Diplôme paysage nuit

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• Glissements progressifs d’une

démarche

Eprouver l’inégalité d’accès à la nuit par la grande échelle Sensibilisée par la question des horaires décalés propres à la ville en continu, mon intérêt s’est alors déplacé vers les travailleurs de la nuit. Je souhaitais réitérer la démarche anthropologique initiée à l’occasion de mon immersion dans le milieu des mariniers. Observant qu’aucun des services de la ville n’est conçu pour les travailleurs de nuit, je désirais dénicher les pratiques qu’ils déploient à contre temps et à contre espace durant, mais aussi en dehors de leurs plages de travail. Partant de l’hypothèse que la nuit accentue les fractures socio-spatiales, je voulais aborder la question des inégalités d’accès à la nuit, supposant de très fortes différences de potentiel d’activités nocturnes entre le centre et la banlieue, entre Paris, ville lumière et Saint Denis, banlieue sombre et stigmatisée. Dès lors, la nuit, plus que le jour, devenait un levier stratégique pour réduire les fractures sociales, spatiales et temporelles. Il s’agissait donc d’utiliser le facteur le plus discriminant, la nuit, pour attaquer au cœur la ségrégation. Pour vérifier l’effet discriminant de la nuit entre Paris et sa banlieue, je comptais observer les pratiques de nuit de deux espaces publics similaires et centraux : la place de la cathédrale Notre Dame à Paris et la place de la Basilique à Saint Denis. Il me semblait que les pratiques nocturnes de l’espace public et l’investissement symbolique d’une place centrale n’avaient pas la même signification dans les deux cas. La question traditionnellement posée d’aménager un espace public pour créer des liens sociaux et de la mixité ne suffisait donc pas, notamment dans une métropole de flux. Il s’agissait de changer d’échelle, de passer à celle du grand Paris, de passer de la place au trajet. J’avais besoin, pour réaliser mon projet, de partir à la rencontre de ceux qui vivent et travaillent la nuit et qui se confrontent à la distance entre Paris et la banlieue puisque c’était à eux que le projet s’adressait. Pour palper la fluidité de la nuit et l’éprouver à la grande échelle, j’ai pensé embarquer avec un travailleur de la mobilité, un taxi parcourant le cadrant nord-est de la métropole parisienne. En contact à la fois avec un travailleur et ses passagers consommateurs de la nuit, j’espérais repérer les polarités de fréquentation nocturne, me nourrir du récit expert d’un capitaine de la nuit et mesurer par là la coupure concrète et imaginaire entre Paris et Saint Denis. L’idée d’apporter une réponse spatiale m’a semblé dans ce cas déterminante, me poussant à abandonner l’idée de me limiter à une “démarche” et de “ne pas faire de projet”. Des normes législatives furent à l’origine de l’abandon de cette deuxième intention de projet, puisqu’aucun taxi ne disposait du droit de m’embarquer toute une nuit sans faire tourner le compteur, sous peine de risquer une lourde amende.

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