La ville temporelle, Mémoire de recherche

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Vers une ville de l’espace et du temps. _____________________

Présenté par Julie Cisterne Suivie par Anne Sistel

Membres du Jury : . Catherine Bernié-Boissard, Géographe, Docteur HDR, Professeur des universités . Pascale De Tourdonnet, Architecte, Enseignante à l’ENSAM . Anne Sistel, Architecte, Urbaniste, Docteur en géographie urbaine, Enseignante à l’ENSAM . Pierre Soto, Architecte, Enseignant à l’ENSAM

Mémoire de S9 . Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier . Janvier 2017



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Le temps est une dimension oubliée dans la fabrication spatiale de nos villes européennes. Pourtant, il est un composant essentiel du quotidien urbain. A travers l’étude et la critique des mutations temporelles que la ville et les individus traversent, ce mémoire tend à esquisser la figure d’une ville où l’espace et le temps sont deux ressources à valeur égale.

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Espace Temps Temporalités individuelles Temporalités urbaines Polychronie Malléabilité

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Pourquoi considérer la dimension temporelle dans la fabrication de la ville d’aujourd’hui et de demain ? Avignon centre.



Avant-propos ........................................................................................................................................... 4

1.

Temporalités individuelles : la course contre la montre ........................................................... 10

2.

Temporalités urbaines : les temps changent ............................................................................ 19

3.

Confrontation : des mutations spatio-temporelles ................................................................... 30

1.

Conflits spatiaux ........................................................................................................................ 32

2.

Ségrégations et inégalités spatiales .......................................................................................... 37

3.

Ville inadaptée ? ........................................................................................................................ 42

1.

L’écologie temporelle ................................................................................................................ 46

2.

Aménager l’espace et le temps ................................................................................................. 51

3.

La malléabilité à la clé de la ville temporelle............................................................................. 57

Annexes ................................................................................................................................................. 69 Glossaire ................................................................................................................................................ 76 Bibliographie ......................................................................................................................................... 77



Le mouvement, caractère de l’urbain

Pratiquante quotidienne de la ville, passionnée par son fonctionnement et ses diversités, ce milieu m'intrigue, m'interroge, me fascine… La ville est le lieu du contraste, elle est une matière vivante avec ses émotions, ses intensités, ses relâchements, ses mutations. Une matière façonnée par les flux, les usages, creusée par le temps ou par l’instant. La ville est un maillage complexe, elle nous échappe souvent et nous ne cessons de la remettre en question, sous toutes ses formes. Nous, étudiants, architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, sociologues, décideurs, citoyens… aujourd’hui plus que jamais nous posons la question de ce qu’est la ville, dans toutes ses dimensions. Avec nos propres outils nous l’étudions, l’analysons, la pensons, la fabriquons, la transformons, la pratiquons. Le constat est indéniable : nous sommes entrés dans une aire urbaine. En 2007, la moitié de la population mondiale est urbaine. Et les prospectives sont telles que plus des trois quarts de la population le sera en 2050. Comment penser ce milieu artificiel, ce nouvel habitat qui grouille de vies et de problématiques ? Cette question vaste et complexe s’assimile trop souvent à des réponses spatiales. Penser la ville serait penser l’espace par tel ou tel angle. Certes, mais en observant objectivement l’espace urbain, une multitude d’échelles se superposent, s’articulent, s’emboîtent. Quels sont ces espaces ? Des espaces vécus, traversés, connectés ou marginalisés. La ville est le support d’une multitude d’usages, les citadins se déplacent dans cette grille en trois dimensions, définissant des intensités urbaines plus ou moins fortes. La ville est un réseau dynamique, fabriquée de mouvements, de circulations, de flux, d’interactions, d’échanges. Penser la ville, c’est bien sûr penser l’espace, c’est surtout penser le mouvement, penser cette dimension vécue, ce caractère si particulier de l’urbain. Le mouvement s’inscrit dans l’espace et dans le temps. C’est par ce dernier, oublié, que j’ai voulu aborder la ville. Observer et critiquer la ville par l’angle temporel, c’est ouvrir le champ des possibles et donner une nouvelle dimension transversale à nos regards d’architectes, urbanistes, géographes ou philosophes… Par cette dimension oubliée, qui m’était inconnue, difficile à aborder, difficile à introduire, mais qui m’a tout de suite semblée comme une évidence, si spécifique à la ville. J’ai ainsi débuté mes recherches avec une conviction : penser la ville, c’est penser l’espace et le temps à valeur égale. Et lorsque je me suis penchée sur l’état des lieux, le constat est sans appel « nous aménageons l’espace pour gagner du temps, mais rarement le temps pour gagner de l’espace. »1 Pourtant il semble que l’un soit profondément lié à l’autre. Comment peuton n’en penser qu’un seul ? Quelles sont les conséquences de la séparation conceptuelle de ces dimensions ? Quelles visions, quels dialogues, quelles réponses le focus temps peut-il nous apporter si nous l’intégrons à nos réflexions sur la ville ? Qu’est-ce que le temps a à nous raconter ?

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GWIAZDZINSKI Luc. Horizon 2050 : éclairage raisonné…mais pas forcément raisonnable ! Saint-Etienne, 14 octobre 2016. In : Les Rencards de l’ACEtylène.


Une dimension oubliée

« La ville se dilue dans l’espace et dans le temps » GWIAZDZINSKI Luc

Le temps Comment ne pas se perdre dans cette dimension ? C’est celle que l’on ne voit pas, celle que l’on ne sent pas, que l’on ne cerne pas, que l’on ne connaît pas vraiment. C’est celle que l’on redoute. Pourtant, elle est là, toujours, évidente. Elle nous accompagne à chaque instant, elle nous colle à la peau. Mais qu’est-elle au juste ? Elle serait tout, celle qui passe, celle qui coule, celle qui fuit. Contrôlée ou incontrôlable, parfois longue et pourtant si rapide. Tout le monde sait, c’est simple, ou bien… personne. En fait, c’est quoi ? En observant son omniprésence dans les disciplines, nous comprenons l’ampleur conceptuelle que le temps représente. Fascinant, il est utilisé par chaque discipline, mais toujours appréhendé différemment. Quoiqu’universellement partagé, le temps n’a jusqu’alors reçu aucune approbation unanime quant à sa définition propre. Le concept semble englober les notions de simultanéité, de succession et de durée, ajoutées à cela celles de présent, de passé et d’avenir. Autrement dit, ce même mot se prête à une multitude d’usages facilement contradictoires. Le géographe Luc Gwiazdzinski le précise à chacun de ses ouvrages « Le temps objectivé du physicien n’a rien à voir avec l’approche de l’anthropologue. Le temps du projet du développeur local n’est pas celui, plus poétique, du chef d’orchestre (…) Le rapport au temps de l’économiste n’est pas celui du médecin ou du psychanalyste. »2 Ou bien comme le précise le philosophe Thierry Paquot à chacune de ses conférences sur les temps des villes « Le temps est hétérogène, nous en faisons tous l’expérience. Une minute peut être très longue, comme très courte. »3 Quoi qu’il en soit, le temps est variable dans sa signification comme dans sa perception. L’étude du temps doit faire lieu d’une approche méthodologique pour accorder la transversalité disciplinaire qu’elle engendre. Afin d’accorder nos positions, nous utiliserons cette définition claire et concise : le temps est le « milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession. »4 Nous considérerons également que le temps est quantifiable, inscrit dans une durée. Ainsi plusieurs temps sont indentifiables. Par exemple, nous pouvons parler du temps social, ce temps objectivement pensé par tous les hommes d’une même civilisation. Mais nous ne pouvons rationnaliser ainsi cette dimension sans en mesurer les impacts : le temps est diversifié, c’est en cela sa vertu, c’est en cela qu’il fascine. Nous devons garder en tête le caractère 2

GWIAZDZINSKI Luc (Dir.). La ville 24 heures sur 24 : Regards croisés sur la société en continu. Paris : Rhuthmos, Réed. 2016. 255 p. (Rhytmanalyse) p.12 3

PAQUOT Thierry, Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants. 30 septembre 2014, Dunkerque Halle aux Sucres. 4

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicologie


complexe et varié de ce concept car ces différences fabriquent une diversité à privilégier. C’est cette diversité sur laquelle toutes les sciences sont unanimes, caractère même de la vie, caractère même de la ville. Le temps est resté jusqu’à peu oublié des sciences économiques, humaines et sociales. Oublié ou ignoré, il n’en demeure pourtant pas moins un composant essentiel des sociétés. Dans les années 1990, la notion émerge enfin et s’invite dans le débat urbain. On parle de politiques temporelles, de temps des villes, de temporalités. Le concept de temporalité quant à lui, malgré sa fréquente présence dans les essais, articles ou ouvrages, est pour le moment inexistant dans les dictionnaires spécialisés urbains, géographiques, sociologiques ou architecturaux. En urbanisme, les écrits sur les temps sont rares et les projets concrets presque inexistants. Presque car certains tentent de composer avec cette dimension à leur échelle. Mais aucune initiative interdisciplinaire et transversale incluant la dimension temporelle n’a jusqu’alors été menée. Pourtant, le duo espace et temps forme un couple éternel. C’est la dimension temporelle qui donne vie à la dimension spatiale. Comment parler de l’un sans l’autre ? L’espace L’espace est un réceptacle, il contient du palpable, du visible, du quantifiable. Il est du domaine matériel. Il est beaucoup plus simple d’en parler puisque c’est celui dans lequel nous nous déplaçons, celui que nous projetons, pensons, construisons, modifions, détruisons, préservons… Néanmoins il conserve un caractère mystérieux : il est sous l’influence du temps. Il se transforme et s’inscrit dans un temps donné. George Perec, dans son livre Espèces d’espaces rend compte de cette réalité spatiale : il décrit ce qu’est son rapport à l’espace en articulant les échelles, les dimensions, les sensations. Le dernier chapitre conclut en soulignant cette incertitude : l’espace est instable et n’existe réellement que sous le signe du temps. « J’aimerai qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources. (…) De tels lieux n’existent pas, et c’est par ce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence (…) L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes. »5 L’espace n’est pas une évidence. Concept extrêmement investi dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, les écrits à ce sujet sont innombrables et richement diversifiés. Mais peu sont ceux qui témoignent d’un rapport au temps. Or peu importe les disciplines, ces deux notions sont toujours intimement liées. Isaac Newton définit l’espace comme le cadre à la réalité, immuable, réglé de l’extérieur par une horloge. Ou encore plus flagrant, la théorie d’Einstein qui marque nos perceptions assimile l’espace et le temps comme un tissu dynamique, celui de notre réalité. D’ici, nous retiendrons que « spatialités et temporalités forment un couple insécable. »6 Et la ville ? un espace-temps La ville est caractérisée par le mouvement, c’est lui qui sculpte la matière urbaine. Chaque ville relate d’une pratique spatiale, d’un mode de vie spécifique. Les espaces sont vécus, traversés, connectés ou marginalisés. La ville se transforme, s’adapte aux sociétés, au progrès, aux technologies. Tant que l’homme l’habite, la ville vit, respire, évolue avec lui. Elle concentre un grand nombre d’activités et d’individus et c’est ce qui la caractérise : ces interactions se positionnent dans l’espace de la ville et au sein de temps particuliers. Vécues par chaque individu, elles se complexifient, s’accumulent, se 5

PEREC George. Espèces d'espace. Nouvelle édition. Paris : Galilée, 2000. 181p. (L’espace critique)

p.179 6

. BULEON Pascal. "Spatialités, temporalités, pensée complexe et logique dialectique moderne.". EspacesTemps.net, Travaux, 01.05.2002.


percutent, se contrarient. La ville est un espace-temps intense et spécifique qui traduit une société à un moment donné. Or, « les villes occidentales sont encore pensées et organisées sur un schéma temporel de seize heures sur vingt-quatre et en semaine, basé sur les anciens rythmes industriels et agricoles. »7 Deux temps clairs s’y opposent : le temps de l’activité, diurne, et le temps du repos, nocturne. De nos jours, nous ne pouvons parler de cette dualité temps de l’activité - temps du repos, c’est un phénomène dépassé. Car l’activité a fondamentalement changé de format au même titre que l’économie, les modes de vie, les individus… nos sociétés sont en pleines mutations, et ces phénomènes sont arrivés extrêmement rapidement. Le constat est là : la ville, aujourd’hui plus que jamais, est temporelle. Parfois synchronisées, parfois désynchronisées, les temporalités multiples se superposent dans cet espace contraint. Et dans cette organisation spatiale dépassée, plusieurs temps sont à la marge, oubliés ou ignorés. Pourtant, ces temps existent et sont au même titre, des composantes de l’urbain. Où l’espace prime sur le temps. Nos sociétés occidentales sont ancrées dans « une approche économique de l’espace et du temps. »8 Nous voyons des villes éclatées régies par la mobilité, où chaque citadin tente de maîtriser son espacetemps en « rationnalisant son emploi du temps, » enfermés dans des « systèmes de contraintes diversifiés. »9 Souvent, l’individu subit un mode de vie imposé, incapable d’assurer sa gestion temporelle comme il le souhaite. Depuis les 30 dernières années, les temporalités citadines se voient fondamentalement transformées. Les horaires de travail et d’activités sont variables et il est rare qu’un groupe d’individus dispose de disponibilités communes. Il est fort probable d’observer au sein de ces temps de la ville oubliés, l’émergence de problématiques urbaines contemporaines, notamment sur les questions des conflits d’usage, de vivre ensemble, de densité, de ségrégation et d’exclusion. Les rythmes sont désynchronisés, et les modes de vie de plus en plus individualisés. La réalité est telle que, d’après l’enquête de 2014, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France, 53%10 des salariés, du secteur public au secteur privé, travaillent en horaires atypiques, s’opposant aux horaires standards.11 Aussi, une majorité d’individus travaille en horaires « décalées » en dehors du schéma urbain diurne et nocturne. Le sociologue Jean-Yves Boulin dans son ouvrage La ville à mille temps, analyse ces différentes « villes » qui se « côtoient » et tente d’en mesurer les impacts : « La ville qui travaille côtoie la ville qui s’amuse tandis que celle-ci développe ses activités alors qu’une autre ville dort. Cette danse de la vie fait battre la ville dans de multiples rythmes l’entraînant dans une valse à mille temps, porteuse de libertés nouvelles mais pouvant générer des conflits de temps et de nouveaux types de dysfonctionnements. »12 Aussi, j’ai mené à bien ce mémoire en étant convaincue que ces nouveaux rythmes sont une source d’inspiration intarissable pour transformer la ville et lui redonner ses sonorités, ses cadences, et accorder les multiples cordes qui colorisent son espace.

7

ASCHER François. Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. Les Annales de la Recherche Urbaine, déc. 1997, n°77, p.112-122 p.113 8

Ibid.

9

Ibid.

10 Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France. Le Travail

en horaires atypiques en Ile-de-France. Bref Thématique. Fév. 2014, n°43. 11

5 jours par semaine du lundi au vendredi entre 7 heures et 20 heures, sans travail les jours fériés, et ce de façon régulière.

12

BOULIN Jean Yves (Dir.), AUBRY Martine (Préf.). La ville à mille temps. Tour d’Aigues : l’Aube, 2002. 219p. p.44


Un contraste privé-public Plusieurs services privés, conscients de ces mutations et du marché qu’elles représentent, étirent leurs plages-horaires et mettent en place des services adaptés à leur clientèle, ouvrant ainsi le soir, parfois même la nuit, les dimanches et jours fériés. Aussi, ces services prennent place dans les villes comme des repères temporels, gagnent en intensité d’usage et en pouvoir économique et même parfois politique, se normalisant comme ancrage spatio-temporel. Jusqu’à devenir des composantes culturelles pourtant sans aucune spécificité ou localité. Il est d’ailleurs fréquent de voir l’urbain s’adapter à ces nouveaux centres ville, via l’implantation d’autres services privés sur les axes irrigants. Ce phénomène se voit clairement défini aux États-Unis avec la figure des Hyper-mall. Ce qui est observé dans le domaine privé est bien loin d’être appliqué au domaine public qui s’enclave dans des temporalités dépassées, aussi bien administratives, que celle des services de mobilités ou de la gestion des espaces publics. Nous observons avec récurrence dans les villes une rigidité des horaires et des jours d’ouvertures, de moins en moins adaptés aux besoins des utilisateurs. Une entrée fédératrice pour la ville Aujourd’hui, face à l’éclatement de la ville, les disciplines s’accordent en discours fédérateur : il faut construire la ville sur la ville, par la ville, avec cette matière qu’est l’urbain. Mais qu’est-il de la réalité ? Nous en sommes encore loin. Les territoires s’étendent face à l’urbanisation pour des raisons toujours plus nombreuses. « La permissivité des permis de construire, l’émiettement communale et la faiblesse de l’intercommunalité réduisant la capacité de maîtrise de l’espace urbain, les logiques des investisseurs et promoteurs de produits urbains (centres commerciaux, lotissements, multiplexes…) l’absence de coordination entre les logiques sectorielles qui produisent séparément les réseaux divers, les routes, les implantations commerciales, l’évolution des comportements sociaux qui s’individualisent de plus en plus et recherchent des modes de vie de plus en plus diversifiés, les logiques foncières et financières qui rendent moins coûteuses pour le particulier et le créateur de produits l’implantation hors la ville constituée, l’absence de politique adaptée dans les centres villes aux comportement des usagers…. »13 Et la liste est longue. Ces nombreux obstacles donnent au discours théorique peu de perspectives concrètes. Aussi, la ville continue à s’étendre sur l’espace avec ses dommages collatéraux : par où y rentrer sans passer par ces lugubres espaces industriels ? L’urbanisation est telle qu’en France, c’est la surface d’un département qui disparaît tous les sept ans.14 Pour preuve : nous avons trois à quatre fois moins de densité urbaine que les pays voisins tels que les Pays-Bas. Les bâtiments sont monofonctionnels, comme les quartiers, et sont très gourmands en espace… et en temps. Ces phénomènes interroge le support matériel que constitue l’urbain, dans sa fabrication et sa matérialité. « La ville s’étale sur l’espace et sur le temps. »15 La revue Rhutmos, spécialisée dans l’analyse des différents rythmes sociétaux, affirme que l’on assiste à une véritable explosion des recherches sur la thématique des rythmes dans les sciences, les philosophies et les arts contemporains, à noter que l’urbanisme quant à lui, se voit timidement investir cette dimension. Pourtant, le concept de temporalité en urbanisme est émergent et tend à s’ancrer dans le paysage professionnel urbain. Géographes, sociologues, politiques ou économistes, ils sont plusieurs à avoir pointé du doigt cette dimension oubliée. Champ inconnu, qui entremêle subtilement

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MASBOUNGI Ariella. In: PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.167 14 15

Etalement urbain et artificialisation des sols en France, www.developpement-durable.gouv.fr, 2011

GWIAZDZINSKI Luc. Temps et territoires : les pistes de l'hyperchronie. TERRITOIRES 2040, n°6, DATAR, La Documentation française, 2012, pp.75-97. p.82


les disciplines, où personne ne règne mais où chacun est concerné, la dimension temporelle a tout pour être une entrée fédératrice pour la ville. Problématisation et déroulé du mémoire Au cours de ce mémoire, nous tâcherons d’identifier et de critiquer ces temporalités pour mesurer si elles sont matières à définir des pratiques spatiales spécifiques, des critiques et réflexions adaptées aux citadins et aux mutations spatio-temporelles en cours. Il me semble évident que ces mutations devraient être accompagnées par l’aménagement des villes, articulant les enjeux et les échelles. Nous formulerons ainsi l’hypothèse que ces temporalités urbaines jusqu’alors ignorées, sont, en plus d’être des terrains de projet inexplorés et non maîtrisés, des éléments moteurs qu’il serait pertinent et justifié d’intégrer dans la conception urbaine des espaces. D’où la problématique formulée : Dans le débat urbain contemporain, pourquoi considérer la dimension temporelle dans la fabrication de la ville d’aujourd’hui et de demain ? Nous commencerons par dresser le tableau de ce que sont ces mutations temporelles aujourd’hui à travers les études croisées des temporalités individuelles qui s’opèrent à l’échelle des individus et des temporalités urbaines qui elles s’observent directement dans l’espace public urbain. Par la suite, dans la même démarche, nous tenterons de comprendre dans quelles mesures ces temporalités individuelles et urbaines s’impactent et génèrent les caractères conflictuels ou ségrégatifs de la ville. Puis, nous poserons la question d’un urbanisme spatio-temporel, et tenterons d’en dégager les potentiels pistes et outils. Au cours de cet exercice, nous nous attacherons à mettre en dialogue les regards de géographes, sociologues, philosophes, urbanistes, économistes et politiques afin d’obtenir un positionnement élargi et averti. Deux auteurs phares articulent les propos et donnent le tempo aux réflexions. . Luc Gwiazdzinski, géographe chercheur et enseignant, actuellement directeur de l’Institut de Géographie Alpine de l’université Grenoble-Alpes, directeur de nombreux programmes de recherche sur les thématique temporelles, responsable du master Innovation et Territoires, est l’auteur majeur de ce mémoire. Son ouvrage La nuit, dernière frontière de la ville issu de sa thèse sur les temporalités nocturnes de la ville de Strasbourg est absolument passionnant. Tentant de faire le jour sur la nuit, il témoigne d’une recherche minutieuse et pluridisciplinaire sur les possibles d’un tel espace-temps. . Thierry Paquot, philosophe de l’urbain et professeur à l’institut d’urbanisme de Paris ainsi qu’à l’école d’architecture de Paris la défense, anciennement éditeur de la revue urbanisme, membre de rédactions de nombreuses publications et auteur d’une soixantaine d’ouvrages sur la ville, sera également un auteur phare. Nous nous intéresserons plus particulièrement à son ouvrage Le quotidien Urbain, essai sur le temps des villes qui interroge en profondeur les composantes temporelles des villes et des individus. Pour alimenter les réflexions et appuyer les positionnements présentés, nous prendrons comme cas d’étude la ville d’Avignon et ses citadins puisqu’elle révèle de nombreuses temporalités très diversifiées et conflictuelles : une forte opposition été-hiver, une capacité de transformation mensuelle incroyable lors de son festival annuel, un centre-ville opaque à son environnement, des nuits urbaines très intenses comme endormies... C’est également un choix personnel car c’est dans cette ville que j’ai découvert la diversité des temporalités urbaines, que j’ai rencontré la nuit, ce moment où la ville change de couleur, où son cœur palpite puis ralentit. C’est ici que j’ai expérimenté l’espace public dans de nombreux temps, arpentant les rues mortes ou noires de monde, divaguant de places en places. C’est ici que j’ai cartographié mentalement une ville dans l’espace et dans le temps.



Partie I

« Le temps révèle tout et n’attend pas d’être interrogé » Euripide

Cette première partie s’attache à mesurer l’ampleur des évolutions temporelles qui marquent nos villes. Cette analyse s’effectue à deux échelles étroitement liées : celle des individus et de leurs emplois du temps, et celle de la ville et des rythmes qui la traversent. Nous tenterons ainsi de comprendre quels sont les rapports entre la ville et les usagers, les pratiques spécifiques qu’elle abrite, pour révéler « les filtres qui s’interposent entre l’individu et son environnement. »16 1. Temporalités individuelles : la course contre la montre Des mutations sociales et économiques aux impacts qu’elles génèrent sur les individus, nous étudierons l’état des lieux des temporalités individuelles, de plus en plus régies par un rapport économique de l’espace et du temps. a. De l’harmonisation à la désynchronisation des rythmes Du temps agricole au temps industriel Depuis l’aube des civilisations, les rythmes de vies sont cadencés par plusieurs donneurs de temps tels que les temps religieux, le temps cyclique, le temps du travail, le temps de la fête… Au moyen âge, les rythmes du travail étaient associés aux rythmes religieux, engendrant plus de cent jours par an chômés et uniquement consacrés au… sacré. Ces rythmes sont cadrés par les contraintes : agricoles, dictées par les saisons, et météorologiques, du jour et de la nuit. Les temps sont alors synchronisés, et communs aux individus. Puis les rythmes religieux s’effacent pour donner place à un rythme dominant : le temps industriel. L’aire industrielle a profondément marqué les temporalités individuelles. Les avancées technologiques libèrent les individus de nombreuses contraintes temporelles. L’électricité étire les activités en dehors du temps diurne, et remplacent « le moulin à eau par des sources d’énergies plus puissantes, moins dépendantes des saisons. »17 Le développement des transports modifie les temps de trajet, et la machine réduit le temps d’exploitation, de fabrication et d’assemblage, tirant un trait sur le temps long de l’artisanat. La structure urbaine s’en voit considérablement modifiée. Les populations, libérées du travail agricole, migrent en ville où de nouvelles activités industrielles émergent. Le temps du travail industriel domine les autres temps urbains. En l’absence de négociations collectives ou de loi protégeant les travailleurs, les registres indiquaient des cadences de 12 à 16heures par jour, six jours par semaine. 16 17

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit, dernière frontière de la ville. Tour d’Aigues : l’Aube, 2005. 256 p., p.22

ASCHER François. Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. Les Annales de la Recherche Urbaine, déc. 1997, n°77, p.112-122. P.113


Figure 1: J.P. Godin, le familistère de Guise, 1884, www.aisne.com

La ville fonctionne seize heures sur vingt-quatre s’ancrant une dualité temporelle qui alterne entre diurne, temps de l’activité où la ville bat son plein, et nocturne, temps du repos où la ville est en pause. François Ascher parle de configuration temporelle spécifiques « Celle de la ville industrielle peut être qualifiée de configuration temporelle segmentée, les temps et les activités se succédant en segments distincts à partir d’un segment principal occupé par le travail. »18 Les villes s’organisent et certaines formes urbaines apparaissent autour de l’industrie où tout est pensé selon le temps du travail. Les utopies patronales telles que les cités ouvrières ou encore les familistères sont l’illustration même du fonctionnement de ces villes industrielles qui articulent les emplois du temps de chaque individu pour maîtriser leur espace-temps et permettre la centralité du travail auprès de chaque ouvrier. Les temporalités individuelles et urbaines sont uniformisées et harmonisées. Jusqu’à la libération temporelle Plusieurs grandes évolutions sociales marquent un tournant majeur à l’ère industrielle. Les mouvements ouvriers du XIXème siècle sont les prémices de la diminution du temps de travail, et de l’éclatement des temporalités individuelles. De là, de nombreux facteurs viennent perturber les anciennes configurations temporelles. L’entrée progressive des femmes au XXème siècle sur le marché du travail modifie clairement la structure sociale en place et son fonctionnement. La journée de huit heures votée à l’assemblée nationale en 1919 réduit l’importance des temps du travail sur la vie quotidienne. L’acquis des congés payés en 1936 accessibilise les temporalités vacancières.

Figure 2: départ d’un train lors des premiers congés payés, 1936, www.lefigaro.fr

Puis, la mise en place des premiers systèmes d’allocations aux vieux travailleurs par répartition en 1941, qui prendra le nom de retraite en 1945 où l’âge normal du départ est de soixante-cinq ans, fait apparaître une nouvelle catégorie disponible de la population. En parallèle, l’espérance de vie augmente de 60% en un siècle. La réforme du temps de travail hebdomadaire de 39 heures en 1982 18

Ibid. p.115


puis des 35 heures en 2000 avec les lois Aubry, divise le temps de travail depuis le siècle dernier par deux. Aussi, le temps libre a été multiplié par cinq, quand les temps de sommeil diminuent. L’individu se voit bénéficier d’une liberté temporelle jusqu’alors quasi-inaccessible. Le temps libre, qui relève des choix individuels, laisse place à une multitude de possibles activités et bouleverse les anciennes configurations temporelles segmentées qui dominaient la ville. Flexibilisation du temps de travail, horaires atypiques En parallèle, l’économie bien consciente des mutations technologiques et sociales en cours adapte son offre à la demande croissante. Les services s’étendent dans le temps pour répondre aux tendances consuméristes. Le travail de nuit étant rendu possible par l’électricité, le processus industriel en continu se généralise, et « les intensités capitalistiques sont de plus en plus fortes dans les activités industrielles comme dans les services. »19 Les temporalités du travail s’en voient profondément modifiées : plusieurs formes d’horaires se sont développées et la journée de travail classique de 9h à 17h ne représente plus qu’une petite majorité des journées travaillées. Le sociologue Laurent Lesnard dans son enquête Flexibilité des horaires de travail et inégalités sociales20 constate que depuis les années 1990, les horaires se décalent et les journées de travail sont plus longues : les horaires s’émiettent. Les horaires standards sont souvent perçus comme la référence sociale alors que nous constatons qu’en vingt ans, la flexibilité du travail explose et va de pair avec des horaires de plus en plus atypiques. Près d’une journée de travail sur deux s’éloigne de la référence standard et prend majoritairement l’allure d’une version longue de la journée standard. En 2011, 16% des actifs travaillent de nuit, le travail le samedi concerne presque une personne en emploi sur deux, 29% travaillent le dimanche, sachant que le travail le dimanche va souvent de pair avec celui du samedi et des horaires tardifs ou variables. Au sein des travailleurs, 15% travaillent par roulement, et 18% sont à temps partiels, 10% ont des horaires variables.21 François Ascher constate que de moins en moins d’actifs sont en mesure de prévoir l’heure de la fin de leur journée de travail, et cette imprécision augmente avec la qualification. De même, la nature même du contenu du travail se modifie, tendant à « devenir de plus en plus immatériel. »22 De par la présence des nouvelles technologies mobiles et individuelles, le travail continue en dehors des lieux de travail, brouillant les sphères travail-hors travail. C’est l’organisation même du travail qui est remodelée. François Ascher dénonce la flexibilisation du travail comme une « forme d’adaptation de l’économie à la globalisation qui reporte très largement le poids des adaptations sur leurs salariés. »23 Les horaires se fragmentent, se réduisent, s’étirent et marquent clairement une désynchronisation des temporalités individuelles. La frontière entre travail et hors travail se dissipe, les temps se brouillent et se superposent. Ces évolutions ont métamorphosé nos sociétés et sont accompagnées par des évolutions économiques qui transforment radicalement notre rapport au temps et à l’espace. b. Le temps de l’économie Emancipation & contrôle du temps Depuis ses débuts « Le capitalisme n’a eu de cesse de s’émanciper de toutes les contraintes naturelles, saisonnières, techniques, sociales et culturelles, pour accroître et maîtriser le temps de la production, 19

Ibid. p.113 LESNARD Laurent. Flexibilité des horaires de travail et inégalités sociales. Données sociales - La société française, 2006 21 INSEE. Durée et conditions de travail. Tableaux de l'Économie Française - Édition 2014. 20

22

BOULIN Jean Yves (Dir.), AUBRY Martine (Préf.). La ville à mille temps. Tour d’Aigues : l’Aube, 2002. 219p. p.55

23

ASCHER François, Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. P.113


c’est-à-dire de l’usage des machines et l’emploi de la force de travail. »24 Le temps prend une toute nouvelle dimension : il est quantifiable et doit être rentable. Les techniques de travail et processus de fabrication sont étudiés minutieusement pour répondre à la demande en un minimum de temps et avec un minimum de main d’œuvre qui elle est temporellement onéreuse. Le temps de production doit être maîtrisé et émancipé de toute contrainte. Au tournant de cette nouvelle valeur temporelle, l’ingénieur Frédéric Taylor dans les années 1880 met au point le premier processus industriel de décomposition des tâches, où le temps d’action de chacune des tâches est minutieusement calculé pour en optimiser le moindre mouvement et donc, gagner la moindre seconde sur le processus de fabrication. Le temps devient une dimension à sculpter, maîtriser, optimiser et devient une préoccupation économique majeure. Optimisation du temps. Ainsi, au sein du temps de travail, chaque tâche de la journée du travailleur est optimisée. En 1936 Charles Chaplin anticipait déjà les transformations temporelles économiques et les répercussions potentielles sur les individus. Dans les temps modernes, le cinéaste dénonce les politiques industrielles sur les modes de vie ouvriers avec son ironique machine à automatiser le repas des ouvriers permettant de contrôler le temps de repas et de supprimer/optimiser/contrôler le temps de pause. Un temps unique « Pendant longtemps, le temps des villes était dépendant du soleil. Chaque ville, selon son emplacement, possédait son repère temporel. »25 L’économie de l’industrie n’est pas dépendante d’une localité, du climat ou du soleil, mais des autres industries : les temps de production et d’échanges doivent être synchronisés. C’est ainsi qu’elle crée son propre rapport au temps : un temps industriel, un temps économique. Déjà, en 1861, sous les pressions industrielles, est votée la loi déterminant une heure unique sur le territoire français et synchronise les horloges du pays. Aujourd’hui à l’heure de la globalisation, où il est bien connu, les bourses ne ferment jamais, l’activité économique a lieu n’importe où à n’importe quel moment, dans un temps global et unique. La culture de l’instant, vers un temps continu « Le temps de l’économie globale tend à se déconnecter du temps local. »26 L’économie globale se déroule en continu à travers les différentes capitales économiques : sur les bourses internationales, le soleil ne se couche jamais. De fait, à travers le monde, les productions sont en continu pour répondre à la demande très variable du consommateur qui ne demanderait qu’à consommer. L’économiste Gilles Rabin précise que « le client est dorénavant le maître des horloges (…) il donne le La. Les caisses des grands magasins franchisés sont directement reliées aux producteurs des modèles de prêt à porter pour adapter le temps des industriels à la réussite de tel ou tel modèle. »27 La production se fait en direct, et le stockage du temps et de la marchandise est évité à tout prix : tout doit être réalisé instantanément et disponible pour être prêt à la consommation. C’est l’avènement du Juste à temps. Les temps de travail s’y sont adaptés mais pas seulement, l’espace de nos villes s’en voit également profondément modifié. Le règne de l’espace économique Dans cette logique économique, l’espace marchand se construit autour du potentiel client. Le citadin est client de l’urbain et doit pouvoir facilement accéder aux marchandises. Ce consommateur est aussi producteur de cette ville. La relation est étroite : la sociologue Saskia Sassen dans The Global City : New 24

Ibid. p.113

25

Lumières de la Ville. Le changement d’heure a-t-il encore un sens aujourd’hui ? Octobre 2016.

26

ASCHER François, Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. P.115

27

RABIN Gilles, GWIAZDZINSKI Luc (Dir.). La ville 24 heures sur 24 p.102


York, London, Tokyo28 démontre que la machine urbaine s’appuie avant tout sur une main d’œuvre qualifiée qui elle-même est dépendante de la ville pour maintenir sa qualité de vie. Ce client urbainmain d’œuvre produit la ville dont il est un consommateur dépendant. Et ce phénomène de dépendance à la consommation prend spatialement et politiquement des ampleurs phénoménales s’il n’est pas contrôlé et accompagné par les politiques territoriales. Prenons l’exemple des supermarchés Wal-Mart, l’entreprise mondiale la plus rentable, le plus grand employeur du Mexique, du Canada et des Etats-Unis et qui y regroupe 14% des ventes alimentaires. Le phénomène est tel qu’avec la seule influence de son réseau de distribution, l’entreprise a le pouvoir de reconfigurer le plan des villes et va jusqu’à jouer sur la démographie du pays, modifiant considérablement les densités de population.29 L’implantation d’un supermarché, même dans une zone reculée et parfois détachée de toute urbanité, engendre une telle attractivité qu’instantanément d’autres commerces s’implantent et la ville se fabrique autour de ces nouveaux centres de consommation, à l’image d’un centre-ville régi par le privé et démuni de tout espace public.

Figure 3: Plan de la ville de Framingham, Massachusetts

La figure 3 en est exemple parmi de nombreux autres sur le territoire des États-Unis. Ici, la ville de Framingham, de 70 000 habitants, en périphérie de Boston, se construit autour d’une hyper zone commerciale indiquée en rouge et initiée par l’implantation d’un Wal-Mart. Clairement, l’organisation spatiale de la ville se fabrique sur deux facteurs : la mobilité et l’espace marchand. Mais c’est bien l’implantation de l’activité économique sur l’axe routier qui est à l’origine de la création de la ville de Framingham. Le centre commercial prend des allures de centre-ville, mais s’acquitte de toute contrainte temporelle. « Le centre commercial pour bien maîtriser l’espace et le temps marchands, doit se séparer de la ville. La maîtrise de l’espace est assurée par la conception d’ensemble d’un espace clos avec ses allées et ses 28

SASSEN Saskia. La Ville globale : New York - Londres – Tokyo. Paris : Descartes et Cie, 1996. 447p. (Les urbanités)

29

KLEIN Naomi. No Logo, La tyrannie des marques. Arles : Actes Sud.), 2001. 495p. (Babel essai)

p.250


magasins… Dans cet espace clos et isolé de la ville, le contrôle du temps devient possible. Le temps du centre est alors invariant, soumis à une gestion identique pour l’ensemble des commerces qui règle autant les températures à l’abri des saisons que la luminosité artificielle… »30 Ces espaces privés décentralisés, ultra attractifs, hyper connectés et hyper concentrés en activités, recréent littéralement les conditions urbaines sans plus aucune contrainte sociale ou temporelle. Sociale parce que les structures sont organisées en fonction du type de commerce ou d’activité, de l’hyper marché aux boutiques de luxe en passant par le multiplex et le restaurant thématisé. Les marchandises sont hiérarchisées dans l’espace comme les classes sociales. Et temporelle parce qu’évidemment elle maîtrise pleinement son espace-temps. Ils concentrent une telle attraction qu’ils deviennent eux même, une centralité. Jusqu’à devenir de véritables espaces publics : ballade du samedi et quelques fois du dimanche, à travers les allées abritées, chauffées ou climatisées, sonorisées par de joyeuses mélodies thématisées. Les restaurants et cafés y sortent leurs terrasses, des activités sont planifiées selon les périodes de l’année, même le marché de Noël se joint au vendeur de marrons. Contrôlés, propres, sécurisés, marchands et… privés. Cet espace économique règne en maître sur nos nouvelles configurations urbaines. Typiquement, Avignon en constitue un remarquable exemple. Les trois principales entrées de villes accueillent l’usager par de vastes surfaces commerciales ici signalées en rouge, nouvelles centralités économiques qui régissent le territoire, entre Avignon et ses villes satellites.

Figure 4: Entrées de ville d’Avignon

Cette approche économique de l’espace et du temps s’émancipe toujours plus des contraintes urbaines, géographiques, temporelles. Elle fonctionne en totale autonomie. Mais les spatialités engendrées ne sont pas sans conséquence sur les modes de vie et l’aménagement des territoires. Les villes se diffusent, s’étalent, s’éclatent. Les mobilités et les territoires se déforment, laissant aux individus des emplois du temps de plus en plus complexes à gérer.

30

METTON Alain. In: PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.78


c. Des emplois du temps complexes et variés Sous l’influence de ces transformations économiques, sociales et spatiales, les rythmes se désynchronisent et les emplois du temps se personnalisent, s’individualisent. Entre les sphères publiques, privées, domestiques, professionnelles, collectives… un rapport de force s’installe. Chacune de ces sphères est de plus en plus flexible. « Notre quotidien semble un puzzle constitué de mille morceaux qu’il nous faut recoller et ajuster entre eux. »31 A l’intérieur de ce puzzle, « le " temps libre " est une mesure ironique dans le cours d’un temps préfabriqué. »32 et « Le temps devient davantage encore la denrée rare, chacun s’efforce d’en maximiser les possibilités de liberté. »33 Nous déterminerons les principales causes qui morcèlent les temporalités individuelles. Etalement Les structures urbaines explosent : dans les années 1970, l’encouragement massif de l’Etat pour l’accession à la propriété développe une nouvelle forme urbaine : le lotissement, qui applique le principe du zonage et fabrique des villes uniquement résidentielles où toute activité est proscrite. Détaché de la ville, ces ilots dortoirs sont en plein milieu rural, et très gourmands en espace. La construction de maisons individuelles est le moteur de l'artificialisation des espaces périurbains. Tous types d'espaces confondus, la construction de maisons individuelles a progressé beaucoup plus rapidement que la construction d'immeubles collectifs au cours de la dernière décennie soit 10% de plus que les immeubles collectifs.

Figure 5 : Expansion urbaine, Montpellier 2040

En Provence Alpes Côte d’Azur, le paysage s’en voit profondément transformé. La surface occupée par l'habitat individuel dans les couronnes périurbaines et l'espace à dominante rurale entre 1992 et 2003 augmente de 55% : c’est la plus forte évolution française. 40% des logements sont des maisons individuelles, quand Avignon voit en périphérie plus d’une dizaine de villes résidentielles qui oscillent entre cinq et dix mille habitants.

31

PAQUOT Thierry, Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes, p.19

32

DEBORD Guy, Internationale Situationniste n° 9, août 1964, p.3

33

MASBOUNGI Ariella. In: PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. p.173


Le règne de la mobilité A titre représentatif, plus de 60% de la population avignonnaise se rend au travail en véhicule personnel, contre seulement 10% en transport en commun et 5% à pied. Pourtant, 70% travaillent dans leur commune de résidence et 30% en dehors. Ces chiffres sont récurrents dans les villes : « Les salariés résidant dans les pôles urbains travaillent en moyenne à 23,6km de chez eux, soit plus près que ceux des zones périurbaines (30,5km) : les figures de la ville diffuse et de la ville éclatée se sont imposées sur le terrain et dans les représentations. »34 Et ces villes sont régies par la mobilité, phénomène lié à la ville étalée, moins chère car plus éloignée. Les individus qui se déplacent entre les zones d’habitation, de travail, de consommation, ou de loisir, dans des temporalités désynchronisées, sont dépendant d’une mobilité disponible et adaptée. Pour des raisons purement pratiques, le véhicule automobile personnel reste majoritaire, bien qu’extrêmement consommateur d’espace et peu rentable : La ville s’étale, et les dépenses aussi… en moyenne un français dépense seize euros par jour pour sa voiture, pour trente trois minutes passées. Ainsi, les français dépenseraient en moyenne 5000 euros par an pour les transports : la seconde dépense des ménages, après le logement, devant l’alimentation.35 L’automobile permet aux individus une grande liberté de déplacement mais surtout, elle offre souvent une bien meilleure rentabilité temporelle que les transports en communs contraignants, limités et instables. La mobilité régie la ville éclatée, elle est la clé des emplois du temps de chacun. Mais peu importe le choix de ces mobilités, un constat demeure : la ville étalée, la ville éclatée est chronophage. Eclatement des emplois du temps Il demeure complexe de fluidifier nos emplois du temps et de synchroniser les multiples temporalités qui composent nos vies citadines. Les administrations, services publics, horaires de travail, activités scolaires, activités culturelles… s’insèrent dans des temporalités qui se superposent et les concilier prend vite la forme d’un casse-tête. « La demande éclate et se diversifie, alors que l’offre urbaine, les administrations, les commerces, les services et les transports restent encore dans une large mesure, structurés en fonction des rythmes traditionnels. Confrontés à cette désynchronisation, nos emplois du temps craquent et nous sommes sous tension, zappant en permanence d’un quartier de la ville à un autre. »36 Combiné à l’éclatement urbain, nos espaces de vie sont fragmentés et prennent des allures d’archipels37 fonctionnels entre lesquelles nous nous déplaçons. Evolutions de la sphère domestique Parallèlement, la taille moyenne des ménages ne cesse de diminuer depuis les années 1960. Plusieurs facteurs en sont la cause : « la hausse du niveau de vie, le développement du parc de logements, l’individualisation des comportements, la maîtrise accrue de la fécondité, la décohabitation des générations, la tardive mise en couple et la fragilité des unions. »38 De nos jours, seulement un tiers des ménages compte plus de deux personnes et un tiers des logements est occupé par une personne seule. Clairement, la structure sociale est en pleine mutation. Ce n’est pas une surprise de constater que la thématique de recherche sur les temps des villes et les temps individuels est à l’origine de mouvements féministes. L’entrée massive de la femme sur le marché du travail dans les années 1970, provoque une forte synchronisation des temps sociaux. Le 34

GWIAZDZINSKI Luc. Temps et territoires : les pistes de l'hyperchronie. TERRITOIRES 2040, n°6, DATAR, La Documentation française, 2012, pp.75-97.p78 35 France nature environnement. La juste place de la voiture dans la mobilité de demain. Septembre 2014. 122p, p35 36

GWIAZDZINSKI Luc (Dir.). La ville 24 heures sur 24 : Regards croisés sur la société en continu. Paris : Rhuthmos, Réed. 2016. 255 p. (Rhytmanalyse), p.9 37 GWIAZDZINSKI Luc, Temps et territoires : les pistes de l’hyperchronie, p80 38 INSEE, Enquêtes annuelles de recensement de 2004 à 2006. 2007


sociologue Jean Yves Boulin note que le taux d’activité des femmes âgées de 25 à 49 ans, majoritairement mères, est passé de 41% à plus de 80% entre 1962 et la fin des années 1990. Ceci s’associant à la transformation des structures familiales, où les familles monoparentales ont augmenté de 50% entre 1980 et 1990, soit 15% des familles française. En un même temps, la femme subit les mêmes conditions temporelles que l’homme, mais conserve son double emploi de mère et d’épouse. La femme démontre au politique l’incompatibilité entre les temps de la vie familiale, de la vie professionnelle et de la vie personnelle. Les superpositions temporelles deviennent de plus en plus complexes et la femme qui garde malgré tout une part importante des tâches liées à l’activité domestique, dénonce ces incompatibilités temporelles.

Figure 6 : Evolution des temps sociaux au cours d'une journée moyenne, Insee, enquête emploi du temps 1986, 1999, 2010

d. Premières tentatives d’aménagement temporel Des mouvements se forment pour pallier les inégalités sociales. Il est question de désynchroniser les temps et d’acquérir une maîtrise des structures temporelles afin de fluidifier et d’améliorer les emplois du temps de chacun. C’est la première fois que l’on parle d’aménager le temps. « L’administration italienne, plutôt défaillante, a été contrainte, sous la pression du mouvement féministe, à remettre ses pendules à l’heure d’une société modernisée, compétitive qui espère jouer dans la cour des grands. En 1990, la loi 142 se présente résolument décentralisatrice et laisse les villes s’auto-organiser. Certaines créent des bureaux des temps afin de connaître le desirata de la population et d’y répondre. »39 A la fin des années 1990, la France se sensibilise aux politiques temporelles et met en place des structures spécifiques pour analyser, évaluer et impacter les différents secteurs concernés tels que les services publics, les administrations, horaires d’ouverture, transports... Ce sont des bureaux des temps, maisons des temps, espaces des temps... leurs appellations divergent. La nature de leur impact réside dans la transversalité : à l’écoute des habitants mais pas que, simplement des usagers de la ville, elles proposeraient des solutions aux conflits temporels au sein des différents secteurs. Peu visibles puisqu’agissant sur l’objet temps, les maisons du temps restent méconnues. Malheureusement leur financement est coupé depuis 2002 et provoque un essoufflement des actions entreprises. Le manque d’actions concrètes des politiques temporelles sur le terrain provoque la rapide fermeture de la plus grande partie de ces bureaux avant qu’ils ne puissent s’ancrer dans le quotidien urbain et agir en conséquence. Quelques structures sont encore en place et demeurent très actives dans le quotidien de leur ville grâce aux politiques locales, mais se comptent sur les doigts de la main.

39

PAQUOT Thierry, Le quotidien urbain, p.23


Conclusion : des individus diversifiés et désynchronisés Indéniablement, l’organisation temporelle de nos emplois du temps subit de profondes mutations. Chaque individu porte ses propres temporalités, régit par ses propres contraintes. Et ces temporalités sont souvent paradoxales : entre ceux qui n’ont pas assez de temps, et ceux qui en ont trop, les rythmes ne sont plus uniformisés et harmonisés. La population est diversifiée, à titre d’exemple sur l’ensemble de la population avignonnaise, seulement 50% de la population est active avec emplois. Les 50% restants sont étudiants, retraités, chômeurs ou autres inactifs40 et s’inscrivent dans des temporalités encore spécifiques. Nous devons également préciser que « le rapport que l’individu entretient avec son quotidien dépend de sa culture temporelle. »41 En soi, de nos jours, il y a quasi autant de temporalités qu’il y a d’individus. Les différentes sphères économiques, sociales et domestiques rencontrent des conflits croissants, complexes à maîtriser. « De fait, cette configuration temporelle imbriquée rend de plus en plus difficiles les organisations collectives et s’inscrit dans une dynamique qui privilégie des solutions de plus en plus individualisées. »42 Nous l’avons vu, ces mutations individuelles sont influencées par la manière dont nous construisons, pratiquons et habitons nos villes. Observons comment elles se traduisent dans l’espace urbain. 2. Temporalités urbaines : les temps changent Le support urbain quant à lui, est le réceptacle de ces mutations individuelles et économiques. Nous le constatons chaque jour, les temporalités urbaines devenues multiples ne sont plus distinctes et séquencées mais se superposent, se confondent. « Émerge ainsi une nouvelle configuration temporelle urbaine « imbriquée », distincte de la configuration segmentée. En effet, les divers temps de la vie urbaine ne sont plus séparés aussi nettement que précédemment, les divers ordres jouant simultanément et sur plusieurs activités. »43 Et le phénomène est croissant « dessinant les contours d’une nouvelle société urbaine de moins en moins en phase avec les rythmes de la ville traditionnelle et de dame nature. »44 Sur la base d’un terrain d’observation et d’études documentées et détaillées sur la question des temporalités urbaines, nous tenterons de rendre compte de la complexité des imbrications temporelles que la ville étudiée présente. a. Matière urbaine Ce réceptacle est matière, dessinée, sculptée. Chaque ville est une matière différente avec ses singularités. Nous choisirons la ville d’Avignon comme matière à critiquer et Avignon Intra-muros comme terrain d’observation temporel. Avignon intra-muros Avignon intra-muros est une forme urbaine particulière. Elle nous intéresse car elle est aujourd’hui le support de nombreuses problématiques contemporaines. Plusieurs arguments motivent ces choix. Premièrement, cette forme urbaine au cœur de la ville d’Avignon est en rupture claire avec le développement extra-muros de la ville, à la fois dans sa forme où la densité des tissus s’oppose nettement, comme dans sa pratique.

40

INSEE, La population avignonnaise, RP2013 exploitation principale

41 PAQUOT Thierry, Le quotidien urbain, p.19 42

ASCHER François, Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. p.116

43

Ibid. p.115

44

GWIAZDZINSKI Luc, La ville 24heures sur 24, p.9


Protégé des crues du Rhône par ses remparts, ce système urbain opaque sur son contexte présente encore aujourd’hui une forte attractivité, de nombreux programmes publics et une certaine autonomie, nous pouvons la considérer comme une forme urbaine à part entière.

Figure 7: Avignon Intra-muros, une relation opaque à son contexte.

Deuxièmement, c’est une ville ancienne aux multiples temporalités, riche en histoire et en mutations. Outre son intérêt urbain et architectural, Avignon est aujourd’hui le support d’une multitude de temps urbains : ancrée dans une dualité été-hiver, la ville se dilate, voit ses intensités d’usages varier d’un mois à l’autre. Spécifiquement, Avignon accueille tous les ans sur une période d’un mois, le festival d’Avignon, festival de théâtre international à rayonnement mondial. Depuis 1947, chaque mois de juillet, la ville change radicalement de couleurs : les rues se transforment, les places s’ouvrent et les coures intérieures se dénudent. La ville est en fête. Cette étude de terrain tente de confronter le corpus bibliographique à une réalité urbaine, sur un objet polychronique.45 L’espace public avignonnais Nous nous concentrerons sur les temporalités de l’espace public : les plus simples à observer, théoriquement accessibles à tous, impactées par de multiples facteurs et bien souvent espaces conflictuels. La scénographie moyenâgeuse particulière de sa trame urbaine laisse à l’espace public, une place majeure dans la ville : entre ses venelles minérales étroites, ses parcs végétalisés, ses allées de platanes centenaires qui marquent et structurent les axes principaux, ses multitudes de places et de placettes minérales, le tout ponctué de nombreux éléments architecturaux tout aussi remarquables les uns que les autres. L’espace public est le support de cette trame : il sculpte la masse minérale qu’est l’urbain, modélise ses pratiques spatiales, marquant des spécificités spatiales certes attractives, mais extrêmement riche en interactions sociales et culturelles : les évènements et programmes, ponctuent les rez-de-chaussée laissant un espace de circulation libre et diversifié.

45

Voir définition du glossaire.


Méthodologie Nous aborderons ce terrain en gardant en tête « qu’aucune expérience temporelle n’est vraiment pure et tous les temps s’entremêlent. »46 Nous n’avons pas assez de moyen pour acquérir une étude réellement représentative des temps urbains avignonnais, néanmoins nous ciblerons les jours étudiés pour en tirer des critiques intéressantes. Avec nos propres moyens, nous dresserons un portrait du support urbain observé et tenterons d’en faire la critique sur la base d’un relevé spatial, d’observations temporelles et de témoignages d’usagers. Pour ce faire, nous appliquerons la même méthodologie à travers trois cas d’étude dans l’espace public avignonnais. Ce sont des lieux emblématiques de la ville, qui d’après ma propre pratique ainsi que des connaissances acquises lors de discussions et recherches, sont d’essences différentes et supports de multiples programmes, encore aujourd’hui au cœur du processus urbain. Nous observerons les pratiques et les usages en fonction des heures sur deux temporalités : diurne, nous choisirons entre 12h et 19heures, et nocturne, entre 20heures et 4heures du matin. Ce en période automne-hiver, printemps-été et festivalière qui représente une temporalité très atypique. Nous relèverons sur une grille d’observation les activités spontanées ou planifiées, l’évènementiel et noterons les observations globales que nous comparerons par la suite pour mettre en exergue la multiplicité des usages dans le temps. Concernant les jours d’observations, nous choisirons le samedi, jour où l’espace public est le plus affluent, comme base de comparaison estivale et hivernale. Pour la période festivalière, nous prendrons le samedi 16 juillet, en plein cœur du festival.

Figure 8: démarche méthodologique, document fabriqué

Nous optimiserons nos observations en nous basant sur une étude détaillée et aboutie des temporalités urbaines dans l’espace public intitulée Chronotope « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes »47 qui étudie de la même manière plusieurs villes de taille moyenne telles qu’Avignon. Ainsi, nous approfondirons nos réflexions sur les variations hebdomadaires et saisonnières que nous n’avons pu observer. Parallèlement, une vingtaine de questionnaires qualitatifs et ouverts sont posés aux usagers rencontrés au cours du terrain d’observation afin qu’ils témoignent plus largement de leur utilisation du lieu, de leurs attentes, satisfactions ou des potentiels conflits rencontrés. Pour compléter, un questionnaire en ligne communiqué par réseaux privés et sociaux ciblant des catégories de la population différentes, est posé à une centaine d’avignonnais quant à leur usage des cas d’étude.

46 47

BACHELARD Gaston, la dialectique de la durée, PUF, 1950, p.131.

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». Rapport final au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Décembre 2013


Cas d’étude Nous présenterons les cas d’études et les motivations de ces choix. Ces trois espaces publics sont ancrés dans le paysage avignonnais et présentent une forte attractivité de différentes natures qui nous permettrons de critiquer les différents temps urbains.

Figure 9: axonométrie de l'intramuros, Google earth

1. La place de l’Horloge Ce vide dans la ville a toujours été au cœur de la ville : il fut au temps de l’antique Avenio, le forum, espace de communication, l’espace public de la cité. Au moyen-âge, les rues sinueuses tendaient des premières enceintes de la cité à cette place. Partiellement occupée par un couvent, sa superficie était deux fois moins conséquente que sa taille actuelle. Marchés, Hôtel de ville, manifestations et annonces publiques, la place continue d’assurer son rôle d’espace de communication. Elle subit des modifications et démolitions au cours du XVème siècle, mais conserve des dimensions réduites. Au cours du XVIIIème siècle, la place subit des mutations morphologiques conséquentes, elle est le lieu symbolique du pouvoir réprimant, espace d’exécutions publiques. Sous le second empire, la ville se voit fortement modifiée, de larges axes sont percés et la place prend sa forme actuelle. Pourquoi la place de l’horloge ? Cet espace public, en plus d’avoir toujours été un acteur majeur de l’urbain, est aujourd’hui un réel engrenage dans la structure de la ville, et amène le promeneur vers le palais des papes et le pont d’Avignon. Ce rôle aussi particulier lui vaut une attractivité touristique conséquente, mais également économique et culturelle. C’est le lieu des marchés locaux, saisonniers, des manifestations publiques, emblème de la ville, place de l’opéra, place de la mairie, emplacement du pavillon d’accueil du festival. Scénarisée depuis l’entrée de ville de la gare, la place de l’horloge est un point de tension urbaine où de nombreux usages convergent. Elle est également l’aboutissement de la principale rue marchande d’Avignon : la rue de la république, percée haussmannienne qui relie la gare à la place. L’intérêt de cette étude porte dans sa forte capacité à accueillir programmes, public et évènements. 2. Place des Corps Saints Ancien cimetière de l’antique Avenio, autrefois hors des murs, elle fut le lieu d’inhumation d’un cardinal Luxembourgeois aimant du peuple. Le lieu conserve sa fonction jusqu’au XIVème siècle, lorsque la place prend place et que l’église des Célestins est érigée pour abriter les reliques du saint cardinal. Dès lors le lieu, où se pressèrent une foule de pèlerins devint la « place du Corps-Saint ». La ville se développe et englobe la place qui prend sa forme actuelle, accessible par une porte ouverte dans la vieille enceinte du XIIIe siècle. Au XVIIIème siècle, la place fut rebaptisée place des Corps-Saints.


Pourquoi la place des Corps Saints ? Cette place, de par sa morphologie, sa trame végétale, son patrimoine bâti, sa proximité aux axes principaux ainsi que par les programmes qu’elle héberge fait également preuve d’une forte intensité d’usage. Elle est clairement scindée en deux espaces : celui des terrasses de cafés et restaurants, équipée d’une fontaine en son centre. Et celui du parvis de l’ancienne église des Célestins, lui plus ouvert qui accueille petits marchés, puces ou vides greniers, ainsi que quelques évènements ponctuels. Cette place est occupée toute l’année. Les avignonnais de tout âge et de toute catégorie aiment s’y retrouver. Elle est également un point de rencontre dans l’urbain. 3. Rue des Teinturiers Surplombant la Sorgue qui traverse de bout en bout les remparts, cette rue a été du XIVe au XIXe, le siège d'une intense activité manufacturière. Vingt-trois roues à aubes fournissaient l'énergie à des moulins et des filatures de soie. Les eaux étaient utilisées par les teinturiers pour laver et rincer les tissus. Elle est aujourd’hui un des plus grands centres culturels d’Avignon, dénombrant quelques dizaines de monuments dont plusieurs classés au patrimoine de l’Unesco, mais également cinq théâtres, une salle de spectacle conséquente à forte renommée et très active, et plusieurs restaurants et commerces. Cette rue a la particularité d’être parfaitement protégée par ses platanes en thermique d’été et profite de la fraîcheur de la Sorgue (également de ses odeurs parfois complexes à gérer). Aussi, elle est un des hauts lieux du festival d’Avignon où la rue est en perpétuel usage et où il est difficile d’y circuler. Pourquoi la rue des Teinturiers ? Cette rue est à mon sens, celle qui traduit le mieux le phénomène visé dans cet exercice. Elle subit une multitude de temporalités, parfois totalement déserte, parfois noire de monde, la nuit, le jour, l’été, l’hiver, elle déroule une multitude d’usages et d’évènements, accueille un public très large et témoigne d’une réelle vie associative au quotidien. Relevé spatial Le tableau ci-dessous fait lieu de l’analyse purement spatiale des cas d’étude choisis. Ce sont des données fixes qui constituent le « corps » de l’espace étudié. (Forme urbaine, dimensionnement, matérialités, mobilier, particularités, rôle dans l’urbain et programmes). Nous considèrerons que ces données sont « invariables » le long de ces études de terrain. « L’espace qui inclut les objets dans leur matérialité à la surface de la terre participe aussi de la temporalité différentielle des villes. »48

Figure 8: tableau comparatif spatial

48

LEPETIT Bernard, PUMAIN Denise. Temporalités Urbaines. Paris : Economica, 1999. 317 p. (Collection villes) p79


Ces sites ont des morphologies très différentes, où l’espace majeur est accordé au piéton : sur la place de l’Horloge et celle des Corps Saints, la circulation automobile s’effectue sur les côtés latéraux, la rue des teinturiers étant totalement piétonne, à accès véhicule limité. Ces espaces sont peu équipés en termes de mobilier : quelques bancs adossés aux façades ou aux éléments présents. Chacun de ces espaces comporte des bars et restaurants équipés de terrasses mobiles, qui se démontent la nuit sauf en période estivale où elles restent en place. Elles sont délimitées par la végétation et la rivière rue des teinturiers, par les axes de circulation place des Corps Saints et par des barrières transparentes qui protègent du vent place de l’horloge. Ces espaces sont éclairés toute la nuit, avec plus d’intensité sur la place de l’horloge. La présence de larges platanes, constitue une trame d’ombre considérable en été et un ensoleillement en hiver ce qui apporte un confort thermique pour la pratique spatiale. Ces terrains d’étude sont tous irrigués par des réseaux de voiries primaires et secondaires découlant des artères principales du centre-ville, ils sont ainsi par essence très accessibles et figurent comme des points repères dans l’urbain, d’autant plus que dotés de programmes attractifs (restaurants, commerces, patrimoine, équipements publics et culturels). Ils jouent depuis la ville antique ainsi un rôle considérable dans l’intra-muros mais aussi dans la ville globale et ont toujours su se transformer et s’adapter aux pratiques spatiales. b. La ville des temps Dans l’espace public, « des populations, des individus se succèdent, définissant des rythmes différents et obéissants à des temporalités diverses, difficiles à articuler. »49 Les observations sont effectuées des jours où les conditions météorologiques le permettaient. Bien entendu, les temporalités urbaines dans l’espace public dépendent d’une infinité de facteurs que nous ne pouvons en ces lieux ni mesurer ni énumérer. Succinctement, avec nos moyens et notre échelle, nous tenterons de comprendre quelles en sont les principales.

Figure 9: comparatif d'utilisation temporelle des cas d'étude, résultat du questionnaire en ligne posé aux locaux (120 sondés)

49

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit, dernière frontière de la ville. Tour d’Aigues : l’Aube, 2005. 256 p. p.19


Variations journalières en semaine, rythmes classiques. Temporalités diurnes, la ville bat son plein ? Pour les trois cas d’étude, les témoignages démontrent que les fréquentations sont en hausse progressive à partir de dix heures, aux ouvertures des commerces et des services. Nous constatons que seulement 10% des sondés affirment utiliser ces espaces publics en matinée. Les premiers pics de fréquentation s’opèrent à la pause déjeuner, qui demeure un temps partagé par la majorité de la population, où plusieurs classes sociales se mélangent (étudiants, travailleurs, touristes…). L’aprèsmidi, de manière globale, les usagers s’installent en terrasse en groupe, quelques activités spontanées s’opèrent dans les espaces libres mais sont très imprévisibles et variées (jeux, musique, sport, rassemblements, artistes de rue…). Puis le second pic à partir de dix-sept heures jusqu’à dix-neuf heures qui s’assimile aux sorties d’écoles et de bureaux où les espaces publics deviennent de réels lieux de rencontre, terrains de jeux… au moment où les temporalités individuelles sont les plus synchronisées et qu’existent des temps collectifs dans la ville. Les temporalités culturelles et locales rythment également les espaces publics : la culture de la terrasse remonte souvent dans les témoignages et joue considérablement dans l’occupation de l’espace public avignonnais. Cette pratique révèle que la terrasse symbolise l’espace de rencontre et de vivre ensemble, notamment après les temps de travail. Elle caractérise les pratiques spatiales majeures au sein de l’espace public avignonnais. Justifiant alors une forte affluence des terrasses et bars à partir de dix-huit heures en semaine et marque le quotidien urbain. Nous devons préciser que malgré le caractère imprévisible des usagers, les études50 démontrent que les fréquentations varient selon les catégories sociales : les retraités préfèreront le lundi, jour plus calme en ville, les familles sortiront le mercredi et le samedi au vu des disponibilités des enfants dans leur temps scolaire, les jeunes eux sont présent tout au long de la semaine et également le week-end, mise à part la population étudiante qui est mobile le week-end pour regagner sa région d’origine. Ainsi, la ville diurne en semaine voit de conséquentes variations d’intensité d’usage au cours des différentes heures de la journée qui sont étroitement liées à l’offre des commerces et des services. La ville oscille entre de trop fortes synchronisations dans les heures de pointe où l’espace est saturé et le citadin perturbé dans sa pratique usuelle de la ville et des croissantes désynchronisations qui marquent des demandes spatiales inégales et de plus en plus étalées sur le temps. Temporalités nocturnes, la ville endormie ? C’est en soirée que l’on voit le plus fort taux de fréquentation dans l’espace public, témoignent les usagers. Notamment rue des teinturiers, grâce à son large panel hôtelier, culturel et associatif. Notons que la place de l’horloge détient un taux de fréquentation plus régulier qui semble être lié à la stabilité des activités qu’elle propose. Nous remarquons qu’une certaine population jeune se regroupe régulièrement en soirée dans l’espace public disponible et gratuit, surtout le jeudi soir, soirée étudiante avant le départ de week-end : faute de place dans les bars, d’ambiance, des horaires d’ouvertures ou simplement par choix économique. Concernant la nuit profonde, soit après vingt-trois heures et minuit, mise à part la rue des teinturiers qui comporte une vie associative développée et qui organise régulièrement des manifestations nocturnes (15% des utilisateurs affirment utiliser cet espace en temps nocturne), les observations et sondages démontrent que la nuit avignonnaise reste très peu développée en hiver et qu’après l’heure de la fermeture des bars, seuls les populations à la marge habitent la nuit urbaine. En été, nous notons une activité bien plus forte due aux conditions climatiques.

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DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». p.183


Globalement, les nuits avignonnaises, sauf dans certaines situations exceptionnelles, sont endormies et inexplorées. La nuit apparait en « creux »51 par rapport au reste de la journée. Ce creux varie en fonction des saisons. Variations journalières week-end, vers une ville continue. Temporalités diurnes, temps collectifs. Le samedi est une temporalité spécifique : peu de services sont ouverts, mais les commerces le sont. L’affluence est expliquée surtout par les disponibilités majeures de la population. Et les usages demeurent variés en fonction des lieux. Notons qu’en hiver 40% des commerces sont fermés à Avignon puisqu’ils ne sont pas assez rentables le long de l’année et n’ouvrent qu’en été ce qui influence considérablement les fréquentations du centre-ville, boudés des consommateurs qui préfèreront les centres commerciaux chauffés et ouverts. La rue des teinturiers est déserte en hiver, pratiquement aucun commerce n’y est ouvert. Au contraire, la place de l’horloge est très attractive puisqu’elle est située directement sur le premier axe commercial du centre-ville. Les terrasses sont remplies au tiers, entre flâneurs et consommateurs. La place des Corps Saints elle est très attractive aux heures du déjeuner. En été, les activités planifiées ou spontanées fusent, les commerces rouvrent sauf quelques-uns qui n’ouvrent qu’au festival. Une nouvelle catégorie de la population occupe l’espace public : le touriste. Avignon intra-muros étant extrêmement touristique, ils sont presque les premiers usagers de l’espace public diurne. Indéniablement, les fréquentations le dimanche sont bien plus faibles. Deux facteurs expliquent cette faible fréquentation : la fermeture de la quasi-totalité des services et commerces urbains, et l’ancrage culturel du dimanche comme un temps de pause, de relâche dans nos emplois du temps. Néanmoins, la place de l’horloge et la rue des teinturiers, qui bénéficient d’une forte animation régulière et fréquente, sont également utilisés le dimanche, jour de manifestations locales (marchés, vendanges, équipements éphémères…), d’animations (puces, vides-greniers, activités, concerts…) ou d’évènements saisonniers. Particulièrement la rue des teinturiers qui bénéficie d’une offre culturelle étalée le long de l’année qui dynamise considérablement l’espace public. De plus les terrasses de bars et restaurants sont ouvertes tous les jours, peu importe les conditions météorologiques, et quelques commerces sont ouverts, esquissant la figure de la ville continue. Temporalités nocturnes, temps festifs. Le vendredi soir est temporalité spécifique puisque c’est le dernier jour de travail de la semaine pour les étudiants et travailleurs en horaires typiques qui représentent le groupe social le plus synchronisé. C’est un temps festif particulier avec le samedi soir : les bars ferment une heure plus tard, les transports publics sont plus nombreux et sur une plus grande fourchette de temps, les restaurants font bien plus de couverts, les cinémas ont plus de séances et les heures tardives sont plus affluentes. En hiver, l’espace public est très peu peuplé, seuls les alentours de bars sont occupés et ce très modestement. La place de l’horloge reste la plus utilisée, rythmée par ses programmes tels que cinémas ou opéra. La place des Corps Saints est très peu activée et la rue des teinturiers elle n’est habitée qu’à proximité du bar principal et de la salle de conférence. Globalement : à vingt-trois heures, l’espace public est vide et très peu de passage s’effectue. C’est ici que nous observons les populations à la marge que l’on ne remarque pas en temps de forte intensité d’usage : sans domiciles fixes, familles

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GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville, p.149


immigrées, noctambules enivrés. Ces populations tentent tant bien que mal de trouver des repères spatiaux où de s’abriter des conditions climatiques ou du regard des autres. En été, les occupations spatiales sont diverses et variées et s’étalent sur la nuit : le cœur de la nuit est à minuit et chute entre une et deux heures du matin selon le cas d’étude. De nombreuses activités spontanées sont notées, des activités planifiées et évènementielles s’organisent également jouant considérablement sur la démographie nocturne de la ville. Les commerces fermés en hiver ouvrent et engendrent également une certaine attractivité (glaciers ouverts jusqu’à 11 heures, tabac à minuit…). Nos observations ont démontré que la nuit dans l’espace public subit de fortes variations d’usage selon les saisons et les jours, parfois endormie, parfois fêtée, parfois simplement traversée. C’est également le lieu d’observation de plusieurs classes sociales à la marge. Variations saisonnières : dualité été-hiver Des temporalités contrastées Bien entendu, les observations menées sur l’espace public dépendent des heures, des jours et, du phénomène le plus flagrant : des saisons. Ici, nous notons un clair contraste entre l’utilisation estivale et l’utilisation hivernale des cas d’étude. Nous devons préciser qu’ils restent tous trois tout de même majoritairement utilisés tout au long de l’année. 50% des sondés n’utilisent la rue des teinturiers seulement l’été, et 37% pour la place des corps saints. La place de l’horloge est l’espace le plus affluent en hiver : les terrasses sont équipées de chauffages et abritées du vent et sont à proximité des rues commerciales très fréquentées en hiver. A contrario, en été, cette même place est extrêmement touristique car proche des attractions et située sur les axes touristiques majeurs. Nous constatons que cette temporalité touristique fait clairement baisser la fréquentation auprès des locaux qui préfèreront des espaces publics plus intimes où se retrouver comme la place des corps saints ou la rue des teinturiers. Néanmoins, la place de l’horloge de par son emplacement et son aménagement reste la place annuellement la plus fréquentée. Ces faits ont été clairement démontrés par le terrain d’observation qui a révélé une ville beaucoup plus animée et vécue en été qu’en hiver. En hiver, les temporalités habitées sont moindres, évènementielles et séquencées. Souvent, rien n’est observé puisque rien ne s’y passe. Les espaces sont vides et traversés, et les occupations sont ponctuelles et spécifiques, nous observons seulement des minorités exclues dans l’espace public. A contrario, en été, les temporalités sont multiples, s’enchaînent et se superposent et ces populations à la marge s’effacent du champ d’observation.


Le festival, figure de la ville en continu

Figure 10: observations vendredi 17 juillet

Le festival d’Avignon, plus grand théâtre du monde à ciel ouvert, est une temporalité très particulière qui métamorphose les pratiques quotidiennes de la ville. La ville en fête agit comme un « révélateur d’urbanité »52 demeurant un phénomène urbain fascinant : lorsque la ville s’ouvre, que le temps devient continu et que l’être ensemble, fédérateur, dessine une pratique urbaine aussi singulière que stimulante. La ville est en effervescence : sans montre il est impossible de connaître l’heure, même approximativement tellement le temps est continu. Tout marche en non-stop : commerces, restaurants, mais surtout théâtres. D’ailleurs, ce sont eux qui donnent le rythme de l’usager urbain. Le jour, il n’y a pas de pic d’intensité en particulier, tout est continu. La ville se réveille a 7heures du matin avec l’ouverture des premières terrasses et boulangeries, à 9heures débutent les premières pièces, à 10heures les services ouvrent. De là, l’espace public est saturé sur l’ensemble de l’Intramuros, et nos cas d’étude en sont des principaux lieux de vie. Les rues sont bondées et il devient difficile d’y circuler à pied, impossible en vélo. Les espaces manquent de place et génèrent une démographie saturée. Il est complexe de tenir une grille d’observation tellement l’intensité urbaine est forte et les évènements spontanés omniprésents. Nous avons relevé les principales activités mais nous ne pouvions toutes les relever tellement les usages fusent. Principalement, ces activités sont relatives au théâtre de rue : des comédiens qui font la promo de leur pièce ou bien des divers artistes de rue. Les terrasses sont bondées en permanence. Le moindre espace est occupé par le promeneur fatigué, le marchand nomade, l’artiste de rue, la terrasse de café éphémère. Dans ce temps continu, la nuit prend alors un tout autre sens : la ville n’est pas en sommeil, elle s’inscrit dans la continuité du temps diurne. Le cœur de la nuit festive est à 1heure du matin et se prolonge jusqu’à plus de 4heures, animée par les terrasses de bars certes mais surtout par l’espace public luimême qui se voit accueillir toutes formes d’usages. La rue des teinturiers en est le meilleur exemple : nous relevons une activité continue du matin au… matin, quand ses voisines semblent se reposer quelques heures entre 4heures et 8 heures du matin. 52

PAQUOT Thierry (Edit.). La fête en ville. Revue Urbanisme, juillet aout 2003, n°331. p37


La ville en fête est un phénomène traducteur d’une temporalité urbaine spécifique qui peut être à l’origine de critiques et réflexions sur la ville globale. Il révèle la diversité des usages d’un même espace pour les usagers et ce dans des temps différents qui s’enchaînent en continu. Néanmoins, cette temporalité est extrêmement intense en usage et en fréquentation ce qui génère dans la pratique de la ville, des conflits spatiaux et temporels. c. Conclusion : La ville à mille temps De manière générale, les cas d’étude témoignent d’une capacité à accueillir des populations aux usages variés. Ils sont réceptifs à la cohabitation des classes d’âge et sociales. Des observations et propos recueillis, nous constatons une multiplication des temporalités urbaines qui se superposent le long de la journée et commencent à entamer la nuit. Nous pouvons supposer qu’elles abritent bien d’autres usages variés et d’autres spécificités temporelles que ceux que nous avons rencontrés, que la matérialité urbaine doit accueillir et articuler. Nous avons vu que le support matériel qu’est l’urbain abrite des temporalités parfois opposées, parfois continues, parfois séquencées. Ces temporalités sont multiscalaires : les temporalités quotidiennes sont certes déterminantes mais elles sont bien évidemment changeantes en fonction des saisons, de l’attractivité urbaine, de jours extraordinaires… Et c’est bien le même sol sur lequel elles se déroulent. Ce même tapis qui supporte ces différentes occupations spatiales et temporelles. Nous avons constaté qu’Avignon comporte de fortes divergences entre été-hiver et diurne-nocturne. Il est impossible de dénombrer les multiples temps de la ville, comme le précise le sociologue Jean-Yves Boulin, la ville contemporaine est une ville à mille temps. Bien sûr, chaque ville comporte ses singularités temporelles : à titre d’exemple, une ville étudiante n’est pas vécue de la même manière qu’une ville balnéaire ancrée dans des rythmes touristiques. Nous devons penser chaque territoire et ses spécificités en mouvement, remonter au front pour mesurer quelles mutations temporelles et spatiales traversent nos villes et comprendre ces systèmes temporels complexes et imbriqués. Nous ne devons pas oublier que la ville est une entité qui évolue en permanence et qui n’est pas figée : la matérialité urbaine change de par ses constructions et déconstructions, l’espace social de par les apparitions de nouveaux groupes ou de nouvelles pratiques et l’espace juridique également (interdictions, privatisation des espaces). Ainsi, ces études temporelles doivent être fréquemment renouvelées. Nos connaissances sur les comportements diurnes sont assez complètes, mais celles concernant la nuit par exemple sont pratiquement inexistantes et très imprévisibles. Les connaissances sur une temporalité ne peuvent en aucun cas s’appliquer à une autre. Nous avons vu qu’en Avignon, la nuit reste très peu peuplée et qu’elle reste une temporalité à aménager. L’étude de Luc Gwiazdzinski53 assimilée à nos observations prouve qu’il est insensé de vouloir à tout prix faire le jour sur la nuit mais qu’au contraire, la nuit avait sa propre morphologie, pleine de paradoxes, et cette temporalité demanderait plutôt une pensée nuitale. Cette pensée nuitale demanderait un regard bien différent de celui qui est porté sur la ville aujourd’hui. Il y aurait un maire de nuit, des centralités urbaines nocturnes irrigués par des transports décalés… De même, la temporalité du festival est un temps très particulier dans la ville, celui de la ville en fête, quand la ville explose en usages et en évènements. Elle nécessite des aménagements spécifiques et temporaires, et une certaine connaissance des contraintes qu’elle génère. Pour chaque temporalité, nous pourrions développer une pensée spatiale appropriée. C’est tout un imaginaire qui se développe et qui est entièrement à penser, aussi bien au niveau matériel que social.

53

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville,


3. Confrontation : des mutations spatio-temporelles L’analyse conjointe des temporalités urbaines et individuelles révèle des nouveaux comportements et de nouvelles perceptions de l’espace et du temps dans la ville qui induisent ainsi de nouvelles attentes et de nouvelles problématiques. Le Zapping Le temps réel devient une nouvelle conception de l’espace : tout est instantané. L’accession à l’information, les distances, les marchandises, les espaces, les rapports des individus entre eux. Les avancées technologiques prônent clairement le gain de temps et le gain d’espace. Tout est rapide et accessible. C’est un zapping : un zapping spatial, un zapping temporel. Et chacun fabrique son propre programme, régit par ses propres contraintes. L’espace-temps n’est plus linéaire, il est fragmenté. Avoir du temps D’un autre côté, notre rapport au temps a fondamentalement changé : le temps est compté, perdu, ou gagné. L’expression avoir le temps ne peut être plus imagée. Nous en possédons ou nous en manquons. Le temps est au quotidien, un argument récurrent pour nombre de situations. Nous n’en sommes pas responsables au moment présent puisque dans notre planification temporelle les évènements sont ainsi posés. Nous marchons vite puisque nous n’avons pas le luxe de flâner. « Dans notre culture, on a cette idée précise que le temps est compté, qu’il est à organiser, à gérer. »54 De plus en plus d’objets quotidiens sont faits pour optimiser le temps : cuissons rapides, pâtes trois minutes, soupes minutes, purées en poudre, tentes 30secondes… caisses automatiques, caisses trois articles, capsules de thé, de café, de chocolat… la liste est longue et n’en finit pas de s’agrandir. La thématique du temps est un réel argument marketing et prospère au détriment du prix et de son facteur économique, écologique ou social. La ville à la carte pour l’individu paradoxal Toute attente est devenue insupportable pour chacun, comme « effectuer une punition imposée par le dysfonctionnement d’un service. »55 La ville va vite et l’attente ne révèle qu’un disfonctionnement de son organisation spatiale. La perception du temps et de l’espace est en réelle mutation : la vitesse, la virtualisation des espaces, des services, la flexibilisation du travail, le travail à domicile, la ville en continu… tant de facteurs qui dilatent nos perceptions du territoire. Associé à cela, nous nous ancrons dans des rythmes de plus en plus individualisés. Nous avons constaté que les nouveaux rythmes économiques, les nouveaux modes de vies, les nouvelles approches spatiales de la ville et du territoire fabriquent une désynchronisation conséquente des rythmes individuels. Aussi la voiture, le microonde, le congélateur, le téléphone mobile, l’ordinateur portable… autant d’objets qui permettent à chacun d’organiser son emploi du temps à son propre rythme. De là, l’individu est paradoxal : il veut consommer dès que l’envie l’en prend, mais refuse de travailler le dimanche. Il veut vivre à toutes les vitesses, mais à son rythme. Il veut prendre des vacances, mais sans le reste du monde. Il veut vivre à la campagne, mais bénéficier des services urbains. « Le consommateur paradoxal est, on l’aura deviné, facilement manipulable. Il accepte tous les archétypes que l’univers marchand lui présente et acquiert les panoplies qui vont avec. » 56 Ce paradoxe est accepté et allégrement intégré aux démarches privées, mais qu’en est-il des démarches publiques ?

54

PAQUOT Thierry, In : Centre national de la fonction publique territoriale. Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants. 30 septembre 2014, Dunkerque Halle aux Sucres 55

PAQUOT Thierry, PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.20 56

Ibid. p.29


En un même temps, les individus sont de plus en plus polyvalents : mobiles, connectés, instables, imprévisibles, ils prennent souvent leurs décisions au dernier moment, vivent dans plusieurs lieux, ont plusieurs travails, et de nombreuses occupations qui sont à chacune de plus en plus éphémères. Comment pouvons-nous seulement anticiper, planifier ces temporalités instables, changeantes et indénombrables ? Une ville inadaptée aux mutations Ces désynchronisations et synchronisations sont complexes et difficilement contrôlables sur le plan urbain, provoquant de fortes variations d’intensité d’usage dans la ville. Pourtant, les services publics et institutionnels gardent des temporalités dépassées provoquant dans l’espace public des saturations spatiales conflictuelles. Parallèlement, nous avons constaté que la ville s’étale sur l’espace et sur le temps, provoquant des modes de vie chronophages et des villes archipel où les emplois du temps sont de plus en plus individualisés et morcelés. Au cours de cette partie nous avons pointé les multiples enjeux de ces mutations temporelles indéniablement ancrés dans nos pratiques urbaines. Nous avons identifié au sein du centre-ville des temporalités multiples, qui se ressemblent, se superposent, se confrontent, s’opposent, s’enchaînent en fonction des heures, des usages que les espaces comportent ou suggèrent, des jours ou des saisons. Ces temporalités présentent à chacune des particularités et c’est au sein de certaines que nous pouvons détecter des disfonctionnements et des tensions : ce sont ces temporalités à la marge telle que la nuit, la fête ou encore les saisons froides où les populations à la marge tentent survivre dans un environnement hostile. Au sein de ces espaces-temps oubliés nous observons des pratiques imposées et des spatialités inadaptées aux mutations en cours… présentant « bien trop souvent des lieux de ségrégation entre individus ou groupes. »57

57

GWIAZDZINSKI Luc. Temps et territoires : les pistes de l'hyperchronie. TERRITOIRES 2040, n°6, DATAR, La Documentation française, 2012, pp.75-97. p8.


Partie II

« Ce n’est pas le temps qui manque, c’est nous qui lui manquons. » Paul Claudel

Cette deuxième partie établit la critique de la forme et du fonctionnement de la ville face aux mutations temporelles qu’elle traverse. Nous articulerons ses dysfonctionnements à caractères conflictuels et ségrégatifs, pour pointer de fortes inégalités dans la ville et dans l’espace public. Appuyés par l’étude de terrain confrontée à la bibliographie, nous renforcerons nos critiques par le biais d’études abouties sur les temporalités urbaines. 1. Conflits spatiaux Pour critiquer l’ampleur des conflits nous articulerons l’échelle urbaine jusqu’à celle de l’espace public. a. Fragmentation & déséquilibre spatial La ville respire La ville européenne telle que nous l’avons bâtie, régie par la mobilité et spécialisée, gigantesque système de flux, vit par le mouvement et génère de fortes respirations. La ville inspire et expire des consommateurs, des travailleurs, des visiteurs. Même si chaque ville possède son propre rythme, comme un organisme singulier, les métropoles françaises subissent au sein de ces systèmes de flux, des conflits similaires. Faites d’espaces aux utilisations contrastées, les tensions spatiales et temporelles générées « nous permettent de repérer la ligne de front »58 pour penser la ville. Ces respirations quotidiennes sont un immense terrain d’investigation pour bâtir la ville de demain. La ville pendulaire : roule ou crève L’éclatement des temporalités individuelles lié à la désynchronisation des rythmes combiné à l’étalement urbain et au principe de spécialisation spatiale du territoire génère une « gigantesque pulsation qui aboutit encore à l’engorgement quotidien des entrées et sorties de d’agglomération. »59 Nous l’avons démontré, les temps de mobilité sont au cœur des temporalités individuelles et sont un enjeu majeur dans le fonctionnement de l’organisme urbain.

58

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit, dernière frontière de la ville. Tour d’Aigues : l’Aube, 2005. 256 p. p.132

59

Ibid. p.145


Or, les transports publics généralement inadaptés aux demandes de mobilités individuelles, l’inexistence de structures cyclistes ou encore la pauvreté des systèmes de mobilité alternatives présentent trop de contraintes techniques et temporelles face au véhicule personnel. La question ne se pose plus, la voiture est une nécessité. Les conflits engendrés par ce mode de transport sont aujourd’hui innombrables sur la consommation énergétique, spatiale, environnementale, sonore et bien souvent temporelle : le phénomène de pointe reste très marqué en France malgré son effacement progressif dans plusieurs métropoles européennes. Les heures de pointes multiplient considérablement les temps de trajets automobiles, dépassant largement les temps de déplacement en transport public. En ville, quatre kilomètres c’est en moyenne vingt-sept minutes en voiture, dix-huit en bus et douze à vélo60 : l’automobile n’est pas rentable en ville sur la dimension temporelle… ni sur la dimension spatiale. La figure ci-dessous témoigne de l’occupation spatiale de quarante personnes en bus, en voiture ou en vélo : le constat est flagrant, l’automobile est de loin, la mobilité la plus consommatrice d’espace.

Figure 11: Québec 2012 www.transportsviables.org/quesion-despace

D’un autre côté, le coût social de la consommation d’espace pour les circulations automobiles n’est pas moindre : il transforme considérablement les pratiques spatiales urbaines, joue sur le portemonnaie de chacun mais également sur celui du l’état et des communes pour réglementer, sécuriser et entretenir les voiries et poches de stationnement qui posent des problématiques majeures dans la ville. Ces phénomènes quotidiens démontrent un dysfonctionnement spatial et temporel sur nos modes de mobilité qu’il est urgent de remettre en question et de solutionner. Périphéries Vs Centre-ville, le déséquilibre L’organisation spatiale en archipel de la ville et de ses fonctions présente de réels déséquilibres temporels et des intensités d’usage variées, instables et peu prévisibles. Le centre-ville se positionne comme espace conflictuel où les temporalités se croisent et se superposent, là où en périphérie, elles se scindent géographiquement en fonction du travail, du loisir ou des services. Le territoire péri-urbain est caractérisé par la mobilité de ses habitants, lorsque le centre-ville devient un espace congestionné. Ainsi les temporalités urbaines journalières classiques et les pratiques quotidiennes de l’espace public sont « liées aux principaux moteurs de mobilité : se rendre à l’école ou à son travail, les pausesdéjeuner, les lieux de rencontres ou de loisirs, les lieux d’activités nocturnes, festives, etc. »61 La mobilité façonne un rapport contemporain à la ville, aujourd’hui fragmenté et déséquilibré.

60 61

La voiture ne doit plus guider les décisions d’aménagement, 16 septembre 2016, http://ici.radio-canada.ca

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». Rapport final au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Décembre 2013 p.151


b. Conflits d’usages en centre-ville Lorsque nous nous penchons sur les centres villes, que ce soit sur le terrain, dans les études ou même au sein de l’opinion publique, nous constatons les mêmes critiques : c’est un espace conflictuel. L’étude de l’intra-muros d’Avignon est un exemple parmi de nombreux autres, mais il témoigne au sein de diverses temporalités des conflits sociaux et spatiaux particuliers qui figurent comme d’excellent champs d’investigation. Le centre-ville est un espace où les temps s’entremêlent et cohabitent. Ils ne font pas que de s’enchaîner, ils se superposent. La population y vit, y travaille, y consomme, s’y amuse… en un même temps. Il est par essence polychrone et poly-programmatique. C’est bien là sa richesse, son attractivité et… son défaut à en croire les témoignages des locaux. La densité fait peur, bien loin du calme de la banlieue, les individus aux rythmes multiples s’y croisent et partagent l’espace urbain pour leurs occupations respectives. Ce sont plusieurs « villes » qui cohabitent sur un même espace. « Entre le temps international des marchands et le temps local des résidents, entre la ville en continu de l'économie et la ville circadienne du social, entre les lieux des flux et les lieux des stocks, des tensions existent, des conflits éclatent, des frontières s’érigent. Nous voyons que la ville qui travaille, la ville qui dort, la ville qui s'amuse et la ville qui s'approvisionne ne font pas toujours bon ménage. »62 Et justement, en Avignon, la période de l’année par excellence pour observer ces superpositions de « villes » c’est bien le festival. Le festival, une autre ville. Avignon pendant le festival n’est plus habitée par ses habitants, mais par les festivaliers. C’est comme si la ville était en vacances. En réalité, même si l’économie des restaurateurs et commerçants dépend de cet évènement, les avignonnais eux désertent la ville pendant ce mois. Lors du sondage posé, 82% des locaux affirment ne pas être présents durant le festival d’Avignon, et seulement 25% sont intéressés par l’évènement et n’y participent qu’en début ou en fin. Les raisons sont claires : l’espace urbain est impraticable, les routes congestionnées, la ville sale et il est impossible d’y vivre normalement. Trop de bruit, trop de circulation, trop d’attente pour les services, trop de monde dans la rue : les avignonnais vous le diront, ils détestent le festival et ne reconnaissent pas leur ville. La ville devient une immense scène désertée par ses habitants : pourtant il est un des festivals les plus attractifs au monde. Un phénomène intéressant s’y produit alors chaque année : les locaux quittent la ville pendant cette période et louent leur appartement à des prix élevés qui seront automatiquement loués par les festivaliers. C’est une tradition qui perdure depuis les débuts du festival où finalement, chacun y trouve son compte puisque les festivaliers sont venus en centre-ville justement pour vivre cette ville en effervescence que les locaux fuient. Au sein de cette temporalité festive, les conflits observés sur le terrain ne sont pas sociaux puisque chacun des festivaliers apprécie la ville en fête et porte un témoignage très positif de l’expérience urbaine. Ces conflits sont techniques : les circulations sont impossibles, les livraisons ne sont autorisées qu’au petit matin, les services de nettoyage dépassés laissent les voiries souvent encombrées de déchets, et lorsque vient la pluie, l’espace abrité est quasi inexistant et la fréquentation chute automatiquement. La minorité de locaux obligée de rester sur place pour de diverses raisons se plaint du bruit incessant aux principaux espaces de vie urbains. A la question posée aux locaux « un mot pour qualifier Avignon pendant le festival ? » est répondu à l’unanimité : un (sacré-joyeux-beau) bordel. Nous pouvons

62

ASCHER François. Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. Les Annales de la Recherche Urbaine, déc. 1997, n°77, p.112-122. p.121


conclure que la ville festive n’est pas une temporalité appréciée par ceux qui la subissent, mais adorée par ceux qui la choisissent. Mais nous ne pouvons prendre cette temporalité comme témoin de la vie en centre-ville. La ville en fête nous apprend beaucoup de l’être ensemble urbain, de la capacité d’une ville à changer de rythme et de couleurs. « La fête est effectivement un temps d’exception, qui suspend les codes habituels de la ville, ses usages sociaux et matériels. Détourner ces codes fait partie des démarches des artistes de rue : par des actions perturbatrices ou des installations visuelles insolites, ils décalent le quotidien, créent d’autres points de vue, réinventent des histoires et des croyances qui permettent d’interroger l’existant, de le mettre en déséquilibre. » C’est une ville en continu qui accueille une multitude d’usages dans un espace restreint. « Bien sûr, cela pose des problèmes de circulation, de sécurité : la friction entre la norme et l’altérité qu’impose un festival de rue n’est pas simple à gérer, mais nécessaire, d’où l’importance d’une formation à ces corps de métiers impliqués : services techniques, équipes d’assistance et de sécurité : rôle essentiel dans les grandes manifestations. »63 Mais sur la durée, cette temporalité provoque clairement la fuite des riverains et exclue ceux qui la subissent, ne l’ayant pas choisi. En dehors de cette temporalité spécifique, le centre-ville vit une vie plus calme mais toute aussi nuancée. Au quotidien, l’Espace Public pour tous ? Le reste de l’année, la ville reprend sa respiration et nous avons constaté sur nos cas d’études que, selon les temporalités observées, « l’espace public est un lieu de conflits liés à la coprésence de catégories différentes d’où la difficulté à s’opposer à l’exclusion et à la confiscation des lieux par une catégorie particulière. »64

Figure 12: résultat questionnaire en ligne, 120 sondés

Nous avons pu relever ces conflits par le biais des questionnaires posés aux usagers du centre-ville concernant nos trois cas d’étude. Nous les avons divisés en trois groupes en fonction de leur âge. En premier lieu, nous notons que les usagers sont globalement satisfaits par l’utilisation de ces trois espaces. Mais même s’ils sont satisfaits, ils soulèvent des conflits d’usage et des contraintes spatiales et temporelles. La première source de conflit relève de l’occupation spatiale, suivie d’un sentiment d’exclusion dans l’espace public. Les utilisateurs témoignent d’un malaise quant à la cohabitation des différents groupes d’individus sur un même espace, la cohabitation est complexe voire impossible. Plusieurs facteurs justifient ce malaise comme l’ambiance sonore, l’offre du mobilier, l’espace disponible… et ils divergent selon les appartenances aux groupes, l’âge et le sexe de l’individu. Les 30-60 ans auront 63 64

PAQUOT Thierry (Edit.). La fête en ville. Revue Urbanisme, juillet aout 2003, n°331.

MASBOUNGI Ariella. In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.175


beaucoup d’exigences quant à la qualité sonore et spatiale des lieux. Ils privilégieront les temporalités peu touristiques où les circulations piétonnes sont fluides et les espaces disponibles. Trop d’attractivité et de bruit sur un même espace tend à écarter la fréquentation d’une tranche de la population. Les jeunes sondés auront peine à trouver l’espace pour pratiquer un sport, ou se réunir en groupe car délogés par les forces de l’ordre, soumis aux interdictions appliquées à l’espace public, ou au manque d’installations sur place. Les personnes âgées interrogées quant à elles sont globalement satisfaites de l’utilisation des espaces étudiés, même si elles avouent préférer les jours en « creux » comme le lundi où la ville est la plus calme pour réaliser leurs activités quotidiennes. Ces conflits ne génèrent pas de violences dans l’espace urbain mais au contraire, ils séparent les groupes et individualisent les comportements. Surtout quand ils sont assimilés à des contraintes techniques telles que l’offre temporelle, la mauvaise gestion du lieu, un éclairage trop violent ou peu chaleureux… qui limitent clairement l’utilisation du lieu. L’espace public est un bien commun qui n’est pas optimisé pour que les pratiques y soient diversifiées et égales à chacun : les interdictions, les spécialisations spatiales, les limites temporelles fixées par les politiques urbaines créent des temporalités ciblées qui mettent à l’avant une minorité d’individus qui travaille. Ainsi, plusieurs populations se retrouvent à la marge ou dans l’incapacité de les pratiquer. c. La nuit, l’espace de l’inégalité Nous avons constaté que la nuit était un espace particulier qui commence mais n’est pas encore réellement approprié par les pratiques urbaines. Les circulations y sont réduites, qu’elles soient automobiles, cyclistes ou piétonnes. L’offre de transport s’essouffle : les bus et tramway ne fonctionnent pas entre une heure et cinq heure trente du matin. Mais surtout, nous avons constaté que les populations changent : ceux qui habitent la nuit sont bien souvent des jeunes, majeurs et de sexe masculin. Insécurité La femme dans l’espace public subit de fortes pressions. Passé minuit, les jeunes femmes sont très rarement seules mais accompagnées lorsque les hommes sont souvent solitaires. En règle générale, lors de nos observations, peu importe la saison, ce sont les femmes qui quittent les terrasses en premier et les fermetures de bars se sont faites avec un public à forte dominance masculine. Ce phénomène est lié au sentiment d’insécurité de la femme dans l’espace public qui s’accentue la nuit. Ce facteur est également un vecteur d’utilisation temporelle des espaces publics. « Si l’ambiance (mauvaise ambiance, manque d’ambiance) et la météo sont les premiers motifs de rejet des soirées sur l’espace public, l’insécurité vient en troisième position. »65 La nuit reste connotée comme étant le « territoire de l’insécurité et de la violence »66 Ceci étant lié à l’obscurité et aux débordements festifs sur la voirie : les interventions du Samu suite à des agressions sont centrées sur la nuit et connaissent un pic entre 21 et 1 heure du matin. Finalement ces perceptions négatives de la nuit font de cette temporalité un espace peu habité et où les activités se développent par défaut dans le domaine privé, plus sécurisé et abrité des conditions météorologiques plutôt que dans le domaine public. Conflits entre la ville qui dort et la ville qui s'amuse Et pour cause, ce sont des villes bien différentes qui partagent la nuit urbaine, et les temporalités individuelles contrastées s’y retrouvent confrontées. 95,5%67 des interventions de la police pour 65

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». p.229 66

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville, p.162

67

Ibid., p.160


nuisance sonore et tapage nocturne s’effectuent entre 21heures et 6 heures du matin. La moitié des plaintes se concentre en centre-ville. La phase cruciale se situant entre minuit et deux heures, causée majoritairement par la ville festive. « Le temps que l’alcool fasse son effet, puis les groupes sont moins importants sur la voie publique, la fatigue aidant, le calme peut revenir vers 3 heures du matin. »68 Pourtant, à la question « Penses-tu avoir dérangé les riverains lors de ta dernière soirée en centreville ? », massivement la réponse est non à 81 %69 C’est bien parce que la ville qui s’amuse n’est pas consciente, ni avertie des débordements et des conflits qu’elle occasionne. Alors que la moitié de cet échantillon déclaré avoir déjà assisté à des débordements sur la voie publique : bruit, bagarres, dégradations. Avignon est une ville étudiante qui subit ces conflits les weekends end et le jeudi soir, mais ces conflits nocturnes dans certaines villes sont quotidiens, comme Montpellier qui concentre une très forte population étudiante aux temporalités diversifiées. Ces phénomènes engendrent plusieurs mutations urbaines : la fuite des résidents du centre-ville en périphérie où les espaces habités sont plus calmes. Ou bien le phénomène inverse : le déplacement des activités ludiques en périphérie où elles maîtriseront leur espace-temps, ce qui dans les deux cas contribue à dessiner une ville archipel spécialisée, dépendante de la mobilité et désintègre les temporalités quotidiennes superposées caractérisant la ville traditionnelle. Système sous contrainte La nuit, l’offre urbaine est clairement amputée d’une partie de ses fonctions traditionnelles.70 Dans l’espace public, les services de bien-être sont absents la nuit. En Avignon, les toilettes publiques ferment à 19heures, les points d’eau ferment en même temps que les parcs à 20heures et les bancs sont rares, souvent supprimés ou équipés de systèmes « anti clochard » qui en limitent clairement l’occupation. La nuit, la liberté d’action dans la ville est limitée par les coûts d’accès aux services nocturnes privés, favorisant une clientèle privilégiée et excluant toute autre pratique. 2. Ségrégations et inégalités spatiales Les mutations urbaines et individuelles engendrent également des phénomènes que nous n’avons pas pu observer sur le terrain, peu visibles dans l’espace public mais qui pourtant assoient de nouveaux modes de vie peu considérés dans la fabrication et la gestion urbaine. a. La ville en décalé La flexibilisation du temps de travail et la désynchronisation des rythmes économiques dessinent « les contours d’une ségrégation temporelle croissante entre les salariés. Ceux bien situés socialement bénéficient ainsi de journées de travail standard, alors que les salariés situés en bas de l’espace social sont de plus en plus confrontés aux horaires flexibles et décalés. »71 Ces individus sont dans une incompatibilité temporelle avec ceux qui sont dans des rythmes classiques ce qui les place dans une position d’isolement ou de repli sur ceux qui sont également en horaires atypiques. Cette tranche de population ne pratique presque pas la ville, et sont invisibles dans l’espace public « Ceux qui travaillent en horaires décalés profitent finalement peu de la ville et de ses services, les pratiques de la ville se réduisent essentiellement au travail et aux activités « corvées ». Les sorties urbaines, au cinéma, au théâtre, au café, au restaurant… restent très occasionnelles. Et ces rares sorties 68

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». p.231 69

Ibid. p.232

70

Ibid. p.173

71

LESNARD Laurent. Flexibilité des horaires de travail et inégalités sociales. Données sociales - La société française, 2006.


se déroulent essentiellement dans l’après-midi (ou le midi). »72 Pourtant, là est le paradoxe : pour que la ville réponde aux demandes de plus en plus instables des consommateurs, le travail en horaire atypique devient une nécessité. b. La ville en continu « Le continuum spatial de la ville sans lieu ni borne se doublerait-il aujourd’hui d’un continuum temporel ? » 73 La ville en continu devient une figure rêvée de la ville. En occident, il persiste une culture du temps de pause, pour l’instant celui de la nuit et du dimanche (encore faut-il excepter de nombreux centres commerciaux). Mais ces temps de pause sont fragiles et tendent à s’effacer au vu des mutations temporelles de nos villes voisines. Plusieurs ont déjà pleinement adopté cette figure urbaine. Au Danemark, le dimanche a exactement le même rythme marchand et social que le samedi. A New York, celle qui ne dort jamais, le métro roule toute la nuit. Au Japon, des commerces sont ouverts 24heures sur 24 et offrent une large palette de services et de produits. Et cette ville continue n’est pas due au niveau de développement d’un pays ou d’une ville mais bien au potentiel social et économique qu’offrent ces temporalités particulières : dans de nombreux pays du sud, la continuité des services est une réalité qui renvoie à une économie de la débrouille sous l’influence des rythmes touristiques. Oui, la figure de la ville continue existe, et sous plusieurs formes. De la ville globale de Saskia Sassen à la ville festive spécialisée dans les loisirs, ou bien la ville linéaire fabriquée de voies de circulation internationales où le temps est continu, connectée par les gares, aéroports, ports… jusqu’à la dématérialisation même de l’espace où l’on parle de la ville virtuelle des réseaux. Autant de formes qui caractérisent un temps continu. La ville continue prend ses racines dans la rapidité, l’immédiateté, l’éclatement et la continuité. C’est la ville la ville de la mobilité, connectée, marchande, disponible, la ville du juste-à-temps.74 Ville automatique. Depuis l’ère industrielle, la machine modifie nos rythmes biologiques. Suite au modernisme, nous posons la question éthique de la valeur du travail de l’homme contre celui du travail d’une machine. Aujourd’hui la machine est omniprésente dans nos pratiques et dans nos villes. De plus en plus performante et multifonction, la machine est rentable et n’a aucune contrainte temporelle. La machine est un automate fidèle et travailleur qui s’insère parfaitement dans la ville continue. Lorsque nos vidéos clubs ont été remplacés par des automates 24/24, nous avons fait le deuil de la chaleur humaine que le gérant nous apportait et nous avons pensé que les distributeurs automatiques contribuaient à stériliser les rapports humains. Mais le fait est que ce service 24/24 a rendu accessible la location de films à une forte part de la population en dehors des horaires traditionnels et nous devons l’admettre, a rendu à ce service d’être plus accessible et plus adapté aux demandes de la population. Et justement, ce phénomène est ancré dans les pratiques urbaines japonaises où les temporalités individuelles sont considérablement désynchronisées. Les distributeurs nippons, omniprésents dans la ville, n'ont rien à voir avec ceux que l'on connaît en Europe. Ils proposent bien entendu des boissons et snacks mais certains vendent des peluches, des homards vivants ou encore… des sous-vêtements.

72

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». p.151 73

GWIAZDZINSKI Luc, La ville 24heures sur 24, p.16

74 Le Juste-à-temps est une méthode d'organisation et de gestion de la production, propre au secteur de l'industrie, qui consiste

à minimiser les stocks et les en-cours de fabrication.


La ville automatique prend place et entraîne dans sa course sa petite sœur, la ville virtuelle. Ville virtuelle, ville dématérialisée. Si la ville automatique accessibilise les services de l’urbain dans le temps, la ville virtuelle dématérialise les questions spatiale et temporelle. Et le pouvoir de cette dématérialisation ne cesse d’augmenter, touchant les domaines sociaux, culturels, administratifs, économiques, marchands, médiatiques, des loisirs, de l’éducation… les disciplines sont toutes modifiées par le virtuel qui s’immisce dans nos vies et prolonge nos temps de travail jusqu’à nos heures les plus intimes. Chaque service colonise cet espace dématérialisé qui apporte certes de nombreux avantages aux individus désynchronisés, mais efface de nombreuses contraintes spatiales, temporelles et économiques. Ces dispositifs technologiques fabriquent une nouvelle relation au temps et à l’espace. Tout est accessible, tout est à portée de doigt et parfois même livré à votre porte en quelques heures. Si nous reprenons l’exemple de la location de film, la ville virtuelle propose ce service instantanément, à tout heure, avec un catalogue infini et des prix défiant toute concurrence, et ce chez vous, en un clic. L’offre est très intéressante pour les individus qui manquent de temps ou qui ne peuvent se déplacer. Encore faut-il être connecté, équipé et maîtriser les outils technologiques. Aussi, plusieurs services publics sont supprimés au profit de services en ligne, accessibles 24/24 et 7/7. Nous avons constaté que les temps administratifs étaient une temporalité conflictuelle, en dehors des disponibilités de chacun. Mais la dématérialisation stricte de ces services porte de réels caractères ségrégatifs au vu des populations qui n’y ont pas accès ou qui n’y sont pas éduqués. Et s’ils modifient notre rapport espace-temps, ils apportent également de profondes mutations sociales. Les réseaux sociaux par exemple fabriquent instantanément un nouvel espace public75 qui exclue automatiquement ceux qui n’y sont pas inscrits. Et cet espace public est bien loin d’être un espace public. Sous juridiction privée, il est sous le chef de multinationales qui régulent les contenus et visibilités des informations sous des motifs commerciaux ou moraux, amenant encore une fois, une forme de ségrégation au sein de plateformes quotidiennement utilisées à l’international. Au-delà des relations sociales, les réseaux sociaux influent considérablement sur nos pratiques spatiales et nos perceptions urbaines. Ils deviennent la première source voire l’unique source d’information des digital-natives : c’est à travers ce nouveau média algo-rythmé qu’ils envisagent le monde, les informations et par déduction, la ville et son fonctionnement. A titre d’exemple, les évènements visibles sont ceux présents sur les réseaux sociaux et non sur la voirie publique, les adresses à connaître, les lieux où se rendre, les heures à favoriser… grâce à cet outil, il est possible pour un établissement d’appréhender le nombre de visiteurs qu’il accueillera mais également à quelles heures ils seront le plus nombreux. Et cette information est visible par tous : l’effet boule de neige prend vite le pas sur la réalité de l’évènement et engendre des inégalités culturelles et commerciales. La ville virtuelle est très influente sur nos modes de vie et nos pratiques urbaines, et surtout, elle est instantanée, sans contrainte physique. Nous retiendrons qu’elle rejette et exclue tous ceux qui ne sont pas en mesure de l’aborder et qu’elle échappe au système traditionnel et juridique de l’espace et du temps.

75

HABERMAS Jürgen. L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris : Ed. Manuel Payot, Réed. 1988. 324p.


Ville paradoxale. Face à la ville continue, peu importe sa forme, il semble que la présence de l’homme soit une nécessité éthique pour conserver une approche sociale, solidaire et égalitaire. Dans l’espace face au virtuel, et dans le temps face au temps continu émergent. Pour assister ceux qui n’y sont pas initiés, ou tout simplement pour être là. « Il reste cependant que l’on butte sur une différence autant philosophique que temporelle : être là est un métier bien difficile »76 Les travailleurs souhaitent justement être libres au moment même où les usagers souhaitent voir les services ouverts. C’est là le paradoxe : personne ne se bouscule pour travailler en soirée, le samedi, la nuit ou les jours fériés. Il n’y a qu’à demander au cuisinier : il subit pleinement les temporalités à la fois collectives et individuelles, lui-même écarté de tout rythme classique, et en tort s’il n’est pas ouvert en continu. Il vit au quotidien le paradoxe de la ville continue. Ou bien demander aux supermarchés qui en s’adaptant aux temporalités individuelles augmentent leurs plages d’ouverture, au prix d’une flexibilité maximale du travail et d’une pression croissante sur des salariés en précarité. A temps partiels, ou bien avec des journées collées et recollées, alternées de travail et de non travail, leur quotidien est un immense puzzle à recoller. Mais à y réfléchir, cette ville continue est-elle réellement désirée ? D’après le sondage de SOFRES, les français et le temps dans la ville « La ville permanente est réclamée avant tout par les jeunes et les diplômés ». Un échantillon d’individus de toutes classes sociales, âges et sexes est sondé afin de tirer les attentes temporelles des français. Les conclusions de ces sondages sont intéressantes : « La distinction se fait par l’argent. Les plus hauts revenus sont aussi les plus forts consommateurs de ville, par conséquent réclament un service à la hauteur de leurs dépenses. » Les impacts sont clairs : la ville 24/24 est une formule de luxe qui ni n’intéresse ni ne concerne les revenus modestes « qui restent à côté des temps de la ville comme ils sont déjà à côté de la ville valorisante. » 77 Effectivement, il semblerait que les attentes spatiales et temporelles ne soient pas les mêmes en fonction des individus. Cela varie selon une multitude de critères, à commencer par leurs revenus ou leurs modes de vie, mais aussi par leur culture… temporelle. Certains préfèreront la rapidité quand d’autres apprécieront l’attention et la disponibilité. Remettre en cause la ville continue du 24/24 est une nécessité lorsque nos rythmes s’accélèrent frénétiquement. Comme le soulignent les situationnistes, la ville comme l’être vivant respire et a besoin de ses moments de relâche. A l’image du relâche au théâtre, elle est le jour qui différencie les autres et les rend appréciables. Le temps de pause, le temps de réflexion, « l’étonnement de la première fois. »78 c. L’invisible sous les yeux. Et justement, si la ville continue est fabriquée pour les actifs, les usagers de l’espace public sont bien souvent des inactifs : « Jamais la ville n’a autant été fréquentée par les inactifs : enfants scolarisés, ménagères, chômeurs, RMIstes, sdf, touristes et retraités. »79 Ces inactifs sont les principaux habitants de l’espace public. Pourtant nous l’avons constaté, la ville privilégie le rythme de la minorité qui travaille. L’espace public est très peu ludique, les espaces délimités, fermés et spécialisés. Aire de jeu, aire de ballon, skate parc, aire de Pique-Nique… Sur nos cas d’étude cette spécialisation relève de la quasi omniprésence des terrasses sur l’espace public ou des interdictions présentes telles que les jeux de balles. Le mobilier, lui, est hostile et monofonctionnel, individualisé et limité en usages.

76

JEANNOT Gilles, In: PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.28 77

PAQUOT Thierry, Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. p.28

78

Ibid. p.31

79

PAQUOT Thierry, Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes, p.30


Figure 13: ségrégation spatiale place des corps-saints, décembre 2016

Au sein de ces inactifs, ce sont les populations en extrême précarité telles que les sans domicile fixe ou les populations immigrées non-insérées, les premiers habitants de l’espace public. Lors de l’exercice de terrain sur nos trois cas d’étude, nous avons remarqué ces populations à la marge au sein des temporalités à la marge : la nuit ou l’hiver lorsque les rues sont désertes, ils en sont les seuls pratiquants, subissant pour la plupart du temps les conditions climatiques et météorologiques. Le reste du temps ce sont les populations invisibles, discrètes et démunies, en dehors des rythmes, activités et temporalités observées. Mais en dehors de nos cas d’étude, nous devons relever que depuis peu, ces populations sont de plus en plus visibles dans l’espace public diurne, notamment sur les axes marchands. Les actuels conflits internationaux ajoutent à cette liste de nombreux réfugiés politiques. Toujours à la marge, cette population s’accroit et vit dans un espace public hostile à leur égard. « Il y a bien longtemps que les églises et les gares ne sont plus des lieux d’accueil de la nuit. »80 Peu d’espaces sont abrités de la pluie ou protégés du vent, de la chaleur, du froid ou des regards. Et lorsque les espaces s’y prêtent, ils sont bien souvent fermés par des grilles ou des outils qui limitent ou interdisent l’attente ou le repos. Les services publics tels que des douches ou des sanitaires sont limités d’accès et payants. La nuit, ces populations se trouvent dans des conditions extrêmes, où ces services de premières nécessités sont tout bonnement fermés : il est impossible d’uriner, de boire ou de s’assoupir dans l’espace public passé 20 heures. L’étude conjointe des temporalités individuelles et urbaines dresse une réalité ségrégative et inégale qui marque nos villes mais demeure peu visible. Parfois des tensions entre différents groupes éclatent et manifestent une mauvaise gestion de l’espace et du temps, mais au quotidien, des tensions excluent de fortes parts de la population ou génèrent la partition des groupes sociaux et des fonctions urbaines. Les mesures à prendre doivent-être à l’échelle des impacts qu’ils génèrent. « Faute d’une prise en compte réelle de ces tensions sociales, on risque bien de ne pas aller au-delà de quelques mesures gadgets. »81 A l’heure de la mixité et de la densité, nos villes font preuve de conflits considérables qui traduisent une ville sourde aux mutations qu’elle a traversées et qu’elle traverse chaque jour.

80

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit dimension oubliée de la ville : entre animation et insécurité. L'exemple de Strasbourg. 2002. 866p. Sciences de l'Homme et Société. Université de Strasbourg. p146 81 METTON Alain.

In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.102


3. Ville inadaptée ? Plusieurs éléments témoignent de l’inadaptabilité du support urbain. a. La ville en dehors de la ville Fille de commerce Si, selon l’expression de l’historien Henri Pirenne « la ville est fille de commerce, » le géographe Alain Metton pose la question de l’impact des nouveaux archipels commerciaux sur le fonctionnement de la ville et sur la vie urbaine. « Auparavant, il y avait la ville commerçante et la ville non commerçante. »83 Il dépeint la tristesse et l’insécurité de la ville non commerçante que l’on traverse d’un pas hâtif, quand la ville commerçante, la vraie, est celle du spectacle, de l’animation, de la rencontre. Effectivement, les temps marchands portent une place privilégiée dans la vie urbaine. Le citadin travaille et consomme, à défaut de produire. De là, cette temporalité, peu importe sa forme, est indissociable du mode de vie urbain. Jusqu’à la création des archipels commerciaux, les temporalités commerçantes étaient entremêlées avec les temporalités urbaines, au cœur des intensités d’usage. Nécessité temporelle pour l’individu, le temps marchand articulait une multitude d’autre temps dans les emplois du temps dont le temps administratif, social, culturel… Déplacer les temporalités commerçantes en dehors de la ville impacte le fonctionnement urbain. 82

Qui perd ses fonctions urbaines Nous l’avons constaté : aujourd’hui les commerces en centre-ville sont pour la plupart éphémères, instables et fermés une conséquente partie de l’année. L’exemple flagrant est la rue des teinturiers où plus de la moitié des commerces sont fermés en période hivernale. Il suffit de parler avec des petits commerçants pour comprendre l’ampleur de ce phénomène : le centre-ville peine à survivre face aux centre commerciaux en périphérie, sans parler du commerce en ligne qui impacte considérablement les temporalités commerçantes. En une saison, parfois les rues sont méconnaissables : les commerces ne tiennent pas l’année et changent du tout au tout. C’est également pour cette raison que de nombreux commerces et restaurants n’ouvrent qu’en période touristique ou seulement pour le festival où ils réalisent clairement leur chiffre annuel. Si seulement quelques axes marchands persistent en centre-ville, la majorité des espaces commerciaux se sont clairement déplacés hors de la ville, et ils attirent avec eux plusieurs services usuellement en ville : « Un certain nombre de services publics ont récemment ouverts des antennes dans des centres commerciaux pour épouser les déplacements d’achats de leurs usagers et les nouveaux rythmes de vie. »84 Des guichets de certaines grandes entreprises nationales ouvrent dans les centres commerciaux tels que EDF, la poste, la SNCF qui crée des antennes en dehors du Traffic quotidien… afin d’ajuster les horaires de chacun et d’assimiler les temporalités commerciales aux temporalités administratives. Si nous prenons l’exemple du centre commercial Cap Sud en périphérie d’Avignon : la poste, l’ECF, et certaines banques se joignent aux plus de 80 boutiques en tout genre, assimilé au multiplex Gaumont, un hypermarché et des restaurants à thème. Le phénomène est flagrant : les fonctions quittent la ville à grande vitesse, s’adaptant aux temporalités individuelles qui centralisent leurs déplacements dans ces zones hyper fonctionnelles. Démunie de ses fonctions primaires, la ville dense face à la ville diffuse prend alors une toute autre place. Avignon Intra-muros en est un excellent exemple : le dialogue entre le centre-ville et la

82

Ibid. p.75

83

Ibid. p.75

84

JEANNOT Gilles. In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. p.86


périphérie est conflictuel ou… inexistant. Le centre-ville est ainsi enfermé dans un système contraint, agonisant et muséifié. b. La ville démembrée ? Face à l’éclatement de ses fonctions, la ville est déstructurée, les espaces isolés, et les centre villes euxmêmes en viennent à se spécialiser. Le centre-ville écarté du débat urbain. Les centres villes des villes de taille moyenne, d’autant plus les centres historiques tels qu’Avignon Intramuros, sont relégués au plan de musée. Depuis la loi Malraux en réaction excessive aux politiques modernes des Ciam qui négligent la ville traditionnelle, les centres villes se trouvent patrimonialisés, labellisés, mis sous cloche, intouchables, immuables. Ces espaces sont surprotégés et prennent systématiquement une valeur touristique considérable pour l’économie de la ville. Les programmes y sont rigoureusement implantés en fonction de leurs qualités marchandes sur les axes touristiques. L'activité qui lui est propre n'est ni celle de la culture ni celle de la mémoire mais celle de la marchandisation et du tourisme.

Figure 14: muséification des centres-villes

Cette sauvegarde, essentiellement basée sur l'aspect touristico-culturel du patrimoine, conduit à ce que ces centres historiques n’intègrent qu'un certain type de programme et ce non sans conséquences sur le tissu social et urbain des centres. Ainsi, la ville traditionnelle perd de leur urbanité faite de superpositions temporelles et programmatiques et affirment un rapport opaque à leur contexte moderne. Face à ces nouveaux programmes festifs et bruyants, les centres historiques se voient désertés des classes moyennes préférant un mode de vie ''moins hostile,'' effrayés par l'image de la densité combinées à ces nouveaux usages. « Malgré les doubles vitrages, comment pouvoir habiter l’enfer d’une animation permanente… qui plus est, au bénéfice de gens venus d’ailleurs et non de riverains. »85 L’espace public en dehors de la ville. De l’autre côté, les nouveaux espaces marchands prennent alors une place privilégiée dans la vie urbaine et transforment nos perceptions spatiales de l’espace public. Naomi Klein témoigne de ces phénomènes en évoquant un dédoublement de l’image urbaine : « Nous avons tous vécu cet étrange dédoublement de l’image : un vaste choix de consommation associé à des restrictions nouvelles, imposées à la production culturelle et à l’espace public. […] » Et ce dédoublement provoque une réelle confusion quant à l’usage de l’espace public dans nos vies citadines. « Il est là encore lorsque des manifestants se font vider des centres commerciaux pour avoir distribué des tracts politiques, après s’être fait dire par des agents de la sécurité que l’édifice, même s’il a remplacé la place publique de leur ville, est une propriété privée. »86 Alors, la ville est démembrée : ses fonctions s’écartèlent et impactent clairement les comportements des individus. Les nouveaux espaces commerciaux qui reconstituent l’ambiance urbaine en s’y tenant rigoureusement en dehors produisent des fac-similés du centre-ville, allant jusqu’à créer un village de plâtre avec ses fausses fenêtres à rideau, ses bancs, sa fontaine, sa 85

Ibid. p.78

86

KLEIN Naomi. No Logo, La tyrannie des marques. Arles : Actes Sud.), 2001. 495p. (Babel essai) p.208


place publique et ses terrasses, et son éclairage rétro dans un hangar où les droits urbains sont inexistants et les usages dictés par les vitrines décorées. Aucune population à la marge n’y figure, ni manifestation, ni politique, ni simplement parce qu’elles n’y sont pas admises. La mort de l’espace public « Les temps marchands qui sont par excellence les temps forts de la vie urbaine sont, par leur multiplicité, de plus en plus adaptés à la diversité de la demande des consommateurs de plus en plus mobiles. Mais il faut sans doute veiller à ce que le gain de temps sur les achats ne signifie pas une perte sur le temps de la rencontre et de l’urbanité. »87 L’espace public dans sa signification et dans son usage subit pleinement ces mutations spatio-temporelles. Il perd de son sens au profit de fac-similés commerciaux qui atteignent clairement les libertés individuelles de chacun et n’inclue dans son espace privé qu’une population consommatrice, excluant tous les autres, ou bien un espace virtuel qui modifie les rapports humains et perceptions spatiales, excluant ceux qui n’ont pas accès à la technologie nécessaire. Aussi, nous pouvons remettre en cause la valeur et la perception actuelle de l’espace public Habermassien, espace de communication et de vivre ensemble. Ces nouveaux espaces de communication ne sont pas adressés au public mais à un public ciblé et restreint où les droits urbains sont inexistants, où la ségrégation invisible et contrôlée omniprésente.

Figure 15 : Mistral 7, Avignon sud-ouest. www.immochan.fr

Conclusions : une ville mal-connue Nous avons constaté l’alarmante situation de nos villes, de nos modes de mobilité et de consommation qui impactent violemment nos emplois du temps et notre quotidien urbain. La ville inadaptée influence intrinsèquement les temporalités individuelles et les temporalités urbaines. La ville dense devient un espace conflictuel et la ville spécialisée devient un espace stérile et monofonctionnel. Ces phénomènes cumulés dégradent considérablement la qualité de l’espace public de nos villes qui se voit de moins en moins pratiqué et de plus en plus ségrégatif. Parallèlement, Luc Gwiazdzinski affirme que nombre de ces temporalités urbaines demeurent inexplorées. Parfois, les pratiques spatiales sont telles que les aménageurs les ont anticipées, mais le plus souvent, ces temporalités leur échappent, ignorants des conflits temporels, conflits d’usages ainsi que des réels enjeux spatiaux et urbains. Les concepteurs restent souvent figés sur des systèmes de fabrication urbaines traditionnels qui n’intègrent pas les mutations spatio-temporelles, ou bien s’ancrent dans une position qui refuse de les intégrer, favorisant certains temps et excluant une multitude d’autres. Nous ne pouvons faire l’impasse sur la réalité urbaine encore très mal-connue, nous devons dessiner un quotidien urbain adapté à tous les individus et aux mutations en cours lorsque la ville ne cesse de s’accroître et d’évoluer. « En occultant ces questions ou en renvoyant ces arbitrages à la sphère privée, nous laissons l’économie dicter seule les lois et prenons le risque de voir un ensemble de décisions isolées générer de nouveaux conflits et de nouvelles inégalités. »88 Nous devons mettre en place les outils et les fondations d’une ville de l’espace et du temps. 87 METTON Alain.

In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.84 88

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville, p.214



Partie III

La malléabilité à la clé.

« Le temps est né avec l’espace, il y a environ 13,8 milliards d’années. » Albert Einstein

Au tournant d’une nouvelle aire urbaine, la ville s’étale dans l’espace et dans le temps, s’empare de nouvelles dimensions dématérialisées (virtuelle, continue, connectée, automatique…) où les espaces font preuve de nouvelles perceptions, de nouveaux comportements et de nouveaux usages. Sa morphologie prend des allures d’archipel où les individus tentent de recoudre des temporalités éclatées et divisées. Dans ce contexte alarmant, nous devons mesurer l’impact de ces mutations, toute sphère confondue pour construire une ville avertie où les libertés de chacun ne sont pas compromises mais orchestrées par une approche transversale. « Le thème des temps dans la ville ne doit pas être une mode qui produirait quelques gadgets, mais un remarquable prétexte pour donner plus de cohérence à la fois à l’emploi du temps de chacun et aux territoires urbains… Il s’agit de resserrer le lien entre la ville et ses habitants. »89 Qu’en est-il de la conception urbaine, serait-elle en mesure de répondre aux mutations économiques, sociales, environnementales et temporelles ? Est-elle en mesure de contrer la ville du juste à temps ? De répondre autrement que par l’apogée capitalistique d’une ville du 24/24, 7jours sur 7, fabriquée pour une minorité d’individus actifs ? De penser une ville à la carte équitable et solidaire dans chacune de ses dimensions ? De transformer nos villes où cohabitent conflits et ségrégations ? De transformer ces modes de vie où les différentes sphères se concurrencent inlassablement ? Mais le défi semble irréel : comment pouvons-nous travailler à la fois dans l’espace et dans le temps ? Comment pouvons-nous mettre en place cette ville spatio-temporelle, dans quel contexte ? avec quels acteurs ? quels outils ? Comment prétendre, à chacune de nos échelles, pouvoir collaborer sur un aussi vaste projet ? Nous tenterons de répondre à ces questions au cours de cette dernière partie. Nous étudierons le caractère prometteur transversal du temps dans le débat urbain, comme un pilier du développement durable où tout est encore à construire. Puis nous poserons les bases d’une conception urbaine spatio-temporelle à l’échelle du territoire et de l’espace public. Pour conclure, nous nous pencherons sur la malléabilité du support urbain comme réponse formelle à la ville temporelle.

89

PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.23


1. L’écologie temporelle Considérer le temps comme ressource est une piste des plus convaincantes. Le temps est un bien commun : il appartient à chacun mais chacun le partage dans son enveloppe immuable qu’est l’espace. Il est écologique90 dans le sens où il établit lui-même ce lien entre l’homme et son contexte, impactant ses modes de vie, ses milieux. De là, nous pourrions imaginer que la dimension temporelle prenne des visages tout autre. a. Un regard transversal Penser l’espace, soigner le temps Nous avons constaté que les conflits d’usage qui portent sur l’affectation de l’espace concernent désormais l’occupation du temps et de la gestion des rythmes urbains. Or, si « les villes changent au moins autant spatialement que temporellement, il faut se donner des moyens nouveaux pour prévoir, projeter, maîtriser ou aménager leur nouvelle transformation de jour comme de nuit. »91 La question n’est pas de déplacer les problèmes temporels dans des espaces neufs et neutres, mais de les soigner, anticiper, réglementer pour accepter la cohabitation des populations désynchronisées. Nous devons garder en tête que la ville est un système de rencontre et de flux. Nous avons également constaté que pour son équilibre social, la ville avait besoin de moments moins intenses en usages. Comme un organisme, elle a besoin de temps de pause, de temps libre de toute valeur monétaire. Ce sont ces temps qui invitent à d’autres valeurs telles que l’échange, la réflexion, la rencontre. C’est ce temps qui invite à la tolérance et au vivre ensemble. Ce temps éponge qui rend les autres temps agréables. Nous ne pouvons pas nous ancrer dans une temporalité continue telle que celle de l’économie, mais nous devons prendre en compte la richesse et la multiplicité des temporalités urbaines. Question de tempo Aussi, ces temporalités urbaines sont à orchestrer « Il s’agira de protéger des périodes de temps et l’autonomie des temps, de concevoir les différents secteurs de la ville en fonction de leur profil temporel et d’orienter de façon stratégique les tendances en cours pour gérer plus intelligemment le fonctionnement urbain. »92 Ces profils temporels rythment la ville, superposant des temporalités compatibles les unes aux autres et limitant l’espace urbain. Il faut ainsi trouver le bon tempo entre les différentes villes et activités, lui donner pulsation : « Sans rythme, la société tourne en rond. »93 Pilier du développement durable ? La dimension temporelle révèle un pouvoir transversal considérable. A tel point que nous pourrions l’inscrire comme un pilier du développement durable, dans le sens où il répond au bien commun et qu’il tend à installer des solutions durables dans les différents secteurs. Comme nous l’avons vu au cours de la première partie, au sein des temporalités individuelles comme urbaines, de nombreuses disciplines sont concernées, impactées, et s’impactent entre-elles. Figure 16: Le temps comme pilier du développement durable, document fabriqué 90

Études des relations réciproques entre l'homme et son environnement moral, social, économique. CNRTL GWIAZDZINSKI Luc. La nuit dimension oubliée de la ville : entre animation et insécurité. L'exemple de Strasbourg. 2002. 866p. Sciences de l'Homme et Société. Université de Strasbourg.p218. 91

92

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville, p.210

93

IVAIN Gilles, In : DEBORD Guy (Dir.). L'internationale situationniste n°1. Juin 1958. p.6


b. Le citoyen, au cœur de la ville temporelle Formule urbaine : sur place ou à emporter ? Pour répondre aux citadins de plus en plus désynchronisés, la figure de la ville à la carte émerge. Peu prévisibles, les temporalités individuelles sont multiples et peu à peu, « chacun exige de pouvoir sans contrainte opérer des arbitrages temporels permanents dans ses modes de déplacements ou de consommations de biens et de service. »94 Comment appréhender ces nouveaux usages et nouvelles demandes ? Nous devrions dessiner une ville à la carte, qui réponde dans l’espace et dans le temps aux citadins et qui accorde les temporalités urbaines entre-elles. Pour cela, le monde numérique est un potentiel outil très prometteur pour anticiper ces besoins urbains croissants et contrer les conflits qui en découlent. La Big Data, un outil génial mais au service de l’urbain La Big data, ou l’ensemble des données disponibles divulgué par les individus via leur utilisation des nouvelles technologies, est un outil remarquable pour la recherche. Sur les questions de déplacements, d’habitudes et de rapport au temps, la géolocalisation utilisée par une grande partie de la population est un service en or qui limite les temps et les frais de recherche. Mais surtout, la Big data permet d’obtenir des analyses instantanées et progressives d’innombrables pratiques urbaines. Encore faut-il avoir accès à ces données pour les décrypter. Des outils de décryptage en open-source existent mais sont encore peu accessibles pour un utilisateur non initié, puisqu’ils nécessitent la maîtrise du piratage et du codage, et sont encore limités dans leur utilisation. Or, ils présentent un potentiel analytique inouï. Citons quelques exemples pour en comprendre le potentiel : InAtlas rend possible l’accès, la compréhension et le décryptage des données urbaines en temps réel pour optimiser un achat immobilier ou l’implantation d’un business. Ou encore CityDashBoard qui lui permet de consulter les données instantanées sur une ville, déplacements-horaires, pics d’affluences pour le métro et les pistes cyclables. Ce qui nous intéressera le plus sont la création de logiciel interactifs et modifiables selon des données ciblées : MapBox95 est le premier logiciel gratuit qui nous permet de cartographier le monde entier (là où l’open source existe), et d’injecter dans le code source des données spécifiques. A l’heure actuelle, plus de 350 dépôts publics sont répertoriés sur le site et téléchargeables sur le logiciel. La forme et le nombre de cartographies spatio-temporelles imaginables sont alors infinies.

Figure 17: Dan Belasco, 7ans, 1 ans, 1mois de trajets à Berlin, MOMA New York, 2013

Grâce à ces logiciels qui traduisent les comportements, les déplacements des utilisateurs et qui les mettent en parallèle avec des données climatiques, météorologiques, temporelles… le champ des possibles pour la recherche et la conception à l’échelle du territoire, du quartier ou de la parcelle devient alors énorme. Ils nous permettraient de détecter, d’apprendre, de résoudre, voire d’anticiper les temporalités conflictuelles et les dysfonctionnements spatiaux.

94

GWIAZDZINSKI Luc, La ville 24 heures sur 24 : Regards croisés sur la société en continu, p.104

95

www.inatlas.com, www.citydashboard.org, www.mapbox.com


D’un autre côté, la question des données est un sujet complexe pour les libertés individuelles. Elle fait place au traquage médiatique et commercial. Mais ces systèmes de traçages ne sont pas imposés, nous ne sommes pas dans la configuration Big brother : certes, souvent inconsciemment, ce sont les utilisateurs qui acceptent de partager leurs informations privées, il en va ainsi de leur volonté propre. Et pourtant, même si ces informations sont données par les utilisateurs eux-mêmes, les fins commerciales qui en suivent sont inquiétantes puisqu’elles fabriquent un certain rapport au monde en fonction des déplacements, activités ou relations que l’utilisateur aura pratiqué. Participation citoyenne La question est là : comment pirater ces systèmes, les maîtriser pour les mettre au service de l’urbain et de ses citoyens ? Nous pouvons aussi renverser l’outil et lui donner de nouvelles fonctions qui amélioreraient notre vie quotidienne. Les citadins deviendraient ainsi des citoyens capteurs.96 Il existe déjà plusieurs exemples d’applications citoyennes fructueuses telles que fix my street qui permet de signaler aux services communaux les dysfonctionnements urbains, et d’agir en temps réel. Aussi, ces applications peuvent s’étendre et créer des communautés citoyennes actives à l’échelle hyper locale. Ces processus utilisent la Big Data mais défendent un intérêt commun. Le citoyen averti partagerait des données nécessaires à la planification temporelle de la ville et serait un acteur actif de l’amélioration du quotidien urbain. a. Le temps comme ressource Aussi, la ville du temps offre à son citoyen une ressource jusqu’alors ignorée ou négligée : elle compacte le temps et l’organise autour du bien commun. La ville du temps donne aux citadins un quotidien urbain spatialement et temporellement équilibré, où le temps est à penser, à compacter, à articuler. Elle offre au citadin, le droit à la ville. Un droit à la ville pour une ville temporelle Face à l’éclatement des villes couplé à l’appauvrissement des centres-villes, Henri Lefebvre rédige un essai emblématique en 1967 sur le droit à la ville. Ce droit s’impose comme une exigence en réaction à la crise de la qualité de vie quotidienne que vivaient les citadins. Ce droit permettrait de construire une autre vie urbaine, face à la crise, qui fasse sens à chacun et palie un urbanisme ségrégatif et fonctionnel. Il révèle un état critique de la pratique urbaine et soulève des domaines d’interventions. Ce qui nous intéresse ici est sa théorie des temps-espaces urbains, qui indiquerait une pratique équitable de la ville. Malheureusement, ces temps-espaces urbains n’ont donné suite à aucune sorte d’expérimentation d’aménagement urbain ou architectural temporel. Ils n’ont pas non plus été intégré à la charte urbaine européenne. Pourtant la qualité de vie quotidienne est au cœur du débat urbain. Pour assurer ce quotidien, la citoyenneté doit être continue dans l’espace et dans le temps : ce droit à la ville assure cette continuité citoyenne, sur l’intégralité du tissu urbain et des temporalités qu’il supporte. « La citoyenneté se comprend de jour comme de nuit avec ses droits et ses devoirs. »97 Ce droit s’exprime dans la qualité des espaces publics ou collectifs qu’il pratique, mais également à l’accessibilité des services dans l’espace et dans le temps. Ce droit assurerait la considération transversale des enjeux que les mutations spatio-temporelles induisent. Les droits de l’homme dans la ville présents au sein de la charte européenne s’en rapprochent mais seulement quelques villes en sont signataires…

96

GOOD CHILD Michael. Citizens as sensors: the world of volunteered geography. In : VGI. 2007.

97

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville. p.209


Une politique temporelle ? Pour cela, nous devons engager une démarche concrète de politique temporelle à l’échelle du territoire. Nous avons constaté l’échec des politiques temporelles embryonnaires des années 1990. Depuis, seulement la loi SRU du 13 décembre 2000 souligne le rôle du temps comme un facteur dynamique de la planification territoriale, or ce facteur dynamique n’est que mentionné et ne traite aucunement d’un schéma directeur temporel du territoire ou d’un quelconque aménagement spatiotemporel. Et nous voyons bien le malaise : l’acteur politique est bien souvent accusé et pointé du doigt, devant faire corps avec les problématiques de chacun. Démuni face à l’ampleur de la réforme, le conseiller régional Jean-François Caron confie « Le problème du politique c’est l’art du possible. Faire société avec des individus. La réalité à laquelle parfois on se cogne... et l’acteur économique est le plus difficile à convoquer à la table »98 Il semblerait que le politique ne parvienne pas à faire corps entre les différents acteurs du territoire. Une politique expérimentale et transversale Thierry Paquot y répond avec ardeur et pose clairement ses ambitions sur la table : c’est une restructuration totale du système qu’il faut aménager. Lors du colloque de Dunkerque « Il n’y a pas de réforme possible, c’est un changement de système. C’est pour ça que je suis pour le vote à 12 ans, c’est pour ça que je suis pour le tirage au sort et que le maire soit élu pour un an comme à Genève… Je suis pour qu’il y ait une multitude d’expérimentations qui permette à l’individualisation y compris des territoires et des temporalités de s’exprimer et tant que l’on reste dans des structures normatives, on n’arrive pas à faire se rencontrer les gens différencialistes, ça prend trop de temps… C’est précisément la transversalité, c’est précisément le processus. Mettons en place ces trajets-là. »99 En poussant l’idée, nous pourrions imaginer un ministère du temps qui assurerait cette transversalité et impacterait les différents secteurs et protégerait cette ressource à l’échelle publique. Néanmoins, le débat que pose la question du temps dans la ville et dans la vie de chacun ne fait pas consensus. Nous l’avons constaté : chaque discipline s’est fabriquée une approche spécifique, comme chaque individu ou chaque structure. Dans la théorie comme dans la pratique, une multitude d’approches sont possibles, dans un champ où tout est encore à planter. Mais plus simplement, nous pourrions réactualiser et valoriser la structure des bureaux des temps, la réinventer, la remodeler pour lui donner ce rôle transversal. Les bureaux des temps comme un nouveau trait d’union « Vous ne pouvez intervenir dans le territoire que si préalablement, vous avez étudié les usages temporalisés des lieux que vous allez modifier, transformer. Je peux vous garantir que personne ne met cette dimension temporelle dans les projets urbains, cela n’existe pas. » Pourtant les bureaux des temps mis en place dans les années 1990 avaient cette vocation. Restreints budgétairement, ils ne comptaient qu’une ou deux personnes et n’étaient qu’un bureau d’étude, malheureusement dépendant des convictions des élus du moment. Mais ils défendaient clairement des positions transversales qui dépassaient les cloisonnements institutionnels.100 Trop fragiles, ces structures se sont vites heurtées aux cloisonnements des compétences, incomprises par les différents services ou

98

CARON Jean François, In : Centre national de la fonction publique territoriale. Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants. 30 septembre 2014, Dunkerque Halle aux Sucres. 99

PAQUOT Thierry, In : Centre national de la fonction publique territoriale. Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants. 100

MALLET Sandra. "Aménager les rythmes : politiques temporelles et urbanisme.". EspacesTemps.net, Peer review, 15.04.2013. p9.


confrontées au refus de collaboration. Elles n’ont pas pu passer l’opacité institutionnelle et normative pour pouvoir accéder au projet urbain et architectural ni assurer ce lien transversal. Ces structures prometteuses portent encore aujourd’hui un goût d’amertume. « Je suis effondré par le faible nombre de maison des temps, il n’y en a pratiquement pas en France. Rennes et Poitiers, quel courage de continuer ! par ce que sur les 36 000 communes, c’est ridicule la prise en compte des temporalités. »101 Luc Gwiazdzinski, qui fut directeur d’un de ces bureaux pendant un an reste perplexe quant à leur impact et à leur maigre pouvoir décisionnel. « Très franchement ça reste embryonnaire après 15 ans d’expérimentation, ça ne marche que pas à pas, seulement de toutes petites choses… »102 Nous devons leur redonner corps, moyens et pouvoir d’action : ils seraient les décrypteurs des mutations individuelles et urbaines. Composés d’une équipe interdisciplinaire, ces bureaux seraient capables d’engendrer cette transversalité, aurait un impact au sein des différents secteurs et parviendrait à assurer ce rôle de trait-d ’union. Les bureaux des temps seraient alors des bureaux d’étude, équivalents à un autre service tel que les bureaux de l’aménagement et de l’environnement. Présents, actifs et équipés, ils seraient ancrés dans le paysage urbain. Figure 18: une structure à penser

Ainsi, les bureaux des temps permettraient de fluidifier les flux et les usages urbains en désynchronisant les différentes institutions publiques ou privées afin d’éviter les heures de pointes et les encombrement de voirie. En relation directe avec les services de mobilité urbains, ils acteraient pour des solutions durables et solidaires aussi bien au niveau de l’aménagement de nouveaux modes de transports comme dans l’optimisation des réseaux existants. Ils constituraient des chartes d’usage pour apaiser les cohabitations temporelles à l’échelle des quartiers comme des bâtiments. Ils impacteraient les heures d’ouvertures des services publics pour optimiser leur accessibilité au plus grand nombre.

Figure 19 : Bureaux des temps, trait d'union

Ils protégeraient les individus des sphères invasives et faisant valoir le droit à la ville, et rapprochés des services culturels et des associations locales, favoriseraient les initiatives collectives, les temps collectifs et mutualisés. Mais surtout, alors sensibilisés aux temporalités individuelles et urbaines, ils permettraient de développer des outils, d’analyser, comparer et de fournir des diagnostiques à ceux qui fabriquent et transforment la ville.

101

PAQUOT Thierry, In : Centre national de la fonction publique territoriale. Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants 102 GWIAZDZINSKI Luc.

Horizon 2050 : éclairage raisonné…mais pas forcément raisonnable ! Saint-Etienne, 14 octobre 2016. In : Les Rencards de l’ACEtylène


2. Aménager l’espace et le temps Si le temps est une ressource, il est également matière : modelable, aménageable… nous lui avons jusqu’à présent donné une valeur économique via le célébrissime dicton « time is money » mais cette valeur n’est qu’éphémère, elle caractérise notre époque et nos modes de vie actuels, lorsque la précédente lui aspirait des valeurs sacrées. Nous avons vu que le rapport au temps de chacun dépend de sa culture temporelle. Dans cette optique, nous pouvons envisager de nouvelles configurations temporelles au sein de nos villes. a. Le temps comme espace Pour articuler la ville temporelle, il faut y implanter un schéma d’aménagement temporel évolutif et durable. Il planifiera spatialement les superpositions temporelles pour optimiser les ressources d’espace et de temps. Il est à l’origine de la restructuration de nos pratiques spatio-temporelles : il acte sur les modes et les plans de mobilité et sur la répartition territoriale des activités. L’enjeu est double : aménager l’espace pour préserver le temps, et le temps pour préserver l’espace. Ce consensus aux allures utopiques considère « la répartition des activités sur les territoires urbains, la conception, la localisation et le fonctionnement des équipements, l’invention et la réalisation des espaces publics dans l’aménagement et le fonctionnement de la ville à toutes les heures des jours et des nuits. » Cet aménagement devra « rendre compatible spatialement la diversité des pratiques temporelles. »103 Encore faut-il en dessiner et en transformer les contours. La ville de la proximité, polarisée Nous avons constaté que la ville perdait ses fonctions urbaines au profit de fac-similé urbains privés : les aires de loisir, de consommation, de sport, de soins, de facultés… fractionnent nos rapport espace-temps et engendrent la complexité de nos emplois du temps. Pour redonner de la cohérence à ses emplois du temps diffus, en compacter l’emprise spatiale semble comme une évidence. La fabrication de pôles polychrones sur lesquels le citoyen pourrait gérer son emploi du temps quotidien en limitant ses déplacements apaiserait les tensions individuelles et urbaines. C’est la ville polarisée de proximité. Nous avons également constaté que la majeure partie de nos déplacements étaient régis par le commerce quotidien, induisant une certaine pratique de l’espace urbain. Aussi, nous pourrions polariser la fonction commerciale au sein des centralités existantes, selon son degré de quotidienneté. Avec une accessibilité efficace et alternative à la voiture. Ainsi l’éclatement spatial des implantations d’établissements économiques est limité, et du même coup, nous économisons du temps de déplacement sous condition d’une intermodalité efficace. Figure 20: Fabrication de la ville polarisée

103

ASCHER François. Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. Les Annales de la Recherche Urbaine, déc. 1997, n°77, p.112-122 p121.


Cette ville polarisée doit tenir compte de ces deux dimensions : polariser une aire de proximité, qui articule le quotidien urbain, et polariser à partir de flux, où les différents modes de transports convergent en ces pôles. Vers de nouvelles pratiques spatio-temporelles : la mobilité au cœur du processus Nous avons vu que le système automobile, à dominance majeure dans nos villes européennes, était un système extrêmement contraint en milieu urbain. Perte de temps, d’argent, d’espace… les arguments fusent lorsqu’en face l’imaginaire automobile prône la convivialité, le confort, la liberté. Philippe Gargov, fondateur de Popup Urbain, cabinet de prospective urbaine, propose un affranchissement de cet imaginaire automobile qui n’est clairement plus adapté à la réalité des villes. Au-delà de l’éternel conflit pro ou anti automobile, c’est un réel débat collectif qu’il nous faut adopter concernant les différents modes dans l’espace urbain. La question n’est pas de bannir l’automobile de nos villes, mais de l’inscrire dans un espace urbain plus adapté aux mutations en cours.

Figure 21: finger www.sciencespo.fr

Nous pouvons observer des dispositifs concrets à l’échelle de la ville, prenons l’exemple de Copenhague. Cette transition passe par la requalification de l’espace accordé aux stationnements, pour adapter sa mobilité au contexte urbain dans lequel l’individu se situe. Ainsi l’automobile est acceptée en périphérie, mais est limitée en zone dense. La transition est gérée par des implantations d’infrastructures intermédiaires qui apaisent les différentes densités urbaines. Copenhague adopte dès 1947 son « Finger plan » pour pallier le développement croissant de l’automobile et de ses conséquences sur le territoire. Ce plan de développement structurant détermine les zones d’urbanisation et permet entre chacun de ses « doigts » axes de transports pour différentes mobilités, de conserver au sein de la ville des espaces verts, forêts et zones agricoles. Depuis, les doigts sont des espaces très attractifs, hyper connectés en transports en plan, commun et offrent une qualité de vie remarquable.

Ils ne cessent de s’allonger, l’ambition finale étant de connecter ces doigts au fur et à mesure en arc de cercle : les différents axes se connectent sans passer par le centre-ville, la ville ne serait plus centralisée. L’objectif de la ville était initialement d’atteindre une répartition modale des transports en trois tiers : un tiers de vélos, un tiers de voitures, un tiers de transports en commun. Ainsi, le Finger plan et ses transports en commun, cumulé à l’aménagement global des pistes cyclables sur l’ensemble du tissu urbain ont clairement diminué les trajets automobiles mais surtout ont créé de nouvelles pratiques urbaines. Les trajets totaux ont même augmenté. Récemment, la capitale enregistre en circulation pour la première fois un nombre supérieur de vélos sur le nombre de voitures.104 Ces chiffres ont été rendu possibles via un schéma de développement durable qui gère ces couches de densités entre le centre-ville, les périphéries et le milieu rural. Réappropriation spatiale Vouloir chasser l’automobile des centres sans prévoir d’infrastructures intermédiaires ne peut qu’engendrer des conflits. Mais au-delà de ces infrastructures, pour assoir une transition modale durable, il faut impacter l’organisation même de la ville, la répartition des secteurs, le temps de travail, ses conditions… Intimement liée au temps, la mobilité touche à une multitude d’objets dérivés.

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À Copenhague, les vélos désormais plus nombreux que les voitures, www.courrierinternational.com, 30 novembre 2016


C’est toujours dans cette démarche transversale que nous devons accompagner ces transitions, et non dans un secteur spécifique qui à lui seul serait inefficace. Et pour le coup, récupérer l’espace automobile, aussi bien pour l’espace de stationnement que pour l’espace de circulation, permettrait de remettre les infrastructures urbaines au cœur de la ville. La ville qui travaille, la ville qui produit, la ville qui s’amuse… pourraient reprendre place dans la ville dense, au cœur d’une cohabitation temporelle. Ainsi de nouveaux services seraient injectés ou réinjectés dans la ville, à l’échelle des bâtiments comme à celle de l’espace public. Bien évidemment, ces centres habités doivent être accessibles efficacement dans un panel temporel adapté aux temporalités individuelles. La ville dense et mixte A travers ce processus temporel qui dessine les modes de déplacements et de consommation en étroite relation, la question de la ville dense et mixte prend une place de choix. « Comme pour l’espace, les temps sociaux de la ville peuvent être régulés par des processus actifs opérés par des choix d’aménagement favorisant le compactage et la concentration des temps de pratique urbaine pour des temps courts et rapides de déplacement urbain. »105 Compacter le temps limite les conditions même de l’étalement du temps et de l’espace. De là, la ville s’articule temporellement autour de ces oasis multifonctionnelles et temporelles qui régissent les quotidiens (travail, commerce, services, loisirs). Le propre de ces centralités étant la multifonction et la superposition des temporalités dans un même espace afin de réduire les temps de déplacements intra et interpoles.

Figure 22: la ville polarisée et ses oasis temporelles

« La ville n’est qu’évolutions et le travail de projets en urbanisme ne tend pas vers « la » solution, mais s’inscrit dans une démarche d’améliorations progressives et toujours ouvertes. »106 Bien évidemment, chaque schéma temporel sera propre à la localité, et à la spécificité de chaque ville. Chaque schéma est un projet à penser et à contextualiser. Imposer un schéma préfabriqué à une ville existante risque de confronter d’avantages de conflits et de ségrégations. Les configurations doivent être adaptées et adaptables à un tissu urbain, social, culturel et économique. Et bien évidemment, elles s’insèrent dans une centralité existante. L’organisation spatiale et temporelle de ces oasis reste alors un enjeu de taille : elles seront les espaces conflictuels où les temps se mêlent. « Pourquoi ne pas anticiper le développement prévisible d’activités nocturnes afin de gérer au mieux les inévitables conflits d’usage et réfléchir à un aménagement et à un développement global de la ville qui intègrent la dimension temporelle et ne transforment pas la ville en caricature de cité livrée aux seules activités économiques ? »107

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DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». Rapport final au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Décembre 2013 p.321 106

MASBOUNGI Ariella, In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.167 107

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit, dernière frontière de la ville. Tour d’Aigues : l’Aube, 2005. 256 p. p.205


La figure de l’oasis temporelle pour apaiser la ville conflictuelle De là, nous pouvons dégager plusieurs scénarios d’aménagement temporel qui structure les différents temps urbains, à savoir principalement celui diurne et nocturne. . Le premier scénario est celui d’un urbanisme où les espaces se superposent en même temps que les temporalités dans un espace contraint. Les conflits éclatent entre violences et discriminations. La ville explose et l’équilibre social perd de sa cohésion. C’est le scénario de l’explosion : celui que subissent actuellement nos centres ville. . Le deuxième est celui de l’oasis temporelle : c’est le schéma de l’harmonisation. Les temporalités sont toutes pensées et rapprochées avec cohérence. La nuit est pensée comme une spécificité urbaine qui assure les fonctions diurnes inaccessibles aux individus décalés en horaire atypique, en un même temps, il permet également la cohabitation des fonctions nocturnes de la ville dans des espaces ciblés. Ces aménagements s’inscrivent dans un « principe de continuité territoriale et temporelle. »108 Ces espaces seraient implantés dans la densité urbaine et non isolés en périphérie. Néanmoins, ils s’insèreraient dans des « dents creuses » telles que les friches, gares, anciennes industries… où elles ne généraient pas les résidents, mais tout de même placées au cœur des centralités 23: scénarios explosion VS urbaines. Elles seraient desservies équitablement sur le territoire et Figure harmonisation, Gwiazdzinski Luc accessibles en transport en commun. b. L’espace public au prisme du temps, la polychronie au cœur de la ville temporelle Au sein de ces oasis temporelles, l’espace public joue un rôle central : il est cet espace de rencontre et de superposition des temporalités. Régulateur de flux, d’usages multiples, de ségrégations et de conflits, il est à la clé de la bonne cohabitation des populations diversifiées. La polychronie au cœur de la ville temporelle. Et c’est bien le caractère polychrone de son espace public, soit la capacité d’accueil et de cohabitation d’usages diversifiés en un même temps sur un même espace, qui est au cœur de la ville temporelle. « Tout lieu est par essence polychronique mais le temps occidental est monochrome, l'intérêt est de créer une diversité des rythmes et sa capacité à engendrer des usages pluriels. » 109 Et cette polychronie s’établit sur de différentes échelles temporelles : de l’année à la journée en passant par les saisons. Nous étudierons un exemple contemporain d’espace public où la polychronie est intégrée dès la conception du projet spatial. Figure 24: polychronie 108 109

Ibid. p.206

MALLET Sandra. "Aménager les rythmes : politiques temporelles et urbanisme.". EspacesTemps.net, Peer review, 15.04.2013. p9.


Cet exemple fait preuve d’une remarquable capacité à faire cohabiter les usages et les populations dans un espace qui anciennement dérivait d’un urbanisme fonctionnel et moderne. Nous en étudierons alors les principaux dispositifs spatiaux. La place de la République par TVK, Paris Qualifier les voiries, hiérarchiser les usages, libérer l’espace. L’équipe TVK pour ce projet central dans le tissu urbain parisien, a su libérer les contraintes spatiales existantes pour permettre spatialement la pluralité et la cohabitation des usages. Aujourd’hui la plus grande place piétonne parisienne, elle supporte une vie publique intense et multiple. Devenue symbole dans la vie urbaine diurne ou nocturne, emblématique du vivre ensemble parisien, mais surtout le support évolutif d’un large panel de temporalités, la place illustre parfaitement le pouvoir culturel et social d’un aménagement spatio-temporel. « Le réaménagement de la Place de la République s’appuie sur le concept d’une scène ouverte aux multiples usages urbains. La nouvelle place fabrique un paysage à grande échelle qui la transforme en équipement métropolitain : un plateau d’évolution disponible et appropriable. (…) Généreuse par ses dimensions, populaire par son histoire, la Place de la République devient un nouveau centre d’attraction, d’échanges, de rencontres. »110 La première étape a été de restructurer les pratiques spatiales de la place : l’espace doit être continu pour assurer une continuité spatiale des usages et des temps. Les circulations automobiles scindaient l’espace et fabriquaient des ilots difficilement praticables : l’espace est alors hiérarchisé autour de la pratique piétonne dans un principe de continuité modale.

Figure 25: Place de la république, espace piéton avant/après transformation. www.tvk.fr

L’espace piéton est passé de 35% à plus de 70% de la surface totale de la place. Multipliée par deux elle permet de connecter ces surfaces entre-elles et au tissu urbain. Connectée simplement aux grands boulevards, « Lieu ouvert aux populations variées, ayant des activités très diverses. Pour ces usagers divers, le projet a pour ambition de créer un grand rééquilibrage urbain par l’alliance entre voirie et parvis. »111 Fabrication d’un espace libre mais structuré Ce plateau d’évolution disponible et appropriable est justement fabriqué dans le moindre détail pour accueillir ces usages variés. Les dimensions des espaces sont travaillées jusqu’au calepinage de chacune des dalles. De grands modules à dimension humaine pour les usages de la grande dimension, de taille moyenne pour le quotidien de la place et de petits modules pour le quotidien des flux. La continuité de ces espaces est assurée par l’accessibilité totale en pente douce du site. L’unité spatiale de la place est assumée par ce sol minéral qui articule trois parties claires.

110

TREVELO Pierre Alain et VIGER-KOHLER Antoine http://tvk.fr

111

Ibid


Figure 26: axonométrie du projet, www.tvk.fr

1. Un parvis central de 12 000 m² fort en symboles, il représente l’identité de la place via la statue de la Marianne républicaine. Au carrefour des grands boulevard qui articulent la place et les évènements à la grande échelle. 2. Un jardin urbain ombragé de 2000m² organisé en plusieurs sous-espaces qui fabriquent le quotidien de la place. Il comporte un miroir d’eau imperceptible lorsqu’il n’est pas activé, des terrasses démontables, un pavillon d’exposition-débats-café-restaurant, une aire de jeux… ces sous espaces étant en eux même évolutifs et adaptables au fil des jours de la semaine et des saisons. 3. Des espaces de circulation élargis pour les flux majeurs et dans la continuité des axes existants afin de valoriser les déplacements piétons, cyclistes ou en transports en commun.112 Un laboratoire rythmique Les architectes-urbanistes ont structuré l’espace en fonction du degré de quotidienneté de l’usage, en induisant certaines activités, certains programmes. Mais surtout, ils ont offert aux usagers de l’espace à investir pour des activités spontanées insoupçonnables. « On nous a beaucoup demandé ce que nous imaginions comme usages de la place. Mais il y en avait surtout beaucoup qu’on n’avait même pas imaginé. »113

Figure 27: Orchestre debout, 14 avril 2016, https://youtube.com/watch?v=WBeEg7h5vN8 112

http://lecourrierdelarchitecte.com

113

TREVELO Pierre Alain http://www.liberation.fr


Nous nous souvenons de ces rassemblements historiques de janvier et de novembre 2015 où la place a pris une dimension mémorielle, sensible, émotive, fédératrice, extraordinaire… de ces initiatives sociales et culturelles spontanées telles que l’orchestre debout en avril 2016, ou encore du mouvement expérimental et citoyen de nuit debout… Et c’est spontanément que ces évènements marquants dans la vie urbaine ont pris place sur cet espace récemment identitaire qui, appartenant à chacun, rassemble et fédère les temporalités comme les individus. Le phénomène est d’une telle ampleur que cet espace en lui-même est devenu un laboratoire des rythmes et des usages urbains. En 2013, bien avant les grands évènements parisiens de 2015, TVK mettent en place une plateforme114 interactive afin de répertorier les différents temps de la place. Depuis, la plateforme répertorie plusieurs centaines de photos, traçant une superposition intense d’usages et de temporalités urbaines. (Voir annexe) Ou encore le film performance de 2014, 24 HEURES SUR PLACE d’Ila Bêka et Louise Lemoine où elles filment la place d'une aube à l'autre pour capter la richesse de tout ce qui peut advenir dans les rapports étroits entre l'espace d'une place et le temps d'une journée. 3. La malléabilité à la clé de la ville temporelle L’enjeu est clair : la polychronie permet de limiter la consommation d’espace, et de répondre aux nouveaux comportements et demandes, en accroissant l’intensité urbaine. Mais accueillir tous les usages en un même temps semble complexe et peu pertinent, la réelle problématique est de pouvoir modifier les espaces, les adapter dans le temps pour répondre aux temporalités. Et c’est bien tout l’enjeu de la ville malléable,115 cette cité qui se laisse façonner sans rompre : ce n’est pas la ville continue, ce n’est pas la ville éclatée, c’est une ville de cohabitation et d’expérimentation où l’erreur est permise. a. Pistes et expérimentations sur l’espace public Primordial dans la ville temporelle, l’espace public est à repenser, à restructurer. Car indéniablement, le rôle de l’espace public « physique » dans la politique, la citoyenneté, l’économique, la sociabilité, la rencontre et la fête, ne cesse de décliner, plus ou moins radicalement.116 Nous avons constaté le manque d’hospitalité de ces espaces physiques où les individus peinent à cohabiter. Or, ces espaces doivent être en mesure de « lutter contre la tentation du chez soi parfaitement équipé et doté de terminaux informatiques ouvrant sur le spectacle du monde et de la communication virtuelle. »117 Dans ce contexte, la transformation malléable de ces espaces est un pas considérable vers la ville temporelle. Voyons quelles pistes nous pouvons dégager. Faciliter les usages Des témoignages d’usagers, rapprochés aux plaintes des riverains, recueillis lors des questionnaires qualitatifs, nous pouvons d’ores et déjà dégager des solutions simples et applicables pour améliorer la gestion des espaces publics et les cohabitations entre les différentes populations urbaines, notamment concernant les temporalités nocturnes.

114 Participez à l’observation et à la documentation des usages de la nouvelle Place de la République. Envoyez votre contribution

à republique@tvk.fr 115

REBOIS Didier (Dir.). Thème Europan 12, la ville adaptable. Novembre 2011, 34p.

116

DESSE R.-P., GASNIER A., GUILLEMOT L., PUJOL C., SOUMAGNE J. CHRONOTOPE « Aménagement spatio-temporel pour des villes résilientes ». Rapport final au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Décembre 2013. p.292 117

MASBOUNGI Ariella, In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. Paris : La Découverte/l’institut des villes, 2001. 192p. (Cahiers libres) p.175


Un accès aux besoins primaires dans la ville tels que l’accès aux sanitaires ou simplement à l’eau potable, permettrait de rétablir certaines incivilités et hostilités nocturnes. Cela passe également par un aménagement qui favorise l’utilisation quotidienne de l’espace : espaces propices au travail, au repas, au jeu, des dispositifs acoustiques qui protègent les locaux des nuisances sonores sur les espaces critiques. Tout simplement pour permettre d’habiter l’espace public durablement : sans exclusions, sans induire à la consommation privée, sans dégradations olfactives, avec moins de conflits d’usages… Les plaintes des riverains concernant principalement la présence de déchets, les odeurs d’urine sur les porches et sur la voirie, et les comportements inciviques d’une minorité d’usagers. Nous pouvons donc conclure que la gestion du lieu reste primordiale pour son attractivité, certes les services municipaux en sont acteurs, mais sa propreté passe avant tout par le comportement des usagers. Permettre à chacun d’entretenir l’espace en disposant simplement des poubelles, cendriers, ou même des équipements que chacun peut utiliser, induirait des automatismes simples. Nous l’observons dans les pays tels que la Suisse, les Pays Bas, le Danemark… les comportements s’adaptent à l’état des lieux : le civisme est induit par la qualité de gestion du lieu. Le simple fait d’avoir une voirie entretenue et dégagée ainsi que des poubelles présentes dans un périmètre de vision améliore les comportements et génère une attention particulière des usagers qui se sentent concernés par la gestion de l’espace. L’éclairage comme architecture immatérielle pour repenser la nuit Sur la thématique de l’insécurité, l’éclairage de nos villes joue un rôle majeur. Soit il fait défaut et plonge les espaces mal éclairés dans la crainte et l’insécurité, soit il est trop puissant et stérilise toute potentielle occupation. Pourtant, l’éclairage est une thématique très diversifiée et riche en projets architecturaux ou artistiques. « L’animation et la mise en lumière de la ville pourraient contribuer à réduire le sentiment d’insécurité, générer des emplois et contribuer à créer un nouvel imaginaire urbain.»118 Manuel de Solà, architecte urbaniste catalan, considère la conception de la lumière comme une architecture immatérielle. La nuit en devient ainsi un contexte très spécifique où la lumière est une matière qui permet d’expérimenter des comportements, des ambiances, des usages. Elle crée un nonjour : ce n’est pas de la nuit, ce n’est pas du jour, mais cela permet la poursuite des activités et l’appropriation d’une temporalité urbaine jusqu’alors limitée.

Figure 28: multiples ambiances lumineuses, berges du Rhône, Lyon. Photos prises le lundi 20 Juillet 2015 à 00:00 puis 01:00.

Le récent aménagement paysager des berges du Rhône par l’agence Inuit à Lyon en est un excellent exemple. « Lyon est une des premières villes françaises à mettre en valeur son site et sa géographie particulière autour du Rhône et de la Saône pour créer un paysage de nuit et des ambiances lumineuses. »119 Les espaces sont variablement éclairés selon leur intensité d’usage et préservent la pénombre pour valoriser la topographie, le paysage, limiter la pollution lumineuse ou simplement pour ne pas aveugler les utilisateurs. Les pistes cyclables sont signalées par de discrètes bandes lumineuses, 118

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit, dernière frontière de la ville. p.206

119

MASBOUNGI Ariella, In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. p.173


les espaces les plus fréquentés sont ponctuellement éclairés pour générer des ambiances agréables mais sécuritaires. Ces aménagements lumineux permettent une réelle appropriation nocturne de la ville. Ils nous prouvent que penser la ville la nuit n’est pas une impasse vers une ville du 24/24 « Elle peut faire l’objet d’un vrai projet spatial : introduire des intimités, des atmosphères favorables à l’usage de l’espace public, des parcours rassurants, des émotions nouvelles… »120 La ville ludique Et ces émotions nouvelles sont un large sujet d’étude. La tendance croissante de l’aménagement en architecture ou en paysage tend à promouvoir une ville plus ludique, et destine les espaces aux jeux et aux sports urbains, induisant des comportements joueurs et conviviaux.

Figure 29: superkillen park, Copenhague, BIG, photo prise le 5 décembre 2016 à 11h00

Murs d’escalade, baignades, canapés urbains, terrains de glisse, skate-park, terrains de sports variés, tables de jeux, barbecue, marquage au sol… autant de possibilités de s’affaler ou de s’activer dans l’espace public, qui rivalise alors avec le confort équipé de la maison. La ville ludique se construit par la matérialité de son sol et par « l’artefact »121, ce mobilier intrigant qui incite à l’hédonisme. Et cette démarche peut s’appliquer en toute sobriété à l’échelle du mobilier le plus anodin : le banc est un excellent exemple.

Figure 30: Sofa urbain place de la république, Tvk

TVK dessine un Sofa Urbain pour engendrer des usages multiples et des positions confortables en solitaire ou en groupe. « Disposés sur l’esplanade et sur les trottoirs périphériques : sur le principe d’un « sofa urbain », le banc est équipé d’un accoudoir latéral afin de faciliter son usage aux personnes à mobilité réduite, son autre extrémité autorisant une assise sur trois faces. »122 La ville devient alors un terrain de jeu, un espace de vie, et réintroduit le loisir, la rencontre, le confort dans l’espace public. Il prend une place attractive face à la sphère intime confortable et protégée.

120

Ibid. p.174

121

CURNIER Sonia. « Programmer le jeu dans l’espace public ? ». Métropolitiques, 10 novembre 2014. TREVELO Pierre Alain et VIGER-KOHLER Antoine http://tvk.fr

122


La ville malléable Et des espaces bien équipés relèvent cette fonction malléable : à la fois dans le temps pour les usagers qui expérimentent une multitude d’usage sur un même espace, mais aussi pour les programmes : mutualiser les espaces dans la ville permet de limiter son étalement et de réduire les coûts. Par exemple la place, le square, le parc devient cour de récréation aux heures de pause, tout en gardant sa fonction d’espace public.

Figure 31: Israels square. Copenhague, Sweco landscape architecture, photo prise le 5 décembre 2016 à 10:00

Cette malléabilité intelligente est déjà appliquée au Danemark en plein milieu urbain et est pensé dès la conception de l’espace afin de permettre la mise à distance des enfants aux voitures ou aux flux passants. Pour le projet d’Israël square à Copenhague, il n’y a pas de limite matérielle, seulement une différence de niveau significative. En Suisse, les préaux d’école sont ouverts au public en dehors des heures de récréation et assurent alors dans la ville une fonction le soir, le weekend end ou en période de vacances. La ville sensible, adaptable et interactive François Ascher, lui, parle d’espaces à la fois visuels, tactiles, denses en attractivité qui soient complémentaires à la ville virtuelle et non en opposition. Cela implique de composer avec ces nouvelles technologies : une des réponses possibles est la superposition des filtres virtuels sur le réel.

Figure 32: Laser Field, Madrid, 2013

Nous pourrions développer des espaces publics interactifs qui se transforment en fonction des besoins des utilisateurs, malléables depuis l’utilisation des nouvelles technologies. Pour exemple, une marque de sport installe à Madrid des rétro-projecteurs lasers sur des places publiques. Connectés à un logiciel intelligent, ils étaient capables de projeter divers terrains de sport et d’adapter les tailles et emplacements en fonction du nombre d’utilisateurs et de l’espace disponible.


Ces utilisateurs activaient les terrains depuis leur smartphone. Ainsi, une place s’activerait la nuit et se transformerait en terrain de sport, ou en jeux divers. Un mur peut devenir un écran de cinéma en complémentarité du smartphone. Le champ des possibles est ouvert dans l’optique où l’utilisateur est acteur de la malléabilité, possède ce sentiment de maîtrise de son environnement spatial. La malléabilité est un outil formidable qui permet de penser en trois dimensions plus la dimension temporelle. C’est avec cet outil que les architectes et urbanistes peuvent penser la superposition et l’articulation des temps. Néanmoins, la malléabilité demeure complexe à mettre en place « Le passage entre la prise de conscience de ces mécanismes, la commande politique et le processus de projet n’est pas chose aisée, car il exige des passeurs entre les acquis de la recherche et la traduction dans le réel. »123 b. Outils d’application Obstacle : la barrière normative La malléabilité est possible, sur le papier… mais la barrière de la complexité normative est encore un très gros obstacle pour les entreprises individuelles. De nombreux espaces et locaux sont disponibles dans des temporalités particulières, mais les réglementations stérilisent les potentielles transformations que les espaces pourraient générer. Si nous prenons l’exemple de l’action solidaire, qui demeure une mesure de bon sens face à la précarité, la moindre procédure semble titanesque. Pour accueillir des femmes SDF les nuits d’hiver dans les locaux disponibles la nuit de leur faculté, les étudiants de Grenoble ont monté un projet nommé université d’accueil.124 Ils ont alors dû faire passer les structures d’accueil comme ayant le statut d’hôtel pour ne pouvoir finalement accueillir que 6 d’entre elles… ils ont dû réhabiliter les locaux avec des murs spécifiques, des peintures particulières… ce qui génère des moyens supplémentaires et des contraintes temporelles. Récemment, dans les écoles d’architecture des réseaux apparaissent pour pouvoir héberger des migrants tels que l’association RESOME125 (Réseau Etudes Supérieures et Orientation des Migrant(e)s et Exilé(e)s). Sauf qu’en l’occurrence, ces deux projets sont encore à l’état de… projet. Bien trop fastidieux à mettre en place, ces initiatives restent trop souvent à l’état embryonnaire, ou prennent simplement un statut illégal. Face à cette opacité normative, ne pourrionsnous pas à l’échelle des villes établir des calendriers d’usage au sein de chaque projet pour promouvoir cette malléabilité. Calendriers Ce sont des calendriers à deux dimensions : spatiale et temporelle. Ils fixeraient les limites de la malléabilité : quand et où ça s’arrête. Ils détermineraient quels usages pourraient en compléter d’autres dans leurs temps d’inactivité. C’est comme la gestion d’une salle polyvalente, mais à l’échelle d’un quartier, ou d’une ville !

123

MASBOUNGI Ariella In : PAQUOT Thierry (Dir.). Le quotidien urbain, Essais sur les temps des villes. p.173

124

Université D’Accueil 38 est une association principalement étudiante, promouvant l’usage malléable des bâtiments universitaires pour une action solidaire. 125

www.resome.org


Chartes, labels de bonne conduite Ces chartes d’usage de l’espace collectif doivent mener à des codes de bonne conduite car si la ville éclatée nous a appris à séparer les fonctions, la ville temporelle tend à les faire cohabiter. Ainsi, nous devons fixer des codes de bonne conduite. « Il nous faut réapprendre à cohabiter, et effectivement, ce n’est pas évident. »126 L’outil de la charte est un excellent dispositif qui rassemble les préoccupations de chacun pour fortifier les pratiques. Prenons comme exemple celle de Strasbourg, signée par les exploitants et par la ville.127 chaque activité prend les responsabilités et tient sa clientèle informée de la réglementation et des mesures à prendre. Ils doivent mettre en œuvre tous les moyens tendant à préserver la tranquillité publique. Respect des horaires : Les heures d’ouvertures sont fixées par le préfet, des dérogations individuelles et révocables à tout moment sont accordées par le préfet après avis du maire et de la police nationale. Respect du niveau sonore & environnement & non-discrimination : la sonorisation est définie en fonction de l’isolation acoustique du bâtiment, et du service Hygiène et Santé de la ville. Les établissements réguleront également les nuisances sonores occasionnées par la clientèle. Engagement à respecter les collectes de déchets… Etablissement accessible pour tous sans motif discriminatoire. Concertation & prévention & ordre public : les professionnels s’engagent à dialoguer avec les riverains pendant la durée de leur activité en temps festif. Mise en place de dispositifs de prévention alcoolisme et toxicomanies. Mesures de régulation de toute personne nuisant à l’ordre public. en contrepartie, la ville s’engage à veiller sur le respect de l’ensemble du règlement relevant de ses pouvoirs de police. Accompagne les exploitants sur l’information et la prévention liée à leur activité, travaille avec eux pour la redynamisation de la vie nocturne, travaille à améliorer les animations de quartier, constitue une commission nocturne pour la médiation à la concertation, pour étudier les dérogations horaires… enfin la ville s’engage à assurer les aménagements urbains ou de voirie tendant vers les objectifs de la charte.

Figure 33:document fabriqué sur les bases de l'association plus belle la nuit.

Ainsi, la ville de Strasbourg met en place un label nocturne qui valorise les établissements porteurs du titre, apaise la vie de quartier environnante et dynamise la vie nocturne urbaine. Ainsi, Strasbourg installe durablement cette temporalité dans la ville.

126

PAQUOT Thierry, In : Centre national de la fonction publique territoriale. Colloque rencontre territoriale : les services au rythme des habitants. 30 septembre 2014, Dunkerque Halle aux Sucres. 127

La Charte est signée par les syndicats professionnels mais également à titre individuel par leurs adhérents et les établissements non-inscrits dans une quelconque organisation représentative.


Ces chartes pourraient être applicables à chacune des temporalités conflictuelles, et manager les tensions entre domaine public et domaine privé, accordant les temporalités de chacun. Mais qui les mettrait en place ? Pourquoi pas les bureaux des temps justement, alertés des problématiques temporelles de chacun, rapprochés des exploitants et des riverains, ils mettraient ainsi en cohérence les préoccupations individuelles pour promouvoir la cohabitation au sein de la ville temporelle. Pour une ville des temps Quoi qu’il en soit, nous pouvons envisager des futurs lorsque certaines pistes sont déjà en marche, et surtout effectives. Munis de ces nouveaux outils d’aménagements et de gestion spatio-temporels, composés du consensus interdisciplinaire des bureaux des temps, des calendriers et chartes d’usages, nous pourrions reconfigurer nos villes. La ville temporelle est multiscalaire et ses interventions se font tout autant à l’échelle du territoire qu’à celle du quartier, du bâtiment ou de l’espace public. Pour que la ville temporelle vive pleinement, il faut articuler ces échelles. Aussi, depuis la loi SRU, nous disposons de documents de planification où nous pourrions intégrer un schéma de cohérence temporel, couplé à un schéma de cohérence spatiale. Ce schéma spatiotemporel à l’échelle du territoire trouverait clairement sa place au sein du Schéma de Cohérence Territoriale pour parler d’un agenda territorial. Il mettrait en cohérence les temps du territoire en impactant transversalement le Plan de Déplacements Urbains et le Programme Local de l’Habitat et les différents Plan Locaux d’Urbanisme et les Zones Aménagement Concerté.

Figure 34: SCOT configuration spatio-temporelle

Nous retrouverions ensuite ce schéma de cohérence temporel au sein des différents PLU pour articuler les temps urbains et cibler la malléabilité des espaces et des bâtiments. Ces plannings seraient accompagnés de chartes claires et équitables. Ces calendriers et chartes sont des outils pour permettre et cadrer les cohabitations temporelles aux échelles du territoire, du quartier, de la rue ou du bâtiment. Alors, pour assurer la réelle prise en compte du temps dans les projets de construction ou de requalification, Luc Gwiazdzinski propose une alternative très intéressante à mettre en place dans chacune fabrication d’espace urbain : un principe de haute qualité temporelle.


c. Vers une conception temporelle de haute qualité Une prospective Dès 1958, le mouvement révolutionnaire de l’internationale situationniste, conscient du pouvoir de l’architecture sur notre rapport au temps et à l’espace, est le premier acteur du débat à parler publiquement d’une architecture temporelle, une architecture futuriste participative et communicative. « L’architecture est le plus simple moyen d'articuler le temps et l'espace, de moduler la réalité, de faire rêver. (…) l'architecture de demain sera un moyen de modifier les conceptions actuelles du temps et de l'espace. Elle sera un moyen de connaissance et un moyen d'agir. »128 De la voix du théoricien Ivain Gilles, l’architecture temporelle née. Mais qu’est-ce qu’une architecture temporelle ? C’est une conception rythmique de l’espace, où les couches temporelles sont plurielles. Un combat La conception temporelle de l’urbanisme et de l’architecture ne tend pas à régler et à figer la ville dans un calendrier fixe et stricte, au contraire, elle tend à répondre aux mutations en cours et à s’adapter au quotidien urbain. La question n’est pas d’aménager la totalité des espaces sur des principes de malléabilité et de polyvalence, mais de l’injecter dans des systèmes conflictuels. L’enjeu est de combattre le monofonctionnel des quartiers, qui dilate nos villes et nos emplois du temps, de l’espace public, qui stérilise notre rapport à la ville, mais également des bâtiments à faible intensité d’usage. Cette mono-fonction n’a aucun sens lorsque de sérieuses lacunes spatiales et temporelles coexistent. Citons le parlement européen de Strasbourg où la majeure partie des salles suréquipées ne servent qu’au cours des commissions soit un jour ou deux par mois, six mois dans l’année, quand les universités strasbourgeoises sont en manque de salles de cours. D’où la pertinence de proposer ce principe de haute qualité temporelle : « Le bâtiment serait construit seulement si on a l’idée de son utilisation le dimanche, le soir, l’été et ainsi de suite. »129 Ce dans le simple but de préserver les ressources spatiales et temporelle, ainsi que depromouvoir la cohabitation, l’interraction, les situations, la mutualisation foncière et matérielle, et pourquoi pas le partage de connaissance, l’imprévu…

Figure 35: Chronotope Urbain, Projet étudiant de Mélissa Pizovic, ENSAM 2016 128

IVAIN Gilles, In : DEBORD Guy (Dir.). L'internationale situationniste n°1. Juin 1958.

129 GWIAZDZINSKI Luc.

Horizon 2050 : éclairage raisonné…mais pas forcément raisonnable ! Saint-Etienne, 14 octobre 2016. In : Les Rencards de l’ACEtylène.


Des possibles D’ici, le champs des possibles est ouvert. L’expérimentation est à fabriquer, l’erreur à corriger, les systèmes à optimiser, le débat à élargir, les positions à prendre et surtout, les projets sont à concrétiser, à construire ou à requalifier et à adapter quotidiennement. Aucun lieu n’est figé, aucun temps n’est stricte, aucune ville « Le complexe architectural sera modifiable. Son aspect changera en partie ou totalement suivant la volonté de ses habitants »130 Avec la présence des nouvelles technologies combinées aux nouvelles pratiques spatio-temporelles, qui ouvrent le champ d’une ville interactive et connectée, le citoyen est acteur et pratiquant de son propre espace-temps. Le levier du temps a beaucoup à nous apprendre et nous n’y avons que très peu pensé, à nous de jouer avec pour penser la ville de demain.

130

I IVAIN Gilles, In : DEBORD Guy (Dir.). L'internationale situationniste n°1. Juin 1958.



_________________ Un espace à investir

« Le temps est un ami. » Thierry Paquot

Indéniablement, l’organisation temporelle de nos villes et de nos emplois du temps subit de profondes mutations. Chaque individu porte ses propres temporalités, régit par des contraintes de plus en plus complexes. Les rythmes urbains sont désynchronisés et multiples. Parallèlement, la ville est chronophage. L’individu subit son fonctionnement qui dilate et morcèle nos territoires et nos emplois du temps. Notre rapport au temps a changé en même temps que notre rapport à l’espace. Le temps est devenu une denrée rare qui scinde les groupes sociaux et l’espace subit pleinement les directives économiques au détriment de la qualité du quotidien urbain. A travers l’étude d’Avignon, nous avons pu observer la multitude de temporalités urbaines qu’elle traverse : des temporalités diversifiées et contrastées. Nous avons constaté que l’espace public lors de certaines temporalités à la marge de la conception urbaine, telles que la nuit, la fête ou les heures de pointe, était un espace conflictuel qui provoquait la fuite des résidents et des activités en milieu périurbain. A travers les témoignages des usagers nous avons relevé une dégradation continue de l’espace public au profit des nouveaux espaces privatisés en dehors de la ville. Cette ville inadaptée est bien trop souvent le lieu de conflits et de ségrégations entre différents groupes et différentes activités. Aujourd’hui confrontés à ces problématiques alarmantes dans une ville qui ne cesse d’accroître et d’évoluer, nous devons admettre que le support urbain n’est adapté ni aux individus, ni aux différents rythmes qui la traversent. Face à ces mutations, deux issues sont possibles : celle de l’aliénation, lorsque les individus perdent la maîtrise de leur espace-temps au profit d’un ou de plusieurs autres, ou bien celle de la libération et de la création.131 En ville, le temps et l’espace sont deux ressources précieuses, nous devons devenir maître de nos emplois du temps. Nous pouvons alors choisir d’habiter le temps en même temps que l’espace, pour reprendre possession de notre quotidien. Nous pouvons choisir de redessiner le fonctionnement de nos villes en trois dimensions plus celle du temps. Nous pourrions esquisser et donner forme aux contours d’un système urbain qui remodèlerait nos pratiques spatio-temporelles pour replacer l’individu au centre de la ville. Et même si la mobilité est au cœur du processus, l’approche temporelle de la ville passe bien au-delà. C’est une approche transversale et multiscalaire qui trouve sens à chaque échelle, auprès de chaque individu.

131

GWIAZDZINSKI Luc (Dir.). La ville 24 heures sur 24 : Regards croisés sur la société en continu. Paris : Rhuthmos, Réed. 2016. 255 p. (Rhytmanalyse), p.227


Vers une ville à la carte La question est là, comment pouvoir anticiper ces temporalités individuelles lorsque ces individus deviennent de plus en plus imprévisibles, de plus en plus mobiles, de plus en plus polyvalents ? Nous l’avons constaté, bâtir des espaces spécialisés, figés dans un dessin contraint n’est pas une solution durable : ni dans le temps long ni dans le temps court. Cette spécialisation fait barrière à une multitude de temporalités oubliées qui génèrent de nombreux conflits, et ne permet pas l’adaptabilité de la ville aux mutations en cours. La réponse proposée dans ce mémoire réside dans la fabrication de la matérialité urbaine comme un support malléable et adaptable dans l’espace et dans le temps. Cette malléabilité passe par la prise en compte des temporalités urbaines, qui sont à articuler et à harmoniser, mais elle passe également par la prise en compte des diverses temporalités individuelles qui ne sont pas observables dans la ville. Cette malléabilité doit se présenter comme une formule à la carte que les usagers modifient. Planifier des usages diversifiés, certes, mais surtout laisser une place de manœuvre claire à l’imprévu, à l’expérimentation. Toutefois, la ville temporelle ne doit pas se confondre avec la ville en continu : prôner une telle ville, une ville du 24/24 provoquerait un certain nombre de risques considérables : « dictature du temps, triomphe de la compétition, avènement d’une cité globale qui impose espace et rythmes, perte des repères socio-culturels… »132 Une menace directe aux rythmes séculaires, et laisserait place à une ville mêlant « rapidité, immédiateté, éclatement et continuité ». Aujourd’hui, nous faisons face à de multiples villes : automatique, continue, virtuelle et dématérialisée… nous devons composer avec ces villes pour fabriquer une ville « à la carte » qui réponde avant tout aux individus. C’est alors que nous pouvons poser le rôle de l’individu dans la fabrication et dans la pratique de cette ville. Acteur et pratiquant, nous devons trouver les moyens et les outils de le placer au cœur de la ville temporelle pour qu’il soit maître de son quotidien et de son emploi du temps. La réponse est claire : la ville doit être pensée malléable, adaptable et interactive. Clairement, la ville se développe parallèlement dans le virtuel, par le biais des nouvelles technologies. C’est alors une ville à deux vitesses : celle du virtuel, rapide et efficace, et celle du territoire, fragmentée, subie et ségrégative. Nous ne pouvons fabriquer l’espace de nos villes sans intégrer l’existence de cet espace dématérialisé. Et ce sont justement les individus, les principaux acteurs de cette ville virtuelle, contrairement à la ville territoriale qui est imposée par l’acteur économique. Alors pourquoi ne pas utiliser ces outils au potentiel illimité qui offrent à la ville encore d’autres dimensions ? Aussi bien sur les questions d’analyse de données que sur leur capacité à mettre en réseau ou à interagir avec l’environnement, ces nouvelles technologies offrent au chercheur, au concepteur, au bâtisseur, au citoyen ou encore à l’usager des moyens de concertation et d’adaptation à la hauteur des besoins de la ville temporelle. Encore faut-il apprendre aux individus à utiliser ces nouvelles technologies en protégeant leur liberté et leur droit à la ville, et réussir à les intégrer au quotidien urbain. Vers une conception temporelle C’est par le biais de l’architecte et de l’urbaniste que la ville temporelle peut se reconstruire. Dans le partage de connaissance, le brainstorming avec les différentes disciplines et l’analyse critique, l’architecte saura se positionner et construire un regard transversal et critique sur chaque situation de projet. Il saura orchestrer les problématiques et mener à bien la capacité de transformation et d’adaptation des espaces. Aiguillés par les bureaux des temps et les nouveaux schémas de cohérence temporelle, nous pourrions prendre en compte ces rythmes dans l’aménagement urbain et architectural. Il faut construire ces « rythmanalyses » dont Henri Lefebvre avait bien mesuré les enjeux. 132

GWIAZDZINSKI Luc, La nuit dimension oubliée de la ville : entre animation et insécurité. p.743.


Et ces études temporelles doivent être fréquemment renouvelées car la ville est une entité qui évolue en permanence. Avec les nouvelles technologies, le développement de la programmation et de la géolocalisation, il est d’ores et déjà possible de concevoir une conception temporelle. Le levier du temps a beaucoup à nous apprendre, à la fois dans nos pratiques que dans nos conceptions spatiales. Et nous n’y avons que très peu pensé, à nous de jouer avec pour construire la ville de demain. Le temps, un espace à investir Travailler sur le temps est un vaste chantier. Tout est à penser, à synchroniser, désynchroniser, à concilier, superposer, articuler, à imaginer… Combien de fois s’y perd-on ? Un instant, nous y sommes, l’autre, nous sommes perdus tellement le sujet est total. L’espace prend soudainement une nouvelle dimension. Et alors, tout est concerné. Le temps déteint sur tout. Il est partout. Et pourtant, il est à chacun. Aménager le temps ? le projet paraît irréel. Difficile à imaginer, difficile à exprimer, les premières réactions de mon entourage concernant cette thématique de recherche parlent d’elles même : « Ah oui, ton truc spatio-temporel là, ça avance ?» « C’est beaucoup trop abstrait, je ne vois pas où ça mène » « Mais concrètement, tu cherches quoi ? » Et je m’y suis perdue plusieurs fois, comme si je m’étais plongée dans un univers invisible, prise dans un portail spatio-temporel sans entrée, sans sortie. Mais il suffit d’observer, de penser, de projeter, d’imaginer pour que tout reprenne sens. Cette dimension m’a ouverte de nombreuses pistes de recherches et m’a fait aborder la ville sous un angle passionnant, jusqu’alors totalement inconnu. Sûrement significatif de la désinformation que nous subissons à ce sujet, en architecture comme ailleurs. Ou du désintérêt peut-être. Pourtant, le temps est une ressource encore inexplorée à investir, à rythmer, à s’approprier, à préserver, à expérimenter. Nous avons vu à quel point le champ des possibles est vaste et prometteur. A quel point les challenges sont à relever, les échanges à créer, les débats à lever, les projets à fabriquer. Toutes les échelles sont concernées. Non, ce n’est pas qu’une histoire de banc, de lampadaire ou d’arrêt de bus, c’est un vaste projet transversal et global où chacun est impliqué. Le temps concilie tout le monde : chacun est concerné dans sa vie quotidienne. Elle oblige au partenariat car elle est la compétence de tout le monde et de personne. Elle oblige le privé et le public à dialoguer, elle concilie les populations diversifiées par la cohabitation, et la mise en place d’actions concrètes. Et même si la réforme temporelle est globale, c’est bien par le fil de l’architecture que nous bâtirons, dès aujourd’hui, cette matière malléable que nous vivons et traversons, cette ville temporelle. Le temps est une ressource durable pour la fabrication de la ville d’aujourd’hui et de demain, pleine de possibles et d’expérimentations. Le sociologue Jean-Yves Boulin dans la ville à mille temps trouve les justes mots. Travailler sur le temps c’est « tendre à instaurer une nouvelle relation entre temps et espace, temps collectifs et temps individuel, culture et citoyenneté, présent et passé. » Ambitieux projet que de travailler sur le lien qui relie les individus à leur environnement. Le trait d’union manquant dans une ville conflictuelle et inadaptée aux rythmes qui la traversent. Mais à y réfléchir, ce lien n’est-il pas l’architecture ellemême ? Il conclut son ouvrage avec ces mots « la ville à mille temps se présente comme une contribution à l’émancipation future des femmes et des hommes ainsi qu’à la revitalisation de la ville dans son sens originel de polis »133 comme un goût de d’autonomie, un goût de liberté. Nous n’avons plus qu’à nous poser l’ultime question, celle qui donne corps à chaque projet « Il suffit de savoir si le jeu en vaut la chandelle. »134

133

BOULIN Jean Yves (Dir.), AUBRY Martine (Préf.). La ville à mille temps. Tour d’Aigues : l’Aube, 2002. 219p.p.189

134

GWIAZDZINSKI Luc. La nuit, dernière frontière de la ville. Tour d’Aigues : l’Aube, 2005. 256 p. p.216



Figure 36: Tableau du corpus bibliographique majeur


RelevĂŠ des occupations spatiales dans le temps

Figure 37: Terrain d'observation, relevĂŠ spatial dans le temps


photos automne- hiver/printemps-été

Figure 38: observations automne-hiver samedi 5 novembre

Figure 39: observations printemps-été, samedi 2 avril


120 sondés, Posé aux avignonnais par media privé et par réseaux sociaux sur des groupes avignonnais. Les mêmes questions sont posées aux trois cas d’étude. Sur les sondés, 40% ont moins de 30 ans, 40% ont entre 30 et 60 ans, 20% ont plus de 60 ans.

Figure 40: fréquence d’utilisation des cas d'étude

Figure 41: attractivité des cas d'étude

Figure 42: conflits et contraintes rencontrés


Figure 43: qu'aimeriez-vous y voir s'y développer ?

20 sondés, Posé aux usagers rencontrés au cours du terrain d’observation, discussion ouverte sur les trois cas d’étude. Sujets abordés : usages, conflits, attentes.

Figure 44: nuage de mots : comment qualifierez-vous ces espaces ?


Figure 45: La place de la république au quotidien, appel à contribution, http://republique.tvk.fr


Figure 46: charte de vie nocturne, prĂŠambule, Strasbourg, www.strasbourg.eu




: Chaque individu porte sa propre temporalité, liée à ses propres contraintes et choix temporels. Elles sont régies par de nombreux donneurs de temps qui s’entremêlent : sphère intime, sphère économique, sphère collective… mais également par la pratique de la ville, la culture temporelle et le mode de vie de l’individu. Aujourd’hui diversifiées, complexes et désynchronisées, les temporalités individuelles sont innombrables, autant de temporalités que d’individus.

Les temporalités urbaines sont intimement liées aux temporalités individuelles. Directement observables sur le support urbain, elles rythment la ville et fabriquent le quotidien urbain. Selon Denise Pumain, géographe, ce sont plusieurs échelles de temps qui s’articulent dans la ville et marquent l’observation de phénomènes différents. Elles impliquent une succession de temps spécifiques. Aussi ces temporalités ne sont pas définies strictement dans le temps continu mais elles se superposent et se développent en parallèle, il est ainsi complexe de parler d’une temporalité urbaine sans parler des temporalités urbaines.

Système de flux et de rencontre.

Nous adopterons la définition claire et structurée de Thierry Paquot dans son ouvrage L’espace public, qui différencie deux formes d’espace public : son singulier et son pluriel. Au singulier, l’Espace public est celui définit par Habermas en 1978 comme le lieu abstrait et symbolique où existe le débat politique et où se forme l’opinion public. Au pluriel, les espaces publics sont les espaces physiques dans lesquels le public peut pratiquer. Le premier est au politique, lorsque le deuxième est au support urbain. Mais ils sont par essence inséparables par le simple fait qu’ils sont tous deux des espaces de communication, d’échange, d’interactions, qu’elles soient physiques ou non.

: Un espace polychrone est un espace capable d’accueillir et d’harmoniser plusieurs usages dans un même temps. C’est ainsi qu’un espace polychrone permet la cohabitation de plusieurs temporalités urbaines en un même temps sans générer de conflits d’usage. Un espace polychrone est par essence flexible, sa qualification n’est pas figée et les espaces supports ne sont pas limités à telle ou telle activité. Nous pouvons qualifier de polychrone un territoire, un espace, une organisation, un individu… La polychronie va à l’encontre de la spécialisation qu’elle soit fonctionnelle, spatiale ou temporelle.

: La malléabilité est la capacité polychrone d’un espace, couplée à sa capacité de modularité. Un espace malléable accueille plusieurs temporalités en même temps mais est également capable de les articuler au cours des heures, des jours et des saisons. Un espace malléable est un espace que les individus peuvent façonner et modifier dans le temps.



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Je tiens à remercier chaleureusement ma directrice de mémoire Anne Sistel, Les avignonnais qui ont donné de leur temps et de leur envie Ma mère et mon Johan qui m’ont soutenue et aidée tout au long de ce travail Luc Gwiazdzinski pour ses références quotidiennes, sa passion et ses encouragements.



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