenne, la télé n'aura aucun souci à se faire.

6. Just do It.

il y a en qui font ça avec des pétales de roses éparpillés sur un lit, dans un resto chic, dans un hall de gare, lors d'un quart temps de match de basket (rentabilité moyenne) et d'autre comme Raymond Domenech qui préfère l'ambiance sueur, testostérone et disqualification de l'euro 2008. Une demande en mariage, c'est juste une question de d'organisation, quoi ! Alors Estelle, heureuse ?

5. Free.

3 juillet, après six années de captivité, l'otage franco-colombienne des FARC, Ingrid Betancourt est libérée. Séquence émotion quand elle retrouve sa mère sur le tarmac de l'aéroport de Bogota. Alors martyre idéaliste et courageuse, le statut de l'ex-otage va s'effriter quelques mois plus tard, quand des compagnons de détention, dont son amie Clara Rojas, vont balancer des gossip peu flatteurs sur son comportement dans les camps colombien. What happens in the jungle doesn't stay in the jungle.

4. Question pour une championne.

29 août. John (Rambo) McCain, candidat républicain à la Maison Blanche, présente sa colistière Sarah Palin. Pro-évangéliste, antiavortement, accusée d'abus de pouvoir, l'ancienne Miss Alaska va multiplier les déclarations affligeantes : “On peut voir la Russie depuis l'Alaska.”, “les dinosaures et les hommes ont vécu en même temps sur la terre, il y a six mille ans”, “L'Afrique ? Un continent ? Non, c'est un regroupement de pays dont l'Afrique du Sud est une région.” Euh… la mère noire !

3. Quand on est con, on est con…

24 octobre, la France mais surtout Cauet, Cécile de Minibus, Amel Bent et Arthur découvre, sur le plateau de La Méthode le phénomène Mickael Vendetta. Auto-bronzage, dents carnassières, petits yeux lubriques et vils, costume rayé et l'aire niais, l'auteur génial de la “Bogossitude” va successivement traiter Cauet de bouffon vulgaire, avouer que le dernier disc d'Amel Bent est nul à chier mais que ce n'est pas grave parce qu'elle a perdu du poids, et faire passer Cindy Sander pour un parangon d'élégance. Chapeau l'artiste. Jaques Pradel envisage de reprogrammer une spéciale Perdu de vue sur le cas Vendetta.

2. Busherie.

Le 14 décembre, Georges W. Bush est en Irak pour y tenir une conférence de presse sur le bilan de l'occupation américaine. Conclusion : Les Irakiens vont beaucoup mieux depuis que Saddam s'est fait retourner et W n'a pas perdu ses reflexes quand il s'agit d'éviter des chaussures que lui lance un journaliste excédé. A game is born.

1. Yes he did.

Il y en a qui fête leur victoire avec Johnny Halliday, Orlando, Gilbert Montagné, Jean-Marie Bigard ou Véronique Genest, et d'autres qui leur préfèrent Spike Lee, Sean Penn, Brad Pitt ou Springsteen. Ce soir du 4 novembre, Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis prononce son discours de victoire. Moment historique. Le monde respire, on a échappé à Sarah Palin.



cinéma

“Ceci n'est pas un film sur le cyclisme. Merci de votre compréhension.”

“Si vous l'avez payé, vous vous êtes bien fait arnaquer.” (Dominique Mezerette)

Deux journalistes doivent enquêter sur les dernières paroles de Georges Abitbol, surnommé “l'homme le plus classe du monde”, pour faire éclater la vérité sur son décès. Comme dans le Citizen Kane d'Orson Welles, Georges Abitbol est mort en prononçant ces mots qui laissent planer un grand mystère: “Monde de merde”. Derrière le synopsis le plus absurde de l'histoire du cinéma se cache une comédie culte, La Classe Américaine, plus communément appelé Le Grand Détournement. Entièrement construit à partir d'extraits de films remontés et redoublés du catalogue Warner, la Classe Américaine devait être, à l'origine, une bande promotionnelle commandée par le studio en l'honneur de son soixante-dixième anniversaire. Canal + avait donc demandé à Michel Hazanavicius et Dominique Mezerette un long métrage sur ce concept après leur essai réussi Derrick contre Superman. Le catalogue de la Warner complet était donc à leur disposition avec une seule règle à respecter : ne toucher ni à Clint Eastwood ni à Stanley Kubrick. Un résultat d'autant plus culte qu'il est impossible de s'en procurer une copie aujourd'hui. Ainsi, grâce au tour de force des deux compères, les acteurs John Wayne, Paul Newman, Dustin Hoffman et Robert Redford ont bien joué dans un même film ! De plus, les deux auteurs eurent l'intelligence de demander aux doubleurs français des acteurs de l'époque de se prêter au jeu. Avec des voix familières et une post synchro de qualité, les dialogues sont à mourir de rire. Quel plaisir de voir Elvis déclamé à John Wayne : “Aime moi tendre, aime moi vrai !”

Il n'existe actuellement aucune édition VHS ou DVD officielle, le film étant composé de séquences de près de 50 films différents, dont les droits ne seront probablement jamais acquis avant leur arrivée dans le domaine public. Le Grand détournement est ainsi devenu un film culte en passant par la petite porte de la distribution pirate, d'abord sous le manteau en VHS puis sur Internet où sa popularité a explosé. C'est un hommage de taille qui lui a été donné en avril dernier. Le film a été projeté pour la première fois publiquement au Centre Pompidou. Il s'est vu décerner ses lettres de noblesse ce soir là par une salle pleine à craquer, hilare durant toute la séance. On remercie le festival Hors Piste de nous avoir offert cet excellent moment. Un festival pointant du doigt qualité et éclectisme artistique dans la vidéo, nous rappelant que le sens du mot cinéma s'agrandit et que la télévision se meurt. Les deux réalisateurs étaient présents pour l'événement, tentant de répondre aux questions du journaliste des Inrocks Jacky Goldberg. Une occasion de remettre les points sur les i lorsqu'il est question de savoir si le film porte d'éventuels accents politiques. Dominique Mezerette coupe court. Il n'y a rien derrière La Classe Américaine : “On a juste fait ça pour déconner !” Une réponse qui enchante tout le monde. Une copie du film en qualité DVD serait en préparation par une équipe de particuliers motivés. Ils prévoient de ripper toutes les versions des films utilisés et de remonter le film à l'identique pour un rendu optimal. En attendant la validation de la loi Hadopi et de cet ambitieux projet, on vous l'avoue quand même : en cherchant bien, le film est disponible sur le net… Faute de mieux ! Stan Coppin.

* La Classe Américaine, de Michel Hazanavicius et Dominique Mezerette.

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cinéma/actu

Coraline, de Henry Selick. Sortie le 10 Juin

Seule, guettée par l'ennui, Coraline va et vient à travers les craquements d'un vieux manoir. Elle erre, cherche, et découvre soudain. La porte. Projetée comme à travers un miroir, elle se retrouve dans un autre monde, double de sa vie. Tout y est exagéré, perfectionné. Comme Alice aux pays de merveilles elle nous transporte dans un ailleurs onirique qui sera rapidement trompeur. Nous apparaît alors une odeur familière, le goût des histoires. La souris schizophrène, le chat qui parle, chaque personnage ressemble à un bout de notre enfance. Mais cette impression de déjà vu ne dure pas, ce ne sera pas un patchwork d'histoires retrouvées, bien au contraire. Magie, fantastique, étrange se déclinent. Simplement ordinaire, Coraline ne peut compter que sur cette arme pour échapper aux faux-semblants. Ce contraste annonce toute la tonalité de l'histoire. Une dualité ne cesse de se faufiler, du faux au vrai, d'une maison à l'autre, du sombre au merveilleux, tous dirigés vers une seule et même entité. Coraline. La déception musicale n'est rien comparée à la puissance des effets de la 3D. Elle nous entraîne à travers l'écran et nous devenons ainsi des acteurs de l'histoire. Julia Canarelli.

Le calme argentin.

La Femme Sans Tête, de Lucrecia Martel. Sortie le 29 Avril

Un choc. Terrible. Presque silencieux. Vero vient de renverser un chien sur la route qui la ramène chez elle. Elle pense avoir tué un enfant. En une fraction de seconde, un univers bascule. Un univers imperceptible: celui de la filiation aux autres, aux choses qui les entourent. Ce lien est rompu, brutalement. La société argentine, en toile de fond, est le théâtre de vies à double sens, à contresens. Cette bourgeoise, qui vit aisément tandis que les invisibles errent dans la poussière des bas-côtés, ne se soucie pas du mal qui ronge. Subliminale, la contestation politique n'est qu'évoquée, suggérée, car dans ce film de Lucrecia Martel, aux champs profonds, flous, presque trop, on vit le changement de l'intérieur. Introspectif et lent, le rendu nous mène aux conséquences d'une violence soudaine, d'une culpabilité indécise et incertaine. Croire sans voir. Le jeu des acteurs est incroyable d'intensité et de patience. Le visage se transforme peu à peu, la femme sans tête vagabonde dans les méandres de sa presque folie. A-t-elle tué ou non ? Peu importe, c'est une dimension nouvelle qui s'impose à elle. Après l'orage, le bruit qui l'entoure, assourdissant, qui la laisse là, incapable de mots, incapable d'actions. Perdue dans l'immensité pourtant familière : “no passa nada”. Une femme sans tête est une splendeur silencieuse. Une réussite. Kenza Verrier.

La Fenêtre, de Carlos Sorin. Sortie le 3 juin

Une journée dans la vie d'un vieil homme fragile, au fin fond de la Patagonie. La Fenêtre laisse entrer les rayons naissants de l'aurore, l'aveuglante lumière du jour, le halo déclinant du soir et laisse s'évader le regard ridé du père qui attend son fils éloigné. Antonio Larreta, l'acteur, campe magistralement la dignité d'Antonio, l'ancien. D'ailleurs, rares sont les films qui donnent une vision si juste de la vieillesse. Cette volonté d'être seul lorsqu’entouré, ce besoin de l'autre lorsqu’isolé. Il y a aussi les souvenirs, les déboires de mémoire. Et puis cette attention permanente, pesante, au bruit. La mouche enfermée, les assiettes qui s'empilent, le lourd balancier de la pendule et surtout les autres, viennent déranger la quiétude de l'âge. Des parasites que l'on retrouve sur la pellicule pour une justesse appuyée. Comme seule musique, un accordeur harmonise difficilement un piano à l'image de son propriétaire, pour le retour du fils prodigue. Et quand Antonio parvient enfin à s'échapper, cela donne la scène magnifique d'un pipi dans la pampa. Bonheur simple partagé. Carlos Sorin, le réalisateur de Hìstorias Minimas et Bombòn El Perro, cadre sa Fenêtre d'une esthétique crépusculaire. Les longueurs sont parfaitement retenues par un film somme toute assez court ; court comme le temps qu'il reste à 80 ans. Giulio Callegari.

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Ce mois-ci, le cinéma argentin est à l'honneur dans nos pages. Deux beaux films sur la société vue par des esthètes de l'image, attentifs au silence.


Millénium (“L'homme qui n'aimait pas les femmes”), de Niels Arden Oplev. Sortie le 13 mai

Encore un film tiré d'un bouquin que je n'ai pas lu, le premier volet de la trilogie Millenium, best seller mondial écrit par le suédois Stieg Larsson. L'histoire est celle d'un journaliste de renom, Mikael Blomkvist, poursuivi pour diffamation et dépressif, à qui un vieux milliardaire demande d'enquêter sur sa nièce, disparue plus de 20 ans auparavant. Il sera aidé dans sa tâche par une jeune pirate informatique totalement barrée, Lisbeth Salander, capable de faire à peu près tout à partir de son joli MacBook. Tous deux découvriront vite que la famille de la disparue est pleine de secrets et de rancœurs, et que certains de ses membres sont même - tenez vous bien ! - des NAZIS! Quelle inventivité, quelle pirouette scénaristique fine et habile… Bref. S'ensuit une intrigue assez mal rythmée, menée par un acteur principal pourvu d'un charisme de congélateur en panne, et ponctuée par des scènes de violence crues et malsaines. Certains plans sont assez bien trouvés, et la jeune geek paumée est presque crédible par moment, mais l'intrigue générale est d'une absurdité telle (jusqu'au dénouement compris, Ocean's 12 a encore fait des émules…) qu'on sort de la salle un peu abasourdi, en se demandant ce qu'on a voulu nous dire pendant ces interminables deux heures et trente minutes. En tout cas, ça ne m'a pas donné envie de me plonger dans la trilogie. Pierre de Rougé.

De la révolution au bain de sang.

United Red Army, de Koji Wakamatsu. Sortie le 6 Mai

Koji Wakamatsu signe son grand retour avec une fiction documentaire sur l'armée rouge japonaise. Un film nécessaire traitant d'une période méconnue au Japon et absente des manuels scolaires. A la fin des années 60, en réaction à la guerre du Vietnam, au traité de sécurité nippon-américain et au rejet du productivisme excessif, de nombreuses et houleuses manifestations étudiantes ont lieu, souvent accompagnées de confrontations avec la Police. Les répressions violentes du pouvoir poussent les plus radicaux d'entre les étudiants à créer un groupuscule, décidé à se battre en rendant coup pour coup. L'Armée Rouge Unifiée est née. Des actions terroristes s'ensuivent et le groupe décide de s'exiler dans un camp d'entraînement caché dans les montagnes. Les chefs de bande deviennent tortionnaires en tentant de maintenir leur micro régime en place par la terreur. Lynchages quotidiens et tortures font rapidement des victimes. Ce n'est qu'après l'arrestation des derniers membres de l'armée rouge, lors de l'attaque d'une auberge avec prise d'otages, que les citoyens japonais découvrent avec effroi l'étendue du massacre. Croisé au détour d'un couloir des studios Blaq Out, Koji Wakamatsu nous raconte : “Parmi les personnes tuées, je connaissais Mieko Toyama personnellement. Quand j'ai appris sa mort, je n'ai vraiment pas pu pardonner Nagata et Youri (les chefs tortionnaires ndlr). Mais j'ai commencé à réfléchir et je me suis demandé comment ces jeunes avaient pu en arriver là. J'en suis arrivé à penser qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de commettre ces actes commandités par des êtres manipulateurs. Beaucoup d'intellectuels ont retourné leur veste quand ils ont appris l'existence des purges. J'ai été l'un des seuls à continuer à leur donner une certaine légitimité, je voulais connaître le sens de cette jeunesse et comprendre cet acte de violence et de folie. J'ai réalisé ce film car je souhaitais rétablir la vérité et transmettre une vision réaliste des événements. Les films ayant été faits à ce sujet, en particulier Le Choix d'Hercule (Masato Harada - 2002 ndlr), m'ont mis réellement en colère. Ils montraient le point de vue de la police et du pouvoir, sans chercher à comprendre les raisons qui ont poussé ces jeunes à commettre ces actes. Beaucoup de gens trouveront les séquences de tortures très dures et très longues, mais il faut qu'ils sachent que j'en ai coupé les deux tiers. Je voulais montrer ces souffrances psychologiques et la manière dont elles étaient perpétuées pour montrer comment l'échelonnement de violences a conduit à de tels massacres.” Stan Coppin.


cinéma/actu

“POUR CEUX QUI NE VOIENT LE HIP HOP QU'AVEC DES SAMPLES DE POP” LES LASCARS LES STOPPENT A BASE DE POPOPOPOP !

Millimages

Street culture + TV + autodérision + grafs + hip hop + golritude = Vincent Cassel, Diane Kruger, Omar et Fred, Diam's, Gilles Lelouche & Co... dans la peau des inénarrables Lascars. Pas de vacances pour les vrais gars est le titre du premier long métrage adapté de la série devenue culte au fil des années, et dont les répliques sortaient de nos bouches bien avant les vannes crasseuses de Franck Dubosc. Une comédie irrévérencieuse à l'humour vitriolé, défilant sur des décors uniques d'une qualité exceptionnelle, le tout servi par les très hip hop Albert Pereira Lazaro et Emmanuel Klotz, réalisateurs hors pair. Sortis tout droit des Gobelins, les deux réals s'imposent en artistes dans ce film d'animation on ne peut plus fidèle à la série. Rencontre.

Keith : Ce film est l'allégorie parfaite du comique de situation. C'est votre vécu ? Manu : Avant tout il y a les auteurs qui ont apporté leur univers, ensuite on a laissé transparaître nos expériences, on a animé les personnages qu'on connaissait dans des situations vécues. Keith : Quel public le film vise-t-il ? Albert : On se dit que le film est pour les gens comme nous, de notre âge quoi ! Plus généralement, pour tous ceux qui sont capables de comprendre le second degré ! Manu : Tous ceux qui veulent ! Tous ceux qui ont l'ouverture d'esprit de se dire que ça peut leur parler et les faire rire, au delà de leurs à priori. Pas mal de gens de 50 / 60 ans ont vu le film et se sont tapé des barres de rire ! Ensuite, tous ne rigolent pas aux mêmes gags, mais il y a un sentiment commun, c'est le principal. Keith : Vous pensez que l'utilisation du second degré peut adoucir la vision de certains quant à ces Lascars ? Albert : Moi je pense que les gens qui ont un à priori négatif, qui les empêche de sourire, ne verront rien ! Ce film, à part son titre qui peut faire peur (haha), est une “comédie sociale urbaine hip-hop d'animation !”. C'est fait pour se marrer ! Après, on espère que les comédiens, les Vincent Cassel, les Diane Kruger, les Omar et Fred ... vont susciter de la curiosité chez les gens qui verront l'affiche, genre “ah mais ouais faut que je le voie !” Manu : Lascars est fait pour les gens qui veulent rire, qui trippent sur l'autodérision, et qui pensent que ça ne court pas les salles. Tu vois, le film n'est pas fait pour une minorité qui a besoin de changer d'opinion ! Evidemment, il a une portée sociale, mais il est avant tout centré sur les personnages, sur le comique de situation, c'est pas un film sur la banlieue ! Nuance...

Keith : Vincent Cassel est un Lascar type depuis La Haine ?! Albert : Vincent a le double mérite d'être à la fois une tête d'affiche et crédible dans ce délire. On l'associe peut être aux vidéos youtube “wanabe rappeur adolescent” aux côtés de Joey Starr... Mais Cassel c'est avant tout le frère de Rockin' Squat d'Assassin, c'est quelqu'un qui aime et qui connait le sujet, il baigne dans cette vibe streetwear et hip hop depuis qu'il est ado. A ce niveau, personne ne peut le taxer de jouer à ce qu'il n'est pas, c'est quelqu'un qui est connu, respecté, et qui respecte le projet Lascars. Dans le film, Vincent s'éclate : il rappe, il fait du beatbox, c'est un rôle sur mesure pour lui! Il fait partie de ces comédiens qui disparaissent derrière leurs personnages. Une prestation d'exception ! Keith : Il y a une réelle évolution par rapport à la série. Quelles techniques de graphisme ont été utilisées ? Albert : Le film est un composite de techniques visuelles. Tout part d'une interprétation des volumes, ce qui donne ce côté dégingandé et à la fois très réaliste grâce au travail des lumières. Il y a une approche picturale similaire au travail des impressionnistes, le tout combiné au fait de récupérer des photos, des matières, des grattages... Il y a aussi les tags, les grafs, qu'on superpose afin que le rendu soit un dérivé à notre sauce du street art. C'est ce qui fait la touch Lascars, qui ne ressemble a rien de préexistant. C'est pas du Disney, pas du Pixar, pas du manga et encore moins du Burton... c'est du Lascars ! Keith : Vos expressions préférées dans le film ? Manu : Claque du bouuule ! Albert : Bande de p'tits boloss ! K?-20

Keith : La B.O. est incroyable ! Qui en est à l'origine ? Albert : On doit cette B.O. à Lucien Papalu, notre directeur musical, et - cela va de soi- figure emblématique du Hip Hop. Faisant partie de Native Tongs, il nous a apporté tout son talent (Say la vee, avec De La Soul, titre phare du film). Il a composé la partie Score Orchestra avec Nicolas Marlet, pour un mélange musical hybride et bien dans le ton de Lascars, beat percutant, jazzy pour l'humeur détente et ultra New York. Fallait illustrer la bonne vibe du film! On espère qu'elle aura une longue vie cette B.O., on est d'ailleurs en discussion pour en sortir un disque. Keith : D'où vient ce délire barré, style Bip Bip le psychopathe et Coyote l'épileptique ? Manu : C'est pas un délire ! Fallait faire un film d'une heure et demie qui parte de sketches d'une minute, donc garder le rythme était vital. Je pense que le mouvement reste dans le sujet, ça ne part pas vraiment en délire absolu... enfin si, par moment, mais si tu fumes avant c'est sûr, c'est dangereux! C'est vrai que dans le traitement c'est speed, mais c'est une belle manière d'offrir de la créativité, du rythme, et surtout de la golritude ! Albert : Voilà, tu l'as ton expression ! Keith : Un souvenir marquant pendant ces trois ans de real ? Albert : Un jour, j'étais à Kiev avec Thomas Digard, le directeur d'animation, on était dans un resto français et un mec nous accoste, français lui aussi. Pompier à Marseille, sorti de nulle part, il nous demande ce qu'on fait et on lui raconte le projet... Le mec devient ouf quand on lui dit “Lascars” ! Il était fan. C'est hyper gratifiant de se retrouver à Kiev en face d'un mec comme ça! Aujourd'hui, voilà, la machine est lancée, on espère que ça va marcher... en attendant Cannes ! Propos recueillis par Charles de Boisseguin.


DVD FILM CULTE Salo ou les 120 jours de Sodome, de Pier Paolo Pasolini. 1975. Salo ou les 120 jours de Sodome, c'est un peu le film culte qu'on hésite à lancer. Précédée par son étiquette - justifiée - de film le plus éprouvant de l'histoire, l'expérience est pourtant cruciale pour tous les cinéphiles. L'adaptation de Sade par Pasolini (qui sera assassiné pour son œuvre) est d'une froideur esthétique aussi justifiée qu'oppressante. Aucun effet stylistique, le classicisme le plus détaché face au contenu. Le contenu ? Des adolescents soumis à des sévices corporels et psychologiques infligés par quatre adultes socialement importants dans la société nazi-fasciste de Mussolini (transposition géo-temporelle choisie par Pasolini). A partir de là, l'idée trouve un sens. Le microcosme que l'on peut aisément comparer à l'enfer est un miroir - une gigantesque métaphore - des crimes nazis sur l'humanité. Impossible d'apprécier la vision, nous sommes en présence d'une pièce unique en son genre, traumatisante, extrême jusqu'au malaise, dénuée de toute morale, à la froideur insupportable. L'image du DVD est tout à fait satisfaisante par rapport à l'âge du métrage et à l'usure de la pellicule d'origine. La piste française mono en version “officielle” est également correcte étant donné que tous les dialogues des films Italiens de l'époque étaient postsynchronisés et qu'elle permet d'apprécier la bande originale d'Ennio Morricone, nickel. Côté bonus, on découvre un documentaire très intéressant sur le réalisateur et des entretiens de réalisateurs actuels (comme Gaspard Noé) questionnés sur l'importance de ce film par rapport à leurs travaux actuels. Alain Guillerme.

Tonnerre sous les Tropiques, de Ben Stiller (Paramount Home Entertainement). 2008. Tonnerre sous les Tropiques est assurément le film comique de l'année dernière. Réalisé par Ben Stiller himself, qui est loin d'être un bleu derrière la caméra, le film a pour lui une agréable esthétique, plus proche d'un blockbuster d'action estival que d'une énième comédie sentimentale. Au rayon réussite, on citera aussi le casting haut de gamme avec une pléthore de performers : Jack Black, Robert Downey Jr., Nick Nolte, Steve Coogan et Ben Stiller bien sûr. Mais aussi un invité surprise que l'on vous laisse découvrir. Autant hommage que parodie des films de guerre cultes, c'est un plaisir de voir ces réinterprétations de scènes classiques distillées dans une histoire loufoque de tournage-réalité. Que ce soit d'un point de vue comique ou pyrotechnique, on en a pour son argent. Il ne faut pas s'attendre à un chef d'œuvre mélodramatique, mais pour qui cherche un très bon divertissement sans temps mort, ce choix DVD est un choix opportun. D'un point de vue technique, comme avec la plupart des films récents, les technologies de compression et de transfert étant arrivées à maturité, l'image est resplendissante et ne souffre d'aucun défaut. Idem pour le son ou l'on ne saurait vous conseiller la piste originale pour profiter de toutes les subtilités des dialogues et du jeu d'acteurs. Niveau bonus c'est le désert avec seulement deux sympathiques commentaires audio au programme… Dommage. A.G.


illustration julien crouïgneau

cinéma

Télévision et

Cinéma.

Historiquement, la télévision est le concurrent du cinéma. Le petit écran a poussé le grand à innover technologiquement pour que les salles restent pleines. Aujourd'hui, en France tout du moins, la télévision est un faux allié. Les chaines financent la plupart des films hexagonaux, sur des cahiers des charges généralement plus proches des Bronzés 3 que d'un film étiqueté “Sundance”. La vraie concurrence vient désormais de marchés qui devraient n'être que des extensions des multiplexes : DVD, Blu-ray, home-cinéma et internet. Tous les films à domicile, dans des conditions excellentes (écran “géants” haute définition, son multicanal, Divx pour les moins fortunés et les plus radins), à la demande. D'où l'émergence de la 3D, potentielle révolution aussi importante que la couleur en son temps, dont l'utilisation censée implique une relecture des codes cinématographiques afin de dépasser le statut d'attraction du Futuroscope. Réponse cette année avec Up ! de Pixar et l'Avatar de James Cameron (qui pourrait devenir un des films les plus importants de l'histoire du cinéma). Autant être clair, la représentation de la télévision au cinéma n'est pas des plus flatteuses. Récemment le film Live ! simulait un documentaire sur une productrice (Eva Mendes) prête à tout pour l'audimat. L'acharnée arrivait à ses fins avec une émission de roulette russe en direct. Le personnage de la productrice obsédée par l'audience au détriment de tout humanisme se retrouve aussi dans Network de Sidney Lumet sous les traits de Faye Dunaway. Autre point commun aux deux films, cette vision méprisante du spectateur qui n'existe pas comme être humain mais telle une masse consumériste qui attend bouche ouverte un produit télévisuel sur mesure. Peter Finch (oscarisé pour son rôle de journaliste fou dans

Network) l'explique dans son monologue final : nous sommes passés d'un monde politique ou l'individu avait sa place à un monde économique où les pays sont des sociétés comme IBM (à l'époque). Les producteurs, considérés comme des requins, sont prêts à tout. Dans une société d'images, le voyeurisme semble être la clé expliquant la course au spectaculaire. Constat filmique malheureusement loin d'être éloigné de la réalité. Les humains, une fois insérés dans l'écran cathodique (dorénavant à cristaux liquides) ne sont plus que des pantins manipulés par des petits chefs sans scrupules. Que ce soit à travers la plus grande téléréalité de tous les temps dans The Truman Show de Peter Weir ou dans le jeu intellectuel truqué du Quiz Show de Robert Redford, l'accroche télévisuelle n'existe qu'à travers l'identification du spectateur aux protagonistes. Vous avez vu naître Jim Carrey en direct à la télévision, vous le suivrez à vie, comme un fils. John Turturro est invaincu au Question pour un champion de l'époque, le public se lasse, on va donc créer de toute pièce un nouveau champion pour que l'audimat cesse de plafonner. Tout est question de statistique, d'économie. Les téléspectateurs sont comme les héros des émissions, des pions contrôlés par des majors et autres partenaires publicitaires. A travers des films comme Live !, The Truman Show ou encore Videodrome (David Cronenberg), ce n'est plus seulement le produit en lui-même ou sa conception qui sont en cause, mais la demande. La puissance immersive du petit écran n'est plus à prouver, même si aujourd'hui les images se consomment sans cesse sous tous les formats et supports, la nature humaine est inexorablement attirée par l'extrême, le surprenant, le jamais vu. La représentation de l'humain-télévision dans Videodrome comme assouvissement absolu des pulsions voyeuristes est probablement la métaphore la plus juste face à cette frontière du réel binaire. Comment distinguer la réalité de la télévision quand la télévision elle-même est censée être un support réaliste. Les films violents ne sont que fiction face au journal télévisé. Au final, le plus effrayant est peut être l'idée de reconnaissance à travers l'exposition hertzienne. Car, pour citer le personnage de Nicole Kidman dans Prête à Tout (Gus Van Sant), “En Amérique, on n’est personne si on ne passe pas à la télévision”. Et de rétorquer comme la jeune fille du film, “Si tout le monde passait à la télévision, il n'y aurait plus personne pour la regarder”. Alain Guillerme.

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cinéma/rencontre

Gondry

Sa Science / Ses Rêves The Eternal Sunshine of Gondry's Mind

Mais qu'est-ce qui fait courir Gondry ? Des films (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La science des rêves, Soyez sympa, rembobinez pour n'en citer que quelques uns), aux pubs en passant par les clips (une collaboration fructueuse avec Björk, mais aussi les squelettes-robots de Daft Punk ou les mouvements de caméra qui dansent le Mia grâce au morphing) jusqu'au documentaire, récemment, puisque c'est un docu qui a été sélectionné à Cannes cette année pour une « Scéance Spéciale », Gondry touche à tout avec toujours la même innovation technique et la même fantaisie. Des idées, Gondry en a à revendre (il en a même couchées sur des rouleaux de papier toilette, histoire de s'essuyer avec, [en vente sur son nouveau site michelgondry.com, ndlr]) ainsi que, donc, de l'humour … Et des aficionados prêts à tout. Car Gondry a ses fans, qui n'ignorent rien de lui. Défi. Saviez-vous ce que Michel mange avant de se coucher le soir ? Qui est sa tante Suzette ? Qu'il joue aux Légo ? Il y a tant de choses que vous ignorez, alors lisez la suite…

Keith : Etiez-vous cinéphile avant de devenir cinéaste ? Michel : Oui et non. Mon ami et directeur de la photographie Jean-Louis Bompoint ,et qui fut également mon co-locataire à

Paris de 1984 à 1986, avait littéralement envahi le petit appartement de la rue Labat avec ses boîtes de film et K7 VHS. Le frigo, également, servait à conserver les bobines de pellicule vierge. Forcément, ça laisse des traces : une exposition répétée aux classiques français d'avant-guerre, aux expérimentaux, à la Nouvelle Vague, tout en gardant une méfiance quant à son côté dogmatique et totalitaire, le tout couronné de De Funes et d'humour bien français des années soixante-dix, de Jean Yannes à Joël Seria… Cependant, mon goût pour l'art et le bricolage m'a amené à utiliser la caméra en tant qu'instrument d'invention, plutôt que de reproduction. Keith : Les spectateurs apprécient le côté fantasque de vos films et clips mais on imagine beaucoup de contrôle et de précision derrière… Michel : Il y a effectivement un travail très poussé de recherche et de précision, mais pas nécessairement de contrôle. Disons plutôt une provocation du chaos, qui me semble indispensable pour fabriquer quelque chose qui ressemble à la vie. Keith : Quelle place est laissée à l'improvisation sur le tournage ? Michel : Je pense qu'il y a un mélange dont les proportions sont variables. Par exemple, je ne donne jamais de direction aux acteurs sur les premières prises : j'essaie de retarder au maximum mon intervention et impact sur eux, un autre exemple de canalisation du chaos. Keith : Vous semblez très discret sur votre vie privée, êtesvous aussi secret dans le travail ? Michel : Je mange des céréales avant de me coucher… Oui, je révèle tout et j'ai parfois un peu honte. J'ai heureusement des gens autour de moi qui me mentent suffisamment pour me donner le courage de continuer. Keith : Avez-vous autant de facilité pour la direction d'acteurs que pour la technique ? Michel : Les deux sont également difficiles pour moi : la direction d'acteurs me gêne, j'ai l'impression de toujours altérer, voire gâcher la vie et la technique me donne mal à la tête.

Michel et sa bande


cinéma/rencontre EDITO Son fils Paul, Michel et Momo dans les rues de Soho

Keith : Avec Soyez sympa, rembobinez ou La science des rêves, vous, qui êtes un des pionniers d'un cinéma renouvelé par la technique, glorifiez le cinéma artisanal, les effets spéciaux maison. Comment réconciliez-vous ces deux tendances ? Michel : Dans La science des rêves, le côté artisanal représente le monde imaginaire des protagonistes. Dans Soyez sympas, rembobinez, c'est au contraire une forme de survie. Pour moi c'est un mélange des deux. Keith : On a presque la sensation qu'il y a deux réalisateurs en vous et que vos films offrent jusqu'ici un pendant très nostalgique à vos autres réalisations, clips et pubs, qui sont, eux, à la pointe de la technologie… Michel : Oui, c'est exact. C'est également dû au fait que ces différents travaux s'échelonnent sur des périodes de temps durant lesquelles mes envies ont évolué. Keith : Comment vivez-vous le rapport très spécial du 7ème art au marketing ? Corruption ou toujours plus de moyens pour un art industriel ? Michel : Je crois que dans tous les cas il faut essayer de garder un regard neuf. Le problème de la publicité est qu'il faut tout raconter dans une durée extrêmement courte, ce qui implique des simplifications grotesques et une vision stéréotypée de la vie. Le cinéma, en revanche est très lourd et lent, ce qui peut l'éloigner de la vie également. Keith : Vous avez créé l'événement en annonçant la signature d'un contrat avec la Columbia pour l'adaptation du Frelon Vert à l'écran. Tourner un film de super héros, basé sur une bd, donc du dessin, c'était une de vos ambitions ? Michel : Non, pas du tout. C'est un projet que l'on m'avait proposé il y a douze ans et qui était tombé à l'eau. Lorsqu'il s'est représenté à moi, je me suis dit, pourquoi pas ? Je n'ai jamais été un spécialiste de super héros et de bd, à part Gaston Lagaffe… Keith : Etes-vous un fan de littérature ou de film de genre ? Michel : Non. J'aime lire, ou écouter les classiques sur cassette, mais je crois que je préfère la science à la fiction. Keith : Vous soutenez le cinéma indépendant, jusqu'à l'autoproduction de films à la maison, pourquoi avoir accepté d'être “recruté” par une grosse machine ? Michel : Je n'ai pas d'attitude politique à ce sujet, mais plutôt une attitude sociale. “La grosse machine” s'adresse à un public moins élitiste que certains films indépendants. Je ne

pense pas qu'il y ait de loi qui précise que tel genre de film transmette des valeurs correspondant au volume d'argent dépensé. Il faut faire attention à chaque nuance dans tous les cas et éviter les stéréotypes comme ceux dont je parlais pour la publicité. Keith : Aurez-vous le final cut sur Le Frelon Vert ? Michel : Non, mais ça ne change pas grand chose. Lorsqu'on accepte de participer à ce type de film, on sait qu'il s'agit d'un travail de collaboration. Keith : Tout le monde vous parle de l'adaptation du Frelon Vert, et pas de votre film qui s'apprête à sortir. Est-ce que ça n'est pas un peu énervant ? Michel : Non, cela n'a rien d'étonnant. Le film L'Epine dans le cœur est un projet très personnel. Il s'est fabriqué sur une période de cinq ans, entre d'autres projets, et sa sélection au festival de Cannes est une heureuse surprise pour moi. Keith : Pouvez-vous nous parler un peu de votre prochain film ? Michel : C'est un documentaire sur ma tante Suzette Gondry qui fut institutrice des années 1950 aux années 1980 dans huit écoles du Gard. Nous avons revisité ces huit écoles, dont la plupart sont fermées, transformées en habitations ou détruites. Elle a vécu de nombreuses pages de l'histoire française d'après guerre au travers d'expériences très rurales. Elle a parfois enseigné à des classes de quatre élèves d'âges différents. Au cours de ces visites, elle se raconte, et nous faisons la connaissance de son fils qui a vécu ou plutôt subi les difficultés d'être fils d'institutrice. Keith : Vous avez gardé une âme d'enfant pour avoir une curiosité et une imagination toujours aussi vive ? Michel : Je ne sais pas où est mon âme. Elle se promène quelque part dans mon cerveau, champs de bataille de mes souvenirs, regrets et rêves. Keith : Les Etats-Unis, c'est le pays du rêve, de l'enfance ? Michel : C'est le pays de la concrétisation des rêves au prix d'une politique étrangère incroyablement égoïste et d'une propagande constante qui permet à sa population de rester optimiste. Beaucoup de contradictions, mais d'action également. Keith : A quoi carburez-vous ? Michel : Thé et capuccino pour les rendez-vous importants. Flipbooks et cahiers de brouillon à deux francs cinquante.

Dick Annegarn, un bonnet et Michel

Keith : Que faites-vous quand vous ne tournez pas ? Michel : Je tourne en rond. Non sérieusement, je ne fais pas de réelle distinction entre distraction et travail. Chaque jeu est une piste professionnelle potentielle. Comme par exemple, lorsque j'avais acheté la caméra Lego pour mon fils, cela s'est terminé en clip pour les White Stripes. K?-03 K?-24


Keith : Quand vous allumez la télé, que regardez-vous ? Michel : Des DVD ou émissions scientifiques. Keith : Un téléfilm réalisé par Gondry, c'est envisageable ? Michel : Je n'y ai pas pensé. Keith : Si vous deviez faire un film qui aurait pour sujet une émission de télé, laquelle choisiriez-vous ? Michel : Des Chiffres et des Lettres ou Intervilles. Keith : Qu'est-ce que vous ne supportez pas dans notre époque ? Michel : Ma copine qui me quitte.

Solo de air guitar

Keith : Si vous aviez la possibilité de vivre à une autre époque, à laquelle auriez-vous aimé vivre et pourquoi ? Michel : Le futur, par curiosité. Keith : Devenir « mainstream » un jour, c'est une de vos craintes ? Michel : C'est mon ambition. Propos recueillis par Juliette Morice.


art/actu

L'art vidéo

Issu de la télévision, l'art vidéo apparaît dès la fin des années 50 aux Etats-Unis et en Europe, porté par le mouvement Fluxus. Les premiers à détourner l'image électronique en un support artistique sont Nam June Paik et Wolf Vostell. Le premier expérimente la distorsion de l'image en accolant des aimants sur des tubes cathodiques, le second imagine les premiers assemblages faits de matériaux et de téléviseurs. On associe historiquement la naissance de l'art vidéo à une installation de treize téléviseurs préparés pour la distorsion par Nam June Paik entre le 11 et le 20 mars 1963 à la galerie Parnass à Wuppertal en Allemagne. Longtemps, l'art vidéo rattaché au support analogique - la bande magnétique - restreint les artistes à des seuls coupés-collés physiques et séquentiels. Avec l'avènement du numérique dans les années 90, l'art vidéo, en utilisant des logiciels sur ordinateurs, peut se démarquer totalement du cinéma et constitue une nouvelle façon de s'exprimer pour les artistes. La reconnaissance de l'art vidéo dans l'art contemporain pose évidemment le problème de la collection. En effet, qu'est-ce que le collectionneur va acheter ? Le projecteur et l'écran ? Le dvd ? Oui, sauf qu'un dvd est reproductible à l'infini…

DR

c'est quoi ?

Dans la plupart des cas, les œuvres vidéo sont aujourd'hui collectionnées sous forme de dvd en série limitée avec certificat de l'artiste. Le Centre Pompidou possède aujourd'hui la plus importante collection d'art vidéo. Quelques grands artistes de l'art vidéo : Nam June Paik, le précurseur, avec ses assemblages de téléviseurs en forme de robots ; Chantal Akerman, Chris Marker, Dan Graham, Gary Hill, Pierre Huyghe, Bruce Nauman… Néanmoins, certains artistes restent proches de la télévision et du cinéma, comme Doug Aitken qui a réalisé l'un des plus beaux clips de ces dernières années pour LCD Soundsystem, Someone Great ; Steeve McQueen est passé cette année au grand écran avec Hunger, ovni total tout en tension ; enfin, Douglas Gordon et Philippe Parreno qui ont suivi avec une quinzaine de cameras (dont une de la Nasa !) les pas de Zidane durant un match entier pour Zidane, un portrait du XXIè siècle. Jeremy Dessaint.

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Keith Haring and Juan Dubose 1983 101,6 x 101,6 cm Acrylique et encre sérigraphique sur toile - Collection particulière © 2009 Andy Warhol Foundation for the visuals arts inc. / Adagp, Paris, 2009

Mec t'es Bling Bling ?

- Le Grand Monde d'Andy Warhol.

Une exposition faste à l'image du monde d'Andy Warhol. En regroupant 130 portraits réalisés par l'artiste entre 1967 et 1987, année de sa mort, l'exposition du Grand Palais nous invite à redécouvrir comment l'artiste a dressé le portrait de toute une société. Tout en restant dans la tradition - il travaille par commande - Warhol va réinventer le genre classique du portrait, notamment en utilisant son procédé de prédilection, la sérigraphie, qui va induire une production en série. Stars du cinéma et de la musique, collectionneurs et galeristes, couturiers et personnalités de la jet-set, tous passeront à la Factory, où l'artiste travaille. On découvre ici que l'œuvre de Warhol est toujours d'actualité, voire peut être intemporelle. Il a su tout de suite comprendre l'importance que prendrait l'image et le paraître dans notre société contemporaine. *Le Grand Monde d'Andy Warhol, 18 mars-13 juillet 2009, aux Galeries nationales du Grand Palais - 3, avenue du Général Eisenhower 75008. Entrée Clemenceau J.D.

Aussi :

- Rétrospective David Lachapelle. Près de deux cents œuvres exposées pour l'exposition la plus complète jamais réalisée en France du photographe américain. Au programme : vanité, culte de la personnalité et perversité de la culture populaire. 6 février-31 mai 2009, à la Monnaie de Paris 11, quai de Conti 75006 - Fastes de cour et cérémonies royales. Une exposition retraçant l'histoire du costume de cour en Europe et l'influence majeure de la France dans ce domaine, du milieu du XVIIè au début du XIXè siècles. 31 mars-28 juin 2009, Musée du Château de Versailles.

Lenine 1986 213 x 178 cm Acrylique et encre sérigraphique sur toile - Collection particulière © 2009 Andy Warhol Foundation for the visuals arts inc. / Adagp, Paris, 2009


art/actu

Mec t'es classique ? - Kandinsky

Une grande rétrospective d'une centaine d'œuvres majeures de l'artiste russe, “père” de l'abstraction. A travers un parcours chronologique, l'exposition retrace les grandes périodes de l'artiste et sa participation aux mouvements d'avant-garde comme le Cavalier Bleu à Munich et le Bauhaus à Weimar et Dessau. En admirant sa sublime série des Impressions, on apprend que Kandinsky est également un peintre méticuleux, conceptuel et théoricien. L'image de l'art moderne. *Kandinsky, 8 avril-10 août 2009, Centre Pompidou J.D.

Aussi :

Vassily Kandinsky Accord réciproque, 1942 Reciprocal Accords Huile et laque sur toile - 114 x 146 cm

Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Donation Nina Kandinsky, 1976 Photo : Georges Meguerditchian, Centre Pompidou

Mec t'as le déclic ?

- Alexandre Calder, les années parisiennes, 1926-1933 Une exposition légère et poétique autour de son chef-d'œuvre, Le Cirque. 18 mars - 20 juillet, Centre Pompidou - William Blake (1757-1827), le génie visionnaire du romantisme anglais Première rétrospective en France du peintre romantique avec un ensemble riche en gravures, dessins, aquarelles, enluminures et livres. 2 avril-28 juin 2009, Petit Palais - Avenue Winston Churchill 75008

- Controverses Depuis son invention, la photographie est sujette à controverses. D'abord, l'objet du soupçon s'est porté sur la paternité de l'invention ; très vite des débats tournent autour de la qualité en tant qu'objet artistique de la photo liée à sa reproductibilité. Plus tard, ce sont des questions traitant de la validité et de l'objectivité du document photographique qui sont en jeu. Enfin, aujourd'hui, on parle de droit d'auteur, de droit à l'image ainsi que des limites de la liberté d'expression des photographes. Au fil d'un parcours chronologique (1840-2007) de près de 80 photos qui ont fait ou font encore l'objet de scandale, l'exposition Controverses révèle que chaque photo a son histoire, et surtout qu'en tant que miroir du monde, la photographie est un objet qui suscite des débats et soulève des questions. *Controverses, 3 mars-31 mai 2009, BnF Site Richelieu 58, rue de Richelieu 75002 J.D.

Aussi :

- William Eggleston, Paris Invité par la Fondation Cartier, le photographe américain présente cette série réalisée sur Paris. Egalement, des peintures inédites de l'artiste. 4 avril-21 juin 2009, Fondation Cartier pour l'art contemporain - 261, bd Raspail 75014 - HF/RG La confrontation du travail vidéo de grands artistes contemporains Harun Farocki et Rodney Graham. 7 avril-7 juin 2009, Musée du Jeu de Paume 1, place de la Concorde 75008 Renee Cox, Chillin with Liberty, 1998, Courtesy Galerie Nordine Zidoun, Paris © Renee Cox

Marc Garanger, Portrait de Cherid Barkaoun, Algérie 1960-1961 © Photo Marc Garanger

Mec t'es Street ? - Kreyol Factory, des artistes interrogent les identités créoles.

Pour la première fois dans une exposition d'art contemporain, 60 artistes originaires des Caraïbes, de l'Océan Indien ou d'Afrique et des Etats-Unis sont réunis autour du thème de l'identité et de la créolisation à l'ère de la mondialisation, pour des peuples ayant connu la traite, l'esclavage et l'ingérence. Prenant pour point de départ la pensée de Stuart Hall, sociologue britannique d'origine jamaïcaine à l'origine des “cultural studies”, l'exposition pose un regard nouveau sur la diversité et la richesse de l'art aujourd'hui à travers un parcours immergé dans une mer métaphorique en carton et rythmé en 7 séquences thématiques, avec des installations plastiques et vidéo, de la photographie, de la peinture ou de la sculpture. *Kréyol Factory, 7 avril-5 juillet 2009, Parc de la Villette J.D.

Aussi :

- Fool Sentimental, avec les artistes Babou, Tanc et Sun7. 30 avril-30 mai 2009, au Studio 55 - 55, rue de Meslay 75003 - Dalek + Mike Giant, la confrontation de deux artistes issus de la culture Graffiti met en lumière les différentes évolutions artistiques pour un passé commun. 25 avril-23 mai 2009, à la galerie Magda Danysz - 78 rue Amelot 75010 K?-28


Mec t'es pointu ? -Les Écritures Silencieuses

A partir de tablettes d'écritures glyphes “Rongo Rongo” trouvées sur l'île de Pâques et restées indéchiffrées à ce jour, est partie l'idée d'une réflexion autour des thèmes du signe, de la trace, de l'empreinte et de l'écriture. L'exposition présente les propositions éclectiques et pertinentes d'une dizaine d'artistes contemporains ayant réfléchi sur ces thèmes. On y trouve des pièces originales comme un néon de Tracey Emin ou une salle peinte in situ par le graffeur Sun7. La magnifique sculpture de l'artiste Guiseppe Penone traite de l'empreinte, alors que Barbara Kruger s'intéresse plutôt au signe avec des phrases défilant le long d'un mur circulaire. Claude Closky décide lui de prolonger l'alphabet latin de 74 nouveaux caractères. Enfin, l'attention se porte sur l'œuvre du chinois Ni Haifeng qui sur un mur de livres empilés projette l'image d'une main qui écrit un nouveau langage. Une exposition à voir, à lire et à décrire. *Les Écritures Silencieuses, 27 mars-23 aout 2009, Espace Culturel Louis Vuitton - 60, rue de Bassano 75008 J.D.

Aussi :

-Science Versus Fiction Une proposition articulée autour de l'architecture, des sciences et de l'imagination. Une réflexion sur nos rapports sensibles et physiques à l'urbanisme. 10 avril-6 juin 2009. Galerie BÉTONSALON 9, esplanade Vidal-Naquet, rez-de-chaussée de la Halle aux Farines 75013 Barbara Kruger Untitled (Semi-Silent) 2009 part 2 Copyright Louis Vuitton Mazen Saggar Claude Closky Alphabet 2008 Copyright Louis Vuitton Mazen_Saggar Tablette 1 Rongo Rongo Copyright Louis Vuitton Mazen Saggar


art/rencontre

photo : Francesco Roversi

“La nostalgie est une manière de se fermer sur l'avenir. Ça ne m'intéresse pas.”

Laurent Grasso

La modernité en mouvement

Récompensé par le Prix Marcel Duchamp lors de la dernière édition de la FIAC en octobre 2008, Laurent Grasso occupe cette année le devant de la scène française de l'art contemporain : des participations à plusieurs expositions collectives comme Gakona au Palais de Tokyo avec l'installation HAARP ; une œuvre présentée à la Biennale de Sharjah ; et enfin une exposition personnelle au Centre Pompidou à partir du 15 juin 2009. Rencontre avec un artiste totalement en lien avec son époque, préoccupé par des questions liées à l'image et à la représentation. Intéressé par la circulation des informations, il produit une œuvre protéiforme, ouverte, sorte de réceptacle à toutes nos projections, interprétations et hypothèses.

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Keith : Votre pièce HAARP présentée dans le cadre de l'exposition Gakona au Palais de Tokyo représentait le champ d'antennes d'une base scientifique située en Alaska, et ce programme financé par l'armée américaine consiste à étudier les ondes magnétiques de la ionosphère. Ce lieu est connu mondialement et fait l'objet de nombreuses spéculations et rumeurs. Pourquoi, en tant qu'artiste, s'être intéressé à un tel sujet ? Laurent : Ce qui m'intéresse dans ma pratique artistique, c'est la question de l'image et de la représentation. Le projet HAARP est intéressant parce qu'il contient une part de réalité nécessaire dans mon travail - car je ne désire pas être complètement dans la fiction - mais aussi une part d’irréalité. En effet, le projet HAARP est très opaque : il produit des choses invisibles et ses effets sont également invisibles. Ce qui m'a intéressé c'est la situation de cet endroit, un site comme point de cristallisation des peurs, paranoïas et méconnaissance contemporaines des choses qui nous entourent. Il s'agit d'une œuvre conceptuelle : l'œuvre fonctionne comme un endroit sur lequel on va projeter toutes nos interprétations et toutes les idées qu'on peut avoir face à un projet qui contient une part de mystère. Mon propos n'est donc pas de porter de jugement sur ces choses mais plutôt de dégager des situations dans le réel, des phénomènes qui posent des questions et qui sont aussi des phénomènes esthétiques. Keith : Au vu de ce travail, quelle est votre relation à la science et aux innovations technologiques ? Laurent : La science ne m'intéresse pas vraiment ni les scientifiques directement. Mon approche en tant qu'artiste

consiste plutôt à repérer des situations qui posent questions dans notre monde aujourd'hui à l'exemple de mes précédents travaux avec Paracinema et le projet Echelon. La science m'intéresse alors quand elle offre une nouvelle manière de voir le monde, quand elle produit un dispositif de l'ordre de HAARP. Mon intérêt porté à la science se retrouve également lorsque cette dernière est mise en échec. Dans un monde contemporain où la science serait prédominante, on assiste en effet à la mise en échec de certaines technologies. Keith : Dans ce désir de contemporanéité, on constate qu'il n'y a pas ou très peu de références directes à l'histoire de l'art dans votre travail ? Laurent : En effet, j'y suis opposé ; on assiste aujourd'hui à l'établissement d'un courant “pompier” où l'on voit des œuvres qui ne sont que l'interprétation ou une référence à d'autres œuvres. On retrouve cette esthétique prédominante dans des expositions symptomatiques comme à la Biennale de Berlin ou à l'exposition inaugurale du New Museum de New York Unmonumental. Je trouve que cela contient une part de nostalgie qui n'est pas intéressante et c'est aussi une manière de se fermer sur l'avenir. D'autre part, c'est toujours dangereux d'observer une esthétique prédominante que l'on retrouve partout ; c'est généralement le signe de sa disparition parce qu'elle n'est que le reflet d'ellemême et ne produit rien d'autre. J'essaie d'échapper aux catégories. Ce qui m'intéresse c'est d'inventer des formes. Dans chaque pratique, il y a le moyen de dégager une énergie qui fait qu'on va être projeté dans quelque chose de nouveau. C'est pourquoi dans mon travail je ne reste pas rattaché à une esthétique, à un médium, ou à une période historique mais reste continuellement en mouvement. Keith : Votre œuvre reste néanmoins dominée par le support cinématographique. Comment appréhendez-vous le cinéma traditionnel et de quelle manière vous en distinguez-vous ? Laurent : Le fantasme pour le cinéma me paraît étrange. Le milieu de l'art m'intéresse vraiment: placer une image en mouvement dans une galerie, dans un musée me permet une plus grande liberté que le cinéma traditionnel qui consiste à être

enfermé dans une salle, avec un début et une fin. Cela m'étouffe. Il y a la possibilité dans l'art de réinventer les codes en permanence : effets, formats, projection, tout est sujet à réflexion. Il y a encore une ouverture maximale dans l'art qu'il n'y a plus dans le cinéma. Le cinéma est totalement lié à sa commercialisation dont l'effort et la complexité me paraissent démesurés par rapport à l'intérêt conceptuel, formel que produisent les films. Cela se résume à beaucoup de contraintes pour peu de liberté. En tant qu'artiste ce qui m'intéresse c'est que la réalité comprend aujourd'hui le cinéma. Le cinéma produit des choses qui forgent notre manière de voir le monde ou qui l’ont déjà forgée. Je considère le cinéma comme une sorte d'inconscient qui est présent dans nos représentations du monde. Keith : Vous avez reçu le dernier Prix Marcel Duchamp qui récompense un pionnier de l'art contemporain français (en partenariat avec le Centre Pompidou, Laurent Grasso produira une œuvre originale pour l'Espace 315 à partir du 15 juin), que signifie ce genre de récompense pour vous et pouvez-vous parler de la nouvelle œuvre pour Pompidou ? Laurent : Le Prix Marcel Duchamp a sa propre évolution. Depuis huit années, il commence à être reconnu mondialement. C'est un prix dont on parle, qui a une crédibilité et surtout qui offre une exposition. D'un point de vue personnel, il correspond à une période de ma carrière où c'est important de le recevoir. Le travail que je vais réaliser pour l'exposition au Centre Pompidou prendra pour point de départ la Horn Antenna. Il s'agit d'une antenne qui a servi à repérer des ondes des restes du Big Bang. Elle est aussi utilisée pour écouter à travers les murs. Pour l'exposition du Centre Pompidou, il y aura une installation autour d'un film et d'une bande son. La question sera de savoir d'ou viennent ces sons, d'où vient cette image et en quoi cette image peut être modifiée par les ondes émises par l'antenne. Propos recueillis par Jeremy Dessaint.

* Laurent Grasso est représenté par la galerie Chez Valentin - 9, rue Saint-Gilles 75003 * Exposition personnelle de Laurent Grasso au Centre Pompidou, Espace 315, 15 juin-14 septembre 2009



musique/rencontre

musique “Si le rap était né dans les années 30, on dirait de Boby Lapointe, Jacques Brel, Aznavour ou Nougaro, qui ont tous un débit plus rythmique que mélodique, qu'ils sont des rappeurs.”

photo : Jean-Baptiste Mondiono

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musique/rencontre

puccino OXMONUMENT

L'arme de paix (Cinq7/Wagram), c'est le dernier album du plus délicat des rappeurs français. Quand Oxmo Puccino arrive dans une pièce, les regards convergent vers sa carrure imposante. Et quand il se met à parler, on se tait pour écouter, parce qu'il y a de la sagesse dans le débit de miel de ce rappeur sans capuche et sans clichés, qui avance à visage découvert et à cœur ouvert pour répandre la bonne parole et le verbe juste. Rencontre précieuse.

jazz ; c'est une démonstration de ce qu'un artiste peut faire. Keith : Alors, Oxmo Puccino, rappeur ? Chanteur ? Ceux qui ont cru que j'avais laissé tomber le rap ont pu venir me Oxmo : Comme vous le voulez… Tout est une question de point voir l'esprit tranquille, et ceux qui ne sont pas venus en pensant de vue, de sensibilité, d'âge, de culture… Moi, je me considère que j'avais changé de bord vont se prendre la claque à mes procomme un artiste tout court. Et comme un chanteur français, chains concerts. Donc ça m'amuse beaucoup. Et puis mes vieux comme tous les rappeurs. Depuis vingt ans, le rap a vendu des morceaux ont été adaptés par mes musiciens et ont pris une millions d'albums, des millions de personnes ont acheté des disautre ampleur, comme si tu gardais le moteur et que tu chanques de ces artistes qui ne chantent pas en albageais la carrosserie ! nais… À partir d'un certain chiffre, il faut admettre les choses. Toutes les cloisons Keith : En France, on n'a pas de culture du sont psychologiques et formées de murs “La France est un pays de clichés. littéraire plus que musical, rap avec orchestration en live… Oxmo : Le problème des artistes dans le hip donc l'évolution se situe Keith : Mais sur cet album, tu chantes hop, c'est qu'ils sont souvent figés. Seuls quelplus au niveau des textes vraiment par moments… ques artistes, au risque de passer pour des marque de la musique.” Oxmo : Je chantais déjà sur L'Amour est ginaux, ont osé sortir des carcans. C'est à mort, en 2001. Mais maintenant que j'asl'image de la France : un peu conservateur, pas trop sume que le rap est de la chanson française, de changement, et toujours une certaine défiance vis-à-vis je le fais avec beaucoup plus de liberté et d'amusede la nouveauté. Aux Etats-Unis, les artistes ont plus de ment. liberté, parce que c'est la fraîcheur qui est valorisée. Keith : Qu'est-ce qui te décide à chanter plutôt qu'à rapper sur un morceau… Le texte ? La musique ? Oxmo : À partir du deuxième album, je me suis rendu compte qu'on ne pouvait pas rapper tous les textes. Alors, quand des sujets ne sont pas assez évidents, frappants en termes de rap, je les transpose en chanson. De toute façon, si le rap était né dans les années 30, on dirait de Boby Lapointe, Jacques Brel, Aznavour ou Nougaro, qui ont tous un débit plus rythmique que mélodique, qu'ils sont des rappeurs. Mais il y a un problème d'image : un rappeur, c'est quelqu'un qui est fâché, qui vient de banlieue, qui revendique, qui ne sait pas écrire…

Keith : Comment expliquer ça ? Oxmo : La France est un pays littéraire plus que musical, donc l'évolution se situe plus au niveau des textes que de la musique. On demande avant tout aux gens de bien écrire. Au moment de Lipopette Bar, j'ai recommencé à jouer de la basse. En allant acheter des méthodes dans les magasins de musique, je suis tombé sur des songbooks, et j'ai commencé à me demander pourquoi aucun rappeur n'a de songbook ! Ça m'a fait gamberger, je me suis dit que si je voulais qu'on chante mes chansons, il fallait que j'ai mon propre songbook, et pour ça, il faut des musiciens, des musiques qui n'ont pas existé avant toi.

Keith : Mais on a trouvé le rappeur apprivoisé : le slammeur ! Oxmo : Non, c'est pour ne pas dire que l'on peut aimer le rap qu'on dit qu'on aime le slam. C'est un des chemins que l'inconscient emprunte pour être capable de dire un jour “j'écoute du rap”. Il y a tellement d'idées enfouies que le simple fait de dire que tu écoutes du rap, ou que tu rappes, peut porter préjudice. Keith : Avec ton précédent album, Lipopette Bar, tu avais été chercher du côté du jazz… Ça a dû t'amener un public différent… Oxmo : Oui, un public est venu découvrir quelque chose de nouveau, de frais. Je me suis renouvelé avec des musiciens de

Keith : Il y a aussi un rapport à l'instrument beaucoup moins intense en France… Oxmo : Oui, forcément. En plus, la plupart des rappeurs ont débuté dans des contextes qui n'avaient rien à voir avec la musique. À la base, le rappeur, c'est le dj, le MC qui met l'ambiance. Vingt ans plus tard, on a développé une technique de travail super délicate à reproduire par des musiciens ; s'ils ne sont pas bons, tu tombes à côté de la plaque. Résultat : tu t'en tires mieux avec une musique vite fait à l'ordinateur qu'avec de mauvais musiciens.

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photo : Jean-Baptiste Mondiono


musique/rencontre

“Je n'ai rien à prouver, et je n'oblige personne à acheter mes disques ou à venir me voir en personne. Ce que je peux souhaiter de mieux à quelqu'un, c'est de m'écouter. Mais les cadeaux, ça se refuse aussi !”

photo : Jean-Baptiste Mondiono

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Keith : Dans son album Chronic 2001, Dr. Dre a samplé un morceau d'Aznavour, le dernier single d'Eminem contient un sample de Mike Brant… Il y a quelque chose avec la chanson française quand même ! Oxmo : Moi c'est par le biais des Etats-Unis que j'y suis revenu ! Quand j'ai commencé cet album, je voulais cette “french touch”, ce son des années 60, 70, ce prestige français. Pourquoi aller copier le son des Américains alors que la France, à l'étranger, ça représente quelque chose. Pourquoi laisser cette musique tellement riche de côté ?

pression que tout était facile, rapide. Les mecs ont commencé à enregistrer des milliers de voix, ou bien à faire des copiés-collés, alors qu'avec les bandes, il y avait un grain transmetteur d'émotion, de sensations, de chaleur, de poussière. C'était organique et avec le numérique tout est devenu froid. On est passé des boîtes à rythme aux séquenceurs sur ordinateur. Faire de la musique sans instruments, c'était déjà périlleux, mais alors avec une souris ! Et enfin, au niveau de l'écriture, comme les rappeurs les plus diffusés ne sont pas les meilleurs, ça influence tout le monde dans le mauvais sens.

Keith : Pour passer à la radio, tu as dû adapter tes Keith : Il y en a quand même qui trouvent morceaux ? grâce à tes yeux ? “Moi, j'ai fait Oxmo : Non, j'ai trouvé mon salut sur scène. Un Oxmo : La Fouine et Orelsan. Ça fait longtemps vœu de pauartiste ne doit pas se conformer aux média. Il doit que j'entends parler d'Orelsan, et pour moi, vreté pour garse contenter de créer comme il le sent. S'il faut quand on entend parler de toi, c'est que tu es der mon idencalculer dans quel train ton album va rouler, c'est parvenu à te démarquer, et c'est un signe d'intité, mon éthidu commerce, pas de l'artistique. Et c'est dangetelligence. Il est original, a une bonne écriture, que.” reux, tu peux ne pas en revenir. Moi, j'ai fait vœu de des rimes riches. Il fait du vrai rap français, pas pauvreté pour garder mon identité, mon éthique. C'est parisien, dans lequel les provinciaux se reconpour ça que je ne suis jamais rentré dans les « mets donc naissent… un refrain là, une chanteuse ici… ». Je suis là pour fournir, on n'est pas au resto ! Keith : Il y a, sur l'album, un duo avec Olivia Ruiz, Sur la route d'Amsterdam, qui rend hommage à Brel… Keith : Il y a quelques similitudes entre ton parcours et celui Oxmo : Avant d'écrire mon album L'amour est mort, j'ai comde Bob Dylan, qui est parti de chansons très engagées pour mencé à écouter Brel et sa vision de la vie, des femmes, de aller vers des chansons tout court, ce qui lui a valu de se l'amour, m'a fait flipper. J'ai donc arrêté de l'écouter. Et en 2003, faire beaucoup critiquer par les gardiens du temple folk… un album hommage est sorti qui s'appelait… L'amour est mort ! Oxmo : Bien sûr, j'évolue. Mais moi j'ai 35 balais, j'ai fait cinq Aujourd'hui, j'aborde les choses de manière un peu plus détaalbums, j'ai douze ans de pratique derrière moi. J'en ai rien à chée, donc je suis moins sensible à ce côté blasé, mais je comfoutre de ce que les gens vont penser de moi ! Avec toute cette prends exactement où il va. C'est pourquoi il y a des points expérience, je suis beaucoup plus à l'aise dans la création. Ce communs dans nos démarches. Mais moi j'ai décidé de trouver qu'en pensent les autres ? Ils n'ont qu'à faire mieux ! Le cursus une issue positive, de prendre les choses du bon côté. La diffécommun, je l'ai fait il y a longtemps, mais je ne veux pas tourner rence est là. en rond. J'ai des idées, j'ai appris beaucoup, j'ai fait des rencontres formidables. Forcément, ce que je crée est le fruit de tout Propos recueillis par Clémentine Goldszal et Benjamin Kerber. ça. Je n'ai rien à prouver, et je n'oblige personne à acheter mes disques ou à venir me voir en personne. Ce que je peux souhaiter de mieux à quelqu'un, c'est de m'écouter. Mais les cadeaux, ça se refuse aussi !

OXMO MODE D'EMPLOI

Keith : Mais comme à Dylan, on a pu te reprocher d'avoir abandonné la cause pour vendre ton âme à la “pop” ? Oxmo : Tout ça, c'est de l'amour mal formulé ! En ce qui me concerne, j'ai tout de suite signifié que je n'en avais rien à faire de ce qu'on pensait de moi. Il est très difficile de me coller une étiquette, ça glisse à chaque fois. Et je n'en ai que faire ! J'ai une idée, et je fais, c'est tout, pas dans le but de construire, de créer, avec des calculs… À ceux qui me disent que je rappais mieux avant, je réponds “vous n'avez peut-être pas tort, mais vous êtes dans le passé, et vous ratez ce qui se passe aujourd'hui.” C'est eux qui sont dans l'erreur, je n'ai aucun doute là-dessus. Keith : Ça te manque de donner ton avis sur notre gouvernement, sur ce qui se passe aujourd'hui en France ? Oxmo : Les choses ne changent pas ; elles se confirment. Moi j'ai vécu Pasqua et ça ne peut pas être pire ! Alors mes textes de l'époque sont encore valables. Keith : Admettons que l'âge d'or du rap français remonte à 98… Qu'est-ce qui a changé depuis ? Oxmo : À l'époque, pour apprécier un rappeur, tout s'arrêtait à l'oreille, au bouche-à-oreille. On mettait beaucoup plus de temps pour se faire un nom, qui était donc toujours mérité, et on n'était pas distrait par le visuel. Aujourd'hui, un rappeur sans clip est foutu, un rappeur qui s'habille mal est cuit, un rappeur qui n'est pas noir est plus regardé, un rappeur qui est une femme est montré du doigt… Et on parle de moins en moins de la manière dont il rappe. Alors, forcément, ça disperse la puissance. Et puis il y a l'argent : un artiste qui réussit n'est pas toujours en sécurité financièrement, les disques les plus écoutés sont ceux qui passent le plus à la radio… Après, le numérique a donné l'im-

La discographie de Puccino passée au crible : onze ans de carrière, cinq pépites. 1) Sur Opéra Puccino, sorti en 1998, le Black Jaques Brel dévoilait sa face de la manière la plus sombre qui soit. “Je vois l'avenir comme un type myope / Qui, la nuit, porte des Ray-Ban / Surpassées d'un masque de Zorro dessus”, crachait-il sur le morceau Visions de Vie, qui introduit violemment à son univers. Pourtant, l'homme est lucide comme peu le sont à cette époque. Il plaque deux classiques : L'Enfant Seul et Mourir 1000 fois sur laquelle il sample le seul texte rap français qui l'égale à ce jour le Demain c'est loin d'IAM. 2) En 2001, L'Amour est Mort, et pourtant, on aperçoit déjà plusieurs lueurs d'espoir (Mine De Cristal, Ghettos Du Monde). Oxmo excelle dans le style filmique comme sur Le Laid, multiplie les concepts et perd les fans les moins solides malgré un tube : J'ai Mal Au Mic. 3) En 2004, Ox semble replié entièrement sur lui-même. Sur Cactus de Sibérie, pas de tubes, pas de concessions. “Ma chanson va pas sauver le monde, tant pis pour cette fois”, ditil sur Toucher L'Horizon. Il continue de creuser en profondeur son œuvre rap ambitieuse. 4) Fin 2006, c'est le tournant Blue Note, avec Lipopette Bar. Puccino engage un vrai groupe et écrit une sorte de film musical aux ambiances mafieuses. Le risque d'abandonner les Dj's pour des musiciens est énorme mais ça marche ; le public est surpris mais conquis. D'ailleurs, il s'élargit. 5) Avec L'Arme de Paix, autoproduit, Oxmo poursuit son chemin avec les Jazz Bastards et écrit des chansons, 365 Jours étant probablement sa meilleure à ce jour. Il n'a jamais autant fasciné les média, car il intègre et assume l'influence de la variété française sur le rap. B.K.


musique/actu

Hombre Lobo, de Eels (Vagrant/Coop). Sortie le 1er juin.

Quatre longues années sans nouvelles de Eels, c'est long. Encore plus long pour ceux qui avaient laissé le groupe derrière eux avec les autres renégats des 90's, depuis Novocaine For The Soul en 96. Mais E. et ses comparses sont de retour, et il suffit d'écouter les premières notes de cet Hombre Lobo pour avoir envie de crier “merci” en pleurant. Car si l'album s'ouvre sur un titre purement bluesy, batterie binaire et guitare hypnotique, la deuxième piste, That Look You Give That Guy, nous emporte loin, très loin, sur les sentiers d'une nostalgie triste et résignée, nous rendant presque impatients d'un prochain chagrin d'amour où l'on pourra pleurnicher librement au son de cette ballade qui débute, pourtant, sur un quasi-plagiat du Coup de soleil de Richard Cocciante… L'album enchaîne ensuite les chansons parfaites : Lila Breeze et sa batterie-boîte à rythme à la Beck, Tremendous Dynamite, intro à la Jimi et E. saturéénervé, Fresh Blood et ses deux voix hurlant pour du sang frais… L'album est sous-titré “12 Songs Of Desire” et son titre veut dire “homme-loup” ; comme l'envie d'une musique charnelle, tripale, brute dans l'énergie comme dans la descente, harmonieuse dans les coups de sang et les chagrins intemporels (“My timing is off/She isn't ready for my love”, chante la bête apprivoisée). Nous sommes prêts pour sa musique.

RETOUR

Clémentine Goldszal.

And You Were A Crow, de The Parlor Mob (Roadrunner Records).

ROCK HARD

Led Zeppelin. En voilà une légende. Toujours imitée, jamais égalée. De ses descendants, on n'a presque rien retenu d'important, si ce ne sont les Black Crowes, qui ont même enregistré un disque live avec Jimmy Page, reprenant pas mal de classiques du Zep. En parlant de corbeaux, voilà une autre bande de rejetons : The Parlor Mob, formé en 2004. Le Hard-Rock : un genre indémodable et immortel voué à hanter la musique jusqu'à la nuit des temps ? Je suis fasciné par ce genre musical, et le pire dans cette histoire, c'est que je me fais berner à chaque fois. Le premier album des Datsuns m'a retourné. And You Were A Crow m'a couché. A croire qu'on adore tourner en rond, un peu comme Œdipe. Pas le moindre soupçon d'originalité ici, comme on aurait pu en trouver chez les Raconteurs. Une pédale d'effet whammy dégueulasse, des fuzz entendues et réentendues, des blancs becs qui souffrent le martyr. Que du muscle, de la moustache, du cheveu gras et bouclé, du tatouage vulgos… Et c'est parfait. Dead Wrong et son refrain extraordinairement lourd envoient des chaises s'écraser gentiment sur des murs avec la grâce d'un camionneur belge. Les guitares sonnent méchamment, il suffit d'écouter The Kids pour l'entendre. Ceci étant dit, cela ne fera pas de mal aux amateurs de (re)regarder Spinal Tap ou le plus récent Tenacious D qui définissent des limites vite atteintes. Les temps sont durs certes, il ne faudrait pas non plus qu'ils soient ridicules. Benjamin Kerber.

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photo : Maciek Kobielcki

Does You Inspire You, de Chairlift (Columbia). Celui qui n'a pas encore entendu le single Bruises n'a donc pas vu la pub I Pod. Cette même personne n'a donc sûrement pas écouté l'album Does You Inspire You dans sa totalité, qui est une œuvre dense et mystique. Brooklyn, on l'a compris, est la plaque tournante de la créativité du rock des années 2000, son centre de gravité (avec MGMT ou Yeasayer comme exemples récents). Ce trio très synthétique et sonnant outrageusement années 80 a l'avantage d'avoir dans ses rangs Caroline Polachek. Une voix humide à la limite du suave. La force tranquille comparée à Karen O des voisins de Yeah Yeah Yeahs. Elle chante pourtant des textes souvent engagés. Ou peut-être endommagés. Planet Health est une sexuelle tentative d'évoquer la surconsommation de médicaments, le besoin de protéger l'humain, la prison qu'est la pudeur. Evident Utensil fait l'apologie du crayon et du bloc-notes et donne envie de danser. Association étrange. Le Flying Saucer Hat et ses paroles en français approximatif rappellent Stereolab dans ses meilleurs instants. Puis une superbe ballade, Don't Give A Damn, où des amoureux se crachent une fausse haine sur des arrangements country. Certes surexposé, ce disque n'en est pas moins l'un des indispensables de cette année. Même si vous ne possédez pas de lecteur mp3. B.K.

CULTURE PUB


musique/actu

photo : Sophie Jarry

RENCONTRE

The Time Of The True Romance, de Golden Silvers (XL/Beggars). Peut-on encore innover en faisant de la pop ? Avoir des idées sans saturer l'ambiance de synthés, avec la seule aide d'une voix et de bonnes chansons ? À ceux qui n'y croyaient plus, Golden Silvers va faire l'effet d'une bonne nouvelle. Réunis par une passion commune pour Hendrix, Sly Stone et les Beatles, ces trois londoniens, amis depuis l'enfance, se mettent à jouer ensemble il y a à peine deux ans à Londres. Succès quasi-immédiat : Gwylim (chant et claviers), Alexis (batterie) et Ben (basse), sont sélectionnés parmi deux mille groupes pour jouer sur la scène de Glastonbury l'été dernier, signent chez XL peu après, et enregistrent un album d'une fraîcheur rassérénante, léger sans être niais, nostalgique sans passéisme. Ceux qui voudraient un peu vite les estampiller “nouveaux Virgins” (il y a, en effet, quelque chose dans le timbre de voix enrhumée) n'auront qu'à écouter attentivement les paroles, gavées de fantasy et de surréalisme, pour se convaincre que Golden Silvers n'est pas le énième groupe chroniqueur d'une jeunesse perdue. Et pour cause, ce trio n'a rien de paumé… Plutôt très à l'aise dans leurs couleurs pastels, gentils et dénués du moindre signe avant-coureur de melon, ils fuient le qualificatif “indie” : “N'importe quel groupe à guitares se fait appeler comme ça… Ils trouvent que “pop” tout seul, c'est un peu la honte, alors ils appellent leur musique de l'“indie-pop”, c'est plus cool !” De toute façon, le côté cool, Golden Silvers l'a tatoué dans son patrimoine génétique. Il suffit de voir le clip hilarant de True Romance pour s'en convaincre : on est là pour rigoler. myspace.com/thegoldensilvers

Clémentine Goldszal.

Playlist Keith Sharko - Rise Up Pop Levi - Dita Dimoné Revolver - Get Around Town Kap Bambino - Dead Lazers Toy Fight - High Noon Salim Nourallah - Don't Mind Me Lacrosse - It's Always Sunday Patrick Watson - Fireweed Zwicker - Who You Are Krazy Baldhead - Second Movement. Second Part. Présidentchirac - My Broken 205 Starfucker - Girls Just Want to Have Fun Danger - 88 : 88 Passion Pit - Little Secrets

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photo : Julien Mignot

RÉVÉLATION

Izïa, de Izïa (AZ/ Universal). Sortie le 25 mai.

Nous manquons en France de rock stars, dit-on. Dans notre triste troupeau de chanteuses, point de Debbie Harry, pas l'ombre d'une Siouxsie Sioux, ni même d'une Karen O. Nous avons Emilie Simon, Emilie Loizeau, Emilie jolies mais Emilie empruntées… Ouf ! 2009 marque la naissance d'une chanteuse, une vraie, une chanteuse à voix et à coffre, une chanteuse à cœur et à fleur de peau, à tripes et à trip : Izïa donne son prénom à son groupe et à son premier album. Et la bande, pas des moindres, compte un Caravan Palace (Antoine, à la basse), un Gush (Vincent, batterie), un guitariste qui a de la suite dans le médiator (Seb), et une chanteuse donc, également auteure et co-compositrice, qui envoie le bois avec la hargne de ses dix-huit ans, sans en avoir les doutes ou les timidités. Ceux qui ont vu Izïa sur scène ont été soufflés par son énergie comme par la détonation d'une bombe. On retrouve sur le disque, sans surprise mais avec bonheur, ce même rock brut, musclé, couillu. On pense, bien sûr, à Janis pour la voix de noire bruyante, puissante, éraflée, ou à Lisa BellRays pour le timbre plein de soul saturé de guitares électriques. Bref, Izïa, c'est le messie en robe courte qui va nous sauver de la très morne chanson française. Alléluia ! C.G.

Wallace, de Naive New Beaters (Cinq7). Sortie le 25 mai.

Ces trois garçons, frais convertis de la publicité, ont du talent. Dans l'autodérision d'abord. Les Naive News Beaters se seraient rencontrés dans les rayons d'un Leroy Merlin. Ils portent des pulls qui évoquent aussi bien les chamans péruviens que les MC des années 80. Ils sont as de chorégraphies joviales et, pire, arborent des shorts sur scène ! Leur ringardise rigolote prend à rebroussepoil les normes du Paris poseur, et arrive vite à plaire - par adoration du kitsch ? - à un parterre de puristes indépendants. L'inventivité comique des clips et l'énergie de leurs concerts finissent par conquérir un public plus profane. Les NNB semblent déjà bien lancés alors que sort Wallace, un premier album qui contient dix titres inégaux. C'est parfois dansant, ludique, presque jouissif. Sur les deux singles qui articulent l'album, Get Love et Live Good, on déguste un copieux gâteau, électro, chocolat, et rap. Les autres chansons, plus systématiques, sont à la limite du dispensable. Le rap monocorde un brin geignard, et la rythmique rentrededans sont assez embarrassants. Au final, cet album à double face, loin d'être viscéral, laboure plus qu'il n'exulte. photo : Julot Bandit

Thomas Bizien.

DANCE


musique/actu

Music For A While, de Revolver (Delabel/EMI). Sortie le 1er juin.

PREMIER ALBUM

Il s'en passe des choses, dans l'hexagone, pour ceux qui osent. Ceux qui n'ont pas peur de faire de la pop avec un violoncelle, de tisser un album aux teintes pâles mais affirmées, ceux qui savent où ils vont et surtout où ils veulent nous emmener. Revolver est un trio parisien : Christophe, Jérémie et Ambroise, élevés au classique ou au vrai rock, unis par une culture du songwriting anglo-saxon, mais qui ont développé une orfèvrerie bien à eux, un son propre, chiadé, des chœurs au millimètre, des solos jamais trop sauvages, des envolées toujours maîtrisées… Ce groupe fait oublier que la perfection peut parfois être ennuyeuse, parvient à être propre sans abandonner la chair. À la manière d'une Aimee Mann, délicate, sensible, attentive aux détails, précise dans les mélodies, Revolver a concocté un album pour que nous puissions nous y blottir, un cocon ouaté et cristallin. Bref, un disque rare, qui mérite un destin à la Cocoon. Un disque à se procurer très vite, un de ceux qui promettent de combler un vide. Clémentine Goldszal.

Primary Colours, de The Horrors (XL/Beggars). Le nouveau The Horrors, Primary Colours, se révèle plus pop que son prédécesseur. Mais les fondamentaux restent les mêmes. Faris Rotter larsène encore ce chant d'outre-tombe, rauque, tout en contraste avec la chaleur étouffée de la guitare. L'orgue continue d'imploser d'envolées stridentes et de distiller par séquences des pics dissonants, comme des revers d'alcool. L'ensemble reste lugubre, plaqué dans un esthétisme gothique-clinquant ébouriffant. Maturité sans doute, les princes de la hype 2007 s'accrochent à la langoureuse vague arty. Sea Within A Sea Bat, ce rythme binaire, répétitif, comme celui des machines de Suicide. Le chant, plus contrôlé, prend le dessus sur les cris. Le groupe a mis de coté l'influence psychobilly des Cramps. Plus calme, ce nouvel album rappelle plutôt l'électro ambiant des synthétiseurs-carillons de Brian Eno, le flegme en moins. Le quintette a perdu cet éclair, qui customise l'électricité statique en rage dynamique. Primary Colours manque cruellement d'énergie, et l'identité visuelle du groupe, ce coté prophète de l'enfer en prend un petit coup. Avant dynamique cerbère, les Horrors semblent désormais enfermés dans une complainte chic, couleur guimauve-noir. Pas très planant. Thomas Bizien.

photo : Tom Beard

GOT-CHIC

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photo : Chris Harris

GALOPADE

ET AUSSI…

In My Head It Works, de The Race (Shifty Disco/Volvox Music). The Race est pratiquement le nom de groupe le plus stylé de tous les temps. Son nom, pour commencer, est représentatif, symbolique d'une génération empoisonnée par l'économie capitaliste : tout est une course, tout est un challenge. Le stress a envahi les modes de vie. Sinon, ce quintette a d'autres atouts, musicaux cette fois. Une production peplum avec couches de guitares et de synthé empilées. L'un des morceaux s'appelle Killer : voudraient-ils marcher sur les pas extravagants du plus mauvais groupe de Las Vegas pour autant ? Je n'arrive pas à y croire, les chansons sont bonnes et le disque fouetté par une énergie revigorante. Le riff compliqué d'Undecided rappelle Sonic Youth, les hurlements qui font craquer les os de Summer, les Pixies. “Is it colder where you are ?”, hurle le refrain de Gloves, archi-fédérateur. C'est quand le tempo s'accélère qu'on apprécie le plus l'histoire, à l'image de Better To Slip Away ? décoiffante dès le premier couplet. Ce qui fait de ce groupe une belle promesse : la guitariste Jessica Del Rio qui chante en duo sur la tuerie indie Moorwood. Il faudra lui laisser plus de place pour s'exprimer à l'avenir.

- 3, de Nouve sode en date lle Vague (sortie le 8 juin). Cette new wavd'une recette déjà testée Dernier épiet approuvée. - Bittle Orca, e-là reste fraîche. Ezra Koenig, de Dirty Projectors (sortie le est fan de ce génial frontman de Vam le 8 juin). pi doigts et se jodisque discordant, qui glis re Weekend, - Demis, de ue des catégories. Débou se entre les D ss fer, le barbu gr emis Roussos. Croix de olant. bois, croix de producteur, M ec redevient hype par la gr Joe Cocker. arc di Domenico et d'un di âce de son sque à la - The Mothe rman, d'Aust à livrer leur de inlace. Les Te autres Belges uxième album ? On patie llers traînent à la co ol et leur chante nte avec ces producteur de ur Fabrice Det ry, proche des G sdits Tellers à ses heures pe - Veckatimesirls in Hawaï… Vous voyez rdues, et t, le de tableau ? Grizzly Bear. bien léchés, au Voilà de tes de velour x voix douces comme le s ours très s, tranche de dé et aux griffes caressante miel, aux pats. Une belle - Venture, de licatesse. voix d'or. EncoOlle Nyman. Encore un fo aux côtés d'Anre un qui vaut le détour et lk singer à la a drew Bird et beau. consorts. Sim sa place plement

GALOPADE

C.G.

Benjamin Kerber.

photo : Yann Ohran

Tous les sens, d'Ariane Moffatt (Audiogram).

FIL D'ARIANE

Après avoir tout cassé en rock indie (Arcade fire), electro (Thunderheist, Beast), pop sauvage (Malajube) et volleyball de plage (Annie Martin et Dana Cooke) le Canada nous offre le renouveau de la chanson pop : Ariane Moffatt La chaleur du jazz, mêlée à la douceur des rues de Montréal et à la légèreté d'un groove de velours nous monte à la tête plus vite qu'un shoot d'oxygène. Jubilatoire. En plus, son site est mortel : www.arianemoffatt.com


Introducing...

L'avantage, en allant à la découverte de groupes dont la stratégie de communication est encore en chantier, c'est que l'on a des chances de vivre de petits moments d'interview douce, qui laissent pensif, enthousiaste et un peu perplexe, à des années-lumière des échanges téléguidés qui deviennent tristement le quotidien des gros vendeurs de disques. Mister Soap And The Smiling Tomatoes illustre à merveille ce manque de professionnalisme tout à fait charmant que les formations confirmées devraient chercher à garder comme un trésor. Parce qu'une fois répondu en creux à la moitié des questions de base (“Le nom du groupe ? Il ne veut rien dire ! Le son ? Il ne résulte d'aucune recherche particulière en studio, plutôt une ambiance résolument live. Le choix de l'anglais ? Ça permet de répéter les paroles encore et encore sans s'en lasser… La volonté de s'améliorer ? Aucun travail, juste une succession de répets qui font progresser presque malgré soi…”), on peut vagabonder en quête de l'âme de ce drôle de quintette, agglomération de potes avec en commun un

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penchant pour T.Rex, Dylan, Neil Young et les Beatles, mais aussi une timidité revendiquée, qui leur confère finalement une attitude bien plus marquante que le cliché rock'n'roll resservi par tous les apprentis indés. Bref, il y a chez les Mister Soap un fort goût de “fait à la maison”, rassurant et douillet, comme les compos archi-rétro de leur premier EP (The Name Is Hawaï, disponible sur Itunes). L'avenir ? Sujet épineux pour ces doux rêveurs qui traînent encore leur grolles sur les bancs de la fac, aspirent bien sûr à vivre de leur art, mais sans jamais formuler d'ambition précise (par superstition ?). Un album sera en tout cas dans les bacs en septembre, supervisé par la petite famille de Bonus Tracks Records, qui laisse grandir ces grands enfants à leur rythme, nonchalant mais pas si lent. Tout vient à point… www.myspace.com/mistersoap Clémentine Goldszal



musique/portrait hhhhhh

Eugene

McGuinness vient d'ailleurs

Je cherche ce regard qu'il détourne Il préfère observer, plutôt qu'être regardé Ses éclipses renforcent sa présence

Il s'excuse et remercie

Il me dit qu'il aimerait apprendre le français Que toutes les rues sont belles à Paris Que c'est petit ici. Son père lui faisait écouter Dylan les Beatles, les Rolling Stones et les Kinks Eugène McGuinness ne ressemble à personne Artiste incomparable, unique,

Intemporel

On aimerait faire partie de ses histoires Tantôt autobiographiques, tantôt imaginaires : Se promener à ses côtés sur Shaftesbury Avenue Se perdre avec lui dans un Tesco Chasser les monstres de sous son lit… Il assemble les mots comme les pièces d'un

improbable puzzle Il y a de la magie dans ses chansons … Sa voix est précieuse, Epoustouflante. De graves en aigus,

d'arabesques en harmonies Il nous porte et nous emporte sur des rythmes doux ou effrénés.

Il semble ne pas se rendre compte de son immense talent. Sur scène, seul à la guitare ou avec ses musiciens Il réinterprète les Strokes et les Smiths On s'émerveille, hypnotisé,

le cœur secoué …

“You haven't seen the real life Until all your dreams have been vaporised I come from somewhere I'm going somewhere else” … Peu importe la destination,

… on le suivra.

ALBUM : Eugene McGuinness (12 titres) EP : The Early Learnings of Eugene McGuinness (8 titres) DOMINO - PIAS

Texte & photos : Sophie Jarry.

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The Revolution Will Not Be

Televised

1971. L'Américain Gill Scott Heron le déclame dans un morceau jazzy mythique : la révolution ne se regardera pas sur le petit écran. Vous pouvez éteindre la télévision... et mettre un CD dans la platine.

You will not be able to stay home, brother. You will not be able to plug in, turn on and cop out.

Green Acres, The Beverly Hillbillies, and Hooterville Junction will no longer be so damned relevant, and women will not care if Dick finally gets down with Jane on Search for Tomorrow because Black people

You will not be able to lose yourself on skag and skip, Skip out for beer during commercials, Because the revolution will not be televised.

Will be in the street looking for a brighter day. The revolution will not be televised.

The revolution will not be televised.

The revolution will not be brought to you by Xerox In 4 parts without commercial interruptions. The revolution will not show you pictures of Nixon blowing a bugle and leading a charge by John Mitchell, General Abrams and Spiro Agnew to eat hog maws confiscated from a Harlem sanctuary.

There will be no highlights on the eleven o'clock news and no pictures of hairy armed women liberationists and Jackie Onassis blowing her nose. The theme song will not be written by Jim Webb, Francis Scott Key, nor sung by Glen Campbell, Tom Jones, Johnny Cash, Englebert Humperdink, or the Rare Earth.

The revolution will not be televised.

The revolution will not be brought to you by the Schaefer Award Theatre and will not star Natalie Woods and Steve McQueen or Bullwinkle and Julia. The revolution will not give your mouth sex appeal.

The revolution will not be televised. The revolution will not be right back after a message

The revolution will not get rid of the nubs. The revolution will not make you look five pounds thinner, because the revolution will not be televised, Brother.

with Coke.

The revolution will not fight the germs that may cause bad breath. The revolution will put you in the driver's seat.

The revolution will not be televised.

There will be no pictures of pigs shooting down brothers in the instant replay. There will be no pictures of pigs shooting down brothers in the instant replay. There will be no pictures of Whitney Young being Run out of Harlem on a rail with a brand new process. There will be no slow motion or still life of Roy Wilkens strolling through Watts in a Red, Black and Green liberation jumpsuit that he had been saving For just the proper occasion.

illustration : double-echo

There will be no pictures of you and Willie May Pushing that shopping cart down the block on the dead run,or trying to slide that color television into a stolen ambulance. NBC will not be able predict the winner at 8:32 or report from 29 districts.

'bout a white tornado, white lightning, or white people. You will not have to worry about a dove in your bedroom, a tiger in your tank, or the giant in your toilet bowl. The revolution will not go better

The revolution will not be televised, will not be televised, will not be televised, will not be televised. The revolution will be no re-run brothers; The revolution will be live. The Revolution Will Not Be Televised, de Gill Scott Heron.


musique/actu

photo : Antoine Legond

Radiotransmission, de Chicros (Chicrodelic / Discograph) Sortie le 18 mai

Anciennement Los Chicros, les Chicros reviennent avec un album au concept original : un zapping radio fictif, dans lequel ils surfent sur toutes sortes d'ondes, qu'elles soient new wave, country ou hip hop… Un drôle de défi, mais relevé haut la main par cette joyeuse bande toujours en quête de nouvelles expérimentations. Quittant la pop folk de leur premier album Sour Sick Soul paru en 2007, c'est tous les genres qui se brassent ici en un joyeux cocktail pétillant. La participation de la talentueuse Brisa Roché y apporte même une dose vitaminée, non sans effet euphorisant. Mais attention, cette boisson est alcoolisée et peut vite faire tourner la tête ! L'humour ironique et acide des Chicros se retrouve dans cet album et notamment dans les paroles du single What's new today on TV? qui passe déjà en boucle sur les radios pointues. Témoin de l'imagination sans borne du groupe : des tickets d'or ont été cachés dans le 45 tours de leur single, à la manière de Willy Wonka ! Les chanceux qui trouveront le précieux sésame (certains sont encore disponibles) gagneront un concert acoustique du groupe à domicile ! Une bonne occasion de découvrir cet album enchanteur… François Kraft.

Yours Truly, The Commuter, de Jason Lytle (Anti ). Sortie le 19 mai.

Sous ses airs de vieil homme faussement timide se cache le songwritter de Grandaddy, groupe phare de la scène pop/indé américaine de cette dernière décennie. En grand solitaire, Jason Lytle poursuit son aventure musicale pour trouver le bonheur, désespérément. Décidé à faire le saut dans une espérance absolue, il voyage sans cesse entre les impasses du monde absurde. Accoudé devant sa fenêtre, les souvenirs des temps révolus naviguent au large. La pop aéro-claviérisée reste intacte, les échos de Sumday résonnent au loin. Yours Truly, The Commuter est construit sur l'unité du temps. This Song Is The Mute Button est cet instant figé que l'on n'arrive plus à contrôler. Enfermé dans sa solitude pour mieux nous transmettre son émotion, I Am Lost (And The Moment Cannot Last) symbolise un homme en quête de vérité. L'artiste se révèle véritablement sur Furgët It. La raison principale de la réussite de cet album est son aboutissement. La frustration n'en est que plus forte... Mateusz Bialecki.

The Atlantic Ocean, de Richard Swift (Secretly Canadian/Cooperative Music). Enigmatique barbu à la toison bouclée, Richard Swift a tout d'un grand explorateur. Aventurier à ses heures perdues, notre homme recherche toujours de nouvelles sonorités, enrichissant ses compositions d'instruments et se précipitant à la recherche d'univers stéréoscopiques. Dans cet album, Swift fait une course contre lui-même, cherchant à se propulser plus haut, toujours vers une contrée plus florissante de créativité. Il faut dire qu'il a du talent pour nous conter la vie, perché sur son nuage supersonique. En témoigne le saloon désarticulé de The Original Thought, ou le funeste, macabre et pétulant Already Gone. Juste de quoi tremper ses lèvres pour avoir un avant-goût du poison maléfique... Envolées musicales, visions hétéroclites fortes d'une expérience concupiscente : pas besoin de vous faire un dessin, cet opus n'est pas comme les autres. Swift s'est arrangé pour réaliser un album à la fois nostalgique et gorgé de remises en questions, tout cela sur un ton gai et entraînant. On se laissera volontiers mener en bateau, l'instant d'un voyage sur son océan Atlantique… Donatien Cras de Belleval.

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Soldout Artistes complets

Le groupe belge Soldout (Charlotte et David) reçoit Keith pour la sortie de son deuxième album, Cuts, plus électro que jamais. Décontraction de mise pour mises au point.

Keith : Comment vous êtes vous rencontrés ? David : C'était une rencontre arrangée ! Un ami commun nous a rapprochés spécialement pour la musique, flairant qu'on pourrait bien s'entendre. On s'est effectivement vite compris, même si au départ nous n'avions pas du tout le même style, elle plus folk jazz, moi plus électro expérimental…

Charlotte : Mais ça nous a posé pas mal de problèmes par la suite pour des concerts. Une affiche disait “tel artiste et Soldout en concert”, et personne ne venait en pensant que c'était complet !

Keith : Comptez-vous toujours rester deux dans le groupe ? David : Il nous arrive de travailler à plusieurs, notamment quand Keith : Une rencontre musicale qui se ressent beaucoup sur le preon galère un peu sur un morceau. Mais on préfère rester à deux. mier album, Stop Talking, plutôt électro-rock. Ici, c'est beaucoup On pensait intégrer une batterie dans notre formation. plus électro, le coté rock est presque abanMais c'est la grande mode d'avoir une battedonné. Une évolution naturelle ou un choix rie dans un groupe électro ! Ça nous a un “Notre nom, Soldout, nous a réfléchi ? peu saoulés, donc ce n'est plus vraiment posé pas mal de problèmes David : C'est une évolution naturelle. On d'actualité. Peut-être que plus tard, cela pour les concerts. Une affiche voulait faire quelque chose de plus calme. disait “Tel artiste et Soldout pourrait être une occasion d'évoluer… Le coté aérien de cet album est beaucoup en concert”, et personne ne plus réussi que le premier. Le son y est venait en pensant que c'était Keith : Pour le prochain album par complet !” enrichi en arrangements. exemple ? David : Oui, exactement ! On devrait d'ailleurs Keith : Ça donne finalement un album moins prendre moins de temps à le sortir que celui-ci. Mais facile d'accès. Ça tranche avec l'efficacité de Stop Talking dès la après le premier album, on a eu beaucoup de mal a première écoute … supporter toutes les contraintes, les tournées, la promo, David : C'est vrai ! Mais les gens pourront l'écouter plus longetc.… On ne savait pas comment s'y prendre ! temps. Beaucoup on été un peu repoussés au début, mais ils Charlotte : Maintenant on sait comment ça marche, on reviennent finalement vite me dire qu'on rentrait très bien dedans prendra moins de temps pour se remettre au travail, par la suite. Cet album est moins immédiat, plus difficile d'accès. c'est promis ! Mais il y a beaucoup plus de réflexion et de prises de tête. On a poussé la recherche musicale plus loin. Le résultat est beaucoup Keith : Ici, on aime les découvertes ! Avez-vous un groupe plus abouti que pour le premier, mais moins commercial… “pépite” à nous révéler ? Charlotte : Lego Party et Experimental Tropic Blues Band, sont Keith : Comment se répartissent vos rôles dans la composition des deux groupes que nous aimons beaucoup ! Des amis belges chansons ? bourrés de talents ! Charlotte : A peu près comme ce qu'on peut voir dans nos live où je chante sur les sons de David. Disons que je compose aux Keith : Vous venez souvent à Paris ? Un coin particulier ? trois quarts la mélodie de chant et les paroles, et lui compose David : Pigalle : quartier extraordinaire ! En plus, il y a tous les aux trois quarts les instrus. Le quart qui reste, c'est notre travail magasins de musique ! Sinon Le Point Ephémère sur le canal est en commun, de conseils et d'échanges. un lieu que j'apprécie beaucoup ! Charlotte : On aime bien aussi Oberkampf où il y a de nomKeith : Et ce nom, Soldout, d'où vient-il ? breux bars sympas ! Mais nous n'avons jamais beaucoup de David : Il y a quelques années, nous avions la possibilité de temps pour nous poser quand nous venons. On est des touristes mettre une de nos chansons sur une compilation. On avait déjà ici ! La dernière fois, on a été à la Tour Eiffel ! un morceau mais pas de nom ! Charlotte a eu cette idée, un peu Propos recueillis par D.C.B. et F.K. par hasard.

Jupiter, de Starfucker (Badman). Buzz ou Hype ? Un nom plus ou moins évocateur : Starfucker ! L'adrénaline monte, enfin un groupe indé, autoproduit, prônant l'originalité. MGMT ou Passion Pit n'ont qu'à bien se tenir ! La pop fluo est à la mode, alors pourquoi ne pas naviguer dessus tout en restant borderline ? Voici la mission des Starfucker sur leur second LP, Jupiter. Explorer de nouvelles contrées pop teintées d'électro. Ce trio revendique une musique hypnotique, avec des mélodies intemporelles. Ils exhument de leur ville natale les squelettes mal enterrés des années 80, comme la reprise de Cyndi Lauper, Girls Just Want to Have Fun. Rien de mieux pour réveiller les pulsions estivales des petites minettes. Tel un enfant apprenant à jurer, Josh Hodges, leader du groupe, développe sa propre technique et se balade tranquillement sur son autoroute pop. Medicine est très évocatrice de l'état second qui plane sur le groupe. L'album se construit dans un ciel bleu ensoleillé, par accouplement d'idées successives plus que de chansons de type classique couplet / refrain. L'âge de la déraison est fantasmé sur Bed-Stuy (Super-Cop).Le cœur de l'humour y est, que demander de plus ? M.B.


Vu

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•• • Kings Of Leon - Olympia - 20 février •• Oasis - Bercy - 3 mars ••• Glasvegas - Bercy - 3 mars Photos : Sophie Jarry K?-50




e r u t a r é Litt littérature

e r u t a r Litté La littérature aux tripes.

Il y a des mots que l'on va chercher au fond d'une bouteille de whisky bon marché, au bout d'une ligne de coke sinueuse ou aux heures fauves de la nuit. Quand la lumière blafarde des lampadaires publics n'éclaire plus que les faces angéliques de mannequins filiformes placardées sur des façades en plexi d'abribus, certains auteurs aux paupières rougies et aux doigts engourdis continuent de s'éreinter les neurones en quête d'une formule choc ou d'une phrase chic. C'est dans la misère et la démence, chez les toxs' et les clodos, les travs' et les schizos, que ces écrivains de l'obscurité, ces oiseaux de nuit, trempent leurs plumes et puisent leur inspiration. Du travail de ces talentueux insomniaques, Eric Vieljeux a décidé de faire la matière première de son projet littéraire : les Editions 13e Note. Mark SaFranko et Dan Fante sont les deux premiers poulains cramés de cette écurie sex, drugs and Rock'n'Roll. Si le premier ne te dit rien, c'est normal. Putain d'Olivia est son premier roman. Admirateur des Français qui comptent en littérature, de Sartre à Camus en passant par Céline et plus récemment Houellebecq, fils perdu des Beat Boys Miller, Thompson ou Bukowski, SaFranko fait souffler un vent glacé sur la littérature américaine. C'est une plongée en eaux troubles, un voyage de l'autre côté du miroir aux ambitieux que les 319 pages de son bouquin nous propose. Dans l'Amérique des loosers et des tarés, un huis-clos passionnel où les corps, comme des aimants, s'attirent avant de se repousser. Où la haine et la violence se tiennent en équilibre sur l'horizon flageolant d'un futur incertain. Sa verve, SaFranko la puise au fil des ses errances et des ses erreurs. De petits boulots en coups sans lendemain. Dans Putain d'Olivia, réalité et fiction dansent ensemble autour d'une frontière indistincte. Mais qu'importe, l'alchimie opère et la langue rugueuse et âpre de l'auteur, précise comme un scalpel, fait de nous les spectateurs des folies de l'amour. Le second, Dan Fante, est le fils de son père John. De ce dernier, il a hérité d'un penchant marqué pour les verres de scotch chargés et la prose sans fioriture, cash et dure comme un crépuscule dans la Cité des Anges. Régime Sec (Short Dog en VO, comme les petites flasques d'alcools forts) est un recueil de nouvelles où s'entrecroisent masseuses nymphos, machos battus et producteurs cocaïnés collectionneurs de pythons carnivores le temps d'une course en taxi. Vision kaléidoscopique d'une Amérique multi-facettes. Dans la ville lumière de Los Angeles, dont Bret Easton Ellis écrivait qu' “on pouvait y disparaître sans même s'en apercevoir”, les destins sont éclectiques et les nuits brutales. Quel meilleur témoin alors qu'un chauffeur de taxi ? Fante, rejeton déglingué, longtemps alcoolique, poète sous amphets et romancier tardif, se fait alors la voix de ces travailleurs de l'ombre, qui irriguent les artères de la ville titan. A la croisée des chemins de Hubert Selby Jr, de Chuck Palahniuk et de Jack Kerouac, l'auteur dresse en filigrane le portrait d'un pays où les clivages sociaux vont sans cesse en s'aggravant. Avec une mise en page léchée et des couvertures attrayantes, 13e Note Editions prévoit de faire résonner les textes d'une dizaine d'auteurs “traversés par le vie, mis à terre, plongés dans les abîmes” par an. L'un des prochains livres à paraître promet d'être tout aussi barré et rafraîchissant que les deux précédents puisqu'il s'agit de Speed, un livre au titre évocateur pour un nom d'auteur qui l'est tout autant : William Burroughs Junior. A vos pilules ! Léonard Billot.

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littérature/actu

L'Amie américaine - Chroniques d'une New Yorkaise à Paris, de Renée Kaplan. Editions du Toucan. 190 pages.

Renée Kaplan, tout droit venue des States, pensait connaître la France en venant s'y installer… La journaliste new yorkaise qui a décidé de quitter son loft et son poste à CNN, s'est bien vite rendue compte que notre beau pays regorgeait de mœurs si singulières qu'elles méritaient qu'on s'y attarde. Mais qu'est-ce qui rend les Français si français ? Ainsi sont nées Les chroniques d'une New Yorkaise à Paris, où l'auteure passe au crible nos petites manies so frenchy. Véritable dictionnaire de la francitude, on comprend peutêtre mieux pourquoi les Français fascinent et/ou énervent. Souvent séduite, parfois sceptique, notre amie américaine énumère, avec beaucoup d'humour, toutes les fantaisies de notre société. Des vacances à Aix à la sécu, en passant par le culte des 35 heures et de la bonne bouffe, rien ne lui échappe. Surtout pas les femmes qu'elle observe sous toutes leurs (hautes) coutures. Toujours amusée, l'auteur se penche sur nos habitudes en matière d'amour, en les comparant à celles de son pays natal, et forcément, c'est deux mondes qui s'opposent. A la manière d'un persan à l'époque des Lumières, Renée Kaplan nous met à nu avec impertinence et avec cette naiveté typiquement américaine. On est cernés par cette Américaine qui a finalement opté pour la french way of life… Mathilde Enthoven.

La Chine, sexe, yuans and rock n' roll Ces deux romans qui racontent la Chine d'aujourd'hui ont aussi la même traductrice, Sylvie Gentil. Une petite pensée pour celle qui a lu, relu et décortiqué ces deux romans, qui bien que courts se révèlent être interminables.

Contre

Panda Sex, de Mian Mian (Editions du diable Vauvert).

Une fille pour mes dix huit ans, de Feng Tang (Editions de L'Olivier).

Dans Une fille pour mes dix huit ans, sur fond de réforme économique dans la Chine des années 80, c'est de la jeunesse fortunée que Feng Tang veut parler et de cette nouvelle génération déjà blasée par l'argent et le travail. Une histoire d'amour et d'apprentissage déjà vue, desservie par une écriture trop lisse, qui se revendique de D.H Lawrence et de Henry Miller, cités plus d'une fois dans le roman. Bien que drôle et plutôt subtil dans la manière de décrire ces étudiants privilégiés d'un lycée privé chinois, on aurait aimé quelque chose de plus rythmé et fiévreux.

Et la bête noire Panda Sex ! Entièrement lu dans l'attente ne seraitce que d'un passage à la hauteur de son excellent précédent livre Les Bonbons Chinois, et seulement par conscience professionnelle, cet essai de littérature bancal a remplacé les chroniques de jeunesse fluides, justes et sincères. Mian Mian ose pourtant. Elle utilise la méthode cinématographique du Jump Cut qu'elle tente de transcrire dans son roman. Son but : faire de Panda Sex une sorte d'émission télé non-diffusable au grand public, une vidéo Youtube perso par écrit. Sauf que les personnages n'ont que des réflexions moralistes sur l'amour lors de conversations filmées retranscrites. On sent que c'est l'atmosphère fantasque de la génération Shangaïenne riche et arty qui veut être prise sur le vif. Le problème est peut-être que l'on ne voit rien, que l'on n'a pas envie de voir et que rien ne passe au travers de ces écrits opaques. Mais Mian Mian prépare un film de ce Panda Sex. Beau moyen de nous faire continuer à croire en elle. Stan Coppin.

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La littérature à la lucarne

Depuis qu'un grave universitaire versé dans la psychanalyse caustique - le bien nommé Pierre Bayard - a signé en 2007, aux Éditions de Minuit, le manuel définitif de la littérature univer-selle à l'adresse des bobos lézards Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? - il semble que les émissions littéraires reprennent quelques couleurs. Quelle aubaine que ce gri-moire académique ! Déculpabilisée, la horde inculte des golden boys et autres silver girls de la nouvelle planète spéculative ! Entre deux banqueroutes, deux faillites définitives, il suffit à présent de trois commentaires enthousiastes d'un présentateur en T-shirt noir (Daniel Picouly verse-t-il des droits à Thierry Ardisson ?), de quatre remarques d'un animateur au physique de vieil adolescent versaillais (François Busnel est-il le frère naturel de Denis Podalydès ?), de cinq phrases sans verbe d'un auteur ventru aux poses de penseur (ah ! les estomacs prospères de Philippe Djian et Maurice Dantec, aussi prospères que leurs droits d'auteur…) et c'en est fait de la littérature à la lucarne ! On en viendrait presque à regretter les hésitations sucrées de Patrick Poivre d'Arvor dont les yeux ne pouvaient s'empêcher de pleurer un peu quand, à mi-nuit, il découvrait un livre au moment de le présenter. On est désormais à des années-lumière des comices germanopratins du Scarron bourguignon de l'œil-de-bœuf giscardien, le jovial Bernard Pivot (que sont les bouteilles de Charles Bukowski devenues ? et les décolletés im-maculés de BHL ? et les grognements illuminés d'Alexandre Soljenitsyne ?), à des siècles-lumière des dialogues policés d'un Pierre Dumayet, plus loin encore des murmures érudits d'un Pierre-André Boutang ou mondains d'un Frédéric Ferney. L'heure est à la vitesse. Quel-le alchimie que tout cela ? En ce début de millénaire, il faut d'abord une dose de cette vulgari-té poisseuse qu'aiment à renifler nos contemporains dès qu'ils allument leurs écrans : crapule-ries diverses élevées au rang de prouesses civiles (interviews de Bernard Tapie, de Michel Noir devenus comédiens…), perversions polymorphes à celui d'exploits hygiéniques (Nico-las Jones-Gourlin se prenant pour Nabokov, Philippe Sollers pour le divin Marquis), batail-lons d'incestes, divisions de viols, brochettes d'agonies… Nul ne saurait à ce titre contester à l'Angot ou à la Millet l'hommage dû aux théoriciens du genre. Autofiction des mictions. Il faut ensuite ce zeste d'outrance braillarde qui réveille les cadres angoissés par la précarité grandissante de leur félicité sociale : insultes débraillées d'un François Bégaudeau aviné, éructant sa morgue de nouveau riche tout étonné d'avoir gagné au loto de l'édition, théorèmes sentencieux du nouveau prix Nobel, borborygmes vantards de Claude Lanzmann… Et puis, comme des pépites égarées, les “diamants dans la boue” chers à Fénelon, Jean Echenoz ici, Emmanuel Carrère, J.-B Pontalis là. Au hasard, tard le soir. Quand dorment les lézards… Alphonse Doisnel.


littérature/actu

Mon beau polar

Sous les printaniers rayons de soleil, les polars font leur retour. Véritables bouffées d'air frais en ces temps de politiquement correct fatiguant, quels sont ceux dont l'oubli fortuit s'avèrerait criminel ? Keith vous livre sa sélection du moment. Petits meurtres entre voisins, de Saskia Noort. Denoël. 338 pages.

On a toujours rêvé de voir les Desperate Housewives s'entretuer, c'est désormais chose faite avec la parution de Petit meurtre entre voisins. L'auteure y dresse un portrait décapant de la banlieue chic d'Amsterdam, où les meurtres, l'alcool et la médisance sont de mise. Journaliste indépendante née en 1967 aux Pays-Bas, collaborant aux éditions néerlandaises de Claire et Playboy, Saskia Noort, après Retour vers la Côte, nous offre un thriller acide et sexy. Si, en digne héritier de la sagesse populaire, vous aimez dire à tout va que l'enfer c'est les autres, attelez-vous rapidement à la lecture de ce roman qui vous tiendra en haleine.

Chasseurs de têtes, de Joe Nesbo. Gallimard. 309 pages.

En ouvrant un polar du norvégien Joe Nesbo, le lecteur peut être certain d'être embarqué dans une drôle d'histoire et de côtoyer des types peu reluisants qui transgressent les règles de la morale et bricolent dans les marges de la société. Mais s'attend-il vraiment à se retrouver plongé dans la peau d'un chasseur de têtes, voleur d'œuvres d'art, traqué par un tueur qu'il s'apprêtait à engager ? Ce roman à suspense, malgré un style maladroit, parvient à nous captiver grâce à l'incongruité des situations qui s'y succèdent. Pour avoir la vie sauve, l'antipathique et matérialiste Roger Brown en viendra même à s'immerger dans une cuve remplie d'excréments humains. Roman à part dans la longue carrière de l'auteur de L'Étoile du Diable, Chasseurs de Têtes ne nous enseignerait-il pas que la notion d'amour-propre est quelque chose de dépassé chez le communicant du XXIème siècle ?

Le verdict du plomb, de Michael Connelly

Le Seuil. 458 pages.

Et si lire le dernier Connelly, c'était un peu comme forcer un coffre-fort ? L'assassinat de Jerry Vincent, avocat de la défense au passé trouble ; l'affaire Walter Elliot, producteur richissime accusé du double meurtre de sa femme et de son amant ; la sortie de convalescence de l'avocat Mickey Haller devenu accro aux neuroleptiques ; une vague ambiance de CIA : voilà pour les chiffres en désordre dont la combinaison gagnante ouvre sur le gros lot. Au fur et à mesure que Connelly déroule son intrigue surficelée, les événements prennent place, se répondent, se corroborent et s'ajustent. Petit à petit, la machinerie s'enclenche. Et puis, au moment du dénouement, la montée d'adrénaline, le fix de satisfaction avant que tout ne retombe. Un polar convaincant comme un braquage électrisant. Ou l'inverse. K?-56


Courbatures, de Paul Fournel. Le Seuil. 168 pages.

Il y a des livres qui vous plongent dans l'imaginaire. Il en est d'autres qui vous font loucher cinq fois sur le même mot avant de matérialiser l'ennui. Il existe des torchons vicieux gorgés de non sens, exutoires publics, brouillons de scandales. Il y a des livres qui font “comme”, d'autres qui sont “pour” et beaucoup qui ne disent rien. Il y a des ego trip, des Viens la que je te tue ma belle, des âmes novices en proie au “one hit wonder littéraire”. Oui, la starification fait couler beaucoup d'encre, comme le crachat boueux d'un pantin accroché à de petits triomphes hasardeux, son sang noir coulant à flots dans un pavé Goncourt taillé sur mesure. La gloire connaît ses lendemains, ses aspirines, ses bleus, ses courbatures. Il n'y a pire paparazzi qu'un écrivain braqué sur son focus... Zola accuse, Fournel décrit et raconte. Il caresse du bout de sa plume la fulgurance douloureuse d'après les projecteurs, croquant sans retenue le portrait de qui veut être une star. Car ce que nous dit Fournel, c'est qu'il y a une star en chacun de nous... Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle. Courbatures. Une succession de courtes nouvelles aux airs de romans, drapées d'ironie sincère, déconcertante, racontant le dessous des stars. Un nu littéraire en quelque sorte... Une gentille dénonciation de la frivole “vedette attitude” à travers bien des exemples, comme autant de lieux communs. Chacun, à sa manière, est sous le regard du monde. Pas d'échappatoire. Charles de Boisseguin.

Le livre bouffon, Baudelaire à l'Académie, d'Allen S. Weiss. Le Seuil.144 pages.

Autrefois, au terme de la première période mitterrandienne (“que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître”), on avait assisté en direct à l'agonie de Baudelaire. À l'époque, c'était BHL qui régalait. L'exercice tenait un peu de la dissertation de khâgneux et beaucoup du rapport de police : convocations de témoins, interrogatoires de suspects… Ébloui par les néons du commissariat, on baillait en se cachant… Aujourd'hui, c'est un Américain à Paris qui dresse la table. Allen S. Weiss - lequel pratique par ailleurs la psychanalyse culinaire (voir son Autobiographie dans un chou farci) - se glisse dans les habits chiffonnés du Gonzague Saint Bris de la philosophie hexagonale pour nous révéler ce qu'aurait pu être ce livre bouffon, ce roman que Baudelaire, dans une lettre adressée à sa mère en 1847, avait promis d'écrire. En 1861, la mère est enterrée mais la promesse se réveille. En ligne de mire, l'Académie. La Française ! Celle de Sainte-Beuve qui, en dealer inattendu, lui fait miroiter les plaisirs fumeux et les ors patriotes de la Coupole. Et l'autre dandy de se ruer sur le bottin des immortels afin d'y recenser ses soutiens. (Curieux que la dite Académie, en guise d'immortels, ne compte que des écrivains morts. Derniers en date : Max Gallo, François Weyergans…) Roman effleuré, en réalité. Nulle intrigue mais des intrigants. Nulle fleur du mal mais des couronnes de lauriers fanés. Le plus réussi ? La couverture. Ce merveilleux por-trait de Baudelaire par Nadar. Moue dubitative. Foulard lâche. Regard vague. Main de poète pour soutenir la tête lourde. En somme, un livre à voir plus qu'à lire. Alphonse Doisnel.

Le livre qui fait kiffer ma mère…

Je suis très à cheval sur les principes, de David Sedaris. Editions de l'Olivier. 293 pages.

Et qui la fait même franchement rigoler (et vous connaissez l'adage, mère qui rit…). Pourtant, sur le papier, ce que raconte David Sedaris dans ce récit à sketches, n'a rien de comique. Cet écrivain qui vit entre Paris et New York a une famille de tordus qui ferait passer les Adams pour des habitants de La petite maison dans la prairie, un petit ami qui a les hobbies d'une femme de pionnier - faire des rideaux en toile de jute ou frapper les slips contre les rochers de la rivière pour les laver - , des maladies à flanquer la nausée à la faculté de médecine et un caractère naturel qui tourne au ridicule en moins de temps qu'il ne faut pour trébucher. Travers des uns, microbes des autres, David Sedaris dézingue comme il respire, en n'oubliant jamais de se prendre pour première cible. Le sketch où il se retrouve tout nu, dans une salle d'attente où tout le monde est habillé, avec pas même une ceinture pour se pendre de honte, est juste la chose qu'on ait lue de plus drôle depuis les nouvelles de Woody Allen. D'ailleurs aux USA, cet auteur est aussi un show man qui fait bidonner les salles avec ses questions existentielles : porter un nœud papillon nuit-il gravement à la vie sexuelle ? Alors, une question aussi existentielle : à quand cet Américain à Paris ? Olivia de Lamberterie.


littérature

t e caacch Télé--cachet e Télé -c h t

À bien observer le fiasco des émissions littéraires, la starisation de l'auteur forcé de plaire ou de se taire, et cette préférence affichée pour la culture populaire, il semble que le livre ait bien du mal à se faire une place dans l'univers impitoyable du PAF. Depuis la mise au pas des Apostrophes de Pivot, on déplore ici ou là le crépuscule du savoir, le scandale de la médiatisation, la mort annoncée d'un art sacrifié sur l'autel du profit. Pire, la déloyale concurrence entre l'écrit et le petit écran, qui favorise décidément la paresse et la passivité (Ah, le plaisir d'être avachi devant cette boîte à fantasmes !). Mais si le monde des lettres ne semble pas s'en remettre, on ne saurait négliger les efforts de la télé. Combien de ses fictions sont adaptées de livres déjà publiés ? Et réciproquement, l'irrésistible ascension de la lucarne n'a-t-elle pas cessé d'inspirer les chercheurs et les romanciers ? Et si la télévision n'était rien de moins qu'un catalyseur de création ? Des puristes et pointilleux qui pestent contre le PAF à ceux qui défendent coûte que coûte L'Île de la tentation contre L'Île au trésor, Keith s'est donné la mission de réconcilier tout le monde - le temps d'un bref tour d'horizon des livres télégéniques. Augustin Trapenard.

Ceux qui la dénoncent.

La télé-réalité, ma bonne dame, c'est presque un cliché littéraire ! On prend une dizaine de candidats, on les enferme dans un espace clos, et on imagine le pire : un polar sans grande originalité comme Scream test de Grégoire Hervier (Le Livre de poche), Blood Story d'Eugénie Chidlin (Hugo & Cie) ou L'œil de Caine de Patrick Bauwen (Le Livre de poche). Ajoutez une métaphore pseudo-historique sur les camps de concentration, stupeur et frisson de honte, cela donne Acide Sulfurique d'Amélie Nothomb (Le Livre de Poche). Non, revenons à 1984 (Folio) et au personnage virtuel de George Orwell qui a inspiré nombre de show télévisés : “Big Brother is watching you”. On nous avait prévenus…

Ceux qui la décryptent.

Qui a dit que le petit écran n'avait rien d'intelligent ? Quand il s'agit de l'étudier, nos intellectuels les plus brillants n'ont pas peur de s'y coller. Ainsi de Roland Barthes ou de Pierre Bourdieu, dont l'essai Sur la télévision (Raisons d'agir) s'en prend à la censure invisible, au diktat de l'audimat ou aux dangers du JT qui sous couvert de transparence véhicule une idéologie. Plus accessible et plus sexy, Le livre noir de la télévision de Michel Meyer (Grasset) explique les dérives de la “Trash TV”, épingle tout un système et fustige Endemol aussi bien que TF1. Mais la plus expérimentale, c'est à coup sûr Chloé Delaume qui raconte un troublant lavage de cerveau dans J'habite dans la télévision (J'ai lu).

Ceux qui la décortique.

“On n'est jamais sûr de rien avec la télévision” disait François Mauriac dans l'une de ses Téléchroniques (Bartillat). Au début des années 1960, l'écrivain vieillissant se passionnait pour Intervilles ou Bonne nuit, les petits. C'est drôle et décapant sur le divertissement, la société du spectacle, les programmes de nos parents ou de nos grands-parents ! Pour un peu plus d'actualité, ouvrez, dans le même genre, Le monde est marrant de l'impertinent Christian Prigent (POL). Et parce qu'on est décidément des enfants de la télé, il faut se plonger dans le précieux Dictionnaire de la télévision française (Nouveau Monde) qui puise dans notre mémoire collective avec des entrées aussi variées que Jamel Debbouze, Jack Bauer… ou Casimir.

Ceux dont elle raffole.

Les classiques sont à la mode. Faut-il s'en inquiéter ? De Chez Maupassant (2007-2008) aux Contes et nouvelles du XIXème siècle (2009), les saisons se suivent et se ressemblent sur France Télévisions. Après la diffusion, le téléspectateur modèle ouvrirat-il pour autant Les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly (Le Livre de poche) ou Les Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet (le Livre de poche) ? Rien n'est moins sûr, mais au moins en connaîtra-t-il un ou deux textes - à peine modifiés. Un romanfleuve de Jules Verne, un drame historique de Victor Hugo ou une comédie sociale inspirée de Balzac - le livre semble prétexte à une prod' en costumes des plus réactionnaires. À moins que le classique ne se laisse bousculer, comme cette bonne vieille robinsonnade qui sert d'architecture aux brillants scénaristes de la série Lost…

Ceux qui s’en inspire.

Et si, pour son bonheur, la littérature trouvait un nouveau souffle dans la télévision ? Depuis Saga de Tonino Benacquista (Folio), il est de bon ton pour les auteurs d'être un rien téléphage. Dans ce roman foisonnant autour du succès inattendu de quatre scénaristes ratés, l'écrivain franco-italien emprunte à l'écriture du feuilleton pour justifier tous ses rebondissements. On pense aussi au valeureux Doggy Bag de Philippe Djian (Julliard), qui décline en six saisons les heurs et malheurs de la famille Sollens. Les artifices narratifs de la série américaine lui servent de modèle pour ce roman à tiroirs délicieusement populaire. Tout est sous contrôle, dirait le cultissime Hugh Laurie (Sonatine), dont le talent, en tant que scénariste de télé, lui a permis de se lancer, quant à lui, dans l'aventure du roman.

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littérature/rencontre

Claro

à contre-jour

photo : Laure Bernard

Quand Claro, traducteur référence, s'emploie à remettre de l'ordre dans le chaos de l'après-Babel, c'est sur du Selby Jr., du Pynchon ou du Vollmann qu'il fait danser les langues. Autour d'un café fumant, ce travailleur de l'ombre au service de la belle prose accepte de nous rencontrer. Sans sucre et avec simplicité.

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Keith : Commençons par le début, comment es-tu venu à la traduction ? Quel est le premier livre que tu as traduit ? Claro : C'était un livre qui s'appelait Kilomètre Zéro de Thomas Sanchez. A l'époque, je bossais dans l'édition et on m'a demandé de faire une fiche de lecture sur le bouquin. Je n'en avais jamais fait et je pensais qu'il fallait traduire un bout. Du coup, j'ai traduit une dizaine de pages. L'éditeur a trouvé ça pas mal, il m'a demandé si je voulais traduire le bouquin, j'ai hésité au début puis je me suis lancé. Keith : Qu'est ce qui t'a donné envie de continuer dans cette voie ?

Claro : A la base, je suis vraiment nul en langue, je parle très mal anglais mais j'aime lire dans une autre langue et plus particulièrement de la littérature américaine pour laquelle j'ai une vraie passion. Je me suis donc intéressé à des livres d'auteurs qui n'étaient pas encore publiés. Dès le début, j'ai démarché les éditeurs avec quelques textes que j'avais envie de faire connaître. Et puis, traduire c'est une façon plus approfondie de lire. La traduction m'a permis de rentrer plus à fond dans les bouquins. Quand on est écrivain, on a toujours le plaisir de lire, mais on recherche aussi quelque chose de plus. On cherche à comprendre comment c'est fabriqué, comment ça marche. Et la traduction est une forme de lecture approfondie. Souvent je ne lisais pas les bouquins en entier et c'est en les traduisant que je les découvrais. Keith : Selon toi, la traduction s'apparente plus à de la transposition ou à une réécriture du texte original ? Claro : Au début, on pense que ce n'est qu'une transposition puis on se rend compte que ça nécessite un travail d'écriture beaucoup plus fort. Et plus on tombe sur des textes compliqués, qui tendent vers l'intraduisible, avec des sonorités chargées ou des jeux de mots à répétition, plus on s'aperçoit qu'il y a un vrai travail d'écriture à faire et que ce n'est pas seulement de la transposition. C'est un travail d'écrivain dans le sens où il faut complètement détruire le texte original pour ensuite le reconstruire tout en gardant l'esprit de l'oeuvre, pas dans la lettre mais dans le mouvement. Traduire, c'est avant tout retrouver la langue particulière de l'auteur. Au final, c'est quelque chose de très instinctif. Keith : Lorsque tu travailles sur la traduction d'un livre, est-ce que tu lis les autres œuvres de son auteur ? Claro : Oui, c'est quelque chose de très important pour resituer son univers, comprendre ce qu'il fait. Par exemple, est-ce que le système littéraire qu'il construit dans un livre précis est quelque chose qu'il fait tout le temps ? Ça permet également de mieux cerner sa langue. Keith : Tu rencontres l'écrivain avant de le traduire ? Claro : Non, en général on travaille à distance. Je travaille surtout avec des auteurs américains et c'est assez rare qu'ils parlent le français donc je ne peux pas vraiment leur demander d'aide particulière. En général, j'aime bien être en contact avec eux, mais juste pour leur dire que j'apprécie leurs textes et que je vais essayer de leur trouver un point de chute en France, un éditeur. Je veux qu'il y ait un climat de confiance qui s'instaure. D'autant plus qu'ils ne pourront jamais lire ma version. La confiance est donc très importante dans cette relation entre l'auteur et le traducteur.

Keith : On dit de toi que tu es le traducteur “officie” de Pynchon et Vollmann. Comment choisis-tu les auteurs que tu traduis ? Claro : Dans le cas de Vollmann, c'est un peu particulier car c'est un auteur que j'ai découvert, entre guillemets. Il était publié dans son pays, mais pas en France. Je connaissais ses bouquins en anglais et j'ai démarché des éditeurs français pour qu'ils le prennent. Mais “officiel” n'est pas vraiment le terme qui correspond parce que là, il y a un ou deux livres qui vont être traduits par d'autres, soit parce que le bouquin me plait moins, soit pour des questions de temps. Et pour Pynchon, c'est un peu différent. Je n'ai fait que les deux derniers, avant c'était quelqu'un d'autre. Je trouve ça bien que les traducteurs changent car chacun à ses propres tics et c'est bien de faire tourner le traducteur pour renouveler la langue. Keith : Est-ce que tu pourrais traduire des livres qui divulguent des idées en opposition avec tes “principes moraux” ? Claro : Je crois qu'il faut faire la différence entre les opinions personnelles des auteurs et celles qu'ils divulguent dans leurs livres. Par exemple, j'ai traduit Denis Cooper qui est un auteur gay et qui raconte des histoires très limites avec des mineurs etc… Mais j'avais compris son projet. Je le connaissais et je savais que ce qu'il faisait n'était pas une incitation au détournement de mineurs, à la débauche ou à des pratiques dangereuses. Donc une fois que j'ai compris ça, j'ai été d'accord pour le faire. Si j'avais eu un doute ou si je pensais que ce qu'il faisait pouvait inciter, je ne l'aurais pas fait. Keith : Est-ce qu'il y a un auteur aujourd'hui que tu rêves de traduire ? Claro : Il y a en a pas mal que je rêvais de faire et que j'ai réussi à placer au fur et à mesure. Vollmann, on l'a dit. Mais il y a aussi d'autres auteurs comme Richard Grossman, qui est un type que je vais pouvoir éditer dans ma collection (Claro est co-directeur de la collection Lot 49 aux éditions du Cherche-Midi, ndlr), qui a fait des choses un peu barrées. J'avais dès le départ une petite liste de bouquins un peu ardus dont personne ne voulait. Pynchon, par exemple, ça a longtemps été mon rêve de pouvoir le traduire. Keith : Tu as développé une vraie relation avec Pynchon, vous êtes devenus amis maintenant, non ? Claro : C'est un peu compliqué. Pynchon est quelqu'un qui ne se montre jamais, qui est complètement secret. L'accord avec lui quand il te donne sa confiance c'est que tu ne doit pas parler de lui. Je ne peux rien dire. C'est un des trucs de confiance dont je te parlais tout à l'heure. Propos recueillis par Léonard Billot et Céline Laurens. *Le clavier cannibale, de Claro (Editions Inculte).


théâtre

Chouette, une tragédie !

Sur scène, Elodie Navarre joue Médée. Puissante et dévorée par la passion, dirigée d'une main de maître par un des metteurs en scène les plus précieux de la nouvelle génération (voir son Très chère Mathilde au théâtre Marigny), la jeune comédienne explose dans un registre où ne l'attendait pas forcément. Rencontre avec une étoile montante.

Keith : A Beauvais ? Elodie : Oui, il était metteur en scène associé là-bas. Donc l'idée c'était de le créer et de le jouer une semaine… Après on ne savait pas du tout ce que pourrait être le parcours de cette pièce. Mais j'ai dit oui sans hésiter. Sur place j'ai retrouvé Gildas Bourdet, que Ladislas avait convaincu de revenir au jeu d'acteur. On a fait une audition pour trouver Jason et voilà… On est partis pour deux mois de répétitions avec d'énormes moyens pour une semaine de jeu… Un an plus tard, Ladislas est devenu metteur en scène associé à Amiens et il a décidé de remonter le projet. Puis on nous a proposé de venir au XXe théâtre. Voilà…

Keith : Qu'est ce qui t'as poussée à accepter ce rôle ? Elodie : D'abord la souffrance que j'avais eu à quitter le spectacle il y a huit ans. Et puis, est-ce qu'on peut dire non à Médée ? C'est presque injouable, mais le texte d'Anouilh, plus actuel, plus humain, m'a convaincue. La dimension des Dieux peut faire peur, mais dans cette version elle existe beaucoup moins. Du coup, il faudrait être dingue pour refuser. Ou alors fainéant.

Keith : Tu avais une envie particulière de venir jouer au théâtre ? Elodie : Absolument. Pour moi le théâtre est un vrai bonheur. Il y en a que la répétition effraie, je le comprends, mais moi j'adore ça. C'est là que je trouve ma liberté. Être là maintenant et tout de suite. Au cinéma, tu es dépendant de tout, tu ne maîtrises rien. Au théâtre c'est différent. Ça évolue tous les jours, c'est une énergie continue. Je suis complètement incarnée sur scène. Comme en transe ! Le théâtre, c'est un épanouissement complet. Ça te rend à la fois fragile et puissant. Très fragile et très puissant… Keith : Pourtant on ne t'a pas beaucoup vue au théâtre jusque récemment… Elodie : C'est vrai. Mais j'ai mis deux ans à me remettre de ma blessure et ensuite… je n'avais aucun contact. Aucun lien avec le théâtre. Comme j'avais du travail pour la télé ou pour le cinéma, je ne pouvais pas me plaindre. Mais ça me manquait quand même. Un jour un ami m'a emmenée voir L'autre de Florian Zeller. C'était un jeune auteur, une première pièce : ça nous a intrigués et on a aimé. En prenant un verre juste après la pièce, on le croise, on échange trois, quatre mots et quelques mois plus tard

“Médée ? Il faudrait être dingue pour refuser. Ou alors fainéant.”

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photos : Pascal Gely

Keith : Comment a commencé cette aventure Médée ? Elodie : Tu veux le vrai début ? Ça remonte loin je te préviens… Quand je suis sortie du conservatoire du Xe, il y a huit ans, j'ai tout de suite été engagée sur une pièce. C'était une mise en scène de Gildas Bourdet et l'assistant metteur en scène s'appelait Ladislas Chollat. C'était, évidemment, mon premier engagement. Mais j'ai eu un grave accident et j'ai dû quitter la distribution… Quand il m'a raccompagnée à la gare, Ladislas m'a dit : “Quand je serai metteur en scène, je te ferai jouer”. Je l'ai pris plus comme une gentillesse, comme une parole réconfortante, que comme une promesse, mais Ladislas est quelqu'un de très fidèle. Les années suivantes, on s'est suivis de loin et il y a deux ans il m'a appelée. J'étais sur un tournage, entre deux prises, et il m'a expliqué qu'il avait en projet de monter Médée d'Anouilh mais avec une héroïne jeune. Son idée c'est que Médée fait tout ça par passion. Et il a fini en me disant : “Est-ce que tu veux venir avec moi à Beauvais ?”


il me rappelle pour me proposer de faire la tournée. A partir de là tout a commencé. Ladislas me rappelle, l'assistante de Michel Fagadau entend parler de moi et je passe des essais pour jouer le rôle d'une journaliste allemande. Comme je suis d'origine autrichienne j'ai fait la lecture avec l'accent et j'ai été prise. Pendant trois mois j'ai joué En toute confiance aux côtés de Barbara Shultz. Keith : Avec Médée tu as pris une nouvelle dimension en tant qu'actrice. Tu le sens ? Tu l'expliques ? Elodie : En tout cas c'est un rôle en déconnexion totale avec la réalité. C'est pour ça que le travail de répétitions et la confiance que j'avais dans Ladislas étaient importants. J'ai cassé plein de barrières. Je n'ai pas eu peur d'aller loin dans le lâcher-prise. Enfin, j'ai appris à ne pas avoir peur. A un moment de la pièce, Médée fait une incantation extrêmement puissante… Ça ne peut marcher que si je suis complètement dedans. La perte des repères c'est ce qui a été le plus dur à trouver. Il a fallu abandonner la réflexion pour accepter la sauvagerie. Mais pour revenir à la question, oui, je pense que j'ai grandi en tant qu'actrice. J'ai pris confiance. Parce que si je ne crois pas à ce que je fais, les autres n'y croiront pas non plus. Mais après, je ne sais pas si j'arriverai à retrouver cette assurance, cette dimension comme tu dis, sur mes autres projets. J'espère, mais je ne sais pas. Keith : Pourtant, si tu l'as eu sur celui-là, tu sais que c'est en toi, non ? Elodie : Je reste convaincue que c'est le support qui te porte. Le texte. La dimension, je la dois au rôle. Et au metteur en scène. Il se sent invincible, en tout cas il a l'air, et donc je me sens protégée. Mais par contre, ce qui a changé, c'est que si on me propose de gros trucs, des personnages importants, je sais qu'aujourd'hui je pourrais dire oui. Keith : Justement, est-ce qu'on te propose plus de projets maintenant ? Est-ce que tu as gagné ta crédibilité d'actrice de théâtre ? Elodie : C'est plus facile en tout cas. Je fais des lectures, les gens entendent parler de moi, ils savent que j'existe et que je fais du théâtre. Là, par exemple, je vais partir à Limoux créer Madame Bauman, la nouvelle comédie de Sébastien Thierry, l'auteur de Cochon d'Inde. On verra ce que ça donne après, si on est repris dans un théâtre, si je suis toujours dedans… Mais je suis contente de le faire. Et puis je continue à faire d'autres choses quand même. Le 24 juin je serai à l'affiche de No Pasaran, le film d'Emmanuel Caussé et Eric Martin. Dans cette histoire sur un village des Pyrénées qui se bat pour empêcher qu'une autoroute ne passe au milieu, je joue une peintre New Yorkaise… Propos recueillis par Nicolas Roux. *Médée, de Jean Anouilh, mise en scène de Ladislas Chollat, avec Elodie Navarre, Gildas Bourdet, Sylviane Goudal, Benjamin Boyer, Grégory Vouland et Gilian Petrovski. Au Vingtième théâtre à 21h30 jusqu'au 14 juin. Réservation : 01 43 66 01 13


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Télé Nostalgie

Les années 1970 ont connu leur retour en grâce. Voici venu le temps des années 1950/1960. La Fiat 500 et la Morris Mini Minor refont leur apparition, redessinées et modernisées ; les petites merveilles, postes de radio et de télévision, créées par Sapper et Zanuso pour Brion Vega envahissent les concept-stores, tandis que la Teleavia de Roger Tallon s'endort dans les vitrines des musées branchés. Petit coup de rétroviseur en forme d'éphéméride. Les années 1950/1960 certes, mais d'abord les années 1930.

En 1934 alors que les brigades hitlériennes organisent “la nuit des longs couteaux”, Ferdinand Porsche met la main aux premières études d'une petite voiture économique. Le projet va séduire Hitler qui décide d'en faire “la voiture du peuple” (Volkswagen). En 1935, aux Etats-Unis, un certain Adolph Rickenbacker crée la première guitare électrique (la préférée de John Lenon) et en France, André Citroën fait réaliser le premier prototype de la 2 CV. En 1936, Charles Chaplin livre Les Temps Modernes et l'année suivante les jeunes femmes gainent leurs jambes des premiers bas nylon… 1938 : Ferdinand Porsche livre enfin sa Volkswagen qu'on appellera, ici, la Coccinelle. C'est la voiture qui sera la plus vendue dans le monde, dépassant même la Ford T en 1972, avec 21.529.464 exemplaires ! Puis, on en arrête la production. Mais en 2003, la voilà qui revient, recapotée, remotorisée et baptisée Beetle.

Drôles et riches années 1950 qui voient ouvrir le premier McDonald's à Des Plaines (Illinois), le premier Disneyland à Los Angeles (Californie) et apparaître la DS en France (tous les trois en 1955) ; se dérouler le premier concert d'Elvis Presley dans le Ed Sullivan Show et s'ouvrir la première boutique Mary Quant à Londres (les deux en 1956). 1957 : Les Beatles débutent à The Cavern à Liverpool, Jacques Tati signe Mon Oncle, un manifeste hilarant à la modernité, et les Soviétiques expédient leur premier Spoutnik dans l'espace. Sur les routes, c'est la Fiat 500, conçue par Dante Giacosa (il obtiendra le Compasso d'Oro, le Nobel du design, l'année suivante), qui taille la sienne. Puis elle disparaît, même si vendue d'occasion elle atteint des prix “collector”. Et puis, en 2007, pour fêter ses 50 ans la voilà qui réapparaît, recapotée et remotorisée comme il se doit. 1959 : Bien sûr, le 1er janvier, Fidel Castro prend le pouvoir à Cuba tandis que Mattel met sur le marché la première poupée Barbie et que les écrans français s'illuminent des chefs d'œuvre de la Nouvelle Vague (A bout de souffle de Jean-Luc Godard, Les 400 coups de François Truffaut, Hiroshima mon amour de Alain Resnais). A Londres, le designer Alec Issigonis (qui sera par la suite anobli pour ce coup d'éclat) met au point la Morris Mini Minor qui passera à la postérité sous le nom d'Austin Cooper. Enorme succès, puis ralentissement, disparition, réservée aux collectionneurs. Jusqu'à ce que BMW rachète BMC (British Motor Corporation) et remette l'Austin Mini sur le marché en 2001, elle aussi redessinée et remotorisée…

Les années télé

Viennent alors les années 1960, les années télé (c'est sans doute la coupe du monde Football 1958 en Suède qui a donné le vrai coup d'envoi à la consommation télévisuelle. La France qui finit troisième n'a, alors, qu'une seule chaîne, en noir et blanc). A l'époque, on cache les téléviseurs dans des meubles à portes, lourds et ouvragés, comme si l'on avait honte de posséder un écran. 1963 : Coup de génie, le designer français Roger Tallon crée pour Téléavia un récepteur plein écran d'un noir hiératique, qui ne se cache plus et qui annonce avec éclat la modernité à venir. Dépassé technologiquement et en taille, il n'est plus produit depuis longtemps, mais figure en bonne place dans les collections design de tous les musées d'art moderne et contemporain du monde. Deux ans plus tôt, Iouri Gagarine avait fait connaissance avec l'espace et Sean McBride avait fondé Amnesty International, tandis qu'Andy Warhol préparait sa première série de soupes Campbell… 1964 : A Milan, deux designers, Richard Sapper et Marco Zanuso créent pour Brion Vega un curieux petit poste de radio en deux parties reliées par une charnière, aux formes arrondies et ludiques, aux couleurs éclatantes et provocatrices. Le T502 est né qui va faire courir la branchitude du monde entier, qui déjà s'arrache les mini-jupes de Mary Quant et les premiers vinyles des Doors et du Velvet Underground. En attendant de lire, en 1967, La société du spectacle de Guy Debord et d'admirer, en 1968, le 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, entre deux barricades… 1969 : Tandis que Denis Hopper et Peter Fonda continuent de tailler la route sur leurs choppers dans Easy Rider, la NASA expédie son premier LEM sur la lune et l'homme y fait ses premiers pas. En France, on procède aux vols d'essai du Concorde et à Milan, Sapper et Zanuso rééditent leur coup d'éclat en créant, toujours pour Brion Vega, le téléviseur Algol qui reprend les codes (formes-couleurs-matières) du T502, inclinant l'écran vers le haut pour un meilleur confort visuel. Portables, transportables, le T502 et l'Algol ont fait les beaux jours des intérieurs design avant de laisser la place à d'autres. Mais le T502 dans son jus d'origine et l'Algol réadapté par Valerio Cometti, continuent leur vie dans les boutiques de pointe comme Colette. A l'heure où les écrans plats grand format cèdent toute la place à l'image, les petits chefs d'œuvre de Tallon d'une part et de Sapper et Zanuso d'autre part, entretiennent une nostalgie de bon aloi. Edouard Michel

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illustration : Julien Blanchet julien@rezo-zero.com



mode Photos : Lisa Roze Assistant photographe : Anthony Dorfmann Make-up : Audrey Gautier Hair : Frédéric Barat Stylisme : Olivia Bidou

Conte d'Efira

Virginie Efira est surprenante… Comment la blonde bien gaulée des prime time d'M6 s'est-elle transformée en héroïne de contes de fées, sous l'objectif tendre et poétique de Lisa Roze ? Mais, attendez, la bonne question ne serait-elle pas plutôt : comment la télévision a-t-elle pu ne pas nous montrer, des années durant, l'actrice aux étonnantes ressources de mystère et d'émotion qui trépignait derrière son micro de présentatrice tout sourire ? Au théâtre (en catin perspicace dans Nathalie), au cinéma (dans Les Siffleurs, adapté du roman de Laurent Chalumeau), dans la vie… La Belge blonde se révèle profonde, drôle, rêveuse et… fatiguée ! Bref, une vraie fille en trois dimensions, échappée de la petite boîte, qui conquiert le monde à coups de talent, tout en continuant de faire rêver les garçons avec ses jambes aérodynamiques. Place à une star renouvelée ! Clémentine Goldszal.

Robe longue, col en organza plissé (Alexis Mabille) Chapeau haut-de-forme noir (Sonia Rykiel) Bibi "chapeau" plumes noires et blanches (Misa Haiada au Bon marché) Ombrelle (stylist own)

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Conte d’Efira

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Robe beige plastron brodé en dentelle et plumes, bas évasé dentelle bleue (Josep Font Couture) Bottines lacées en cuir gris (Minna Parikka) Serre-tête étoile en satin noir (Ivana Helsinki) Serre-tête (Deepa Gurnani au Bon Marché)


Conte d’Efira Robe en voile de dentelle chair épaules jaunes (Josep Font Couture) Serre-tête nœud (Calla au Bon Marché)

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Conte d’Efira

Robe rayée noir et blanc, col nœuds en satin de soie (Xuan Thu Nguyen Couture) Escarpins en cuir vernis marine, nœud strass (Minna Parikka) Serre-tête lapin et voilette en dentelle noire (Maison Michel) Collier strass multi-pendentifs porté en ceinture (Sonia Rykiel)

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Pull en coton point fourrure rayures strassées or et noir (Sonia Rykiel) Jupe rayée en taffetas or et noir (Vivienne Westwood) Escarpins en daim noir, côté "ailes" en cuir irisé crème (Minna Parikka) Chapeau haut-de-forme en paille (Anthony Peto)


Conte d’Efira Robe en voile de dentelle chair épaules jaunes (Josep Font Couture) Serre-tête nœud (Calla au Bon Marché)

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profession

Clap your hands

say YEAH !

Mains dans les poches, la mine détendue et le visage familier, Fred assure exclusivement toutes les premières parties du show PPDA et consorts, ainsi que celles d'Iggy Pop, de Anthony & the Johnsons et autres bands industriels occupant le plateau de La Musicale et de L'album de la semaine. Canal +, c'est un peu sa deuxième maison, après le sud ouest. Fred aussi tien un magazine gratuit, une entreprise familiale, histoire de ne pas rouiller et d'être partout à la fois... Mais avant ça, il chauffe, il fout l'ambiance. A Paris, on a surtout l'habitude de voir les chauffeurs conduire des taxis qui sentent le cuir gelé par la clim et la menthe de synthèse ; ce chauffeur-là pilote la machine Canal + et briefe son public intimidé par les grosses cameras, sur fond d'autodérision pour toujours plus de bonne humeur.

Keith : Comment considères-tu ton métier ? Fred : Ça dépend pour qui tu le fais ! Très honnêtement, ici c'est génial, c'est pas TF1 ! Canal +, c'est un réel plaisir, les gens prennent en compte l'impact que je peux avoir sur une émission et ils ne me demandent pas de prendre le public comme du bétail, ça facilite le contact et l'interactivité.

photos : Laure Bernard

Keith : D'après toi, depuis quand existe ce métier ? Fred : Alors pour moi, ça vient des clappeurs, à l'époque de Nulle part ailleurs ! Les mecs ne parlaient pas au public, mais ils lançaient des applaudissements en plein milieu de l'émission. Y'avait Bouli qui faisait ça, tu sais, la légende ! Bref, je crois qu'en tout on est vingt en France, et j'en connais... deux ! Keith : Tu connais le parcours de Jose Garcia ? Fred : Oui, tout le monde m'en parle! Il a commencé comme chauffeur de salle, il s'est fait repérer par de Caunes, et hop! Ça ne me fait pas du tout rêver! J'adore ce mec, hein, mais je ne suis pas du tout dans l'attente de me faire pister! Ma vie me plait, c'est cool comme ça. Keith : Tu en connais d'autres comme lui ? Fred : (Il sourit) Bruno Solo ! Mais il ne faut pas qu'on en parle... Enfin si, il faut qu'on en parle ! J'ai perdu un taff à cause de lui ! Quand je bossais chez Rire & Chansons, j'avais un rôle hardcore, style le méchant de la bande, tu vois ?! Je ne suis pas méchant, hein, mais c'était mon rôle... Bref, j'écrivais des papiers genre billet d'humeur, taillage sévère, et le jingle c'était “du rire et du rock”. Un matin, après le Morning, on envoyait Les Fous d'Info, là où on balançait nos conneries, et j'étais en train de finir mon papier quand j'entends Le Roi Soleil ! Du coup j'ai défoncé le programmateur, le directeur d'antenne, en mode clash, mais marrant quoi, enfin c'est ce que je pensais! Ce que je ne savais pas, c'est que Le Roi Soleil était une production entière du groupe NRJ, auquel appartient Rire & Chanson... Du coup je me suis fait arracher la gueule, évidemment ! Deux semaines après, j'écris un autre papier sur la BD Camera Café que Bruno Solo venait de faire. Bon, j'avoue, j'ai taillé un peu

maladroitement, mais elle ne valait pas le coup cette BD, elle était bidon! Et puis... Solo écoutait, et il connaissait bien le boss... Du jour au lendemain j'ai été interdit d'écriture. J'ai été ultra rageux ! Mais ça c'est arrangé. Keith : Tu ne crois pas que chauffer une salle, c'est un peu tricher ? Dans le sens où tu fabriques une ambiance surfaite... Fred : Ouais, y'a une arnaque, bien sûr. Mai j'en pense du bien. Ce qui semble une arnaque, c'est le type qui t'influence pour planter le décor. Mais je ne force pas les gens à rire, ça pour le coup c'est moche, et ça fait péter un câble au public. Tu sais, Canal, c'est pas C'est mon choix. Ici, c'est le prestige, Les Guignols, La Musicale, du coup les gens peuvent être impressionnés, et moi je suis là pour les désinhiber. Je suis un verre de vin quoi ! Je guide un peu le public pour qu'il se sente à l'aise, mais je ne le force pas. Le mec qui va faire son beau devant la camera, je lui déconseille avant, parce que sur le moment il va se sentir puissant, mais quand il va regarder l'émission il risque de se sentir très seul ! Mon rôle est juste d'instaurer une ambiance naturelle, à la cool. Quand il n'y a pas de bruit par K?-76

contre, tu te remets en question ! Keith : Quelle émission tu ne voudrais jamais faire ? Fred : Pour être très honnête... je ne sais pas ! Tu te dis que t'iras jamais sur les grosses machines graisseuses, genre TF1 encore une fois, et en même temps... On a tous besoin d'oseille! Bon je t'avoue que la Star Academy ou Secret Story, je ne le ferais pas. A moins d'un chèque énorme, mais je ne veux pas être indécent ! Quoi que... Ceci dit, j'ai eu des surprises : j'avais la pire flemme quand on m'a demandé d'aller chauffer une émission sur NRJ 12, présentée par... Jean Pascal ! Atroce, les pieds de plomb, tout ça... Au final j'ai passé une très bonne journée. Très pro Jean Pascal... Comme quoi ! Keith : Fais-tu partie de cette génération 100% culture TV ? Fred : Autant j'ai fait énormément de théâtre, autant oui, j'ai bien, bien squatté devant les séries d'AB ! Premiers baisers, les Nuls, Nulle part ailleurs, Patrick Bosso et La grosse émission, j'étais un fou furieux de toutes ces conneries ! Keith : Tes techniques pour faire gueuler le public ?


Fred : Ça doit être lourd pour les habitués, mais je répète les mêmes vannes... Il y a surtout de l'autodérision et le mieux est d'installer un mode de désacralisation de la télé, mains dans les poches, déblocage total ! Le plus dur, c'est pour La Musicale. Quand Iggy Pop est venu jouer son dernier album, les gens étaient bouche bée, et toi t'es là, et il faut que tu hurles si tu veux conserver la chaleur du concert et la patate de l'artiste. Keith : Tu te sens plus chaud devant un gradin de minettes ? Fred : Au début, ouai, carrément. Quand on m'a présenté le boulot pour la première fois, je ne connaissais absolument pas ! Je regarde, et on me dit : “Chauffe le concert de Kool Shen, assure y'aura de la furie !” Un grand kiffe ! Un nombre de minettes mon pote ! Au début, t'es vraiment dans la séduc-

tion, tu fais le beau, méthode mariole attachant... Ensuite tu te rappelles que t'as une femme, donc tu ne fais pas ton salaud et tu changes de méthode ! Keith : L'état de la télé aujourd'hui selon toi ? Fred : J'ai toujours tendance à me foutre de la gueule de toutes les émissions télé, mais c'est vraiment de la vanne. Si tu commences à juger ces émissions pour ce qu'elles sont, tu juges les gens qui les regardent et les gens qui les font. Donc tu ne peux pas te contenter de dire : “C'est de la merde !” Mieux vaut se poser la question : “Et si on leur offrait autre chose de plus évolué ?” Tu te fais moins mal ! Je pense qu'il en faut pour tout le monde. Ça m'est déjà arrivé d'être client du Big Dill, même de La roue de la fortune ! C'est drôle, et puis à 19h, les gens posent le cerveau !

Keith : Tu viendrais chauffer le Stade de France pour le dernier concert de Johnny ? Fred : Faudra me payer cher ! Ceci dit, j'ai déjà chauffé le stade Charlety pendant la coupe du monde 2006. C'était le premier match de la France ! C'était une cata, la Mairie de Paris n'avait pas eu les droits pour retransmettre les commentaires TF1, donc on a fait ça nous-mêmes avec les potes de Rire & Chanson... Quand j'ai pris la chauffe quinze minutes avant le match, c'était cool, je me sentais bien dans mon rôle, mais ensuite ça s'est gâté, à tel point que la Mairie a fait des pieds et des mains pour obtenir les droits ! Dix mille personnes qui voulaient me voler mon micro, je t'avoue que ça m'a fait baliser... Grosse expérience! Non, mais Johnny... il sera mort avant ! Propos recueillis par Charles de Boisseguin


minuscules

petit portrait en minuscules d'un artiste quasi majuscule

après

dix-huit heures

hell ! comme disent les anglais, ce grand moment qu'on a passé, quand dans leur studio de fortune orné de portants, de rouleaux de tissus et de robes du soir, julien desselle et raffaele borriello nous ont raconté l'incroyable destin de leur maison “requiem”. l'un est anglais, l'autre italien. c'est l'alliance improbable de la rigueur et de l'excès, de la discrétion et de l'extravagance. mystérieuse alchimie du froid et du chaud, avouent-ils entre deux sourires complices et trois fous rires à peine masqués. les anecdotes se bousculent. un voyage au népal pour faire broder des jupes en fil de fer - “à katmandou, il a fallu dire que raffaele faisait des spectacles pour faire passer les valises de vêtements féminins”… leur premier défilé il y a moins de deux ans “c'était régine à la grande époque, on a dû fermer les portes tellement il y avait de monde”… et cette mémorable charity, à philadelphie, où ils sont invités par une richissime américaine qui reproduit à l'identique leur défilé parisien, le kitch en plus et l'hystérie en bonus… chez “requiem”, on ne prend pas trop au sérieux, on tourne les petits drames en aventures tragi-comiques. chaque image est gravée dans la mémoire des deux stylistes, aussi précieuse qu'un carnet de bal. car c'est bien de bal qu'il s'agit. de cocktail et de fêtes habillées. d'un prêt-àporter si furieusement couture qu'on s'étonne parfois qu'il soit encore accessible. pas de pièce unique, mais toujours ces finitions parfaites, ces matières raffinées, ce caractère dans la coupe, dans les lignes, et ce grain de folie pour plaire aux femmes d'aujourd'hui. une femme libre mais élégante, une femme du soir évidemment, puisqu'en france, tout le monde le sait, “on ne s'habille pas avant dix-huit heures”.

ailes. voler de ses propres ailes. c'est ce défi un peu fou qui les rassemble, il y a cinq ans, lors d'un dîner chez des amis communs. au cours de cette soirée, il leur vient l'étrange impression qu'ils se sont croisés toute leur vie sans jamais se rencontrer. tous deux sont passés chez gucci, l'un à milan, l'autre à florence. raffaele a fait un tour chez rykiel avant de devenir directeur de collection chez saint laurent. et ce soir-là ils se retrouvent sur une envie de liberté. commence alors une folle amitié et l'ébauche d'un projet. si vite réalisé ! ils démissionnent le même jour, passent dix jours à new-york où ils arpentent les allées des grands magasins. et puis se lancent, “dans le vide”, avec pour unique bagage cette confiance mutuelle qui ne les a jamais quittés. et celle de quelques fabricants et fournisseurs qui prennent le risque de les aider sans aucune garantie. on pourrait dire que raffaele crée les vêtements et que julien les vend - ce serait trop simple, tant il s'agit de bout en bout d'une aventure à deux voix. d'un voyage en italie à un périple en asie, d'une série d'images glanées dans un beau livre au souvenir d'un vieux film au parfum d'italie, la première collection surgit presque en même temps que le label “requiem”. pas question de signer “desselle & borriello” (so “dolce & gabbana” !) - une seule contrainte, que leur marque évoque la même chose dans toutes les langues. il a fallu parfois le justifier, ce nom qui respire l'élégance et la nostalgie, ne serait-ce que dans ses douces sonorités. mais petit à petit, du couloir d'un vieil atelier aux allures de bordel à un appartement parisien loué pour l'occasion, du premier défilé aux premières parutions, requiem se fait un nom et impose son image de la féminité, au fil des saisons.

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requiem par augustin t. / photo laure b.

elle. c'est moins une figure réelle

qu'une icône rêvée, fantasmée, magnifiée. comme un cliché qui traverse le temps, de la femme de l'après-guerre à celle d'aujourd'hui. une femme somptueuse, tragique, tout droit sortie d'un film de visconti, avec de faux airs de sofia loren, anna magnani ou monica vitti. une femme qui évoque un paysage intérieur, comme dans cette collection inspirée d'un voyage en grèce - silhouettes en noir et blanc qui figurent une ombre sur un mur de craie, contraste soudain ravivé par un éclat de jaune aux allures de soleil. une femme éternelle, en somme, qu'ils ne cessent de réinventer à la lumière de celles d'aujourd'hui. jusque dans l'approche du tissu, on trouve cette fascination pour le passé. ainsi du gazar de soie, cette matière des années quarante dont la texture et le volume leur permet de fixer le vêtement, imaginé comme une sculpture. mais ici et là, un coton de soie, un jersey ou un stretch pour allier non sans panache tradition et modernité. une élégance sophistiquée qui n'est pas sans rappeler les beaux jours de lanvin, ou la griffe valentino, en un peu plus nouveau - bref, un esprit couture que l'on porte tous les jours. mais qu'on ne s'y trompe pas ! moins de quatre ans après sa création, si la femme “requiem” a déjà conquis les états-unis, le moyen-orient ou la russie, c'est d'abord pour la qualité de son vêtement : tissu italien, confection française, et précision du détail fait main. à long terme, julien et raffaele aimeraient inventer l'homme avec lequel elle sort. à court terme, la couvrir d'accessoires et de bijoux, de la tête au pied. tiens, une ligne de chaussures - qu'ils ne fabriquent pas encore sauf pour le temps d'un défilé. on s'arrache déjà leurs talons démesurés, vous vous en serez douté.

requiem, http://www.maisonrequiem.com montaigne market à paris - 57, avenue montaigne



Keith Story

Il a le chic pour tirer le portrait de notre époque en toc avec humour et subtilité. De son premier roman Vu (le dilettante) à son dernier recueil de nouvelles Combien de fois je t’aime (J’ai lu), Serge Joncour s’est imposé comme un très grand. Pour Keith, il a écrit cette formidable nouvelle inédite, une drôle d'histoire de télévision, aussi collante qu'une fille qu'on n'arrive pas à larguer...

Arrêter

par Serge Joncour.

d'arrêter

Ce matin-là, mine de rien, je me propulsais vers tout un autre schéma de civilisation : le monde de ceux qui ne regardent plus la télévision. C'était pas moins que le premier saut métaphysique que je faisais dans ma vie, ma première révolution culturelle. Libre enfin ! Du coup à neuf heures j'en étais là, à vouloir tout bêtement déposer ma bonne vieille télé sur le trottoir, ma Thomson vintage du siècle avant, le vieux modèle à tube qui depuis quinze ans me remplissait loyalement le cerveau, cette fidèle alliée qui dans le fond ne m'avait jamais fait faux bond, celle avec qui j'avais tout de même gagné une coupe de Monde et vécu pas mal d'autres choses aussi. Ça crée des liens. Mais bon, en télé comme en tout, il faut savoir s'arrêter, c'est l'époque qui veut ça. L'alcool il y a deux ans, la clope il y a six mois, le sucre et le beurre bien avant ça, à croire que grandir c'est savoir s'arrêter, et la télé c'était pour aujourd'hui… Alors je posais délicatement ma bonne vieille copine au pied d'une poubelle de ville, le genre manche à air verticale, sans l'once d'un regret. Mais c'est là que d'un coup j'ai senti une présence dans mon dos, quelque chose de pesant comme un reproche. En me retournant je tombais sur un globe aveugle juste dans l'axe, une caméra de surveillance juchée sur un bizarre poteau, et qui me fixait obstinément. Je sentais dans son regard l'intention malade de me culpabiliser, toute prête déjà à me dénoncer. C'est terrible de se sentir dans le collimateur de ce foutu cyclope, c'est comme d'être tenu en joue par un tireur cynique dont on ne perçoit rien des intentions. Comme je l'avais lu sur un site de révolutionnaires, quand on se fait surprendre par une caméra de surveillance il faut sourire, le plus possible, pour se déformer les traits, au point de devenir méconnaissable ! Le sourire c'est l'arme ultime des émeutiers. De l'autre côté du viseur j'imaginais une poignée d'agents de sécurité en train d'analyser mon comportement, je me voyais m'afficher en simultané sur le mur d'écrans d'une salle de contrôle préfectorale, avec des types sur le point d'intervenir, des flics prêts à me cueillir, à me dresser un procès verbal, voire même à m'embarquer au motif que je polluais très objectivement ma planète… En un sens c'était irréfutable, du flagrant délit pur. Civiquement je ne pouvais pas faire ça, d'autant que j'ai moimême signé tellement de pétitions, j'ai contribué à tant de suppliques contre les antennes relais ou les centrales nucléaires, contre les pollueurs industriels et les pétroliers, les jeteurs de piles et autres grands délinquants… Je relevai la télé en balançant un sourire total à la caméra. Je les imaginais dans leur salle de contrôle, décortiquant mon comportement. J'étais en nage. Elle fait dans les vingt kilos la Thomson. En même temps je me voyais mal appeler les encombrants et attendre sur place qu'ils fassent le détour avec leur benne ridicule. Je me voyais encore moins faire demi tour et remonter ma charge, quatre étages sans ascenseur, ce serait invalider ma décision ontologique… Vis-à-vis de moi je ne le pouvais pas. Je m'étais volontairement dégagé la matinée pour aller chez le dentiste, m'occuper un peu de ma santé, mon premier rendezvous professionnel était un déjeuner à 13 heures à la Grande Cascade. J'avais le temps de voir. Histoire de souffler un peu, j'eus l'idée de nous payer un petit café à ma télé et à moi. Tous les matins je m'arrête au troquet à l'angle. En temps normal je me mets au bar le temps d'avaler un express serré tout en feuilletant le journal, mais comme pour une fois je n'étais pas seul, histoire de marquer le coup, on se mit en terrasse ma télé et moi. Je l'installais délicatement sur la chaise en face, comme on le ferait de n'importe qui. Elle avait un peu cet air abattu de ces chiens qu'on vient d'attacher à un arbre avant de partir en vacances. Si c'est pas malheureux de voir ça. Dans le fond quand j'y pense, elle m'en aura fait voir, elle et moi on en aura élu des majorités, des maires, des députés, des présidents, on aura même fait deux guerres d'Irak, sans parler de toutes ces soirées qu'elle m'aura sauvées, quand par paresse je me raccrochais à elle plutôt que de sortir ou de relire Joyce pour la première fois.

Le patron du bistro qui me connaît depuis le temps, me lança sans l'once d'une ironie ; tout va bien ce matin ! Oui. Tout allait bien. Même si franchement je ne me voyais pas traverser Paris et faire ma journée avec ce machin-là sur les bras. Sans conviction j'essayais de négocier la garde de mon téléviseur avec le serveur. Il me jura que c'était pas possible. L'après midi à la rigueur, ou le soir, mais pas pour l'heure de déjeuner, il n'était pas question de réquisitionner une table pour une télé qui en prime ne consommerait même pas. Par compassion sans doute la maison m'offrit le café. En sortant du bistro l'idée m'a bien traversé l'esprit de la flanquer là, le long de l'avenue, à première vue il n'y avait pas de caméra, pas d'agent, mais j'en étais incapable, comme si en moi une caméra de surveillance ne voyait que moi. Par chance je réside près d'une station de métro à escalator. C'est à ce genre de petits détails qu'on se dit que le monde est bien fait. Evidemment une fois dans la rame bondée je gênais pas mal. Une jeune blonde me céda gracieusement sa place. Dans un métro, un homme avec une télé a valeur de femme enceinte. Après tout, plutôt que de continuer à me compliquer l'existence, qu'est-ce qui m'empêchait de descendre, ni vu ni connu, et de la planter là, de la laisser continuer jusqu'à Nation par Porte Dauphine ? Mine de rien je me débinais seul du wagon, le cœur lourd mais le corps léger. - M'ssieur, m'ssieur… Vous oubliez votre télé. On dira ce qu'on voudra des Parisiens, mais dans le fond ils sont civiques. J'étais à peine descendu que déjà deux braves types me tendirent précieusement mon électroménager comme un môme oublié. - Où avais-je la tête ! De part et d'autre du quai, je voyais au moins trois caméras qui ne regardaient que moi, depuis ce matin je le sentais bien, on m'avait à l'œil, d'ailleurs je me vis moi-même à l'image, sur l'écran tout au bout, ça faisait drôle, mais c'était bien moi, avec ma télé dans les bras. J'en étais à souhaiter qu'un pickpocket me la fauche. Mais rien. Au moment de rentrer chez le dentiste son assistante sursauta. - Ah non, vous n'allez pas vous y mettre vous aussi ? - Pardon. - Comment vous dire, je sais que les temps son durs, mais le docteur Benetto n'accepte que les chèques ou les espèces, aucun versement en nature… - Mais il n'est pas question de ça. - J'aime autant vous le dire parce qu'en ce moment ça n'arrête pas. Je vous fais patienter en salle d'attente ? Au moins ça m'occupait l'esprit d'être là avec ma télé. En général on a toujours un fond d'angoisse quand on attend chez le dentiste, alors que là, ce qui me préoccupait le plus c'était elle. Pas moi. Par chance le docteur Benetto est définitivement myope, de près ça va à peu près, mais de loin il n'y voit plus rien. En entrant dans son cabinet il fut enchanté que je vienne accompagné de ma femme, il la pria de s'asseoir avant de s'occuper de moi. Il se penchait tellement sur ma molaire M3 qu'à un moment, j'entendais sa voix qui me parlait depuis l'intérieur même de ma boîte crânienne. - Vous préférez de la résine ou un plombage ? Cette manie qu'on les dentistes de vous poser des questions tout en vous immobilisant la mâchoire. - Ahrg. Quand il en eut fini avec ma molaire il me demanda gravement. - et pour votre dame, vous voulez qu'on lui fasse une petite radio ? - C'est pas ma femme, c'est ma télé. - Autant pour moi. Excusez-moi madame. J'arrivais à mon déjeuner en nage. Au vestiaire de ce restaurant prestigieux où pourtant le client est roi, ils refusèrent de prendre

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ki Gen

illustration/photo designjune

la Thomson au vestiaire, par peur de l'attentat. Mon patron était déjà à table avec notre nouvel client, le président de Risky Airlines, une compagnie low cost constituée d'une flotte de vieux Tupolev, et pour laquelle on prévoyait de faire une campagne de pub bien méritée. En me voyant arriver mon patron devint blême, il se leva de table pour venir vers moi tout en me ramenant vers le hall. - Mais enfin qu'est-ce que vous foutez avec ça. - Je vais vous expliquer. - Virez-moi ça dehors ! - Mais justement je ne peux pas. - C'est pour suivre Roland-Garros c'est ça ? - Quoi ? - Mon pauvre, vous êtes complètement accroc. - Mais non, c'est juste que… - Décidemment, je découvre votre vraie nature. Moi vivant, jamais un repas d'affaires ne se fera devant la télé vous m'entendez, jamais ! Déjà que mes parents m'ont pourri toutes mes soirées d'enfance à cause de ça… Choisissez, si vous ne la virez pas sur le champ, c'est

vous que je vire vous m'entendez ! Je ne pouvais pas. Humainement je ne pouvais pas. Du coup je suis rentré plus tôt que prévu à la maison. Complètement lessivé. Mais on les aura remonté les quatre étages. Et c'est comme ça qu'en fin de compte, j'aurai arrêté de travailler bien avant d'arrêter de regarder la télé.


où nous trouver

07/

Colette. 213, rue Saint Honoré / Le Fumoir. 6, rue de l'Amiral Coligny / Aimecube. 7 rue Vauvilliers / Le Paris Paris. 5, avenue de l'Opéra / Joe Allen. 30, rue Lescot

Mucha Café. 227, boulevard SaintGermain / 7L Librairie. 7, rue de Lille / Basile. 34, rue de Grenelle / Café le Saint-Germain. 62, rue du Bac / Le Bizuth. 202, boulevard Saint-Germain

Lézard Café. 32, rue Etienne Marcel / Kiliwatch. 64, rue Tiquetonne / Café Etienne Marcel. 64, rue Tiquetonne / Royal Cheese. 24, rue Tiquetonne / Le Pin Up. 13, rue Tiquetonne / Haya. 102, rue Montmartre / WESC. 13, rue Tiquetonne / Rzostore. 4, rue Tiquetonne / Social Club. 142, rue Montmartre

Lina's. 61, rue Pierre Charron / Buddha Bar. 8 rue Boissy-d'Anglas / Le Paris London. 16 place de la Madeleine / Le Mini Palais. 3, avenue Winston Churchill

02/

03/

La B.A.N.K. 42, rue Volta / Galerie Eva Hober. 16, rue Saint-Claude / Galerie Chez Valentin. 9, rue Saint-Gilles / Café Baci. 36, rue de Turenne / Galerie Polaris. 5, rue Saint-Claude / La Perle. 78, rue Vieille du Temple / Dolls. 56, rue Saintonge / Kulte. 76, rue Vieille du Temple / Galerie Sutton Lane. 6, rue de Braque / Le Bouclard. 15, rue Charlot / Galerie Baumet Sultana. 20, rue SaintClaude / Surface2Air. 129, rue de Turenne / Merci. 111, boulevard Beaumarchais

04/

Café des Phares. 7, place de la Bastille / Noir Kennedy. 12, rue du Roi de Sicile / Amnésia. 42, rue Vieille du Temple / L'Etoile Manquante. 34, rue Vieille du Temple / La Chaise au Plafond. 10, rue de Trésor / Féria Café. 4, rue Bourg Tibourg / L'Etincelle. 42 bis, rue de Rivoli / Lizard Lounge. 18, rue du Bourg Tibourg / Calourette. 23, rue du Bourg Tibourg / Quaterback. 21, rue Vieille du Temple / Les Marronniers. 18, rue des Archives / Art Génération. 67, rue de la Verrerie / Le Drapeau. 10, rue du Temple / Open Café. 17, rue des Archives / Comptoir des Archives. 41, rue des Archives / Le Chinon III. 56, rue des Archives / Le Cox. 15, rue des Archives / Moto 777. 52, rue du roi de Sicile

05/

Café Delmas. 2, place de la Contrescarpe / Café Léa. 5, rue Claude Bernard / Aux Délices d'Agathe. 42, rue Broca / Le Contrescarpe. 57, rue Lacépède / Music Guest, 19, rue Monge

06/

La Hune Librairie. 170, boulevard SaintGermain / Les Deux Magots. 6 place Saint-Germain des Prés / Lipp. 151, boulevard Saint-Germain / Le Vavin. 18 rue Vavin / Le Select. 99, boulevard du Montparnasse / L'Atelier. 95, boulevard du Montparnasse / Café Jade. 10, rue de Buci / Les Etages. 5, rue de Buci / Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon / O'Prince. 52, rue Monsieur Le Prince / Lucernaire. 53, rue Notre Dame des Champs / Le Chartreux. 8, rue des Chartreux / Café de la Mairie. 8, place Saint-Sulpice / Coffee Parisien. 4, rue Princesse / La Palette. 43, rue de Seine / Café des Beaux Arts. 7, quai Malaquais / Galerie Kamel Mennour. 47, rue SaintAndré des arts / Lina's. 13, rue de Médicis / Bar de la Croix-Rouge. 2, place Michel Debré / Le café de Flore. 172, boulevard Saint Germain / La marine. 59, boulevard du Montparnasse / Kulte. 40, rue du Dragon

08/ 09/

Librairie l'Atelier. 59, rue des Martyrs / Wochdom. 72, rue Condorcet / La Galerie des Galeries. 40, boulevard Haussmann / L'Hôtel Amour. 8, rue de Navarin / Lazy Dog Citadium. 50, rue Caumartin

10/

Le Point Ephémère. 200, quai de Valmy / Poêle Deux Carottes. 177, quai de Valmy / Le Chaland. 163, quai de Valmy / La Tipica. 4, rue Eugène Varlin / Artazar. 83, quai de Valmy / Chez Prune. 36, Rue Beaurepaire

11/

Lazy Dog. 2, passage Thiéré / Café Fusain. 50, avenue Parmentier / Favela Chic. 18, rue du Fbg du Temple / Café Justine. 96, rue Oberkampf / Café Charbon (Nouveau Casino). 109, rue Oberkampf / La Marquise. 74, rue JeanPierre Timbaud / Au Chat Noir. 76, rue Jean-Pierre Timbaud / Le Bastille. Place de la Bastille / L'An Vert du Décor. 32, rue de la Roquette / Pause Café. 41, rue de Charonne / M. and W. Shift. 30, rue de Charonne / Bataclan. 50, boulevard Voltaire / Les Disquaires. 6, Rue des Taillandiers / Auguste. 10, rue St Sabin / Paris Avenue. 10, rue Paul Bert / Unico. 15,rue Paul Bert

18/

Galerie W. 44, rue Lepic / Le Floors. 100, rue Myrha / Galerie Chappe. 4, rue André Barsacq / Karambole Café. 10, rue Hegesippe Moreau / La Fourmi. 74, due Martyrs / La Famille. 41, rue des TroisFrères

20/

La maroquinerie. 23, rue Boyer / La Flèche d’Or (RIP). 102 bis, rue de Bagnolet

Ecoles/

Chambre Syndicale de la Haute Couture. 45, rue Saint Roch. 75001 / ECV. 1, rue du Dahomey. 75011 / Ecole Camondo. Les Arts Décoratifs. 266, boulevard Raspail. 75014 / ESRA. 198, rue Lourmel et 135, avenue Felix Faure 75015 / Ecole Architecture Paris Belleville. 78, rue Rebeval / Ecole Architecture Paris La Vilette. 144, avenue de Flandres. 75020 / EICAR. 50, avenue du Président Wilson. Saint-Denis / EFAP. 61-63, rue Pierre Charon. 75008 / Science Po. 27, rue Saint-Guillaume. 75007 / Strate Collège Designers. 175/205, rue JeanJacques Rousseau. 92130 Issy-lesMoulineaux

Où?

12/

Le Saint Antoine. 186, rue du Fbg Saint Antoine

13/

Les Cailloux. 58, rue des Cinq Diamants / Le Marijan. 20 bis, boulevard Arago

14/

Dalea. 13, boulevard Edgar Quinet / Apollo. 3, place Denfert Rochererau / Zinc D'enfer. 2, rue Boulard / Zango. 58, rue Daguerre / Les Artistes. 60, rue Didot / Café D'enfer. 22, rue Daguerre

16/

Le Tsé. 78, rue d’Auteil / Librairie du Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson K?-82

illustration : julien crouïgneau

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