Download pdf Infectés intégrale 1 3 1st edition andrea speed full chapter pdf

Page 1


Infectés Intégrale 1 3 1st Edition Andrea Speed

Visit to download the full and correct content document: https://ebookstep.com/product/infectes-integrale-1-3-1st-edition-andrea-speed/

More products digital (pdf, epub, mobi) instant download maybe you interests ...

3x Speed Reading Quick Reading Memory and Memorizing Techniques Learning to Triple Your Speed 2nd Edition

Giacomo Bruno

https://ebookstep.com/product/3x-speed-reading-quick-readingmemory-and-memorizing-techniques-learning-to-triple-yourspeed-2nd-edition-giacomo-bruno/

Égarée Journal intime d une enfant de Gaïa 1 1st Edition Andrea K Höst

https://ebookstep.com/product/egaree-journal-intime-d-une-enfantde-gaia-1-1st-edition-andrea-k-host/

Femmes 1st Edition Andrea Camilleri

https://ebookstep.com/product/femmes-1st-edition-andreacamilleri/

Innocentes 1st Edition Andrea Bartz

https://ebookstep.com/product/innocentes-1st-edition-andreabartz/

https://ebookstep.com/product/john-carpenter-vault-1-3-1stedition-james-ninness/

Ewha Korean 3 1 1st Edition Ewha Language Center

https://ebookstep.com/product/ewha-korean-3-1-1st-edition-ewhalanguage-center/

https://ebookstep.com/download/ebook-43092924/

Cicatrices brillantes 1st Edition Andrea Tomé

https://ebookstep.com/product/cicatrices-brillantes-1st-editionandrea-tome-2/

Fabelhafte Rebellen 1st Edition Andrea Wulf

https://ebookstep.com/product/fabelhafte-rebellen-1st-editionandrea-wulf-2/

Andrea Speed Infectés

- L'intégrale -

Traduit de l'anglais par Cassie Black

Reines-Beaux

Le piratage prive l'auteur ainsi que les personnes ayant travaillé sur ce livre de leur droit.

Cesouvragesontétépubliéssouslestitresoriginauxsuivants :

Les infectés : Infected: Prey (Part 1)

La proie : Infected: Prey (Part 2)

Les liens du sang : Infected: Bloodline

Reines-Beaux © 2015-2019, Tous droits réservés

Traduction © Cassie Black

Suivi éditorial © Hayden Faley - Françoise Gosselin - Margaux Villa

Correction © Emmanuelle Lefray - Laura Delizée

Illustration de couverture © Anne Cain - Jordan Castillo Price

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit est strictement interdite. Cela constituerait une violation de l'article 425 et suivants du Code pénal.

ISBN : 9791038110038

Existe aussi en format papier individuel

Remerciements

Merci à Ruth, Craig, Taryn, Mom, Corinna, Semesta Samudra, Dyaname Carmen, et toutes les bonnes gens de CxPulp

~ 1 ~

Bienvenue dans la jungle

Il venait d’entamer sa troisième bière de la soirée quand il crut entendre un bruit dans le jardin.

Hank DeSilvo se renfrogna et regarda par la fenêtre de la cuisine, au-dessus de l’évier débordant de vaisselle sale. Il ne voyait rien, hormis la pénombre et le léger reflet de la télévision sur la vitre. Il était un peu trop tard pour se rappeler que la lumière du porche avait grillé deux jours plus tôt et qu’il avait oublié de la remplacer.

Non pas que cela ait une quelconque importance. À ce moment-là, la seule lumière qui éclairait la maison venait de la télévision, et tant qu’il ne regardait pas dans sa direction, sa vision de nuit s’était suffisamment développée pour qu’il distingue une forme qui bougeait au fond du jardin. Ou peut-être était-ce juste le vent dans un arbuste ? C’était difficile à dire. Il posa brutalement sa canette et poussa un grognement agacé. C’était probablement l’abruti de clébard des Hindle, qui venait une nouvelle fois chier dans son jardin et déchirer ses poubelles. Il détestait cette bestiole, un croisé rottweiler particulièrement moche que les maîtres qualifiaient de chien « amical », alors qu’il avait cette lueur dans son regard noir et bovin qui disait à Hank que cette saloperie était enragée. Et bien sûr, ils ne le tenaient jamais en laisse et trouvaient « mignonne » son habitude de venir détruire le jardin des voisins. Hank allait enfin quitter cette baraque de merde, mais cette saloperie venait le faire chier une dernière fois. Et il allait s’assurer que ça serait bel et bien la dernière fois.

Il retourna dans son salon en lançant au passage un regard vers son match – un match particulièrement chiant, soit dit en passant –et alla récupérer son fusil de chasse rangé en vitrine. C’était totalement illégal d’avoir ça chez soi, un calibre .30-06 à canon scié

si court qu’il pouvait le cacher sous son manteau. Mais le canon avait été scié avec soin, c’était un travail de professionnel et sûrement pas celui d’un quelconque amateur. C’était aussi pour cela que, quand ils avaient fouillé la bagnole du passeur de drogue et qu’il avait trouvé cette arme cachée sous le siège conducteur, il l’avait soigneusement planquée dans sa propre voiture sans parler de sa découverte dans son rapport. De toute façon, ça n’aurait pas aggravé la peine du passeur, il avait suffisamment caché de came dans sa boîte à gants pour passer le restant de sa vie inutile en taule, d’autant plus qu’il s’agissait de sa troisième interpellation (sans grande surprise) et il doutait que cet homme soit assez stupide pour demander pourquoi la détention d’arme illégale ne faisait pas partie de ses chefs d’inculpation. Et pourtant, il était bel et bien stupide, car il fallait forcément être un abruti pour faire un excès de vitesse, totalement shooté, quand on transporte quelques milliers de dollars en coke. Mais demander ce qu’il était advenu de l’arme aurait été encore plus stupide, d’un niveau de débilité que seuls les politiciens ou les acteurs de télé-réalité peuvent atteindre. Il ouvrit l’arme et s’assura qu’elle était chargée avant de la refermer d’un mouvement preste et ferme du poignet. C’était foutrement agréable. C’était une arme pour les vrais mâles, qui lui donnait l’impression de mesurer un mètre de plus et d’être fait de muscles durs, et il comprenait pourquoi ce connard de junkie se promenait partout avec. Une arme comme celle-ci, elle vous donnait des ailes, elle vous donnait l’impression d’être invincible. C’était bien sûr un peu trop excessif. Le clébard des Hindle était gros, pourtant un seul coup de cette arme déchiquetterait son corps en deux, puissant au point d’émettre une détonation si forte que toutes les alarmes des voitures du quartier se mettraient à hurler. Mais qu’est-ce qu’il en avait à foutre ? Il était ancien flic, il n’aurait qu’à dire que le chien l’avait attaqué, il pouvait tirer sur ce qu’il voulait tant que c’était dans les limites de sa propriété. Il irait cacher son fusil et prendrait son Remington avant que la police arrive. Les calibres ne concorderaient pas, mais le temps qu’ils puissent le prouver, il serait parti depuis bien longtemps. Adios, ville de merde ;

bonjour, paradis tropical. C’était dommage qu’il n’ait pas pu le faire plus tôt.

Il resta un moment sur le pas de la porte de derrière, le fusil tenu avec délicatesse dans sa main, le temps que sa vue s’adapte à la pénombre avant de s’engager sur la terrasse. Il avait une mini Maglite avec lui, avec un viseur rouge, il pourrait donc voir sans souci si quelque chose se présentait à son regard, et ce sans perdre sa vision de nuit. Il n’avait cependant pas besoin de viser avec précision, même s’il se contentait d’érafler le clebs, ça serait suffisant pour lui arracher la tête, et peut-être même une patte.

Quand il fit son premier pas sur la terrasse, son pied plongea dans une substance étrange. C’était trop liquide pour être des merdes de chien, l’odeur était un mélange de viande froide, de matières fécales, d’ordures, et Dieu savait quoi encore. Cet enculé de chien avait déjà déchiqueté ses poubelles ? L’enfoiré.

Tenant son fusil de chasse d’une seule main, il brandit la lampe torche et la pointa au sol pour illuminer ce dans quoi il venait de marcher.

À première vue, on aurait dit une flaque de boue, ce qui n’avait aucun sens vu qu’il n’avait pas plu depuis une semaine, et c’était bien trop sombre pour être de la pisse de chien, surtout que l’urine de chien n’était pas noire. Ou rouge foncé ? Il pointa sa lampe plus loin et vit des déchets graisseux et dégoûtants qui ne provenaient sûrement pas de sa poubelle, puis un énorme morceau de viande sanglante, fraîche et à vif, qui ressemblait à un jarret d’agneau... mais il était trop long et fin pour être un jarret, trop sombre aussi, et il se finissait par des coussinets.

C’était une patte de rottweiler.

Quelqu’un – quelque chose – avait démembré le chien taré des Hindle et avait éparpillé un tiers de son corps à travers son jardin. Il voyait la patte, qui était le plus gros morceau, ainsi qu’un assortiment d’organes internes, un tas de viscères étalés comme autant de serpentins, et énormément de sang. Mais où étaient passés les deux autres tiers du chien ?

Il sentit les cheveux en bas de sa nuque se hérisser quand il réalisa qu’il ferait mieux de rentrer immédiatement. Mais lorsqu’il se

retourna, l’arme prête à servir et plaquée contre sa hanche, il vit un flash de dents blanches dans la lueur de la lune, et son cerveau lui ordonna de tirer immédiatement.

Il n’eut pas le temps de se demander pourquoi il ne l’avait pas fait, car déjà les dents déchiquetaient sa gorge.

À en croire les films et les nombreuses séries télévisées de réputation discutable, être un détective privé était un boulot passionnant, ou tout du moins exotique. Roan se demandait s’il y avait une touche de réalité là-dedans.

Pour le moment, il était bien loin du drame exotique. Il regardait le soleil se lever au-dessus de la nationale tout en ravalant ses bâillements, et se força à avaler le liquide de transmission absolument immonde que le 7-Eleven du coin osait appeler du café, tentant de son mieux de rester éveillé suffisamment longtemps pour rentrer chez lui. Il détestait vivre dans le trou du cul du monde, mais il y avait plusieurs raisons à cela. Il aimait protéger sa vie privée, il en avait même besoin. Et Paris également.

Et il rentrait de son affaire exotique du jour, qui avait consisté à prendre des photos d’un homme qui retrouvait sa maîtresse dans un motel miteux. Il avait pris assez de clichés pour compromettre leur position (c’était sympa de leur part d’être allés dans un motel sordide où il pouvait trouver de très bons angles pour photographier, puis d’avoir baisé dans la voiture). Il était donc sûr que sa cliente aurait suffisamment de preuves pour annuler leur mariage. Elle avait porté des fringues de luxe pendant l’audience de divorce, et pourtant il n’avait rien touché de plus que ses minables honoraires et remboursements divers. Ce boulot était si glamour qu’il avait du mal à s’y faire. Il ne manquait plus qu’un petit déjeuner au burrito et une bonne crise d’hémorroïdes et putain de merde, il serait au comble du bonheur. Raymond Chandler n’avait qu’à bien se tenir !

Il ne devrait probablement pas se plaindre, au moins il travaillait sur le terrain, même si ce terrain se trouvait d’un côté de la ville où

brûler des voitures sur le trottoir était devenu une coutume locale d’après les brochures touristiques. La plus grande partie de son travail consistait à faire des recherches sur le passé des gens et sur leurs comptes en banque, tout cela depuis le confort de sa maison ou de son bureau, sur ordinateur. De temps en temps, il avait le droit de chercher une personne disparue, ou se retrouvait avec une affaire que Paris qualifiait digne du « Jerry Springer Show » (des époux infidèles, des compagnons infidèles, ou bref, des personnes infidèles).

Ces affaires à la « Jerry Springer » lui donnaient l’impression d’être un pourri, comme s’il était un voyeur qui participait à la tromperie, mais le pire dans tout ça, aux yeux de Roan, c’était la réaction de ces époux/amants soupçonneux quand ils découvraient que, non, leur partenaire de baise ne les trompait pas. La plupart étaient soulagés, ce qui était normal, mais il y avait ceux que Roan abhorrait, ceux qui lui faisaient haïr l’espèce humaine, ceux qui insistaient que si, leur compagnon les trompait bel et bien. Et ils l’accusaient soit de ne pas avoir assez cherché, ou soit de travailler pour l’autre connard/connasse qui partageait leur vie. Plutôt que d’être soulagés, ils restaient convaincus que quelque chose était anormal et que leur partenaire n’était pas digne de confiance. Les conseils qu’il donnait – rompre avec leur moitié et passer à autre chose, parce que de toute évidence ils n’étaient pas heureux et tentaient de faire porter le chapeau à leur partenaire – étaient en général reçus avec colère, irritation et diverses menaces de violence physique. Il espérait parfois que ces gens tenteraient vraiment de l’agresser, mais jusqu’ici ils n’avaient eu que de la gueule.

Il se demandait s’ils savaient qu’il était un enfant-porteur ; durant sa brève carrière dans les forces de l’ordre, ses partenaires le savaient. Il était certain que deux ans suffisaient largement pour recouvrer son anonymat, mais on ne pouvait être sûr de rien. Et le fait qu’il ait un nom aussi spécial que Roan McKichan, un nom écossais si merdique que personne ne pouvait le prononcer correctement, ne devait pas aider. (Étrangement, beaucoup de personnes s’entêtaient à prononcer Roan « Ro-Anne » – non, mais sérieusement, il avait l’air d’une femme ? –, et McKichan devenait

« McKiche-anne » ou « McKitchen ». Ils étaient toujours choqués d’apprendre que le « ch » se prononçait « k ». On disait « McKeeCann », et les gens se plaisaient alors à dire qu’on ne l’écrivait pas du tout comme il le fallait.) Le bon côté, c’était qu’il était associé avec un homme dont le nom était pire que le sien : Paris Lehane. Oui, de toute évidence il était facile de le prononcer, mais on lui demandait à chaque fois : « Comme Paris Hilton ? »

Roan aimait alors répondre que oui, oui, tout à fait, exactement comme Paris Hilton. Sauf qu’il n’était pas une blondasse sans talent notable et avec un énorme pif. Paris était un homme qui ressemblait toujours à l’athlète qu’il avait été avant d’être contaminé et de péter un câble, et lui avait des talents notables. Enfin peut-être qu’il était un peu taré comme la Hilton – après tout, elle était sûrement sous traitement médical, pour ce qu’on en savait.

Finalement, Roan prit la route de graviers qui menait à la maison, bâillant tout du long, et se gara derrière la GTO de 68 que Paris tentait de restaurer durant son temps libre. La carrosserie demandait ceci dit encore beaucoup de travail – l’arrière était défoncé, la rouille envahissait le pare-chocs, et tout le côté gauche était parsemé d’enduit –, mais personne ne risquait de la voler, parce que Paris avait enlevé le moteur pour le remonter, et il se trouvait présentement étalé en pièces détachées sur une bâche sur le sol du garage. Si quelqu’un voulait voler la GTO, il aurait besoin d’une remorqueuse.

Roan renversa le jus de chaussette qu’on osait appeler café sur le bord de l’allée, puis jeta la tasse dans la poubelle de sa voiture avant d’attraper le sac qui contenait son ordinateur et son appareil photo, piliers centraux de son travail, et de se diriger chez lui.

Il posa la bandoulière du sac sur son épaule pour glisser la clé dans la serrure, tout en se demandant s’il devrait rester silencieux. C’était le cycle de Paris, non ? Ils avaient tous deux un cycle viral différent, et parfois quand il était trop pris par son travail, il oubliait les dates. Si c’était bien son cycle, Paris se trouvait actuellement dans le sous-sol et Roan n’avait pas à se soucier d’être bruyant ou non, pour le moment du moins. Paris serait en colère contre lui, mais il s’en préoccuperait plus tard, une fois reposé et rempli de caféine.

Mais à peine eut-il franchi la porte, il sut qu’il se passait quelque chose d’anormal.

Plusieurs détails lui mirent la puce à l’oreille. Quand il referma la porte, un courant d’air sembla traverser la maison, faisant entrer l’odeur fraîche de l’air extérieur. Cette odeur fut suivie d’une autre, une odeur de souffrance accompagnée de l’odeur musquée d’un félin inexorablement mêlée à celle d’un humain. Mises ensemble, c’était comme du lait caillé avec une pointe de chair, de fer et d’herbe fraîchement coupée. Une odeur non seulement étrange, mais terriblement troublante.

Paris ? appela-t-il, alerté, en posant son sac sur un bord de la table avant de rejoindre le salon.

Ce qui l’attendait là ressemblait au résultat d’une explosion. La moitié de la baie vitrée menant au jardin avait volé en éclats et des bris de glace s’étalaient dans tous les sens, étincelant comme des diamants sur la terrasse gris ardoise, et les rideaux avaient été en partie arrachés de la tringle, le tissu se balançant au gré du vent comme une voile à l’abandon. Un fauteuil avait été réduit en miettes, des caillots de rembourrage l’entouraient çà et là, et la table basse avait été renversée, les quatre fers en l’air comme un cadavre d’insecte. Sur le sol, entre la table et le canapé, une silhouette nue se tenait en position fœtale. Paris, à moitié évanoui, haletait de douleur. Il était entièrement humain, sa peau brillait de sueur, mais quand ses paupières s’ouvrirent par intermittence, Roan put voir les yeux encore presque intégralement ambrés, avec le blanc à peine visible sur les bords, la pupille noire et verticale comme celle d’un chat. Il était courant que les yeux soient les premiers à apparaître et les derniers à disparaître.

Je suis désolé, haleta Paris. Je me suis endormi en haut, et quand je me suis réveillé... j’ai essayé de descendre, mais... — Ça ne fait rien, mentit-il.

Compte tenu de la souche de Paris, le laisser sortir n’était jamais une bonne idée. Non seulement il se faisait rapidement remarquer, mais la quantité de dommages qu’il pouvait causer était abominable, ils avaient de la chance de n’avoir perdu que quelques meubles et une baie vitrée. Il espérait que ça serait tout, mais Roan n’était pas

d’un naturel optimiste. C’était pour ça qu’ils vivaient ici, au milieu de nulle part, loin des autres personnes : il y avait moins de risques de dommages collatéraux si les choses tournaient mal. Quand on était un félin-garou, il fallait toujours penser à ces choses.

Ils gardaient une trousse de secours dans la salle de bains du rezde-chaussée, il alla donc la récupérer et fouilla son contenu en chemin. La plupart des trousses de secours étaient remplies de gazes, de pansements et d’antiseptique, mais celle-ci était faite sur mesure. Ce qui signifiait qu’elle était pleine d’aiguilles hypodermiques et de beaucoup d’antidouleurs. Après sa transformation, il souffrait, mais ce n’était pas si terrible. Mais en même temps, il était un enfant-porteur, et de ce fait différent ; le virus faisait partie de leur ADN même, cela les rendait légèrement différents de ceux qui commençaient leur vie comme des humains normaux et, plus tard, se retrouvaient contaminés. Il avait entendu dire que, pour ces personnes, la douleur était abominable et souvent responsable de leur mort prématurée. Paris était la preuve vivante de ces dires.

Il remplit une seringue de Fentanyl générique qu’il avait acheté la dernière fois qu’il était allé au Canada. C’était non seulement moins cher et plus facile à trouver là-bas, mais ils posaient aussi beaucoup moins de questions quand vous avouiez être un infecté. Ils concluaient par eux-mêmes que personne n’inventerait un tel mensonge.

Il s’agenouilla près de Paris et planta l’aiguille dans sa fesse. Il était tellement plongé dans sa douleur post-transformation qu’il ne sentit rien. Il regarda Roan, l’ambre de ses yeux disparaissait peu à peu, mais ses pupilles étaient toujours fendues.

Je suis vraiment désolé..., dit-il.

Ne t’en fais pas, le rassura Roan.

Ce n’était pas la peine de s’inquiéter de ça maintenant, ce qui était fait était fait. Il ne pouvait pas remonter le temps et enfermer Paris dans la cage du sous-sol.

Paris soupira et son corps tout entier sembla se détendre lorsque l’antidouleur fit son effet. Les spasmes de ses muscles s’apaisèrent, plus aucun monstre ne semblait vouloir percer sa peau pour vous

sauter au visage, et il s’affala sur la moquette comme s’il n’avait plus aucun os dans le corps. Il ne perdait pas vraiment conscience, celleci semblait plutôt s’échapper de lui.

Roan attrapa le plaid du canapé et couvrit le corps de Paris, avant de se coucher également au sol pour s’étendre près de lui, passant un bras autour de son corps pour le réconforter. Paris s’appuya contre lui, rassuré par ce contact.

Je n’ai blessé personne, tu crois ? murmura-t-il d’une voix qui sembla s’éteindre à la fin de sa phrase.

— On vit dans le trou du cul du monde. Qui aurais-tu pu blesser ?

Mais alors même qu’il prononçait ces mots, il sut que si Paris n’avait pas été aussi proche de l’inconscience, il aurait perçu l’hésitation dans la voix de Roan. Oui, ils vivaient au milieu de nulle part, mais ce n’était pas si loin que ça du reste du monde, et à peine deux kilomètres de là, on pouvait déjà trouver ces petites maisons de banlieue qui semblaient pousser un peu partout comme un tas de champignons. Paris aurait facilement pu rejoindre le quartier, manger une famille de quatre personnes tout entière, et aurait encore eu tout le reste de la nuit à tuer. Enfin, façon de parler.

Si seulement une souche pouvait représenter le caractère d’une personne. Paris était un homme bon et incapable de faire du mal à une mouche, et pourtant il avait été contaminé par la plus terrible d’entre toutes. Roan savait qu’il était lui-même une personne plus sombre, plus dure, et pourtant la souche de Paris pouvait le tuer sans le moindre souci.

Comme s’il avait besoin qu’on lui rappelle une fois de plus que la vie était injuste.

~ 2 ~

Une maison dans les ruines

Il fut tiré d’un sommeil sans rêves par la sonnerie du téléphone, et la première pensée qui traversa son esprit embrouillé fut « mais pourquoi j’ai mal partout ? » Son bras était endormi, poids mort attaché à son épaule, et une douleur sourde se faisait sentir dans son épaule et sa hanche. Il ouvrit les yeux, vit le crâne de Paris et se souvint qu’ils étaient tous deux sur le sol du salon. Ah, oui. Avait-il prévu de s’endormir à la base ?

Le téléphone continuait de sonner, alors il se traîna à genoux en s’aidant de son bras valide, se redressa sur pieds tandis que son bras endormi commençait à être envahi par des petites piques et des fourmillements alors que les sensations revenaient. Il était vraiment trop vieux pour ces conneries.

L’identifiant d’appel lui apprit que son correspondant était la personne à laquelle il avait le moins envie de parler pour le moment, mais le simple fait qu’il l’appelait signifiait que les problèmes n’étaient pas loin. Grognant, jurant dans sa barbe, il répondit.

— Qu’est-ce tu veux, Sikorski ?

Oh, bonjour à toi aussi, Roan, répondit l’inspecteur Gordon « Gordo » Sikorski avec une joie feinte.

Il était l’un des rares anciens amis de Roan du département de police qui lui parlaient encore et qui, malheureusement, le considérait comme un « expert » en tout ce qui concernait les « crimes de matous ». Être ancien flic semblait faire de lui une référence plus légitime que quiconque, ou peut-être le fait qu’il soit un matou lui aussi jouait en sa faveur. Probablement un mélange des deux.

— On s’est levé du mauvais pied ?

— On peut dire ça.

Il regarda à nouveau Paris, qui dormait encore paisiblement, les antidouleurs et l’épuisement dû à la transformation le garderaient inconscient un bon moment, et peut-être même que tirer une balle à un centimètre de sa tête ne le sortirait pas de son sommeil. Roan se dit un peu tard qu’il aurait dû se faire une injection lui aussi.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Il soupira. Sikorski aimait faire de son mieux pour être amical, comme pour montrer à quel point il était libéral pour un flic, comme si être amical et s’intéresser à quelqu’un comme Roan prouvait son ouverture d’esprit, mais Roan était trop habitué au mépris, à la méfiance et à la haine pure et dure pour faire confiance aux gens qui utilisaient la gentillesse pour arriver à leurs fins. Paris lui dirait qu’il était beaucoup trop cynique pour son propre bien, mais Roan pensait au contraire qu’il était justement assez cynique pour son propre bien.

— Nous avons ce qui semble être un homicide par félin, mais il y a quelques... étrangetés. Je crois que ton expertise pourrait nous être bénéfique.

Roan ferma les yeux et frotta son poing sur son front d’un geste doux, mais ferme. Oui, il était bien réveillé.

— C’est pas, genre, illégal ? Inadmissible ?

Tu as été blanchi par la justice. Tu te souviens, l’affaire Parvinder ? Quoi qu’il en soit, je ne te demande pas de faire une déposition, juste de... jeter un coup d’œil.

Par « jeter un coup d’œil », il parlait surtout de renifler la scène du crime, mais il n’allait pas le dire à voix haute. La plupart des infectés n’avaient aucun sens félin quand ils n’étaient pas transformés, ce n’était que des gens ordinaires qui faisaient de leur mieux pour gérer un problème malheureux cinq jours par mois. Mais en tant qu’enfant-porteur, Roan était doué d’effets secondaires qui demeuraient même quand il était dans sa forme humaine. Cela incluait un sens accru de l’odorat et un bien meilleur sens du goût que les humains – des sens bien trop développés, s’il devait donner son opinion, surtout quand il se trouvait près des toilettes pour hommes.

— Je risque de contaminer la scène du crime.

— C’est déjà sous scellés. Et ce n’est pas loin de chez toi, c’est sur Pacific Court.

Un étau de glace s’empara de son estomac et du nitrogène liquide sembla couler dans ses veines.

— Quoi ?

— 815, Pacific Court South. Ce n’est qu’à trois kilomètres de chez toi, non ?

Il regarda la silhouette endormie de Paris, enfoui sous le plaid en acrylique vert et rouge. C’était suffisamment près d’ici pour que Paris ait pu le faire, c’était une personne qu’il aurait pu tuer. Même si la question était idiote, il se devait de la poser.

— T’es sûr que c’est un chat qui l’a tué ?

Sikorski eut un ricanement ironique.

— Nuque brisée, pratiquement décapité, éventré par des griffes ? Ouais, je crois que je vais parier sur un chat. Tu te ramènes ?

Roan couvrit le micro et soupira. Il avait donc la gorge arrachée ? Bordel de merde, ça pouvait effectivement être Paris, ça faisait même de lui une victime très probable de Paris. Ouais, je serai là dans vingt minutes.

— Vingt minutes ? Mais tu es...

— J’ai besoin d’un café, dit-il avant de raccrocher immédiatement. Il regarda la silhouette recroquevillée de Paris, conscient que même en position fœtale, l’homme n’était franchement pas petit. Il était impossible pour un gars d’un mètre quatre-vingt-treize, avec une carrure aussi large que celle de Paris, de sembler petit. La Cour faisait parfois des exceptions pour les crimes commis sous forme de chat, parce que la personne était légalement non compos mentis à ces moments-là, mais les législateurs insistaient toujours sur le fait que ce n’était pas vrai, et ils avaient fait passer une loi stipulant qu’une personne était responsable des crimes de son félin si elle n’avait pas pris soin de s’enfermer en cage, ou de se rendre dans un centre de détention, durant ce cycle du mois.

Mais quand on devenait un félin, même si on était un enfantporteur comme Roan, alors on n’avait plus rien d’humain. Les fonctions cérébrales supérieures disparaissaient – certains disaient qu’elles étaient endommagées, mais il n’avait jamais eu le sentiment

d’avoir des dommages cérébraux dans sa forme humaine –, on ne pouvait plus parler, plus raisonner ; on ne marchait plus qu’à l’instinct. Et le problème, c’était que ces instincts étaient ceux d’un tueur.

Il savait qu’il devait se rendre sur la scène du crime, même si c’était juste pour confirmer ou infirmer les paroles de Sikorski. Si l’homme avait d’abord été éventré, puis avait eu la gorge arrachée, alors il saurait que ce n’était pas l’œuvre de Paris, et son nœud à l’estomac disparaîtrait.

Parce que les tigres visaient toujours la gorge en premier.

Il prit une douche rapide, ne supportant pas sa propre odeur, et choisit de boire une canette de Frappuccino froid plutôt que de se fatiguer à en préparer lui-même. En vérité, il détestait le goût de ces foutus milk-shakes au café, mais la caféine et le sucre lui donnaient un superbe coup de fouet. Il se sentait parfaitement réveillé et anxieux une fois sur la route pour rejoindre Morning Crest, le quartier résidentiel où vivait la victime.

Pacific Court était un cul-de-sac, le numéro 815 était l’avantdernière maison, ou plutôt il s’agissait d’un préfabriqué totalement identique aux maisons voisines, que ce soit dans la forme ou l’architecture. C’était comme si quelqu’un s’était amusé à monter ces habitations trois-chambres/deux-salles-de-bains à l’aide d’un emporte-pièce. Même les jardins, tondus presque à la perfection sans la moindre mauvaise herbe, étaient tous parfaitement identiques. Le seul moyen de différencier deux logements d’un coup d’œil, c’était de se baser sur sa couleur, et le 815 était peint dans un vert étrangement pâle et insipide, comme si le propriétaire avait voulu une peinture camouflage et s’était retrouvé avec une couleur pastel à la Martha Stewart. Malgré les différences de couleurs, les maisons étaient toutes peintes d’un ton pâle, comme si les couleurs vives étaient illégales.

Bon sang, il détestait déjà cet endroit, et il venait à peine d’arriver.

Il y avait dans l’allée une voiture de police et une ambulance qui faisait également, discrètement, office de corbillard, mais il y avait aussi une berline grise, qu’il savait être une voiture banalisée. Probablement celle de Sikorski. Il n’aimait pas se faire remarquer, même si toute personne aux mœurs douteuses vivant sur Terre était en mesure de remarquer une voiture de flics à des lieues, même banalisée. Qui pensait-il tromper ?

Un ruban jaune balisait le jardin, et un flic qui semblait se faire chier à mort se tenait près de la porte arrière, et l’intercepta quand Roan s’approcha. Ce dernier montra sa carte d’identité au gamin, qui était tellement jeune qu’il avait encore de l’acné rouge vif sur sa joue gauche.

— Je suis Roan McKichan, l’inspecteur Sikorski m’a appelé.

Le garçon – qui ne devait pas avoir plus de vingt-trois ans – scruta sa carte comme s’il s’était attendu à ce qu’elle soit fausse. Il était dégingandé, un flic asperge, avec ses cheveux coupés si courts qu’on l’aurait dit rasé à blanc. En fait, sa coupe était aussi rase que le gazon sur lequel il se tenait, et rendait son visage étrangement carré. Ses yeux noisette étaient perdus sous ses épais sourcils d’homme des cavernes. Il sentait l’après-rasage bon marché et l’huile pour arme à feu.

Oh, vous êtes le...

Il se ratatina sur lui-même et eut un mouvement de recul.

Roan eut une subite envie de faire un mouvement brusque dans sa direction en criant « bouh ! », mais il se doutait que cette espèce de Barney Fife ici présent n’hésiterait pas à dégainer et à lui tirer dessus. Il se contenta donc de le scruter avec tout le mépris qu’il pouvait ressentir et cela eut l’effet escompté : le gamin se tortilla dans ses chaussures des forces de l’ordre. Il fixa le sol tout en soulevant le ruban de balisage et s’écarta de Roan de quelques pas. Roan soupira et secoua la tête tout en passant sous le ruban et en traversant l’entrée du portail qui menait au jardin.

Il s’arrêta quand l’odeur du sang frais lui agressa les narines. La mort avait fait son œuvre, un écœurant parfum de pourriture s’ajoutait à celui d’excréments, couvrant l’odeur de métal et de chair à vif propre au sang. C’était difficile d’expliquer une telle odeur à des

gens qui ne l’avaient jamais sentie et qui ne partageaient pas son odorat surdéveloppé.

Il reprit son chemin en direction du jardin, prenant le parti de respirer par la bouche – une très mauvaise idée, car il pouvait presque sentir le goût de la mort dans sa gorge. C’était un petit jardin fermé, avec des barrières sur les trois côtés, des planches en bois qui ressemblaient à des bâtonnets de glace à ses yeux.

Pourquoi les gens achetaient ça ? Clairement pas pour des raisons de sécurité : un enfant pouvait les faire tomber ; ni pour des raisons esthétiques : ils étaient abominablement moches. Alors, pour quelle raison ?

Il y avait quelques arbustes, un genévrier bien trop grand, un buddleia sauvage aussi grand qu’un petit arbre, un bouleau dans un coin dont l’écorce blanche pelait, et un container vert renversé ; soit son contenu avait été ramassé depuis, soit il n’était pas tombé lors de la chute de la poubelle. Il n’y avait aucun signe d’effraction : le matou avait sauté la clôture ou bien le propriétaire avait laissé le portail ouvert ou déverrouillé.

L’équipe médico-légale était toujours sur place : une petite femme trapue accompagnée d’un homme plus grand mais tout aussi large qu’elle, qui portaient des gants jetables en latex et une combinaison blanche. Ils étaient agenouillés sur le sol de la terrasse, très probablement en train de recueillir des échantillons d’ADN sur l’énorme trace de sang qui avait décoloré la majeure partie du béton.

Debout sur la pelouse, indifférent au carnage qui l’entourait, Sikorski lui fit un signe de la main.

— Attention où tu mets les pieds, dit-il avec ce qui semblait être un sourire très inapproprié.

C’était un homme de grande taille, un peu trop carré pour qu’on le dise dégingandé, bien que quelques kilos commençaient à se stocker au niveau de son estomac. Ses cheveux étaient maintenant gris, parsemés de quelques mèches marron. Son visage avait quelque chose d’avenant et d’amical, les rides aux coins de ses yeux bleu pâle le rendaient d’autant plus chaleureux. S’il devait jouer au gentil flic/méchant flic, nul doute qu’il aurait eu le rôle du gentil flic. Il

approchait de la cinquantaine, même s’il pouvait paraître plus jeune, tout dépendait de sa fatigue éventuelle ou de son humeur du jour. De toute évidence, il avait bien dormi, et sa journée de travail aurait même pu être parfaite si elle n’avait pas commencé sur un homicide macabre.

Tout en contournant les flaques de sang facilement reconnaissables sur le sol, Roan remarqua le changement de goût dans l’air.

— Il a tué son chien ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil au sol. Sikorski pouffa d’un rire sans joie.

Putain, t’es doué. Sauf que ce n’était pas son chien, Sherlock, c’était celui des voisins. Elle s’appelait Amber, et c’était un très gros croisé rottweiler, d’après les propriétaires. Nous n’en avons retrouvé qu’un tiers, principalement des boyaux et une patte arrière. Nous cherchons toujours la tête. Les voisins disent n’avoir rien entendu, Amber n’aurait même pas aboyé.

— Personne n’entend jamais rien. Je ne comprends même pas pourquoi vous perdez votre temps à poser la question. Il retourna vers la terrasse, l’équipe médico-légale était partie. La flaque de sang était énorme, une tache rouge sombre, presque noire, qui masquait la véritable couleur du béton jusqu’aux coins de la terrasse.

— Il a arraché la jugulaire et la carotide, hein ?

— En un seul coup de dents, à ce qu’on dirait. Ce connard devait être énorme, parce que Hank n’était pas vraiment un petit gars.

Roan regarda Sikorski par-dessus son épaule, l’étudiant avec curiosité, conservant assidûment toute trace de peur hors de son visage. Paris ne cessait de remonter sur sa liste de suspects. Qu’allait-il bien pouvoir faire une fois que ce doute se serait transformé en certitude ?

— Tu as l’air de connaître la victime.

— C’est le cas. Enfin, j’avais entendu parler de lui. Il s’appelait Hank DeSilvo, c’était un ancien flic.

— Jamais entendu ce nom.

Sikorski haussa simplement les épaules, faisant à peine bouger son trench-coat cent pour cent stéréotypé et un peu froissé.

— Il patrouillait dans les quartiers résidentiels, tu n’as probablement jamais croisé sa route. Il a pris sa retraite il y a deux mois environ.

Il était si vieux que ça ?

— Non, il avait des soucis de santé. Il avait été hospitalisé deux fois en six mois parce qu’il avait des ulcères hémorragiques, il avait donc choisi de rendre son badge.

Est-ce qu’un type qui fait des ulcères hémorragiques devrait boire autant de bière ? Je sens encore l’alcool dans le sang, et je crois pas que ça vienne du chien.

Encore un rire sans joie de Sikorski, un poil plus haut qu’un ricanement.

— C’est flippant ton truc. Je ne pense pas qu’il soit judicieux pour un homme avec des ulcères de boire de l’alcool, mais tu as raison, il buvait beaucoup. Nous avons trouvé deux canettes vides et une troisième à moitié pleine sur la table basse du salon. La télévision était toujours allumée sur ESPN.

Roan hocha la tête tout en notant la présence de ce sang presque noir sur le revêtement de la maison. Les traces de sang, dans leur disposition, montraient un meurtre rapide, violent, un seul coup de dents ayant tranché plusieurs artères d’un trait – encore un doigt qui pointait en direction du tigre.

— Qu’est-ce que tu peux me dire sur ce qu’il s’est passé ?

Sikorski s’éclaircit la gorge et sa voix retomba dans un registre particulier pour ne donner que les faits et rien que les faits.

Hank regardait la télé en siphonnant quelques bières quand il a entendu un bruit ou a cru voir quelque chose dans son jardin. Il a décidé d’aller l’affronter, et pour cela a sorti un fusil à canon scié illégal. Il est sorti, mais avant d’avoir eu le temps de tirer, on lui a sauté dessus et on l’a tué. C’est notre meilleure théorie pour le moment.

— Bon récit, droit aux faits. Mais même avec un fusil, pourquoi serait-il sorti affronter seul un gros chat, même si celui-ci était en train de tuer le chien des voisins ?

Sikorski leva les mains, paumes vers le ciel, pour marquer son ignorance, et montra la scène du crime.

— Tu vas devoir te contenter d’un « j’en ai pas la moindre idée ». S’il n’a bu que trois bières en canette, il n’était carrément pas assez bourré pour ne pas réfléchir à ses actes.

Peut-être que c’est autre chose qui l’a fait sortir ?

Il pouffa, le regard brillant d’humour noir.

— Avec un fusil ? Pourquoi il serait aussi paranoïaque ?

Roan croisa son regard avec une expression neutre, il se demandait s’il oserait dénoncer Paris. Si Paris découvrait cette histoire, il était probable qu’il se rendrait lui-même à la police, mais Roan ne pouvait le confier aux autorités. Et surtout pas pour le meurtre d’un ex-flic, car c’était un aller direct pour le paradis des minous.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut demander. Et le chat n’a pas été blessé et il n’a pas tenté de marquer son territoire, je ne sens que le sang, la mort et le chien. Mon travail est fini ?

— Pas tout à fait.

Sikorski se détourna et fit un signe de la main à un technicien médico-légal – la femme trapue vêtue d’une combinaison jetable qu’il avait vue plus tôt. Ce furent ses cheveux d’un blond triste et son goût pour les lunettes à écailles de tortue qui trahirent son identité : Lise Slavin, la médecin légiste que tout le monde appelait « Scalpel ». Apparemment, c’était de l’humour de médecin légiste. Elle apporta un moule en plâtre enfermé dans un sac plastique, scellé et étiqueté comme pièce à conviction de la scène du crime. C’était une empreinte de patte, il la vit bien alors que Sikorski récupérait l’objet que lui tendait Scalpel.

— Nous avons une empreinte partielle, prise dans une flaque de sang boueuse, mais notre prétendu expert en pattes de chats est resté bredouille. Tu reconnais ?

C’était juste une partie du coussinet et un orteil et demi, mais il y avait quelque chose d’étrange dans cette empreinte. Peut-être que c’était une déformation due à la boue, due au moulage, ou les deux à la fois, mais les petits doigts semblaient trop fins, trop rapprochés, alors que le coussinet semblait être presque en forme de cœur. Pas celle d’un tigre, pas si elle était correcte... mais il en manquait trop pour en tirer des conclusions. Il ne pouvait pas dire que ce n’était

pas un tigre avec cent pour cent de certitude. Il ignorait ce que c’était.

Il remarqua que Sikorski fixait sa main.

Quoi ?

Sikorski sembla surpris d’être pris sur le vif.

— Je me demandais juste ce que représentait ce tatouage. Il est bizarre.

Roan le portait à l’intérieur du poignet droit. Fait de fines lignes noires, Paris disait qu’il ressemblait à une coiffure de femme terminée en flip – la courbe était délicate et sinueuse, comme un U à l’envers, et commençait par une boucle basse à une extrémité. La boucle remontait un peu et se terminait par une autre boucle moins élaborée à l’autre bout.

— C’est le symbole astrologique du lion, expliqua-t-il en étudiant l’empreinte de plus près.

Il aurait tellement voulu trouver des preuves qui innocenteraient Paris ; on aurait dit que pour seule réponse, on lui mettait des « peut-être » en pleine face.

Oh, j’ignorais que tu croyais à ces merdes.

— Ce n’est pas le cas.

Il lui rendit le moulage et répéta, cette fois plus lentement : C’est le symboledu lion.

Il fallut un moment, mais l’information atteignit finalement son cerveau.

— Oh ! C’est ce que t’es, c’est ça, ta souche ? Le lion ? Je comprends. Ça explique les cheveux, je crois.

Roan se renfrogna et songea un instant à le frapper, mais il mettait un point d’honneur à ne pas tabasser les hommes capables de l’envoyer en prison, sauf s’ils insistaient vraiment. À chaque fois qu’il en parlait ou que quelqu’un comprenait qu’il était un lion, il subissait inlassablement les mêmes blagues à propos de ses cheveux. Il ignorait s’il y avait corrélation, mais ses cheveux poussaient vite et drus sur sa tête, une coupe militaire ne tenait que deux semaines sur lui avant qu’il ne retrouve sa coupe actuelle : une crinière brun-roux qui lui arrivait aux épaules. (Il ignorait pourquoi, mais ses poils faciaux ne poussaient pas aussi vite. Il en était

heureux, sinon il devrait se raser cinq fois par jour.) Roan n’arrivait pas à se décider à porter une queue de cheval, il ne voulait pas avoir l’air d’un con, alors il se contentait de les couper toutes les deux semaines, réglé comme une horloge. Ils repoussaient toujours, comme de la mauvaise herbe sur une tombe.

— Votre expert en empreintes animalières n’a aucune idée de la souche ?

Sikorski rendit la moulure à Scalpel, qui la récupéra sans commentaire, une grimace sévère imprimée sur le visage tout du long.

Non. Il a pensé à un puma, mais je n’ai jamais entendu parler d’un puma aussi gros que ce que nous imaginons.

— Moi non plus.

Il y avait cinq souches distinctes, dans l’ordre de popularité : le puma, le lion, le léopard, la panthère et le tigre. Les pumas étaient répandus, et bien qu’aussi dangereux que les autres félins, ils faisaient bien moins de dommages collatéraux. A contrario le tigre était le plus rare, un infecté sur trois milles environ, et c’était largement dû au fait que seule une personne sur dix survivait à sa première transformation en tigre. C’était le plus difficile pour le corps même si, pour le coup, certaines personnes pensaient que c’était une sorte de cran de sécurité, puisque les tigres étaient les plus forts, les plus meurtriers, et causaient le plus de dommages collatéraux. (Croire en cette théorie du cran de sécurité dépendait du fait que vous croyiez ou non que le virus soit une manigance, comme les théoriciens du complot qui avaient lancé la rumeur en premier.) Un tigre aurait facilement pu manger un rottweiler, croquer sa boîte crânienne comme s’il s’était agi d’un glaçon. Pardon, Gordo, je ne pense pas pouvoir aider. Dis-le-moi si les légistes découvrent quelque chose d’important. Il commença à s’éloigner tout en jetant des coups d’œil furtifs autour du jardin dans l’espoir d’apercevoir quelque chose qui lui aurait échappé (quelque chose qui aurait hurlé « c’est pas un tigre »), quand Sikorski lui lança sur le ton de la discussion, innocemment : — Où étais-tu hier soir ?

Il se figea. Puis, après avoir laissé la colère l’envahir et se tarir, il se retourna pour faire face au détective.

— Sur une affaire. Je prenais des photos d’un homme adultère qui s’envoyait la secrétaire de son meilleur ami. Toutes les photos contiennent la date et l’heure de leur prise, si tu veux vérifier.

Sikorski conserva une expression amicale et candide, mais ça ne trompait pas Roan.

Je doute que ça soit nécessaire, Roan. Et qu’en est-il de... de ton ami ?

— Tu n’arrives pas à dire « petit ami » ? « Amant » ? « Partenaire de baise » ? cracha-t-il avec plus de hargne qu’il ne s’y était attendu.

Le flic amorphe et les techniciens médico-légaux le regardèrent tous, avec différents niveaux de surprise sur le visage. Il ignorait si c’était son homosexualité qui les choquait, ou si c’était parce qu’il était aussi en colère. Mais le visage de Sikorski resta aimable et un petit sourire pas du tout sincère étira ses lèvres.

— Il était avec moi, mentit Roan sans savoir ce qu’il faisait, mais incapable de s’arrêter. Il suivait la secrétaire pendant que je filais le mari.

— Ça a l’air d’une affaire passionnante.

Malgré son visage avenant, Roan perçut le ton plein de dérision.

Ça paie les factures, rétorqua-t-il avant de tourner les talons et de quitter rapidement la scène du crime.

Ça aurait pu se passer mieux. Mais si Sikorski prenait la peine de faire des recherches, les choses iraient en empirant.

~ 3 ~

Paradis personnel

Il ne voulait pas aller au bureau – il voulait rentrer chez lui et sortir Paris de là avant que tout parte en couilles –, mais Roan avait un rendez-vous et ce n’était pas comme s’il pouvait cracher sur l’argent. Ils en auraient d’autant plus besoin s’ils devaient partir se planquer en rase campagne.

Ce qui n’allait pas du tout marcher, et il le savait. Paris lui poserait des questions, et même s’il pouvait lui raconter des conneries, la vérité finirait tôt ou tard par ressurgir, et Paris ne pourrait plus vivre avec sa conscience. Pourquoi Roan devait-il avoir un petit ami aussi honnête ? Pourquoi ne pouvait-il pas en avoir un aussi cynique et amer que lui-même ? C’était une pensée idiote, il savait qu’il ne passerait pas deux jours avec un mec aussi cynique que lui avant d’avoir à le tuer.

Sa boîte s’appelait « MK Investigation », parce qu’il ne voulait pas entendre toute une flopée de personnes écorcher son nom plus que nécessaire, et Paris était son seul employé, son assistant, que ça soit comme détective ou comme agent de bureau (Paris avait juré qu’il arracherait le cœur de Roan à mains nues et le piétinerait s’il s’amusait à le traiter de « secrétaire »), en majeure partie parce qu’ils gagnaient à peine assez pour payer le loyer. Il était implanté dans un tout petit parc de bureaux, une oasis de bâtiments blanc et brun au milieu d’une mer de goudron, et si MK était visible parmi le lot, c’était parce qu’il se perdait au milieu des cabinets médicaux, dentaires ou juridiques. Il y avait un chiropraticien d’un côté, et un bureau d’experts-comptables assermentés de l’autre. Le chiropraticien était un homme assez étrange nommé Braunbeck, qui n’était pas sans rappeler le docteur Walbec Bunsen du Muppet Show. Il passait de temps en temps au bureau pour leur proposer, à

Paris ou à lui, un examen médical gratuit et quelques barres énergétiques qu’il faisait lui-même et transportait dans des sachets de congélation Ziploc. Il portait également une alliance en or, mais Roan se demandait s’il ne jouait pas dans les deux équipes – c’était soit ça, soit il était incroyablement amical et même de manière très peu convenable.

Le bureau d’experts-comptables assermentés était uniquement composé de femmes, et l’une des propriétaires, Miranda « Randi » Kim, s’amusait souvent à flirter avec Paris et venait papoter avec eux durant leurs repas. Elle savait qu’il était gay, mais elle se qualifiait elle-même de « fille à pédés » et adorait pouvoir parler avec des hommes sans avoir à s’inquiéter de leur donner une fausse impression. Elle faisait gratuitement leurs comptes, et en échange ils faisaient occasionnellement des recherches sur les hommes avec qui elle sortait. Tout le monde y gagnait.

Le bureau était petit et étouffant, divisé en trois pièces séparées. La pièce principale contenait le bureau en métal de Paris, une causeuse et deux chaises en métal pour les clients, ainsi qu’une petite cafetière posée au coin de la table. La seconde pièce, de plus petite taille et à gauche, était les toilettes. La dernière pièce, plus grande que les autres, était le bureau de Roan. Il alluma l’air conditionné et grimaça quand l’appareil se mit à trembler en poussant un petit sifflement, avant de revenir à son vrombissement de régulation. Il se doutait qu’il aurait à le faire réparer, mais il ne pouvait pas se le permettre, et encore moins maintenant qu’ils devraient racheter une baie vitrée. Peut-être que Randi connaissait quelqu’un qui pourrait leur faire un prix d’ami, elle avait beaucoup de contacts, que ce soit par le travail ou la famille. Il alluma la cafetière pour se faire un café délicieux qui parfumerait la pièce de l’odeur du miel et partit s’enfermer dans la salle d’eau avec une paire de ciseaux prise sur le bureau de Paris. Il prit une bonne poignée de ses cheveux, juste au-dessus de sa nuque, et coupa une grosse mèche jusqu’à se retrouver avec une coupe plus courte et aérodynamique. Il ne voyait pas l’intérêt de se les couper à ras, d’autant plus qu’il aurait eu besoin d’autre chose que de ciseaux de bureau pour cela. Il savait si bien couper ses

propres cheveux, comme s’il avait été un professionnel de la coiffure, que Paris s’amusait souvent à dire qu’en dernier recours, il pouvait toujours ouvrir un salon de coiffure. Mais c’était tellement cliché pour un homo que Roan aurait préféré se planter les ciseaux dans l’œil et les faire remonter jusque dans son cerveau. Il était propre et présentable à l’arrivée des potentiels futurs clients. Toshiro et Sara Nakamura, un couple très professionnel qui portait des costumes si coûteux qu’ils auraient pu le payer uniquement en lui donnant leurs vestes. L’homme était plutôt fade, avec un style de visage que vous auriez instantanément oublié à peine auriez-vous tourné les yeux, même s’il avait l’allure svelte d’un homme qui prenait soin de lui. Il semblait avoir environ trente-cinq ans, mais il était probablement plus âgé que ça. Sara était attirante, ses cheveux noirs coupés dans un carré net, bien qu’un peu dépassé, son visage et son corps présentaient quelques rondeurs, ses courbes perdant leur fermeté à mesure qu’elle prenait de l’âge. Mais cela lui allait bien, et la jupe de costume parfaitement repassée qu’elle portait semblait sortir tout droit d’une boutique Prada, ou en tout cas l’imitation était réussie. Alors qu’ils se présentaient et lui serraient la main, il ne put s’empêcher de remarquer qu’ils avaient tous deux une manucure récente.

Ils étaient là au sujet de leur fils : Daniel. Il semblait avoir fait une fugue une semaine plus tôt, et même s’ils avaient déclaré sa disparition à la police, ils avaient le sentiment que les autorités ne faisaient pas assez pour le retrouver et ne prenaient pas au sérieux leur inquiétude quant au fait que leur fils puisse être en réel danger.

C’était un bon garçon, un élève modèle, qui aurait dû entrer à la Harvard Business School une fois le lycée terminé dans un an (cela semblait être leur souhait à eux plutôt que celui de leur fils, mais Roan n’irait jamais leur dire cela), et la fuite de ce gamin était donc une aberration à leurs yeux. Ils leur avaient dit que Daniel – jamais Danny, de toute évidence – n’était pas un garçon à problèmes et semblait pourtant heureux le soir de sa disparition. Ils avaient le sentiment qu’une affaire plus sombre se cachait là-dessous, même si la police les assurait du contraire.

Monsieur Nakamura avait apporté une copie du mot de Daniel, celui qu’il avait laissé avant de prétendument fuguer, et ils assuraient que cette lettre ne lui ressemblait pas du tout pendant que Roan la scrutait.

Mamanetpapa,

Je suis désolé, mais je ne peux pas être celui que vous espérez que je sois. Ce matérialisme superficiel me laisse vide, et je veux autrechose,jeneveuxpasêtreunsimpleesclaveduconsumérisme telque vous. Mon accomplissementspirituelest àportéedemains, etquandjem’enseraisaisi,jevousappellerai.

Jesuisnavré, Danny.

Pour une lettre de fugueur, celle-ci était étrange. Il s’était attendu à du mélodrame tarabiscoté – les gosses –, mais celle-ci allait droit au but. Ses parents étaient des jeunes urbains actifs au train de vie luxurieux, ils lui mettaient la pression pour qu’il devienne comme eux, et il ne voulait pas le devenir, c’était là une motivation sans équivoque pour s’enfuir. Mais cette phrase sur son « accomplissement spirituel »... c’était étrange. Des questions plus approfondies révélèrent que les Nakamura étaient des chrétiens pratiquants, mais pas particulièrement excessifs sur la religion (ha). Ils dirent que Danny (Daniel) n’avait jamais exprimé la moindre réserve à ce sujet, n’avait jamais rediscuté leur foi, mais Roan devina qu’il n’aurait jamais osé. Le garçon avait probablement suivi le mouvement imposé par ses parents sans jamais protester, alors que son ressentiment intérieur ne cessait de grandir. Il connaissait bien ce type de personnes. Elles finissaient toujours par craquer, de bien des manières, que ça soit extrême comme de la violence ou moins exagéré, comme la séparation. Tous les « bons gamins » n’étaient pas des gentils petits parce qu’ils le voulaient, et tous ne s’avéraient pas être sincèrement bons. Voyez l’exemple de Roan : il avait été un élève modèle, sur les tableaux d’honneur depuis la maternelle, et puis tout à coup, au lycée, il avait finalement compris que tout ça, c’était des conneries.

Il n’allait pas tout à coup avoir une famille, les gens n’allaient pas tout à coup l’aimer et l’accepter juste parce qu’il faisait ses devoirs, il n’allait pas avoir une vie décente et les autres gosses n’allaient pas cesser de le traiter comme s’il était Carrie après le bal de promo, juste parce qu’il avait réussi à rester éveillé pendant leur première heure de cours de la journée. C’était des conneries, rien de tout ça n’avait de l’importance.

Aussi, Daniel était un bon garçon qui faisait exactement comme ses parents lui disaient, dans l’espoir d’obtenir leur approbation qui venait probablement sous forme de critique « constructive », parce que les Nakamura étaient clairement du genre à s’inquiéter du « succès » de leur fils, et ils voulaient l’aider à « atteindre tout son potentiel », potentiel qui était défini par leur propre désir pour leur fils. Mais Daniel s’était senti seul, peut-être négligé, et avait cherché quelqu’un – ou quelque chose ? – qui aurait répondu favorablement à son besoin d’approbation. Il l’avait obtenu. La réponse était par quoi ou par qui ?

La mention d’» accomplissement spirituel » amena immédiatement la religion à son esprit, mais c’était une catégorie un peu trop importante. Puisque Danny avait gardé ses inquiétudes pour lui, ceci dit, Roan ignorait ce qu’il avait pu chercher. Ses parents avaient dit qu’il n’avait pas de petite amie, qu’il n’avait « pas le temps » pour les filles. Hum hum.

Gay ? Ça aurait pu ajouter un poids à tout cela, surtout si ses parents désapprouvaient l’homosexualité.

Il dit clairement aux Nakamura qu’il acceptait de prendre l’affaire en mains, mais qu’il ne pouvait leur garantir qu’il retrouverait Danny, pour la simple raison qu’il était un fugueur avec une semaine d’avance sur lui. S’il voyageait avec du liquide, il pouvait tout aussi bien être de l’autre côté du pays. Mais il était prêt à chercher des preuves, à voir s’il y avait quelque chose que la police aurait pu ne pas prendre en compte alors que ça méritait une enquête plus approfondie. Avec cela bien en tête, les Nakamura signèrent quelques papiers et l’engagèrent avant de lui donner son paiement. Il les informa qu’il passerait chez eux dans deux heures pour regarder dans la chambre de Danny.

Une fois les Nakamura partis, Roan se mit devant son ordinateur et chercha le nom de Danny Nakamura sur Facebook. C’était un adolescent moderne, il avait forcément une page Facebook ou un blog quelque part. Une petite recherche sur Google lui offrit ce qu’il cherchait, mais il n’y avait rien de bien transcendant sur ces réponses. C’était un garçon séduisant, comme il l’avait déjà remarqué grâce à la photo que les Nakamura lui avaient laissée. Ses pommettes étaient hautes et son regard sombre expressif, ses traits ressemblaient à ceux de sa mère plutôt qu’à son père – il avait de la chance. Il semblait écrire de la poésie – de la mauvaise poésie, mais en même temps, il avait dix-sept ans – et aimait beaucoup l’album Panic at the Disco et le récent jeu de Grand Theft Auto, et il avait soixante-treize « amis » sur sa liste, dont beaucoup qui semblaient apprécier sa poésie. Le dernier poème qu’il avait posté, le mois précédent, était un haïku intitulé « Rêve » : Brilleétoile/Léopardde minuit/Jet’attendslà.

Autant le dire, ça ne sentait pas bon.

Mais le pire, c’était ce que ça impliquait. Il vérifia la page, chercha les gens qui avaient commenté, et trouva une membre qui se faisait appeler « LadyLéopard » qui envoyait de temps en temps des commentaires énigmatiques, comme « as-tu lu ce que j’ai envoyé ? » et « on peut t’aider ». Ça aurait pu être une fille avec laquelle il flirtait en ligne, ou un homme (se faire passer pour un membre du sexe opposé était monnaie courante en ligne, il ignorait pourquoi certains étaient choqués d’apprendre que la femme avec laquelle ils entretenaient une relation par email depuis des années s’avérait finalement être un homme obèse de trente-huit ans qui vivait dans le sous-sol de chez ses parents et collectionnait les dragons en céramique). Ou ça aurait pu être toute autre chose. LadyLéopard avait un compte Facebook, mais n’avait ni page, ni blog.

Il avait de l’instinct. Il ne pouvait pas toujours s’y fier, bien sûr, parce qu’être un ancien flic ou un enfant-porteur ne signifiait pas que ses pressentiments valaient mieux que ceux d’un autre, mais il faisait de son mieux pour les écouter quand il n’avait aucune autre

piste. Et pour le moment, il avait un très mauvais pressentiment sur toute cette affaire.

Ce haïku, ainsi que les nombreux poèmes sur le thème des chats, aurait pu être interprété comme celui d’une personne qui attendait son amant félin, qui attendait d’être contaminé. Et tout ça résonnait étrangement avec cet « accomplissement spirituel » qu’il avait écrit dans son mot pour ses parents. Il y en avait certains – idiots et dérangés – qui pensaient qu’être infecté élevait les gens au rang de la divinité. Soit ils pensaient que vous étiez béni par Dieu, qui vous avait permis d’atteindre une nouvelle étape de l’évolution, soit d’autres disaient que vous étiez maudits par Dieu ou liés à Satan, et dans les deux cas, des groupes de personnes qui ne savaient absolument rien de vous vous vénéraient ou vous maudissaient en fonction de leurs croyances.

Bien sûr, tout ça, c’était des conneries. Pour ce que Roan en pensait, la foi elle-même n’était qu’un ramassis de conneries dont les gens s’autoconvainquaient. (Dans son esprit, il pouvait entendre Paris lui dire : « tu es si chaleureux et compréhensif, je ne comprends pas pourquoi personne ne veut t’inviter à leurs fêtes de Noël. ») Il haïssait presque plus les gens qui le vénéraient juste parce qu’il était né ainsi que ceux qui le haïssaient pour la même raison, parce qu’il pouvait presque comprendre la haine aveugle. C’était idiot, ignorant et pourtant presque pardonnable, parce que les gens haïssaient ce dont ils avaient peur. Mais vénérer quelqu’un à cause d’un hasard de naissance ? Il n’y avait aucun mot pour décrire à quel point c’était débile. Il en avait la chair de poule.

Et il ne parlait même pas du grand nombre de « croyants fidèles » qui allaient chercher à se faire contaminer, et du fait qu’il y avait des gens heureux de les infecter.

Il faxa la photo de Danny aux gares routières et à la gare dans l’espoir que quelqu’un se souvienne avoir vendu un billet à un garçon aussi mignon, mais il s’était passé tant de temps qu’il doutait que ça le mène quelque part. Il voulait rentrer retrouver Paris aussi tôt que possible et espérait que les infos ne parleraient que d’un « homicide violent » pour parler de l’incident (c’était ainsi qu’ils nommaient les meurtres que l’on suspectait commis par des félins,

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.