Eloge de la paresse

ÉLOGE DE LA PARESSE

Jérôme Prax Diplômes 2016

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Couverture - fig1 : Éloge de paresse

ÉLOGE DE LA PARESSE PRAX Jérôme Présent en ce nom sur :

Strate - École de Design Département design d’interaction Référent : LE MOIGNE Gildas Promotion 2016

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SOMMAIRE INTRODUCTION

p.4

FAIRE CONNAISSANCE AVEC LA PARESSE

p.9

A/

Il n’y a pas de paresseux par essence mais des régimes de paresse

p.10

B/

Des connotations religieuses, morales, sociétales qui définirent la figure du « mal »

p.37

C/

La paresse, sublimée à chaque époque pour devenir une valeur contestataire

p.46

L’OBSOLESCENCE DU CAPITALISME

p.57

I

II A/

Il n’y a pas de capitalisme sans innovation, mais l’innovation peut exister sans capitalisme

p.60

B/

Une génération sacrifiée au nom du progrès

p.72

C/

Un modèle qui s’essouffle, une nécessité de rupture

p.84

III

«RIEN NE SERT DE COURIR IL FAUT PARTIR À POINT»

p.95

A/

Vers une société du Tempo Giusto

p.97

B/

L’innovation paresseuse

p.109

C/

Des risques à ne pas négliger

p.118

CONCLUSION

p.126

PROBLÉMATIQUES

p.130

REMERCIEMENTS

p.136

ANNEXES // ENTRETIENS

p.139

RÉFÉRENCES

p.153

À gauche - Fig2 : The Dude

3

INTRODUCTION

La nouvelle est tombée récemment, créant un véritable

choc dans l’imaginaire collectif : 50% des fourmis, ces insectes connus jusqu’à présent comme d’infatigables travailleurs, sont des paresseuses1 ! Le groupe d’individus s’est d’ailleurs spécialisé dans le fait de ne rien faire du tout. Cette information, bien que bouleversante, nous rappelle que chaque espèce vivante possède ce don. Être paresseux est encore aujourd’hui considéré comme un péché capital, comme une faute morale par la plupart des sociétés ou comme un facteur de marginalisation dans les entreprises2.

Cette anecdote nous invite à réfléchir quant à la place de la

paresse dans notre société où le travail est sacro-sanctifié3 au sein d’un système progressiste basé sur l’hyperconsommation4 et le profit à court terme généré par une innovation soutenue. À première vue, la paresse n’est pas la bienvenue. Pourtant, ce comportement, si nous l’étudions bien, possède des vertus dont il n’a pas à rougir. Comme nous le développerons plus tard, le paresseux est en recherche constante de simplicité, d’économie d’énergie, de rythme « juste ».

Bref, il cherche à tout prix l’efficience pour chacune de ses actions.

En se penchant plus sur le sujet, nous prenons conscience que plusieurs légendes nous proposent une vision originale de la naissance de découvertes et d’inventions radicales qui ont fait évoluer le monde.

1- GOUDET Jean-Luc. 03/10/2015. Coup de théâtre en biologie : les fourmis sont parfois paresseuses. En ligne http://www.futura-sciences.com/magazines/nature/infos/actu/d/zoologie-coup-theatre-biologie-fourmis-sont-parfois-paresseuses-59976/#xtor=AL-27 2- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT 3- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 4- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON

4

Prenons l’exemple d’Archimède, qui, se prélassant aux bains, a

découvert un procédé permettant de déterminer la densité5. Newton a, lui, découvert la gravité en se reposant sous un pommier6. Edison caractérisait également la paresse de « mère intelligente et fantaisiste de nombreuses inventions ». Lui-même adepte de la sieste, avait inventé dans sa jeunesse un mécanisme automatique pour envoyer un télégraphe au surveillant toutes les heures pour prouver qu’il était bien réveillé7. La paresse aurait-elle donc une influence inconnue sur certains changements radicaux ? Une sorte d’anonyme bienveillant agissant dans l’ombre ? Comment donc lui rendre sa gloire de l’Antiquité dans une société où elle est considérée comme un vice ?

COMMENT VALORISER LA PARESSE AU SEIN DU PROCESSUSD’INNOVATION ?

5- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 6- Ibid.

7- 14/06/1903. Mon dimanche. Revue populaire illustrée

5

Nous axerons donc notre réflexion sur la découverte de la

paresse. En explorant sa multiplicité, nous édifierons deux catégories permettant de déterminer s’il y a du bon et du mauvais dans ce comportement. Puis, nous nous intéresserons aux origines de la paresse au travers des différentes interprétations qu’elle a eues à mesure que la société évoluait. Nous verrons que, quel que soit l’époque, la vision populaire possédait deux faces, indissociables, jugeant la paresse comme le pire des vices ou comme l’espoir d’un paradis où tous nos rêves se réalisent. Nous replacerons cette analyse dans le contexte de notre époque où règnent capitalisme et consommation.

Afin d’étayer notre propos, nous nous pencherons sur l’évolution

du capitalisme et étudierons la place qu’a occupée l’innovation à mesure que ce modèle s’ancrait dans l’économie. Après l’avoir définie, nous démontrerons que l’innovation existe parfaitement sans le modèle capitaliste tandis que celui-ci est complètement dépendant de cette première. Nous introduirons ensuite les trois groupes que sont les générations X, Y et Z puis nous nous pencherons sur les individus Y en déterminant les raisons de leur sacrifice graduel au nom du progrès. Nous aboutirons sur l’analyse de diverses crises liées au capitalisme qui déchirent notre monde et prouvent chaque jour, de plus en plus, qu’une nécessité de rupture fait son apparition.

6

Enfin, notre réflexion nous amènera à étudier les différentes

alternatives qui apparaissent progressivement pour répondre au besoin croissant de ralentissement éprouvé par notre société qui s’affole, et parallèlement à témoigner du rôle primordial que possède l’innovation dans cette réponse. Nous démontrerons ensuite qu’il existe bel et bien une corrélation possible entre la multiplicité des paresses et les différents processus d’innovation. Pour conclure, nous définirons un ensemble de risques liés à la paresse et aux modèles alternatifs, puis ferons une étude prospective par rapport aux générations Z et α.

7

Ă€ droite - fig3 : La paresse

I- FAIRE CONNAISSANCE AVEC LA PARESSE

9

Dans les définitions classiques du mot paresse, on apprend

qu’elle tire son étymologie du latin pigritia8, elle est un comportement, un état d’âme et de fait : ce n’est pas une action, c’est une inaction.

La paresse c’est ne rien faire, ou du moins ne rien faire de productif, ne pas participer à l’évolution de la société. Elle s’oppose directement à la valeur économique et idéologique qu’est le Travail, qui depuis le XVIème siècle, représente l’ouvrage, l’occupation, l’utilité.

A/ Il n’y a pas de paresseux par essence mais des régimes de paresse

On a tendance à confondre la notion de paresse avec la

nature du paresseux. Il est présenté comme une personne qui vampirise la société en profitant de ses bienfaits sans participer à leur production. Mais cette notion est biaisée. Un paresseux est ce qu’il est parce qu’il exerce certains comportements paresseux, ce que nous appellerons des « régimes de paresse ». Une personne utile à la société - productive - peut parfaitement avoir des comportements paresseux, elle ne sera pas pour autant définie comme telle. Ce sont ces régimes que nous allons étudier dans cette première partie. Nous verrons tout au long de leur caractérisation que tous ces régimes n’ont pas nécessairement un impact néfaste et peuvent même être positifs selon leur adoption. Nous nous appuierons sur les travaux de Cyril Frey, journaliste au Nouvel Observateur, regroupés dans Le Livre de la Paresse9.

8- Paresse - http://www.cnrtl.fr/lexicographie/paresse 9- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

10

Avant de commencer cette analyse, nous allons définir deux

mots qui représenteront ce qu’il y a de bon et de mauvais dans la paresse.

La fainéantise10 reprend ce qu’il y a de mauvais dans la paresse.

C’est l’oisif suprême qui déteste le travail et n’aime réellement rien faire, elle regroupera les paresses frénétiques, apathiques, anxieuses, acédiaques (honteuses), narcotique et tous les comportements négatifs liés à ces paresses.

Le farniente11, la sièste salvatrice désignera donc ce qu’il y a de bon dans la paresse. Il regroupe les paresses contemplatives, ataraxiques, rêveuses, égotiste, àquoiboniste, très tranquille, le recueillement et tous les comportements positifs liés à ces paresses.

Ces termes permettront au lecteur de mieux s’y retrouver pour

la suite de ce mémoire. Ils seront donc utilisés dans un premier temps pour classer ces paresses.

10- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS Fainéant - http://www.cnrtl.fr/definition/fainéante 11- Farniente - http://www.cnrtl.fr/lexicographie/farniente

11

•

Les fainéantises

Commençons par l’apathie12, du grec apatheia qui est un

synonyme d’impassivité. C’est un état d’indifférence à l’émotion, la motivation ; une absence d’intérêt pour les autres individus et activités sociales. Elle est présentée comme le symptôme de troubles psychologiques pouvant inclure jusqu’à la schizophrénie, mais elle est surtout caractérisée par des individus souffrant de dépression, maladie moderne qui sera développée plus tard. Dans son journal, Katherine Masfield nous illustre cette paresse, presque maladive13 :

« Dans mon cerveau, dans ma tête, je suis capable de penser, d’agir, d’écrire des merveilles - des merveilles, mais dès que j’essaie vraiment de les noter, j’échoue misérablement.

»

Outre ses aspects rebutants présentés précédemment,

l’apathie est aussi illustrée par le bonheur de vivre simplement, sans se préoccuper des autres, ou d’un quelconque devoir.

12- Apathie - http://www.cnrtl.fr/definition/apathie FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 13- Ibid.

12

APATHIE

Fig4 : L’apathie

Misanthropie

Isolement

Impassivité

Dépressivité

Indifférence

Echec

13

La paresse que Frey caractérise comme anxieuse14

se

rapproche de l’apathie puisqu’elle représente une sorte de peur d’agir mêlée à une peur des conséquences de l’inaction. Agir implique un choix, chaque choix a des conséquences sur nos vies, et lorsque le choix se fait trop ardu, le paresseux choisira de ne pas choisir :

« Cette paresse-là, de la précédente est la fausse jumelle, qui recouvre elle aussi l’impuissance des premières heures, inséparable du temps créatif [...] S’ajoute à l’irrésolution

»

une angoisse paralysante.

De sa peur de l’avenir, l’anxieux tire un besoin irrépressible de

prendre son temps avant de se lancer dans chaque action, et réfléchir à toutes les pistes possibles, mais surtout à rassembler son énergie par le repos avant de la dépenser dans un immense effort.

14- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

14

ANXIEUSE

Fig5 : L’anxieuse

Peur d’agir Peur des conséquences de l’inaction Irrésolution

Stress Angoisse Impuissance

15

Vient ensuite la paresse honteuse15, ou péché d’acédie que

nous exposerons plus tard, elle est ce sentiment insupportable d’incapacité à faire quoique ce soit, et de ne rien pouvoir y faire. Ce petit laps de temps avant de se mettre au travail, cela vous parle-t-il ?

Lorsque vous ne faites rien, et que vous vous rendez compte de tout ce qui vous attend, n’est-ce pas épuisant rien que d’y penser ? Saint Augustin, dans ses Confessions16, l’exprime bien :

« De là on m’envoya à l’école pour apprendre à lire.

J’ignorais absolument à quoi ce travail et cette étude me pouvaient servir : mais mon ignorance n’empêchait pas que

»

je ne fusse châtié de ma négligence et de ma paresse.

Elle empêche toute productivité. Pire encore : la victime en est

parfaitement consciente, et cette impuissance lui fait honte.

15- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 16- Ibid.

16

HONTEUSE

Fig6 : La honteuse

Acédie Incapacité Désintéressement

Improductivité Honte Impuissance

17

La paresse suivante est bien connue, c’est le concept même

qui nous pousse à faire la grasse matinée, à rester au lit en somnolant, ou encore à succomber à cette envie irrépressible de s’allonger après un bon repas, saisis du fameux démon de midi. Rien de bien productif à première vue, Frey la nomme paresse narcotique17, Tacite en montre toutefois quelques vertus dans Les Annales :

« Pétrone consacrait les jours au sommeil, la nuit aux soins et aux douceurs de la vie. Où les autres tirent leur réputation du travail, il devait la sienne à la paresse. Il affichait en paroles et dans sa conduite, une nonchalance et une désinvolture qui jouaient la simplicité, ce qui leur donnait un charme de surcroît. Toutefois, proconsul de Bithynie, puis consul, il sut montrer sa vigueur et traiter de plain-pied les affaires de sa charge.

»

La paresse narcotique, ce sont donc ces journées passées à

ne rien faire, trop paresseux pour s’occuper.

17- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

18

NARCOTIQUE

Fig7 : La narcotique

Procrastination

ImproductivitĂŠ

Narcolepsie

Somnolence

Flemme

Impuissance

19

Cet enchaînement nous amène à un comportement que nous

connaissons tous et qui est particulièrement spécifique de notre époque. La paresse frénétique18 que nous pourrions également qualifier d’hébétude est celle dont nous faisons preuve lorsque nous sommes affalés devant la télévision, accrochés à notre écran d’ordinateur ou hypnotisés par notre smartphone. Cette imposture de la paresse est le meilleur moyen qu’a trouvé notre société capitaliste pour nous maintenir dans un état de prolétarisation totale :

« C’est la passivité neuronale et musculaire masquée par l’imposture de l’interactivité, exclusivement propice aux cartes de crédit. C’est le bonheur forcé et l’irrésistible tentation du suivisme, l’envie d’être de cette bulle où la vie semble si facile, où seul importe le plaisir immédiat.

C’est le divertissement obligé, l’indifférence autorisée, le désengagement politique, le sucre à volonté, l’obésité assurée.

»

L’hébétude

créée

par

la

technologie

nous

maintient

constamment disponible pour que nous ne nous déconnections jamais du monde consumériste.

18- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

20

FRÉNÉTIQUE

Fig8 : La frénétique

Hébétude

Impassivité

Indifférence

Hypnotisme

Désengagement

Prolétarisation

21

•

Le farniente

Ce premier régime dont les retombées peuvent être positives

est un mélange subtil entre l’apathie et l’anxieuse. Mêlant mélancolie et résignation, détachement et indifférence, le paresseux se pose la question ultime : « À quoi bon ? », pourquoi effectuer une action plutôt qu’une autre ? La force (ou serait-ce une faiblesse ?) d’un paresseux aquoiboniste19 se situe dans sa capacité à remettre en question chaque action qu’il jugerait trop contraignante, ou lui demanderait trop d’effort. Il remet en question le sens même de ses obligations, extrêmement critique et capable d’en déceler l’inutilité :

« Pourquoi entreprendre une action plutôt que telle autre ? Moins sombre (pour peu qu’on s’ôtât de son soleil), l’indifférence désabusée de Diogène le cynique, qui « cherchait l’homme » et dissertait sur l’inutilité des sciences, ne l’empêchait pas de chérir sa liberté, loin des contraintes, des remords et des illusions communes, et d’en goûter les fruits.

»

Insouciance ? Irresponsabilité ? Cynisme ? Le paresseux ne

s’en inquiète pas, le plus important pour lui, quitte à se sentir vide, c’est sa liberté.

19- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

22

ÀQUOIBONISTE

Fig9 : L’àquoiboniste

Recherche de sens Questionnement Économie d’énergie

Désillusion Insouciance Jugement critique

23

Frey nous présente ensuite l’égotisme20 : « Il est ici question

d’orgueil, d’immaturité et de nihilisme, qui vont souvent ensemble », que l’on peut assimiler à la version paresseuse du perfectionniste.

Ce dernier, éternel insatisfait, aura toujours un désir insatiable de perfection, tandis que l’égotiste, lui, préférera abandonner tout de suite :

« La volonté de perfection peut paralyser - être Proust ou rien, donc s’abstenir [...] Homme de peu de foi, l’égotiste refuse la possible surprise et justifie sa paresse par son extrême lucidité, il se sait mortel, et en conçoit plus que du découragement, une amertume qui lui inspire le mépris de ses semblables, des foules heureuses, crédules et de leur vaine agitation [...] Misanthropes, ils seront au mieux dandys et géniaux [...] À moins qu’ils ne finissent par faire profession de leur narcissisme comme l’époque contemporaine les y incite sans répit.

»

Sage épicurien ou victime de sa propre désillusion, de son

désir de perfection, l’égotiste choisit la voie la plus simple : ne rien faire.

20- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS http://www.cnrtl.fr/lexicographie/%C3%A9gotiste

24

ÉGOTISME

Fig10 : L’égotiste

Perfectionnisme

Narcissisme

Lucidité

Abandon

Misanthropie

Épicurien

25

La suite vous parlera, il s’agit d’une paresse très tranquille21.

Quelle plus belle preuve de paresse que celle du Créateur ? Après avoir passé six jours à créer la vie et la terre, il s’offre ce que l’on appelle aujourd’hui, un instant de repos dominical, qui durera l’éternité22. Quel plus beau rêve que celui du paradis ? Symbole du repos éternel…

Anthelme Brillat-Savarin illustre le bonheur de la sieste dans Du Repos, Physiologie du goût ou Méditation de gastronomie transcendante23 :

« L’homme qui se repose éprouve un bien-être aussi général qu’indéfinissable ; il sent ses bras retomber par leur propre poids, ses fibres se distendre, son cerveau se rafraîchir ; ses sens sont calmes, ses sensations obtuses ; il ne désire rien, il ne réfléchit plus ; un voile de gaze s’étend sur ses yeux. Encore quelques instants, et il dormira.

»

Travailler certes, mais travailler bien, et pour travailler bien, il

faut à l’homme un instant d’évasion, une pause méritée, une seconde d’oisiveté insouciante.

Dans le farniente, il y a aussi ces paresses que l’on sait

bénéfiques sans se l’avouer. De Rousseau à Proust en passant par Verlaine, Rimbaud et même Nietzsche, tous ont sublimé la paresse dans leurs écrits.

21- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 22- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 23- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

26

TRÈS TRANQUILLE

Fig11 : La très tranquille

Repos Bonheur Rêverie

Plaisir Lenteur Tempo Giusto

27

Qui ne s’est jamais entendu dire qu’il rêvassait ? Qu’il avait la

tête dans les nuages ?

Que c’est agréable de s’évader dans ses rêveries22, cette fuite

dans l’intemporalité de son imagination, cet instant de repos dans une vie qui ne cesse de s’accélérer. Rien de mieux qu’une petite promenade pour laisser son esprit divaguer au gré de nos songes, pour oublier ou se rappeler, prendre du recul sur sa vie, et surtout arrêter de penser.

Qui de mieux que Jean-Jacques Rousseau pour nous l’illustrer dans ses Rêveries du promeneur solitaire :

«

J’ai pensé quelquefois assez profondément, mais

rarement avec plaisir, presque toujours contre mon gré et comme par force : la rêverie me délasse et m’amuse, la réflexion me fatigue et m’attriste. Penser fut toujours pour moi une occupation pénible et sans charme. Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements, mon âme erre et plane dans l’univers sur les ailes de l’imagination dans des extases qui passent toute autre jouissance.

»

Faire une pause pour mieux repartir. Méditer pour mieux

réfléchir. Rêver pour mieux penser. L’introspection tant désirée, amenée par le songe et les rêveries.

24- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 25- ROUSSEAU Jean-Jacques. 1972. Les Rêveries d’un Promeneur Solitaire. FOLIO

28

RÊVERIES

Fig12 : La rêveries

Imagination

Introspection

Lenteur

Divagation

Pause

Méditation

29

Étroitement liée aux rêveries, la paresse contemplative26 est

une des plus belles des formes d’oisiveté. Frey nous décrit très bien sa place, primordiale au sein de notre société du plaisir instantané : « L’inaction est vraiment sublimée lorsqu’elle aide à retrouver l’idéal aristotélicien du bonheur, qui n’est pas le fruit d’une accumulation de plaisirs, ni le plaisir lui-même, [...] mais la condition préalable à partir de laquelle le plaisir peut intervenir. Le but n’est pas au bout d’un chemin, il est le chemin lui-même, si on sait en prendre conscience. Comment ? Par le silence et la contemplation retrouvés ». La contemplation de la nature, des astres, des éléments, de l’homme, tout ce qui finalement nous aide à mieux comprendre notre environnement. Pline le Jeune faisait aussi l’apologie de la contemplation :

« « Mieux vaut ne rien faire que de faire des rien », professe enfin Pline le Jeune qui plaçait évidemment la vie contemplative, cousue de loisir studieux, au panthéon des activités humaines. Le temps de repos ainsi enrichi pourrait bien reprendre demain de la valeur, si l’on admet que dans la société de l’information telle qu’elle nous est promise, le savoir seul permettra de s’élever, voire de survivre.

»

La paresse au service de la déprolétarisation ? Ou comme

anthropologue ? Surtout qu’il n’y a pas que la paresse qui soit contemplative, observatrice d’un environnement en plein changement.

26- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 27- Ibid.

30

CONTEMPLATIVE

Fig13 : La contemplation

RĂŞveries

Plaisir

Bonheur

Observation

Repos

Inaction

31

Notre avant-dernière étape nous amène au recueillement27,

indispensable introspection dans un monde qui nous force à ne jamais faire de pause. Les gens rentrent chez eux et allument leur télévision, forçant leur esprit à rester disponible pour consommer toujours plus, à vouloir ressembler toujours plus à telle ou telle célébrité. Mais la véritable force de l’homme vient de sa capacité à fermer les écoutilles, à n’écouter que son cœur et à apprendre de soi par sa capacité à entrer en lui-même. Car après tout, comprendre les autres vient après la compréhension de soi. Jules Renard nous le montre dans un de ses journaux personnels :

« Il faut dire : le travail donne une satisfaction un peu béate. Il y a dans la paresse un état d’inquiétude qui n’est pas vulgaire, et auquel l’esprit doit peut-être ses plus fines trouvailles.

»

Ces petites dépressions nous permettant de mieux prendre du

recul sur nos vies, de mieux les apprécier, de mieux les appréhender.

28- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 29- Ibid.

32

RECUEILLEMENT

Fig14 : Le recueillement

Introspection DĂŠpression Retour sur soi

Pause Recul Repos

33

La fin du voyage à travers toutes les formes de paresse se

situe dans l’ataraxie30, but suprême pour tout épicurien se respectant.

Selon Jacques Lacarrière, il s’agit d’un état de « consentement et d’acquiescement spontanés à l’évidence du monde ». Le bonheur parfait, l’acceptation totale de soi, de son environnement et du monde : « la libération par le détachement ». Un poème du Bhagavad-Gîtâ31 nous dit que :

« Ceux qui possèdent le discernement spirituel considèrent comme sage l’homme dont les entreprises sont exemptes de désir, car ses actions sont alors consumées par le feu de la connaissance. Il abandonne le désir de voir ses actions récompensées, il est libre, satisfait, complètement indépendant et demeure réellement inactif tout en étant engagé dans l’action. Il ne sollicite point de résultat, ayant maîtrisé ses pensées et son corps et se trouvant au-dessus de la jouissance procurée par les objets, en accomplissant avec le corps seul les actions corporelles, il ne s’assujettit pas à la renaissance.

»

Le summum du bonheur est atteint, ne rien désirer, apprécier

ce qu’on a, se complaire dans l’inaction, quand l’action est facultative.

30- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS 31- AUROBINDO Shrî. 1970. Le Bhagavad-Gîta. ALBIN MICHEL - Partie centrale du poème épique Mahabharata. Ce texte est un des écrits fondamentaux de l’hindouisme souvent considéré comme un « abrégé de toute la doctrine védique »

34

ATARAXIE

Fig15 : L’ataraxie

Désillusion Détachement Acceptation de soi et des autres

Bonheur Désintéressement Liberté

35

Notre exploration répond à ces interrogations : comment valoriser quelque chose d’aussi négatif ? Y-a-t-il du bon dans la paresse ?

Les dernières questions que le lecteur pourrait alors se poser

sont : d’où vient cette haine que la société porte pour la paresse ?

Pourquoi est-ce si mal vu ? Les paresseux ont-ils toujours été rejetés ?

36

B/ Des connotations religieuses, morales, sociétales qui définirent la figure du « mal »

De tous temps, les paresseux furent tourmentés : péché capital,

faute morale, la paresse est devenue la cible numéro un des critiques à l’instant même où on découvrit son existence. Mais les perceptions qu’avait la société sur la paresse changèrent au fil des siècles et nous suivrons donc cette évolution, cette descente aux enfers, avec André Rauch et son ouvrage Paresse - histoire d’un péché capital32.

L’histoire de la paresse a débuté avec l’Acédie, « écrit en latin du Moyen Age : acedia, accedia, ascidia, etc, ; le terme vient du grec akêdéia. » A l’époque d’Empédocle D’Agrigente (490-435 av. J.-C), elle désignait une « négligence », une « indifférence », une « tristesse », un « abattement », une « lassitude du cœur », en bref, une sorte de mélancolie légèrement misanthropique, ce que l’on pourrait appeler de nos jours une dépression. Elle apparaît ensuite dans les monastères, (nous parlions plus tôt de paresse honteuse), où elle représente le dégoût pour la prière, la pénitence ou la lecture spirituelle.

32- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN

37

«

Le démon de l’acédie, qui est aussi appelé « démon de midi », est le plus pesant de tous ; il attaque le moine vers la quatrième heure et assiège son âme jusqu’à la huitième heure.

D’abord, il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour semble avoir cinquante heures. Ensuite il le force à avoir les yeux continuellement fixés sur les fenêtres, à bondir hors de sa cellule, à observer le soleil pour voir s’il est loin de la neuvième heure, et à regarder de-ci, de-là quelqu’un des frères […]. Il joint à cela le souvenir de ses proches et de son existence d’autrefois, il lui représente combien est longue la durée de la vie, mettant devant ses yeux la fatigue de l’ascèse ; et, comme on dit, il dresse toutes ses batteries pour que le moine abandonne sa cellule et fuie le stade. » Evagre le Pontique - Traités pratiques

38

L’acédie est le sixième des huit péchés capitaux de cette

époque qu’Evagre le Pontique33 nous regroupe ainsi :

« Huit sont en tous les pensées génériques (…). La première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la fornication, la troisième est celle de l’avarice, la quatrième celle de la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de l’acédie, la septième celle de la vaine gloire, la huitième celle de l’orgueil.

»

Elle sera plus tard absorbée par le péché de tristesse, qui

deviendra lui-même le péché de paresse

Caractérisée comme étant originaire d’un mal, à cette époque

longue de plusieurs siècles, elle était signe de l’emprise du démon, forçant le moine à quitter sa cellule ou à faire preuve d’oisiveté pendant la prière ou les temps de travail.

33- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN

39

Nombre d’artistes ont tenté de représenter cet état de

somnolence. C’est le cas d’Albercht Dürer dans Le Rêve du Docteur : alors que le soleil arrive à son zénith, le Docteur, métaphore utilisée pour désigner un moine, s’est assoupi, mais pas d’un sommeil tranquille, la honte est présente et ne le quitte plus. Tout comme le démon, près de son oreille, qui joue malicieusement de son soufflet en lui insufflant des rêves malsains.

La Tentation de Saint Antoine ou encore Pigritia de Jacques

Callot en sont également d’excellents exemples, et montrent bien que l’acédie est une véritable maladie de l’âme, on pourrait presque croire qu’elle est responsable de tous les autres péchés.

Fig16 : La tentation de St Antoine

40

Fig17 : Pigritia

À droite - Fig18 : Le rêve du docteur

Les bases sont jetées, l’Acédie est une maladie dont les

victimes sont marginalisées. Petit à petit, la société de méritologie établit ses principes : participer à l’effort commun pour en récolter les fruits, ou être rejeté.

Ces efforts sortent petit à petit des monastères avec la monté

de l’église séculière. Les moines sont de véritables entrepreneurs et dirigent le travail des champs, des mines et de certains ateliers d’artisanat en dehors des cloisons monastiques. Leurs confrères prêtres, par contre, se mettent rapidement à profiter un peu trop de l’aumône et se retrouve qualifiés de fainéants, de paresseux vampirisant les bonnes gens qui travaillent ardûment pour gagner leur vie. Après tout, ils ne participent eux même pas à l’effort commun développé au sein des villages et villes qui se multiplient et croissent à vive allure, notamment au Moyen Age tardif.

La paresse est alors désignée par de tout nouveaux aprioris34:

« manque de ténacité », « austère », « tempérant », « atermoiement », « tergiversation », « nonchalance », « découragement », à une époque où le temps devient de plus en plus important, « le bien le plus précieux de l’homme ». À la fin du XIVeme siècle, la paresse devient donc, selon ce nouvel ordre moral, un gaspillage : les paresseux sont petit à petit rejetés d’une société qui ne veut pas d’eux et de leur inutilité apparente.

34- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN

42

Au début de la Renaissance, les humanistes gagnent un

pouvoir sans précédent et lancent de grandes réformes. Le métier, l’emploi, devient sanctifié au rang de vocation : tout le monde doit travailler, participer au développement de la grandeur de l’Homme.

Rauch nous dit ainsi que : « Le travail devient logiquement le fruit de la foi. D’où sa réhabilitation comme celle du commerce, que Jean Delumeau a qualifiée de « premier capitalisme » au détriment des vœux monastiques. »35

Les moines, de nouveau pointés du doigt, deviennent le

symbole de l’oisiveté. De victimes de leur propre paresse, ils sont devenus les souffres douleurs d’une société qui ne veut pas d’eux, ils sont l’origine de tous les vices : la paresse est contre nature.

À mesure que les mœurs évoluent, de nouveaux boucs

émissaires apparaissent. Les pauvres sont considérés comme des paresseux, incapables de se débrouiller seuls pour survivre ; mais également les piliers de bars, ces oisifs qui se laissent tenter par les vices de l’alcool, du tabac et du jeu. C’est finalement la noblesse qui devient la cible principale des critiques. Leur argent, ils le tirent soit des impôts qu’ils lèvent, soit de leur roi, et passent leur temps à jouir de divers activités plaisantes. Les paresseux sont donc soit des pauvres, soit des ivrognes, soit des nobles.

Cependant, les termes caractérisant la paresse évoluent aussi,

et selon Montaigne dans ses essais : « Si on laisse vagabonder ses pensées, prévient-il, « si on ne les occupe pas d’un sujet déterminé qui 35- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN

43

les bride et les contraigne », complètement déréglées, elles se jettent « par-ci par-là dans un champ vague de l’imagination ». Pour qui ne serait pas sur ses gardes, l’otium36 se transforme rapidement en oisiveté dissipatrice et gaspilleuse. Ses pensées vont divaguer « sans ordre et sans dessein », semer le trouble et la confusion, disperser son esprit, donner le champ libre à l’imagination qui refusera d’entendre raison », une explication très pragmatique qui, si on contourne la haine que semble porter l’auteur envers les paresseux, décrit au final le berceau de notre créativité.

Pascal le rejoint en ajoutant que « plongé dans la misère

ontologique, le paresseux ne s’appartient pas, mais il tente de s’évader en cédant au divertissement que lui procurent les opportunités du moment. Il devient dépendant des aubaines qui se présentent à lui et qui vont le détourner de lui-même ». Nous verrons cela plus tard, mais c’est une description assez précise des mœurs de notre société actuelle…

Au fil du temps, le pouvoir des humanistes et des réformateurs

capitalistes n’a cessé de croître. Leur influence aussi s’est étendue tandis que celle des nobles se réduisait. Paresseux et inutiles à la société, c’est leurs privilèges mêmes qui allaient être la prochaine victime du grand changement, notamment à l’arrivée des diverses révolutions qui suivirent celle de 1789.

36- Loisir cultivé - https://fr.wiktionary.org/wiki/otium

44

Les plus grandes de ces révolutions furent d’ailleurs

industrielles. Avec les découvertes liées à la machinerie, le capitalisme était en plein essor et le travail fût sacro-sanctifié de plus en plus : il était un droit inaliénable, un devoir. Tout le monde se jetait dans les usines tentant vainement de rivaliser avec les machines37, de plus en plus performantes. Au lieu de comprendre le sens premier de l’automatisation qui était de libérer l’humain du labeur38, les ouvriers tentaient de travailler à la même cadence, craignant pour leur emploi : le chômage rimait avec l’inactivité, et l’inactivité est fille de paresse.

Les cadences augmentèrent de plus en plus : sur les bases

de la première révolution industrielle s’installa la seconde, avec l’hyper-productivité en ligne de mire, et la consommation des produits industriels. Malgré le fait que les paresseux étaient laissés pour compte, les opinions changèrent petit à petit : les ouvriers, de plus en plus épuisés, et la déprolétarisation en marche furent de grandes aides pour que naisse un mouvement réfractaire. Avec des auteurs comme Voltaire, Marsan, Rousseau, ou encore Lafargue, la paresse avait à gagner de véritables alliés et nous verrons que finalement, elle en comptait même bien avant.

37- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 38- Ibid.

45

C/ La paresse, sublimée à chaque époque par certaines personnalités

Pour entreprendre notre voyage de la paresse, nous avons

d’abord découvert qu’il en existait plusieurs types, puis nous avons étudié l’histoire de l’opinion publique sur cette notion, qui fut définie comme la mère de tous les vices. Nous allons maintenant découvrir que certaines sociétés l’ont élevé comme art de vivre depuis leur création. Que certains auteurs et artistes ont inventé de véritables pays de la paresse, jusqu’à ce qu’elle devienne enfin un droit à revendiquer.

Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler que la paresse

est à mettre directement en opposition avec la valeur travail. En effet, selon la vision de l’époque, les paresseux étaient considérés comme inutiles, voulant faire le moins d’efforts possibles. Or le travail tire son étymologie du latin labor et du grec ponos qui signifient tout deux la peine et la souffrance. Dans la société athénienne de l’Antiquité, le travail est divisé en deux grands types de tâche. La première, inscrite sous le terme ponos, désigne des activités exigeant un effort physique et un contact avec la matière. Elles sont considérées comme dégradantes et sont réservées aux esclaves. La seconde, inscrite sous le terme ergon (œuvre), désigne l’art et la création de savoir : en fait, une définition du mot travail comme l’entend Bernard Stiegler39.

39- STIEGLER Bernard & KYROU Ariel. 2015. L’emploi est mort, vive le travail !. MILLE ET UNE NUIT

46

«

Les Grecs de la grande époque n’avaient, eux aussi,

que du mépris pour le travail ; aux esclaves seuls il était permis de travailler : l’homme libre ne connaissait que les exercices corporels et les jeux de l’intelligence.40

»

Paul Lafargue - Le droit à la paresse

Fig19 : La décadence des Romains

40- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS

47

Platon considère en effet que « les travailleurs, marchands

et autres, font partie de cette tourbe dont l’unique fonction est de pourvoir aux besoins matériels des gouvernants.41»

C’est à cause de la création de la « valeur travail » que la paresse

change drastiquement de statut. De péché capital, elle devient un vice de société, une faute morale impardonnable. Les personnes ne travaillant pas étaient pauvres et considérés comme des paresseux.

C’est l’apparition en creux de la légende de Cocagne qui vient

alors se mettre en opposition avec la société qui est en train de naître.

Selon Antoine Furetière (1619-1688), c’est un « pays imaginaire où les habitants vivent fort heureux sans rien faire. ». Rauch nous dit également que durant cette période une « abondante littérature populaire traverse les frontières et glorifie un lieu, sorte de paradis du bien-être, où il fait bon paresser. »

Dans l’imaginaire de l’époque, cette utopie est proche de la

vision du paradis où ses habitants vivraient heureux, dans l’opulence et le bien-être, ils pourraient vivre sans se soucier de travailler.

Là bas, selon Li fabliau de Coquaigne, « plus on y dort, plus

on y gagne », la tranquillité et la rêverie sont les seules activités, pas besoin de se donner la peine de travailler. L’argent et l’or y coulent à flot, mais les fainéants n’y prêtent pas d’importance, l’avarice et la spéculation est interdite dans ce saint royaume de la paresse. Dans ce même royaume vivent notamment Gargantua et son fils Pentagruel, 41- POPPER Karl. 1979. La société ouverte et ses ennemis. ÉDITIONS DU SEUIL

48

célèbres créations de François Rabelais. Pentagruel étant, de toutes les œuvres de ce dernier, le plus paresseux de tous.

Derrière cette fable, il est bon de comprendre les véritables

enjeux. Cette utopie permettait à ses lecteurs de s’évader, de rêver d’une véritable liberté, et surtout de leur libre arbitre, perdu depuis longtemps ou même jamais découvert, dans une époque réformatrice où on pensait et parlait à la place des prolétaires. Cette contradiction avec la condamnation de la paresse par les pouvoirs de l’église et par les réformateurs montre bien que l’on n’aspirait surtout qu’à une chose : la liberté.

Fig20 : Gargantua

49

L’Orient, symbole du zen et de la lenteur devient alors l’antithèse

d’une société occidentale qui s’emballe. C’est à son ouverture au XIXème siècle que la vision de la paresse change radicalement. Elle prend ici une forme d’espoir, de désir secret : la lascivité orientale attire les foules les plus curieuses et distinguées. Tous rêvent de ces parfums, de la douceur de la soie, des caresses féminines dans un monde où la loi du travail n’existe pas42.

Dans le même temps, des poètes comme Alfred de Vigny

(1797-1863) nous partagent leur point de vue : « On dirait qu’il assiste en étranger à ce qui se passe en lui-même, tant cela est imprévu et céleste ! [...] Il a besoin de ne rien faire pour faire quelque chose de son art [...] pour avoir le temps d’écouter les accords qui se forment lentement dans son âme ». Rauch ajoute qu’« alors que sa paresse résiste à toute sollicitation venue du monde qui l’entoure, le poète se rend attentif à ce qui parle en lui. Tout génie ténébreux, inapte au quotidien, que le monde trivial harcèle et qui a besoin de solitude.43 » André Rauch - Paresse, histoire d’un péché capital

42- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN 43- Ibid.

50

« L’acedia était un combat de la foi contre les

tentations. Il s’agit à présent de conjurer la précipitation dans laquelle se jette la civilisation industrielle. Il s’agit aussi d’échapper à l’angoisse qu’engendre l’accélération du cours de l’existence alors que la vraie vie est ailleurs. De détestable, d’antisociale, de déviante qu’elle avait été, la paresse évoque de plus en plus le rêve d’un temps détourné [...] Tous tentent d’échapper à la loi du travail qu’impose une société où tout se transforme, sans que pour autant se libèrent les forces de l’imagination et de la création. » André Rauch - Paresse, histoire d’un péché capital

51

D’amorphe et d’inutile, le paresseux devient un marginal, un

génie ténébreux agressé par la société qui s’accélère. C’est ainsi que naît, de la plume du russe Ivan Alexandrovitch Gontcharov, Oblomov44, l’héritier d’une famille riche et propriétaire terrienne dans ce qui semble être un pays de Cocagne existant bel et bien sur terre. Mais Oblomov est un tel paresseux qu’il n’est heureux que dans son indolence et dans son immobilisme, rien que de penser à sortir de cet état le fait sombrer dans une profonde dépression.

Barteleby, d’Herman Melville45 est une réponse à Oblomov qui

était victime de sa paresse. Il décide du jour au lendemain de répondre à toute injonction par : « j’aimerais mieux ne pas » (I would prefer not to). Il cesse petit à petit de faire quoique ce soit, jusqu’à arrêter de vivre : il devient le parfait martyr, héros silencieux d’une société qui rejette toute personne ne correspondant pas aux critères. Nous sommes proches de la neurasthénie46, ou des burn-out contemporains.

Pourtant la révolution industrielle ne fait que commencer…

Avec Le Droit à la paresse, Paul Lafargue (1842-1911), gendre de Marx, signe un tournant dans l’histoire de la paresse. De péché capital et faute morale, elle devient droit inaliénable et enjeu révolutionnaire ! Selon lui, « la morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d’anathème la chair du travailleur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.47 »

44- GONTCHAROV Ivan. 2002. Oblomov. LGF LIVRES DE POCHES 45- MELVILLE Herman. 1976. Barteleby le Scribe : Une histoire de Wall Street. FOLIO 1996 46- Neurasthénie - http://www.cnrtl.fr/lexicographie/neurasth%C3%A9nie 47- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 48- CHAPLIN Charlie. 1937. Les temps modernes. 87 minutes

52

Invoquant les athéniens, Jésus Christ et le « Dieu barbu » lui-

même, Lafargue invite une population épuisée par le labeur à faire une révolution de la paresse, émancipant ainsi l’homme et le menant enfin à sa liberté tant espérée.

« Notre époque est, dit-on, le siècle du travail ; il est en effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption. » Paul Lafargue - Le droit à la paresse

C’est précisément à cette époque que les premières machines

apportent l’automatisation dans les usines, permettant de réduire le labeur humain et d’augmenter la productivité. Une minute de travail d’une machine équivaut à cent heures de travail humain, elle est sensée libérer l’ouvrier de dix jours de travail, soit dix jours de repos. Au lieu de cela, comme nous l’avons observé dans la partie précédente, les ouvriers choisissent de rivaliser avec les machines jusqu’à se tuer à la tâche. On le voit notamment dans le très connu Les temps modernes48, où Charlie Chaplin incarne un ouvrier qui devient finalement fou et finit par se comporter comme un robot.

Paul Lafargue, visionnaire, avait deviné que l’automatisation

réduirait considérablement le labeur humain. Ce qu’il n’avait pas compris, c’est que dans une société où le travail est élevé à l’état de religion, les ouvriers ne voyaient pas les machines comme des anges leur apportant enfin leur liberté, mais comme des démons leur volant 48- CHAPLIN Charlie. 1937. Les temps modernes. 87 minutes

53

leur gagne-pain, les menant ainsi au chômage et pour beaucoup, à la pauvreté.

La paresse n’est donc pas une, mais plusieurs. Elle se

caractérise d’ailleurs par sa multiplicité puisque chaque régime, même s’ils peuvent se ressembler, possèdent bien leur identité. Y-at-il une bonne et une mauvaise paresse ? La réponse est non. La paresse est ce qu’elle est : il y a du mauvais (la fainéantise), mais il y a aussi beaucoup de bon (le farniente). Tout dépend du contexte et de la personne.

Avec son histoire, nous avons découvert que la paresse a

été sublimée et désirée comme un paradis inaccessible alors qu’elle était populairement caractérisée comme la mère de tous les vices. La religion fut la première à la critiquer, le modèle capitaliste fut le suivant en forgeant une idéologie travailliste dans une société s’accélérant à mesure que les révolutions industrielles explosaient. Que savons nous donc de ce système qui est le principal bourreau des paresseux ?

Qu’est ce qui définit le capitalisme ? Quelle est la place de la paresse dans un système qui prône la productivité et l’utilité sociale ?

54

Fig21 : Les temps modernes

Fig22 : Les temps modernes

55

Ă€ droite - fig23 : Le capitalisme

II- L’OBSOLESCENCE DU CAPITALISME

57

Selon les définitions classiques, le capitalisme est un système

économique, social et politique qui se caractérise par la propriété privée des moyens de production et d’échange, par la recherche du profit et l’accumulation de richesses. Au cours de l’histoire, plusieurs capitalismes ont débouché sur notre modèle actuel, centré sur une innovation constante et la consommation des biens en flux tendu. Le terme « capitalisme » a notamment été inventé par Karl Marx.

« Le terme de capitalisme a été forgé au XIX

eme

siècle par

des socialistes français comme Proudhon, Pierre Leroux ou Blanqui. Ils désignaient ainsi le système économique et social de leur temps qu’ils espéraient voir remplacé, à plus ou moins long terme, par le socialisme. Très vite, sous la plume des doctrinaires, ce néologisme a acquis une connotation péjorative, au point que les auteurs libéraux lui ont substitué des termes plus « neutres », tel que celui d’« économie de marché ». Aujourd’hui, le capitalisme est le seul système économique qui soit en état de fonctionner.49

»

Claude Jessua - Le capitalisme

49- JESSUA Claude. 2011. Le capitalisme. PUF

58

Nous verrons que ce système dépend entièrement de

l’innovation qui tire ses racines du latin innovare (novare : racine et novus : changer). Celle-ci est, selon Joseph Schumpeter49, un phénomène multiforme dont le sens général pourrait être assimilé à un changement introduit dans l’économie se traduisant par une utilisation plus efficace des ressources (ou l’utilisation de nouvelles ressources). D’après Marc Giget50, l’innovation est une synthèse de connaissances multidisciplinaires.

Mais d’où vient le capitalisme ? Comment l’innovation

l’influence-t-elle ? Qu’en est-il aujourd’hui pour nos générations ? Ce modèle a-t-il un avenir ?

49- SCHUMPETER Joseph. 1999. Théorie de l’évolution économique. DALLOZ 50- Conférence du 13/10/15 à Strate – École de design

59

A/ Il n’y a pas de capitalisme sans innovation, mais l’innovation peut exister sans capitalisme

La première chose qu’il faut savoir à propos du capitalisme,

c’est qu’il y en a plusieurs, et qu’il a évolué au cours des siècles.

La citation de Claude Jessua nous pousse à croire que ce système vient de la révolution industrielle, mais il est bien plus vieux que cela.

Le capitalisme est en effet le modèle qui a directement fait suite au féodalisme, à la fin du Moyen-Âge, vers le XIVeme siècle51.

Selon Fernand Braudel52, qui est actuellement à l’origine des

théories jugées les plus pertinentes sur le sujet, le premier capitalisme est marchand et financier. Celui-ci est né de l’émergence, puis de l’installation de la bourgeoisie en Europe, captant et accumulant de plus en plus de richesses venant notamment de la noblesse en plein effondrement. Contrairement à la noblesse, les bourgeois ne disposent alors pas de privilèges et n’intéressent pas spécialement l’opinion publique. Ils profitent des grandes découvertes pour s’enrichir, et élargissent à nouveau les inégalités . Or, l’auteur affirme que l’existence d’une hiérarchie fortement et durablement ancrée dans la société est « l’épine dorsale » du capitalisme. Celui-ci est donc générateur d’inégalités53 : dès qu’une hiérarchie existe, il est possible de gravir les échelons, et donc d’accumuler encore plus de richesses que ceux qui sont en bas de la pyramide. Dans un ce contexte, la paresse devient une faute morale.

51- RIFKIN Jeremy. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. LLL LES GENS QUI LIBÈRENT 52- BRAUDEL Fernand. 1979. Civilisation matérielle, économie et capitalisme. ARMAND COLIN 53- DOMINIQUE. 10/07/2015 (dernière modif). La structure de classe de la société capitaliste.

L’État bourgeois. En ligne http://www.d-meeus.be/marxisme/manuel/chap07sect10.html

60

Fig24 : La colonisation - La découverte de richesses démesurées

61

Réforme

agraire,

innovations

techniques

majeures,

développement des infrastructures de transport, unification politique, et création d’un marché national ; c’est à partir de 1800 que les changements se font radicaux, entraînant la formation de la première révolution industrielle. Le capitalisme marchand n’a jamais été à l’origine de cette révolution mais l’évolution de l’économie de marché lui permet d’en tirer des profits, et de devenir capitalisme industriel.

Sujette à de nombreuses innovations et à des gains de

productivité importants, la société fait un bon en avant. Le capitalisme industriel entre dans sa deuxième phase à la fin du XIXeme : le capitalisme de production. Son impulsion est provoquée par la seconde révolution industrielle et l’arrivée du pétrole comme source d’énergie que l’on pense alors illimitée54. On voit notamment l’apparition de la production mécanique d’électricité, du moteur à explosion alimenté au pétrole, de l’industrie chimique, de chemins de fers et de bateaux à vapeur, des télégraphes, et même du téléphone. Ces derniers impactant de manière décisive l’expansion de la mondialisation. La seconde révolution industrielle se termine avec la première guerre mondiale, tandis que le capitalisme de production se régale du commerce de véhicule et d’armes à feu, ne se souciant que de l’accumulation de richesses.

De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, le capitalisme

prend une nouvelle forme avec l’arrivée de techniques modernes de production et de motivations sociales. Avec l’organisation scientifique du travail, Frederick Taylor réinvente l’industrie ouvrière. En bon 54- RIFKIN Jeremy. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. LLL LES GENS QUI LIBÈRENT

62

Fig25 : L’exposition universelle de 1900

63

capitaliste, il créé un nouveau type de hiérarchie en divisant le travail de manière verticale (la séparation entre la conception des tâches par les ingénieurs et leur production par les ouvriers) et horizontale (la répartition optimale entre les postes de travail). Ce nouveau système permet à des millions d’ouvriers de trouver du travail et d’arrêter de flâner inutilement. La puissance de cette organisation est ensuite reprise par Henry Ford55 qui créé le travail à la chaîne et augmente le pouvoir d’achat de ses ouvriers tout en baissant le coût des produits qu’ils produisent. Le but est qu’ils puissent acheter ce qu’ils produisent, comme l’avait, au final, prédit Paul Lafargue56. Ford invente le capitalisme de consommation. « Depuis plus d’un siècle, [...] les nouvelles technologies dynamisent la productivité, abaissent les coûts de production et augmentent l’offre des marchandises bon marché : tout cela stimule le pouvoir d’achat, élargit les marchés et génère des emplois supplémentaires. C’est sur ce postulat que sont bâties les politiques économiques de tous les pays industriels du monde.57 » Jeremy Rifkin - La Fin du Travail

55- FORD Henry. 2010-2014. Biographie d’Henry Ford. En ligne http://www.henryford.fr/biographie-henry-ford/ 56- « Si, en diminuant les heures de travail, on conquiert à la production sociale de nouvelles forces mécaniques, en obligeant les ouvriers à consommer leurs produits, on conquerra une immense armée de forces du travail » LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 58- RIFKIN Jeremy. 1996 (première publication). La fin du travail. LA DÉCOUVERTE & SYROS 2006

64

Fig26 : L’apogée du machisme - les débuts du matérialisme

65

Aujourd’hui, le capitalisme, toutes formes confondues est

devenu la référence, LE système économique, social et politique du monde occidental. Avec l’arrivée du numérique, il dispose désormais de nouvelles armes pour s’enraciner encore plus et maximiser ses profits : surveillance numérique, publicité sur internet, paiements à distance, Big Datas, trackers, systèmes d’exploitation surveillés, cartes à puces NFC... Tout est bon pour faciliter le plus possible l’acte d’achat des utilisateurs, ces « bourgeois » contemporains (selon Lafargue), tandis que les droits de l’homme sont de plus en plus bafoués dans les états producteurs, que les ressources sont puisées jusqu’à leur disparition et que la planète est polluée jusqu’à ses fonds marins.

Nous avons vu qu’au cours des siècles, le capitalisme avait

profondément évolué grâce aux innovations techniques et aux divers changements sociaux. Il a pu devenir ce qu’il est aujourd’hui grâce aux révolutions industrielles qui auraient pourtant eu lieu sans son existence58. Car sans innovation, le capitalisme ne peut pas exister, c’est son cheval de course. Les entreprises capitalistes non innovantes n’ont qu’un seul avenir : disparaître. Le système actuel est basé sur un processus d’obsolescence par innovation technique constante.

Parlons notamment de la puissance des puces informatiques : tous les six mois, les puces deviennent deux fois plus petites et deux fois plus puissantes, instaurant ainsi une obsolescence technique d’une même période sur tout produit acheté. Ces innovations sont mesurées à l’aide de brevets, symboles de propriétés intellectuelles.

58-BRAUDEL Fernand. 1979. Civilisation matérielle, économie et capitalisme. ARMAND COLIN RIFKIN Jeremy. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. LLL LES GENS QUI LIBÈRENT

66

Avec ce système, plus une entreprise dépose de brevets, plus elle est considérée comme innovante. Par exemple, Apple s’est vu accordée deux mille trois demandes de brevets aux Etats-Unis en 2014, ne suffisant pas à la placer dans le classement des dix entreprises déposant le plus de brevets, dominé par IBM avec ses sept mille cinq cent trente quatre brevets59 déposés lors du même exercice.

Mais l’innovation est bien plus vieille que la révolution

industrielle. Par innovation, il faut penser invention60. Les inventions existent depuis la nuit des temps et sont, pour les plus importantes, les sources des plus grands changements dans les sociétés humaines, alors que le capitalisme n’existait pas encore.

«

Technologique, produit, incrémentale, de rupture,

de service, de processus, d’organisation, marketing, de modèle économique, participative, managériale, distribuée, sociétale, et même plus récemment frugale, sont quelquesuns des adjectifs et des concepts qui qualifient souvent de nos jours le terme « innovation ».61

»

Martin Duval et Klaus Speidel - Open Innovation

L’économiste Joseph Schumpeter affirme qu’elle recouvre cinq

grands types de changements tous très différents : la fabrication d’un nouveau produit, l’introduction d’une nouvelle méthode de production ou de nouveaux moyens de transports, la création d’une nouvelle organisation, l’ouverture d’un nouveau débouché ou la conquête de 59- INNOCENTE Florian. 13/01/2015. Brevets : Apple 10 places derrière le champion IBM. En ligne http://www.macg.co/aapl/2015/01/brevets-apple-10-places-derriere-le-champion-ibm-86696 60- Il faut bien distinguer innovation d’invention. L’innovation se base sur des inventions, mais les inventions ne sont pas nécessairement innovantes 61- DUVAL Martin & SPEIDEL Klaus. 2014. Open Innovation – Développez une culture ouverte et collaborative pour mieux innover. DUNOD

67

nouvelle source de matériaux. D’autres changements radicaux ont également eu lieu, notamment dans les secteurs financier et social.

Ces changements peuvent à eux seuls créer de l’innovation, mais ils peuvent bien sûr arriver de manière combinée. Qu’il soit bien entendu que chaque nouveauté n’est pas une innovation.

De plus, l’innovation n’est pas seulement la création, elle peut

aussi se matérialiser par la destruction de valeur (obsolescence) en même temps qu’elle en créé de nouvelles.

« Stiegler fait référence à ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait, il y a plus d’un demi-siècle, la « destruction créatrice ». C’est à dire, la capacité du système capitaliste à se renouveler pour augmenter ses gains de productivité, à effacer l’ancien pour laisser place à de nouvelles activités et à d’autres façons d’organiser la production et le travail, à réinventer sans cesse par l’innovation au service du consumérisme.62

»

Ariel Kyrou et Bernard Stiegler - L’emploi est mort, vive le travail !

Avec cet objectif de restructuration et de réinvention

permanente, le capitalisme a repensé le concept de simple concurrence. Alors que celle-ci se faisait avant suivant un principe simple : « j’offre le même service que cette entreprise à un meilleur prix » ou encore « j’offre le même service que cette entreprise 62- STIEGLER Bernard & KYROU Ariel. 2015. L’emploi est mort, vive le travail ! . MILLE ET UNE NUIT

68

mais avec un autre service en plus pour le même prix », elle s’est transformée pour devenir « compétitivité », incitant ainsi une course effrénée à l’innovation, tout en gardant le même système de base.

Pour qu’une entreprise reste compétitive, il faut qu’elle soit innovante, et comme nous l’avons vu une entreprise est considérée comme innovante suivant le nombre de brevet qu’elle dépose. Mais « les dépôts de brevets, le pourcentage du C.A.63 investi en recherche, le nombre de chercheurs sont-ils encore aujourd’hui les indicateurs les plus pertinents pour mesurer la capacité d’innovation ?64 »

Cette question remet bien sûr en cause les processus

d’innovation fermée en vue de promouvoir le concept d’innovation ouverte, mais il remet également en question le fait de déposer des brevets comme indicateur de performance. L’innovation se fait aujourd’hui sur la quantité et non plus sur la qualité. Il y a trop peu d’innovation de rupture, l’innovation selon le capitalisme se fait par beaucoup de petites améliorations. Ce procédé incite donc l’arrivée de millions de produits sur un segment temporel extrêmement court.

Cet objectif n’est également réalisable que par une innovation

dans les techniques de production et de productivité. Or, les révolutions industrielles ont eu pour effet de créer un mouvement d’automatisation généralisée. Le secteur agricole qui représentait la presque totalité des emplois à l’époque ne représentait plus que 3% de l’activité salariale en France en 2009 tandis que celui du secteur industriel ne pointait qu’à 15%65. Ces deux tendances sont à la baisse, les deux secteurs s’équipant de plus en plus de machines pour remplacer l’homme.

63- Chiffre d’Affaire 64- DUVAL Martin & SPEIDEL Klaus. 2014. Open Innovation – Développez une culture ouverte et collaborative pour mieux innover. DUNOD 65- Emploi par activité - http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=T11F047

69

Selon Paul Lafargue66 dont l’avis sera plus tard partagé par Jeremy Rifkin67, ces changements radicaux ont non seulement pour objectif d’augmenter le capital, donc le rendement et les profits. Mais le but est surtout de libérer définitivement l’homme du labeur de l’emploi et notamment de l’emploi prolétarisé, c’est-à-dire, selon Bernard Stiegler, un emploi où le savoir n’existe pas ou est instantanément détruit.

« Sous sa forme actuelle, le capitalisme mondial nous force à produire, travailler, consommer et vivre plus vite quel qu’en soit le coût.68

»

Carl Honoré - Éloge de la lenteur

Les hommes sont obsédés par un dogme, une idéologie qui les

a conditionnés à penser que sans travail, ils n’auront pas d’argent, et sans argent, ils n’auront rien. Le capitalisme a en effet fait en sorte que ceux qui cherchent des alternatives n’aient aucun moyen d’accéder à la richesse ou de profiter autant que les autres. L’innovation était sensée apporter des solutions aux problèmes, au final elle est devenue un outil de plus de l’esclavagisme moderne généré par le capitalisme.

66- LAFARGUE Paul. 2000. Le droit à la paresse. MILLE ET UNE NUITS 67- RIFKIN Jeremy. 1996 (première publication). La fin du travail. LA DÉCOUVERTE & SYROS 2006 68- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT

70

Aujourd’hui, cette obsession est partagée par la nouvelle

génération, les “Y”. Le système éducatif, notamment français, nous prépare à un seul objectif, avoir un emploi, créant ainsi une pression énorme et une angoisse qui naît de plus en plus tôt. La peur anticipée de ne pas trouver de travail nous fait constamment revoir nos ambitions à la baisse. C’est le paradoxe de notre époque, une génération sacrifiée par cette nécessité absurde de trouver un emploi alors qu’il n’y en a pas. Quelle sera sa place dans une société en pleine accélération ?

71

B/ Une génération sacrifiée au nom du Progrès

Essayons tout d’abord de comprendre ce qu’est une génération.

Elle se définit par l’action d’engendrer quelque chose, donc de créer.

Dans le monde du vivant, une génération représente un ensemble d’êtres nés dans une période donnée, un cycle. Chez l’humain, une génération est mesurée sur environ 20-25 ans et désigne la période qui sépare la naissance d’un enfant, avec l’âge auquel il enfante à son tour.

Aujourd’hui, le monde actif est composé des générations X

(1960-1980), Y (1980-1995) et Z (1995-2010)69. Le faussé qui existe entre ces générations ne se situe pas que dans leur âge ni dans leur expérience, mais aussi dans leur maîtrise des changements radicaux amenés par la montée du numérique.

Alors que la génération X (les X) n’était pas ou peu connectée

à son époque, elle a dû se battre pour trouver un emploi dans un secteur en pleine mutation du secondaire vers le tertiaire. La plupart des entreprises ne devaient leur réussite qu’à quelques facteurs décisifs tels que l’ancienneté, la stratégie, l’adaptabilité, la hiérarchie verticale et surtout l’origine (les entreprises familiales étant celles qui fonctionnaient le mieux).

69- DOUGUI. 2013. L’ABC des génération X Y Z. En Ligne http://www.creativitequebec.ca/Bulletin_Creativite_Quebec/Site_CQ_Bulletins_2013/Bulletins_articles/Lien%20117/L’ABC_des_generations%20XYX.htm

72

La génération Y (les Y) quant à elle, est née avec la montée

des nouvelles technologies et a évolué au même rythme que se sont développés réseaux et ordinateurs. Surtout connu pour son manque d’expérience et sa paresse apparente, l’individu Y est en fait quelqu’un qui cherchera à tout remettre en cause (Y prononcé en anglais revient à dire Why : pourquoi)70, à détruire les modèles existants, à révolutionner les automatismes créés par les X. Les Y privilégient créativité, innovation et surtout audace.

La génération Z (déjà nommés les Zeds) en est la cible

prospective. Elle est littéralement née avec les nouvelles technologies, l’instantanéité, mais surtout avec le web social. Encore plus que les Y, les Z sont hyper-connectés. Elle n’est, aujourd’hui, absolument pas préparée à se lancer dans un monde professionnel où des changements radicaux sont en cours, ou sont sur le point de se produire.

Dans le cadre de ce mémoire, nous centrerons surtout notre

réflexion autour de l’individu Y qui remplit de plus en plus le rang des actifs. Nous retrouverons les X et les Z dans la suite de notre analyse.

Nous nous appuierons sur le dialogue psychanalytique entreprit par Marie-France Castarède et Samuel Dock dans Le nouveau choc des générations71 pour découvrir les enjeux que représentent les Y.

70- USUL. 21/05/2015. Les jeunes – La génération Y. En ligne https://www.dailymotion.com/video/x2qygtn_les-jeunes-la-generation-y_news 71- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON

73

Fig27 : Les générations X, Y et Z

74

Selon eux, la génération Y est narcissique. Cette affirmation

peut être interprétée comme un jugement de valeur. Pourtant, elle est de plus en plus vraie dans un monde ou l’hyper-personnalisation apportée par le capitalisme pour mieux amadouer les consommateurs nous a tous formés à rechercher l’originalité, l’individualité, à « être unique ». Tous les réseaux sociaux - Facebook, Instagram, Snapchat, etc - promeuvent la représentation d’un « soi » différent, bien à soi. Aller en vacances et le montrer à tout le monde, transformer ses heures moroses au travail à faire croire que nous passons une excellente journée, montrer à tout prix ses derniers achats coûteux, son chien, son chat, la personne connue que nous avons croisé, toute anecdote est bonne à partager pour faire croire que notre vie est unique. Tous les outils sont disponibles, mis là par des entreprises qui ont compris comment nous appréhender, comment créer de la valeur financière en profitant de ce qui la caractérise.

« Le diktat publicitaire, formation réactionnelle à l’idéal fantasmatique d’un autre âge, s’est emparé de cette aubaine. Tout doit être « idéal », conforme, complet, parfaitement personnalisé, même plus glorieux ou riche, même plus beau, juste infiniment « soi », jusqu’à ce qu’on ne sache plus de « qui » il s’agit, jusqu’au rien, jusqu’au vide.72

»

Marie-France Castarède et Samuel Dock - Le nouveau choc des générations 72- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON

75

Comme l’affirme Samuel Dock le capitalisme a trouvé sa plus

grande arme pour mieux séduire ses consommateurs : le marketing.

La notion de marketing existait déjà avant la seconde révolution industrielle, mais c’est avec l’accès des ouvriers à la consommation qu’il s’est développé73. Il est aujourd’hui une arme redoutable utilisée pour stimuler les désirs et inventer les nouveaux besoins de demain. C’est à coup d’affiches publicitaires, de spots télévisés, de bannières clignotantes sur internet et jusque dans nos applications smartphone que le marketing vient harceler l’individu Y avec pour seul message : « tu dois acheter ». Nous sommes proches de la paresse frénétique que décrivait Cyril Frey. Même s’il ne les regarde plus, un français moyen, toutes générations confondues, est exposé en moyenne à plus d’un millier de publicités par jour74. Quand il rentre chez lui, il continue de s’y exposer en stagnant devant son téléviseur ou en surfant sur le net.

«

En effet, si les images étaient variées, les voilà

disséminées. Elles pullulent, omniprésentes, omnipotentes.

On ne peut pas y échapper, du téléviseur à l’écran du téléphone portable : elles occupent tout l’espace, jusqu’aux ruelles les plus anonymes. Elles s’affichent à l’infini, démesurées. Elles n’ont plus besoin de chercher l’œil pour le trouver.75

»

Marie-France Castarède et Samuel Dock - Le nouveau choc des générations 73- RIFKIN Jeremy. 1996 (première publication). La fin du travail. LA DÉCOUVERTE & SYROS 2006 74- PETRE Arnaud. 02/2007. PUBLICITÉ, « PART DE CERVEAU DISPONIBLE » ... ET LIBREARBITRE. En ligne http://www.etopia.be/spip.php?article569 (chiffres de 2007) 75-CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON

76

Fig28 : L’hébétude provoquée par les écrans

77

Dans sa critique de l’omniprésence des images, Samuel

Dock76 nous invite à réfléchir à notre propre rapport à l’image et à l’imagination. En effet, l’individu Y apparaît au sein d’un tourbillon constant, ne lui permettant plus de réfléchir l’image. Il l’absorbe, passe à une autre, oubliant instantanément la précédente. L’imagination requière pourtant un certain recul, une nécessité de digérer ce que l’on voit, ce que l’on interprète, elle est de moins en moins créative, l’omniprésence des images la rendant passive. Nos réseaux sociaux sont truffés de photographies de nos « amis », ne montrant qu’une phase idéalisée de leur vie, mentant pour eux même et pour les autres, ne leur laissant qu’un sentiment de frustration et un désir de s’échapper.

« On ne peut comprendre le bouleversement du rapport au monde qu’en nous intéressant au changement de la perception du temps, à son accélération qui dessine une nouvelle toile de fond au domaine sociale. Disonsle immédiatement, l’enjeu économique est de taille car multiplier les produits ne sert à rien si on ne multiplie pas également les occasions pour le sujet de les rencontrer.

La déferlante des signes n’est que l’incarnation directe d’une frénésie qui concerne plus que les racines de la société : ses modalités d’être.77

»

Marie-France Castarède et Samuel Dock - Le nouveau choc des générations 76- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON 77- Ibid.

78

Fig29 : Les réseaux sociaux, une réalité altérée

79

La génération Y est devenue la vache à lait du capitalisme. Pas

parce qu’elle produit plus et plus vite, mais parce qu’elle leur rapporte toujours plus. Elle est nourrie d’un besoin irrémédiable et matérialiste de tout posséder, d’avoir toujours ce qu’il y a de mieux, avant tout le monde78. Les informations arrivent toujours plus vite, remplaçant les précédentes quasi-instantanément, si l’on suit l’exemple de Twitter que Samuel Dock caractérise comme « synonyme que de contenus volatils et de relations jetables, d’un émoussement de l’esprit critique et d’une zombification affective [...] ma génération se défonce au vide. » Cette réflexion est appuyée par Claudia Roda dans Economiser l’attention dans l’interaction homme-machine79 en précisant que les personnes n’arrivant pas à contenir et à « gérer le flux continue d’informations, de connexions, d’opportunités sont perçus comme mal adaptés. » L’humain est devenu multitâche. La polyvalence et la capacité de traiter des informations comme un ordinateur sont devenus des atouts à avoir pour être « adapté ».

Nous avons vu plus tôt que les X caractérisaient les Y comme

paresseux à cause de leur tendance à toujours remettre en cause des ordres établis, à refuser de faire précisément ce qu’on leur demandait s’ils n’en voyaient pas le sens. Il est amusant de voir qu’une génération qui est « née pressée » se rapproche autant de la définition80 d’un paresseux par Pascal au XVIIeme siècle. C’est aujourd’hui précisément ce sur quoi le système capitaliste tire son profit : le court terme, le plaisir facile81. Nous sommes donc devant un nouveau paradoxe 78- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON 79- RODA Claudia. 2015. Economiser l’attention dans l’interaction homme-machine. LA DÉCOUVERTE 80- Voir page 32 (MODIFIABLE) 81- RIFKIN Jeremy. 1996 (première publication). La fin du travail. LA DÉCOUVERTE & SYROS 2006

80

générationnel : les Y veulent tout, tout de suite, dans un monde où tout va de plus en plus vite, vivre toujours plus fort, multiplier les expériences... Et pourtant… Ils seraient paresseux ? L’individu Y subirait-il plus l’accélération qu’il ne la vivrait ?

« Durkheim définit l’anomie comme la conséquence probable de changements sociaux se produisant trop rapidement pour que de nouvelles formes de moralité et de solidarité se développent, […] quand Weber82 – suivant en cela Benjamin Franklin – définit l’éthique protestante comme une discipline temporelle rigoureuse qui considère la perte de temps comme « le plus mortel de tous les péchés ».83

»

Hartmut Rosa – Aliénation et accélération

Sans réellement le savoir, les Y s’épuisent, se lassent, s’ennuient

d’un quotidien morose et doutent d’un futur incertain, angoissés par le risque de ne jamais trouver d’emploi, après avoir été conditionnés par leurs parents, par leurs enseignants, par les discours politiques.

Car consommer requière aujourd’hui d’en avoir les moyens, et cette génération hyper-consommatrice arrive sur un marché où le taux de chômage dépasse déjà les 10% de la population et touche entre 8.9% et 9.7% des jeunes actifs de plus de 25 ans, et entre 22.4% et 25.3% des jeunes actifs de moins de 24 ans84. Mais nous voyons aussi que certains des individus Y tentent d’échapper à la loi du marché 82- WEBER Max. 1905 (première publication). L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme.

POCHE 1991 83- ROSA Hartmut. 2014. Aliénation et accélération – Vers une théorie critique de la modernité tardive. LA DÉCOUVERTE 84- SOULÉ Véronique. 8/04/2014. Les jeunes et le chômage : la situation plus mauvaise que jamais. En ligne http://www.liberation.fr/societe/2014/04/08/un-jeune-sur-cinq-au-chomage-trois-ansapres-la-fin-de-ses-etudes_994142

81

du travail en s’engageant notamment dans des causes humanitaires, en se lançant à leur compte sous des statuts d’entreprises non capitalistes, en se lançant dans des cultures ou des commerces locaux, des activités humanitaires et bénévoles. La génération Y se retrouve donc scindée en deux parties, ceux qui essaient de s’intégrer à un système qui ne les comprend pas, et ceux qui essaient tout simplement de rejeter ce système, créant petit à petit un nouveau mouvement contestataire, similaire à mai 68, mais avec de nouvelles valeurs : l’abolition du système de l’emploi capitaliste.

« Dans un récent sondage réalisé par EuroRSCG, 92% des jeunes de cette génération pensent que le monde doit changer, et 84% considèrent qu’ils sont investis du devoir de conduire ce changement. Enfin, près de 82% croient qu’ils ont le pouvoir de réaliser ce changement.85

»

RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone L’innovation Jugaad

Qu’avons-nous vu dans ces deux premières parties ? Un

système qui tire profit de tous et de chacun, se défiant de toutes règles, des droits de l’homme au simple respect de notre planète. Un marché de la consommation qui se renouvelle tous les mois sans avoir le temps d’écouler ses stocks, entraînant un gâchis monumental et une pollution incontrôlable. Une génération qui peine à faire une pause, entraînée dans la spirale infernale de l’accélération, narcissique, et 85- RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone. 2013. L’innovation Jugaad – Redevenons ingénieux ! . DIATEINO EURO RSCG. 2011. Millennials : The Challenger Generation. En ligne http://www.havasww.de/fileadmin/user_upload/multimedia/strategie/prosumer_report_millenials.pdf

82

boulimique de consommation. Les conséquences de cet amalgame sont mauvaises, sur toutes les générations, du burn-out au suicide, de la déforestation au réchauffement planétaire, l’accélération provoquée par le capitalisme et les nouvelles technologies forcent enfin à se poser une question primordiale : « et si… Tout s’arrêtait ? »

83

C/ Un modèle qui s’essouffle, une nécessité de rupture

La première affirmation que nous pouvons faire suite aux

notions présentées précédemment, c’est que le monde, en évoluant, est devenu complexe. Bien trop complexe pour l’entendement humain.

Avec l’avènement d’internet, le développement des réseaux sociaux, la mondialisation de la communication, le monde est en proie à un phénomène de désorganisation - d’entropie - incontrôlée. Edgar Morin86 nous définit la complexité comme « un tissu [...] de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. […] Mais alors la complexité se présente avec les traits inquiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’ambiguïté, de l’incertitude ». C’est une parfaite description d’une société bâtie sur le hasard des lois d’un marché que même les capitalistes ne contrôlent plus, ayant créé, selon Stiegler87, une économie de l’incurie, totalement insolvable et qui, s’il ne se passe rien, va inexorablement foncer dans le mur.

C’est dans cette complexité que nos trois générations

évoluent, tentant tant bien que mal de s’en sortir. Mais les faits sont là, ce système n’est plus adapté, il provoque plus de dégâts qu’il n’en répare.

86- MORIN Edgar. 2005. Introduction à la pensée complexe. ÉDITIONS DU SEUIL 87- STIEGLER Bernard & KYROU Ariel. 2015. L’emploi est mort, vive le travail ! . MILLE ET UNE NUIT

84

Nous parlions du phénomène d’accélération, le culte de la

vitesse, de l’efficacité et du travail. Aujourd’hui, nombreuses sont les victimes de cette religion. Prenons par exemple nos enfants. Cyril Frey nous raconte dans son Éloge de la lenteur comment il a radicalement changé sa façon de penser lorsqu’il a découvert le concept « d’Histoireminute pour aller au lit » .

« Mon premier réflexe est de crier Eurêka ! À l’époque, je suis confronté chaque soir à une lutte pied à pied avec mon fils de deux ans, qui adore les histoires longes lues à un rythme tranquille et décousu. Et tous les soirs, je l’oriente vers les histoires les plus courtes, que je lui lis à toute vitesse […] Une part de moi-même se juge horriblement égoïste d’accélérer ainsi le rituel du coucher, mais l’autre part ne peut tout simplement pas résister à la tentation de se jeter sur ce qu’il lui reste à faire - le dîner, consulter les courriels et les factures, travailler ou regarder le bulletin d’information télévisé.

»

Négligeant totalement le rythme de son enfant, il se laissait

complètement déborder par toutes les tâches qui l’attendaient, se désintéressant ainsi de l’instant présent, trop concentré sur le futur.

Ce genre de comportement est néfaste, menaçant, selon lui, jusqu’à notre santé mentale : aujourd’hui, 19%89 des patrons de TPE et PME sont frappés de burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel.

88- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT 89- WACAN (agence). Chiffres clé du Burn-out et du Stress au travail. En ligne http://www.colloque-burnout-entreprises.fr/chiffres-cles-du-burn-out-et-du-stress-au-travail/

85

Mais ce phénomène touche aussi les jeunes, victimes d’un système qui en veut toujours plus et qui les soumet à un stress que le corps humain ne peut tout simplement pas gérer. Cet épuisement est en effet lié au stress et provoque une fatigue extrême, parfois même des dépressions nerveuses, une façon pour le corps de dire « ralentis, j’ai besoin d’une pause ». Négligé par rapport au burn-out qui a finalement été officialisé comme pathologie, le bore-out possède des symptômes parfaitement similaires à ce premier, mais sont causés par une raison inverse : l’ennui. « Les a priori sont nombreux ainsi que les jugements, mais le bore-out n’est pas de la paresse, bien au contraire ; les paresseux ne veulent pas travailler (même s’ils ont du travail) alors que les victimes de bore-out aimeraient travailler, mais on ne leur en donne pas la possibilité et la frustration qui en résulte les pousse à l’épuisement nerveux.90 » Judith Tripard - consultante Senior chez Clémentine - Êtes vous en bore-out ?

90- TRIPARD Judith. 31/05/2015. Êtes-vous en bore-out ?. En ligne http://www.huffingtonpost.fr/judith-tripard/bore-out-vie-pro_b_7467404.html

86

Fig30 : Burn-out

87

La réalité sur le terrain c’est que des personnes, par exemple

surqualifiées pour un poste, se retrouvent à effectuer des tâches ennuyeuses et lassantes sous le principe du « qui peut le plus, peut le moins », provoquant frustration mais surtout honte, puisque dans un pays qui affiche 10% de chômage, l’ennui au travail n’est pas quelque chose dont on veut parler.

Dans la même lignée, nous pouvons également jeter un

œil du côté du Japon, inventeur du karoshi, signifiant « mort par surmenage ». Le meilleur exemple en est Kamei Shuji91, un courtier qui travaillait plus de quatre-vingt dix heures par semaines et dont les performances et l’endurance étaient vantées par son employeur.

Il est mort à vingt-six ans de surmenage, comme cent quarante trois autres victimes en 2001. Parlons également du taux de suicide là-bas atteignant 24 personnes sur une tranche de 100 00092. Même si elle reste à la huitième place des pays ayant le plus fort pourcentage de suicide, le Japon possède la réputation d’être un pays avec de très nombreux suicides liés au travail (deux mille deux cents en 2007)93.

Moins extrême, le développement des hikikomori, ces

japonais devenus socialement handicapés. Les causes sont variées et la plupart du temps familiales, mais concernent surtout la pression sociale liée à la scolarisation. Il y avait 264 000 hikikomori au japon en 201194.

91- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT 92- RIVIÈRE Anthony. 13/05/2010. Le nombre de suicides au Japon encore en augmentation.

Site d’origine : Aujourd’hui le Japon (Hors ligne) 93- 28/10/2009. Au Japon, une gérante de Mc Donald’s meurt d’avoir trop travaillé. Site d’origine : Aujourd’hui le Japon (Hors ligne) 94- 25/06/2011. Does the ‘ hikikomori’ syndrome of social withdrawal exist outside Japan? A preliminary international investigation. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology

88

« Dans le primaire et le secondaire, plus de 100 000 élèves japonais sèchent les cours plus d’un mois par an. Beaucoup d’autres refusent carrément d’aller en cours.95

»

Carl Honoré - Éloge de la lenteur

Fig31 : Un hikikomori

89

Résumons : des situations d’emploi extrêmement stressantes,

une vie sociale pratiquement inexistante, une pression insoutenable au travail ou à l’école menant à des morts par surmenage, des suicides et des phénomènes de dépression extrême.

Aujourd’hui, toutes générations confondues, les gens ont

l’impression qu’il faut emmagasiner un maximum d’expérience, un maximum de produits de consommation, faire un maximum d’activités pour ne pas perdre le temps précieux qui nous est donné. Ainsi, ils essayent de vivre plusieurs heures dans une seule heure, plusieurs journées dans une seule, créant une spirale d’accélération infernale96.

Nous parlions tout juste du Japon, le capitalisme en est

arrivé au point d’y créer sa plus belle et sa plus cruelle invention : Kidzania97, une ville miniature où les enfants, dès quatre ans vont… jouer à travailler… pour de vrai… pour un salaire. Ce concept de rêve pour toute entreprise permet de former les enfants à devenir de bons petits travailleurs, puis de bons petits consommateurs, pendant que leurs parents profitent de leur temps libéré à ne pas s’occuper de l’éducation de leur enfant98 pour aller faire du shopping dans le centre commercial auprès duquel s’est installé le complexe.

Autre victime principale de l’accélération des technologies

et de la production ? Notre propre planète. En 2015, nous aurons consommé une Terre et demie99 d’après Footprint Network, sachant 95- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT 96- Ibid.

97- Page d’accueil du site Kidzania - http://www.kidzania.com/

90

que la date où nous avions consommé la totalité des ressources renouvelables de la planète est arrivée cette année le 20 août.

Rappelons que ce mémoire n’est pas à vocation écologique, mais bien dans la valorisation de la paresse et intrinsèquement de la lenteur.

Une chose est claire, l’humanité avance trop vite pour la planète. Nous creusons trop, nous cultivons trop, nous pêchons trop, nous polluons trop, tout ceci, à une vitesse effrayante. Le capitalisme, en plus de sacrifier l’homme au nom du profit, est en train de sacrifier son propre socle, l’apport principal de ses ressources : sa planète.

Fig32 : L’homme, fléau de son environnement

98- JEFFRIES Stuart. 02/11/2014. Enfants. KidZania, parc pédagogique ou marketing extrême ?.

En ligne http://www.courrierinternational.com/article/2014/11/02/kidzania-parc-pedagogique-oumarketing-extreme 99- GLOBAL FOOTPRINT NETWORK. 08/03/2015 (dernière modification). En ligne http://www.footprintnetwork.org/fr/index.php/GFN/page/earth_overshoot_day/

91

Il est évident que le modèle actuel n’est plus adéquat.

La population s’en rend compte petit à petit. Les gouvernements font des promesses pour améliorer nos vies, mais il est de plus en plus difficile d’y croire. La génération Y en première, se sent totalement détachée de tout discours politique, perdant petit à petit espoir quant à trouver un emploi, une place dans ce monde. Tandis que des gens se tuent à la tâche, les élites du capitalisme se partagent la moitié des caisses mondiales, se sentant totalement à l’abri d’un système qui fonce tout droit dans un mur. L’innovation, qui est à la base un outil pour améliorer nos vies, est utilisée pour améliorer les dividendes.

Elle se fait toujours plus sur la quantité mais où se trouve la qualité ?

L’application ? L’implication ? Tous les six mois sort une nouveauté, créant ainsi de l’obsolescence. Mais toutes ses nouveautés ont une durée de vie limitée, et elles se détériorent ainsi pour garantir le cycle d’achat à perpétuité, et donc garantir la pérennité des portefeuilles de ces entreprises qui se disent innovantes.

Le capitalisme actuel ne convient plus aux exigences des

nouvelles générations, il ne croit lui même plus en l’avenir, il est devenu structurellement cynique100.

Nous avons donc fait un état des lieux contextuel afin de nous

représenter l’état social, économique, systémique et écologique de notre monde. Introduire l’innovation tout en prenant garde à ne pas la mélanger avec le capitalisme était primordiale pour comprendre l’évolution de notre société. Introduire la génération Y, comprise au 100- STIEGLER Bernard & KYROU Ariel. 2015. L’emploi est mort, vive le travail ! . MILLE ET UNE NUIT

92

sein des deux générations l’entourant était une étape nécessaire à la compréhension des enjeux d’un système qui n’a aujourd’hui que peu d’alternatives, alors qu’il est en train de s’autodétruire.

Mais des solutions existent. De nouvelles alternatives

sont proposées. Des systèmes différents font leurs apparitions et contournent l’actuel. Des mouvements politiques, économiques et philosophiques apparaissent petit à petit essayant de rassembler un maximum d’adhérents. Nous l’avons vu, tout va trop vite. Il est donc temps de ralentir.

93

Ă€ droite - fig33 : Vers un meilleur avenir

III- «RIEN NE SERT DE COURIR IL FAUT PARTIR À POINT»

95

La fable de Jean de la Fontaine101 est l’illustration parfaite de

la paresse. La tortue, lente, prend son temps, avance à son rythme et arrive sans s’être fatigué. Le lièvre, rapide mais arrogant, laisse son adversaire prendre de l’avance et part au dernier moment, il procrastine son départ et perd. Mais la morale de cette histoire peut être comprise différemment : la vitesse n’est pas toujours gagnante.

Nous avons vu au cours de notre étude deux notions très

différentes. La première était la paresse, un vice reconnu cachant cependant une certaine valeur. La seconde était le capitalisme, système travailliste en recherche de profit, provocateur d’une accélération constante. Puis il y avait l’innovation, pied d’appui du capitalisme, utilisée à tort et à travers pour générer toujours plus de profit sur notre dernier sujet, la génération Y, et son besoin apparent de rupture, de ralentissement dans un monde qui va toujours plus vite.

Pour cette dernière partie, nous allons donc nous pencher

sur les différents mouvements alternatifs au capitalisme ou œuvrant pour une forme de « post-capitalisme ». Ces mouvements incluent des notions en accord avec la philosophie de la paresse que nous essaierons de définir. Dans un second temps, nous valoriserons certains régimes de paresse afin de les inclure dans des processus d’innovation, et observerons dans quelle mesure l’innovation technique est sensée promouvoir la paresse. Nous terminerons notre réflexion par un peu de prospective et nous tâcherons d’apporter des limites à notre réflexion.

101- LA FONTAINE Jean. 1668. Les Fables de La Fontaine. FLAMMARION 2007

96

A/ Vers une société du Tempo Giusto

Le « temps juste » est la définition littérale de la notion italienne

du Tempo Giusto102 qui est « le rythme universel, réglé sur la pulsation vitale du cœur humain » , et le tempo de référence en musique.

Ce terme musical est pourtant de plus en plus utilisé comme

philosophie de vie, promu notamment par Carl Honore dans son Éloge de la lenteur. Journaliste canadien, ex-accro à la vitesse, il choisit de changer de vie et part à la découverte du slow mouvement basé sur l’idée simple de rechercher le bon rythme pour chaque activité que nous réalisons : le Tempo Giusto. Ce rythme propre à chacun, dépend du temps biologique mais aussi des activités et des priorités du moment, c’est notre rythme. Les auteurs de ce mouvement font très attention à différencier la lenteur de la fainéantise, pourtant, comme nous l’avons vu elle en est intrinsèque. Ne se positionnant pas vraiment sur le fait que la vitesse soit un bien ou un mal, leur philosophie de la lenteur nous invite à ralentir lorsqu’il le faut.

Cette philosophie peut donc s’appliquer à tous les aspects

de la vie. Au travail, en choisissant par exemple de s’accorder de véritables pauses, voir même de réduire ses heures. Il a par exemple été démontré dans une étude103 que les français étaient plus productifs que les Japonais alors qu’ils ont beaucoup plus de périodes de vacances. En effet, sur une base 100 (établie par le seuil de productivité britannique), la France se situait en seconde position en 2010 avec 110, derrière les Etats-Unis à 134 tandis que le Japon 102- Editorial - http://www.tempogiusto.org/ 103- BESANÇON Yves. 29/09/2011. Éloge de l’efficacité productive du travail en France.

En ligne http://blogs.mediapart.fr/blog/yves-besancon/290911/eloge-de-l-efficacite-productivedu-travail-en-france

97

était bien en dessous du seuil de productivité, avec 89. De plus en plus d’entreprises innovantes, telles que Google ou Facebook, créent des zones de repos et de divertissement104, invitant leurs employés à réaliser d’autres projets que leur travail commercial habituel. Grâce à leurs pauses, ces employés peuvent se lancer dans leurs projets commerciaux la tête froide, ayant gagné suffisamment de recul, et leur permettant une plus grande productivité et une forme de bonheur au travail. Avec des horaires souples, les travailleurs peuvent aussi dire adieu aux burn-out et bore-out, faisant ce qui leur plaît, au moment où ça leur plaît. L’auteur prône également la pratique de la méditation, changement de temporalité indispensable pour échapper aux syndromes de « tête dans le guidon »105.

104- RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone. 2013. L’innovation Jugaad – Redevenons ingénieux ! . DIATEINO 105- Être extrêmement occupé de telle sorte qu’on n’arrive pas à penser à autre chose. Être débordé par ses occupations 106- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT

98

Fig34 : Zone de dĂŠtente chez Google

Fig35 : Zone de dĂŠtente chez Google

99

Cette lenteur devrait également s’appliquer à nos vies de tous

les jours : moins consommer, moins conduire, marcher plus, ne pas travailler chez soi.

Faire attention à l’éducation de nos enfants en fait également

partie, comme le suggère Carl Honoré106, « la pression est plus féroce que jamais et mène à ce que les experts appellent « hyper parentalité », une conduite compulsive tendant à vouloir rendre son enfant parfait », pour qu’ils ne soient pas des animaux de compétition aux concours des surdoués hyperactifs. De plus en plus d’alternatives au système éducatif hyper compétitif font leurs apparitions avec par exemple la naissance d’Apple Tree, fondée dans la préfecture de Tokyo Saitama en 1988 « par un groupe de parents désespéré du système ».

Cette école fonctionne sur le principe qu’il faut s’éduquer à

sa vitesse. Une formation en trois ans sera faite en quatre avec des horaires allégés et un rythme plus doux.

Tous les champs sont possibles pour fonctionner plus

lentement, au bon rythme. Avoir du temps libre, c’est avoir le temps de penser, pas forcément de le remplir avec toujours plus d’activités.

Avoir du temps libre c’est développer sa créativité.

Pierre Moniz-Barreto nous fait également l’éloge du Tempo

Giusto dans son livre paru début 2015, Slow Business – Ralentir au travail et en finir avec le temps toxique107. Cet auteur, aujourd’hui parfaitement avisé des méfaits de la société de l’hyper-vitesse, a dans son passé failli perdre la vie dans un accident de voiture après des 107- MONIZ-BARRETO Pierre. 2015. Slow Business – Ralentir au travail et en finir avec le temps toxique. EYROLLES

100

semaines de surmenage et de privation de sommeil. En plus d’y citer Carl Honoré, il présente dans son ouvrage plusieurs businessmen/ women à succès qui ont opté pour le Slow Business, dont Cali Ressler et Jody Thompson. Ces deux femmes à l’origine du célèbre Why Work Sucks and How to Fix It108 sont les créatrices d’une entreprise de consulting visant à promouvoir le format ROWE (Result Only Work Environment109), pratiqué aujourd’hui par plus de 10% des entreprises américaines.

Le Slow Business encourage avant tout un changement de

rythme au profit d’une décélération, d’une plus grande économie d’énergie, une meilleure gestion du temps. Lors de notre entretien, nous avons pu discuter de plusieurs aspects de son ouvrage, et plus précisément de chronobiologie. Ce dialogue nous a amené à comprendre l’évidence de la présence d’une multitude d’horloges internes. Il a d’ailleurs évoqué Jan Djick, chercheur en génétique à l’université de Surrey, en Angleterre, qui a déterminé l’existence de deux rythmes physiologiques radicalement différents et symbolisés par deux animaux. Le hibou est un « lève tard couche tard » tandis que l’alouette est une « lève tôt couche tôt ». Son ouvrage nous décrit aussi l’évolution d’une entreprise d’hébergement de serveur internet nommée CIV . Son directeur, fan de chronobiologie, a basé sa gestion des ressources humaines sur le principe décrit plus tôt. Les collaborateurs arrivent sur une tranche horaire située entre 7h30 et 9h30 et partent à deux heures différentes l’après midi : ils travaillent à leur propre rythme.

108- RESSLER Cali, THOMPSON Jody. 2008. Why Work Sucks and How to Fix It. PORTFOLIO 109- Environnement de travail basé sur les résultats (et non sur la présence)

101

La deuxième notion évoquée dans son livre et rappelée lors de

notre entretien est la base des techniques de surf. Le surf est basé sur des temps lents – l’attente d’une belle vague – et de temps rapide – surfer la vague. Les entreprises slow fonctionnent de la même manière.

Elles prennent beaucoup de temps à bien préparer leur projet, des années voire des décennies. Lorsqu’elles sont sujet à la courbe exponentielle d’accélération liée au succès de leur produit, leur temps lent les a préparés au temps rapide, ce qui leur permet d’en avoir un contrôle total.

« La valorisation de la lenteur va de pair avec celle du temps long, celle des relations de fidélité et de persévérance, autant de modes de relation aux autres mis à mal par nos sociétés.112

»

Valérie Carayol - Contre l’urgence : la paresse, l’inaction, la lenteur

110- MONIZ-BARRETO Pierre. 2015. Slow Business – Ralentir au travail et en finir avec le temps toxique. EYROLLES 111- Ibid.

112- SENETT Richard. 2000. Le travail sans qualités : Les conséquences humaines de la flexibilité. ALBIN MICHEL

102

Autre alternative évoquée par Valérie Carayol113, l’inaction,

l’otium que nous avions déjà évoqué.

« On parle ici d’un temps qui échappe à l’idée de repos ou de vacances et qui, tout entier est tourné vers la vie contemplative, à l’écart de tout travail obligé et de toute perturbation extérieure. L’oubli du monde va de pair avec la recherche d’une intimité avec Dieu.

»

Valérie Carayol - Contre l’urgence : la paresse, l’inaction, la lenteur

Nous retrouvons donc la vie monastique, aujourd’hui valorisée

dans certains cas, notamment par les moines bouddhistes114, comme voie vers la sagesse.

Nous assistons également à une guerre entre les économistes

orthodoxes et hétérodoxes à propos de l’initiative de salaire à vie. Tandis que les premiers sont les partisans d’un capitalisme traditionnel où l’emploi et le salaire sont inexorablement reliés, les seconds sont pour une économie plus humaine, où le gouvernement impose de manière négative, c’est-à-dire, donne un revenu de base à l’ensemble de la population. Le statut qui y ressemble le plus aujourd’hui est la fonction publique, qui selon Bernard Friot « n’est pas payé pour son poste, mais pour son grade115 ». En effet, les fonctionnaires, notamment en France, doivent passer un concours 113- CARAYOL Valérie. 2005. Contre l’urgence : la paresse, l’inaction, la lenteur 114- Lao-Tseu 115- FRIOT Bernard @ France 2. 07/06/2013. DÉBAT : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ : JUSQU’À QUEL POINT ? – Le salaire à vie par USUL. En ligne https://www.youtube.com/watch?v=uhg0SUYOXjw

103

pour être embauchés par le gouvernement de manière définitive, cela implique une absence de chômage, et un salaire à vie. Un projet pilote a d’ailleurs été proposé par le parti centriste Finlandais116 proposant un revenu de base et donnant la possibilité aux citoyens d’augmenter ce revenu suivant leur participation à l’économie et leur métier. Cette alternative est largement discutable, mais elle soulève tout de même un élément important : celui de faire le travail qui nous plaît sans pour autant vivre l’enfer de ne pas savoir si l’on va être payé à la fin du mois.

Cette aubaine pour les paresseux leur permettrait tout simplement ne plus travailler, ou au moins trouver un travail qui leur plaît et qui les ménage sans être terrifiés à l’idée de ne pas pouvoir remplir leur assiette le soir venu.

Cette alternative est à mettre en perspective par rapport à

la disparition progressive de l’emploi. Jeremy Rifkin nous explique dans La fin du Travail117 que l’automatisation, en plus d’augmenter la productivité des usines, entraîne une augmentation sans précédent des chiffres du chômage. Certains, surtout les chômeurs, voient cette évolution comme une catastrophe, mais Rifkin voyait plutôt, dans son ouvrage de 1996, une révolution en marche, vers plus de temps libre, plus de loisirs, plus de temps pour apprécier la vie.

Cette vision est appuyée, presque vingt ans plus tard par

Bernard Stiegler dans son entretien avec Ariel Kyrou dans L’emploi est mort, vive le travail !. Il fait cependant la différence entre emploi (activité prolétaire n’engageant ni le savoir, ni la production de savoir) et travail118 : 116- JOURDAN Stanislas. 2/07/2015. La Finlande, le revenu de base et la schizophrénie du gouvernement. En ligne http://revenudebase.info/2015/07/02/finlande-schizophrene-gouvernement/ 117- RIFKIN Jeremy. 1996 (première publication). La fin du travail. LA DÉCOUVERTE & SYROS 2006 118- Dans ce paragraphe, le travail en gras italique est à interpréter selon la définition de Bernard Stiegler

104

« Un travail est toujours un savoir, et réciproquement, mettre en œuvre un savoir, c’est toujours travailler […] Le travail n’est pas du tout l’emploi, l’emploi est ce qui est sanctionné par un salaire […] Le travail c’est ce par quoi on cultive un savoir.

»

Lors de cet entretien, Stiegler nous invite à réfléchir à la

possibilité de bâtir une société basée sur l’automatisation généralisée des emplois prolétaires. La disparition de l’emploi au profit du travail, donc de la déprolétarisation, mènerait à une promotion des métiers produisant et requérant un véritable savoir. Nous accéderions à une société du véritable travail, rehaussant ainsi l’intelligence générale et réduisant le sentiment des humains d’être des automates au service du capitalisme. C’est aujourd’hui ce que les intermittents du spectacle, baptisés knowledge workers119 par Peter Drucker en 1993, représentent.

Fonctionnant un peu sur le principe du consultant, ils capitalisent puis créent du savoir, dont ils font ensuite profiter les autres, récoltant leur cachet à la fin. Ce sont des experts payés à la prestation. Ce modèle, même s’il peut être lié à une certaine précarité si le carnet d’adresses ne suit pas, permet une souplesse inconnue dans le monde salarié : le choix des horaires de travail, la rémunération. Lors de l’entretien effectué avec Jean-Yves Prax à propos de sa conférence L’Homme, premier facteur de différenciation et d’innovation donnée au GESCO de Montréal en 2012, nous apprenons notamment la différence notoire 119- PRAX Jean-Yves. 06/2012. L’Homme, premier facteur de différenciation et d’innovation.

Article publié à l’occasion de la 5em conférence du GESCO à Montréal VOIR L’ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES PRAX EN ANNEXES

105

entre un salarié et un consultant. Le salarié est lié à un engagement de résultat tandis que le consultant est lié à un engagement de moyens.

Afin de s’expliquer, Jean-Yves ajoute qu’il vend aux entreprises un nombre de jour, des livrables (sous formes de préconisations et de méthodes) puis précise qu’une boutade dit que « si vous opposez une personne compétente à une mauvaise organisation, le résultat sera mauvais à tous les coups ».

L’économie

collaborative,

basée

sur

une

organisation

horizontale du travail et sur le partage120, est un bon exemple de postcapitalisme, même si beaucoup d’entreprises capitalistes sont en train de se saisir du modèle pour générer du profit. Il reste cependant intéressant d’évoquer quelques types d’activités inclus dans ce modèle, comme la consommation collaborative (couchsurfing, covoiturage, échange de savoir entre particuliers…), les modes de vie collaborative (coworking, colocation, habitat collectif), la finance collaborative (crowdfounding, bitcoins, prêt d’argent entre particuliers) ou encore les modes de production contributive (hacker et makerspaces, DIY121, fablab) et le partage d’informations en peer to peer (qui n’est pas illégale, tant que le contenu partagé ne l’est pas). Elle promeut, au même titre que la philosophie de la lenteur, les productions locales et contributives, l’écologie, la créativité collective et les relations sociales plus conviviales - ce modèle étant basé sur la confiance. Un peu de fraîcheur et d’humanité dans un monde devenu inhumain.

120- RIFKIN Jeremy. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. LLL LES GENS QUI LIBÈRENT 121- Do It Yourself

106

Fig36 : FabLab

Fig37 : CouchSurfing

107

Le contributif n’est pas la seule activité qu’Internet et les

réseaux sociaux ont permis de promouvoir. Une nouvelle forme de militantisme passif a fait son apparition avec les « slacktivists »122.

Fusion des mots slacker (fainéant) et activist (militant), le slacktivist soutient des causes sans bouger de son fauteuil. L’exemple qui touchera le plus sera celui du militantisme provoqué par les attentats de janvier, lorsque partout en France, et même à travers le monde, des internautes ont changé leur photo de profil par le fameux slogan « Je suis Charlie ». Mal vu du point de vue des activistes « IRL » (In Real Life – Dans la vraie vie) puisque non engagés physiquement pour une cause, les slacktivists commencent à avoir un réel impact social et politique, notamment pour la signature de pétitions. D’ailleurs, un bon exemple de slacktivism est de participer au financement de l’innovation sur des plateformes de crowdfunding !

Les modèles alternatifs sont nombreux et ne sont pas

forcément à opposer au capitalisme. Ils nous permettent de voir que d’autres organisations sont possibles et que le désir de changement est là, s’orientant vers un temps plus lent, plus biologique, plus naturel.

Un modèle de la paresse est-il possible ? L’innovation est aujourd’hui un axe stratégique dans le développement sociétal, politique, économique et écologique. Pouvons-nous appliquer certains principes de farniente au sein des processus la générant ?

122- MANIGUET Clarisse. 17/01/2015. Le slatckivisme ou l’activisme passif digital. En ligne http://propulzr.com/le-slacktivisme-ou-lactivisme-passif-sur-internet/

108

B/ L’innovation paresseuse « I will always choose a lazy person to do a hard job. Because a lazy person will find an easy way to do it. » (Je choisirais toujours un paresseux pour faire un travail difficile. Parce qu’un paresseux trouvera une manière facile de le faire.)

Cette citation de Bill Gates introduit le cœur de ce document

et symbolise les racines mêmes de cette réflexion sur la paresse.

Attardons-nous sur cette phrase « un paresseux trouvera toujours une manière facile de le faire » : nous avons vu au début de ce mémoire qu’un paresseux est dans la recherche constante d’économie de sa propre énergie. D’où cette recherche constante de simplicité et d’efficience : s’il fait la tâche qu’on lui impose, il cherchera toujours à la rendre la moins ennuyeuse, la plus courte, facile et créative possible. Il cherchera à transformer le supplice que lui apporte le travail en plaisir. Ajoutons à cela un conseil de la part d’Ernie Zelinski dans Réussir quand on est paresseux123.

« Travailler efficacement est la clé, pourvu que votre emploi vous plaise. Car on ne peut exceller dans un domaine que si l’on aime ce qu’on fait. […] Une journée d’un travail qu’on déteste est une éternité comparée à un mois d’un travail qu’on aime.

»

123- ZELINSKI ERNIE. 2003. Réussir quand on est paresseux. EYROLLES 124- Ce qu’il y a de bon dans la paresse 125- DUVAL Martin & SPEIDEL Klaus. 2014. Open Innovation. DUNOD 126- Jugaad Innovation signifie innovation frugale. Ses principes ont été développés dans des pays en développement comme l’Inde ou le Brésil, où les principes d’innovation occidentaux ne fonctionnent pas à cause d’un environnement hostile.

RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone. 2013. L’innovation Jugaad – Redevenons ingénieux ! . DIATEINO

109

Le meilleur exemple de paresse créative de nos jours est le

personnage emblématique de Gaston Lagaffe. D’abord indolent et oisif, Gaston s’est transformé en génie incompris. Victime de sa propre paresse, il créé des tas de gadgets et inventions loufoques pour réaliser ses tâches quotidiennes à sa place, lui permettant de faire la sieste. Ce n’est pas sans rappeler le témoignage d’Edison qui nous a permis d’introduire cette réflexion.

Nous avons déjà défini les multiples paresses, ainsi que

l’innovation en termes généraux. Nous allons maintenant explorer divers processus utilisés pour innover et les mettre en parallèle avec les paresses du groupe farniente124. De plus, nous nous appuierons sur les auteurs Martin Duval et Klaus Speidel avec leur livre méthodologique Open Innovation125 ainsi que du très original Jugaad Innovation126, écrit par Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja. Précisons que ce document a pour but de valoriser la paresse au sein du processus d’innovation, et non pas prouver que la paresse EST un processus d’innovation.

• Faire simple

Avec l’émergence d’un monde de plus en plus complexe et

incompréhensible, dû à de multiples facteurs tels que l’ouverture des frontières, la naissance des réseaux, des systèmes d’informations, de technologies de plus en plus complexes et fragiles, certains 127- DUVAL Martin & SPEIDEL Klaus. 2014. Open Innovation. DUNOD 128- Recherche & développement 129- RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone. 2013. L’innovation Jugaad – Redevenons ingénieux !. DIATEINO

110

innovateurs (notamment jugaad) se sont lancés dans une campagne de simplification. Malgré de plus en plus de démarches d’Open Innovation127 visant à réduire l’utilisation de millions de dollars en R&D128, les entreprises occidentales continuent de produire des produits de plus en plus complexes et hors de prix, oubliant les besoins initiaux de leurs utilisateurs129 : « 65% des américains se plaignent d’avoir perdu tout intérêt pour l’achat de produits technologiques parce qu’ils sont devenus trop complexes à mettre en place ou à faire fonctionner ». Or un produit simple est avant tout basé sur des technologies simples et faciles à utiliser. On parle également de « Révolution low-tech » : des produits peu coûteux, faciles à installer et à entretenir, pouvant satisfaire un large public. Tout ceci est possible en se basant sur les besoins des utilisateurs et non sur leurs désirs et en choisissant des solutions raisonnables. « Pour de nombreux utilisateurs, c’est la simplicité d’un produit qui en fait sa valeur en termes d’expérience de consommation.130 »

Faisons maintenant la somme de toutes les connaissances

engendrées sur la paresse. Nous savons maintenant que l’un de ses mots d’ordre est la simplicité. Comme Bill Gates l’affirmait, un paresseux choisira toujours la voie de la simplicité, voyageant de manière originale dans la complexité grandissante. Dans les démarches de tests produits, il est évident qu’un paresseux possède 130-RADJOU Navi – PRABHU Jaideep – AHUJA Simone. 2013. L’innovation Jugaad – Redevenons ingénieux !. DIATEINO

111

une place privilégiée : étant le premier à être rebuté par la complexité, il saura apporter des réponses pertinentes pour simplifier l’utilisation et l’expérience d’un objet, service ou interface.

La capacité d’un paresseux, notamment d’un aquoiboniste,

est son désir constant de connaître le sens de ce qu’il fait, la raison pour laquelle il le fait. Après tout, si cette raison n’est pas valable, il ne le fera pas. Cette recherche de sens peut également mener à la recherche de simplicité.

Il est cependant primordial de différencier une solution

simple d’une solution simpliste. Cette dernière serait en effet une simplification forcée du problème d’un utilisateur qui le réglerait à court terme, mais deviendrait inefficace sur le long terme.

• Procrastiner ou tout faire lentement ? Les deux fonctionnent.

L’art de la lenteur a été expliqué précédemment, nous

retiendrons notamment ce principe simple selon lequel il faut travailler moins et faire plus de pauses. Carl Honoré nous explique131 que trouver le « temps juste » au travail permet d’être plus productif, ne pas être stressé ou victime du phénomène de « tête dans le guidon » nous permet d’avoir l’esprit frais et ouvert, les pauses nous permettant de prendre du recul. On oublie donc stress et empressement pour retrouver calme et tranquillité.

Il est amusant de voir que la procrastination, que nous évoquions

plus tôt dans Le lièvre et la tortue, peut avoir des effets similaires, 131- HONORÉ Carl. 2004. Éloge de la lenteur – Et si vous ralentissiez ?. POCHE MARABOUT 132- RAUCH André. 2013. Paresse – histoire d’un péché capital. ARMAND COLIN 133- WEBSCHOOL FACTORY. WEEK END CHALLENGE DE LA WEB SCHOOL FACTORY. En ligne http://www.webschoolfactory.fr/video/evenement-hackathon-avec-bouygues

112

ou du moins la situation dans laquelle elle nous place. Rappelonsle, l’atermoiement est un comportement parfaitement Oblomoviste132 poussant sa « victime » à tout repousser au lendemain, conduisant à une situation d’empressement général lorsque l’urgence se fait sentir.

Cette situation est appelée, dans le jargon d’artiste, « être charrette ».

Aujourd’hui, plusieurs institutions provoquent artificiellement cette « charrette » pour stimuler créativité et innovation, nous prendrons notamment exemple sur les Weekend challenge organisés par la Webschool Factory avec les écoles Strate, Hetic et PSB (Paris School of Business) autour du numérique et de différents thèmes de notre époque133.

Ces

deux

comportements

paresseux

parfaitement

antagonistes éveillent tout deux la créativité et l’inventivité, mais il faut bien sûr ne pas en abuser. Un Oblomov en puissance peut être une plaie comme un atout pour une entreprise à condition de bien le manager. Toutefois, privilégier la lenteur peut mener à une plus grande application et une plus grande qualité de projet, tandis que privilégier la « charrette » peut mener à une grande originalité.

• L’observation et la contemplation

L’observation est un point primordial dans tout procédé visant

à innover. Quitte à être évident, l’observation permet de mieux cerner ses utilisateurs, les comprendre, vivre dans le même environnement 134- UCM. Biomimétisme. En ligne http://eco-conception.be/fr/page/ca1_biomimetisme.html 135- FREY Cyril. 2000. Le livre de la paresse. 1 ÉDITIONS

113

qu’eux, « sur le terrain », voire, vivre comme eux. Mais il n’y a pas que les utilisateurs qu’il est important d’observer. Tout est source de créativité, surtout la nature. On parle souvent de biomimétisme134 pour décrire les produits se rapprochant dans leur forme, leur écosystème ou leur système d’information, d’un élément naturel ; un oiseau, un arbre, une graine en forme de demi-hélice qui tombe. Heureusement, de plus en plus d’entreprises innovantes prennent enfin l’initiative de sortir de leur laboratoire de R&D pour observer leur cœur de cible ou encore pour chercher de nouvelles opportunités.

Là où le paresseux aura le plus d’impact sera justement par

sa capacité à rester là, à contempler ce qu’il se passe autour de lui.

Il a d’ailleurs cette patience innée de ne rien faire et d’explorer son environnement. Comme disait Cyril Frey, « le but n’est pas au bout du chemin, il est le chemin lui-même »135. Si nous plaçons cette phrase dans un contexte, par exemple, d’une randonnée, ce n’est pas le sommet qui est le plus incroyable, mais bien le chemin pour s’y rendre, car c’est là que l’expérience se créée. C’est sur le chemin que nous pouvons observer le plus de choses, se positionner dans un acte parfaitement contemplatif. Cette expression vaut également lorsque l’on fait du design UX (User eXperience), c’est en effet l’expérience de l’utilisation d’un produit ou d’un service qui est la plus importante.

Faisons également un tour par les rêveries que peuvent

provoquer ces contemplations. Il est fréquent d’entendre qu’une personne passe son temps à « rêvasser » avant d’être insultée de paresseuse. Mais est-ce si mauvais ? Le temps nécessaire au rêve 136- SAGMEISTER Stefan. 07/2009. The power of time off. En ligne https://www.ted.com/talks/stefan_sagmeister_the_power_of_time_off

114

est primordial pour stimuler l’imagination et la créativité, pourquoi faudrait-il le retirer ? Laissons-nous le temps de contempler notre environnement, de rêver, d’apprécier ce qui nous entoure !

Passons au recueillement qui est une source indispensable

pour prendre du recul sur un projet, sur sa vie, sur le monde. Prenons l’exemple de Stefan Sagmeister, designer reconnu de pochettes d’album : dans sa conférence TED136, il nous raconte pourquoi il décide de fermer son studio de design tous les sept ans pendant un an en s’attardant bien sur l’impact que cela procurait à sa créativité. Cette pause, cette introspection, lui permet également de se concentrer sur des projets personnels et de voyager pour se ressourcer.

Nous pouvons également évoquer egotisme est à mettre

directement en relation avec le perfectionnisme. Malgré une version plus paresseuse se rapprochant de la procrastination, nous voyons un désir fort de perfection, et donc une promesse de qualité.

Enfin, la principale qualité d’un innovateur est sa capacité

à innover de manière désintéressée, donc à ne pas chercher de compensation. En ceci, l’ataraxie est le summum de la paresse innovante, puisqu’elle désigne, rappelons-le, un détachement total vis-à-vis du monde et du matérialisme. L’innovateur cherchera donc à rendre heureux, quel qu’en soit le prix, et sans chercher de récompenser.

137- LAMORT Edouard. 06/10/2015. New York : il a décidé de faire la queue à votre place.

En ligne http://o.nouvelobs.com/people/20151006.OBS7180/new-york-il-a-decide-de-faire-laqueue-a-votre-place-et-son-business-cartonne.html 138- Bande annonce

115

Mettons la paresse en application avec l’exemple de Robert

Samuel137 qui a créé sa société sur une idée simple : il se fait payer pour prendre la place d’une personne dans des files d’attente.

Aujourd’hui, des marques comme Apple, Sony ou même des marques de chaussures créent l’événement en générant énormément de teaser138 pour attirer les fans. Robert attend à la place d’une autre personne et est donc payé… À ne rien faire ! « Ce sont des gens de tous les jours. Cela peut être un client qui ne peut pas partir à temps de son travail pour un film projeté en avant-première ou un mec de l’Upper East Side qui veut absolument la nouvelle Xbox sans devoir attendre 7 heures dans le froid. C’est un vrai melting pot. » Robert Samuel – Professional Line Sitter

Il est intéressant de constater que ces régimes de paresse

se mettent directement en corrélation avec des processus innovants simples. Il ne faut bien sûr pas comprendre par-là que chaque processus évoqué est un acte de paresse, mais bien qu’il s’en rapproche de manière troublante. Cette mise en parallèle nous permet donc de confirmer que la paresse n’est pas si mauvaise que cela et qu’elle a parfaitement sa place dans notre société, à condition d’être correctement managée. Car après tout, il est important de différencier la paresse ingénieuse (Gaston Lagaffe) de la paresse intellectuelle (qui est le fait de ne pas prendre la peine de réfléchir), tout comme il est

116

nécessaire de différencier un paresseux « productif » d’un paresseux « improductif ». C’est pour cela que nous allons définir les risques qui se présentent aujourd’hui devant nous.

Fig38 : Le génie paresseux

117

C/ Des risques à ne pas négliger

Comme pour toute chose, il est important d’identifier un

ensemble de risques à prendre en compte. L’innovation par la paresse est une chose, mais l’innovation pour la paresse en est une autre, beaucoup plus risquée. Nous étudierons donc ici les risques d’une évolution de la société vers un modèle trop propice à la paresse. Puis nous nous questionnerons sur ce qu’est une société post-capitaliste, en évoquant notamment les risques que présente le financement contributif, et la place qu’y auront les générations Z et α139.

La première mise en garde s’inspire du film d’animation de

Walt Disney, Wall-E140. Derrière ses aspects de film d’anticipation écologico-post-apocalyptique, il nous rappelle l’importance de nos responsabilités vis-à-vis de notre planète et de nous-mêmes. Dans cette histoire, nous apprenons que les humains ont dû quitter la Terre, dépourvue de ses ressources naturelles, couverte de déchets et dont l’air est devenu toxique. Lâches et paresseux, ils ont créé toujours plus d’outils et de gadgets pour se déresponsabiliser de leur vie. Ils sont arrivés à une telle apogée technologique que les robots les ont totalement remplacés dans leur travail et dans leurs responsabilités - notamment celle de nettoyer leur planète - ne leur laissant qu’un seul choix de vie : le loisir. Mais pourquoi se fatiguer à s’amuser et à profiter de la vie quand on peut se déplacer en siège lévitant et rester accroché à son écran toute la journée ?

139- Alpha 140- PIXAR. 2008. WALL-E. 98 minutes

118

Ce monde où le capitalisme a gagné est donc une alarme à

l’assistanat. Par manque de sport, et de génération en génération, les humains y deviennent de plus en plus gros et paresseux, de plus en plus assistés. Il est bon de créer toujours plus de technologie pour libérer petit à petit l’humain du labeur de la vie, mais la tentation du péché est aussi dangereuse que séduisante : devenir complètement assisté, ne plus rien faire par soi-même. Ce film nous rappelle donc que certes, la paresse peut être utilisée comme outil innovant, mais il est mauvais d’innover pour promouvoir l’assistanat.

Fig39 : Wall-e, la victoire du capitalisme

119

Ce film est aussi une critique de notre société actuelle.

Il a été question, dans le groupe des fainéantises d’une paresse frénétique141, celle-ci décrit cette tendance à l’hébétude générée par les écrans. L’histoire nous montre donc des personnages zombifiés, discutant en visio-conférence avec leur ami se trouvant juste à côté d’eux. Nous voyons également des bébés, dans des bouées volantes, obnubilés par un écran qui leur apprend l’alphabet sur une base de propagande capitaliste les conditionnant à devenir de parfait consommateurs : « A comme Axium, votre nid douillet. B, comme BnL142, votre meilleur ami entre tous. » Cela n’est pas sans rappeler les mots de Samuel Dock143 sur notre génération agressée sans cesse par le flux continu des images à notre époque. Nous noterons donc une certaine propension de la part des sociétés capitalistes à nous rendre volontairement paresseux (de la plus mauvaise des manières) en nous abrutissant devant des programmes télévisuels maintenant une forte prolétarisation.

Dans la lignée de l’assistanat, nous pouvons ré-évoquer

le système de revenu de base. Le danger d’un tel système est de conduire à de nouvelles inégalités. Les personnes ne souhaitant pas travailler, ou peu, toucheraient donc un revenu dit « frugal » leur permettant de se loger, de se nourrir et d’accéder à un ensemble de produits de base. À partir du moment où elles exécuteraient un travail de nature à participer au développement de la société, elle toucherait un salaire supérieur, ce qui nous mènerait donc au retour d’un système hiérarchique vertical mené par un différentiel au niveau du grade et de 141- Voir page 20 142- Société qui gère le vaisseau spatial 143- CASTARÈDE Marie France & DOCK Samuel. 2015. Le nouveau choc de générations. PLON

120

l’expérience (comme ce que l’on voit dans le système fonctionnaire français). Le revenu de base générerait donc un système inégalitaire où ceux qui ne travaillent pas, les paresseux donc, subiraient le regard d’une société continuant à participer à son propre développement ?

Il est bien sûr trop tôt pour le savoir, mais c’est un risque à ne pas négliger.

Parlons du modèle collaboratif, présenté de la même façon

dans les modèles alternatifs. Le Harvard Business Review, célèbre chronique de management, questionne cette nouvelle forme d’économie144 :

« Faut-il accepter le progrès apparemment enthousiasmant que représente le crowdfunding pour le financement des entreprises au prix d’une régression du point de vue de la protection des investisseurs ? Certes, dans l’immédiat, la contribution moyenne des souscripteurs s’apparente davantage à une mise de jeux d’argent qu’à un véritable investissement, mais en sera-t-il toujours ainsi ? Lorsque les premiers gains en capital des plus chanceux seront significatifs, le risque de panurgisme ne peut-il créer de nouvelles bulles spéculatives à très grande échelle du réseau mondial ?145

»

144- Pas si nouvelle d’ailleurs puisque les « Startup » de la belle époque fonctionnaient déjà sur ce principe 145- BLOCH Alain. 30/01/2014. Crowdfunding : capitalisme 2.0 ou menace pour l’économie ?.

En ligne http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/01/1103-crowdfunding-capitalisme-2-0-ou-menace-pour-leconomie/

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Alain Bloch, auteur de l’article , s’empresse d’y répondre en

caractérisant le financement participatif de « Worldwide Business Casino Online ». Une gigantesque bulle spéculative donc, qui pourrait exploser à tout moment, étouffée par trop d’argent, comme ce fut le cas pour Internet dans les années 2000146. Malgré tout, ce système promet de beaux jours au financement sur le social business et pose la question de l’aide économique de pays émergents. Mais il faut prendre garde à l’émergence d’une société qui deviendrait donc le nouveau peuple « actionnaire », et donc d’une nouvelle forme de capitalisme qualifié d’ailleurs de « capitalisme 2.0 » par l’auteur.

Toutes les options sont donc bonnes à prendre pour changer

le monde mais chaque décision doit être prise en prenant en compte tous les risques qu’elle incombe. Car ce n’est pas seulement notre avenir qui est en jeu, mais aussi celui des prochaines générations.

Évoquée précédemment, nous allons nous pencher sur ce qui

caractérise la génération des Z et aborder la génération α puisque ces deux groupes représentent notre avenir proche. Nous nous appuierons donc sur une étude réalisée en Australie en 2014147 ainsi qu’une infographie créée par le même auteur. Nous y voyons que la tendance à la déprolétarisation évoquée par Stiegler se vérifie petit à petit. En effet, tandis qu’un cinquième des Baby Boomers possédaient un diplôme d’université, puis un quart pour les X, et un tiers pour les Y, il est prévu que la moitié des Zeds disposeront de qualifications 146- RICHAUD Nicolas. 27/01/2014. Bulle internet […]. En ligne http://www.latribune.fr/entreprises-finance/20140124trib000811713/bulle-internet-lemarche-a-t-il-raison-d-etre-hante-par-le-krach-des-annees-2000.html 147- McCRINDLE Mark. 01/08/2014. What comes after generation Z ? Introducing generation alpha. En ligne http://mccrindle.com.au/the-mccrindle-blog/what-comes-after-generation-z-introducing-generation-alpha

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universitaires avant d’entrer sur le marché du travail. Leurs parents privilégiant le travail à la maison et le temps passé devant leurs écrans les rendent pour la plupart sédentaires. Basé sur ces tendances, l’étude prédit qu’en 2027, lorsque tous les Z auront atteint l’âge adulte, 77,9% des hommes et 61,2% des femmes seront en surpoids ou obèses.

Avec l’âge d’or du marketing et de la publicité, l’individu Z est

encore plus cible de spots publicitaire que l’individu Y. Il est également plus consommateurs. Étant nés deux ans avant Google pour les plus vieux, leurs premiers rapports à Internet se sont fait avec des sites sponsorisés, puis des applications smartphone et tablettes saturés de publicités. À l’heure de l’application, de la musique et de la VOD148 payante, ils ont accédé immédiatement à l’instantanéité, contrairement aux Y qui ont évolué en même temps que la vitesse d’exécution des machines et d’internet. Cette instantanéité, leur facilité extrême avec internet et les nouvelles technologies les ont façonnés au multitâche, et comme les Y, ils souhaitent une vie plus flexible (nombreuses expériences, carrières et lieux d’habitation) que les X, qui voulaient de la stabilité professionnelle (une carrière à vie).

Cela laisse long à penser quant à ce que sera la génération α

née des Y. Ce sera probablement un monde de screenagers149 ultra connectés, nés dans les smartphones, tablettes, réalités augmentées et virtuelles, impression 3D et autre snapshat… Un nouveau départ pour un nouveau millénaire donc, mais est-ce pour le mieux ? Aura-telle les mêmes tendances à la sédentarisation, et l’isolation physique 148- Video on demand 149- Un adolescent ou jeune adulte passant énormément de temps sur internet

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générée par l’hyper-sociabilité virtuelle que ses prédécesseurs ?

Cette hyper-virtualité la poussera-t-elle notamment à étudier puis travailler sans bouger de chez elle ? Nous risquons d’être témoins de la naissance d’une génération paresseuse, hébétée par un monde totalement virtualisé, habituée à tout avoir facilement, en quelques secondes et complètement déresponsabilisée.

Fig40 : Les générations Z et Alpha

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Nous voyons donc se profiler plusieurs alternatives à un monde

capitaliste devenu obsolète. Une partie de ces solutions implique de ralentir un peu, de trouver le bon rythme. L’innovation fonctionne de la même manière. Au lieu de se précipiter, il faut innover correctement, au temps « juste », et chercher la qualité. Nous avons pu voir que la paresse pouvait, dans une certaine mesure, aider à trouver cette justesse puisque les paresseux ont plus de facilité que d’autres à réfléchir à la meilleure option : la plus simple, qui leur fera gaspiller le moins d’énergie possible.

Mais il est important de définir un ensemble de risques quant

à l’évolution d’alternatives qui peuvent rapidement devenir hors de contrôle, tout comme d’une société qui pourrait tendre vers une paresse intellectuelle forte générée par de plus en plus de virtualisation et de facilité d’accès à la connaissance. Car il est encore plus évident, à la fin de ce document, que la paresse peut avoir de bons côtés, mais qu’elle reste un comportement néfaste pour l’homme.

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CONCLUSION

Notre société a une vision biaisée d’un comportement qu’elle

connaît finalement assez mal. La paresse, entrée dans les mœurs comme un défaut à corriger, est pourtant multiple. Elle dispose de facettes aussi nombreuses que bien d’autres comportements, même antagonistes. Cette multiplicité nous a permis de mieux comprendre une attitude ancestrale qui fut rejetée de tous temps, apportant marginalisation, misanthropie et dépression. Nous savions qu’il y avait du mauvais dans la paresse, maintenant nous savons qu’il y a du bon, une approche du bonheur que l’homme « actif » ne peut comprendre, enchaîné par la valeur travail, gangrène de notre temps.

Ce travail, qu’il soit religieux ou industriel, a conditionné

l’humain à se refuser tout acte de paresse depuis la chute des grandes cités Romaines. Tous les humains devaient travailler et les fainéants étaient considérés comme des parias et des moins que rien. Cette vision a évolué de mal en pis à mesure que notre société s’avançait vers un capitalisme impérialiste et agressif.

Mais parallèlement, des îlots de bons sentiments répartis selon

les époques nous ont amené à réfléchir à la posture du paresseux.

De victime, il est devenu contestataire. D’impassible et inintéressé, il est devenu questionneur et curieux. De contemplatif, il est devenu observateur. D’inactif, il est devenu militant. D’inefficace et inutile, il est devenu efficient et avide de justesse. Des qualités parmi tant d’autres qui deviennent indispensables dans un monde qui change.

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Ces changements ont eu lieu depuis les débuts de la civilisation,

mais les plus probants ont commencé lorsque les situations sociales, politiques et économiques ont créé les révolutions industrielles, accompagnées d’un modèle basé sur le profit à court terme : le capitalisme. Apporté par les bourgeois rendus riches par les grandes découvertes, il s’est enraciné dans une Europe féodale avant de devenir la référence et d’imposer le culte du travail chez les prolétaires tandis que les riches profitaient d’une opulence non contrôlée. Cette inégalité est aujourd’hui exacerbée par le fait qu’1% de la population possède 50% des richesses mondiales mais aussi par une différence massive entre les mentalités des différentes générations présentes sur le marché du travail.

La génération Y est d’ailleurs au cœur de toutes les

polémiques de par son audace, sa façon de remettre en cause le système, son besoin de flexibilité dans sa vie professionnelle et son désir d’accomplissement personnel. Tant d’éléments qui la mettent en contradiction avec ses prédécesseurs, enfermés par un dogme du travail transmis par la génération silencieuse (1925 -1942) des boomers (1943 – 1959).

Mais quelle est sa place dans un monde sujet à une accélération

exponentielle dépendant d’une forte évolution technologique ?

Entre burn-out, bore-out, dépressions nerveuses, suicides, morts par surmenage et isolements sociaux, les maladies de la vitesse se font de plus en plus nombreuses et les Y peinent à voir encore un sens à un modèle qui ne veut pas d’eux, et dont ils ne veulent plus. Un besoin de rupture a fait son apparition, et des alternatives voient le jour pour y répondre.

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Nombreux sont les moyens de répondre au problème de

l’accélération, mais ils se rejoignent sous une seule et même bannière : ralentir, par tous les moyens possibles. Mais il est important de contrôler ce ralentissement tout comme il est primordial d’arrêter d’aller trop vite : il faut trouver le tempo giusto. Trouver le bon rythme n’est, bien sûr, pas la seule alternative, ne plus rendre le travail obligatoire pour survivre en est une autre. Participer à l’innovation, financièrement par exemple, sans avoir besoin de bouger de son fauteuil peut-être le début d’un nouveau système, moins opaque et basé sur la confiance.

L’innovation peut donc être apportée par les paresseux, et

aussi au travers de différents actes de paresse garantissant simplicité, économie d’énergie, qualité et pertinence, à condition d’être bien managé.

Mais il est important de mesurer les risques d’une société qui

pencherait trop vers la paresse. Que ce soit avec le capitalisme actuel nous poussant à l’hébétude et à l’obésité, ou un système alternatif non contrôlé qui renforcerait les inégalités et la marginalisation. Il est important de prendre en compte les conséquences des avancées technologiques qui nous amènent rapidement vers un monde totalement virtualisé, et d’une génération obsédée et abrutie par l’apogée numérique.

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129

PROBLÉMATIQUES

Le monde s’accélère. Que nous parlions d’industrie, d’économie,

de société, d’entreprise, l’accélération est devenue une réalité que nous ne pouvons plus ignorer. Aujourd’hui, elle se définit par le paradoxe de vouloir faire toujours plus d’action sur un lapse de temps qui reste toujours le même : vivre plusieurs journées en une journée.

Elle est générée par plusieurs facteurs : la productivité industrielle, la mondialisation, l’effondrement des frontières, les transports, et surtout l’avènement technologique. Ce phénomène est le symptôme d’un monde en crise, sacrifié au profit d’un modèle économique et politique faisant fi des droits de l’homme et de sa santé au nom du progrès et du court terme.

Nous avons évoqué dans ce mémoire la naissance avérée

de maladies diverses liées au culte de la vitesse et de la pression sociale générée par le travail, ce que l’on peut appeler des syndromes d’épuisement professionnel. Le burn-out, rappelons-le, est de plus en plus reconnu comme étant l’un des premiers facteurs de dépression professionnelle et peut mener à des dépressions nerveuses. Cette maladie provoquée par la surtension, le stress et l’overdose de travail touche en majorité les chefs d’entreprises mais concerne également les employés sous pression, et même les étudiants. Mais elle n’est pas la seule sur le podium des maladies de la vitesse, on trouve aussi le bore-out, les karoshi (mort par surmenage), et les phénomènes d’isolement social (hikikomori) s’important petit à petit dans les pays occidentaux. C’est une épidémie, et elle se propage lentement, sans faire parler d’elle.

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Comment, en tant que designer, puis-je résoudre les phénomènes d’épuisement professionnel en m’appuyant sur les bonnes pratiques de paresse ?

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Avec la montée du capitalisme et les révolutions industrielles,

la productivité a été élevée au rang de déesse, maîtresse de tous les rythmes humains. Nous ne sommes plus jugés par notre personnalité, notre caractère ou nos capacités, mais par notre utilité sociale, notre propension à produire. Cette production était tout d’abord matérielle, et les humains essayaient de rivaliser avec des machines toujours plus performantes. Aujourd’hui elle est devenue immatérielle et une majorité des professions non libérales utilisant les outils informatiques sont réduits à du traitement de données ou à de la production numérique. L’Homme était une machine sans âme, suite à la désindustrialisation il est devenu un robot.

Cependant, l’Homme est une enveloppe vivante composée

de multiples constituants. L’esprit et la conscience, sont directement influencés par un contexte psychologique créé par la société, le travail, les collègues, la famille, les amis. On en sait déjà beaucoup sur la psychologie humaine, mais des chercheurs commençant tout juste à percer le secret du corps humain ont saisit une vérité cruciale : l’Homme est constitué d’une horlogerie physiologique complexe et multiple. Cette horlogerie est de plus en plus malmenée par notre culte de la productivité et de la vitesse. Ces facteurs ont également une incidence directe sur notre environnement, sur notre planète rendue malade par nos actions. Il est aujourd’hui déterminant de retrouver un rythme et un équilibre, sans quoi, nous courrons à notre propre épuisement, et à celui de notre environnement.

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Comment, en tant que designer, puis-je rapprocher l’Homme, en pleine accélération, d’un rythme plus naturel et d’une véritable forme d’Équilibre avec son environnement ?

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La caractéristique de l’humain de ce début de XXIème siècle

est son hyper-connectivité. Avec l’explosion d’internet, des milliards d’humains se sont retrouvés connectés les uns aux autres. Cette interconnectivité a été exacerbée tout d’abord par l’arrivée de logiciels de chat et de forums, puis par l’arrivée et la consécration des réseaux sociaux. Les téléphones portables ayant déjà créés une forme d’addiction chez l’humain, le smartphone, rassemblant téléphonie, messagerie et internet, a littéralement créé un assujettissement sur tout un groupe générationnel. Connectés 24/24h, nous sommes tout le temps disponibles pour nos relations et surtout notre travail, nous obligeant à toujours être réactifs, éveillés, productifs et à nous enfermer petit-à-petit dans un cercle vicieux d’hyper-activité. Le smartphone et autres wearables sont devenus des extensions de notre cerveau, certains ont même arrêté de réfléchir plus de quelques secondes à des questions dont ils connaissaient la réponse et préfèrent regarder directement sur leur écran.

Dans une société où des maladies comme la nomophobie

(No Mobile Phone Phobia), l’électro-sensibilité ou la réduction de la fertilité masculine liée aux ondes electro-magnétiques dégagées par nos smartphones, il est temps de faire une pause. Les générations Z et Y sont déjà hyper-connectées, qu’en sera-t-il de la génération Alpha ? On parle déjà de screenagers et d’augmentation des chiffres de l’obésité liée à la sédentarisation, mais comment leur donner une chance de s’ouvrir au monde d’une autre manière qu’en utilisant une paire d’Occulus Rift ?

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Comment, en tant que designer, puis-je accorder une pause numérique à la société dans un monde d’hyper-connectivité et d’hyper-activité ?

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REMERCIEMENTS

Écrire un mémoire est une tâche difficile, surtout lorsque

celui-ci concerne la valorisation d’un comportement négatif. C’est un travail rigoureux car très facilement ouvert à la critique : il était donc primordial d’emmagasiner un maximum de connaissances et de justifier chaque argument. Ce mémoire sur la paresse n’a d’ailleurs absolument pas été fait de manière paresseuse, la pression d’en faire quelque chose de crédible y a contribué. Enfin, il était très agréable de découvrir que nombreux étaient les auteurs à partager mon point de vue. Ce travail est une chance inouïe d’apprendre et de combler nos lacunes culturelles.

Sans un certain nombre de personnes et leur contribution, je

n’aurais jamais été jusque là.

Je commencerai par Gildas Le Moigne, qui par la pertinence

de ses conseils, son accompagnement pédagogique, son exigence, son intérêt pour ma « cause », m’a permis de me poser les bonnes questions et me diriger dans les bonnes directions. Sa présence tout au long de ce travail était primordiale et l’interaction que nous avons eu était toujours plaisante.

Je tiens à remercier tous les étudiants avec qui j’ai pu interagir

durant ce travail, en particulier, Nicolas Journo, ami et colocataire, qui m’a suivi tout au long de mes recherches et de ma rédaction, m’a apporté conseils et m’a toujours poussé à m’interroger sur la justesse

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de mes propos. Nos échanges sur nos mémoires respectifs étaient enrichissants et nous ont mutuellement permis de prendre du recul.

Merci à Dominique Sciamma pour m’avoir beaucoup aidé à

ouvrir mon champ de recherche, une partie de l’axe de réflexion de mon mémoire découle de l’entretien qu’il m’a accordé.

Merci à Damien Legois pour sa positivité, son entrain et ses

conseils, les suivis avec lui ont toujours été intéressants et fructueux.

Je remercie également Alison Horne, ma copine. Tout d’abord

pour l’intérêt qu’elle a porté pour mon mémoire, pour m’avoir encouragé, soutenu, mais surtout pour m’avoir aidé à la relecture, la correction orthographie et syntaxique du document : étape indispensable à son élaboration.

Merci à Quentin Lemaire pour m’avoir envoyé son rapport de

stage chez BT Coworking, j’ai pu rencontrer Pierre Moniz-Barreto grâce à lui.

Je remercie d’ailleurs ce dernier, pour le temps qu’il m’a

accordé, pour sa sympathie et pour l’intelligence de ses propos, notre entretien était extrêmement enrichissant et j’espère avoir l’occasion de croiser à nouveau son chemin dans le futur.

137

Merci à Jean-Yves Prax pour l’entretien qu’il m’a accordé, mais

aussi pour nos diverses conversations qui m’ont aidées à réajuster certains axes de réflexion. Notre discussion était essentielle et m’a permis d’apprendre beaucoup sur le monde du management et de l’entreprise.

Enfin, je tiens à remercier Sophie Level et Isabelle Cossin, qui

ont toutes deux fait un travail formidable en nous aidant à effectuer toute la réflexion et l’élaboration de nos questions initiales.

Toutes ces personnes m’ont porté du début à la fin de ce travail

et c’est à elles que je dois son accomplissement.

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ANNEXES ENTRETIEN AVEC PIERRE BARRETO, AUTEUR DE SLOW BUSINESS – « RALENTIR AU TRAVAIL ET EN FINIR AVEC LE TEMPS TOXIQUE »

En gras : Jérôme En regular : Pierre

Fig41 : Pierre M.-Barreto

« Bonjour Pierre, vous êtes l’auteur du livre Slow Business, Ralentir au travail et en finir avec le temps toxique et actuellement directeur de la restauration d’une abbaye du XIe siècle en domaine hôtelier à vocation culturelle et spirituelle. » « Je commencerais donc cet entretien en vous résumant la réflexion effectuée dans ce mémoire, nous essaierons ensuite de la faire entrer en corrélation avec votre ouvrage auquel nous allons particulièrement nous intéresser. » Lors du résumé de mon mémoire, j’ai évoqué la critique des moines par la société, caractérisés à cette époque, d’après André Rauch, de paresseux. Pierre, ayant fait ses études à la Faculté Jésuite de Paris et ayant une très grande connaissance du sujet a réagit afin de nuancer cette affirmation.

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« Les moines se sont toujours distingués au sein de l’église

comme ayant leur propre activité manuelle. Il y avait leur activité intellectuelle et spirituelle. Bien sûr, le travail au champs était souvent délégué. Mais ils ont fonctionnés d’une façon différente de ce qu’on appelle l’église séculière. Donc il faut faire une distinction entre l’église séculière et l’église régulière. »

« Dans l’église, il y a deux grandes branches. L’église séculière,

celle qu’on connait le plus, est pyramidale : les paroisses en bas, et à la tête, des évêchés. Eux, ont toujours fonctionné à l’aumône, ont toujours dépendu de la société, et des dons. Dans l’église régulière, c’est à dire, tous les ordres religieux qui fonctionnent selon des règles (règles de Saint Benoit pour les Bénédictins par exemple), il y avait une conception du travail beaucoup plus enracinée dans le concret, il trouvait sa place, et on ne se satisfaisait pas de l’aumône et de la dépendance. »

« Les moines, surtout lorsqu’ils ont maillé le territoire français,

mais aussi européen, avec les monastères, étaient des entrepreneurs.

On les retrouve dans des activités agricoles, mais on les retrouve aussi dans des activités artisanales et même dans des activités minières. »

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« Donc ces activités s’exercent au sein de la société et non pas juste au sein des monastères ? Car André Rauch précisait bien que les moines ne participaient aucunement à l’économie. »

« « Au sein des monastère » ne veut rien dire, ils fonctionnent à

deux niveaux. Il y a ce qu’il se passe à l’intérieur de la clôture, ça c’est le travail des moines avec les temps de prière, etc… Et ce qu’il se passe à l’extérieur, en lien avec le reste de la société, là où le travail manuel se faisait, souvent sous la surveillance des moines qui s’impliquaient directement. Cela a amené certains universitaires à dire que d’une façon, les moines ont contribué à l’émergence du capitalisme. Ce sont des recherches relativement récentes qui ont été faites sur le sujet. Et donc l’Acédie monastique était plus considérée comme la maladie du moine. »

« L’affirmation selon laquelle les moines étaient des paresseux

ne participant pas à l’économie était plus vraie concernant l’église séculière : les prêtres de paroisse étaient eux, largement considérés comme des paresseux et comme des dépendants, beaucoup plus que les moines. Une nuance à apporter. » Je termine ensuite le résumé de mon mémoire et propose à Pierre mes problématiques de design. Nous nous intéressons ensuite à son livre.

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« Dans votre partie sur le biomimétisme et la chronobiologie, j’ai beaucoup aimé l’analogie sur le hibou et l’alouette : le fait d’avoir son propre rythme et le fait que les deux puissent être complémentaires.

Cela reste la version d’un autre auteur. Est-ce que vous avez un avis propre sur la question ? »

« On a découvert que l’être humain est habité par toutes sortes

d’horloges internes, du point de vue physiologique. Le professeur dont je parle, Jan Dijk, chercheur en génétique à l’université de Surrey, (Angleterre) a mis en évidence que le gène PER3 déterminait notre profil chronobiologique, dans les grandes masses. Les hiboux « lève tard couche tard », les alouettes « lève tôt couche tôt ». Une simple observation de bon sens autour de nous permet de confirmer cela.

Moi je suis un hibou, je le sais. Ma femme est une alouette, c’est clair, elle performe le matin, moi je suis à mon top à 18 heures. »

« La question que pose ce concept, c’est son intégration dans

le monde professionnel, dans les entreprises. Soit on est son propre patron, entrepreneur. On est beaucoup plus libre de structurer son temps de travail comme on le souhaite, et surtout en accord avec son propre profil chronobiologique, même si on reste contraint par un tas de facteurs objectifs : des deadlines, des requêtes client, des rendus qui sont dus à ses associés, mais on est globalement beaucoup plus libre. Qu’en est-il pour les salariés ?

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« Vous en parlez dans le cas de la TPE française CIV »

« CIV, dont le patron Serge Cousin est fan de chronobiologie

et participe en bêta test aux recherches avec l’INRS sur ce sujet. Il a décidé d’étaler l’heure d’arrivée de ses collaborateurs entre 7h30 et 9h30. S’ils ont envie d’arriver tôt et de partir tôt, ou inversement, tout le monde s’y retrouve. » « Ne serait-il pas, dans ce cas, intéressant de coupler chronobiologie avec spiritualité ou de la philosophie, notamment bouddhiste avec les chakras, la méditation : mieux connaitre son corps ? »

« La méditation de pleine conscience fait son irruption dans

le monde de l’entreprise, on en entend parler, y compris dans les grandes entreprises qui sont les plus résistantes à ces évolutions là.

Il y a quand même une force d’inertie encore assez importante venant des habitudes prises au XXeme siècle. Les grands responsables, les DRH, les directions générales dans les grandes entreprises ont du mal, même si elles écoutent avec attention et bienveillance, à réellement prendre en compte, et à mettre en place des mécanismes plus souples, plus ouverts, plus flexibles. Mais là aussi, ça progresse.

Le flexytime, le télétravail… »

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« Le format ROWE » « Le format ROWE, qui déscolarise les modalités de collaboration. » « On voit aussi, par exemple, du côté de Google, Facebook, l’emergence de lieux et espaces de repos. J’ai lu dans Jugaad que les employers de Google passent 70% de leur temps à des activités commerciales, 20% à des projets connexes, et 10% à des projets personnels. »

« Exact, et du coup, plusieurs entreprises ont été amenées à

repenser leur rapport à l’espace. Toutes ces problématiques sont liées au rapport au temps, mais elles sont aussi liées au rapport à l’espace.

On voit qu’il y a des innovations où on repense l’espace pour que la façon d’habiter les espaces de travail correspondent avec de nouvelles façons d’habiter le temps. Effectivement, certaines entreprises n’hésitent pas à accorder des « espaces-temps » décalés, alternatifs, qui permettent aux collaborateurs de travailler beaucoup plus en roue libre avec accès à des « espaces-temps » plus déconnectés ou plus contemplatifs ou plus calmes dans le but de favoriser le travail créatif, l’innovation. Ce que les américains appellent le « Break through » (percée créative) dont on sait bien qu’elle surgit souvent dans les circonstances les plus alternatives. »

144

« Ayant pratiqué la méditation, il est vrai que cela permet de vraiment prendre du recul, de sortir du phénomène de tête dans le guidon et de se rendre compte que bien souvent, la solution qu’on cherche est là. On peut mettre cela en opposition avec l’analogie que je fais de la « charrette » quand je parle de procrastination créative. Je parle notamment des événements tels que les Weekends Challenge avec la WSF, HETIC et PSB où les phénomènes de charrette sont provoqués artificiellement pour stimuler la créativité. Et c’est exactement ce que vous décrivez lorsque vous parlez de temps lent et de temps rapide.

Avec le recul, l’analyse et la conceptualisation (les premières 24h) constituent le temps lent, tandis que la production des dernières 12h relèvent du temps rapide. »

« C’est ce que l’entrepreneur à succès Frederik Arnander a

étudié : l’importance du temps lent, du temps de préparation, du temps de mise au point, du temps de la stratégie, du temps de la vision, mais pas comme fin en soi, mais comme moyen de pouvoir être performant au moment du temps rapide, qui lui reste une donnée objective dans le monde du travail. La lenteur comme facteur d’apprentissage de la rapidité. Ça semble valable au point de vue individuel, mais ça fonctionne aussi du point de vue collectif, puisque lui a scanné l’histoire d’entreprises à forte croissance rapide et s’est rendu compte que pour ces entreprises, lorsqu’elles décollaient, c’était très très vite. Avant, il y a toujours eu un temps long, voir très long, de plusieurs années voir de plusieurs décennies, où on tâtonne, on prépare, on expérimente, on

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réfléchit de façon collective, on absorbe des informations du marché, etc. Les deux doivent cohabiter. C’est pour ça qu’en effet, la paresse, la contemplation, le temps lent ont leur place, mais ils n’ont pas leur place comme une fin en soi mais comme un moyen. C’est l’équilibre entre ces deux dimensions qu’il est important d’atteindre tant du point de vue individuel que collectif. » « J’irai jusqu’à rassembler toutes ces notions dans la celle de Tempo Giusto. Il s’agit vraiment de l’équilibre, le bon tempo. »

« C’est la maîtrise des rythmes. Je travaille beaucoup sur

les évolutions du management, je suis beaucoup sollicité. J’ai donné une interview officiellement par l’Anact, l’Agence Nationale de l’Amélioration des Conditions de Travail, sous tutelle directe du ministère du Travail. Ils mènent une étude où ils auditionnent toute une brochette de spécialistes et d’experts et vont produire un rapport fin 2016 sur le management de demain. Ils voulaient intégrer la dimension du rapport au temps dans leur étude. On est en plein virage, en pleine évolution sur toutes ces questions. » « Surtout quand on voit tous les problèmes à régler, les karoshis, les hikikomoris (j’explique ce que c’est à Pierre). »

« Les japonais sont vraiment dans l’excès. C’est symptomatique

d’un phénomène qui nous arrive à nous de manière moins tranchée,

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de décalage entre les aspirations des nouvelles générations, vers de meilleurs équilibres, la possibilité de joindre bien-être et performance et l’inertie dont je parlais, la force de résistance des générations d’avant (baby boomers et autres) qui campent encore sur des façons de travailler qui sont à revoir. » « Sachant qu’ils ont vécu leur révolution industrielle plus tard que les pays occidentaux, ils ont dû faire face à un phénomène d’accélération encore plus exponentiel que le notre pour arriver à la place qu’il occupe aujourd’hui. Ces symptômes sont vraiment exacerbés par toutes ces circonstances. »

« On vit une situation passionnante, mais paradoxale avec

beaucoup de tiraillements, beaucoup de tensions, parfois des situations de porte-à-faux entre ses convictions personnelles et les valeurs traditionnelles véhiculées par certaines entreprises. Mais pour moi c’est clair, le mouvement (slow) est lancé. J’en parlais avec Pierre Moorkens, le président fondateur de Neurocognitivisme, un ancien grand patron d’industrie qui après avoir vendu sa boîte est devenu mécène de programmes de recherche sur ce terrain là et il a créé l’institut de neurocognitivisme. Il vend des modules de formation, de sensibilisation auprès des entreprises et constate que ça marche de mieux en mieux. Il y a de plus en plus d’interrogation de la part des grands dirigeants et managers sur ces questions là. Il essaye d’y répondre en leur expliquant que notre cerveau est fait d’une telle façon

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(on retrouve la chronobiologie) qu’on est câblé pour être, à certains moments, dans l’imagination pure, dans le mode pré-frontal. »

« Le cerveau a besoin d’équilibre, et il est structuré de façon

interne entre des zones corticales qui fonctionnent de manières différentes et qui s’équilibrent entre elles. On retrouve dans cette structure et dans son mode de fonctionnement global ces notions d’équilibre entre des modes de connexion neurologiques hyper rapides et des moments où d’autres zones du cerveau prennent le relai, par exemple lorsqu’on dort ou, sans aller jusque là, pour rejoindre votre sujet, dans les moments d’hypnagogie, c’est à dire les moments intermédiaires entre la pleine activité et le plein sommeil, lorsqu’on s’endort ou lorsqu’on se réveille, qui sont des moments privilégiés pour la créativité et l’innovation. On a une capacité à capter des informations d’une façon nouvelle. Il faut y apporter une grande importance. Les meilleures intuitions, les plus grands breakthrough viennent de là. »

« Il y a même une technique de méditation dont on parle peu

parce qu’on parle beaucoup de méditation en pleine conscience. Le lying c’est de la méditation allongée. »

« L’hypnose est assez importante, elle peut permettre de

débloquer des accès à des zones de créativité qui sont soit bloquées soit endormies et dans le processus créatif pour des designers ça me

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parait assez important. Donc le terrain des sciences neurocognitives me parait devoir prendre de plus en plus de place auprès de professions comme designer ou graphiste. Des professions créatives. Et c’est lié au rapport à l’espace et au temps puisque tout notre rapport à ces notions est déterminé par les grands modes de fonctionnement de notre cerveau. Il faut qu’on devienne de plus en plus conscients, de plus en plus formés à ces sciences là pour pouvoir à la fois être de plus en plus performants et équilibrés. » « C’est vers là que je veux tendre : créer une expérience autour d’une pause où l’on peut réellement se remettre en symbiose avec notre corps et notre cerveau. »

« J’en discutais avec deux femmes qui sont promotrices de

la Fabrique à Bonheur et qui enseignent la pédagogie positive. La clé c’est la confiance qu’on accorde à quelqu’un lorsqu’on lui demande un résultat, fixe une mission, la confiance est un facteur libérateur d’énergie et de ressources. Si la confiance n’est pas accordée / vécue, on continuera de fonctionner dans des modes de contrainte.

Ils peuvent avoir leur intérêt dans certaines circonstances. Pierre Moorkens disait qu’il vaut mieux être en mode cerveau reptilien (basique) et dans la contrainte, le respect et la vigilance lorsqu’on est face à un feu rouge. »

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« Et c’est sur la confiance que se base le travail au résultat (et plus à l’horaire). Et c’est ce que je trouve très intéressant par rapport à la vision de Bernard Stiegler qui de façon assez radicale, parle d’un modèle fonctionnant sur la base des intermittents du spectacle. »

« C’est radical, mais juste. On va vers ça. Quand on voit le

bouillonnement actuel dans le milieu des startups, des entrepreneurs, de la création, c’est symptomatique de cette tendance. Elle me parait suffisamment forte et lourde pour ne pas se dissoudre demain. » « D’ailleurs en tant que membre de la génération qui pousse ce changement, et l’ayant étudié, je me rends compte petit à petit que le CDI est devenu complètement dépassé puisqu’on cherche à vivre un maximum d’expérience. On essaye de trouver un équilibre entre expérience et stabilité financière. »

« Là où il faut remettre les pieds sur terre c’est que l’une des

principales contraintes, aujourd’hui, en France, à la libération de tous les phénomènes dont on vient de parler, c’est le droit du travail. Et on sait que c’est un sujet puisque le ministre actuel, en a fait un chantier prioritaire. Beaucoup d’entrepreneurs (non compris par les syndicats) affirment que leur principale contrainte est le CDI. Et vous me dites que ce format peut poser problème aussi puisque vous voulez vivre un maximum d’expérience.

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« Au final ce n’est peut-être pas le CDI qui pose un problème, mais le CDD dans son format actuel. Vu la reconductibilité et le temps limité offert, c’est là dessus qu’il faut travailler ou alors complètement réinventer le statut du travail. »

« Donc on a le droit du travail, les résistances syndicales, qui

sont aussi importantes que les résistances patronales, pour d’autres raisons. On a les résistances financières, puisqu’aujourd’hui, si vous voulez devenir propriétaire, faire un emprunt pour acheter une voiture, si vous n’avez pas de CDI, il n’y a plus grand monde dans la banque pour vous offrir ce que vous voulez. Il y a une frilosité bancaire qui est bloquée dans un mode de fonctionnement traditionnel hérité du XXème. » « Tout comme la plupart des modes de fonctionnements français aujourd’hui d’ailleurs. »

« Tout à fait. Il faut dire qu’aujourd’hui, en France, on est dans

l’un des pays qui offre le plus de barrières à ces évolutions. Pour autant, je crois que le mouvement de fond est suffisamment important pour qu’il se poursuive et se développe. Comme d’habitude, ça partira de la population et le système suivra, ou il cassera. Le système s’ouvre actuellement un peu, il y a des perspectives d’évolution, ça bouge dans le bon sens, on ne peut pas dire le contraire. Mais il faut être lucide, ça prendra du temps. »

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« Mais aujourd’hui, pour employer une expression connue, le système fait deux pas en arrière à chaque pas en avant… » « C’est pour ça que le mot paresse est intéressant dans votre mémoire, mais il est piégé parce que si vous rencontrez demain un vieux baron du système, c’est fini. Heureusement pour vous, il y a beaucoup de personnes qui sont ouvertes d’esprit. D’ailleurs on voit un appauvrissement dans les vieilles baronnies. Par exemple, dans les banques traditionnelles, il y a un appauvrissement dans la qualité des collaborateurs et elles ne parviennent pas à retenir les talents, les créatifs parce qu’elles ne possèdent pas l’ouverture d’esprit nécessaire au changement radical qui s’impose à elles. »

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ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES PRAX, PRÉSIDENT DE POLIA CONSULTING, ENTREPRISE SPÉCIALISÉE DANS LE MANAGEMENT DE LA CONNAISSANCE ET DE L’INNOVATION

En gras : Jérôme En regular : Jean-Yves

Fig42 : Jean-Yves Prax

« Bonjour Jean-Yves. Depuis 1993, tu fais partie des pionniers français en Knowledge Management. Tu as introduit cette approche dans des dizaines de grandes entreprises françaises et internationales. Tu as également joué un rôle important dans l’entrée de la France dans la Société de l’information et le management des nouveaux territoires, et tu es intervenu dans la modernisation de l’appareil territorial de l’Etat, et sur le développement durable de plusieurs pays en développement. » « Je commencerais donc cet entretien en te résumant la réflexion effectuée dans ce mémoire, nous essaierons ensuite de la faire entrer en corrélation avec le discours que tu as donné à la cinquième conférence du GESCO à Montréal L’Homme, premier facteur de différenciation et d’innovation à laquelle nous allons nous intéresser. J’ai recoupé ta réflexion avec La

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fin du travail de Jeremy Rifkin, L’emploi est mort, vive le travail ! de Bernard Stiegler et Slow Business de Pierre Moniz-Barreto.» « Dans ton article, on voit une tendance nette de chute au niveau de l’emploi, notamment à cause du reengeniring de masse qui touche toutes les entreprises, industrielles comme de service.

Cela signe la fin de l’emploi prolétaire au profit d’un nouveau modèle mettant en valeur la connaissance et l’expertise sous la bannière des « intermittents du travail ». Quel serait selon toi le nouveau modèle entrepreneurial qui pourrait émerger dans un monde composé uniquement de consultants ? »

« Tout à fait (pour mon affirmation), il y a un exemple qui

fonctionne et qui nous donne le model, c’est justement le monde du spectacle. Parce qu’aujourd’hui et depuis longtemps, tu vois qu’une production cinématographique, qui est un regroupement précaire extrêmement professionnel financé à hauteur de plusieurs millions d’euros, est quelque chose qui est capable de se monter avec une équipe choisie, avec des castings, à la fois du côté des techniciens, scénaristes, metteurs en scène, acteurs. Toute l’équipe se compose de manière ad hoc en fonction des besoins, travaille ensemble sur un plateau projet, délivre et ensuite ils se séparent. Chacun se retrouve légitimement propriétaire de son actif, de son asset de compétences, qui se retrouve augmenté par la contribution qu’il vient de faire.

Chacun va donc augmenter son ranking ou sa réputation, et son faire-

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valoir auprès d’autres par le fait qu’il vient de participer à ce projet.

Aujourd’hui, ce dont je viens de parler, ce n’est pas un petit truc marginal, c’est une industrie tout à fait mâture qui fonctionne pour le meilleur et pour le pire. Je me fais uniquement analyste, j’essaye de diagnostiquer un phénomène qui est en route, je ne suis pas dans la préconisation : car ce statut est porteur d’exclusion ! C’est un statut instable, les intermittents du spectacle seraient les premiers à le dire ; c’est un statut élitiste. Mais pourquoi est-il si instable et élitiste, c’est parce que pour l’instant, il n’est réservé qu’à une minuscule frange de la société du travail : tous les autres occupant des emplois à vie sur lesquels ils sont assis et bien campés, pas prêts à lâcher.

Ça pourrait marcher sans provoquer trop d’exclusion et de

marginalisation à partir du moment où ce serait l’ensemble du monde de l’emploi qui serait fluide. C’est la protection du travail est l’origine du manque de fluidité : le CDI, protégé par les syndicats, par le droit du travail. Ce sont des barrières qui protègent celui qui travaille mais qui empêchent toute fluidité. On observe quand même que les crises économiques ne sont pas la cause du chômage, mais le résultat d’un phénomène de quaternarisation qui est à beaucoup plus grande échelle. C’est un effet de bord qui est normal.

La raison pour laquelle j’ai écrit cet article c’est parce qu’il y a

10 ans, ce genre de statut de « knowledge workers » était considéré comme réservé à une élite de sportifs, top models, artistes, acteurs etc. et professions libérales (architectes, designers, avocats), ce qui était vrai. Ce qui m’a frappé au cours des 10 dernières années c’est

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de rencontrer des entreprises industrielles pour lesquelles, dans leur cœur-métier – par exemple une multinationale qui exploite des forages gaziers en mer du nord (gisements offshore, industrie lourde et très technique) – et dont le staff n’est composé que de douze personnes dont 10 en back office. Tous les métiers au cœur de leurs projets d’exploitation gazière qui sont des géologues, des géophysiciens et gisements sont des consultants qui se vendent, comme des artistes. »

« Est-ce que ce fonctionnement ne leur apporte pas une instabilité ? » « Pas à eux, parce que ce sont des élites extrêmement reconnus. C’est comme pour mon métier, je pourrais craindre que, quand je termine une mission, je risque de ne pas en démarrer une autre : ça fait 21 ans que j’ai toujours des nouveaux projets. Donc pour l’instant il s’agit encore d’un système élitiste. Mais ce que je trouve frappant, c’est de voir que ce système commence à émerger dans des métiers extrêmement traditionnels. J’ai travaillé il n’y a pas longtemps pour une grande banque française : la moitié des personnes qui contribuent au métier de la finance, -le cœur de métier de la banque, sont des commissaires au compte et experts comptable qui font partie de cabinets externes.

Chez l’une des plus grosses entreprise d’électronique, notamment militaire en France, le Directeur des Systèmes d’Information était un consultant ! Et les exemples sont de plus en plus nombreux.»

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« Et comment vois-tu la montée des Start-ups que des entreprises comme Accenture (société de conseil) considèrent comme presque « dangereuse » ? Est-ce qu’elles ne font pas une forme de concurrence déloyale en proposant les mêmes services à moindre coût ? »

« « Au contraire ! On retombe dans le système Darwinien avec

les dinosaures et les mammifères ! Le plus petit est le mieux adapté à son environnement. Si la startup est mauvaise et qu’elle fait du mauvais boulot, elle ne survivra pas, ça c’est clair. Par contre si elle fait du bon boulot, pourquoi elle va récupérer pleins de parts de marché à Accenture et des gros bataillons comme ça, c’est parce qu’elle a très peu de frais de structure, elle est capable de ne pas « manger » pendant 3 mois comme le petit mammifère, pendant que l’autre s’effondre. On rentre dans le détail, mais dans le modèle économique des très grandes Sociétés de Conseil, des missions à moins d’un million d’euros… ils ne savent pas faire. Alors que la petite startup va prendre des missions à 30 000 euros et ça ira bien pour elle. C’est normal que les « gros » s’inquiètent, c’est parce qu’ils sont en voie d’inadaptation progressive. Ils ont bien sûr les armes pour se défendre, mais ils vont petit à petit se faire grignoter des parts de marché par les plus petites. Tout ce phénomène en terme entrepreneurial porte le nom assez à la mode d’« agilité » : c’est la rapidité, l’anticipation, la flexibilité, la capacité à se placer sur des niches nouvelles et très porteuses d’opportunités, à faire des virages stratégiques puisqu’ils

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peuvent changer de positionnement en l’espace de quelques mois là où les grosses boîtes regardent passer les changements ou bien mettent des années à s’y adapter. En prenant la métaphore du surfeur, il y a plein de fausses vagues, jusqu’à ce que la grosse arrive et que les meilleurs surfeurs se jettent dessus : c’est la même chose pour les startups. »

« Quand tu parles des deux difficultés majeures lors du décollage des ventes (la courbe en S), tu parles du fait que le « timing » n’est jamais contrôlé. Que penses-tu du nouveau format promu notamment par Pierre Barreto dans Slow Business, lorsqu’il parle de maîtriser les temps lents (donc de ne pas négliger la préparation d’un projet) pour être prêt et réactif lorsque le temps rapide arrive (le décollage exponentiel) »

« Je suis d’accord, et la métaphore est très jolie. J’ai fini par

dire que créer une entreprise, c’est créer un momentum : au début tu donnes un objet à ton entreprise, tu fais un business plan avec pleins de chiffres, enfin tout ça c’est pour rassurer ton banquer, ta conscience et tes parents. Et honnêtement, on s’en fiche. C’est indispensable pour créer le momentum, c’est la mise en action, le gain d’expérience, la préparation à la « grosse vague ». Une histoire intéressante pour illustrer cela est celle de l’entreprise japonaise Totsuken. Les trois fondateurs ont créé un auto-cuiseur pour riz qui a été un flop total.

Ensuite ils ont brainstormé pendant 3 ans pour savoir quoi faire, parce

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qu’ils avaient créé l’entreprise dans le but de travailler ensemble mais ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils allaient y faire. Ils voulaient changer le monde. L’un d’eux est partit aux Etats-Unis, il y a fait une rencontre, et est revenu avec une idée sur lequel ils ont fini par se positionner : faire des magnétophones. Ensuite, ils ont rebaptisé leur entreprise Sony… On connaît la suite. J’adore ce genre d’histoire où les dirigeants d’une entreprise savent qu’ils veulent faire quelque chose de très ambitieux, ensemble, mais ils n’ont aucune idée de ce par quoi ils vont commencer. Mais au moins ils ont l’honnêteté de le dire. C’est une façon de représenter ce que tu me dis lorsque tu parles de temps long et de temps rapide, il faut se préparer pour que le jour où ça arrive, on prenne la vague sans perdre le contrôle. »

« Que penses-tu du format ROWE (Result Only Work Environment) qui promeut une version plus stable du consulting (qui reste lié aux nombre de mission/an) ? »

« Quelque chose est à corriger. J’oppose le monde de

l’emploi fixe, du salarié fixe au monde du consulting dans le sens ou le consultant vend sur honoraire. Tu introduis une nouvelle notion qui est le « résultat », or la première réaction du consultant, c’est de dire qu’il a un engagement de moyen et non pas un engagement de résultat. La production de résultat dans une entreprise est le résultat de facteurs. Le consultant n’aura travaillé que sur un de ces facteurs : d’autres facteurs seront exogènes à sa contribution. Lors d’une

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mission, si tous les facteurs sont mauvais, même si la mission est une réussite, le résultat final sera mauvais. Le consultant ne peut être tenu responsable d’un résultat tant qu’il n’a pas la maitrise de l’ensemble des facteurs qui y contribuent. Pour ça, il faut se référer à un modèle EFQM (European Foundation for Quality Management)

Fig43 : Modèle EFQM

Dans le knowledge management par exemple, si quelqu’un

me demande quel est le retour sur investissement du knowledge management, je vais répondre que je ne peux pas répondre parce qu’une boutade dit « si vous opposez une personne compétente à une mauvaise organisation, le résultat sera mauvais à tous les coups » donc j’aurais fait du bon travail sur le KM, mais comme votre process est mauvais, votre retour sur investissement sera nul. Je ne peux pas être tenu responsable d’un résultat dont je ne maitrise pas l’ensemble des facteurs (qui peuvent même être extérieur à l’organisation, comme la fluctuation de la force des monnaies, et donc incontrôlables). Tu

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payes un docteur pour son conseil, pas pour qu’il te guérisse. Donc il y a deux choses différentes : • SALARIÉ vs CONSULTANT • ENGAGEMENT DE RÉSULTAT vs ENGAGEMENT DE MOYEN

Je vends donc un nombre de jours, des livrables (en terme de

préconisations) etc, pas un résultat.

Si je prends l’exemple de la banque mondiale et des grandes institutions, elles sont dans des logiques de moyens, elles distribuent de l’argent, mais sont incapables de dire quel est l’impact sur les populations, tout comme les ONG. On ne mesure pas le bonheur ! Du coup ils se réfugient sur des espèces d’engagements de moyens « cette année nous avons distribué 1700 béquilles. ». Ils font des tableaux, des rapports annuels mais il n’y aura jamais de véritable évaluation.

C’est ce sur quoi je travaille tous les jours : ce serait quand-même bien qu’un jour on puisse mesurer l’impact réel de ce que l’on fait et pas seulement les moyens qu’on a mis en œuvre.

Le terme de résultat est vraiment un terme difficile à employer dans la mesure où il dépendra toujours d’une combinatoire de facteur. »

J’en prends bonne note. Changeons un peu de sujet. Tu parles de génération Y, que penses-tu de l’affirmation selon laquelle 1/2 des jeunes de la génération alpha auront un diplôme universitaire ? Y aura-t-il suffisamment de place dans le marché du travail pour eux si on prend en compte la montée du chômage liée à ce que tu appelles la « quaternarisation » ? »

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« Je répondrais oui à la première question puisque j’observe

factuellement ce que tu dis, c’est une tendance normale dans des pays très développés. Plus on va vers du développement (Suisse, Suèdes) plus ce phénomène est important. C’est l’ascenseur social.

Toute personne qui est arrivée comme ouvrier, par exemple il y a deux générations, n’a eu de cesse de mettre de côté de l’argent et de se saigner pour que son enfant puisse d’abord passer son bac, et que le petit fils puisse aller à l’université. Lorsque la croissance chinoise a explosé, ce qui a fait peur à tout le monde, c’était un pays avec une main d’œuvre très abondante, à très très bas coût, non qualifiée. Ceux qui ont profité du premier boom ont bossé comme des malades dans le but que leurs enfants puissent aller à l’université. Celui-ci, au bout de 25 ans, a quitté son village industriel, puisqu’il est à l’université. Ce phénomène va durer peut-être plus longtemps puisque le « réservoir » de main d’œuvre est énorme. Mais forcément, toute personne aspire à ce que son enfant fasse des études.

Pour la seconde question, le risque est évident. On est dans une

société qui s’est déruralisé, déprolétarisé, désindustrialisé et qui est en train de se dé-« ingeneeriser » à cause des ERP et d’autres facteurs.

Les seuls emplois qui restent, correspondent à des personnes qui sont hyper-spécialisés, créatifs, décideurs. Il faudrait trouver toutes les qualités qu’une machine ne peut pas avoir à notre place pour les 50 prochaines années, et ça donnerait les qualités requises pour ne pas être remplacé par une celle-ci. Mais ça ne représente même pas 10% de tous les emplois dont nous parlons depuis le début.

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« Donc comme je le pensais, on aura la moitié des jeunes, ceux qui auront leur diplôme, qui arriveront dans un monde où il n’y a plus de place pour eux, encore moins qu’aujourd’hui » « Oui, en plus s’ils choisissent mal leur filière, ce sera encore pire ! »

« Est-ce qu’on ne va pas arriver vers des taux de chômage record ? »

« Bien sûr. Mais ce que je trouve aberrant, et ça va finir par péter

à un moment ou à un autre, c’est que pendant que ce phénomène est en train de se former, avec des vagues entières de générations Y, puis Z, puis Alpha qui vont arriver sur le marché, très performants, il restera encore le « gros Roger » de la CGT qui protège l’employé de la RATP qui bosse 19 heures par semaines et qui va faire des grèves d’une semaine parce que le taux horaire n’est pas le même entre le moment où il conduit son métro et le moment où il marche sur le quai du terminus pour aller de l’autre côté de sa rame. Bienvenue dans le monde de la protection de l’emploi. Tu opposes des jeunes surdiplômés, créatifs, motivés, à un monde de l’emploi complètement bétonné, où personne ne veut lâcher son CDI…Votre place dans le monde du travail il va falloir la récupérer à l’audace ! »

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« Justement, quand on voit que tout est en train de changer et que le modèle devient complètement obsolète, ne pensestu pas qu’à terme, la notion de travail rémunéré disparaitra totalement au profit d’une société participative et collaborative sur une base d’imposition négative ? »

« … C’est intéressant ce que tu me dis et tu me surprends.

Parce que tu m’aurais dit ça il y a 5-6 ans, je t’aurais regardé d’un air interloqué et je t’aurais dit d’arrêter de rêver, ou que tu étais utopiste.

Entre temps le crowdfounding m’a sérieusement ébranlé, notamment ce que j’ai vu dernièrement en terme de volume. Il y a 5 ans je t’aurais dit que c’était un petit truc, pour financer un voyage par exemple, du Facebook ++. Tout d’un coup je vois un entrepreneur se faire financer 500 000 euros de mise en production en crowdfounding… Je suis obligé de considérer que je commence à être has been par rapport à ça.

Donc tous ces phénomènes collectifs et participatifs, tu les

ramènes à un droit participatif à ne pas travailler ? Oui, je pense que c’est plausible, ça peut être un instrument de régulation intéressant dans tout ce dont on est en train de parler, parce que sinon, clairement, on fonce droit vers la crise. Si tu veux étayer ça, tu devrais aller questionner un intermittent du spectacle. Ce qui est intéressant, c’est leur système de cachet à chaque spectacle. C’est le même système.

Ils doivent faire un certain nombre de cachets par an et ils sont payés par un fond de mutualisation. Donc ils gagnent de l’argent via leur

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cachet, et leur cota atteint, ils peuvent toucher le fond : ils ont un revenu minimum garantit. Avec ce système, on ne peut avoir de profiteurs puisque pour toucher le fond, il faut générer du cachet. Ce système peut fonctionner au sein d’une corporation, mais pas à l’échelle d’une société. Parce que le problème avec tous ces systèmes, pour qu’il n’y ai pas de fraudes etc, c’est qu’il faut les administrer, les gérer. Au bout d’un moment, si tu payes plus de fonctionnaires à administrer le système que ce qu’il rapporte, il plante. Donc je pense pour qu’il faut le sectoriser pour le rendre facile à administrer, et créer sur une base de volontariat, une cotisation pour un fond commun. Sauf qu’aujourd’hui, 90% du monde de l’emploi est occupé par le système archaïque du CDI, le même qui existe depuis un demi siècle et qui n’a commencé à changer qu’en 1980. »

« On voit bien dans ta partie sur la bureaucratie cette tendance particulièrement française à refuser tout changement et tout manquement à la règle, penses-tu que ce modèle a une chance de changer lorsque les jeunes de la génération Y parviendront aux postes décisionnels les plus importants ? »

« Non, je pense qu’une fois que le monde de la normalisation

essaye d’imposer son poids, il créé chaos, l’envie de désobéir, l’innovation créative. En fait il est générateur. Le paradoxe, c’est que plus tu as de la rigueur dans une société remplie de règles, plus tu as des chances de créer des dissidents. »

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« Ce qu’on voit aujourd’hui avec la disruption industrielle, ou l’uberisation de l’industrie »

« Complètement, je trouve ça épatant. Toute énorme société

leader sur son marché doit d’abord être bien gérée parce que son objectif est d’assurer sa rente, puis se mettre un maximum de « barrières à l’entrée », c’est à dire la hauteur du seuil d’entrée concurrentielle sur son marché. Plus elle est énorme, plus elle va rehausser ce seuil. Les secteurs du nucléaire, pharmaceutique, ou bancaire, sont devenus, par exemple, totalement inaccessibles. La startup se dit qu’elle ne va pas aller se battre de front avec une entreprise leader, donc elle va essayer de trouver une niche où personne ne l’attend, quitte à être dissidente.

« Voir déloyale »

« La loyauté n’a jamais existé ! Le but est toujours de gagner.

Pour toute société bien en place, tous les autres seront forcément déloyaux : les leaders imposent la loi. En fait il faut inventer ses propres règles pour s’imposer et fonctionner. N’oublions pas l’artefact médiatique qui parle toujours de la petite startup qui a réussi, elle est érigée en model, mais c’est une sur 10 000, et on oublie complètement qu’il y en a 9 999 qui ont complètement échoué et dont on ne parlera jamais. Par exemple, la micro finance qui est née au Bangladesh est arrivée comme un OVNI, les banques regardaient ça comme une sorte

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d’intrus sans avenir, d’un air dédaigneux, du haut de leur grandeur.

Aujourd’hui le PNB de la micro-finance mondiale a dépassé la première banque mondiale. Maintenant toutes les banques créent des départements de micro-finance. C’est ça le jeu. Toutes les barrières sont infranchissables, tout est verrouillé à cause des « leaders » qui veulent contrôler le marché sur lequel ils exploitent une rente. L’autre exemple probant, c’est Banksy, que je considère comme un des symboles du street-art. Il y a quelques années, les graffeurs étaient des hors la loi. Aujourd’hui, certaines œuvres s’arrachent jusqu’à plusieurs millions d’euros. C’est ce que j’appelle dans mon article « passer de déviance en tendance ». Le jazz est né dans la rue, comme beaucoup d’autres innovations sociales.

« Ce qui me permet d’enchaîner sur la suite, et on finira là dessus.

Lorsque tu parles des qualités de l’homme « entrepreneur innovant », on retrouve beaucoup de ce que je décris chez un paresseux. Ce désintérêt notoire pour les choses dont il ne voit pas le sens, son exigence par rapport à lui même pouvant même le pousser à choisir de ne pas faire quelque chose s’il ne s’estime pas à la hauteur. On voit bien cette dualité entre la normalisation et l’expression de déviance. Que penses-tu de la place du paresseux en tant que personne déviante, donc innovante (en prenant en compte ce que je viens d’affirmer) »

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« Bien sûr qu’il est créatif et innovant puisqu’il cherche

par l’innovation, soit à se simplifier la vie, soit à se différencier des autres pour sortir de la normalisation. Ça peut être un facteur de marginalisation, mais il s’en fiche. C’est un homme seul, il n’est pas aimé. Je ne pense pas que le paresseux soit un homme très social : soit il réussi et il créé des jaloux, soit il est déviant, il créé des irrités, soit il est créatif, personne ne le suit. En plus comme tu le dis il est très exigeant vis-à-vis de lui même, donc il est encore plus exigeant vis-àvis des autres : il est invivable, mais il s’en fiche parce qu’il est mu par un moteur qui n’est pas l’acceptation sociale. Il peut être bienveillant et gentil, il peut être altruiste, mais il est attiré par les étoiles, il est dans son délire. Le regard des autres sur lui est important pour lui de temps en temps, mais fondamentalement, je pense que ça ne l’intéresse pas, que ce soit des critiques ou des éloges, ça ne le fera pas dévier de sa trajectoire, sa quête à lui. Cette quête est tellement intrinsèque à son comportement qu’il ne sait pas forcément ce qu’il cherche parfois.

Mais il le cherche, à son rythme.

Ce que j’ai toujours trouvé intéressant dans tous les textes

anciens de religions, c’est la notion de pèlerin. C’est une métaphore de la vie. Est-ce que le pèlerin marche pour aller jusqu’à Saint Jacques de Compostelle, ou La Mecque ? Pas du tout, ce qui est important ce n’est pas la cible, c’est le chemin, l’acte du pèlerinage : le fait de se mettre en harmonie avec la nature, en contemplation, dans une quête de rencontrer des gens au fur et à mesure et que la vie ne soit

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qu’une somme de présence où tu rencontres et tu t’attaches à des gens, une vie complètement immatérielle. Ce n’est pas un hasard si la notion de pèlerin joue un rôle fondamental dans l’Islam, celui qui a fait le pèlerinage de la Mecque est quelqu’un de très reconnu. Et dans la Bible, la notion de pèlerinage est partout tout comme dans pleins de textes du Moyen-Age. Je trouve que c’est intéressant parce qu’on pourrait dire que l’entrepreneur moderne vie une sorte de chemin initiatique : une somme d’expérience. Fondamentalement, il créé son mode de vie à lui. Après on le caractérisera toujours par rapport à la marque qu’il a créé, son chiffre d’affaire, on va trouver des externalités pour le caractériser. L’entrepreneur (le vrai) s’en fiche de faire 300 000 euros, ou 30 millions de C.A., le but c’est de réaliser son projet, de se réaliser à travers son projet. L’argent est une externalité. Certains sont capables de tout remettre sur le tapis pour relancer un projet, ou comme Bill Gates, il donnera tout à une fondation. »

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• OTIUM https://fr.wiktionary.org/wiki/otium • NEURASTHENIE http://www.cnrtl.fr/lexicographie/neurasth%C3%A9nie • PARESSE http://www.cnrtl.fr/lexicographie/paresse

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• WEBSCHOOL FACTORY. WEEK END CHALLENGE DE LA WEB SCHOOL FACTORY. En ligne http://www.webschoolfactory.fr/video/evenement-hackathon-avecbouygues

- ARTICLES HORS LIGNE / ORIGINE PERDUE • CARAYOL Valérie. 2005. Contre l’urgence : la paresse, l’inaction, la lenteur • PRAX Jean-Yves. 06/2012. L’Homme, premier facteur de différenciation et d’innovation. Article publié à l’occasion de la 5em conférence du GESCO à Montréal • RIVIÈRE Anthony. 13/05/2010. Le nombre de suicides au Japon encore en augmentation. Site d’origine : Aujourd’hui le Japon (Hors ligne) • 28/10/2009. Au Japon, une gérante de Mc Donald’s meurt d’avoir trop travaillé. Site d’origine : Aujourd’hui le Japon (Hors ligne) • 25/06/2011. Does the ‘hikikomori’ syndrome of social withdrawal exist outside Japan? A preliminary international investigation. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology • 14/06/1903. Mon dimanche. Revue populaire illustrée

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- FILMOGRAPHIE • CHAPLIN Charlie. 1937. Les temps modernes. 87 minutes • PIXAR. 2008. WALL-E. 98 minutes

- CONFÉRENCES ET CITATIONS • FRIED Jason. 2010. Why Work doesn’t happen at work. En ligne https://www.ted.com/talks/jason_fried_why_work_doesn_t_happen_ at_work • SAGMEISTER Stefan. 07/2009. The power of time off. En ligne https://www.ted.com/talks/stefan_sagmeister_the_power_of_time_ off • Lao-Tseu • GIGET Marc • Gotthold Ephrain Lessing • PAUL Abba

- ICONOGRAPHIE Fig1- Éloge de la paresse. 2015. Jérôme Prax Fig2- The Dude. 1998. The Big Lebowski. Frères Coen Fig3- La paresse. 2015. Jérôme Prax Fig4- L’apathie. 2015. Jérôme Prax Fig5- L’anxieuse. 2015. Jérôme Prax

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Fig6- La honteuse. 2015. Jérôme Prax Fig7- La narcotique. 2015. Jérôme Prax Fig8- Frénétique. 2015. Jérôme Prax Fig9- L’àquoiboniste. 2015. Jérôme Prax Fig10- L’égotiste. 2015. Jérôme Prax Fig11- La très tranquille. 2015. Jérôme Prax Fig12- La rêverie. 2015. Jérôme Prax Fig13- La contemplation. 2015. Jérôme Prax Fig14- Le recueillement. 2015. Jérôme Prax Fig15- L’ataraxie. 2015. Jérôme Prax Fig16- La tentation de St Antoine. XVeme. Martin Schongauer Fig17- Pigritia. XIVeme. Jacques Callot Fig18- Le rêve du docteur.XVem. Albrecht Dürer Fig19- La décadence des Romains. 1847. Thomas Couture Fig20- Gargantua. XIXeme. Gustave Doré Fig21- Les temps modernes. 1936. Charlie Chaplin Fig22- Les temps modernes. 1936. Charlie Chaplin Fig23- Le capitalisme. 2015. Jérôme Prax Fig24-La colonisation - La découverte de richesses démesurées.

Colomb arrivant sur l’île d’Hispaniola. XVIeme. Théorodore de Bry Fig25- L’exposition universelle de 1900. XIXem siècle. Photographe anonyme Fig26- L’apogée du machisme - les débuts du matérialisme. Publicité Moulinex Fig27- Générations X, Y et Z. 2015. http://www.nextgeneration.ie/

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Fig28- L’hébétude provoquée par les écrans. 2015. Jérôme Prax Fig29- Les réseaux sociaux, une réalité altérée. Facebook Periscope.

2014. Pawel Kuczynski Fig30- Burn-out. 2008. Ethereal-Mind (devianart) Fig31- Hikikomori. 2004. Francesco Jodice Fig32- L’homme, fléau de son environnement. Photographe anonyme Fig33- Vers un meilleur avenir. 2015. Jérôme Prax Fig34- Zone de détente chez Google. Google Fig35- Zone de détente chez Google. Google Fig36- Fablab. 2015. Pierre Borhgi Fig37- Couchsurfing. 2015 Couchsurfing San Francisco Fig38- Le génie Paresseux. 1957. André Franquin Fig39- Wall-e, la victoire du capitalisme. Wall-E. 2008. PIXAR Fig40- Les générations Z et Alpha. 2014. McCRINDLE Mark.

Fig41- Pierre M.-Barreto Fig42- Jean-Yves Prax Fig43- Modèle EFQM. Source inconnue

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Diplômes 2016 Jérôme Prax

Éloge de la paresse

La nouvelle est tombée récemment, créant un véritable choc dans l’imaginaire collectif : 50% des fourmis, ces insectes connus jusqu’à présent comme d’infatigables travailleurs, sont des paresseuses !

Le groupe d’individus s’est d’ailleurs spécialisé dans le fait de ne rien faire du tout. Cette information, bien que bouleversante, nous rappelle que chaque espèce vivante possède ce don. Être paresseux est encore aujourd’hui considéré comme un péché capital, comme une faute morale par la plupart des sociétés ou comme un facteur de marginalisation dans les entreprises.

Cette anecdote nous invite à réfléchir quant à la place de la paresse dans notre société où le travail est sacro-sanctifié au sein d’un système progressiste basé sur l’hyperconsommation et le profit à court terme généré par une innovation soutenue. À première vue, la paresse n’est pas la bienvenue.

Pourtant, ce comportement, si nous l’étudions bien, possède des vertus dont il n’a pas à rougir...

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