Articles 01 talbot vs daguerre

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ARTICLE SUR

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ROER PHOTOGRAPHIE ED. Paris, 2013


Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. © 2013, ROER PHOTOGRAPHIE ED.


suivant les prescriptions de la loi, à la date du 13 mars 1830  3. D’autre part, un document provenant de Kew Green, près de Londres, est présenté à la séance du 11 mars 1839 à l’Académie. Il prouve que Nièpce avait fait connaissance avec le botaniste Baüer en septembre 1827, et à sa demande, Nièpce avait produit un mémoire relatif aux procédés qu’il avait découverts daté du 8 décembre 1827. Baüer le présenta aussitôt à la Société Royale de Londres avec plusieurs échantillons sur métal. Talbot a donc nécessairement eu connaissance de ce mémoire qui circula entre les mains de plusieurs membres de la Société Royale pendant quelques semaines. Enfin, la lettre de Baüer note sans ambiguïté que les premiers essais de Talbot ne remontent qu’à 1834  4. Dans sa réponse aux lettres envoyées par Biot les 13 et 18 février 1839, Talbot fait remarquer qu’aucun détails de son procédé n’est donné et met en question si Daguerre a déjà fait usage d’un procédé semblable au sien. Mais en bon scientifique, il ne se met pas « trop en peine qu’on soit arrivé ailleurs à de semblables résultats  5». Dans cette situation, en prenant compte des vues de l’un et l’autre, on peut y voir deux visions qui montrent Talbot versus Daguerre. L’un considérant la photographie produite tré

I T ALBOT VERS US DAGUER R E

L

es problématiques qui se posent aujourd’hui sur la diffusion de la photographie, en particulier, ne sont pas récent. Les premiers germes remontent au moment où l’Académicien François Arago fait l’annonce de la découverte, ou plutôt, de la mise au point du procédé photographique par Louis Daguerre en janvier 1839. En effet, à ce communiqué William Henri Fox Talbot réagit promptement en adressant une réclamation de paternité à Arago et à Jean-Baptiste Biot. Mais il a été clairement établit l’antériorité des travaux de Josephe Nicéphore Nièpce auxquels s’étaient associés Daguerre. En premier lieu, il est prouvé que Nièpce savait fixer des images durablement dès 1826  1. Les premiers dessins produits avec les perfectionnements apportés par Daguerre remontent à 1832  2. De plus, il est joint à la réponse à la lettre de Talbot, l’acte d’association Nièpce-Daguerre du 14 décembre 1829, enregis1 Acad. Sc., séance du 4 février 1839, t.VIII, p.172. 2 Ibid., le rapport de séance indique une ligne d’errata p.208 précisant 1832 et non 1830.

3 Ibid., p.171-172. 4 Acad. Sc., séance du 11 mars 1839, t.VIII, p.361-362. 5 Lettres des 20 et 21 février 1839, Londres, Acad. Sc., séance du 25 février 1839, t.VIII, p.303.


comme un gain pécunier, l’autre se l’approprie comme exclusivité dont la diffusion est soumise à son seul contrôle, à sa seule approbation. Et c’est là, les deux extrêmes auxquelles est confrontée la diffusion de la photographie actuellement. Le partage parfois sans pudeur - de ce qu’on appelle photographie met en évidence sans doute une non reconnaissance de la légitimité artistique de l’image fixe. Autant la diffusion de l’art pictural de la peinture reste dans un canal qui comporte des berges assez nettement définies, malgré l’incursion du procédé photographique - notamment dans l’art plasticien -, autant la photographie se diffuse comme un fleuve non maîtrisé qui inonde partout. Estce parce que la technique photographique est devenu tout à fait accessible au public? C’est au point si c’est parce qu’elle est facilement utilisable et mise en oeuvre que la photographie est considérée comme un objet public où la question de droit est virtuelle. L’image fixe ne serait-elle pas, en conséquence, comme un produit qu’on prend ou qu’on jette, et ayant comme description un tarif d’achat? Faut-il en réaction la conceptualiser? Cela l’a rendrait à l’excès trop dépendante d’un art éclectique mal compris. Faut-il, alors, la définir dans l’art dogmatique? Il y aurait, dans ce cas, une trop évidente introduction du politique  6. L’une des principales idées pour

construire un cadre à la diffusion du photographique a été la création d’un domaine contrôlé: la photographie d’Art ou le dit Fine Art. Celui-ci se conditionne essentiellement sur la rareté, donc une diffusion en très petit nombre d’exemplaire voire une diffusion unique. Sur cette voie, outre le tirage d’art, le photographe Pierre de Fenoÿl, qui a travaillé à l’intégration de l’image fixe au musée national d’Art moderne, préconise une diffusion sous forme de «livres d’artistes édités en petit nombre d’exemplaires  7». Alors que Jean-Claude Lemagny, spécialiste de la photographie française contemporaine, place le médium entre le livre et le tableau  8. Le domaine de la photographie d’art est un sujet fourni en informations et contraint de l’étudier à part. Demême, il y a matière à discourir sur la place de la photographie contemporaine dans notre société, mais il est inévitable que toute diffusion sur la toile laisse une grande marge à l’utilisateur dont seule sa responsabilité est sollicitée. A partir de 1843, la photographie s’investie largement dans la presse comme principal mode d’illustration. Dans sa thèse sur L’Illustration Photographique, Thierry Gervais introduit son propos en faisant remarquer qu’au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, « la production photographique devient massive, la reproduction photomécanique per-

6 Cf. Anne McCauley, Arago, l’invention de la photographie et le politique, Etudes Photographiques N°2, mai 1997.

7 S. Maresca, La photographie sous la férule de la critique, Lhivic (EHESS), 1995/2008. 8 Ibid.


met d’associer les caractères typographiques aux images et la presse s’empare de ce nouveau tandem pour illustrer ses pages ». Dans le domaine de l’illustration, la bataille entre les deux visions, entre celle du commercial et celle de la propriété, a été rude. La photographie et la gravure se trouvèrent à la moitié du XIXème siècle en forte concurrence du fait qu’au moment où le procédé photographique faisait son apparition, la gravure - au burin dit la belle gravure puis la lithogravure -, grâce notamment à la maison Goupil, était en plein essor assurée sur le plan commercial d’une bonne diffusion  9. La gravure, en effet, avait pris une place importante dans la presse et les magazines grâce à la technique lithographique  10. Stephen Bann, de l’université de Bristol, écrit que « la haute qualité atteinte par la photographie française de cette époque doit être évaluée en termes de soin esthétique, d’application prolongée, directement issus de la tradition de la belle gravure. Cela semble avoir été le cas, même si le répertoire des photographes s’est mis , de plus en plus, à répondre à un ordre du jour inspiré par les magazines illustrés  11 ». On observe que la tendance vers le but commercial est impulsée 9 Stephen Bann, Photographie et reproduction gravée: l’économie visuelle au XIXe siècle, Etudes Photographiques N°9, mai 2001. 10 L’hypothèse défendu par Paul Jay avance que Nièpce se serait fortement intéressé à la technique lithographique dès 1813, cf. Ibid., p.26. 11 Ibid., p. 39.

par un gain économique recherché souvent engendré par la technicité d’un procédé. Mais lorsqu’on compare la qualité d’une gravure au burin de Charles-Clément Balvay (17561822), dit Bervic, et une reproduction par lithographie, on comprend que la photographie est très vite remplacée la gravure en général. La presse ne fait pas de l’art en soi, mais elle vit de ses ventes; la photographie d’illustration s’y est donc naturellement installée avec poid. Pourtant, il reste vrai que la qualité d’une reproduction visuelle est un argument convainquant, surtout pour les magazines. Bien plus tôt, le grand ouvrage élaboré sous la direction de Edmé-François Jomard de la Description de l’Egypte, labeur digne de son sujet engendré par la fameuse expédition d’Egypte de Bonaparte de 1798 à 1801, montre que l’illustration au départ subordonnée au texte, s’avère par sa qualité être une véritable oeuvre d’art, de sa conception à sa réalisation. A ce point, l’illustration devient un document de recherche non négligeable. Les fortes critiques énoncées maintes-fois par Champollion sur la qualité des reproductions de hiéroglyphes, dessinées par les savants de l’expédition, n’auraient pas eu lieu dans les mêmes termes si celles-ci avaient été élaborées en employant le procedé photographique. Et Arago l’évoque bien dans son discours à la Chambre et à l’Académie des Sciences en 1839  12. 12 Cf. Rapport de M. Arago sur le daguerréotype, lu à la séance de la Chambre des Députés


Ainsi, l’illustration et le document de recherche propre à la photographie sont des domaines que la peinture ne pourra supplanter. Dans l’opposition privé-public, on peut étendre la vision où une parade semble avoir été trouvée: c’est l’ouverture au public de l’espace dit privé. Cette ouverture paraît porter ses promesses à la hauteur de l’espérance envisagée car on assiste souvent à une affluence notable du public lors de manifestations dédiées à la photographie d’art. Bien qu’il y ait eu des périodes difficiles pour ces manifestations  13, le véritable engouement pour la photographie impulsée par la nouvelle génération permet de s’autoriser tous les espoirs. Cependant, la place de la photographie étant, de fait, soumise à une perpétuelle évolution dans un même rouage que celle de la vie sociétale impose une réflexion continue. N’oublions pas que l’image fixe, considérée au travers de son procédé photographique et par sa diffusion, est un bien de société; c’est la répercution de la donation au monde de la découverte Nièpce-Daguerre. Au final, ce n’est ni le daguerréotype ni le procédé de Talbot qui survi, mais la photographie; c’est l’extraordinaire du moyen.

le 3 Juillet 1839, et à l’Académie des Sciences, séance du 19 août 1839. 13 On peut citer le cas des Rencontres internationales de la photographie à Arles. Lors du 25ème anniversaire, Dominique Baqué avait parlée de manifestation d’une « vieillesse annocée » (Art Press N°196, nov. 1994), de « festival en perdition » l’année d’après. Un constat un peu près semblable avait été donné à propos du Printemps de Cahors qui tendait à troubler la distinction entre les domaines visuels. Cf. S. Maresca, La photographie sous la férule..., op. cit., §55 à 58.

Illustration 1: Talbot et Daguerre.


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