La Grande Motte, le rêve d'un homme ou la naissance d'une ville

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La Grande Motte Le rêve d’un homme ou la naissance d’une ville Un mémoire de Joffrey Rozzonelli sous la direction de Maurizio Cohen

ULB La Cambre Horta, 2016 - 2017.



TABLE DES MATIERES

Introduction 6 Les Vacances en Europe Occidentale 10 L’Etat à la rescousse du Languedoc- Roussillon 18 Et Jean Balladur obtint La Grande Motte 24 Le littoral languedocien, une terre vierge 30 Place aux jardins 36 Et maintenant, on creuse ! 40 Pyramides, et la géométrie dessina la liberté 48 L’ornement n’est pas un crime 56 Le chaînon manquant ou la Grande Pyramide 62 De la transgression au quartier du Couchant 68 Quartier libre pour les bâtiments publics 74 Gesamtkunstwerk 80 Critique du milieu architectural 88 Vers la reconnaissance 92 Conclusion 98 Bibliographie 102 Annexes 104



La Grande Motte, ville nouvelle du XXe siècle. Ce projet phare de l’architecte Jean Balladur se trouve sur le littoral languedocien, près de Montpellier, et fait partie d’un vaste ensemble d’urbanisation régit par la Mission Racine, lancée dans les années soixante sous le président Charles de Gaulle. Les congés payés aidant, les vacances se démocratisaient à vitesse grand V, c’est pourquoi le but premier était de capter le flot touristique se rendant sur la Costa Brava espagnole ou encore sur la Côte d’Azur ou en Italie, qui traversait la région sans s’y arrêter. Les hommes responsables de l’opération y ont vu à l’époque une opportunité de redynamiser la région qui s’épuisait économiquement et qui se vidait peu à peu de ses habitants. La plupart des projets de la Mission, qui s’étendent sur cent quatre-vingt-trois kilomètres de côte sont des villes nouvelles créées ex-nihilo, cependant La Grande Motte est le projet le plus célèbre de par son ampleur et son esthétique toute nouvelle en France à cette époque. Ses immeubles en pyramide ou en forme de conques de béton, noyés dans une végétation généreuse, marquent le paysage qui auparavant n’était qu’un marécage inconstructible et incultivable. Ainsi, le public s’est vu divisé depuis le début, un tel projet ne pouvant laisser indifférent, entre les partisans balladuriens et les autres, les détracteurs souvent virulents, et ce jusqu’à aujourd’hui. Un tournant décisif est atteint en 2010 lorsque la ville toute entière reçoit le label encore jeune de Patrimoine du XX e siècle . Comment une ville qui semble être passée par le rejet, puis l’ignorance, au court de ses années de construction, a su se relever et séduire des professionnels du monde de l’architecture, des historiens et des politiques pour obtenir un statut aussi positif aujourd’hui ? Cette reconnaissance est-elle influencée par les publications journalistiques ou littéraires la concernant ? Un retour sur son Histoire et son contexte au fil des décennies s’impose pour comprendre le mécanisme d’un tel revirement, appuyé sur des documents témoins de son évolution.

Le Fidji et ses jardins, cliché Joffrey Rozzonelli. 7


Je suis né à Nîmes en 1988, ville romaine célèbre en Languedoc-Roussillon, ou devrais-je dire Occitanie, comme nous l’impose désormais la fusion des régions ? Nous sommes donc sur cette partie plate du littoral méditerranéen français, où beaucoup de français, belges, allemands, anglais ou encore néerlandais aiment venir passer leurs vacances. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi, et l’œuvre de Jean Balladur a indéniablement profité à l’émergence touristique de la côte languedocienne. Enfant du pays, j’y ai vécu la plus grande partie de ma vie de façon presque insouciante, pourtant, depuis mon arrivée en Belgique en 2012, ma région qui me laissait quasiment indifférent car habitué, se révèle à moi et m’attire. La Grande Motte, c’était pour moi, enfant, « la mer ». J’y allais en famille, mais que ce soit ici, au Grau du Roi ou dans la zone plus sauvage de l’Espiguette, tout ce qui m’intéressait c’était la baignade et le soleil. Bien que je dois l’admettre, même très jeune je voyais de grands immeubles blancs qui me faisaient penser à des bateaux, et j’aimais cette ambiance. En grandissant, et au fur et à mesure de mon éducation architecturale, je me suis intéressé plus à ses bâtiments qu’à son simple emplacement géographique. J’y allais régulièrement en tant que baigneur, puis je m’y suis installé cinq mois dans le cadre d’un emploi saisonnier en 2012, juste avant mon départ en Belgique. Imprégné de son ambiance, de son architecture et de ses jardins, j’arrive en Belgique et je découvre un nouvel univers, je m’intéresse à de nouvelles choses, je poursuis mon cursus, tout en continuant, l’été venu, de travailler dans les restaurants de la station balnéaire héraultaise. Et voici que fin 2015 je dois choisir un sujet de mémoire. A vrai dire, j’ai d’abord brièvement pensé à Nîmes, ma ville, que j’ai voulu fuir pour poursuivre ma voie, mais qui me manque quand je n’y suis pas. Mais ce n’était pas spécialement un sujet sur lequel je me sentais d’écrire autant. J’aurais pu parler de l’architecture Antique et de son intégration dans un contexte contemporain, ç’aurait été un sujet qui m’aurait plu, mais pas autant que La Grande Motte. Son aura, je dois l’avouer, a réussi à éclipser l’intérêt chauvin que je porte à ma ville natale. Et puis, au cours de mes études en Belgique, j’ai développé un grand intérêt pour le patrimoine architectural du XXe siècle. C’était donc un sujet taillé sur mesure pour moi, qui concerne un bijou architectural et urbanistique du XXe siècle, tout en me reconnectant avec ma région d’origine. En effet, mon parcours architectural à La Cambre et mes choix d’options m’ont irrémédiablement fait tomber amoureux du Modernisme et du béton, ainsi, mon sujet de mémoire m’est apparu comme une évidence. Maurizio Cohen, professeur à La Cambre, dont j’avais suivi le cours intitulé « Restauration du Patrimoine DOCOMOMO » (pour Documentation et Conservation du Mouvement Moderne) , a accepté de suivre mon travail, et m’a indiqué des pistes sur la façon de procéder dans mes recherches. Il avait de plus organisé une visite à Lille pour les étudiants de l’option, pour assister à une conférence de Richard Klein, président de DOCOMOMO France. Ce dernier m’a conseillé des ouvrages et je l’en remercie. Ainsi, j’ai d’abord recherché en Belgique la documentation traitant du sujet accessible en bibliothèque et sur internet, mais je dois avouer que mon investigation s’est étoffée lorsque je me suis retrouvé sur place en Juillet 2016. J’ai demandé au directeur du restaurant dans lequel je travaillais d’alléger mon emploi du temps pour pouvoir organiser des rencontres sur place, ainsi mon enquête à d’abord commencé par la Mairie de la Grande Motte. J’y ai rencontré Sophie Sanchez, du service urbanisme, qui m’a reçu et m’a redirigé vers le service culturel / patrimoine de la ville, dont le poste principal est occupé par William Serva. Ce dernier m’a donné une immense source d’informations, et m’a parlé avec passion de la Grande Motte pendant toute une après-midi, si bien que j’ai du interrompre l’entretien pour ne pas arriver en retard à mon travail saisonnier. Ce mémoire est donc en partie ce qu’il est grâce à M . Serva, qui conserve et classe avec soin les documents d’archives que la commune de La Grande Motte possède. Cette après-midi là, j’ai aussi appris que Paul Gineste, un des trois proches collaborateurs de Jean Balladur, résidait encore dans la station. Et justement, je travaillais avec une fille dont le nom de famille était Gineste. Je lui ai donc demandé si l’architecte était de sa famille, et il se trouve que c’était son grand-père. Elle m’a assuré que cela lui ferait plaisir que j’aille le voir, or justement, j’en bouillais d’impatience. Deux jours plus tard, M. Gineste m’a reçu chez lui, dans un entretien passionnant qui retraçait l’Histoire de la ville, vue par l’un des principaux protagoniste. Comme avec William Serva, notre passion pour l’architecture dans laquelle nous nous trouvions aura eu raison du temps que j’avais de disponible, et après des heures à parler ensemble, il a fallut que je mette un terme à la conversation une nouvelle fois. Ces deux entretiens auront été déterminants dans ma compréhension de La Grande Motte, et dans mon avancée dans mon travail documentaire. 8


Ceci effectué, je suis donc reparti en Belgique car c’était le mois d’Août, et que, rattrapages obliges, il me fallait écourter mon séjour languedocien. Cependant, j’ai commencé à organiser ma réflexion entre les moments occupés par le projet d’architecture, pour savoir comment rédiger de mon mémoire. Il me fallait tout de même plus de documentation, c’est pourquoi aux vacances de Noël, lors de mon deuxième retour en famille annuel j’ai fait l’acquisition d’un ouvrage publié en Mai 2016, intitulé La Grande Motte, Patrimoine du XX e siècle de Gilles Ragot, qui m’a aidé à structurer ma recherche. Et j’en ai bien sûr profité pour me rendre à Montpellier, dans le bâtiment construit par Zaha Hadid répondant au nom de Pierres Vives et abritant les archives départementales d’architecture notamment. Les employés du service ont été très réactifs et m’ont aidé dans ma recherche, en me donnant accès à tous les documents concernant la Mission Racine ( mission organisée par l’Etat dans le cadre de l’urbanisation du littoral ) qu’ils possédaient. J’ai pu y récupérer des documents officiels administratifs, des prospectus de l’époque faisant la publicité de la station, des photos d’avant et de pendant les travaux, des plans et coupes, en bref, une mine d’or pour mon mémoire. Dans la documentation récoltée, il est à noter que l’on trouve surtout des articles de journaux, et pas nécessairement orientés architecture, jusqu’assez tard dans l’histoire de la station. Les années 1960 sont les années de découverte, les journalistes vont soit jouer la carte de la science fiction soit simplement relater des faits observés dans La Grande Motte des premières heures. Les œuvres cinématographiques de la décennie aident de plus à projeter le public de plein fouet dans le modernisme, pour ceux qui y auraient échappé. Les années 1970 marquent au contraire les années de mise à distance critique, on fait déjà le bilan des retombées économiques par exemple. Les articles deviennent très durs et c’est à ce moment que les architectes commencent à donner leurs avis, souvent négatifs, l’œuvre faisant figure d’ovni dans le paysage moderniste et rigide français. La première publication littéraire sort durant cette décennie, et est attribuée à Jean Balladur lui-même, il s’agit de Œuvre en 1974. Les années 1980 passent, la critique s’essouffle mais reste présente, Balladur sort un autre livre en 1994, puis, enfin, une œuvre littéraire qui ne lui est pas attribuée voit le jour en 1999. L’aventure du balnéaire, La Grande Motte de Jean Balladur d’Antoine Picon et de Claude Prelorenzo marque une nouvelle ère dans l’étude de la station, qui connaîtra de nouvelles publications lavées de toute critique, purement analytiques, qui amèneront à la labellisation. L’après-label, quant à lui, est teinté de publications et expositions de toutes part, faisant rentrer la ville dans un statut culturel inimaginable quelques années auparavant. Ainsi, mon organisation durant les derniers mois et semaines m’aura amené à analyser les documents dont j’ai fait l’acquisition et à tenter de mettre en forme de façon cohérente mon argumentation. Le retour sur la construction et sur le contexte économique et touristique du littoral du Languedoc-Roussillon va servir de point de départ à mon argumentation, puis nous allons suivre l’histoire de la ville décennies après décennies jusqu’à aujourd’hui, en mettant en relation les différents documents témoignant de son appréciation au fil du temps d’une part par le public, touriste de la station ou non, et d’autre part par les architectes et autres élus, directement concernés ou non. Enfin, une amorce visant à anticiper le devenir de la station sera émise, avec précaution. Une chose est sûre, ce travail aura eu pour conséquence de me faire me sentir intime avec La Grande Motte, un peu comme si l’œuvre de Balladur avait fonctionné sur moi, et m’avait enchanté et révélé une sorte de paradis terrestre.

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Avant de construire sur les côtes ses stations balnéaires, la France a connu des phases progressives concernant l’accès aux loisirs de la population. Ce n’est qu’à partir de 1936 et de l’obtention de deux semaines de congés payés que le français moyen a pu prétendre pouvoir partir en vacances. Mais à l’origine, les vacances étaient loin de concerner tout le monde. Au début du XX e siècle, il y a en France environ 560 000 rentiers, qui seuls peuvent profiter de loisirs, bien que pendant l’entre-deux-guerres ils s’appauvrissent et doivent retourner travailler pour certains. La création des congés payés donne petit à petit de nouvelles possibilités à ceux qui étaient auparavant privés de ces loisirs, malgré le fait qu’une organisation des structures d’accueil pour un plus grand nombre ne soit pas encore vraiment en place. Ainsi, jusqu’en 1939, on compte chaque année de plus en plus de voyageurs dans les chiffres de la SNCF, une augmentation qui se voit freinée instantanément lorsque la Guerre éclate. Pourtant, une nouvelle dynamique est née, et à la fin de la guerre, elle évolue vers une troisième semaine de congés payé en 1956 puis une supplémentaire quatorze an plus tard. La villégiature bourgeoise est définitivement remplacée par un nouveau style de vacances, plus démocratique, mis en lumière par les médias, et les œuvres cinématographiques, littéraires...

Affiche touristique, vers 1900. Musée de Normandie, Caen.

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La villégiature, qui vient de l’italien villeggiatura ( un séjour à la campagne dès l’Antiquité), est un mot réemployé à partir du XXVIII e siècle par la bourgeoisie pour désigner ces séjours nouveaux en bord de mer. C’est la société britannique qui va être l’une des première à apprécier le dépaysement d’un moment passé sur les côtes. Au départ, le but thérapeutique est évoqué, les bourgeois prétextant un besoin de fuir les villes et leur air vicié pour des terres plus respirables, et profiter des bienfaits de l’eau. C’est la naissance des stations balnéaires, en effet les centres thermaux se construisent dans des terrains vierges, à proximité des ports existants. L’Europe va rapidement se mettre à la mode anglaise et les côtes vont voir fleurir toute une flopée de ces villes nouvelles. Les premières sont destinées à la contemplation du paysage, dans toute une organisation très codifiée, ainsi l’urbanisme de base comprend un établissement de bain, un casino et un grand hôtel. En France, le développement balnéaire commence par les côtes de la Manche et de la Mer du Nord, et progresse vers le Sud le long de la côte Atlantique, puis sur la Côte d’Azur. La promenade pour se montrer est mise en avant, et les célébrités politiques ou industrielles font partie intégrante de ce monde. L’insouciance mondaine prendra fin avec la crise de 1929. Au départ, la baignade ne se fait pas directement dans la mer, en tout cas jamais sans surveillance, les plus riches pouvant se payer les services d’un maître nageur seuls s’aventurent en mer. Des établissements pour la baignade se construisent et permettent de ne prendre aucun risque tout en profitant des bienfaits thérapeutiques de l’eau. L’accessibilité géographique des stations est d’abord tributaire des ports, ainsi les stations se dotent de jetées pour accueillir un maximum de monde et connaître le succès. L’arrivée du train dans les années 1820 d’abord en Angleterre puis dans toute l’Europe change la donne et permet aux stations d’avoir des liens direct avec les grandes villes européennes, souvent en passant par des lignes de luxe, ou des lignes locales qui rejoignent les différentes stations. L’activité principale d’une station balnéaire est la déambulation, matérialisée par une promenade permettant aux estivants de contempler la mer, les baigneurs et bien entendu de se montrer, au cœur d’une véritable chorégraphie codifiée, rien n’est laissé au hasard. De multiples façons de faire voient le jour, sur des planches comme à Deauville, couverte comme à Ostende, sur des digues comme à Nice. On gagne sur la mer selon le principe des piers, ces jetées sur pilotis d’origine anglaise qui amènent le promeneur littéralement sur la mer. Ces piers peuvent être aménagés de plusieurs façons, accueillir différentes activités et bâtiments, dédiés au plaisir et au relâchement du citadin en vacances.

Le Casino de Trouville en 1898. Carte postale de Lévy, fils & cie. (www.CPA-bastille91.com)

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Les codes influent sur l’espace, et si le bain est présent, il n’est pas la seule activité qui rythme une journée typique en villégiature. Les divertissements ont une place importante et se matérialisent en jardins, terrains de sports, de rencontres, casinos... Ainsi chaque activité connaît un espace pensé pour la pratiquer dans les convenances sociales. En terme de style, les premières stations vont jusqu’à la fin du XVIII e siècle ressembler assez fort aux villes thermales déjà existantes et donc être plutôt néo-classiques. A partir du milieu du XIX e, la mode passe à l’orientalisme, le pittoresque, les stations se parent de constructions évoquant le voyage et l’inconnu, il faut que la coupure avec ce que l’on connaît dans les villes du quotidien soit marquée. Les casinos montrent bien l’évolution stylistique, ils sont en effet le visage de la station car l’interdiction grandissante du jeu en France ne permet leur usage que dans les endroits de villégiature. On croisera beaucoup de casinos de style éclectique, jusqu’à l’Art Déco juste avant la crise des années trente. Une réalisation sur la Côte d’Azur montre bien les conséquences de cette crise, il s’agit de l’hôtel Latitude 43 de Georges-Henri Pingusson, à Saint-Tropez. Livré en 1932, l’établissement ferme ses portes en 1937 seulement, pour faillite. Il connaîtra ensuite plusieurs « locataires » pendant les années de guerre.

Latitude 43 de Georges-Henri Pingusson. Cliché provenant de www.golfe-saint-tropez-information.com

La situation économique met donc fin à ce type de vacances, du moins progressivement même si les stations de cette époques sont toujours fréquentées par une population parfois plus aisée qu’ailleurs. Néanmoins, la montée des congés payés des années trente aux années soixante amène l’émergence d’un nouveau type de stations balnéaires, d’échelle différente, accessibles au plus grand nombre. C’est l’État qui va prendre en charge les projets d’aménagement territoriaux afin de développer le tourisme et donc l’économie des littoraux. Nous entrons dans les Trente Glorieuses, et la plage change de fonction, les bains ne sont plus curatifs, ils sont symbole de plaisir tout autant que le soleil et les jeux en plein air. Les mentalités évoluent et les codes explosent, les corps se dénudent et s’émancipent, et l’architecture avec. A l’échelle européenne, l’Italie fasciste façonne son littoral afin d’intégrer le modernisme à sa chère tradition nationale, l’Espagne crée des stations pour les ouvriers et l’Allemagne construit des projets gigantesques sur la Baltique. Les CIAM proposent en 1937 le thème « Logis et loisirs », ainsi le ton est donné, la société est réellement entrée dans une ère de loisirs. 13


A la fin de la Guerre, beaucoup de stations du littoral occidental français sont détruites partiellement ou totalement. On entre dans une période de reconstruction intense, et des villes comme Royan, sur la côte Atlantique, se voient remodelées pour avoir un nouveau visage. Claude Ferret, qui a conduit sa reconstruction avec le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, lui a donné une identité grâce à l’usage du béton, blanc le plus souvent, inspiré par Oscar Niemeyer, architecte phare du modernisme brésilien. Le dépaysement change de style mais reste de mise dans les villes destinées à accueillir les estivants.

Front de mer, Royan. Cliché Raphaëlle Saint-Pierre. (Architectures A Vivre 85, p 140 )

Marché couvert, Royan. Cliché Raphaëlle Saint-Pierre. (Architectures A Vivre 85, p 141 )

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La France se dote de nouvelles autoroutes dans les années cinquante, les vacanciers affluent et le départ annuel devient un rituel. Des films et autres œuvres, comme Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati en 1953 contribuent à marquer les esprits et à démocratiser le départ en vacances en famille, dans une voiture bondée à travers la France. Le train n’a plus la part belle des moyens de transport, l’achat d’une voiture est de plus en plus fréquent dans toutes les familles, le véhicule séduit par sa mobilité et son indépendance. Cependant, à la fin de la guerre, les français commencent à délaisser la France pour partir en Espagne, en Italie ou ailleurs en Méditerranée, voire pour ceux qui ont les moyen en Floride ou en Californie. La Floride devient une référence, lorsqu’au début des années soixante on est témoin de l’arrivée de nouvelles influences en France, dont notamment le film Goldfinger en 1964. Le public va y découvrir l’hôtel Fontainebleau à Miami Beach, construit selon les plans de l’architecte Morris Lapidus en 1953. Le bâtiment déploie sa magnificence blanche et épurée sous un ciel parfaitement bleu et invite au rêve. Ainsi, le tourisme balnéaire de luxe américain se fait une place dans l’esprit des français qui assistent à une évolution de la société jusque dans les lieux de vacances.

Extrait de «Les Vacances de Monsieur Hulot» de Jacques Tati. M.Hulot symbolise l’accessibilité pour tous aux vacances.

Hôtel Fontainebleau, Miami Beach. Carte postale des années 1960, édition inconnue.

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Ce sont ces modèles qui vont intéresser les politiques et les architectes, désireux de ramener le tourisme en France afin de dynamiser son économie. La Reconstruction globalement terminée, le ministère ayant œuvré pour son compte change de nom en 1958 et s’appelle désormais ministère de la Construction. Les villes ne sont donc plus reconstruites mais bien construites ex-nihilo. On entre dans une période nouvelle et c’est à ce moment, en 1963 que la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, organise des missions à l’échelle locale comme la Mission Racine en Languedoc-Roussillon, ou la MIACA en Aquitaine. Ces missions pensent le littoral comme un ensemble, il n’y a plus des stations balnéaires indépendantes les unes des autres. Le ministère prévoit en outre des réserves naturelles et contrôle la construction, pour éviter de défigurer les côtes en proie à des promoteurs sauvages comme on a pu le voir en Espagne. Les zones naturelles et les zones bâties sont donc décidées en amont. Quant aux routes, pour la première fois on tente de les éloigner des bords de plage pour protéger les vacanciers, tout en permettant de desservir efficacement les sites. L’État s’assure ensuite que les nouvelles stations proposent suffisamment de logements, déclinés en résidences, hôtels, camping, villages de vacances et marinas, et intègre dans les plans directeurs de villes des ports de plaisance, afin de répondre à la montée du nautisme. Ainsi, les villages de vacances naissent à cette époque, pour répondre au mieux à un nouveau type de séjour social. Les années cinquante voient la création des villages du Touring Club de France, des Maisons Familiales de vacances et des Villages Vacances Familles, ces derniers étant implantés dans la station qui va nous intéresser, La Grande Motte. Ces villages sont l’occasion pour les architectes de créer sans trop de contrainte, en effet l’expérimentation est de mise esthétiquement parlant. Ces villages offrent aux vacanciers le rêve de l’exotisme sans avoir à partir au bout du monde et n’hésitent pas parfois à pasticher des architectures venues d’ailleurs ou d’un autre temps. On pourra citer comme exemples marquants les bulles du village de Beg-Meil à Fouesnant par Henri Mouette et Pierre Székely ou encore l’amphithéâtre du centre Héliopolis de Jean Le Couteur au Cap d’Agde. En Languedoc-Roussillon, le lit est la nouvelle unité de mesure, c’est-à-dire que chaque estivant va occuper un lit et qu’il faut aménager les villes en conséquence. 650 000 lits sont prévus sur le littoral, ce qui correspond à l’équivalent en capacité sur la Côte d’Azur à l’époque du calcul. L’équipe sera constitué de George Candilis, Jean Le Couteur, Jean Balladur, Raymond Gleize et Édouard Hartané pour les architectes en chef des différentes stations, ainsi que d’Elie Mauret, paysagiste chargé de veiller au bien-être du vacancier par la présence végétale au sein des constructions. Tous ces acteurs donnent un ensemble varié, cependant une règle fondamentale commune à toutes les stations de la Mission Racine reste la mise à distance des routes du front de mer.

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Village de vacances de Beg-Meil, 1965. Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Fonds Henri Mouette.

Amphithéâtre d’Héliopolis, Cap d’Agde, 1974. (www.agoda.com)

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La Mission interministérielle d’aménagement du littoral Languedoc-Roussillon, la MIALR ou encore Mission Racine, du nom de son directeur Pierre Racine, est signée le 18 Juin 1963 par Georges Pompidou, alors Premier ministre sous Charles De Gaulle. Elle a pour but de se réapproprier le littoral languedocien, qui s’étend sur cent quatre-vingt-trois kilomètres, de l’embouchure du Rhône aux Pyrénées. Selon le décret 63-580, article 1, du Plan d’Aménagement du Territoire, elle va « assurer dans les quatre départements Gard, Hérault, Aude et Pyrénées Orientales la coordination des actions entreprises pour l’aménagement touristique du littoral Languedoc-Roussillon. ». De même, selon l’article 6 du même décret, « la Mission est chargée de définir le programme général d’aménagement de la côte du Languedoc-Roussillon, d’en déterminer les moyens d’exécution et d’en suivre la réalisation par l’Etat, les collectivités locales et par tout organisme public ou privé agissant avec l’aide de l’Etat ou son contrôle. » Quatre sociétés mixtes sont dès lors créées : - La SADH, Société d’Aménagement du Département de l’Hérault, celle qui va nous intéresser le plus; - La SEBLI, Société d’Equipement du Bitterois et de son Littoral - La SEMEAA, Société d’Economie Mixte d’Equipement et d’Aménagement de l’Aude - Et enfin la SEMETA, Société d’Etudes et d’Aménagement des Pyrénées-Orientales. La zone est sauvage, vierge, boudée par la plupart des estivants car traversée par des vents violents comme le célèbre Mistral qui descend le long de la vallée du Rhône ou encore la Tramontane, infestée de moustiques et peu propice à la culture. Le climat y est très chaud et sec en été et glacial en hiver lorsque les vents sont de la partie. L’État va, en créant cette Mission, prendre le parti de relever le défi d’attirer les estivants en Languedoc-Roussillon plutôt que sur la Costa Brava, la Côte d’Azur ou la Riviera italienne. Pour comprendre ce qu’inspirait alors le Languedoc à la plupart des gens, une phrase de Balladur, tiré d’un entretien avec Antoine Picon et Claude Prelorenzo résume la situation : « Lorsque je suis arrivé dans cette région, je me suis demandé si j’étais bien en France. Je me suis trouvé dans un pays réellement sous-développé. En fait, la province française était dans beaucoup de secteurs sous développée. ». ( L’aventure du balnéaire, La Grande Motte de Jean Balladur, Antoine Picon et Claude Prelorenzo, p 50 )

Le site en 1962. Photo extraite de La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville, Jean Balladur.

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Le président de la mission nommé par le gouvernement sera dès lors Pierre Racine, conseiller d’État. Il sera à sa tête tout le long de son existence, vingt ans au total, et à sa dissolution en 1983, le défi aura été relevé avec huit nouvelles stations balnéaires dont La Grande Motte, et un nouveau visage pour la région, compétitive à l’échelle européenne sur le plan des régions de villégiature. Mais en vérité, la Mission s’est préparée en amont, dès 1958, lorsque le ministre de la Construction Pierre Sudreau commence à réfléchir au projet. Un certain Abel Thomas, homme politique français, sera désigné par le ministère en 1959 comme commissaire régional à l’aménagement du territoire, et sillonnera au volant de sa Citroën deux-chevaux le littoral afin de dresser un plan d’ensemble et de repérer les terrains à acquérir dans le plus grand secret, afin d’éviter la hausse immobilière. La CBRL, la Commission d’équipement et de modernisation du Bas-Rhône Languedoc, présidée par Philippe Lamour, était déjà en place. Il s’agit d’une structure qui avait pour but de revaloriser le secteur agricole de la région, ainsi des projets de canaux permettant l’irrigation commençaient à émerger. De plus, les opérations de démoustication lui incombait aussi, c’est pourquoi le rachat de terrains proches des côtes a pu se faire sans éveiller trop les soupçons. Avec l’appui de certains élus de la région parmi les connaissances de Thomas, quelques années ont suffit à la MIALR pour posséder les terrains nécessaires pour commencer à développer les projets d’aménagement touristique. C’est ainsi qu’en 1962, Abel Thomas va choisir une équipe d’architectes composée de Jean Le Couteur, Jean Balladur, Raymond Gleize, Edouard Hartané, Pierre Lafitte et Henri Castella, et du paysagiste Elie Mauret sous l’égide de Georges Candilis, qui sera chargée de l’esquisse de l’urbanisme du littoral languedocien. Ils seront réunis au sein de l’AALR, Atelier d’Architecture du Languedoc-Roussillon. Par la suite, chaque architecte se verra confier la tâche d’orchestrer la construction d’une station qui lui sera attribuée. Balladur sera donc architecte en chef de la Grande Motte, il aura un œil sur tout, de l’urbanisme à l’aménagement intérieur des bâtiments, avec l’aide d’une centaine d’architectes travaillant sous son contrôle. Le directeur de la Mission, Pierre Racine, connu pour avoir fondé l’ENA avec Michel Debré, qui sera Premier ministre de 1959 à 1962, survolera le littoral en hélicoptère avec Olivier Guichard, ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire. Il notera l’importance du défi qu’il s’apprêtait à relever, mais aussi les qualités de la région. En effet, on y trouve des kilomètres de plages de sable vierges, à quelques encablures de villes riches d’Histoire et de patrimoine architectural comme Nîmes, Montpellier, Aigues-Mortes, Béziers, Narbonne, Sète et Perpignan, des étangs hébergeant une faune et une flore unique en France, dont les fameux chevaux et taureaux de Camargue, des flamants roses et beaucoup d’autres oiseaux surtout. Ces qualités sont connues par quelques touristes qui, avant que la MIALR n’aménage le littoral, s’y rendaient l’été pour profiter des espaces sauvages au bord de la mer. Le manque de structure d’accueil sur le littoral formait un tourisme de débrouille, des campings sauvages, des détritus jetés à même les bords de routes, des plages salies. Les estivants se construisaient en toute illégalité des abris de fortune dans des matériaux divers, parpaings, briques, tôles métalliques, sur la plage-même. En a résulté un véritable « bidonville de vacances » selon les propres mots de Pierre Racine dans un article du Midi Libre de 1980 intitulé Mission impossible ? L’aménagement touristique du Languedoc-Roussillon . La MIALR va bien entendu avoir pour mission de rendre plus propres et confortables les bords de mer pour offrir aux nouveaux touristes un lieu de villégiature digne de ce nom. Pas moins de six ministères y œuvreront, à savoir les ministères du Tourisme, de la Construction, de l’Intérieur, des Finances et des Affaires Économiques, de l’Agriculture et enfin des Travaux Publics et des Transports. L’administration Racine siégera à Paris et à Montpellier. L’avantage de Racine c’est qu’il ne doit rendre des comptes seulement qu’au Premier ministre, même si d’autres ministères ainsi que des conseils généraux de départements sont impliqués. Le climat des réunions avec les élus ne sera pourtant jamais mauvais, Pierre Racine ayant la capacité de rallier à sa cause les différents acteurs en faisant appel à leurs compétences diverses. De plus, le budget amené par la DATAR réussit à convaincre même les plus frileux du bien fondé de l’opération, ainsi dès 1963, la démoustication commence et on met en place le PUIR, le plan d’urbanisme d’intérêt régional.

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Pierre Racine visite le Languedoc en 1963. Archives Jean Balladur.

Selon le PUIR, six unités touristiques vont être créées : la première, qui comprend La Grande Motte, va du Grau du Roi jusqu’à Palavas, la deuxième est le Cap D’Agde seul, la troisième va de Valras-Plage jusqu’à l’embouchure de l’Aude, la quatrième commence à Saint-Pierre-sur-Mer et se termine à Gruissan, la cinquième comprend la zone qui s’étend de Leucate à Barcarès et enfin la dernière, elle, part du Canet jusqu’au Racou. Le dessin prévoit des zones préservées par les constructions afin de mettre en valeur le paysage naturel existant, tout en le modifiant pour le rendre le plus agréable possible, ou encore le patrimoine construit remarquable. On entend « unité » ici comme Le Corbusier l’entendait dans ses « unités d’habitation », c’est-à-dire un système construit se voulant le plus autonome possible. Son unité d’habitation à Marseille construite en 1953 montre l’exemple, les appartements sont desservis par des « rues » intérieures, des commerces et équipements sont présents. L’architecte avait par ailleurs imaginé étendre son principe à une échelle plus territoriale, comme des unités industrielles, rurales, ou de loisirs. En somme, les architectes de l’AALR ont suivi les principes corbuséens en traitant chaque zone de littoral comme une immense unité avec ses rues, ses commerces, ses équipements, ses infrastructures et bien sûr ses habitations. Il faut se souvenir que Georges Candilis a été à Marseille un collaborateur de Le Corbusier , et que cette expérience lui sert à créer un ensemble cohérent avec ses collègues de l’AALR. Il va se baser sur les instructions qu’Abel Thomas leur donnera, c’est-à-dire de développer des villes existantes comme Palavas, Canet ou Collioure pour en citer quelques unes, en y intégrant de nouvelles cités créées à partir de rien comme Port-Camargue, La Grande Motte, ou encore Gruissan. Une logique liera les stations d’Est en Ouest, tout en laissant aux architectes en chef de chaque ville le soin d’y amener leurs idées et de leur donner une identité propre.

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L’autoroute A9, la Languedocienne, sera un des éléments important construit à cette époque, une véritable épine dorsale traversant tous les points du projet urbanistique de la Mission Racine. Ses travaux prennent fin en 1978, quelques années avant la fin de la mission, en 1983. Tel un fleuve, elle comporte ses affluents, les voies rapides, qui desservent au plus près les stations sans jamais longer le front de mer, comme le prévoyait le PUIR. Elles ne rentrent pas non plus brutalement dans les stations, elles se divisent en plusieurs voies pour casser la vitesse des véhicules et donner un rythme plus tranquille au sein des unités. Le plan d’urbanisme apporte par là une solution forte à l’heure où la voiture est reine en France et ailleurs en Europe, et assume le fait que les projets créés ont une identité forte qui les démarque des villes plus anciennes. D’ailleurs, certaines routes longeant la mer avant la MIALR vont être supprimées afin de partir sur des bases qui conviennent aux principes choisis par les architectes urbanistes. Le piéton va ainsi prendre la première position dans les projets et son pas servira de mesure dans bien des cas. Par exemple, à la Grande Motte, des parkings en retrait des plages pour ne pas empiéter sur les espaces proches des plages vont être construits, avec l’assurance de se trouver à moins de dix minutes à pieds des zones de baignade.

L’échangeur menant à La Grande Motte, années 1960. Cliché H. Frechou. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Quant aux ports de plaisance, l’urbanisme ne pouvait que les développer à cette période où l’amour du nautisme naissait en France après notamment la victoire d’Eric Tabarly en 1964, lors de la course transatlantique en solitaire Ostar. Le littoral ne possédait que les ports commerciaux de Sète et de Port-la-Nouvelle, une bien maigre offre pour les plaisanciers de passage. C’est pourquoi sera décidée la construction de pas moins de dix-neuf ports sur la zone concernée, le but étant d’offrir la possibilité à tout plaisancier de rejoindre la terre en moins d’une heure. L’aménagement de ces ports va être confié à l’ingénieur des ponts et chaussées Roger Vian, qui devra composer avec un terrain sableux sans la moindre trace de roches ou s’accrocher à part au niveau du Cap d’Agde et à l’extrême Ouest de la région concernée. La Grande Motte sera la première station à se voir dotée d’un port. L’ampleur des travaux, non négligeable, est financièrement prise en charge par la MIALR. Il a fallu niveler les côtes, terrasser le terrain, creuser le port, stabiliser les quais, rehausser des zones inondables... De plus, après le creusement du port, une des priorités était de planter une végétation stable, ainsi des étangs ont été asséchés et le sol a été désalinisé afin de permettre à des espèces à priori non adaptées de pousser dans la station. Les politiciens croyant que les estivants voudraient des palmiers ont été contredits, en effet le choix de Jean Balladur et surtout d’Elie Mauret aura été de privilégier les espèces locales. Le pin maritime par exemple poussait déjà mais sous certaines conditions, comme un éloignement suffisant de la côte et surtout, une protection aux vents. Tout le travail des deux hommes et de leurs équipes donnera à terme une station boisée à la grande stupéfaction de ses détracteurs de la première heure. Tous ces points sont repris dans le PUIR, document complexe que Candilis aura l’idée de présenter sous forme de grand éventail. Sa forme épouse la courbe du littoral et présente sur deux faces la situation existante, projetée ainsi que les différents aménagements techniques. Cet éventail va devenir volontairement un objet séduisant et, imprimé en plusieurs exemplaires, servira à convaincre les différentes personnes concernées par le projet, lors de leurs rencontres avec Pierre Racine et ses collaborateurs. Le choix de la MIALR est de commencer les travaux par la Grande Motte et Leucate-Barcarès en même temps, afin que tous les trois départements concernés soient immédiatement impliqués. En effet, la dernière station est à cheval entre l’Aude et les Pyrénées-Orientales. Quant à la Grande Motte, elle est proche de Montpellier et de Nîmes, deux cités d’Histoire de l’arrière-pays. De plus, grâce à l’autoroute du soleil, elle devient la station méditerranéenne la plus proche de Paris. C’est donc en 1966 que le creusement du port de la Grande Motte commence, comme le coup d’envoi symbolique du chantier pharaonique que représente la Mission Racine.

Eventail - carte de l’AALR. 1963. Archives municipales de La Grande Motte.

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Jean Balladur est né à Smyrne, aujourd’hui Izmir, en Turquie, en 1924. La crise de 1929 décide sa famille à venir s’installer en France, en région parisienne, alors que les parents d’Edouard, futur Premier ministre de François Mitterrand, cousin germain de Jean, partiront à Marseille. Jean passe donc sa jeunesse près de Paris et entreprend des études en lettres d’abord, auprès de Jean-Paul Sartre qui sera son professeur en Khâgne. Il obtient en 1943 une licence de philosophie à la Sorbonne. La fin de la guerre aura pour effet de rediriger Jean vers l’architecture, selon lui plus utile au pays dans son état de ruine que la philosophie, ainsi il rentre à l’ENSBA, l’école des Beaux-Arts de Paris, en 1945. Elève de Roger-Henri Expert, décrit par François Loyer, historien de l’Art, comme un architecte à la « modernité toute classique » Balladur rencontre des collaborateurs de Le Corbusier qui fréquentent aussi l’atelier d’Expert. Il se lie d’amitié avec Georges Candilis à cette époque, ce dernier étant lui-même entré dans l’atelier de Le Corbusier pour un temps. Jean reste un admirateur lointain du travail de l’architecte moderne le plus célèbre de France, en effet son approche plastique lui plaît mais il n’apprécie pas le côté machiniste que l’homme veut donner à l’architecture et à la société, trop brutal selon lui. La Charte d’Athènes est d’ailleurs largement controversée par Jean Balladur qui la trouve trop radicale est éloignée des réalités et de l’échelle humaine. Balladur commence sa carrière chez Benjamin Lebeigle, architecte alors assez classique. Sa collaboration avec le jeune diplômé va doucement transformer son architecture, et les premiers bâtiments de Balladur dans l’agence seront héritiers du Bauhaus et de Mies van der Rohe. Un début de carrière marqué donc par des architectures plus rigoureuses et maîtrisées par des tracés mathématiques stricts que ce que l’on découvrira par la suite à la Grande Motte. De plus, l’utilisation du verre et du métal, et des couleurs sombres sont employées lors des premiers projets balladuriens, en région parisienne pour la plupart. On notera parmi les premiers projets de Jean Balladur la villa Besson, à Chantilly, dans l’Oise, où il fait la rencontre de Jean-Bernard Tostivint, qui deviendra dès lors son plus fidèle collaborateur, et l’accompagnera à la Grande Motte. L’agence Lebeigle sera sienne en 1954, année où il la rachète, et où il décide de s’investir dans la vie syndicale, lâchant un peu de lest sur la maîtrise d’œuvre. Il devient président du Syndicat des architectes de la Seine en 1956, et fonde en 1962 le Centre de recherche d’urbanisme. On peut alors imaginer que cette carrière riche et multiple pour un architecte si jeune a permis à Abel Thomas et Pierre Sudreau de choisir Balladur comme architecte en chef de la Grande Motte, malgré son manque d’expérience sur des projets de telle ampleur.

Jean Balladur. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Siège de la Caisse Centrale de Réassurance, Jean Balladur et Benjamin Lebeigle, Paris 1958. Cliché Michel Moch.

Villa Besson, Jean Balladur et Jean-Bernard Tostivint, Chantilly 1957 - 1968. Cliché Michel Moch. 26


Jean Balladur commence l’esquisse de la Grande Motte en 1964. En France, neuf autres villes nouvelles lui sont contemporaines, cinq sont en Île-de-France ( Sénart, Saint-Quentin-en-Yvelines, Evry, Cergy et Marnela-Vallée ) et quatre partout en France ( Berre-l’Etang, L’Isle d’Abeau, Villeneuve d’Ascq et Le Vaudreuil ) . Balladur sera l’architecte qui tiendra le plus longtemps sur son projet de ville nouvelle, une trentaine d’année, bénéficiant du soutien de la MIALR et de Pierre Racine tout le long de l’aménagement de la station, ainsi que des Premiers ministres allant de Georges Pompidou à Pierre Mauroy. La construction de la Grande Motte ne s’inscrit pas seulement dans le projet de la MIALR, mais aussi dans le contexte de construction des grands ensembles français bien connu et rapidement décriés. Le ministère de l’Equipement et de l’Aménagement du Territoire va en effet en 1953 décider l’urbanisation intensive de certaines villes et quartiers en France pour répondre aux problèmes de densité grandissants. Cette politique va s’arrêter en 1973 lorsqu’ Olivier Guichard arrivera à la tête du ministère, cependant, huit millions de logements médiocres auront été construits un peu partout en France, et rendront certaines banlieues comme Sarcelles tristement célèbres. C’est ce contexte d’urbanisation pauvre en qualités spatiales, ou encore en qualités sociales ainsi que l’urbanisation incontrôlée de la côte méditerranéenne espagnole qui va servir d’inspiration à Balladur. Il va répondre aux questions de densité en prenant le contre-pied de ces exemples et tenter de créer un urbanisme sensible et proche de l’Homme plutôt que de principes mathématiques et économiques. Balladur est donc d’accord pour que l’on rédige une charte comme la Charte d’Athènes sur le principe, car elle réfléchie à des solutions concernant des problèmes particuliers, mais il récuse son utilisation systématique par les gouvernements dans le cadre de la création de grands ensembles, car le zoning entraîne de trop gros problèmes d’inégalités des populations. De plus, l’urbanisme trop froid et géométrique de ces ensembles, comme à Sarcelles, est dénué de tout, incapable d’apporter de l’humanité dans ces quartiers. C’est pourquoi à la Grande Motte, il n’est pas question pour lui de faire des grands ensembles, mais simplement de répondre à une grande demande de logements dans le cadre d’une station balnéaire, ainsi, il évite de se positionner dans le même contexte. Il propose ce qu’il appelle un urbanisme organique, c’est-à-dire un urbanisme en volume et non plus en deux dimensions comme l’urbanisme proposé par la Charte d’Athènes. Les fonctions ne sont plus juxtaposées mais intégrées les une aux autres dans un esprit naturel, en référence aux villes traditionnelles. Les fonctions semblables ne sont pas toutes regroupées aux même endroit mais dispersées dans la ville, de même que les populations. Un regroupement revient à une ghettoïsation et c’est ce qu’il faut absolument éviter. Les directives du PUIR concernent les densités à intégrer aux stations, la démoustication, les zones à planter et le fonctionnement des routes,, la gestion des déchets et du bruit... cependant l’urbanisme est laissé à la libre appréciation des architectes en chef de chaque ville nouvelle. Balladur se voit donc libre d’agir comme bon lui semble tant qu’il répond aux critères de base du PUIR. Les infrastructures telles que le port et les routes, ainsi que les réseaux d’eau et d’électricité, le zonage tant haït par Balladur mais pourtant mis en place concernant les différents types d’accueil et enfin le maillage créé par les équipements de base comme la mairie, les écoles, ou les différents lieux de rencontre vont être positionnés sur une zone vierge. Balladur commence la Grande Motte avec le port, et, grâce à l’expertise de Roger Vian, va l’orienter selon les vents et courants principaux, sur un axe oblique par rapport au Nord. Tout ce qui deviendra le centre ville sera sur la grille créée lors de l’aménagement du port.

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Dès lors, la construction ex-nihilo de la station balnéaire va nécessiter une organisation bien précise. En effet, la MIALR, au cours de ses seize années d’existence, n’aura connu pas moins de quatre-vingts architectes sur la seule ville de La Grande Motte, au terme de l’aventure. Le travail de Pierre Pillet, paysagiste qui rejoindra Elie Mauret très vite, et de son équipe, va continuer jusqu’en 1993, et l’architecte en chef déposera encore quelques projets jusqu’en 1998. En fin de course, on peut dire que la station balnéaire possède une unité esthétique et urbanistique forte et harmonieuse, et malgré tout, l’uniformité n’est pas de mise, on retrouve différentes ambiances qui se marient bien les unes avec les autres. Grâce à la MIALR, Balladur a connu la position avantageuse d’architecte en chef et a pu contrôler totalement ce qu’il se faisait dans la ville. Vu le nombre d’intervenants, la tache peu sembler très compliquée, et elle l’était, mais des outils avaient été mis en place afin de rendre ce travail de contrôle le plus efficace possible. Le premier de ces outils est un droit attribué à l’architecte en chef de s’imposer sur la plupart des constructions, ainsi il est responsable de trente-quatre immeubles de logement, de tous les centres commerciaux, de la mairie et de l’église, de quatre hôtels, du palais des congrès, d’équipements sportifs, de l’ensemble du mobilier urbain, de la capitainerie... Son rôle de concepteur de ville est incontestable. Il est aussi celui qui choisi les artistes qui composeront des œuvres dans l’espace public afin d’accompagner les espaces verts de plus de poésie encore. L’architecte en chef est donc réellement au sommet d’une pyramide d’acteurs nombreux et compétents et a droit de regard sur tout ce qu’ils font. Le deuxième outil quant à lui, concerne les fiches de lots réalisées par la SADH. Ces fiches sont réalisées en amont de la construction même de la ville qui est déjà découpée en parcelle, et imposent, qui que soit l’acquéreur, des règles urbanistiques, architecturales et surtout l’obligation de respecter les affectations qui seront figées après cession. De plus, les acquéreurs se voient imposer une plantation obligatoire dans leur parcelle, qui une fois validée sera réalisée avec le concours de la SADH. Les fiches de lots prévoyaient aussi des servitudes de passages qui ont fonctionné jusqu’à récemment mais que certaines copropriétés ont récemment fermées, par souci sécuritaire. Et enfin, les acquéreurs doivent, lorsque les plans sont dessinés, les soumettre à Balladur afin qu’il valide ou non le dessin. Ces fiches sont un outil incroyable de contrôle par l’architecte en chef, et impose aux praticiens un cahier des charges très strict qui indique le nombre de lits, d’étages, le gabarit prévu, les places de parking... Les immeubles sont comme déjà esquissés, et les architectes doivent simplement agencer les appartements, les modénatures mais restent très peu libres de leurs mouvements. Même les matières et les couleurs sont imposées à l’avance. Aujourd’hui, ces fiches permettent de conserver l’état initial des bâtiments s’il y a lieu de restaurer, néanmoins certains immeubles ont été modifiés ( fermetures de balcons, changement de peinture... ) sans trop d’encombres, étant donné que le Label Patrimoine du XX e siècle ne correspond pas à un classement comme monuments des bâtiments mentionnés. L’architecte en chef avait son agence à Paris, mais travaillait aussi dans la région languedocienne, d’abord à Montpellier les premières années puis dans un bureau de fortune improvisé sur le chantier par la suite. Comme nous l’avons vu, bien que son contrôle soit total, il ne serait jamais parvenu à un tel résultat seul. A Paris, il a toujours travaillé avec son associé Jean-Bernard Tostivint, et cette association a duré trente ans. Il fait partie de ses trois collaborateurs les plus proches qu’il appellera « les preux ». Les deux autres sont Pierre Dezeuze, montpelliérain d’origine et Paul Gineste, qui a commencé sa carrière à Paris dans l’agence de Balladur en 1962 et qui n’a pas hésité à le suivre pour vivre l’aventure de La Grande Motte avec sa famille dès les premiers coups de tractopelle. J’ai eu la chance de le rencontrer en Juillet 2016, d’ailleurs il vit toujours dans la station balnéaire et se souvient de l’aventure comme d’un long épisode passionnant de sa vie. Dezeuze et Gineste s’associeront tout les deux entre 1977 et 1998 et construiront ensemble une grande partie de La Grande Motte, tous programmes confondus. Enfin, il est à noter que le fils de Jean Balladur, Gilles, deviendra lui aussi architecte et signera quelques bâtiments avec son père à partir de 1980, dont le Poséidon, un immeuble en « bonnet d’évêque » situé dans le quartier que l’on appelera le Couchant, et dont la silhouette reste célèbre.

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Une fiche de lot. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

Jean-Bernard Tostivint

Paul Gineste, Jean Balladur et Pierre Dezeuze

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Le site originel est compris dans une forme à peu près triangulaire de 330 hectares, fermé au sud par la mer, au nord et nord-ouest par l’étang de l’Or et à l’est par le Vidourle, rivière majoritairement gardoise, et par l’étang du Ponant. Le Ponant, avant les travaux, était à sec en été, en effet il servait surtout de réservoir aux crues du Vidourle en automne et en hiver. Cette situation géographique, c’est-à-dire une bande de terre entourée d’eau, est particulière, au point de créer un micro-climat. Les saisons sont déterminantes, en effet les différences de températures sont importantes à six mois d’intervalle. En été, la moyenne est de 37 degrés, pouvant grimper jusqu’à 42 degrés, et en hiver, on y enregistre des températures moyennes de -5 , avec un record enregistré en 1956 de -24 degrés, ce qui fut désastreux pour les cultures de la vigne et de l’olive. Les précipitations quant à elles sont faibles tout au long de l’année et très souvent concentrées en quelques jours aux alentours de la fin de l’été et du début de l’automne. Le Gard et l’Hérault connaissent dès lors des inondations problématiques assez fréquemment, et le site de La Grande Motte est tout autant sujet à ce problème. Ainsi, une particularité météorologique de la région qui se nomme « épisode cévenol » désigne les puissants orages qui peuvent y survenir d’Août à Octobre. Les fortes chaleurs condensent l’eau de la mer qui alimente des masses importantes de nuages, qui, au contact de la chaîne montagneuse des Cévennes plus au nord, éclatent et déversent des quantités d’eau très concentrées difficiles à assimiler pour la terre, à l’origine des inondations de ces départements. La Grande Motte tient son nom du point culminant local, la Grande Motte , une dune qui s’élève de quelques mètres à peine de cette plage relativement plate, et servait d’amer, un point de repère pour les bateaux longeant la côte. Balladur la conservera comme un hommage dans son projet en l’intégrant au Point Zéro, toute première construction de la station après le port. Un domaine viticole du nom de la Grande Motte se trouvait ici auparavant, ainsi que deux autres, la Petite Motte et la Haute Plage , tous rachetés lorsqu’ Abel Thomas sillonnait la région pour acquérir les terres nécessaires au projet. Plat sur des kilomètres en avançant dans l’arrière-pays, et en passant par des étangs saumâtres, le site découvre à l’horizon le massif des Cévennes, et encore devant le Pic Saint-Loup, montagne la plus haute de l’Hérault. C’est ce site sauvage, plat avec un fond de scène lointain qui servira de feuille blanche à Balladur. Pas ou peu de végétation mis à part quelques buissons secs, dont les espèces les plus fréquentes sont les cakiliers, hélichrysums, salicornes ou autres oyats, des plantes basses et sèches résistantes aux vents violents venus de la mer et chargés de sel. Cependant, à vrai dire il y avait bien quelques arbres sur le site originel. La partie la plus éloignée de la mer, proche de l’étang de l’Or, se trouvait couverte d’une peupleraie. Cela s’explique par l’envie de se diversifier des agriculteurs du coin, après les hivers difficiles comme celui de 1958 qui ont ravagé les cultures de la vigne. Au-delà de cette peupleraie, des pins pignons, des pins d’Alep et des feuillus avaient aussi été plantés, dans l’espoir de répondre à une production de pâte à papier. Assez éloignés des embruns, ils résistaient et finiront par être totalement intégrés au projet de Balladur, Mauret et Pillet.

Domaine de la Grande Motte , 1962. Archives Jean Balladur. 31


Les domaines de la Petite Motte et de la Haute Plage s’élevaient d’à peine une dizaine de centimètres au-dessus du niveau de la mer, et étaient par conséquent difficilement cultivables car régulièrement inondés d’eau salée. Balladur écrit à ce sujet : « Devant moi, la platitude paludéenne du paysage ouvrait aux hordes invisibles du vent un horizon sans défense. Le corps supplicié des plantes témoignait de leur force et de leur égoïste indifférence. Certes, au loin, la Corniche des Cévennes dessinait sur le ciel les formes d’une pierre victorieuse. Ces terres fermes donnaient aux sables du littoral, asservis à la fluidité des eaux et des airs, le modèle possible d’un monde immobile et par conséquent habitable. » (p21 La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville , Jean Balladur, 1994 ) Ainsi, pour mener à bien le projet, le site a été également nivelé et rehaussé d’environ deux mètres, le creusement du port ayant profité aux remblais, avoisinant au total les cinq millions de mètres cubes de terre déplacée. Le site peut, selon l’architecte, être modifié sans perdre son identité. Au contraire, son action vise à magnifier les éléments présents admis comme beaux et nécessaires. Il ne lutte pas contre les éléments, mais les utilise à bon escient. On a vu que les vents étaient l’inconvénient principal de ce littoral, empêchant d’y installer des habitations ou des cultures durables. Tout le génie des hommes ayant façonné La Grande Motte réside dans le fait qu’ils ont apprivoisé ces éléments, dans le respect de la nature présente avant eux sur le site. Les vents présents y sont multiples. En premier lieu on y trouve la tramontane, venant du nord-ouest, qui fait voltiger le sable des dunes vers la plage ; ensuite, le vent qui arrive du large vers les terres se nomme le marin ou le grec, et, chargé de sel, brûle la végétation qui le reçoit de plein fouet. Un autre vent, pas des moindres, est le fameux mistral, appelé aussi localement le grégau, qui arrive du nord et rafraîchit instantanément l’air avec ses puissantes bourrasques qui sont capables de coucher des arbres. Enfin, de façon plus rare, c’est-à-dire environ une à deux fois par an souffle le labech, aussi appelé miegjorneau ou encore sirocco, qui est un vent en provenance d’Afrique du Nord et qui transporte du sable saharien. Tous ces vents sont des inconvénients à la navigation, au tourisme de plage et à la pousse de la végétation. Or, le vent ne peut être stoppé, mais au moins il peut être dirigé et c’est ce que l’architecte de La Grande Motte, accompagné d’hommes talentueux, va faire. En outre, toutes ces particularités météorologiques et géographiques vont l’amener à choisir le matériau le mieux adapté à la station, qui en deviendra le matériau roi, à savoir le béton. En effet, impossible pour lui d’utiliser le métal comme il l’avait fait sur ses projets précédents, en région parisienne notamment. L’incompatibilité technique avec les vents iodés amènera donc notre architecte à opter de façon définitive pour toute la ville pour le béton, plus résistant dans de telles conditions climatiques. Dans L’aventure du balnéaire, La Grande Motte de Jean Balladur , de Antoine Picon et Claude Prelorenzo, publié en 1999, on peut lire un extrait d’une entrevue que le maître d’œuvre aura accordé aux auteurs, qui explique clairement ce point : « Les embruns salés qui brûlaient toute végétation sur les terrains de la future station m’interdisaient d’utiliser des profilés acier comme je l’avais fait jusque là. » (p 103) Ce premier choix effectué, c’est avec l’aide et les conseils de Roger Vian, l’ingénieur, d’Élie Mauret et de désormais son second Pierre Pillet, paysagistes, que Balladur va savoir comment s’implanter de la meilleure façon possible dans cette zone malmenée par Éole. Le port, premier pas dans l’œuvre grand-mottoise, sera un bel exemple de l’association de l’architecte urbaniste avec l’ingénieur. Son orientation est en effet régie par la direction des vents et courants principaux, ainsi le calcul a permis de trouver la bissectrice des angles donnés par les forces dominantes. Cet angle est l’assurance d’un évitage le plus faible possible, l’évitage étant la manœuvre faite par un bateau lorsque celui-ci pivote sur lui-même, autour de son point de mouillage. Des vents même violents ne pourront donc pas, grâce à ce positionnement rigoureusement calculé, agrandir de trop le rayon d’évitage. Les deux premiers quais construits se positionneront de la sorte : le quai Eric Tabarly sur un angle de 59 degrés par rapport au Nord de référence, et le quai Georges Pompidou perpendiculaire à ce dernier. Les autres quais, et même les rues du quartier dit du Levant seront inscrits dans la grille orthonormée en résultant. Les vents seront donc jusque dans le quartier des pyramides traités selon les angles définis par le port, et par extension par Roger Vian. Ce qui est surprenant, c’est que malgré un plan hippodamien , l’urbanisme se ressent comme organique, selon la définition de Balladur. En effet, le plan seul ne suffit pas à comprendre l’urbanisme, car l’architecte insiste sur un urbanisme en volume. L’astuce principale pour freiner les vents dans la ville, mise en place par l’architecte, réside dans l’érection de pyramides sur cette grille, afin de « peigner » les vents et de les affaiblir. A noter que ce ne sont pas des pyramides au sens mathématique pur du terme, mais plutôt des prismes plats avec une face en triangle isocèle 32


à pente de soixante degré, avec le sommet tronqué. Ainsi, les pyramides n’obstruent pas la vue complètement tout en contribuant à créer derrière elles des espaces protégés, dans lesquels les arbres peuvent pousser sans être déracinés, ensablés ou brûlés par le sel. Ils grandissent alors sans encombre et offrent une canopée protectrice qui va, en projetant son ombre au sol, créer des zones fraîches en total contraste avec les zones arides présentes sur le site originel. Les premières pyramides à être construites seront celles qui sont le plus proche du front de mer, afin de rapidement protéger l’arrière du plan de la ville, pour avancer dans les travaux plus confortablement. Dans son livre L’architecture en fête ou la naissance d’une ville, Balladur explique : « Je plaçais donc dans mon plan, au levant, à l’est du port et en bordure de la plage, le quartier des pyramides qui, assises sur un plateau d’immeubles de deux étages sur rez-de-chaussée délimitant l’espace des rues, des places et des promenades, dessinaient sur le ciel les dents d’un peigne. » Et de reprendre : « Protégés par le peigne en béton des pyramides, les pins pignons, les platanes, les lauriers et les lavandes développent maintenant leurs ombres et leurs senteurs au cœur des rues et des promenades. » (p46) De même, le confort n’est pas amélioré seulement derrière les bâtiments mais aussi devant, sur la plage. Comme les flancs rocheux de la Côte d’Azur ou d’autres reliefs maritimes ailleurs en France, ils freinent le vent qui arrive des terres, ainsi le sable ne voltige plus sur les baigneurs.

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Plan masse général, Jean Balladur et Jean-Bernard Tostivint. Fonds MIALR, archives départementales de l’Hérault. L’orientation du port est bien visible, ainsi que la façon dont va suivre l’implantation du quartier des pyramides. Au Nord, protégé par les fameux peignes des vents marins,le quartier des villas, en grappes, et encore au-dessus, la voie rapide, loin du front de mer.

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La maquette du port et de son quartier, le Levant. Cliché Michel Moch, Fonds MIALR, archives départementales de l’Hérault.

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La Grande Motte se veut dès le départ une ville verte, presque à l’image des cités jardins du début du siècle. Méconnue, sa couverture végétale qui recouvre pourtant un tiers de son territoire est complètement éclipsée dans l’esprit de beaucoup par ses pyramides. Le Corbusier a défini la ville verte dans son ouvrage La Ville radieuse en 1935, comme une ville dont la surface bâti recouvre les 12% de la surface totale, laissant libre 88%. Le bâti selon lui doit être composé d’immeubles de grande hauteur pour répondre aux besoins de logements tout en y intégrant les fonctions nécessaires de la ville. Malgré toutes ces directives, le moderniste controversé n’aura jamais mis en pratique cette théorie, si ce n’est à Chandigarh, en Inde, ville nouvelle emblématique du XX e siècle, cependant composée d’immeubles bas... A La Grande Motte, le ratio n’est pas exactement celui défini par l’architecte suisse, cependant le souhait de Balladur était clair depuis le départ, c’est pourquoi il s’est entouré du paysagiste Élie Mauret, qui embauchera le jeune Pierre Pillet, alors encore étudiant en 1965, pour travailler sur le projet de ville verte de La Grande Motte. Pierre Pillet, étudiant à l’Ecole nationale d’Horticulture de Versailles, fait la connaissance d’Elie Mauret cette année là alors que celui-ci y donne une conférence et propose des stages. Il y répondra positivement et commencera l’aventure chez le paysagiste d’abord, puis passera par les bureaux de la CBRL et de Jean Balladur par la suite. La station balnéaire recevra ses soins de longues années, y compris après la fin de la Mission Racine. Quant à Balladur, il déclarera à propos des jardins de la station : « Quand les hommes ont rêvé d’un lieu enchanteur, comme le Paradis Terrestre , ils ne l’ont pas situé dans un palais somptueux, mais dans un jardin. Tous les mythes de l’Humanité nous le disent. Aussi, le dessin du plan d’aménagement réservait autant de place aux hommes qu’aux plantations. » ( La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville, 1994, p42 ) L’équipe va dès lors s’escrimer à créer un paysage agréable et plausible dans cette zone situé, rappelons-le, dans le sud de la France. C’est pourquoi les palmiers, voulus par les municipalités et autres élus, fantasmés par les journaux qui parlent d’une « Floride française », seront très peu plantés dans la station. Les observations et études ont montrés en effet que les palmiers n’étaient pas du tout des essences indigènes à la région, et, selon un dicton que m’apprendra Paul Gineste lors d’un entretien le 21 Juillet 2016, « ceux qui avaient un palmier dans leur jardin, c’étaient les notaires arrivés », soit des nouveaux venus dont on se moque, peu renseignés sur leur nouvelle terre d’accueil.

Dépliant publicitaire, années 1960. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Grâce au travail des paysagistes, on a pu définir trois types de végétation, à savoir les plantes de première, deuxième et troisième ligne, soit du front de mer à l’arrière du plan masse. Devant, sur une distance allant jusqu’à deux cent mètres dans les terres, on va positionner des plantes robustes, capables de supporter presque sans protection les embruns salés et la violence des vents marins. On va trouver des tamaris, des oliviers de Bohême et des plantes déjà présentes sur les dunes comme les salicornes et autres oyats qui aident à maintenir en place le sable, mais pas encore de conifères. Au-delà de cette première ligne, on va commencer à planter des pins et quelques feuillus comme les mûriers platanes, qui sont capables d’encaisser des vents modérés, et ainsi, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du littoral ou que l’on se trouve à l’abri derrière des pyramides ou des conques, on va pouvoir se permettre d’étoffer la liste des végétaux à planter. Même si certains cyprès ou pins peuvent venir de Chine, du Moyen-Orient ou encore d’Amérique, ce sont des espèces adaptées au climat languedocien, ainsi, les palmiers et autres essences plus « exotiques » ne seront plantés que dans certains cas exceptionnels comme devant la mairie ou le palais des congrès, par souci ornemental. L’œuvre de Mauret et Pillet semble naturelle aujourd’hui, car arrivée à maturité, pourtant, elle est le fruit d’une sélection rigoureuse et d’un travail suivit sur plus de trente ans. Aujourd’hui, le visiteur qui entre par la route principale dans la station peut laisser son véhicule dans un des nombreux parkings abrités sous les arbres et déambuler à l’ombre, tranquillement jusqu’à la plage en rencontrant différentes espèces végétales capables de le protéger du soleil, du vent, et de lui procurer plaisirs visuels et olfactifs tout au long de sa ballade. Le travail mené main dans la main par l’architecte en chef et les paysagistes aura eu pour effet de réussir à créer un urbanisme proche de la nature, loin des clichés véhiculés par les journaux qui parlaient d’une « Sarcelles sur Mer » il y a encore peu de temps. Le succès du travail des paysagistes est tel qu’il a parfois fallu couper des arbres qui, devenus trop gros, se gênaient l’un l’autre. Aujourd’hui, on dénombre dans la station 28 000 conifères, 10 000 feuillus et 206 000 arbustes, avec 67 hectares de pelouse.

Les plantations en 1967, avec les arbres existants en arrière-plan. Cliché Equipement, fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault. 38


Un des défis majeurs à cette entreprise, outre le vent et les nuisibles qui mangeaient les pousses comme les lapins, était de réussir à irriguer toutes ces plantations. Grâce au concours de la CBRL, cela a été possible, l’eau provenant du canal du Bas-Rhône. Tout un réseau d’arrosage est intégré au sol, avec en surface des asperseurs. L’astuce de l’architecte et des créateurs de jardins consiste dès lors à séparer le réseau d’eau potable et d’eau servant à l’irrigation, afin d’en abaisser le coût, l’eau agricole étant bien entendu moins chère. Cette démarche mise en place, les plantations peuvent pousser en toute tranquillité, possédant toutes les conditions nécessaires à une croissance idéale. Toutes les directives concernant les plantations de La Grande Motte ont été reprises dans deux livrets édités par la MIALR avec l’aide de l’AALR et sous la direction d’Elie Mauret, indiquant comment aménager les campings pour la première et les espaces verts publics et privés pour la seconde.

Les plantations aujourd’hui. La fraîcheur sur les chemins piétons est assurée. Cliché Joffrey Rozzonelli. 39



C’est en 1966 que le premier geste annonçant la nouvelle station est amorcé. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est le port qui est la priorité et qui va par son orientation savamment calculée donner la grille sur laquelle le plan de masse va se fixer. Le premier des engagements de l’Etat et de la SADH prévoit de rendre les terrains constructibles, pour cela l’entièreté de la zone doit être nivelée, ce qui se fait avec la terre recueillie lors du creusement pour l’agrandissement de l’étang du Ponant. Le second engagement, lui, prévoit d’équiper ces terrains des VRD, les voiries et réseaux divers. C’est un travail qui se fait en amont, dans des conditions parfois difficiles, la météo étant l’ennemi principal. Le sable soulevé par le vent pouvait annihiler en quelques instants le travail effectué. Ces travaux ont été photographiés et sont d’une ampleur encore jamais vue en France. Le seul exemple connu depuis peu à l’époque se trouve au Brésil, lors de la construction ex-nihilo de Brasília, la capitale administrative dont les plans ont été signés par Oscar Niemeyer et Lucio Costa. La démesure de Brasília est rentrée dans les esprits des gens lorsqu’en 1964, le film L’Homme de Rio de Philippe de Broca est réalisé. Une des fiertés nationales françaises de l’époque, Jean-Paul Belmondo, y joue un des rôles principaux. Le film comporte des images marquantes de Brasília diffusées peu de temps avant le coup d’envoi des travaux de La Grande Motte qui seront sans conteste déterminantes dans l’imaginaire collectif et donc dans l’acceptation générale des languedociens et des français en général.

Jean-Paul Belmondo découvre, avec les français, Brasília en 1964, dans L’Homme de Rio de Philippe De Broca.

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Car une chose est évidente, c’est que si La Grande Motte a été si bien accueillie par la suite, c’est, il faut l’admettre, grâce aux médias. La construction ex nihilo de la cité attise les curiosités et c’est bien normal, la France est novice en terme de constructions de cette ampleur. La comparaison avec Brasília excite bien évidemment le public, et le contexte des trente glorieuses qui permettent la multiplication des départs en vacances autorise les gens à rêver d’exotisme, chez eux en France. Mais comment les médias ont accéléré cette mise en lumière ? Il faut savoir que dès le départ, le chantier est documenté, et, comme des nouvelles du front, les gens suivent avec intérêt ou désaccord la progression, mais, quoiqu’il en soit, ils la suivent. Toutefois, les médias se montrent parfois peu enclins à vérifier leurs sources, et un article de Paris Match va faire du bruit. L’article en question, publié dans le numéro 799 le 1er Août 1964, c’est-à-dire avant même le début des travaux, s’intitule Voici la Floride de demain, le Languedoc-Roussillon. et l’auteur, Marc Heimer, développe le sujet de la Mission Racine. Il explique comment le littoral va être urbanisé pour y accueillir les vacanciers, et cite déjà le nom des futures villes, de La Grande Motte à Gruissan. On y énumère ensuite les architectes de la mission, puis, sur la page suivante, on y voit une photo de Candilis, Le Couteur et Balladur qui simulent un moment de réflexion architecturale derrière une vitre sur laquelle ils ont dessiné. Jusqu’ici, aucun problème avec cet article, cependant, dès la page suivante, apparaît une ombre au tableau. Les architectes, et c’est compréhensible, ont refusé de donner au journal des esquisses de leurs projets, encore peu évolués à cette date. Le journal n’aura alors aucune hésitation, il paiera un dessinateur, Tanguy de Rémur, pour produire des images illustrant les futures stations du littoral. Les dessins sont bien exécutés, cependant ils extrapolent complètement la réalité et semblent sortis d’un film de science-fiction. On y découvre d’immenses barres d’immeubles certes en escaliers, parfois pyramidales, mais à l’échelle hors norme, qui se déroulent le long du littoral en privant l’arrière-pays d’accès et de vue. Une perspective montre le littoral entier, et il est totalement urbanisé, comme une gigantesque mégalopole américaine ou japonaise. Un Concorde, alors pas encore en service, survole le lieu, et une légende nous apprends que l’on pourra arriver de New York avec l’appareil qui reliera directement et sans escale l’aéroport international de Béziers ! Quand on a vu à quoi ressemble cet aéroport aujourd’hui, le minimum est d’esquisser un sourire... Une autre légende dit qu’un immeuble en forme de serpent de Jean Le Couteur « s’étendra sur 10 kilomètres au bord de la longue plage », projet qui bien sûr n’aura jamais été réalisé ni même esquissé ! En somme, des suppositions sont faites et sont publiées sans concerter les architectes, au risque que les lecteurs croient que c’est ce qui sera construit. Pourtant, les stations de la MIALR bénéficient d’un tel article puisque les lecteurs s’interrogent et suivent les projets.


Balladur, Candilis et Le Couteur. Extrait de l’article de Marc Heimer, Paris Match 799, Août 1964.

Illustration de Tanguy de Rémur dans le même article. Cet immeuble attribué à Jean Le Couteur ne sortira pas de terre.


Quant au chantier, les photos montrent bien à quel point l’entreprise était impressionnante pour les quelques témoins ayant pu y assister. Le port et l’étang du Ponant ont été creusés avec trois dragues suceuses originaires de Dunkerque ou des Pays-Bas. Pour creuser le port, il a fallut commencer par ficher ce que l’on appelle des palplanches dans le sol, c’est-àdire des parois métalliques délimitant l’aplomb des quais. Cette opération ainsi que l’installation des bittes d’amarrage ont été réalisées avant le creusement-même du port. Le port mis en eau, les VRD sont l’étape suivante, les routes servant de tracé pour délimiter la position des futurs quartiers de la station. L’équipe de Pierre Pillet, paysagiste, s’est d’abord occupée durant les vingt-quatre premiers mois de travaux de l’aménagement paysager se trouvant à l’entrée de la station, en recul par rapport au front de mer et donc moins sensible aux embruns redoutables. L’avenue du Général Leclerc, qui part de l’entrée de La Grande Motte et qui se rend jusqu’au bord de l’eau est ensuite plantée ainsi que l’allée parallèle au rivage allant jusqu’au Point Zéro, ce que Pillet va qualifier de colonne vertébrale végétale de la station. Le port sera inauguré le 30 Juillet 1967 par Raymond Marcellin alors délégué du Premier ministre. Par la suite, une visite du Président de la République Charles De Gaulle sera organisée le 24 Octobre de la même année. Des bateaux de plaisance acheminés de Marseille seront mis en scène auprès des quais. Le projet général sera présenté au Président sous une petite tente installée sur le port pour l’occasion où des maquettes et des plans seront exposés, et où Jean Balladur devra expliquer en quelques mots sont travail. Il en garde un souvenir amer qu’il nous confie dans son livre La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville. L’architecte en effet sera tellement nerveux qu’il aura du mal a développer clairement son idée, ce qui fera dire à De Gaulle que le projet n’est qu’une copie de Palavas. Fort heureusement ce mauvais souvenir sera éclipsé par la réussite reconnue de l’œuvre du vivant de l’architecte. De plus, il n’en gardera pas de rancune, sachant qu’en hommage au Président, les modénatures ornant les balcons et terrasses du Commodore, immeuble positionné sur le quai, reprendront non sans humour le profil de ce dernier, dont le nez dressé face à la mer fait en fait référence ici à la prévoyance et à la sûreté nécessaire au fonctionnement d’un bon port.

Travaux sur le port, depuis Le Provence, une des premières pyramides. Avril 1968, cliché Equipement. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault. 44


Pierre Racine et Jean Balladur expliquant le projet à Charles De Gaulle, le 24 Octobre 1967. Cliché Claude O’Sughrue.

Modénatures reprenant le nez de Charles Gaulle, immeuble Le Commodore. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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En même temps que les travaux sur le port, et avant même de concevoir les pyramides du Levant, Balladur a construit l’équipement du Point Zéro, départ symbolique de La Grande Motte. La liberté y est évidente, et ce sera sans doute pour se cadrer aussi lui-même que l’architecte imposera par la suite des gabarits à respecter coûte que coûte. Construit de 1966 à 1970, l’ensemble architectural et paysager se développe à l’emplacement de la dune originelle, qui a donné son nom à La Grande Motte. Le cahier des charges est riche, en effet il s’agit de créer un espace contenant des cabines pour les baigneurs, des commerces, un restaurant et un bar, ainsi que des dépendances de l’administration de Mauguio qui à cette époque possédait encore la commune grand-mottoise. C’est en fait une construction très complète qui permet d’offrir aux premiers vacanciers de la station toutes les commodités nécessaires avant même l’établissement de la ville. Ce que l’on va, en raison de sa forme, appeler le Bâtiment Poisson épouse la forme de la dune originelle tout en s’étirant vers la mer et le ciel à la fois. Un promontoire situé dans la queue de cet animal marin est accessible ( il donne aussi accès à un solarium) et offre pour les curieux un point de vue vers la ville naissante qui prend forme peu à peu. La géométrie n’est pas en reste même s’il s’agit d’une œuvre régie par la courbe. En fait, l’architecte observera les dessins créés par le vent dans les dunes en tentera d’en tirer un concept géométrique maîtrisé à l’aide d’ellipses et de cercles savamment positionnés. Le poisson est venu ensuite au cours des tentatives comme une évidence, de plus chaque fonction pouvaient devenir un organe du corps de l’animal. Baptisé Point Zéro pour rappeler que cet acte allait être le coup d’envoi d’une grande opération urbanistique, le projet témoigne que dès le départ l’architecte travaille main dans la main avec une équipe d’artistes plasticiens qui interviennent dans l’espace public tout au long de l’existence de la MIALR. La première représentante de cette équipe est Michèle Goalard, né en 1936 et décédée il y a peu, en Août 2016. Au Point Zéro, elle a dessiné le mur sculpture qui enveloppe le dos du poisson et qu’elle appellera le Mur des méditations. Ce mur en béton brut protège le baigneur du vent et du soleil et accompagne le Bâtiment Poisson jusqu’au belvédère qui se dresse fièrement vers le soleil et la mer, comme pour montrer qu’il veille et qu’il n’y a aucune crainte à avoir. L’artiste a de plus éparpillé des blocs de béton sur la toiture terrasse qui inspirent les ruines d’un passé imaginaire comme pour donner un cadre historique à une ville en gestation. Une autre artiste présente sur le site du Point Zéro est Joséphine Chévry, né en 1936 à Etampes, spécialisée dans la sculpture liée à l’architecture. Elle a beaucoup travaillé le béton et le métal. Sur le site originel de La Grande Motte, elle a sculpté des lettrages en béton servant à retenir les dunes et ramenant aux messages que l’on peut laisser dans le sable en s’amusant. Ses aménagements servaient d’espaces à l’abri du vent pour les familles, cependant aujourd’hui le site a été remodelé et il ne reste qu’une petite partie du travail de Chévry au Point Zéro.

Le Point Zéro. Carte postale fin des années 1960, éditions Yvon.Cliché Alain Perceval. 46


Le Point Zéro, plan masse. Jean Balladur.

Dos du bâtiment Poisson. Cliché Joffrey Rozzonelli.



Les célèbres pyramides qui font de La Grande Motte une ville si particulière sont un choix que Balladur a fait au terme d’un travail expérimental, empli de références diverses. Aujourd’hui, elles sont légion dans le quartier attenant au port, que l’on va appeler Le Levant. Ce sera, comme on le verra plus tard, la partie masculine de La Grande Motte. Mais quel a été le processus de création de ces gabarits particuliers? Lors de l’année 1964, les premiers dessins sont tracés, et ce que sait l’architecte à ce moment c’est qu’il a besoin d’une bande d’immeuble protectrice en front de mer, les fameux peignes qui vont stopper le vent. Le modernisme étant encore une valeur forte en architecture à cette époque, ce n’est pas étonnant que les esquisses comportent seulement des barres et des tours comme l’ont a pu en trouver dans la plupart des quartiers et villes construits à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Une des premières influences assumées de Balladur sera Brasília de Niemeyer, qu’il aura d’ailleurs visitée au début des années soixante. L’architecte ne sera d’ailleurs pas le seul en France, en effet on peut citer Claude Ferret, architecte de la reconstruction de Royan qui pensait renouveler l’architecture balnéaire en tropicalisant cette dernière, selon l’école brésilienne. En prenant de la distance toutefois, Balladur aime casser la rigidité trop stricte presque imposée par les puristes modernes de l’époque. Autre influence, le travail de Georges Candilis, notamment sa façon de combiner des volumes simples pour créer des ensembles organiques à l’aspect irrégulier. Dans la deuxième série d’esquisses, l’architecture des immeubles en front de mer de La Grande Motte résulte de cette influence, en effet, des boîtes identiques se superposent d’une façon qui semble aléatoire, et créent un dynamisme qui casse la barre toute droite des modernistes classiques. Les rez-de-chaussées sont des galeries qui servent aux commerces et restaurants et sont enveloppés par des arcades, et, émergents de la skyline en créneaux, quelques tours apparaissent ça et là. Les modules dessinés à cette époque sont tous identiques et combinés de façons multiples, dans un souci de travailler à coût réduit sans pour autant tomber dans la monotonie. Les architectes de la Team Ten en Angleterre, Moshe Safdie ou encore même Le Corbusier sont autant d’influences supplémentaires pour Balladur en ce qui concerne la combinaison de modules dans l’architecture. Cependant, à force de tentatives, et avec l’envie de créer une architecture qui lui serait propre, Jean Balladur en arrive à la forme pyramidale. A ce propos, il dira dans son livre Oeuvre : « Je cherchais, avec le programme modeste du logement des hommes, à planter un décor heureux, c’est-à-dire libre, libre du présent comme du passé. Je jugeais donc plus loyal de donner aux pyramides de La Grande Motte les espèces de ma propre joie plutôt que les figures catholiques, mais mortes, du pastiche ou de la géométrie. J’embrassais l’hérésie. » ( Oeuvre, 1974, p27 ). Le choix du mot « hérésie » n’est pas anodin, en effet, en Languedoc, fief de l’hérésie cathare, le clin d’œil est juste. Comme les protestants ont rejeté le dogme catholique, Balladur rejette les règles de bienséance de l’architecture alors en place, où ici les promoteurs et autres élus auraient voulu une piètre copie de l’architecture locale, censée être ce que les vacanciers recherchent, ou encore l’architecture rationnelle parallélépipédique bien rigide mais ô combien rentable, plébiscitée par les politiques et l’industrie du bâtiment. L’architecte fera donc un choix formel déterminant pour l’esthétique générale de La Grande Motte à ce moment là, qui le rapprochera du mouvement postmoderne.

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Si l’on s’en tient à la définition mathématique de la pyramide, qui la définit comme un volume de base carrée dont les quatre côtés se rejoignent en un point au sommet, on ne peut pas dire que les bâtiments du quartier du Levant de La Grande Motte en sont. Simplement, en regardant dans l’Histoire de l’architecture, on ne retrouve que peu de réelles pyramides, excepté en Egypte par exemple, où celles-ci ne sont pas des logements mais des tombes. En, réalité, ce qui ne rend pas une vraie pyramide habitable, c’est sa profondeur qui certes s’amenuise au fur et à mesure que l’on monte, mais qui est forcément massive à la base. La nécessité d’adapter ces volumes pour y mettre du logement s’est montrée dès les premières esquisses, ainsi, ces immeubles que tout le monde a fini par appeler des pyramides dans la station balnéaire ne sont en fait que des prismes de faible profondeur, tronqué en leur sommet de surcroît. De cette façon, les cœurs des étages les plus bas ne se voient pas privés de lumière naturelle comme cela aurait été le cas dans de véritables pyramides. Les références qui ont marqué Balladur ne sont pas simplement les tombes égyptiennes ou les constructions aztèques et mayas. Ses premiers dessins en effet, réalisés dans le courant de l’année 1964, se rapprochent plus d’un empilement monumental de maisons pueblos , habitat traditionnel amérindien que l’on retrouve dans la région du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis. On est renvoyé alors à Henri Sauvage, qui en 1924 dessinait sur les quais de Seine à Paris un immeuble pyramidal nommé Le Métropolis, jamais construit. Cette première tentative n’en est en fait pas vraiment une, en effet comme vu plus haut, le cœur des étages inférieurs n’aura pas assez de lumière si ces derniers sont si profonds. Les modèles que l’on connaît aujourd’hui ne sont identifiables sur les dessins de l’architecte qu’à partir du mois de Janvier 1965. Encore plus clairement, le plan intitulé GM18 datant du mois suivant montre clairement des profil inspirés des pyramides égyptiennes et plus particulièrement de celle de Djéser avec degrés apparents. Référence assumée, bien que Balladur admettra avoir été marqué par une autre civilisation au cours de son voyage précédent, le Mexique en 1964. Outre le lien évident au culte du soleil, le site de Teotihuacán montre un souci d’intégration des volumes construit dans le paysage environnant, ainsi, dans la vallée proche de Mexico qui abrite le site, les pyramides tronquées font référence directement aux collines et montagnes proches. L’architecte, saisi par ce parallèle, et observant le site nu encore à construire en Languedoc, ne manquera pas de remarquer les contreforts des Cévennes et le Pic Saint-Loup en arrière plan. L’idée n’est pas seulement d’imiter Teotihuacán, mais bien de s’implanter de la manière la plus douce possible dans un site originellement très marqué par l’horizontale. La pente de la pyramide et par la suite la courbe des Conques de Vénus quittent le sol doucement pour s’élever jusqu’au plat du sommet, et pour revenir au sol de la même façon. Balladur se sert de ces volumes pour protéger l’arrière de la station des embruns marins comme nous avons vu plus haut. On remarque qu’à la même période, Fernand Pouillon aménage la côte algérienne d’une façon similaire, il dira que le touriste a besoin d’un fond de scène qu’il peut contempler depuis la mer, fond de scène quasi théâtral avec pour but le dépaysement. En Algérie, Pouillon pastichera l’architecture locale qui selon lui est assez dépaysante pour les voyageurs venus d’Europe principalement, mais à La Grande Motte, l’architecte fera le choix de dépayser l’estivant en lui suggérant les temples lointains du Mexique. La pyramide grand-mottoise que l’on connaît aujourd’hui, après plusieurs essais plastiques, est arrêtée a un gabarit figé de 28m de haut afin de ne pas devenir un IGH (immeuble de grande hauteur). Elle devra rester soumise à ce gabarit imposé mais pourra se décliner de plusieurs façon grâce au travail des différents architectes de la station. Pourtant, ce choix qui semble si juste aux yeux de l’architecte est souvent mal reçu au début, et il peinera à le faire accepter. Ce ne sont pas seulement ses pairs qui y sont opposés, mais aussi les premiers promoteurs de la station, ce qui pose un problème plus grave encore. Les premiers rendez-vous sur le site en 1966 avec des promoteurs de Paris sont un échec, aucun ne veut investir, sauf un certain M. Savy, parisien lui aussi, mais déjà actif dans l’Hérault. Autrement, les banques, les habitants locaux, personne n’est convaincu, et les seuls qui éventuellement seraient prêts à investir sur le site insistent auprès de la SADH pour que Jean Balladur revienne sur ses décisions formelles. La station telle qu’on la connaît aujourd’hui aurait bien pu ne jamais exister si l’architecte n’avait pas tenu bon face aux pressions exercées.

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Emergence du gabarit pyramidal. Aquarelle, Jean Balladur, 1964. L’architecture en fête ou la naissance d’une ville, p27.

Schéma des gabarits définitifs, Jean Balladur. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Tout s’est joué un jour de Juin 1967 dans l’agence Balladur à Paris. Une réunion y sera organisée en présence du président de la SADH, Jean Bène et de son directeur, Michel-Olivier Honnilh, ansi que de Pierre Racine, qui était à la tête de la MIALR. On peut dire que le procès de l’architecte s’est déroulé à ce moment. Il devra y justifier son architecture qui selon lui était capable de peigner les vents comme il le souhaitait, et aussi son urbanisme que les élus trouvaient trop faible en densité, laissant en effet beaucoup de place aux espaces verts. Le président de la SADH écoutera l’architecte en acquiesçant calmement, et, même s’il ne dira rien, sa non-opposition sera un atout, au vu de son poids décisionnel. Le verdict sera rendu par le patron de la MIALR, M. Racine, qui décidera de faire confiance à l’architecte, tout en lui faisant comprendre qu’il faudra être prêt à assumer en cas d’échec. Néanmoins, les promoteurs resteront froids, mis à part quelques-uns d’entre eux comme Antoine Sanchez, un local établi dans la ville voisine du Grau-du-Roi et qui sera le premier à acquérir un terrain sur la station nouvelle en Octobre 1966. Les demandes fusent, mais les ventes ne sont qu’au nombre de deux en Février de l’année suivante. Tentant le tout pour le tout, le promoteur mettra au point une stratégie qui changera le destin pour l’heure peu optimiste de La Grande Motte. La tactique osée de Sanchez sera de simuler des ventes au moyen de pastilles colorées collées sur les plans, afin d’appâter les potentiels acheteurs. Tactique payante non seulement auprès des futurs propriétaires mais aussi de ses pairs qui commenceront à croire en la station et à investir à leur tour. Ces premiers promoteurs que l’on va appeler les pionniers seront tous de la région, les « étrangers » n’arriveront qu’après les premiers succès en 1973. Ainsi, Sanchez sera le promoteur qui fera construire la première série d’immeubles sur le port, à savoir l’ensemble du Provence composé des bâtiments Baccara, Fenestrelle, Etrier, Delta et Amazone. Dès l’été 1968, des estivants séjournent à La Grande Motte, et la médiatisation de l’événement permet à la station de se faire connaître rapidement. L’année suivante, en 1969, soit cinq années après son article peu renseigné, Paris Match revient parler des nouvelles stations, mais cette fois sans vraiment supposer puisque les premières constructions sont sortis de terre entre temps. L’article, dont le titre est L’insolite cité des temples du soleil, sera rédigé par René Sicart avec un reportage photo qui va fortement alimenter l’imaginaire des vacanciers, par Charles Courrière. L’on va d’ailleurs s’attarder sur La Grande Motte, station en vue du moment, puisque comme le dit l’article, une étape du Tour de France vient de s’y produire. On y apprend dans l’introduction que « tout ce qui est construit est déjà vendu à 90%. » et que « c’est un très bon placement. ». L’article explique les principes esthétiques des bâtiments et l’attachement de ses habitants au soleil, et raconte comment les montpelliérains, nîmois et autres habitants des villes alentours s’y sentent déjà chez eux. On apprend que certains pionniers viennent de l’étranger, et que peut-être cette station vouée aux vacances, une fois achevée, deviendra une véritable ville avec ses habitants permanents. L’article revient ensuite sur l’histoire de la région et de ses traditions, et explique que ce littoral décrépissait avant que l’on y construise, alors qu’au final cette intervention offre un espoir à la sauvegarde du pittoresque local. En effet, les manades, sortent de fermes taurines ou chevalines de Camargue, accueillent des nouveaux clients qui se sont enfin arrêtés dans le Languedoc, et réinjectent de l’argent dans l’économie locale. De plus, les nouvelles activités liées à l’eau offrent des opportunités d’emplois, ainsi que les restaurants, bars et hôtels qui ouvrent. C’est ainsi que dès les années 1960, une vie saisonnière voit déjà son émergence sur la côte languedocienne. Pour finir, l’article compare deux photos, l’une montrant les campings sauvages d’avant la Mission Racine, et l’autre, bien entendu, un camping organisé, capable de fournir les commodités nécessaires aux estivants, comme pour justifier le bien fondé d’une telle opération urbanistique. On peut donc déclarer sans s’avancer que grâce à cet article, Paris Match se rachète en relatant des informations correctes, et de plus, ancre la station dans le carnet de vacances des français comme une destination valable et capable de rivaliser avec la Côte d’Azur et la Costa Brava.

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Toujours la même année, mais cette fois-ci dans une revue plus spécialisée en architecture, à savoir le numéro 3 de La Construction Moderne de 1969, un autre article est écrit, et toutes les informations données y sont rigoureusement exactes, en effet l’auteur de l’article n’est autre que... Jean Balladur lui-même. Cet article relate l’historique du projet et explique assez clairement les choix urbanistiques et architecturaux choisis, on peut donc le voir comme un manifeste de l’architecte, cinq ans avant son premier vrai livre sur le sujet, Œuvre , en 1974. Les photos qui figurent dans la revue montrent La Grande Motte à la fin des années soixante, avec les seuls immeubles du port construits et les plantations dans leur état initial. L’architecte doit écrire ce qu’il va se faire et s’appuyer sur des plans de masse et des schémas d’ambiance, afin de permettre au lecteur de comprendre l’ampleur du projet. Quelques plans des appartements déjà livrés sont représentés, et enfin, des photos du Point Zéro concluent l’article pour laisser rêveur l’acquéreur de la revue.

Photo présentée dans le numéro 3 de La Construction Moderne de 1969. Cliché Alain Perceval.

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Perspective sur le quai, avec les premières pyramides. Jean Balladur et Jean-Bernard Tostivint. La première pyramide à sortir de terre, Le Provence , 1968. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault. Cliché Equipement.


L’Hôtel Frantel, 1974. Jean Balladur et Jean-Bernard Tostivint. Clichés Joffrey Rozzonelli.

L’exception dans le quartier du Levant est l’Hôtel Frantel ( aujourd’hui Mercure ), qui n’est pas inscrit dans un gabarit pyramidal. Il faut savoir que le propriétaire de l’hôtel a fait comprendre à Balladur qu’il n’était pas question que les étages diffèrent, ce qui a obligé l’architecte à déroger aux principes prévus sur cette partie de la ville. Ainsi, un parallélépipède rectangle se détache dans le ciel brutalement et dénote avec les pyramides voisines. Toutefois, la modénature balladurienne, que nous allons aborder dans le chapître suivant, est bien présente, et aide à l’intégration du bâtiment dans l’ensemble grand-mottois. Le Provence aujourd’hui. Les loggias voulues ouvertes au départ sont en partie condamnées par des vitrages. Cliché Joffrey Rozzonelli.



En plus d’un gabarit, l’architecte va réfléchir à une façon de différencier ses bâtiments qui se fondent dans une unité, comme il l’a voulu. Il va s’approprier un système qui deviendra aussi important que les pyramides dans l’identité esthétique de La Grande Motte, la modénature. Balladur l’a rendu obligatoire pour tous les bâtiments de la ville. En architecture, selon la définition de l’encyclopédie Universalis, elle désigne « l’ensemble des moulures qui ornent une partie d’un monument ou l’ordre qui le caractérise. Les principaux éléments qui, dans un édifice grec, portent ces moulures sont, de haut en bas : le couronnement, la frise, le chapiteau, la base (ionique ou corinthienne) pour l’ordre extérieur ; les assises inférieure et supérieure des murs qui déterminent le pronaos, la cella et l’opisthodome des temples grecs. Les portes étaient souvent ornées d’un bandeau mouluré. » En somme, en dehors de l’architecture grecque classique, la modénature désigne tout relief architectural, permettant à la lumière de s’y accrocher, et pouvant être fonctionnel mais en général purement plastique. L’architecte de la station est un fervent admirateur de la modénature de l’architecture classique, et il a été notamment marqué par le travail de Michel-Ange lors d’un voyage dans la capitale italienne. Dans son livre Œuvre, il dira en 1974 à propos de la place du Capitole à Rome « D’où ces palais tenaient-ils leur pouvoir redoutable sur mon imagination ? Je dus convenir que seule la force de la modénature faisait couler cette sève dans l’édifice. » ( Œuvre, 1974, p4 ). Néanmoins, il sera nécessaire d’adapter cette modénature à l’époque architecturale dans laquelle nous nous trouvions alors, et aussi, encore plus fort, à la matière utilisée, c’est-à-dire le béton. Ce matériau, en effet, ne va pas se tailler comme la pierre ou la brique mais se mouler. A La Grande Motte, la modénature classique n’est plus, elle ne désigne plus des moulures ou des sculptures mais des voiles de béton installés en façade comme des murs rideaux ou en travers des balcons pour séparer les appartements. On peut dire que la modénature grand-mottoise est une version moderne, exacerbée et poussée à l’extrême de celle pratiquée dans l’architecture classique.

L’Eden , modénatures. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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L’architecte n’hésitera pas à parler de voilettes de béton, qui mises en avant de ces balcons créent l’ombre et la protection au vent nécessaires à l’utilisation de ces derniers. La façade de ces immeubles est dédoublée et une résille assure la protection des logements situés en arrière. A ce propos, l’architecte, interrogé dans le Technique et Architecture numéro 2 en 1969, déclarera : « Les architectes italiens de la Renaissance qui ne disposaient pas comme nous-même du conditionnement d’air mécanique, avaient imaginé développer de légères arcatures de loggias devant les murs de leurs bâtiments pour les abriter de l’insolation directe et atténuer le trop grand éblouissement du jour. » En plus de la nécessaire protection des rayons puissants du soleil méditerranéen, la création du maître d’œuvre a aussi comme utilité le cadrage du paysage, à travers des formes étudiées pour être aussi agréables à regarder depuis l’intérieur comme l’extérieur. On pourra noter un attachement, même si l’œuvre balladurienne tente de s’en défaire, au modernisme, qui compte parmi ses constructions beaucoup de bâtiments qui offrent à travers de judicieuses ouvertures un regard calculé vers le paysage. Jean Balladur choisira d’être plasticien en créant des modénatures travaillées et originales pour chacun des bâtiments qu’il dessinera. Le Corbusier lui-même, dans Vers une architecture, admettra que le travail de la modénature revient aux architectes sensibles et non à ceux qui, cartésiens et pratiques, s’en tiennent à une géométrie trop rigide. Au départ, les essais plastiques de l’architecte ne vont pas jusqu’aux formes complexes que l’on rencontrera par la suite, cependant il refusera d’user de géométries trop simples comme le carré, le triangle ou le cercle seuls, qu’ils juge trop abstraits et peu enclins à produire une harmonie. La géométrie sera toutefois utilisée car elle génère selon lui toutes les architectures. Ainsi, il choisira souvent la combinaison d’au minimum deux formes simples, afin de créer des dessins au tracé régulateur lisible mais riche. La déclinaison des motifs est presque illimitée, d’autant plus que Balladur est entouré d’une équipe nombreuses d’architectes qui vont chacun faire un ou plusieurs bâtiments dans la station. Ainsi, le règlement à respecter dans le quartier du centre ville est de creuser avec un ou deux motifs, pas plus, un voile de béton blanc mis en avant de loggias à l’origine peintes de couleurs vives, et toujours ouvertes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui étant donné que certains propriétaires ont refermé leurs balcons avec des baies pour créer une pièce supplémentaire. La gamme des motifs et ainsi très riche car créée par plusieurs architectes, ce qui offre des effets presque musicaux et en tout cas cinétiques recherchés par l’architecte en chef, par ailleurs grand admirateur des travaux de Vasarely ou de Nicolas Schöffer, son ami. Le quartier du centre ville de La Grande Motte devient alors très homogène architecturalement, et à la fois très varié en terme de modénature. La monotonie est ainsi brisée et le rêve et le dépaysement recherchés par les vacanciers ont de la matière sur laquelle s’appuyer.

Cadrage de la vue. L’amiral . Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Côté médias, alors que la phase du Levant est déjà bien amorcée, on ose doucement se lancer dans la critique. C’est en 1970, dans le journal Jour de France qu’est édité un de ces articles. Titré M.Dupont découvre l’an 2000. La Grande Motte, sans doute une référence au film de Tati Les vacances de Monsieur Hulot , l’article, écrit par J.F. Tourtet, débute par une photo montrant une famille installée sur des chaises de plage devant les peignes de béton du Point Zéro. La légende déclare : « Utopie futuriste ou vacances du vingt et unième siècle ? Bâties dans un « Petit Sahara » auquel personne ne croyait, les pyramides révolutionnaires de La Grande Motte ombragent cette année 25 000 à 30 000 estivants. Comment peut-on être pharaon, en l’été 1970 ? ». La ville se voit comparée à une cité extra-terrestre, puis ce sont les touristes qui se voient moqués, eux-mêmes assimilés à des aliens mal habillés. Le journaliste se laisse ensuite aller à la critique architecturale et, comme il était parfois de bon ton à l’époque de rabaisser l’habitat collectif, va jusqu’à qualifier l’œuvre balladurienne de prison, ne servant qu’à entasser un maximum de personnes dans le chaos. Force est d’admettre que si les pyramides ne suffisent pas à interloquer le visiteur, la modénature peut s’en charger, surtout avec l’aide des journalistes.

Détail sur les modénatures du Fidji. Cliché Joffrey Rozzonelli.


En-tête du journal Jour de France, Août 1970.

C’est dans ce contexte de tapage médiatique que La Grande Motte rentre dans les années 1970. Les médias s’approprient le sujet depuis quelques années et aident plus ou moins à faire connaître la station, et c’était jusqu’ici dans l’ensemble positif. Pourtant, la mauvaise publicité ne tarde pas a pointer le bout de son nez, lorsqu’en Août de la même année, le ministre de l’Equipement et du Logement, Albin Chalandon, est interviewé par Louis Bériot, du journal France Soir . La discussion porte sur l’aménagement des littoraux français en général, mais, dès que le journaliste amène le ministre sur le terrain du Languedoc-Roussillon, ce dernier lâche : « On a commencé à aménager cette côte. Il faut continuer. Mais, il sera nécessaire de s’arrêter en chemin, car cette opération ne me paraît pas être un bon investissement au bon endroit. Cette côte n’est pas compétitive avec l’Espagne, l’Italie, l’Algérie, le Maroc ou la Grèce. A mon avis, on aurait mieux fait d’y préconiser un développement industriel. L’argent que l’Etat investit dans cette affaire serait bien mieux utilisé ailleurs. Je pense à l’Aquitaine, par exemple, qui est un plus beau site. » C’est cette déclaration du ministre qui éclate bruyamment et met en branle toute la Mission Racine. Les réactions fusent très vite. Tout est regroupé dans le livre L’aventure de La Grande Motte de Claude Thiebaut (Bibliothèque de la Construction, Février 1971). Dans le texte de Thiebaut, on apprend que la semaine précédente, le Premier Ministre avait confirmé que la MIALR se verrait attribuer des fonds supplémentaires l’année suivante, preuve de l’attachement du gouvernement français à l’opération. Le fait que Chalandon remette ceci en cause alors que lui ou ses représentants ont assistés à toutes les réunions sur le sujet met l’Etat en position délicate, ainsi le ministre doit rapidement corriger ses propos. Il va ainsi expliquer qu’il voudrait simplement que l’argent soit distribué de façon équitable entre les régions, et que les Landes et les domaines skiables français devraient eux-aussi bénéficier d’autant d’égards. Par ailleurs, il admet douter que tant de lits soient nécessaires dans les stations languedociennes.

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Malgré tout, le mal est fait, et des gens plus ou moins concernés prennent la parole. L’ancien ministre de la Construction, M. Maziol, va alors déclarer que laisser tomber l’opération à un tel stade reviendrait plus cher que de la poursuivre, et que l’Etat s’est de toute façon engagé à mener à terme la mission. M. Monod, délégué à l’Aménagement du Territoire, quant à lui, déclare que le Comité Interministériel a confirmé l’opération et que les fonds prévus seront attribués à la Région afin de poursuivre comme prévu. Pierre Racine, dont la mission porte le nom, fait remarquer judicieusement que la décision incombe au Premier Ministre, qui s’est engagé, et qu’une opération d’une telle ampleur ne peut pas et ne doit pas être jugée sur une période aussi courte, mais plutôt sur une vingtaine d’année au minimum. Enfin, M. Garcin, qui présidait alors la Chambre de Commerce, invite M. Chalandon à venir se rendre compte sur place de ce qu’il se passe. Il ajoute que personne ne peut discuter d’un tel ouvrage sans l’avoir vu. Dans les jours qui vont suivre, on va assister à une appropriation de l’affaire par la presse, communiste notamment, qui va spéculer sur la Mission Racine, et demander que le littoral sot attribué au tourisme social. Dans un numéro du Canard enchaîné , un titre dira « Il restait un gros moustique à La Grande Motte ; il a piqué Chalandon. », se moquant ainsi du ministre et de la station par la même occasion. Dans Le Monde , Robert Lafont va aller dans le sens du ministre, et déclarer que ses propos sont ceux de toute personne plus ou moins censée, c’est-à-dire que le littoral est de toute façon inutile neuf mois dans l’année, et que dès que les côtes espagnoles, italiennes ou encore grecques et maghrébines seront capables d’accueillir un tel flot de touristes, le Languedoc retournera à sa solitude. Bien que les choses finiront par se calmer rapidement, les conséquences de l’affaire marqueront la MIALR durant l’année qui suivra. Les acteurs se verront forcés de continuer leur travail sous les yeux presque inquisiteurs des médias et de la population. Les permis de construire verront leurs émissions chuter pour la décennie, en ne remonter réellement comme à la fin des années 1960 qu’à partir de 1980. Enfin, il faudra remarquer, d’ailleurs c’est ce que fait Claude Thiebaut dans son livre, que cette affaire aura eu son côté bénéfique. En effet, Chalandon, bien que de façon peu délicate, aura pointé les faiblesses des stations de la MIALR, à savoir leur inactivité durant les mois hors saison. C’est pourquoi, M. Monod, une fois les esprits calmés, reconnaîtra que les villes nouvelles du littoral devront se constituer aussi une activité économique dans la durée et non concentrée de Mai à Septembre avec le tourisme. Le secteur industriel, même minoritaire, sera dès lors implanté dans les stations , ou du moins en périphérie proche afin de permettre une véritable activité économique viable.

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La Grande Pyramide est sans le moindre possible doute le bâtiment le plus célèbre de La Grande Motte. Le projet devient marquant dès sa construction, et aujourd’hui on peut observer de part le monde qu’il a pu être une influence forte. Cependant il est impossible de dire qui de Jean Balladur ou André Minangoy, qui construisait sa Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet en région niçoise entre 1969 et 1993, a eu l’idée en premier de la forme tant les deux constructions ont un dessin similaire. On peut penser que les influences ont été mutuelles, étant donné que le projet niçois a vu sa construction étalée sur vingt-quatre longues années. Par contre, on peut difficilement réfuter l’idée selon laquelle la société d’architecture WS Atkins a, vraisemblablement, imité ou rendu hommage à l’immeuble balladurien pour son Jumeirah Beach Hotel à Dubaï en 1997, qui en est presque une copie identique à plus grande échelle. L’agence s’est tout de même arrangée pour que le remplacement du béton par le verre et le métal corresponde à l’image dubaïote.

A gauche, la célèbre Grande pyramide . Cliché extrait de L’architecture en fête ou la naissance d’une ville, p114.


Marina Baie des Anges, André Minangoy. La construction est contemporaine à celle de La Grande Pyramide. Cliché Adrien Mortini.

Jumeirah Hotel, WS Atkins. 1997, Dubai. Cliché Florian Rozzonelli.

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Quant à l’immeuble grand-mottois, réalisé entre 1972 et 1974, il se situe le long du quai nord du port, pile entre les quartiers du Levant et de celui qui a être construit ensuite, le Couchant, et agit comme un trait d’union harmonieux entre les deux. De plus, du haut de ses cinquante-trois mètres, il est le bâtiment le plus haut de toute la ville et est visible depuis très loin sur terre ou sur mer. C’est bien un repère dont il s’agit, d’ailleurs, son profil rappelle celui du Pic Saint-Loup situé en arrière plan lorsque l’on l’observe depuis la mer. Le gabarit originel de la pyramide est volontairement dépassé pour symboliser l’apogée de la ville, qui s’élève depuis l’Est, le Levant, jusqu’au point le plus haut et redescend vers l’Ouest, le Couchant, de la même façon, tel un massif montagneux artificiel. Les acteurs de cette construction sont bien sûr Jean Balladur, accompagné de son fidèle collaborateur Jean-Bernard Tostivint et du promoteur Antoine Sanchez, pionnier responsable du destin de la station. L’immeuble ressemble à un hybride entre les formes des deux quartiers, avec une liberté assumée, afin de marquer sa singularité. Un défi pour l’architecte qui admettra avoir eu du mal à se lancer, et, comme il le dira lui-même dans La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville, la Grande Pyramide « nécessita de ma part, dans une sorte de délire créatif entretenu par l’exigence, et par un peu d’alcool, rien moins qu’une vingtaine d’esquisses. ».(p 118) On peut retrouver toutes les typologies de La Grande Motte dans ce seul bâtiment, en plan et en élévation. Une pente à soixante degré en direction du Levant renvoie évidemment aux pyramides, le plan quant à lui rappelle les conques de Vénus, gabarits tout en courbe qui deviendront la norme dans le futur quartier, et l’aile qui tombe en direction du Couchant peut être considérée comme le prototype des bonnets d’évêques, le second type de gabarit du futur quartier qui, lors de la construction de l’immeuble, n’existaient pas encore, même en dessin.

Aile du bâtiment orientée vers le Levant, reprenant le profil des pyramides. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Détails des modénatures de La Grande Pyramide, à la fois à refends et à résille courbe. Cliché Joffrey Rozzonelli.

La Grande Pyramide, plan du 8e étage. Jean Balladur et Jean-Bernard Tostivint

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Parallèlement, pendant la construction du bâtiment, on note l’arrivée d’une agence de promotion à la tête de la communication de la station en 1972, Roux-Séguéla, qui augmente d’autant plus la quantité et la qualité des productions publicitaires. Ainsi, lors de leur première année de travail, ils éditent un guide reprenant pour le Languedoc-Roussillon toutes les stations nouvellement construites, et aussi une affiche qui sera placardée dans toute la France, représentant deux enfants jouant dans l’eau méditerranéenne avec comme slogan « Nouvelles stations du Languedoc Roussillon. Les mers du Sud sont en France » . L’analogie plaît évidemment aux vacanciers qui recherchent un dépaysement maximum pour oublier l’année au bureau, sans pour autant avoir à partir loin. La formule « Floride française » sera utilisée dans les dépliants de l’époque toujours dans cette idée de prouver aux vacanciers qu’ils pouvaient passer leurs vacances en France et se sentir sous les tropiques.

Affiche de Roux-Séguéla, 1972. Crédit Jacques Séguéla.

D’autres publications, alentours 1970. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault. 67



La Grande Motte s’est construite dans une période traversée par un mouvement connu par la suite comme le Postmodernisme. Selon Charles Jencks et sa formule bien connue tirée de son livre Le Langage de l’architecture postmoderne en 1979, « l’architecture moderne est morte à Saint Louis, Missouri, le 15 Juillet 1972 à quinze heures trente-deux (ou a peu près) ». Cette formule pour le moins teintée d’ironie fait référence au dynamitage des tours de logements de Pruitt – Igoe, de Minoru Yamasaki, devenues vétustes et ayant créé un climat d’insécurité. Pour Jencks, cela marque l’échec du modernisme puisque en seulement quelques décennies ses constructions ne sont déjà plus capables d’assumer leurs rôles. Selon lui, le modernisme trop autoritaire a atteint ses limites et les architectes devraient injecter plus de nuances dans leurs projets et regarder les inspirations du passé plus accessibles. De ce constat, Robert Venturi lui aussi, à travers ses projets et ses écrits, réagit à l’orthodoxie du modernisme trop rigide et devient une influence majeure de l’époque, l’une des figures de proue du mouvement postmoderne. Enfin, plus proche de nous géographiquement, le philosophe français Jean-François Lyotard qui publie La condition postmoderne en 1979, ouvrage qui aura une influence mondiale autant en architecture que dans d’autres domaines. Son travail démontre que le modernisme a commencé à s’essouffler depuis la fin des années cinquante, c’est-à-dire une fois que les dégâts d’après-guerre ont fini d’être effacés par les importantes campagnes de reconstruction teintés de ce modernisme, dont la plupart du public ne veut plus entendre parler. La société est en mutation, le progrès avance à grands pas et les connaissances et les courants de pensées uniques qui guidaient tant de monde s’affaiblissent, on assiste alors à un retour de l’éclectisme en faveur des multiples inspirations à la portée de tous. Ainsi, les réticences face à la sévérité des modernes dont Balladur faisait preuve, que lui-même qualifiait d’hérésie, faisait écho à ce mouvement postmoderne naissant. Est-ceque ses envies d’expérimentations formelles étaient seulement liées au fait de dessiner une ville dédiée aux vacances, ou plutôt à un rejet général de ces règles rigides, presque religieuses, de l’architecture moderne codifiée à l’extrême par Le Corbusier ou encore Mies Van Der Rohe ? Quoiqu’il en soit, les choix de Balladur illustrent une époque de renouveau architectural teinté d’espoir et servant de décor idéal à ces trente glorieuses bien installées. C’est pourquoi il ne s’arrête pas à la simple forme des pyramides qu’il va laisser dans le quartier du Levant ou Centre Ville, et qu’il va développer pour la phase suivante, le Couchant, des formes plus courbes et libres, d’abord les Conques de Vénus et ensuite les bonnets d’évêques. Des bâtiments uniques dans la ville, comme le palais des congrès, la mairie ou encore l’église, ainsi que les passerelles piétonnes, bénéficient de dérogation et son dessinées selon l’envie de l’architecte. Les gabarits inhérents au quartier ne sont plus respectés et ces constructions sont uniques à La Grande Motte. Balladur sait donc s’affranchir des règles liées au métier d’architecte, au courant dans lequel il est censé se trouver et même des règles qu’il a lui-même établies dans son urbanisme.

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L’ urbanisme de La Grande Motte va d’ailleurs être profondément modifié une fois la phase du Levant terminée, ce qui se situe vers la fin des années 1970. Comme vu plus haut, le Couchant est la deuxième phase de la construction de la station balnéaire, et bien que les règles concernant la végétalisation restent d’actualité, le tracé des rues ne respecte absolument plus la grille calquée sur l’alignement du port. L’affranchissement de l’architecte en chef à lui-même se retrouve encore ici. En effet, il va proposer un urbanisme tout en courbe, à l’instar des bâtiments qui y seront construits, afin d’offrir des espaces de déambulation plus aléatoires et riches en surprises. En réalité, rien n’est aléatoire, seulement, l’axe sur lequel s’appuie l’architecte est un élément naturellement courbe, à savoir la longue dune qui se développe le long de la côte et qui se trouve dans le site à construire. Un chemin en découle, longeant paresseusement la plage, et permet de développer tout un urbanisme en relation avec celui-ci. La dune étant un élément permettant déjà une première protection face aux vents, les immeubles construits derrière n’ont pas besoin d’être aussi serrés que dans le centre ville, ni aussi hauts. L’architecte, bien que chrétien, s’intéresse à d’autres philosophies, et ici, la relation de dualité entre le Levant et le Couchant fait référence à la théorie chinoise du Yin et du Yang. En fait, il voit dans le Levant la masculinité, des pyramides droites, dressées vers le ciel, et dans le Couchant à l’inverse, la féminité, un dessin plus libre et sensible exprimé par des courbes inspirées par le corps féminin. Pour autant, ces formes courbes sont définies mathématiquement et l’architecte impose encore des gabarits ainsi que des manières d’intégrer les modénatures qui lui sont si chères.

Vue aérienne de La Grande Motte, 1980. A droite du port, le Levant, et à gauche, le Couchant. On voit bien la différence de trame. Les campings sont au Nord du Couchant, et les villas au Nord du Levant. Crédit Institut Géographique National.

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Les formes qu’il va appeler « conques de Vénus » s’inspirent réellement de conques, et le « Vénus » fait référence à la Vénus de Botticelli. Les coquillages observés vont être réadaptés géométriquement afin de pouvoir y installer du logement, comme pour les pyramides du Levant. La forme elliptique intéresse l’architecte qui l’oriente vers la mer et le soleil, de façon à ce que tous les appartements bénéficient d’une orientation idéale, nécessaire à une ville qui se veut créée pour les vacances. De même, les bonnets ou mîtres d’évêques sont aussi tournés dans la même direction, dans le même souci d’égalité entre les logements. Cette typologie est la dernière invention de Jean Balladur pour La Grande Motte. Apparue en croquis vers 1975, la forme peut être interprétée comme une pyramide adoucie aux courbes correspondant à l’esthétique du Couchant. En ce sens elle fait le lien jusque dans les parties les plus reculée du quartier avec le Levant. A noter, que le premier immeuble de ce type n’est pas signé Balladur, même si son aval a été nécessaire, mais Jean-Pierre Agniel. L’édifice en question, construit en 1979 est Les Marines de Haute Plage, dont le nom renvoie à l’ancien domaine de la Haute Plage qui occupait avant la MIALR le secteur. Jusqu’à la fin de la mission Racine, treize immeubles reprenant cette typologie seront construits dans la station balnéaire. Il est intéressant de remarquer que ces mîtres sont plus hautes et ponctuent l’espace plus horizontal des conques de Vénus, et que bien qu’au départ dans les études sur le Couchant elles n’existaient pas, elles pourraient être issues de la forme complexe de La Grande Pyramide, bâtiment tampon entre les deux parties de La Grande Motte, liant harmonieusement les parties Yin et Yang de la ville.

Les gabarits du Couchant et les modénatures possibles. Jean Balladur. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Les Marines de Haute Plage, de Jean-Pierre Agnel, le premier bâtiment en bonnet d’évêque. Cliché Joffrey Rozzonelli. Modénatures de type «à refends». Le Paradis du Soleil. Cliché Joffrey Rozzonelli.


Gabarit type «conque de Vénus». Cliché Joffrey Rozzonelli. Gabarit type «bonnet d’évèque». Le Poséidon, Jean et Gilles Balladur, 1980. Cliché Joffrey Rozzonelli.



On a pu voir que La Grande Motte était bâtie selon des principes urbanistiques et architecturaux finalement assez stricts même si chaque bâtiment est rendu unique par sa modénature. Cependant, Balladur, qui s’est vu confier en plus des programmes de logements multiples les programmes de bâtiments publics qu’ils soient administratifs, politiques, religieux ou autre, s’est affranchi des codes qu’il avait lui-même établis pour les différents quartiers de la ville. Finalement, chaque bâtiment à programme unique nécessitait une visibilité particulière et c’est pourquoi chacun a été traité par l’architecte et ses collaborateurs en dehors des gabarits imposés par les fiches de lots. Rappelons de plus que le contexte architectural des années 1960 et 1970 est marqué par une émancipation générale des préceptes du modernisme et que beaucoup de références marquent le détachement volontaire des architectes par rapport au parallélépipède rectangle adulé par les modernes. Ainsi, des références mondialement connues comme le travail de Niemeyer à Brasília pénètrent les esprits de l’époque et ouvrent la voie vers une architecture libérée des codes jusqu’alors omniprésents. Néanmoins comme nous avons pu le voir, la critique est parfois rude et certains architectes pourtant audacieux se voient lamentablement stigmatisés. On retrouvera toutefois quelques exemples d’une architecture abandonnant l’angle droit en France, comme le célèbre Palais Bulle à Théoule-sur-Mer d’Antti Lovag à la fin des années 1970, ou encore les immeubles de L’Astragale d’André Bruyère à Sausset les Pins à la fin des années 1960. Le lien entre ces constructions et l’architecture liée à l’été et aux vacances est-il responsable de cette prise de risque ? En tout cas, il est probable que dans le cas de La Grande Motte, Balladur se soit senti plus libre en créant pour des estivants libérés de leurs soucis de travailleurs. Pourtant, le même architecte, lorsqu’il a participé au concours du centre Georges Pompidou en plein Paris, n’a pas hésité à proposer un dessin tout en courbe, sans se laisser coincer par le contexte rigide des grandes villes. Dans les projets de bâtiments uniques de La Grande Motte, Balladur a laissé parler son imagination et celle de ses « preux », Tostivint, Dezeuze et Gineste. Ces projets concernent les hôtels, les VVF (Villages Vacances Familles) , la capitainerie, les postes de secourisme ou les bâtiments publics que sont la mairie, l’église et les différentes écoles entre autres. Concernant la mairie, celle-ci est commandé en 1974 lorsque la commune de La Grande Motte se détache de celle de Mauguio pour devenir autonome. Le bâtiment sera terminé en 1982 et sera situé sur ce qui s’appellera la Place des Trois Pouvoirs, faisant directement référence à la place éponyme situé à Brasília. C’est bien sûr un hommage au travail de Niemeyer et qui se trouve être d’ampleur moindre, mais qui prouve sans équivoque que l’architecte brésilien est bien une influence de la plus grande importance dans le monde à cette époque. Les trois pouvoirs mentionnés sont le pouvoir politique représenté par la mairie, le pouvoir religieux symbolisé par l’église et enfin le pouvoir populaire qui se verra représenté par la salle polyvalente et le théâtre de plein air. Le tout s’articule autour d’une place ornée du dessin d’un labyrinthe au sol. Il fait premièrement référence au dessin de la place du Capitole à Rome, qui, souvenons nous, avait marqué notre architecte. Mais aussi, référence aux labyrinthes que l’on peut trouver dans les cathédrales d’Amiens, de Reims ou de Chartres pour les plus connus, et qui symbolisent la difficulté du chemin de la vie, vers Dieu bien sûr pour le cas des églises, mais pour Balladur, le simple choix de son parcours de vie. Au centre de la place, une fontaine travaillée avec le matériau roi de la ville, le béton, où des formes animales non définies semblent y boire, et d’où l’eau est crachée par des bouches clairement humaines. Preuve de la place importante du travail des artistes plasticiens dans la station.

Croquis de la Place des Trois Pouvoirs. Tout à gauche, l’église, puis la mairie et enfin la salle polyvalente. Archives de Jean Balladur. 75


En haut, la Mairie, et en bas, la fontaine et le labirynthe au premier plan. ClichĂŠs de Joffrey Rozzonelli.

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La mairie est dessinée comme un visage qui observe la place, dont la bouche vomirait le flux des gens qui y entrent et sortent, surtout les jours de mariage. Les trois fenêtres qui forment les yeux et le haut de la bouche, au premier étage, ont la même forme si ce n’est qu’une fois sur deux elle est retournée à 180 degrés. Aucune hiérarchie n’est voulue, volontairement, entre les bureaux du maire, de ses adjoints et la salle des mariages. Ainsi, bien que tout en courbe, la symétrie est conservée, au service de la légitime lisibilité d’un bâtiment de prestige. La salle polyvalente se voit surmontée d’un toit à pente unique qui sert de gradins, afin que les spectateurs du théâtre d’extérieur puissent s’y poser. Il est assez aisé de remarquer la référence aux cités précolombiennes qui ont inspiré l’architecte, dans le rapport au sol du bâtiment. Le côté encore visible du bâtiment et qui mène à l’entrée de la salle est orné de colonnes en béton qui rappellent les modénatures de la ville, dessinées par l’artiste Albert Marchais. Quant à l’église, appelée Saint-Augustin, elle est caractérisée par un voile de béton qui s’élève en ruban de Moebius pour former le clocher. Ce ruban est à l’est et symbolise le soleil, de plus en retombant il s’enroule autour de l’espace qui deviendra le corps à proprement parler de l’église. Nul ne doutera qu’à sa construction, certains chrétiens perplexes reçurent assez mal l’édifice. Cependant dans l’ensemble la plupart des fidèles ainsi que le clergé l’acceptèrent, sa forme révélant une sensibilité compatible avec la religion. Balladur justifiera son design d’une façon qui sût convaincre : « L’église, qui est la maison de Dieu, s’affirme par le signe de la parabole, qui ouvre ses branches jusqu’à l’infini pour mieux accueillir dans son foyer tous les destins parallèles des hommes qu’elle embrasse. » ( dans La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville, 1994, p130 ). Le dernier bâtiment notable de l’architecte parmi ces œuvres uniques est le palais des congrès, situé entre le port et l’entrée de la station. Réalisé entre 1976 et 1985, il rend encore hommage à la prise de risque et à l’affranchissement des codes. La proche équipe de l’architecte l’accompagne encore sur ce projet. Le programme est composé de deux salles de conférences de cinq cents et de deux cents places, et d’un hall qui sert d’espace d’expositions. Les salles sont lisibles de l’extérieur, enveloppées dans deux prismes ellipsoïdaux. L’intention des concepteurs est de ne pas cacher les espaces, bien que les courbes ne montrent pas explicitement que ce qu’elles contiennent sont des salles de conférences.

Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Page de gauche : colonnes de la salle polyvalente, par Albert Marchais. Page de droite : En haut, l’Eglise Saint Augustin. En bas : Le Palais des Congrès. Clichés de Joffrey Rozzonelli.

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Gesamtkunstwerk, le concept romantique allemand d’œuvre d’art totale, peut parfaitement définir La Grande Motte. Revenons en France, en 1951, lorsqu’un décret est signé, stipulant que 1% du budget attribué à un édifice public doit être utilisé pour une intervention artistique. L’architecte de La Grande Motte, que nous savons sensible à l’art, voit pourtant d’un œil méfiant cette mesure, en effet selon lui elle marque en réalité la rupture entre art et architecture. Il faut se rendre compte que le modernisme, puissamment installé à l’époque, a agit en ce sens, en privant l’architecture de ses ornements, et créant deux mondes distincts, ce qui pour Balladur est absurde. Il pense que l’urgence est de rétablir un dialogue entre les artistes et les architectes, ce que la mesure n’aide pas vraiment à faire. Ainsi, dans la station balnéaire, il va tenter d’établir une relation de confiance durable entre les équipes afin que le résultat soit le plus harmonieux possible. Et il n’est pas seulement question d’architecture et d’art, mais aussi de paysagisme et d’urbanisme. L’architecte en chef est aussi au sommet de ces pyramides là, s’assurant de contrôler l’entièreté de la construction de La Grande Motte. Comme vu plus haut, l’architecte va s’entourer d’artistes dès la phase du Point Zéro. L’équipe qui va suivre le chantier pharaonique sera composée des deux sculptrices du Point Zéro, à savoir Michèle Goalard et Joséphine Chévry, ainsi que des sculpteurs et peintres Albert Marchais, Yves Loyer, Ilio Signori et du verrier Jacques Loire. Michèle Goalard, comme nous l’avons vu, est responsable de la construction du Mur des méditations au Point Zéro. Son travail dans la ville nouvelle s’étalera sur une vingtaine d’années, et elle créera dans de nombreuses zones, comme le VVF, les jardins de la Grande Pyramide, la Place du Cosmos dans le Couchant et sur la passerelle qui marque la sortie de La Grande Motte en direction de Carnon, à savoir la passerelle des Lampadophores. Teintés de poésie ses sculptures ont pour but premier de ravir l’œil du visiteur, toutefois l’artiste ne nie pas intégrer subtilement des possibilités d’appropriation de ses œuvres, comme des assises ou des invitations aux jeux d’enfants par exemple. Son intervention dans le VVF se fait en duo avec Albert Marchais. Le site se situe sur la presque île du Ponant, l’étang creusé alimenté par les eaux du Vidourle. Trois patios seront créés par le binôme, essentiellement constitués de briques, avec des sculptures évoquant des animaux ou des archétypes architecturaux. L’ensemble se veut appropriable par l’usager et surtout par les enfants. A noter qu’un nouvel hommage est fait au général De Gaulle avec un portique à balançoire nommé Le Grand Charles affublé d’un grand nez et de deux oreilles tout aussi imposantes. En plus de la briques, les artistes ont aussi utilisé du CorTen pour réaliser sur le même site des sculptures anthropomorphes ou abstraites à priori, bien que le regarde de chacun peu y voir ce qu’il désire. De même, les possibilités d’appropriation restent présentes et les corps des estivants peuvent envisager les œuvres de plusieurs façons. Le duo se retrouvera pour une intervention aux pieds de la Grande Pyramide, livré en 1974. Goalard créera le Jardin des Vagues, qui se situe dans la partie ouest du jardin, séparé par l’aile centrale de l’édifice. L’autre côté sera investi par Marchais, et les deux œuvres seront dessinées de concert afin de préserver une logique d’ensemble. Le Jardin des Vagues est composé de vagues, encore en briques, qui se meuvent au centre d’une île minérale représentant le soleil. Encore une fois, les jeux d’enfants sont à l’honneur, et même des plus grands, les ondes offrant d’idéales couchettes à l’ombre de l’immeuble et des arbres. Les adeptes de sports de glisse comme les skateurs savent aussi y trouver leur avantage, bien que l’accès soit, depuis les dernières années malheureusement, réservé aux résidents.

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Michèle Goalard, Le Jardin des Vagues , 1974. Cliché Joffrey Rozzonelli.

Albert Marchais, Le Jardin des Médailles , 1974. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Enfin, Goalard seule travaillera dans le quartier du Couchant, et y réalisera la Place du Cosmos et la Place de l’Homme, rebaptisée aujourd’hui la Place des Anciens d’Indochine. La Place du Cosmos se situe au début de l’allée du Maréchal Juin, qui part de la route traversant longitudinalement la ville , traverse les boutiques du Couchant et file vers la mer. C’est la plus grande place de la station, en effet elle occupe quasiment trois hectares. Le travail de Goalard y est davantage proche de l’urbanisme et du paysagisme que de la sculpture. Son nom vient du fait que le Soleil, la Terre et la Lune y sont représentés. La Terre est réalisée sous la forme d’une demi-sphère rouge, que les grand-mottois appellent affectueusement « la boule rouge » et qui sert de repère aux vacanciers. La sphère, en béton non moulé mais travaillé encore humide, est tranchée en partie par des escaliers qui peuvent être interprétés comme la trace indélébile du passage de l’Homme sur la planète. Le Soleil, quant à lui, est représenté par un grand cercle au centre de l’aménagement et un tracé au sol qui reprend ses rayons et irradie la place, de même, des chemins concentriques peuvent rappeler les mouvements des planètes autour de celui-ci. Et enfin, la Lune se trouve sur un de ces chemin, et est creusée en un bassin circulaire, blanc, qui offre un espace introverti sous les arbres. A propos des plantations, le travail de Pierre Pillet a si bien fonctionné qu’aujourd’hui, la Place qui pouvait se lire aisément depuis les bâtiments ou le ciel devient une entité plus floue, en raison d’une épaisse couverture verte. Ce qui finalement offre un espace de détente incroyable à l’abri des rayons ravageurs, avec des espaces multiples parfois si calmes qu’une sieste en plein air, même en plein été, peut être envisageable. L’autre place publique sur laquelle elle travaille dans le Couchant se trouve dans l’axe qui part de la Place du Cosmos, l’allée Maréchal Juin. La Place de l’Homme, comme elle s’appelait à l’origine, est une place ovoïde presque entièrement minérale qui est flanquée de deux sculptures-douches de part et d’autre, symétriquement. Moulées dans un béton foncé, les œuvres intriguent et invitent les baigneurs à profiter d’un bon rinçage à l’eau douce en rentrant des plages. Au sol, on retrouve des figures représentant des êtres humains, un noir et un autre blanc, dans un souci de matérialisation du Yin et du Yang qui avait inspiré Balladur lors de la genèse du quartier. Les sculptures de la place ont été réalisées grâce à des moules en polystyrène taillés par l’artiste elle-même, technique qu’elle découvre avec l’arrivée de ce matériau. Michèle Goalard, La Place du Cosmos , 1980. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Elle va réutiliser cette technique notamment pour sa dernière œuvre grand-mottoise, la passerelle des Lampadophores, livrée au milieu des années 1980. Il semblerait que la maladie ayant emporté Michèle Goalard soit en partie une conséquence de son travail sur le polystyrène, qu’elle découpait à chaud sans protection respiratoire. Malheureusement à l’époque, aucune étude prouvant la dangerosité de la matière n’avait été faite. Sur la passerelle, elle sculpte des formes humanoïdes qui portent des lampadaires, les lampadophores. Cette passerelle, fruit de l’association de Jean Balladur avec Michèle Goalard, est remplie de références fortes. Elle est la dernière (ou la première selon le sens dans lequel on prend la route) des six passerelles qui permettent aux piétons de traverser la route qui coupe la station balnéaire. Sa position lui donne ce sens particulier et ce rôle de porte, qui devra donc être surveillée. C’est ainsi que l’artiste sculpte les lampadophores, quatre hommes et huit femmes qui de part et d’autre de l’ouvrage apportent la lumière tout en surveillant les environs et en souhaitant la bienvenue aux visiteurs. Balladur lui, dessinera des figures en béton qui porteront le pont, avec pour inspiration le géant Atlas qui portait la voûte céleste selon les Grecs. Michèle Goalard et Jean Balladur, La Passerelle des Lampadophores . Cliché Joffrey Rozzonelli.

Albert Marchais, né en 1935, a avec Michèle Goalard été un des artistes les plus proches de l’architecte en chef de la station. Comme nous l’avons vu, il a travaillé en duo avec Goalard sur les aménagements du VVF et aux pieds de la Grande Pyramide, dans le Jardin des médailles qui se trouve opposé au Jardin des Vagues de sa collègue. Ce jardin est parsemé de disques dressés en brique et béton blanc, contenant des dessins non figuratifs pouvant être interprétés de plusieurs façons. L’artiste interviendra aussi sur ce que l’on appellera la Navigarde, un aménagement de figures de proue en béton qui borde la route devant les jardins de la Grande Pyramide.. Ces sculptures reprennent un bestiaire imaginaire, et présentent des altérations sévères dues au temps. J’ai appris lors d’un entretien avec William Serva, du service patrimoine de la ville, que l’année de création de ces dix-neuf figures, 1976, était une année de mauvais béton en raison de la sécheresse. La qualité du matériau a énormément subit de complications et il suffit d’un coup d’œil pour s’en assurer. Une autre intervention majeure de Marchais se trouve sur les flancs de la salle polyvalente de la Place des Trois Pouvoirs. Ces colonnes décoratives moulées en béton développent des profils de visages stylisés , que l’artiste baptisera Féminin-masculin , un résumé de La Grande Motte toute entière en somme. Enfin, Marchais sera à l’origine d’une grande fresque peinte à même la façade l’hôtel Mercure, alors appelé hôtel Frantel. Malheureusement, le rachat par la franchise fera que le bâtiment sera repeint et qu’aujourd’hui, rien ne subsiste de ce travail à part quelques clichés d’époque. 84


Albert Marchais, La Navigarde , 1976. Cliché Joffrey Rozzonelli.

Les autres artistes se verront surtout actifs dans l’église, où Jacques Loire réalisera les vitraux et Ilio Signori les portes chandelles en bronze au nombre de douze, symbole des apôtres de la religion chrétienne. Les preux que sont Paul Gineste et Pierre Dezeuze réaliseront aussi des œuvres sculpturales, dans le quartier résidentiel proche du Point Zéro où réside toujours M. Gineste. Leur travail consistera en une représentation imagée des vents locaux, dont les formes seront matérialisées à l’aide du béton, le roi des matériaux de La Grande Motte. Chaque vent aura sa sculpture, et deviendra un point de repère et un lieu privilégié pour les jeux d’enfants. Quant à Balladur, il réalisera les passerelles piétonnes nécessaires à une ville qui se veut verte, afin d’offrir aux déplacements doux des chemins agréables à l’abri du flux rapide des voitures. Sur les six passerelles de la station, on compte celle des Lampadophores, de la Saint Jean, des Abîmes et des Escargots, ces dernières étant au nombre de trois. Sur celle de la Saint Jean, un calcul est fait pour que le soleil passe à travers une fenêtre elliptique et vienne marquer un cercle parfait sur le tablier du pont le 21 Juin de chaque année, à savoir la Saint Jean ou encore le solstice d’été. De plus, soucieux de maîtriser complètement l’ensemble esthétique de la ville, l’architecte va se charger des dessiner tous les transformateurs électriques, en forme de pyramide au sens strict mathématique cette fois, et aussi les bancs et bordures pour empêcher les voitures de stationner sur les trottoirs. Son attachement va même jusqu’à le faire se battre contre les municipalités successives afin d’éviter la mise en place de tel ou tel panneau publicitaire qui dénaturerait le lieu qu’il avait imaginé. La Grande Motte est devenue une œuvre d’art totale, grâce à la ténacité de son chef d’orchestre et de ses collaborateurs proches, dont Elie Mauret et Pierre Pillet, et on peut dire que c’est la seule station de la MIALR qui atteindra un tel niveau d’exigence de contrôle esthétique. 85


Albert Marchais, Hotel Frantel, peintures. Aujourd’hui effacées. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault. Cliché CILR. Paul Gineste et Pierre Dezeuze, La Tramontane Belle. Cliché Joffrey Rozzonelli.


En haut : Une des trois Passerelles des escargots, Jean Balladur. En bas : Détail sur la Passerelle des Lampadophores, Michèle Goalard et Jean Balladur. Clichés de Joffrey Rozzonelli.



Le milieu de l’architecture se montre étrangement discret ou condescendant à l’égard du travail de Balladur, tout particulièrement dans les années 1970. Balladur, qui était membre du comité de direction de la revue L’Architecture d’aujourd’hui jusqu’alors, démissionne en 1971. Ce n’est qu’après son départ que la revue publie une photo de la station dans le numéro 172. Pas d’article non, bien une seule photo sur l’œuvre balladurienne, éparpillée au milieu d’autres exemples d’architectures balnéaires considérées par la revue d’échec. On assiste à une chasse aux sorcière des architectes qui s’ouvrent à un postmodernisme plus libre que le courant encore majoritaire du modernisme, si droit et bien pensé. Claude Parent notamment, se verra particulièrement réfractaire à la station balnéaire, et publiera en Août 1979 un article dans le numéro 7 de la revue Architecture , intitulé Languedoc-Roussillon, l’impérialisme architectural était-il la solution ? Parent y revient sur la Mission Racine, et déplore que l’Etat se soit imposé en colonisateur, ne laissant pas le choix aux habitants et aux architectes locaux, qui se seraient sentis piégés culturellement, financièrement et intellectuellement selon lui. Il finira par comparer les stations à Aigues-Mortes, ville « colonisée » par le pouvoir central français en son temps, afin de permettre aux pouvoirs royal et religieux d’asseoir leur puissance et de contrôler les départs en croisade. En effet, au XX e siècle, le pouvoir revient contrôler la région et ses touristes. Selon lui les habitants des villes nouvelles sont étrangers à la région, le programme de sédentarisation ne sert qu’à l’Etat. Il va plus loin dans la comparaison, déclarant que la ville médiévale, entourée de remparts, cerne l’urbanisme et empêche toute évasion visuelle, et que c’est exactement ce que les architectes de la MIALR ont fait. Puis, au fil de l’article, Parent se questionne sur le bien fondé d’urbaniser si vite, et s’il n’aurait pas fallu consulter plus d’élus et d’architectes locaux. Il se demande même si ces villes, si artificielles, ne finiront pas par mourir dans le sable, lieu de leur naissance incongrue. Et c’est alors qu’il en vient à parler du travail de Balladur. Tout d’un coup, le lecteur apprend que « La Grande Motte c’est la grande kermesse de béton. C’est la rigolade, la fête des vacances rendues obligatoires, imposées dans les dentelles de béton par un architecte parisien « en vacances » qui ne voit qu’à travers les vacances. » . Le ton est donné. Parent n’aime pas les stations de la MIALR, et surtout La Grande Motte. De plus, il continue l’article en se mettant à la place des languedociens et en assurant que « le tempérament des gens de cette région qui est moins gai qu’il n’y paraît, plus sauvage, plus replié sur des pensées intérieures ne s’accommode pas de la fête continuelle. » Il affirme que les villes du Sud doivent montrer la gravité et la tristesse dans leur architecture. La joie apparemment trop marquée dans l’architecture balladurienne n’a pas sa place dans l’Hérault, si l’on en croit Parent. Pour finir, il compare la station à une sorte de Luna Park et de Disney Land, et déplore que les architectes se soumettent à la solution de facilité engendrée par la fusion de l’argent et de la technocratie. Le ressentiment de Parent à l’égard de la station connaîtra un épisode cocasse, en effet, en 2005, celui-ci succède à Jean Balladur au siège V de Président de l’Académie des Beaux-Arts, section Architecture. La tradition veut que chaque nouveau président fasse un discours en l’honneur du président sortant. On pourra y trouver un long passage sur La Grande Motte, où Parent évoque Balladur dans la peau d’un « Chevalier Blanc » tout puissant qui mène son rêve jusqu’au bout, malgré un chemin semé d’embûches. Même s’il admet que le public a fini par s’adapter à la ville et qu’elle « fonctionne », il se demande toujours « si La Grande Motte est belle », et son discours, prononcé pourtant trois ans après le décès de Balladur, semble teinté d’ironie, et, même si c’est son droit, manquer de respect envers feu l’architecte, qui est dépeint comme quelqu’un d’égocentrique, ne reculant devant rien pour arriver à ses fins.

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Revenons maintenant à l’époque où La Grande Motte était encore en train de grandir, en 1983. Le 28 Août, l’émission Chef d’œuvres en périls va à la rencontre d’architectes et de critiques d’art, dont Balladur luimême, pour parler de la station. L’architecte en chef assume son geste, qu’il qualifie à l’époque de résolument moderniste. Il revient sur deux point importants de son parti pris, à savoir que « la manière de fabriquer un bâtiment et sa forme son étroitement liés » et que son travail avec le béton se devait d’être montré et non « maquillé pour lui donner l’allure d’une vieille maison de pêcheur en pierre. » Il est conscient de la mauvaise réputation du matériau à cette période de l’histoire de l’architecture et explique qu’il désire montrer sa souplesse d’utilisation dans le projet. Il finira par admettre que la ville ne peut laisser indifférent, et qu’il y aura forcément des détracteurs. L’émission donne ensuite la parole à l’architecte Olivier-Clément Cacoub, notamment connu pour son travail moderniste en Afrique, pour des projets de palais présidentiels par exemple. L’architecte ne mâchera pas ses mots. Voici son intervention : « Je déteste. Parce que pour moi ce n’est pas de l’architecture. Ce n’est pas reposant. Quand je suis à La Grande Motte je m’ennuie. Je vois des formes de pyramides, de chameaux debout, avec des pattes... C’est de la mauvaise architecture, des mauvais plans. » Son hostilité est non dissimulée, sans réel argument, et exprime ce que Balladur dénonce, c’est-à-dire l’orthodoxie moderne. Cacoub rejette ce projet qui ne porte pas les enseignements selon lui des grands maîtres modernistes du XX e siècle. Pour rester dans le commentaire négatif, on retrouve aussi le critique d’art Yvan Christ, qui déclare que La Grande Motte est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire, et que ce monstre ne correspond pas du tout à l’unité de la côte languedocienne. Un autre critique d’art se veut plus modéré, voire même enthousiaste. Il s’agit de Michel Ragon, qui admet que les formes pyramidales se fondent plus respectueusement dans le paysage que des barres rigides, et qu’on assiste à un effet de dépaysement qui fonctionne. Enfin, un architecte ouvre timidement une voie vers l’acceptation. Il s’agit de François Spoerry, qui est à l’origine du village de Port-Grimaud, construit à la même période que la station héraultaise, mais dans le Var. Spoerry va pasticher, selon ses propres mots, une architecture de cité lacustre comme Venise, tout en y intégrant les typologies provençales. Il apprécie les bâtiments grand-mottois pour leurs formes mais rejette l’idée de construire cela en bord de mer, car pour lui une ville moderne ne dépayse pas le citadin en vacances. Sa vision d’architecte l’amène à vouloir représenter une architecture connue à petite échelle, et pour lui, la station de Balladur, trop grande et novatrice, ne peut pas s’adapter à une cité des vacances. Enfin, l’émission interroge Pierre Racine, acteur principal de la MIALR, qui explique avoir cru en Balladur dès le départ, avec quelques timides pionniers. En 1983, Racine estime déjà que la station est réussie car malgré quelques critiques il lui semble que la majorité des gens l’apprécient. Tous ces professionnels de l’architecture et de la construction ont donné leurs avis, favorables ou défavorables, et ont participé volontairement ou non à donner à La Grande Motte le poids nécessaire pour que les vacanciers s’y intéressent. Ainsi, toujours dans l’émission de 1983, Balladur remarque une chose intéressante, c’est que « beaucoup de gens nous expliquent qu’ils veulent passer leurs vacances seuls dans un site désert, mais dans la réalité l’Homme est un animal grégaire, qui adore la présence de son semblable. » C’est pourquoi, même si la station s’est vue critiquée de part son implantation dans un site à l’origine naturel et désert, elle ne désemplie pas d’été en été.

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Le numéro de Architecture contenant l’article de Claude Parent, 1979. Fonds Charlie Lacombe, La Grande Motte.

Extraits de l’émission Chef d’œuvres en périls d’Août 1983, qui a donné la parole aux architectes sur La Grande Motte. INA.fr 91



La Grande Motte est née dans les années 60, une décennie paradoxale. D’un côté, ce sont les Trente Glorieuses, mais de l’autre, des événements tels que Mai 68 bouleversent la France et divisent la société. La liberté à tous les niveaux est prônée et on assiste à une grande rébellion de la jeunesse ainsi qu’a une augmentation sans précédent du combat des femmes pour leur émancipation. La décennie suivante verra une évolution en ce sens de la société, et les arts seront bien entendu un terrain riche en expérimentations. On continue a rêver à une vie meilleure dans un contexte où le se souvient encore de la dernière Grande Guerre, et on se noie dans le confort et la consommation de masse. Dans notre station balnéaire, les vacances ont changés et ne sont plus à l’image de la villégiature bourgeoise du début du siècle. Tout le monde y est le bienvenu et la mode s’y fait, les corps se libèrent et les carcans disparaissent. Les activités de même ne reviennent plus à faire des promenades et à aller au casino, mais à faire les boutiques, aller se baigner, faire du bateau et boire des verres en terrasse avant d’aller danser sur des musiques à la mode. Le soleil devient un allié privilégié et c’est pourquoi les stations se tournent évidemment au maximum vers celui-ci. La diffusion massive des cartes postales illustrant la station aide à la faire connaître, les bâtiments illustrant le renouveau tout autant que les corps dénudés pris en photo sur les plages. De plus, de toutes les stations de la MIALR, la ville est celle dont le port est le plus grand, et la passion des français pour le nautisme se développe avec notamment la victoire d’Eric Tabarly en 1964. De nombreux plaisanciers choisissent alors La Grande Motte et c’est un élément de plus qui va rendre la station célèbre. D’années en années et de décennies en décennies, la station va connaître un accroissement de sa population en été, et, bien que boudée par la critique surtout à partir des années 1990, le regain d’intérêt se développera à la fin des années 2000. Aujourd’hui, en plus des français, on retrouve majoritairement beaucoup de belges, néerlandais, allemands et anglais dans la ville en saison estivale. La ville nouvelle poursuit son existence à travers les années 1980, et se voit comme abandonnée à son sort, boudée par la critique, de sorte à ce que même la municipalité s’en détourne et privilégie une communication davantage tournée vers la mer que vers la ville et son architecture. Il suffit de voir simplement l’évolution des cartes postales, qui dans le jeune âge de la ville montraient au premier plan les constructions balladuriennes, et qui au fur et à mesure que l’on fini les années 1980 pour entrer dans les années 1990, vont se tourner vers la mer, avec les immeubles relégués au second plan, voire pas montrés du tout. Les publications se font rares dans les années 1980, on ne trouvera que de timides (et très sévères) traces écrites de La Grande Motte seulement dans la version corrigée de 2001 de Architecture moderne en France (1940-2000) de Jacques Lucan, alors que sa première version de 1988 n’en fait aucune mention. René Jullian en parlera de façon moins négative, bien que très brève et mesurée dans son Histoire de l’architecture Moderne en France publiée en 1984. Un seul petit paragraphe y est consacré et préfère qualifier le travail de Balladur d’original plutôt que d’y prêter un vrai jugement architectural. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que non tout le monde mais quelques nouveaux pionniers vont se réintéresser à la station et à son unité architecturale unique. Parmi ceux-ci, on va trouver Antoine Picon, un ingénieur, architecte et historien, et Claude Prelorenzo, sociologue et directeur scientifique de l’Ecole d’Architecture de Versailles. Les deux hommes vont s’intéresser au projet de Balladur et être à l’origine de publications qui vont permettre la mise en lumière de celui-ci. En 1993, sera publié un premier texte sur le sujet dans Les Carnets du Paysage , une revue qui comme son nom l’indique est spécialisée dans le paysagisme. C’est donc par cet aspect que sera à ce moment-là abordée La Grande Motte par les auteurs, puis, en 1999, une nouvelle publication, qui ne sera plus un article mais un livre, sortira sous le nom de L’aventure du balnéaire, La Grande Motte de Jean Balladur . La quatrième de couverture montre bien que pour les auteurs, il était plus que temps de revenir sur cette période : « L’étude de cette “aventure” exemplaire, réalisée à partir des archives souvent inédites de l’architecte, permet d’initier une nouvelle évaluation de la période des Trente Glorieuses, souvent décriée, mais qu’il convient de nuancer : rapporté à des enjeux économiques clairement identifiés tout n’est pas sans qualité dans le foisonnement de systèmes et d’objets urbains et architecturaux qui caractérise cette période.» Picon et Prelorenzo sont alors convaincus de l’importance de

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se pencher à nouveau sur le sujet de façon plus analytique, en évitant l’écueil facile de la critique systématique qui était de rigueur chez les spécialistes avant eux. Leur travail s’appuie essentiellement sur des écrits de Jean Balladur, et sur des entrevues avec l’architecte lui-même ainsi que certains des autres acteurs de la construction de La Grande Motte, et peut en quelque sorte être considéré comme crédible, puisque les principaux intéressés ont étés contactés. C’est une des premières fois que la station est simplement étudiée pour ce qu’elle est et non critiquée depuis les années 1970. Le livre de Picon et Prelorenzo est devenu une référence pour quiconque s’intéresse à La Grande Motte, car il délivre des informations exactes et surtout a permis à la ville de basculer vers une nouvelle période, celle de la reconnaissance.

Cartes postales, 1971. L’architecture est présenté au premier plan. Yvon éditions.

Carte postale, 1991. L’architecture est reléguée au second plan. AS éditions.

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En plus d’être celle de la publication du livre de Picon et Prelorenzo, l’année 1999 marque la fin du siècle et du millénaire, et s’impose comme la charnière vers un avenir certes tourné vers le progrès mais aussi qui sait regarder vers le passé et en tirer des leçons. C’est d’ailleurs cette année là que le label Patrimoine du XX e siècle est créé en France grâce à l’impulsion du ministère de la Culture. François Barré, alors directeur du service Architecture et Patrimoine de l’institution, est à l’origine de la mise en place de ce dispositif. Le label, officiel, vise à répertorier les réalisations architecturales et urbanistiques du XX e siècle en France reconnues comme remarquables. Les bâtiments ou ensembles inscrits sur la liste ne sont pas nécessairement classés comme monuments historiques, et donc protégés, néanmoins, ils deviennent l’objet d’une attention particulière qui vise à les faire connaître, à travers par exemple des publications, conférences et expositions. De plus, des plaques avec un logotype créé dès lors sont apposées sur les édifices labellisés afin de les présenter comme tels. Le but est double, à savoir influencer les décisions des municipalités et aménageurs pouvant atteindre l’intégrité des œuvres, et aussi informer le public, afin que celui-ci soit conscient de la valeur historique de la construction qui se trouve sous ses yeux, à laquelle il aurait pu ne pas porter attention. De la sorte, les usagers multiples d’un édifice sont appelés à être plus précautionneux et à avoir conscience de l’importance de la sauvegarde du bien, même si l’absence de classement n’oblige à rien. Ainsi, c’est tout un patrimoine, en l’occurrence ici français, qui a pu être ignoré ou décrié car associé à une architecture ne faisant pas l’unanimité, qui est remis en valeur et peut être sauvé de modifications lourdes voire de démolitions. Un premier bâtiment sera labellisé, le couvent des Dominicains de Lille, en 2000, et à ce jour, presque 2800 sites ou bâtiments sont sur la liste. Concernant l’attribution du label, un examen de la Commission régionale du patrimoine et des sites doit être effectué sur l’édifice candidat, et après validation de cet examen, la décision finale revient au préfet de la région. A noter que tout bâtiment ou site classé comme monument historique correspondant à la période XX e siècle se voit automatiquement labellisé. Ainsi, en 2010, le destin de La Grande Motte, qui avait déjà pris une tournure positive depuis une dizaine d’années, passe par la labellisation. Plusieurs publications ont rendu à la station l’intérêt qu’elle méritait, et, le 19 Janvier, la ville toute entière se voit inscrite sur la liste Patrimoine du XX e siècle . En terme de superficie, c’est le plus grand site français à recevoir le label à ce jour. On a pu compter sur l’appui de Bernard Toulier, conservateur général honoraire du patrimoine, au sein du ministère de la Culture et de la Communication, qui après avoir écrit plusieurs fois sur l’architecture balnéaire, a réussi à plaider en la faveur de l’œuvre balladurienne.

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Cet événement symbolise une réussite. En effet, La Grande Motte a enfin réussi à séduire des professionnels de la construction et de l’Histoire de l’Art, qui ont su y trouver les qualités pourtant présentes dès les années 1960, et, de plus, on assiste de la part de ces mêmes professionnels à l’émergence de la reconnaissance d’un mouvement alors rebelle en architecture, à savoir le Postmodernisme, qui est étudié en tant que vrai mouvement contrairement à l’époque de son apogée. Ainsi, l’œuvre de Balladur, quelques années après sa mort, est revenue au centre de l’attention mais dans un contexte bien moins agressif qu’à ses débuts. Les estivants et les habitants permanents, quant à eux, n’ont pas attendu l’an 2000 pour aimer la station. Mais enfin, aujourd’hui, leur ville se dessine fièrement sur la carte de France, et même sur une carte à plus grande échelle encore. On vient de loin pour l’admirer, elle plutôt qu’une autre, car on sait désormais qu’il n’y a pas que la mer à regarder. Pourtant, une tentative de décrédibilisation de La Grande Motte a vu le jour en 2013, dans un article du magazine M le mag édité par Le Monde, intitulé La tenue de plage à … La Grande Motte . L’auteur, Marc Beaugé, qui devons-nous rappeler est un habitué de la moquerie dans sa rubrique satirique sur l’habillement, va d’abord attaquer de façon spectaculaire le physique d’ Edouard Balladur, l’ancien Premier ministre et cousin de Jean, qui n’a rien à voir avec le sujet. On entre enfin dans le vif, et l’esthétique de « l’une des stations balnéaires les moins chics de tout le littoral français », se voit descendue, car selon lui « l’élégance française » est touchée. Attaquer sur ce point la ville héraultaise n’est pas une nouveauté, cependant Beaugé innove et continue l’article en se moquant de la tenue de plage des habitués de la station ( sa spécialité). L’estivant « se plaît-il à arborer un increvable slip de bain », « se contentant de porter un débardeur laissant apparaître des biceps sculptés tout au long d’une vie de travail manuel » … Beaugé termine par un superbe « qui voudrait lui ressembler ? » dédaigneux, et, malgré tous ses efforts, il n’aura pas réussi à discréditer La Grande Motte qui accueille toujours autant de touristes, locaux et saisonniers l’été venu. De plus, cet article ne prouve-t-il pas que malgré toutes les critiques, les touristes ont toujours plébiscité La Grande Motte ? Et, d’un certain point de vue, cela montre que le pari de Balladur et de la MIALR a été gagné et ce depuis bien avant la labellisation.

Panneau d’information délivré par la label Patrimoine du XXe siècle. Ici au Point Zéro. Cliché Joffrey Rozzonelli.

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Depuis, l’Office du Tourisme y organise des expositions, des visites, participe à des publications, dont notamment Jean Balladur et La Grande Motte, l’architecte d’une ville, de Michèle François et la Direction Régionale des Affaires Culturelles du Languedoc Roussillon en Septembre 2010. Et, dernièrement, en Mai 2016, la publication d’un dernier ouvrage consacré à sa ville voit le jour. Il s’agit de La Grande Motte, Patrimoine du XXe siècle de Gilles Ragot, enseignant en histoire de l’art contemporain à l’école de Bordeaux-Montaigne, et accessoirement auteur de plusieurs publications sur l’architecture du XX e siècle dont celle de Le Corbusier. Ragot a livré un travail important de documentation qui permet de retracer l’Histoire de la station, en la recontextualisant afin de donner les clefs de la compréhension aux lecteurs. Ce genre d’ouvrage peut être considéré comme partie intégrante du travail de mise en lumière voulu par le label . Ainsi, le monde de l’architecture et de l’Histoire s’intéresse à nouveau au sujet, cette fois-ci de façon analytique et non critique, et fournit de nouveaux documents aidant à le comprendre, à l’aide des témoignages des acteurs encore présents et des archives. Le public visé, quant à lui, ne s’en est jamais vraiment détourné, bien qu’un regain d’intérêt parmi les « estivants pratiquants » émerge, ou même une découverte pour certains qui ont été touchés par la diffusion de telle ou telle information. Tout récemment, à Paris, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, s’est tenue entre Octobre 2016 et Février 2017 une exposition sur l’histoire du balnéaire. Bernard Toulier en est encore l’instigateur, et, après avoir passé en revue les premières stations de l’Atlantique et de la Côte d’Azur, il permet que l’on s’attarde sur la ville héraultaise, avec nombre de photos et de maquettes. La ville se montre sous son meilleur jour et attire toujours plus de curieux. On a aussi pu voir ce 19 Juillet dernier sur M6, dans le journal télévisé 12.45 un reportage consacré à la station, qui donne la parole aux visiteurs et aux résidents permanents. La journaliste rappelle que la ville a connu des débuts difficiles mais qu’aujourd’hui son inscription patrimoniale lui offre la reconnaissance. Les témoignages fusent, et certains admettent qu’ils viennent de découvrir son architecture et sont agréablement surpris par son ambiance fraîche, sa couverture végétale et son esthétique. Parmi les personnes interrogées, on rencontre Jérôme Arnaud, qui porte le curieux titre de Directeur de la station de La Grande Motte . Sur M6, il explique rapidement ce qu’il y a à savoir sur l’urbanisme et en quoi il est particulier. Mais pour comprendre réellement son rôle, il faut s’attarder sur un article paru le 9 Juin 2016 sur le site Voyageons-Autrement.com , qui selon leurs propres mots est le « 1er portail d’information sur le tourisme responsable ». L’article, de Geneviève Clastres, s’intitule Rencontre avec Jérôme Arnaud, directeur de la station de La Grande Motte. Arnaud explique qu’il a commencé par conduire des missions de développement pour des stations de sports d’hiver et pour des Parcs Naturels Régionaux, où les enjeux étaient complètement différents, car à but lucratif rapide pour les premiers et à visée écologique et environnementale pour les seconds. En 2011, il a été contacté par la mairie de La Grande Motte et depuis y travaille sur un projet qui lie les deux aspects alors que sur ses missions précédentes ils n’étaient absolument pas mêlés. Son travail a pour but de gérer l’image de la ville pour permettre le développement du tourisme estival, tout en menant à bien sa mutation vers les nouveaux impératifs démographiques et écologiques, et donc la modernisation des équipements. Il explique que le tourisme estival reste le nerf économique de la ville et est donc vital, mais que pendant la période hors-saison, la ville tend à développer un autre tourisme, le tourisme culturel qui est tout nouveau pour la ville. Son statut patrimonial a permis cette évolution, et c’est pourquoi la municipalité s’est dotée d’un nouveau poste pour mener à bien les projets qui y sont liés. Arnaud définit la situation comme telle : « Disons pour synthétiser que l’enjeu d’aujourd’hui n’est plus sur le Tourisme Social et Solidaire, il a glissé au fil des années et des changements de valeurs de la société vers un autre enjeu, celui du Tourisme Durable. » Pour finir, il rappelle que Balladur a toujours voulu cet aspect durable, en mêlant les espaces piétons et cyclables avec les espaces carrossables sans qu’ils ne se gênent les uns les autres, et en intégrant une végétation importante qui fait tout autant que l’architecture l’identité de la cité. C’est de la sorte qu’une ville qui se veut l’emblème des vacances des décennies 1960, 1970, et 1980 s’inscrit dans la continuité et voyage vers l’avenir dans le plus grand des positivismes.

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L’Histoire de La Grande Motte est passée par bien des étapes, et elle va continuer de s’écrire. Ce n’est pas qu’elle, mais la plupart des œuvres trop avant-gardistes qui subissent des destins aussi rocambolesques. La phase de rejet d’une œuvre sera souvent suivie, un jour ou l’autre, par une révélation, voire une adoration, qui loue le génie de l’homme. L’homme, Jean Balladur, s’est permis de rêver, et de rêver en grand, sans jamais s’arrêter pendant plus de trente ans. Il a emporté dans son rêve une poignée de personnes qui ont cru en lui, et avec lui en cette histoire qu’ils écrivaient. Un tel projet paraît impossible à reproduire aujourd’hui, tant les moyens mis en œuvre à l’époque dépendent d’un Etat fort et d’un Etat volontaire, prêt à faire confiance aux architectes. C’est pourquoi un tel témoignage, et pas seulement La Grande Motte mais toutes les stations de la MIALR, mérite qu’on s’y intéresse ne serait-ce que pour constater jusqu’où peuvent aller quelques personnes qui défendent leurs idées, avec il est vrai, un soutien politique inébranlable. La Grande Motte est l’histoire successive de pionniers. Les tout premiers sont d’abord les instigateurs du projet, à savoir le gouvernement de Charles De Gaulle et de Georges Pompidou, puis bien sûr Jean Balladur, Pierre Racine et les quelques élus qui leurs ont fait confiance. L’architecte en chef a cru en lui-même et en ses rêves et cette confiance s’est transmise à d’autres hommes. Les pionniers suivant sont les promoteurs, comme Antoine Sanchez et quelques autres, qui n’ont pas hésité à se lancer dans un projet qui pourtant pouvait sembler bien ambitieux et incertain à l’époque, puis enfin, les premiers propriétaires qui ont investi des lieux encore inhabités. L’histoire a ensuite suivi son cours, l’étonnement et l’admiration que la nouveauté inspirait au public a fait place au rejet puis à l’indifférence des architectes et historiens au fil des décennies. Le plus étonnant, c’est que dans l’immédiat, la station n’a jamais été un échec, car à aucun moment on a enregistré une mauvaise saison estivale économiquement parlant. Le public, même si certains ont pu donner des témoignages peu élogieux, a toujours été au rendez-vous. Ce sont bien les architectes, qui, les premiers, et pendant presque toute la période de construction, ont tourné le dos à leur collègue qui s’était désormais converti définitivement à la liberté du balnéaire. L’incompréhension de certains, la mauvaise foi des autres, ont fait que l’opération urbanistique française majeure dans le domaine du balnéaire de la seconde moitié du XX e siècle est complètement passée aux oubliettes pendant de longues années. Et enfin, c’est à ce moment que les derniers pionniers apparaissent, ceux qui ont permis la redécouverte de la station dans le domaine des professionnels de l’architecture et de l’urbanisme. Antoine Picon et Claude Prelorenzo ont réellement participé à remettre l’œuvre balladurienne sur le devant de la scène. Mais qui dit pionniers dit forcément une masse qui va suivre. Et ça a été le cas à chaque fois dans la station. D’abord, des élus grincheux qui ont fini par admettre le succès de l’opération, puis, aux premiers propriétaires se sont rapidement rajoutés de nouveaux acheteurs, si bien que les appartements se sont vendus très vite, et que chaque été la ville était remplie d’estivants. Puis, les premiers articles de journaux en ont vu défiler beaucoup d’autres dans l’âge d’or du journalisme dédié à la ville héraultaise, dans les années 1970. Et enfin, la publication de Picon et Prelorenzo a entraîné une foule d’acteurs avec eux, que ce soit Bernard Toulier, qui a fait beaucoup pour la labellisation, et tous les auteurs qui ont suivit.

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Aujourd’hui, les institutions locales savent que leur ville traverse une période très importante, et qu’il va falloir savoir continuer à aller dans le sens de cette dynamique. Comme nous l’avons vu, le passage au nouveau millénaire symbolise le changement et l’avenir, tout en sachant se retourner pour tirer des leçons du passé. Le label marque certes un point positif pour l’avenir, cependant il ne faut pas oublier pourquoi La Grande Motte a été critiquée au cours de ses années de croissance. On distinguera deux types de critique : la critique que l’on pourrait qualifier de stérile, qui engage le plus souvent les architectes, et qui va concerner l’esthétique de la ville. On peut aimer ou pas, néanmoins on remarque qu’avec le temps ce genre de critique s’essouffle, et est très liée au mouvement principal en cours, au courant de pensée majoritaire. Le deuxième type de critique, qui se veut beaucoup plus constructif, est la critique qui va se concentrer sur la destination, l’affectation de la station. Lorsqu’ Albin Chalandon, en 1970, a abordé le sujet, cela a fait grand bruit. Pourtant dans un sens, il a émis l’idée qu’il était dangereux pour une ville de ne compter que sur le tourisme pour vivre. Et il avait dans ce sens raison, si La Grande Motte, et ça a longtemps été le cas, ne vit qu’en été, le danger est que si un jour le tourisme estival s’en détourne, il n’y aura plus rien. Or, il semblerait qu’enfin, la leçon aie été assimilée, car pour la première fois, un autre tourisme se développe hors saison. L’entrée de la dimension culturelle ouvre la ville à de nouveaux horizons, et lui permet, même à un rythme moindre, de ne pas rentrer en totale hibernation d’Octobre à Avril. De plus, la transition écologique que subit ou qu’est censée subir la société est aussi envisagée dans la station. Cela devrait se faire sans grande peine, Balladur ayant ouvert la voie, inconsciemment ou non, en dessinant avec Elie Mauret et Pierre Pillet une ville verte. C’est ainsi que La Grande Motte, qui est paradoxalement dans les esprits associée stylistiquement aux Trente Glorieuses, et donc au passé, revient au centre de l’attention et se tourne vers un avenir teinté d’espoir. Elle a été dessinée dès le départ comme une ville novatrice, ouverte vers le progrès.

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BIBLIOGRAPHIE : LIVRES D’HISTOIRE DE L’ARCHITECTURE LE CORBUSIER. Vers une architecture. Editions Champs arts, 1923. LE CORBUSIER. La Charte d’Athènes. Editions Points, 1933. EMERY, Marc, GOULET, Patrice. Guide architecture en France 1945-1983. Groupe Expansion AA, 1983. JENCKS, Charles, Le Langage de l’architecture postmoderne. Editions Dunod, 1984 (4e édition) JULLIAN, René. Histoire de l’architecture Moderne en France. Editions Philippe Sers, 1984. LUCAN, Jacques. Architecture moderne en France (1940-2000). Le Moniteur, édition corrigée de 2001. COHEN, Jean-Louis. L’Architecture moderne en France. Modernité et continuité. Editions Hazan, 2014. TEXIER, Simon. Une histoire de l’architecture des XXe et XXIe siècles. Beaux-Arts Editions, 2015. LIVRES DE JEAN BALLADUR BALLADUR, Jean. Oeuvre. Chiasso, Editions Score, 1974. BALLADUR, Jean. La Grande Motte, l’architecture en fête ou la naissance d’une ville. Editions Espace Sud, 1994. LIVRES SUR LA GRANDE MOTTE THIEBAUT, Claude. L’Aventure de La Grande Motte. Editions Bibliothèque de la Construction, 1971. PRELORENZO, Claude, PICON, Antoine. L’Aventure du balnéaire, La Grande Motte de Jean Balladur. Editions Parenthèses, 1999. FRANCOIS, Michèle. Jean Balladur et La Grande Motte : l’architecte d’une ville. DRAC du Languedoc-Rousillon, 2010. RAGOT, Gilles. La Grande Motte, Patrimoine du XXe siècle. Somogy Editions d’Art, 2016. ARTICLES HEIMER, Marc. Voici la Floride de demain, le Languedoc dans Paris Match , Août 1964, numéro 799. SICART, René. L’insolite cité des temples du Soleil dans Paris Match , Août 1969, numéro 1057. BALLADUR, Jean. L’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon dans La Construction Moderne , 1969, numéro 3. TOURTET, JF. M. Dupont découvre l’an 2000. La Grande Motte dans Jour de France, 1970. PARENT, Claude. Languedoc-Roussillon : l’impérialisme architectural était-il la solution? dans Architectures , Août - Septembre 1979 , numéro 7 , pages 23-24. CARALLI, Monique . Des hommes et des styles différents ont aboutis à une oeuvre homogène dans Architectures, Août - Septembre 1979 , numéro 7 , pages 25-28. MAIGNE, Jacques, Une fréquentation qui s’accroit... mais de maigres retombées sur la région dans Architectures, Août - Septembre 1979 , numéro 7 , pages 26-29. MAIGNE, Jacques, De 1958 à 1965, Une épopée, un pari fou dans Architectures , Août - Septembre 1979 , numéro 7 , pages 31-32 PINCHON, Jean-François. Les stations nouvelles du Roussillon. Un patrimoine balnéaire, image exemplaire des Trente Glorieuses dans Revue de l’Art , 2009, numéro 165, pages 39-47. BEAUGE, Marc. La tenue de plage à... La Grande-Motte dans M le Mag, Le Monde , Août 2013. SAINT-PIERRE, Raphaëlle. Royan, royaume des fifties dans Architectures A Vivre , Juillet - Août 2015, numéro 85, pages 136-147.

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EXPOSITIONS TOULIER, Bernard. Tous à la plage ! . Catalogue de l’exposition, Lienart Editions / Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016. INTERVIEWS BERIOT, Louis. Interview d’Albin Chalandon, Ministre de l’équipement et du Logement dans France Soir , Août 1970. DE LAGARDE, Pierre. La Grande Motte jugée par les architectes, dans Chefs d’Oeuvres en péril, 28 Août 1983. INTERNET PARENT, Claude. Discours prononcé par M. Claude Parent élu membre de la section architecture. Hommage à Jean Balladur. Institut de France. Académie des Beaux-Arts. 2005. http://www.institut-de-france.fr . FOURMONT, Marie Hélène. Modénature dans Encyclopædia Universalis, consulté le 11 juillet 2017. http:// www.universalis.fr/encyclopedie/modenature/ CLASTRES , Geneviève. Rencontre avec Jérôme Arnaud, directeur de la station de La Grande Motte dans Voyageons-Autrement.com , 9 Juin 2016. http://www.voyageons-autrement.com/rencontre-avec-jerome-arnaud-directeur-de-la-station-la-grande-motte FILMS TATI, Jacques, réalisateur. Les Vacances de monsieur Hulot. 1953. 95 min. DE BROCA, Philippe, réalisateur. L’Homme de Rio. 1964. 110 min. HAMILTON, Guy, réalisateur. Goldfinger. 1964. 110 min.

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ANNEXES

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Panneaux des bâtisseurs de La Grande Motte, Archives municipales de La Grande Motte

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Notes de Jean Balladur, Novembre 1964. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Extrait de cahier des charges sur l’implantation des bâtiments. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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Extrait de cahier des charges particulières concernant Le Couchant, 1974. Fonds MIALR, Archives départementales de l’Hérault.

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INSTITUT DE FRANCE ACADEMIE DES BEAUX-ARTS Discours prononcé par M. Claude PARENT le 13 Avril 2005. ELU MEMBRE DE LA SECTION D’ARCHITECTURE Hommage à Jean BALLADUR Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Chancelier, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mes chers Confrères, Monsieur le Conseiller représentant le Ministre de la Culture, Mesdames, Messieurs, Préambule Certains comptent sur moi pour faire rire, il n’en est pas question sous la Coupole. Jacques-Louis BINET souhaite que j’improvise comme lorsque à l’Académie de Médecine j’avais expliqué ce qu’était la marche et son déséquilibre permanent. Il n’est pas question ici de déstabiliser qui que ce soit. Mon frère aîné Michel espère que je traiterai du Patrimoine dont il est maître et expert. Je le salue ainsi que mon confrère BOIRET mais je ne traiterai que de l’actualité architecturale. Ma femme, mes enfants et mes petits-enfants m’ont supplié de faire court. Je vais faire de mon mieux mais je ne promets rien. Car avant de parler de mon prédécesseur et ami Jean BALLADUR, je veux décrire la scène, la scène du drame de l’architecture car c’est du tragique, de son tragique que je vais discourir. Vous voilà tous avertis. L’IMPASSE En France, en ces temps de modernité ambiguë, on constate que s’opposent sans la moindre retenue, sans le moindre souci d’autocritique, l’arrogance et le doute en matière de ville. Ainsi le discours triomphaliste de la technocratie qui estime avoir, de par sa formation, une compétence assurée dans la maîtrise urbaine, s’oppose-t-il au doute qui, faisant partie de la culture de l’architecte, le guide dans sa façon de penser et d’agir. Face à ce conflit originel, l’architecte s’interroge sur ses propres capacités et en vient à douter de la légitimité même de son intervention. Le doute, au lieu d’être son atout maître, se transforme pour lui en barrière de la pensée en un empêchement à imaginer. Dans cette faille de l’esprit s’engouffre la technocratie qui soumet l’architecte, le plie, le replie, le fait passer par le filtre de commissions en tout genre, territoire privilégié de l’administration et de la politique. Malgré les efforts de nos ministres de la Culture, émasculer l’architecte est donc le préalable à toute production architecturale du tissu urbain. Pour persister à exister, si peu que ce soit, dans ce domaine, l’architecte est obligé de se soumettre, de travailler sous contrainte. Il se borne à répondre de son mieux aux décisions de ceux que l’on appelle aujourd’hui les donneurs d’ordres, ordres qui relèvent plus de la recherche du profit immédiat ou de l’exercice de l’abus d’autorité que de l’espérance du sensible. Ce système pratiquement carcéral s’oppose à toute façon intuitive de traiter la ville en déniant à l’imagination d’être le composant essentiel et privilégié de la réflexion sur l’urbain. Il bannit l’imaginaire dès l’origine de l’étude, le chasse du projet à seule fin de laisser l’autorité absolue à la démarche rationnelle. Abdiquer sa liberté, se fondre dans une équipe pluridisciplinaire où sa voix est noyée dès l’origine dans les discours impératifs des multiples intervenants qui se réservent de faire la synthèse, tel est le lot de l’architecte aujourd’hui. On le consulte de temps en temps sans pour autant devoir tenir compte de son avis. 111


L’architecte est désormais un « CONSULTATIF ». C’est le prix à payer pour rester un acteur intégré dans l’acte de construire. Mais comme les responsables ne sollicitent que de moins en moins ses conseils l’architecte est devenu un CONSULTATIF non CONSULTÉ. Cette situation est grave car elle permet à la technocratie suspicieuse de repousser toute pratique imprécise de la fulgurance telle que l’aiment les peintres, les sculpteurs, les musiciens, les écrivains et les architectes. En bref, elle englue les artistes et les poètes dans les interdits techniques et les règles financières à seule fin de dénaturer leurs interventions et de mettre sous contrôle leurs propositions. De démission en dégradation on en arrive comme le dit Roger TAILLIBERT à considérer et à comptabiliser l’architecte, sous l’éclairage du code des marchés publics, comme un simple sac de ciment. Quand le Préfet Haussmann s’est occupé de Paris, par son action arrogante et punitive pourrait-on dire, il a éventré les quartiers moyenâgeux, avec ses ingénieurs, en laissant seulement aux architectes les façades banalisées des immeubles plantés et alignés le long de « sa » voirie. Or quand le réseau des communications est mis en place, la VILLE EST FAITE. Et ce ne sont pas les quelques babioles de luxe qu’on laisse, comme les restes d’un festin, à quelques architectes choisis, qui amélioreront un ensemble aussi prédéterminé. Aujourd’hui les grands architectes qui ne veulent pas se contenter d’empiler les logements construisent à l’étranger où l’air architectural est plus léger et l’imagination plus libre. A Paris, on en est à un point tel de blocage, de perversion urbaine et de démobilisation citoyenne, que les Halles ne se feront jamais et qu’il ne restera aux architectes qu’à suivre le discours confus et bien pensant des verts pour engazonner les rails des tramways. LE CHEVALIER BLANC La seule façon de sortir de cette impasse est de faire appel au « chevalier blanc » ce héros au cœur pur auréolé de sensibilité, ce croisé engagé contre l’injustice. Le chevalier blanc est avant tout un homme de foi, qui engage sa vie pour une cause, jusqu’à la mort. Cet être de légende porte secours à l’orphelin, protège sa dame, aime son cheval et ne se déplace qu’en armure, brandissant sa flamboyante épée. Bref, tout le portrait d’un académicien. Le nôtre porte un nom. Il s’appelle Jean BALLADUR le preux, seigneur du Roussillon et duc du Languedoc. Lorsqu’il fut appelé par les hautes instances à faire exemple en son fief pour sauver l’architecture, notre chevalier blanc parcourut longuement sa côte méditerranéenne faite d’étangs saumâtres, de terres brûlées, de sables urticants et de moustiques. Le paysage lui sembla si ingrat, si désertique, si vide de présence humaine que Jean BALLADUR douta de sa mission. Il hésita et se fit attentif aux symboles, aux mirages et à la Providence : Il le raconte, il se raconte : « Soudain un cavalier accompagné d’un seul mouton fut le signe de la délivrance de mes angoisses, signe qui malgré toutes les difficultés ressenties me fit prendre la décision de répondre par l’affirmative au Ministre Maziol ». A quoi tient donc le destin d’une ville ? A ce cavalier fourbu poursuivant ce seul mouton étique. A la pantoufle de vair de Cendrillon ? Car il s’agit bien là d’un rêve. Le chevalier blanc n’a qu’une idée en tête, une idée fixe, aller envers et contre tous jusqu’au bout de son rêve. Du coup tout se transforme et Jean BALLADUR écrit : « C’est du ciel que venait le réconfort le plus immédiat. L’espace flottait entre la mer et les Cévennes. Les eaux dormantes détrempaient la lumière et rompaient avec la caresse de leurs reflets la vivacité du soleil ». Voilà transformé un site abandonné en terre paradisiaque. Le rêve est amorcé. Les fées se penchent sur le berceau : le général de GAULLE et son premier ministre Georges POMPIDOU viennent au baptême pour prononcer « l’acte de naissance » : ouvrir le littoral du Languedoc-Roussillon à l’industrie touristique. Ces deux mots associés sonnent mal, mais le chevalier blanc n’en a cure et avec Pierre RACINE, sorte de proconsul tout puissant, ils feront une ville, une vraie ville avec mairie, etc.… 112


Dès lors le rêve emporte tout sur son passage. L’administration et sa réglementation arrivent trop tard. L’architecte se bat contre les moulins à vent. Il s’attaque au COS et au POS, deux bêtes nuisibles planifiant l’occupation du sol dans la France entière et les décapite d’un revers de l’épée. Mais notre chevalier s’inquiète. Il sait qu’une ville pour survivre doit être fondée, il sait que dans le passé l’acte de fondation correspondait à une importante liturgie à laquelle participait le peuple concerné. Il se souvient d’Auguste PERRET qui a ouvert le Havre sur le vide de l’océan par la porte océane. Il connaît Chandigarh où LE CORBUSIER s’est employé à exprimer une sorte de mythe social, celui de la ville idéale. Il observe Oscar NIMEYER qui donne la prépondérance au minéral et glorifie la conquête de l’urbain sur la forêt vierge. Il sait qu’il n’a plus le droit de dresser une enceinte, ce n’est pas dans nos mœurs ; tout juste a-t-il la possibilité de travailler à l’intérieur d’un périmètre tracé sur une carte et pour toute liturgie de couper aux ciseaux un ruban tricolore : pauvre célébration. Mais Jean BALLADUR s’obstine. Sa ville sera fondée ou elle ne sera pas. Puisque notre laïcité lui interdit toute pompe religieuse, puisque la marque du loisir lui semble un peu trop faible pour être célébrée, il dédiera sa ville au couple HOMME – FEMME. Il incarnera en elle l’image même de la vie, la référence Mâle – Femelle et la traduira dans ses formes architecturales. C’est un symbole simple, bien ancré dans la population, un symbole accessible et fort. Inutile pour notre chevalier blanc d’invoquer ADAM et EVE, l’architecture traduira cette dualité en osmose. Et s’il se trompe, peu lui importe. Avant tout il est aventureux ; c’est un aventurier, pas une bonne sœur. Personne ne sait encore combien d’hommes a trucidé GALAAD avant de découvrir le Graal. Seul compte le résultat. Seule ligne de conduite, répondre à la certitude et à l’exigence du rêve. D’un côté le PORT-CAMARGUE, tout en courbes et contre-courbes, se dore au soleil dans ses enroulements alanguis. De l’autre se révèle brutalement le rythme syncopé des pyramides à quatre faces hérissant le plat pays. Inutile de dire où est le mâle et où se cache la femelle. Il suffisait de voir Jean BALLADUR esquisser à grands coups de feutre de couleur, sur les cartes du littoral, le rapport amoureux de sa ville. Chaque courbe se prolongeait l’une sur l’autre pour constituer la sinusoïde du port, chaque pyramide se dressait, orgueilleuse, vers le ciel dans son langage décoratif. CONTINUITE ET RUPTURE D’un côté à l’autre les ombres se distribuent différemment. Douces et progressives sur la femme, comme une houle, heurtées et franches dans leur découpe chez l’homme comme les vagues courtes de la Méditerranée. Comment savoir si la GRANDE MOTTE est belle... Il est encore trop tôt pour le dire. Mais on peut affirmer qu’il s’agit là d’une vraie ville, qu’elle est déjà incarnée dans son sol et que cette fondation Homme – Femme, un peu bizarre, un peu surprenante est entrée dans la tête des habitants : elle fonctionne. Le tout maintenant est de veiller au grain, et d’éviter que cette réussite n’attire des profiteurs décidés à amalgamer leurs baraquements sans esprit et bicoques à tout va dans cet univers parfaitement constitué. Si le chevalier blanc ne peut plus brandir son épée d’académicien contre les vandales, il faudra prendre sa place pour protéger sa ville des destructeurs à l’affût. Quand Jean BALLADUR a conçu la GRANDE MOTTTE, il avait trente cinq ans. Nous étions en 1963 et le Général DE GAULLE était Président de la République. Une telle expérience pourrait-elle se renouveler aujourd’hui ? Il ne faut pas trop y croire, car les chevaliers blancs sont en voie de disparition. Ils sont passés de mode ; l’époque ne leur est plus favorable ou plutôt elle ne se laisse plus surprendre par leur singularité inclassable, elle ne se laisse plus aller aux rêves éveillés. Nous sommes au temps des moyennes, des catégories, des colonnes de chiffres, à l’époque des normes, de la 113


sécurité garantie et des assurances en tous genres. Il faut un siècle flamboyant pour que naissent et survivent les chevaliers blancs. Il est encore temps pour notre époque de battre sa coulpe. CONCLUSION Notre chevalier blanc aimait son cheval et ne le quittait pas. A eux deux ils parcouraient le monde sans laisser la moindre trace de leur passage, la moindre blessure au sol. Aujourd’hui notre couple infernal, l’homme et son automobile, dont on ne sait même pas quel est le dominant et le dominé, ravage la planète. Il la grignote comme la termite. En un siècle, il a bouffé MADAGASCAR, une bonne partie de l’AFRIQUE et s’attaque à la forêt amazonienne. Rien ne l’arrêtera sur Terre dans sa soif de destruction. L’EUROPE est depuis longtemps sous contrôle. Alors à mon tour, je prends mon épée pacifique et je vous raconte mon histoire. Je rêve d’une ville sans rue, sans avenue, sans boulevard, sans périphérique. Une ville dont le tissu urbain, dont les habitations sont à touche-touche, en continuité. Pensez à une coulée de lave sur les flancs du Vésuve, pensez à habiter dans l’océan et non sur l’océan, pensez à la forêt primaire où à la forêt vierge que vous taillez à la machette pour forcer le passage et trouver votre bulle habitable. Remontez le temps jusqu’à 9000 ans avant Jésus-Christ et habitez ÇATAL HUYUK sur les hauts plateaux de TURQUIE. Cette ville est sans aucune rue, il y vit 30.000 habitants qui ne communiquent que par sa terrasse parcourable et communautaire. Dans la couche urbaine qui couvre le sol, taillez vos accès, vos respirations, creusez votre lumière à votre gré, sans plan quinquennal, sans planification du territoire. L’architecture des façades ne pose plus ses vaines et éternelles questions de style. Seul l’espace habitable compte. Il s’agit seulement de le tricoter puis de l’INCISER à bon escient. Cette INCISION URBAINE stoppe le gaspillage du sol de la planète. Y serions-nous heureux ? Cela c’est votre affaire. Moi je ne peux que vous offrir ce rêve, vous en riez ou vous y croyez, cela ne regarde que vous. Mais pourquoi ce rêve, ce rêve qui me semble si légitime, parce que nous assistons impuissants à un partage inquiétant de notre univers. Toute notre infrastructure s’empare de la planète, vole notre terre, notre terre nourricière au détriment de l’homme ; une lutte à mort dont il sortira vaincu et obligé de s’expatrier après avoir gaspillé son espace, vers d’autres mondes, vers Pluton, Mars ou sur les anneaux gazeux de Saturne. Ce déracinement total est déjà en marche car on commence à comprendre que la terre à terme ne sera plus habitable. L’homme devra s’adapter pour survivre, il se transformera, et nous les anciens terriens ne le reconnaîtrons pas. Tous mes efforts d’architecte se font, depuis quarante ans, pour améliorer l’usage que l’on fait de la terre pour vivre et habiter. La fonction oblique que j’ai amorcée avec Paul Virilio est un premier pas vers cette économie globale du sol et vers une façon d’habiter plus intelligente, plus saine. Aujourd’hui je m’efforce d’imaginer cette agglomération continue et sans rue. Donnant ce programme l’année dernière aux élèves de l’Ecole Spéciale d’Architecture, j’ai eu la joie et la surprise de voir quelques élèves de 19 ans à peine répondre avec enthousiasme à ce problème difficile. Ils ont proposé un tissu urbain tactile qui, sous l’impulsion de capteurs s’ouvrirait aussitôt devant l’homme en marche, et se refermerait derrière lui après son passage. Les espaces collectifs se creuseraient de même à la demande et rétréciraient après le départ des participants. Cet avenir me semble envisageable techniquement. Cette forme d’économie du sol prolongerait notre présence sur terre. Ces jeunes m’ont donné une leçon d’espérance que je vous transmets. Cela m’a remis en mémoire mon travail avec Yves KLEIN, sur l’architecture de l’air et notre retour probable à l’âge d’or, dont vaniteux et arrogants nous nous sommes tant éloignés. Je n’oublierai jamais qu’Yves le Monochrome, chevalier du Saint-Sépulcre fut un temps mon chevalier bleu. Merci. Claude PARENT 114


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