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Suite de la page 15 le même format, avec un saxophone en lead, ajoutant les couleurs, et deux guitares. Je ne saurais laisser dans l’ombre l’apport de Milot Toussaint à cette forme de musique. Il exécutait des arpèges, que les gens désignent sous le vocable « bouyon ». Ce style a fait tache d’huile, Milot a donc fait école. Sergo Rosenthal limitait ses solos et jouait à la manière de Raymond Gaspard, ex-guitariste de l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste, ce pour permettre à Tony Moïse d’exécuter ses solos et ses riffs qui font identifier Les Shleu Shleu. C’est la marque de fabrique de ce groupe mythique. Tout cela était rendu possible grâce à la section rythmique des Shleu Shleu, qui a transcendé les générations. Smith Jean-Baptiste, à
la batterie, utilisait un style Rock N Roll modifié, qui s’armonise bien sur le fond compas-direct que le groupe embrassait. Certains batteurs se sont inspirés de la forme que Smith adopta, mais ils ont dû utiliser des variantes pour ne pas décalquer le style de celui-ci. J’ai dû auditionner toutes les chansons des Shleu Shleu pour redécouvrir ce que, plus jeune, je ne pourrais comprendre pour expliquer la limpidité de style des Shleu Shleu de Dada Jacaman. J’ai pu réaliser que Clovis SaintLouis, au tambour, et Léon Milien, à la basse, ne faisaient aucun excès de zèle, ce qui aida à bien maintenir le rythme. Cette façon de jouer a apporté le support dont Tony Moîse avait grand besoin pour entreprendre ses excursions musicales. Léon, Clovis, Francky Jean-Baptiste et Smith JeanBaptiste constituaient la colonne vertébrale des Shleu Shleu. Ils respectaient l’intervalle qui leur était alloué. Je ne peux non plus oublier Francky Jean-Baptiste au tom basse/gongtom tom, qui faisait preuve d’une exactitude rythmique qui défie l’imagination. Le succès des Shleu Shleu avait pour socle la simplicité de style des musiciens. Le groupe Shleu Shleu gagnait du terrain Le groupe « Les Shleu Shleu » animait des soirées dansantes privées dans les salons. Mes aînés ne peuvent de si tôt oublier les bals traditionnels qu’organisaient des commerçants et commerçantes de la ville. Une des soirées qui marquaient cette époque est celle qu’offrait annuellement la propriétaire du magasin « Chez Cienne ». Le commerce était lors florissant, et l’insécurité n’existait pas. Les kidnappeurs auraient peur d’opérer. Dans le temps, les activités nocturnes drainaient toujours une foule immense. C’était le temps du respect des valeurs et de la personne. Les Shleu Shleu honoraient aussi des contrats de kermesse dans les écoles. Les élèves de Saint François d’Assise, des Sœurs de la Charité Chrétienne, du Sacré-Cœur de Turgeau,
Haïti-observateur
etc., peuvent en témoigner. On retrouvait Les Shleu Shleu également à Cabane Choucoune, en kermesse, le dimanche. Contrairement à l’opinion publique, toutes les couches sociales y participaient. Les gens de Bourdon, de Martissant, de Carrefour, de Croix des Bouquets, du Bas-Peu de Choses, du Bel-Air, de CarrefourFeuilles, de Place Jérémie, etc., n’avaient aucun problème pour y participer. Les camionnettes de marque Peugeot assuraient le transport, allant du centre-ville jusqu’à Pétion-Ville et vice versa, après la kermesse ou un bal. Ces huit kilomètres de route se faisaient en un temps record, sans danger ni peur d’être attaqué par des chenapans. Les Shleu Shleu avaient aussi des contrats à Villa Créole, El Rancho, Ibo Lélé, au Rond Point Night Club, etc. Si le groupe « Les Shleu Shleu
de Dada Jacaman » a pavé la voie à d’autres groupes musicaux utilisant le format qu’il a créé, Tony Moïse a ouvert la porte aux saxophonistes qui l’ont succédé. Je considère les chansons des Shleu Shleu comme des classiques. Pour mieux me comprendre, je recommande l’audition des pièces suivantes : « Devinez », « Maille », « Ti Came », « Partie de chasse », « Vuelve me Negrita mia », « Boutilliers », « Haiti terre de soleil », « Solanges », « 7 jours de la semaine », « 4 Saisons », « Cérémonie Loâ », « Vacances », « Moun Damou », « St Valentin », « Mambo sentimental », « Volleyball », « Ma poupée », « Minuit sonnen », etc. Avec ces jolies compositions, le groupe Les Shleu Shleu a apporté une forme d’innovation au niveau forme et structure musicale. Une nouvelle ère Shleu Shleu a commencé En 1970, la formation Shleu Shleu de Dada Jacaman obtint un contrat qui le conduisit à New York, au Casa Borinquen. Ils prouvèrent leur professionnalisme et exhibèrent leur talent de musiciens avec une telle magnanimité, qu’ils ont conquis New York sans difficultés. JeanMichel Saint-Victor, dit « Zouzoule », avait effectué le voyage avec Shleu Shleu. Certains musiciens, à la demande de leurs parents résidant à New York, avaient fini par élire domicile dans le Big Apple. Après le départ de Tony Moise, Fito Sadrac le remplaça comme saxophoniste, mais son passage a été bref, car il voyagea pour le Canada, laissant sa place à Loubert Chancy. Quand Clovis Saint-Louis laissa Haïti, Ti Paul Edmé assura le rôle de tambourineur. Et quand ce nouveau tambourineur se sépara du groupe, Gérald Désir vint le remplacer. Après leur séjour à New York, Sergo Rosenthal, Zouzoul et Dada Jacaman retournèrent en Haïti pour commencer une nouvelle aventure avec la formation d’ne deuxième version des Shleu Shleu, grâce à la collaboration de Loubert Chancy (ancien saxophoniste des groupes
11- 18 septembre 2013
« Les Consuls de Carrefour » et « Les Gars de Sainte Cécile » du maestro Alberick « Bébé » Samedi jr.), ancien élève des Frères du Sacré-Cœur de Port-au-Prince. Dans la nouvelle version Shleu Shleu, on retrouvait, aux côtés de Loubert, des musiciens tels que Jean Élie Telfort « Cubano », Mario Mayala, Arsène Apollon, JeanMichel Saint-Victor « Zouzoul », Johnny Frantz Toussaint « Ti Frère », Gérald Désir, Yves Jean-Baptiste « Jeanba Mamba », « Fréderic Mews « Dodo ». Je les appelle les alumni, les diplômés de l’institution Shleu Shleu. Cette formation s’est dissoute après le départ pour New York de ces nouveaux musiciens. Dans le Big Apple, ils ont jugé bon de former le Skah-Shah, le 24 juin 1974, une formation que je considère comme une extension aussi des Shleu Shleu. En fait, il y a eu au moins quatre générations des Shleu Shleu. Gérard Daniel faisait partie de la troisième génération des Shleu Shleu. Ces musiciens ont eu pour compétiteur à New York « l’Original Shleu Shleu », que Tony Moise et ses collègues musiciens de la première version Shleu Shleu avaient créé avec Edward Richard remplaçant Sergo Rosenthal à la guitare. L’Original Shleu Shleu honorait des contrats un peu partout à New York. La soirée qui a surtout marqué les mélomanes de New York, c’était la double affiche mettant l’Original Shleu Shleu et le Skah-Shah sur un même podium au Coconut Grove de Brooklyn, en 1976, où Tony Moise et Loubert Chancy jouaient en duo. Tony a aussi produit bien d’autres disques, encore inconnus du grand public. Il a un disque de son mini groupe « Shleuito » et aussi de « Shleu Shleu en troubadour ». Au cours d’une soirée au Labadee Manor, j’avais suggéré le nom « Shleu Shleuito » à Tony, mais son épouse a choisi un meilleur diminutif et proposa « Shleuito », qui sonne bien. Tony Moise et son amour pour la musique L’Original Shleu Shleu de New York a produit des chansons qui restent gravées dans la mémoire de plus d’un. Comment peut on oublier « Trou Crab », « En filant les aiguilles » « La femme », « O.S.S5 », « Comme l’eau qui dort », « Nèg Guinen », « Erzulie », « Pays mwen », « L’Evangile selon les Shleu Shleu », « Kann kale », « Pa w se pa w », « No money no honey », etc. Tony Moïse ne vivait que pour la musique, pour sa famille et ses bons amis. Tony Moïse me disait souvent qu’il allait abandonner la musique, et deux semaines plus tard je le retrouvais au Restaurant Mixed Notes ou au Restaurant Labadee Manor, en train de jouer. Surpris de me voir à ces rendez-vous, il me disait : « Ou kenbe m, mwen paka lague mizik, mizik, se vi m, mwen konnen wa p konpran n mwen ». Quand il entra à l’hôpital, il demanda au médecin s’il sera capable de jouer au saxophone après l’intervention chirurgicale qu’il allait subir, d’après une source digne de foi. Au début du mois de mai 2013, il fit la même déclaration, puis le 25 mai il jouait à la réception d’une nouvelle diplômée en médecine ayant un lien de parenté avec l’épouse du maestro. Personne ne sut que Tony Moïse allait faire une telle surprise. J’ai encore la voix du défunt sur mon répondeur m’invitant à une soirée qu’il allait organiser en septembre. Même quand j’étais en voyage, il sut comment me contacter pour m’apprendre les dernières nouvelles de l’industrie musicale, ou bien pour partager avec moi ses récentes créations musicales. Il voulait m’enseigner le saxophone, mais le temps me manquait. En juillet dernier, Tony Moïse a
été l’artiste invité à une soirée d’anniversaire du groupe « Les Frères Dejean de Pétion-Ville », à Miami, en Floride. À son retour, il me faisait le récit de cette magnifique soirée. Il eut à dire : « A la yon gwo djaz sa a se Frères Déjean, mwen santi m alèz kon Blèz lè mizisyen sa yo ap akonpaye m ». Avec eux, Tony a interprété la chanson « Moun Damou ». Il m’a envoyé un photo-souvenir le montrant en spectacle avec Les Frères Dejean, un geste que j’ai grandement apprécié. Tony devrait se rendre en Afrique, en décembre 2013, pour honorer un contrat de deux semaines avec les membres fondateurs/originaux des Shleu Shleu. J’avais établi les contacts pour lui avec les organisateurs de cette tournée africaine. Tout allait bien et
rendit au Restauant Chez Mireille, où a eu lieu une veillée artistique organisée par Frantz Antoine et son épouse, avec le professeur Étienne Télémaque. Dans un temps, M. Antoine était bassiste de l’Original Shleu Shleu. M. Télémaque a bien assuré le rôle de maître de cérémonie. Il nous a conduits à travers l’univers Shleu Shleu et nous présenta une brève biographie du défunt. Il a passé en revue des différentes versions des Shleu Shleu et fit tourner les chansons qui ont été composées à chaque époque. Il a profité de l’occasion pour présenter les membres fondateurs des Shleu Shleu. Présents à cette occasion étaient Serge Rosenthal (venu d’Haïti), Milot Toussaint (venu de la Floride), Francky JeanBaptiste (venu d’Haïti), Léon
Tony s’occupait déjà du regroupement des musiciens. Il allait profiter de cette opportunité pour faire rayonner le nom d’Haïti et la culture haïtienne dans le continent africain. Tony Moïse était fraîchement revenu d’une croisière avec sa famille, le mois dernier, et il ne montrait aucun signe de malaise. À son retour, il m’informa qu’il allait contacter tous les musiciens des Shleu Shleu pour réaliser une victoire collective. J’étais vraiment étonné, quand, le jeudi 29 août, à 11h 30 a. m, j’ai appelé chez lui et que son épouse m’a appris qu’il se trouvait à l’hôpital, où il avait subi une intervention chirurgicale — un quadruple pontage cardiaque — « quadruple bypass ». La voix de Mme Moïse m’inquiétait un peu quand elle me dit qu’il y avait peu d’espoir. J’étais très confiant que Tony reviendrait chez lui. Je me sentais déboussolé et j’avais souhaité avoir mal compris le message que son épouse m’a donné. Je me suis gardé de discuter de la situation avec une tierce personne. Tony était encore à l’hôpital pendant que certains diffusaient de fausses nouvelles. D’autres, voulant faire du scoop, ont précipitamment annoncé sa mort, puis essayaient de faire la rectification deux jours plus tard. Ils ont même inventé un âge fictif de Tony Moise. J’ai appris la nouvelle de sa mort, le vendredi 30 août.
Milien, Clovis Saint-Louis, Hans Chérubin (Gros Bébé), Jean-Claude Pierre-Charles (Peddy). Au cours de cette veillée artistique, le maître de cérémonie accorda la parole aux musiciens suivants : Léon Milien, Clovis Saint-Louis, Édward Richard et Serge Rosenthal. Ils ont tous fait l’éloge du grand saxophoniste et tout en mettant en relief son apport à la musique des Shleu Shleu et du compas direct en général. La chanteuse Maryse Coulanges avait aussi pris la parole. Elle abonda dans le même sens, s’exprimant en termes élogieux à l’égard du défunt avec qui elle avait collaboré. Le Dr. Raymond Myrthil a également pris la parole pour aussi parler des Shleu Shleu et de Tony Moïse qu’il connaît bien. D’ailleurs il a épousé une sœur du défunt. Étienne Télémaque a jugé bon d’offrir l’opportunité à tous ceux qui voulaient exprimer leurs sentiments à cette occasion. Guy Ford a profité de l’occasion pour extérioriser ce qu’il ressentait et présenter le récit de son expérience avec le défunt. De leur côté, Hans Chérubin et Essud Fungcap ont chanté « Haïti Chérie » en duo. Si Tony Moïse avait encore le souffle, il les aurait accompagnés au saxophone, parce qu’il aimait Haïti. Les funérailles de Tony Moïse ont été chantées à l’église Our Lady of Mercy, à Hicksville, Long Island (N.Y), le samedi 7 septembre à 9 h 30 a .m. L’église était pleine au maximum. Tony Moïse est parti sans avoir eu le temps de concrétiser tous ses rêves et sans dire au revoir à ses proches, parce que ce voyage n’était pas planifié. Il nous devance d’un pas. Nous sommes en ligne, attendant notre tour. Tony s’en va avec son talent, mais il nous laisse des œuvres que nous saurions apprécier à leur juste valeur. Le personnel d’Haïti-Observateur s’incline devant la bière de ce musicien de grand talent. Le journal prie sa famille, ses proches, ainsi que les membres des Shleu Shleu et les collègues musiciens de Tony Moïse de trouver ici l’expression de ses plus sincères condoléances.
La veillée funèbre et artistique La veillée funèbre de Tony Moïse a eu lieu le vendredi 6 septembre, de 5 h. p.m. à 6 h. p.m., au Vernon C. Wagner Funeral Homes, à Hicksville, Long Island (N.Y). Le service de prière a été fait selon le rituel de l’église catholique. Les amis et fans du défunt lui ont rendu un dernier hommage. Ils se sont courbés devant la dépouille mortelle et ont présenté leurs condoléances à la famille éplorée. Le directeur du parloir funèbre ne pouvait croire que le défunt était si populaire. Il dit qu’il n’a jamais vu pareilles choses. Aussi a-t-il fini par comprendre qu’il s’agit d’un grand homme, d’un grand musicien. Après la veillée funèbre, on se
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