Israël Actualités n°503

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À LA UNE

Edition du 16 au 22 Janvier 2019

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Gilets jaunes : psychanalyse des foules en fureur …

Mais que veulent-ils vraiment ? Comment en finir avec cette crise, alors que l’acte IX a redonné de la vigueur au mouvement ? La République et ses gouvernants ont-ils moyen d’en sortir, indemnes, si ce n’est grandis ? Les Gilets jaunes sont-ils fous, ou simplement très en colère ? Pour le savoir, nous avons posé la question à deux spécialistes de la psyché humaine. Le Docteur Gilles Uzzan est psychiatre, expert près la Cour d’Amiens (Picardie). Spécialiste de la maladie mentale et de ses conséquences judiciaires, il nous donne son regard de psy sur les foules en colère et les pistes psychanalytiques pour sortir de la crise. Le Docteur Jacob Azeroual est psychiatre et sexologue. Spécialiste de la relation amoureuse, il nous parle de la rupture consommée, entre des Français qui ne se comprennent ni ne s’aiment plus… Interviews croisées…

Gilles Uzzan : « La seule issue Jacob Azeroual : « Il faut de la serait l’empathie » bienveillance, et de l’union »

A voir les débordements les plus violents, mais aussi les plus incongrus de cette crise sans fin, on se demande si les Français ne sont pas devenus fous… Fous non, heureusement, tout le monde n’est pas fou. En revanche, ce à quoi nous sommes confrontés, c’est une perte dramatique de confiance des Français dans le pacte social. Le contrat entre les gouvernés et les gouvernants est gravement remis en cause. Y a-t-il de la maladie mentale dans tout cela ? Inévitablement, car rappelons-le, la crise est née du désespoir de ceux qui, face à la promesse d’une fiscalité écologique plus lourde, ont violemment refusé, mettant en avant leur précarité. Or cette précarité est forcément source de troubles pycho-sociaux et de troubles dépressifs. Ce qu’expriment les Gilets Jaunes, du moins dans le début du conflit social, c’est une peur de l’avenir, du déclassement, une profonde anxiété sur ce qu’ils vont devenir et ce que vont devenir leurs enfants. Ils voient tout en noir, pour certains. On identifie aussi des troubles mentaux presque génétiques aussi, si je puis dire : il y a dans la société française, une forme de schizophrénie de masse : on a envie de ça change, on vote pour le changement, par uniquement avec Macron d’ailleurs, rappelons que le slogan de campagne de Hollande était « le changement, c’est maintenant ». Et puis dès que les équipes élues prennent leur poste et mettent en pratique leur profession de foi, on se rebiffe violemment. Le changement doit toujours prendre naissance chez l’autre et les blocages qui empêchent la société française d’évoluer sont difficiles à lever : c’est presque du repli autistique, avec une grande difficulté à voir les situations changer. Par ailleurs, on peut aussi parler d’ambivalence affective. Un jour on adore, le lendemain on brûle ce qu’on a adoré. Et avec tout ça, les Français ne sont pas tous fous ? Non, fort heureusement ! Mais leurs névroses et leurs angoisses sont bien réelles, en revanche et il faut écouter cette souffrance. On a vu le dialogue, les propositions économiques, l’autorité, la force, les discours et débats intervenir au fil de la crise. En vain. Quelle réponse un psy apporterait-il pour sortir de l’impasse ? L’écoute et l’empathie. Le contrat social rompu est le même que celui qui lie un médecin a son patient. Si le patient n’a plus confiance en votre diagnostic, qu’il ne se

sent pas écouté ni compris, qu’il ne voit pas sa douleur ou sa peine prises en compte, il change de médecin. Dans le contrat thérapeutique, c’est l’empathie qui est la clé. Ici, c’est le même fonctionnement. Les Français, je pense, attendent de l’empathie… On a vu émerger, au cours des épisodes les plus violents de cette crise, une profonde détestation des « riches ». On a le sentiment que plus que d’être pauvres eux-mêmes, ceux qui sont en colère le sont parce que d’autres sont riches. Pourquoi une telle haine ? C’est historique, inscrit dans le combat social en France. Les racines catholiques de la France font de la vénalité un pêché mortel. Dans les pays anglo-saxons, de culture protestante ou anglicane, le rapport à l’argent n’est pas du tout le même. Par ailleurs, il faut aussi avancer l’hypothèse du filet social comme cause de la détestation : en installant toutes sortes d’aides et de subventions pour les plus démunis, on a créé une classe sociale qui vit de l’assistanat. Celle qui souffre le plus en France, c’est la petite classe moyenne, celle qui travaille mais constate au quotidien que ses efforts ne payent pas. Le filet de secours constitué des différentes aides : allocations logement, enfants, chômage, RSA et autres ont un effet pervers : certes, elles permettent à certains d’éviter le pire, mais elles créent aussi un manque d’ambition chez d’autres. C’est la réussite de ceux qui entreprennent et gagnent que l’on jalouse. On ne supporte pas que d’autres aient eu envie de se libérer de ces chaînes… Le Docteur Gilles Uzzan a publié, fin 2018, Contes aliénés, aux éditions de l’Onde. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages de psychiatrie et du roman Isaac et Lola, Prix Paul Fleury du Concours des Ecrivains-Médecins.

On a l’impression que les Français ne s’aiment pas les uns les autres avec cette crise ? Qu’en pensez-vous ? Ce qui est choquant et bouleversant, à mon sens, est d’assister en moins d’un an à une scène schizophrène, assez classique cela dit si l’on compare à ce qu’il se passe dans certains couples, ou lorsqu’on a affaire à des partenaires bipolaires : cet été devant la victoire des Bleus, c’était la liesse générale, un véritable bain d’amour au sein duquel des inconnus se parlaient, plaisantaient, s’enlaçaient… Certes, il y a eu de la casse, des saccages, mais c’était le fait de quelques ultras qui profitent des mouvements de foule. Actuellement, il y a un véritable bain de haine et de violence avec des demandes que l’on peut comprendre, sans doute, mais qui font état de problèmes qui existent partout dans le monde; Or, on ne casse pas des magasins, on ne détruit pas des quartiers entiers partout où des pauvres ne supportent plus leur précarité...

Disons qu’elle est peut-être mal menée, mal guidée vers l’épanouissement. Comme un enfant en quête de sens, elle cherche son père. A l’hôpital, je me suis rendu compte que l’atmosphère qui règne dans un service dépend du chef de service qui impulse son « style » . Notamment le président doit, comme un père avec sa famille, donner un ton de confiance et de solidarité. Mais peutêtre que malheureusement, le président ne peut pas le faire du fait qu’il n’est pas « père ». Je suis étonné, en revanche, qu’Edouard Philippe ne sache pas donner cette tonalité bienveillante à la communication du gouvernement. Je l’ai rencontré et j’ai vu un homme chaleureux, humain. Il pourrait, par ses interventions, donner un sentiment d’union nationale : en sommes, on attend de lui une formule du genre « Nous sommes avec vous » ou encore « le peuple, c’est nous, nous sommes la même et seule entité ». Ca ne vient pas et c’est l’une des raisons pour laquelle la crise s’éternise.

Pourquoi selon vous, une telle haine visà-vis du pouvoir et de l’argent ? Les Gilets jaunes mettent en avant l’histoire de l’ISF : je rappelle que la France, à ma connaissance, est le seul pays à avoir instauré cette taxe injuste : pourquoi les gens riches n’auraient-ils pas le droit de profiter de leurs gains honnêtement gagnés ? Pourquoi considérer qu’il est normal que la fiscalité devienne confiscatoire lorsque l’on a réussi professionnellement ? Je note d’ailleurs que cette haine n’est pas compatible avec la pensée juive, qui encourage la réussite et l’enrichissement : elle part du principe que lorsqu’un individu réussit, il saura, s’il a été éduqué selon les principes du judaïsme, donner plus pour aider ceux qui ont moins. C’est le même principe que la dime, dans la tradition chrétienne.

Quelle solution ou ébauche de solution, selon vous, d’un point de vue psychologique, pour aller vers une sortie de crise et surtout réconcilier les Français ? La solution est de mélanger la fermeté et la bienveillance comme pour une bonne éducation. Il est hors de question, cependant, de céder à la violence : ce serait céder à une enfant capricieux et donner aux Français le sentiment qu’une minorité, pour peu qu’elle revendique suffisamment bruyamment, peut prendre en otage tout un pays. Et surtout tout un peuple.

La société française est-elle dépressive dans son ensemble ?

Vous pouvez suivre l’actualité de Jacob Azeroual sur son site www.jacobazeroual.com. Son livre : « Couple : clefs pour le réussir » est disponible sur Amazon. La nouvelle version de « L’amour de soi commence par l’amour des autres : Savoir s’aimer » est disponible en version audio sur audible. com ou sur Amazon.


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