Mercredi 11 août 1943 Monsieur Épaisseur a été vu, par plusieurs, en officier prussien. Tous, ici, le disent de la Gestapo. C’est l’adorateur de la carte postale du führer. La balayeuse me disait hier qu’en nettoyant l’étable du porc, elle avait fait choir la sainte image. Il s’était précipité pour la relever et la remettre sur le tabernacle à boustifaille qui, normalement, devait s’appeler son bureau. Puis, il dit, furieux, à la pauvre femme : « Vous savez qui c’est ?... Vous ne le connaissez pas ?... — Oh ! si ! que je le connais ! » répondit-elle, en ajoutant, pour elle-même : « Que trop ! » Il n’a pas saisi la nuance et a trouvé cette réponse satisfaisante. Il parle très bien français, mais il pourra y vivre cent ans, il ne saisira jamais l’intention d’une femme de ménage illettrée. Elle est plus fine que lui. Depuis qu’on l’a vu en massacreur, chacun se méfie de lui. C’est un de ceux qui partiront les derniers. (Ou qui resteront pour l’éternité.) J’ai déjà parlé de l’occupation d’Étampes par ces sauvages et de la merde qu’ils y ont déposée dans les appartements pillés, le déménagement des meubles et des chiens. Voici maintenant qu’un certain Wolf von Nubellschütz (ce qui signifie peut-être garde champêtre des nuages !) dépose dans les Cahiers franco-allemands d’avril-mai 1943 un excrément poétique qui a pour titre : Lettres d’avril à ma jolie Étampes. Le massacreur taquine la muse : Les anémones sont en fleurs, Les ormes graves et tranquilles. Que manque-t-il à ton bonheur ? Flûte la brise dans les cimes. Ce qui me manque, O mon Dieu, rien De neuf, rien qu’un enfant qui passe Ce serait – quel conte ! – le mien. Comme le vent fleure l’espace ! etc. Comme sa chambre fleurait la merde ! On dirait un crapaud qui va aux fraises. Bande de fourbes ! Reçu hier une feuille de poésie : L’Honneur des poètes1. Pleine de pièces antinazies. L’intention est belle, la réalisation est faible, mais ––––– 1. L’Honneur des poètes (Éditions de Minuit, 1943). Anthologie de la « poésie de Résistance », réunie et préfacée par Paul Éluard. Un second volume, sous-titré « Europe » et incluant des textes de résistants étrangers, paraîtra en 1944. Ce qu’il en reste surtout, c’est la réponse de Benjamin Péret : Le Déshonneur des poètes (1945). 349