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Interview

Vanessa Schmitz-Grucker

Rencontre avec Caroline Pultz  Pirate low-tech

Confortablement installée au Grand-Duché, la Belge Caroline Pultz a tout quitté pour rejoindre le catamaran Nomade des Mers, un laboratoire low-tech pour tester et prototyper des technologies durables.

De la Belgique au Luxembourg en passant par le Nomade des Mers, racontez-nous votre parcours…

Je suis architecte d’intérieur de formation, j’ai fait mes études à l’ESA Saint-Luc à Liège. Mon fil rouge à toujours été de ramener la nature à la maison et de trouver de nouvelles façons d’habiter la planète. Je suis passée par toute une phase de reconstruction de mon quotidien pour dire non au plastique et à l’obsolescence programmée. Je me suis donc tout de suite tournée vers les matériaux biosourcés et non pétrosourcés, des matériaux vivants comme le champignon, qui ont les mêmes propriétés techniques que, par exemple, le polystyrène expansé. C’est fantastique, ça pousse en 10 jours, dégrade les matières organiques, les englue comme une colle naturelle, les compacte et j’en fais des abatjour! Faire pousser la matière de son mobilier, c’est extra.

Comment êtes-vous arrivée au Luxembourg?

Je voulais gagner en compétence dans le design, je suis venue ici pour travailler sur des salles de bains de luxe. J’avais besoin de comprendre le design, les limites de ce qu’on accepte, j’ai pu palper la réalité, aller au contact du client,

comprendre ce qu’est le beau aujourd’hui pour lui. J’ai vite réalisé qu’ils étaient frileux envers les matériaux innovants, notamment les biosourcés, parce c’est encore trop neuf. Pour les designers aussi, il est difficile de développer cet axe, il faut des laboratoires et des soutiens financiers. Toutes ces choses-là, c’est au Luxembourg que je les ai comprises.

Ça a l’air facile quand on vous écoute…

Mais ça l’est! Et nous, on veut montrer que c’est accessible à tous, que tout le monde peut se l’approprier. Nous devons déconstruire tout ce que nous savons de la consommation énergique, s’éloigner des aberrations actuelles. Tout ce qu’on fait sur le catamaran peut être adapté à des territoires plus larges.

Et comment êtes-vous arrivée sur le Nomade des mers?

Je dessinais tranquillement mes salles de bain au Luxembourg quand ils m’ont appelée pour les accompagner le temps d’une escale à San Francisco pour étudier les matériaux biosourcés. J’avais pris contact auparavant avec eux, en vue de monter une communauté LowTech à Bruxelles où j’étais alors. Ils m’ont rappelée car ils avaient besoin de quelqu’un qui s’y connaissait en matériaux biosourcés. Mon patron a été très compréhensif et m’a laissée partir durant 5 semaines.

Mais ça fait plus que 5 semaines là!

Je suis rentrée au Luxembourg et j’ai démissionné pour repartir. C’était deux jours avant le confinement belge, en mars 2020. Nous, nous sommes retrouvés bloqués deux mois plus tard au Mexique. Nous n’avons pas pu aller à la rencontre des inventeurs pour documenter leurs projets low-tech, la raison d’être du Nomade des mers. Comme le catamaran avait déjà 5 ans, on a profité de la pandémie pour le réaménager et tester des solutions low-tech, par exemple faire cuire nos légumes dans des fours solaires ou transformer le composte des toilettes sèches en gaz via un biodigesteur.

Pourtant, ça ne se fait pas. Pourquoi selon vous?

On est arrivé à un stade de confort extrême, c’est compliqué de faire l’effort de comprendre, de changer. Ça va encore prendre du temps pour que les gens réalisent que leur smartphone est fait de matériaux rares, souvent extraits par des enfants. Sur le Nomade des mers, on veut tester de nouvelles solutions pour que, quand on ne pourra plus continuer et qu’on sera contraint de changer, on ait tout un répertoire de solutions testées et approuvées. Ceci dit, ça se fait déjà! En Norvège, la start-up Quantafuel transforme les déchets plastiques en carburant. À Bordeaux, La Fumainerie, en partenariat avec la ville, expérimente les toilettes sèches en milieu urbain en vue de revaloriser ces déchets dans l’agriculture locale. À l’échelle communautaire, on y est déjà, les choses se font.

Vous êtes donc plutôt optimiste?

On lance un signal: rien n’est perdu, mais c’est maintenant qu’il faut le faire! Si le Nomade des mers existe, c’est que ça bouge déjà: on documente les solutions parce qu’on voit des communautés faire. Pour notre biodigesteur, on a découvert ça au Nicaragua. Un abattoir polluait les eaux environnantes avec ses déchets. En partenariat avec MIT et Blue Energy, ils ont créé un biodigesteur pour les déchets organiques. Ainsi, ils peuvent créer suffisamment d’énergie pour fonctionner. D’une pierre deux coups: plus de déchets et on génère sa propre énergie. Pour nous, avec 1kg de compost de toilettes sèches, nous avons obtenu 5 minutes de gaz, de quoi déjà chauffer l’eau!

Quelle est la suite pour vous, après le Nomade des mers?

Là, on retape le bateau pour faire la transatlantique en mai afin de retourner au port d’attache à Concarneau, de là où le Nomade est parti, il y 7 ans. Il y aura un village et un festival low tech pendant 10 jours. Ensuite, je pars dans le désert 4 mois pour vivre en autonomie, générer ma propre nourriture, ma propre énergie en combinant 30 low-tech découvertes et documentées ces dernières années. On veut montrer qu’être en bonne santé en mangeant ce qu’on produit, c’est possible. Si on peut le faire dans un milieu aride, on peut le faire partout sur terre. Aujourd’hui, 40% de nos terres sont, hélas, déjà arides et ça ne va pas s’arranger. Un tiers des personnes vivent dans ces conditions-là. Pour elles, on part expérimenter.

Actualité

© Low-tech Lab.

Retour du Nomade des mers le 25 juin 2022 et Festival Low-Tech, quai d’Aiguillon, à Concarneau (Finistère), du samedi 25 juin au dimanche 3 juillet 2022.