TERRIENS by ISCPA - mag SPE Presse Bachelor 3 journalisme

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i proche et pourtant si loin. Notre rédaction vous propose de répondre à une question : comment les peuples vivent au quotidien les grands enjeux du XXème siècle ? Lors de ce tour du monde vous découvrirez des témoignages de personnes qui n’ont pas la même nationalité que vous. Alors si je vous pose la question ? À vous ? Comment voyez-vous la mondialisation ? Quel impact a-t-elle sur votre vie au quotidien ? Un berger chilien et un berger algérien auront-ils la même vision que vous ? Notre équipe de 20 journalistes vous livre une réponse internationale à ces questions.

Un magazine de 100 pages pour faire le tour du monde Nous souhaitons vous montrer par le biais d’un ou plusieurs regards comment votre voisin à des milliers de kilomètres perçoit la mondialisation. Plus important encore, nous verrons les différences de perception entre chaque pays. Pour mieux comprendre les nuances ou les points communs, notre rédaction analyse les impacts de ces enjeux modernes. Nous ne parlons que de mondialisation ? Non, évidemment. Les thématiques dans ce magazine sont nombreuses. Nous cherchons à comprendre quel rapport entretiennent les peuples du monde avec l’environnement.

Les inégalités sont-elles au cœur des préoccupations partout dans le monde ? Quelle place accordet-on aux traditions en Afrique ? Le sexe sous tous ces aspects est évoqué, le genre, les pratiques ou encore les relations humaines. Ne vous trompez pas. Notre rédaction ne vous livre pas un guide des pays. Nous cherchons à comprendre, comment les habitants des quatre coins du monde vivent face aux enjeux modernes. Pas de Justin Trudeau ou Xi Jinping dans ce magazine. Juste la vision d’un Chinois et d’un Canadien comme vous, comme moi, comme nous, sur le monde qui l’entoure. Ugo MAILLARD

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© Pixabay / Free-Photos

Directrice de la publication : Isabelle DUMAS Directrice/teur de la rédaction : Claire POURPRIX – Raphaël RUFFIER-FOSSOUL Rédacteurs en chef : Corentin RICHARD – Ugo MAILLARD Maquette : Théo ZUILI Chefs/fes de rubriques : Elzéa COLOMB – Guillaume BESSON – Inès PALLOT – Gaël TRAUB Marie de MONTERNO – Pauline CHOPPIN Dessin de Une : Corentin RICHARD Secrétariat de rédaction : Camille ROMAND – Coline MICHEL – Benjamin LAURIOL Sylvain GAUTHIER Rédaction : Anthony COMBEROUSSE – Benjamin LAURIOL – Camille ROMAND Christopher COUSTIER – Coline MICHEL – Corentin RICHARD Elzéa Colomb – Gaël TRAUB – Guillaume BESSON – Inès PALLOT Kenny LAUTERBACH – Lucas MOLLARD – Léa CHRISTOL Marie de MONTERNO – Pauline CHOPPIN – Sylvain GAUTHIER Tristan CHALVET – Ugo MAILLARD Adresse : 47 rue Sergent Michel-Berthet 69009, LYON Éditeur : Campus HEP LYON René Cassin, 7 rue Leclair 69009, Lyon Contact : iscpalyon@groupe-igs.fr

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Sommaire 4 Édito 8 Dossier Le marché de l'automobile

18 Le saviez-vous ? L’inégale répartition des richesses

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Mondialisation

20 Édito 26 Dossier La menace de la m ​ ontée des eaux

34 Le saviez-vous ? L’île de Nauru environnement

20 36 Édito 44 Dossier La pornographie sous tous ses angles

50 Le saviez-vous ? La carte des lois insolites

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sexualité

52 Édito 58 Dossier La cohabitation religieuse

66 Le saviez-vous ? Top 3 des cultes bizarres tradition

52 68 Édito 74 Dossier Le sans-abrisme

82 Le saviez-vous ?

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Quand le partage des richesses n’est pas la priorité

inégalité

84 Édito 90 Dossier Le jeu vidéo, un art ?

97 Le saviez-vous ? Les sports étranges culture

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La mondialisation est-elle un danger ? D

epuis le début des années 1980, la « mondialisation » désigne le processus par lequel les relations entre les nations sont devenues interdépendantes et ont dépassé les limites physiques et géographiques. Elle touche désormais plusieurs thématiques comme la politique, l’économie, la culture, la société ou encore l’information. Au cours des 40 dernières années, le processus de mondialisation s’est intensifié spectaculairement. L’explosion du bloc soviétique, et

désormais l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, met naturellement en lumière l’éclosion de ce phénomène. Si les guerres mondiales ont su freiner le mouvement, rien ne semble pouvoir arrêter ce processus désormais bien ancré dans notre vie quotidienne. Des frontières fermées, des livraisons ralenties et une dépendance hors norme vis-à-vis de la Chine, et si l’effet de « mondialisation » était réellement en danger ? Guillaume BESSON

Nos rédacteurs Camille ROMAND

Benjamin LAURIOL

Anthony COMBEROUSSE

Lucas MOLLARD

Elzéa COLOMB

Tristan CHALVET

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À votre santé !

Mais pas pour tout le monde Au XXIe siècle, la science et la médecine n’ont jamais été aussi avancées dans le monde. La technologie, entre autres, a permis de faire de nombreux progrès et des pays collaborent pour améliorer nos conditions de vie. Mais derrière ce beau tableau, se cache une réalité plus sombre.

À

notre échelle d’habitants d’un pays développé, il nous semble normal d’être en bonne santé, de pouvoir se faire soigner à l’hôpital ou encore d’acheter des médicaments dans une pharmacie. Mais si nous prenons l’échelle mondiale, la réalité est loin d’être aussi belle. Inégalités, soif d’enrichissement, développement de maladies… autant de raisons qui montrent que la mondialisation a un impact sur la santé.

personnes vivent dans la pauvreté à cause des coûts élevés des soins. Et contrairement à ce que nous pourrions croire, la pauvreté ne concerne pas uniquement les pays pauvres. Dans les pays occidentaux, 20 % des enfants vivent dans la pauvreté et un sur huit ne mange pas à sa faim. La pauvreté constitue une menace pour la santé : malnutrition, logement insalubre et manque d’accès à l’eau potable sont des exemples.

c'est la somme que la République tchèque économise en frais de santé, de retraite et de logement chaque fois qu'un fumeur trépasse ». L'objectif était de montrer aux Tchèques qu'il n'était pas utile d’augmenter les taxes sur le tabac, car celui-ci rapporterait au budget de l’État plus qu'il ne lui coûte. Autre exemple, le gouvernement des États-Unis a tenté d’utiliser l’accord du GATT (accord de commerce) pour forcer la Thaïlande à ouvrir son marché aux sociétés de tabac américaines. Le développement de maladies

Même si nous faisons des progrès dans le domaine de la santé, nous devons encore améliorer l’accès aux soins pour le plus grand nombre. © Pixabay

Croissance des inégalités

L’argent avant la santé

Chaque année, l’Oxfam (confédération de 20 organisations caritatives indépendantes à travers le monde) publie un rapport sur les inégalités dans le monde. En 2020, l’organisation confirmait que l’écart entre les riches et les pauvres continuait de se creuser. On compte 2 153 milliardaires à travers le monde qui possèdent l’équivalent de la richesse de 4,6 milliards de personnes, soit 60 % de la population mondiale.

À l’ère moderne, l’enrichissement l’emporte souvent sur tout le reste, certains politiques et entreprises en viennent à la déshumanisation afin de proposer leurs services.

Toujours d’après l’Oxfam, chaque jour, 10 000 personnes meurent dans le monde car elles n’ont pas accès à des soins de santé abordables, et chaque année, 100 millions de MONDIALISATION

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Chaque année, 100 millions de personnes vivent dans la pauvreté à cause des coûts élevés des soins.

Le diabète de type 2, maladie souvent due à une alimentation trop riche, ne touche pas que les pays développés. Dans les pays en voie de développement, le nombre de cas ne cesse d’augmenter comme par exemple en Afrique où les chiffres sont passés de 4 millions en 1980 à 25 millions en 2014. Les changements de modes de vie rendent les gens moins actifs. Ils ont ainsi accès à une alimentation trop riche en sucres et en graisses. Il en est de même pour l’obésité, dont le nombre de cas augmente aussi à travers le monde. En 2016, 340 millions d’enfants sont atteints d’obésité. Si la progression se poursuit, près d’une personne sur quatre dans le monde sera obèse d’ici à 2045 selon des chercheurs danois et britanniques. Cette hausse de l’obésité s’accompagnera d’une augmentation des cas de diabète de type 2, qui passeront de 9 % de la population mondiale en 2017 à 12 % en 2045.

Au début des années 2000, l’entreprise américaine Philip Morris, spécialisée dans le tabac, a publié une étude indiquant que « 1 227 $, Camille ROMAND


« Soft Power », Concept né et développé en 1990 par Joseph Nye, célèbre professeur américain, le « soft power » se définit par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que coercitifs. Longtemps prôné par les États-Unis, d’autres grandes nations comme la Chine et l’Inde en ont fait du « soft power » leur principale force d’attraction dans le monde.

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Lancé en 1990 aux États-Unis, le « soft power » trouve désormais sa place en Chine et en Inde, mais les limites restent nombreuses. © Pixabay

ncien secrétaire adjoint à la Défense de Bill Clinton, Joseph Nye a tenté l’expérience politique pour redresser l’image du « soft power » américain, chahutée dans un premier temps par la montée en puissance du Japon et de l’Allemagne. Sur le déclin et omniprésent dans le débat public, le concept forgé par ce dernier en 1990 ne répondait plus aux attentes de son peuple. Longtemps basé sur la force politique et militaire, la notion de « soft power » a vu son sens changer au fil des années. Désormais, la culture, l’idéologie et l’imaginaire viennent compléter les

compétences politiques et militaires pour se développer au sein d’autres nations.

Certes, le soft power a vu le jour en 1990, par le biais de Joseph Nye, pour donner suite à l’effondrement

« Si vous décidez d’ignorer radicalement le soft power, vous reniez une composante très importante dans l’Histoire du monde » Joseph Nye. Utilisés depuis une trentaine d’années, le « soft power » et son alter égo « le hard power » permettent d’analyser les composantes de la puissance d’un État. Ceci ne date pas d’aujourd’hui.

de l’URSS et à la fin de la guerre froide. Mais si le terme n’existait pas encore, d’autres nations que les ÉtatsUnis l’ont pratiqué bien avant. De la Grèce antique, en passant par la monarchie française du XVIIIe siècle ou la Grande-Bretagne du XIXe siècle,

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à qui le tour ? tous ont, à leur sauce, participé au développement de cette notion pour l’intégrer dans la vie courante au XXe siècle par les États-Unis. Les États-Unis, sur le déclin De 1945 à 1989, les ÉtatsUnis s’affirment comme une superpuissance complète et sans équivalent dans un contexte de guerre froide. Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de l’URSS, les États-Unis apparaissent alors comme le grand vainqueur idéologique d’un combat de plus de 40 ans. Ils tentent alors par le biais du « soft power » de prendre le « leadership », notamment en organisant le monde autour de la démocratie et du droit.

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parts sur le marché. Cette puissance de l’image se voit d’ailleurs relayée par les publicités des firmes américaines et impose l’anglais comme langue de transmission. Largement diffusé d’autres façons, le modèle américain par ses valeurs, son accueil ou encore son aide est adopté et partagé par d’autres régions du monde. Toutefois, le « soft power » s’écroule sous les mandats de Bush. L’image des ÉtatsUnis change également, notamment avec la prise de certaines décisions relatives à la prison de Guantanamo ou encore les dégâts infligés sur des détenus dans les prisons irakiennes. Inconsciemment, les États-Unis cèdent leur place à d’autres nations comme la Chine avec le « socialisme de marché ».

C'est la place des Etats-Unis dans le dernier classement publié par « The soft power 30 ». Des études qui classent les pays selon leur influence mondiale.

La Guerre du golfe remportée par les États-Unis est le lancement d’une nouvelle ère, qui permet aux Américains de montrer leur domination militaire et stratégique, voire de s’ériger comme « les gendarmes du monde ». Par la suite, grâce à cette domination, ils s’imposent comme un modèle dans le monde entier et tentent de placer des pions géostratégiques. La culture se développe et le modèle américain s’exporte et devient essentiel pour la population mondiale, notamment grâce à la diffusion d’œuvres cinématographiques développées à Hollywood et des séries télévisées. Rapidement, les industries culturelles américaines dominent l’essentiel des marchés mondiaux, avec des « blockbusters » à forte rentabilité, et le cinéma décolle avec près de 70 % des

La Chine tente, l’Inde rêve Si Donald Trump n’a rien fait pour relancer le « soft power », en réalisant un mandat basé sur le protectionnisme, d’autres nations fortes depuis de nombreuses années développent en parallèle un soft power. C’est le cas de la Chine, qui cherche à diffuser l’image d’un pays stable, pacifique et civilisateur. « La Chine ne se considère pas comme une puissance extrêmement arrogante et toute puissante. L’objectif est de poursuivre la réémergence du pays sur la scène internationale », nous assure Antoine Bondaz, enseignant à Science Po et intéressé par la politique étrangère et la sécurité chinoise. Depuis octobre 2019, un institut Confucius qui sert à apprendre le

mandarin et découvrir la culture chinoise a ouvert ses portes à Pau. Lancé en 2004, ce programme a connu un développement fulgurant, puisque 548 instituts ont ouvert dans 154 pays différents. On compte aisni à l’échelle mondiale 2,7 millions d’inscrits. Voici comment la Chine s'est, par le biais de sa langue, lancée timidement dans un « soft power » bien à elle. Toutefois, la superpuissance chinoise ne s’arrête pas là et tente d’axer sa ligne directrice sur le rayonnement international grâce aux opérations du maintien de la paix en ciblant principalement l’Afrique. Ceci dans l’optique de faire oublier les images de la répression de la place de Tian'anmen en 1989, exercée par un pouvoir autoritaire. Alors que la place de la Chine dans les rapports de force géostratégiques et dans la gouvernance mondiale s’est largement affirmée depuis 2000, cette stratégie connaît des insuffisances. « La Chine a un passif douloureux, qui revient souvent sur le devant de la scène, et finalement, la stratégie principale de ce pays dans le monde c’est d’utiliser son levier économique comme influence politique », nous explique Antoine Bondaz. En effet, depuis plusieurs années et malgré des essais la Chine s’essouffle et possède trop de limites (censure, liberté d'expression) pour exposer sa culture à l’étranger, comme les États-Unis l’ont fait un temps. Le dernier cas en date, l’arrivée du Covid-19 qui remet lui aussi en avant la mauvaise image sur la Chine, malgré des efforts pour se rattraper derrière avec l’envoi de masques. Alors qui sera le prochain à tenter son tour ? Certainement l’Inde, avec sa culture populaire bien à elle, sa cinématographie avec Bollywood et son monde universitaire. Si l’Inde a misé sur sa culture pour conquérir le monde, les ambitions se tournent désormais vers la politique et l’armement. Guillaume BESSON

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L’innovation, au service des constructeurs ou des clients ? À l’ère du « tout connecté », le secteur automobile n’est pas en reste. Avec l’arrivée des écrans et de la domotique à bord, le conducteur et ses passagers se sentent comme à la maison et seront bientôt poussés à n’être que des spectateurs du voyage via la conduite autonome. Reste à savoir si ces nouvelles technologies sont aussi impressionnantes que réellement utiles…

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epuis la création de l’automobile à la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, l’innovation a toujours été la clé de voûte. Aller plus vite, plus loin, de manière sécuritaire et confortable. Ce crédo est utilisé par les marques pour vanter les mérites d’un produit comme dans n’importe quel domaine. Oui, mais la voiture bénéficie d’un statut particulier répondant à différents besoins : le plaisir du week-end pour certains, le moyen de déplacement quotidien pour d’autres. En 2019 selon Statista, 54 % des Français utilisaient leur voiture tous les jours ou presque. Et à l’échelle mondiale, on dénombre plus de 1,5 milliard de véhicules en circulation. Un marché gigantesque qui pousse les constructeurs automobiles à la recherche et la création de nouveaux produits. Preuve à l’appui avec le CES (Consumer Electronics Show), plus grand salon de l’innovation situé à Las Vegas, chaque année. Taxis volants, écrans de plus d’un mètre de long, voitures autonomes, tous les projets les plus fous sont dans la nature. Mais le gros du travail n’est pas aussi tapeà-l'œil…

« Mon rôle, c'est de donner le courage à l'organisation de Renault pour (...) monter sur la chaîne de la valeur, inventer des choses en France, et y créer de la valeur ajoutée et des emplois. » Luca de Meo, directeur général de Renault, le 14 janvier 2021

Des prouesses uniques au monde L’innovation dans l’automobile est plurielle. Matériaux, sécurité active et passive, équipements, design, mécanique… Chaque élément peut et doit être travaillé. Pirelli, fabricant de pneumatiques, a récemment présenté son pneu intelligent, capable d’informer le conducteur en temps réel mais aussi de faire réagir directement la voiture grâce à des capteurs et systèmes électroniques. Combien de véhicules sont désormais capables de reconnaître le son de votre voix ou le moindre de vos gestes pour changer de musique ? L’espace intérieur est confié à des architectes pour rendre agréable le pire de vos trajets, avec des écrans plus grands, la possibilité de surfer sur internet ou même de jouer à un jeu vidéo avec le volant de la voiture (référence à Tesla, marque créée par Elon Musk). L’innovation concerne aussi bien les modèles de série que la compétition de haut niveau. Par exemple, la technologie hybride (thermique + électrique) des moteurs de Formule 1 a aidé au développement de celle des voitures actuelles, dès 2009. Une logique marketing malsaine Alors quand est-ce que s’arrête cette logique positive ? Les constructeurs automobiles bénéficient d’un énorme secteur commercial. Et la technologie peut savoir se rendre excessivement coûteuse pour pas grand-chose. Les marques dites « premium » allemandes vous facturent parfois plus de 40 000 € d’options cachées dans un immense catalogue, au détriment de l’équipement de série et du prix moyen grandissant des voitures. Le manque de vigilance dû aux aides à la conduite oblige la Sécurité routière à prévenir des risques encourus. Comme quoi l’innovation s’arrête peut-être là où elle empiète sur l’Homme et ses capacités… Les feux bénéficient des dernières technologies comme le laser, permettant d’ajuster la direction du flux lumineux intelligemment : éclairer un piéton, suivre la courbe d'un virage etc. © Pixabay / Franckin Japan

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La voiture peut-elle servir l’environnement ? Dans un contexte de crise écologique mondiale, l’automobile est souvent pointée du doigt. Entre les scandales (Dieselgate), la fiscalité (trop) attrayante des véhicules hybrides ou l’empreinte carbone désastreuse, son avenir semble tendre vers l’électrique. Mais toute énergie propre garde ses contraintes et cache une réalité beaucoup moins glorieuse.

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es constructeurs automobiles européens font face à un véritable casse-tête pour ne pas payer d’amende liée à la pollution. La dernière norme d’émission Euro 6d demande, depuis le 1er janvier 2020, aux groupes automobiles européens de respecter un plafond de rejet de 95 grammes de CO2 par kilomètre, en moyenne, sur l’ensemble de leur gamme. Raté pour Volkswagen qui devrait écoper d’une amende de plus de 100 millions d’euros… pour un quota dépassé de 0,5 gramme. On ne rigole pas avec l’environnement. Pire encore, le constructeur est pourtant le premier vendeur de voitures électriques sur le continent ! Ce qui semble être une anomalie représente pourtant le paradoxe qui existe entre la fiscalité de chaque pays, les avancées des constructeurs et le réel intérêt des énergies propres. La pollution d’une vie Les détenteurs d’un permis et d’un véhicule connaissent le b.a.-ba des mesures mises en place en France : bonusmalus, normes d’émission, vignettes Crit’Air etc. Chaque véhicule neuf est mesuré et classé suivant ses émissions de CO2 calculées à l’échappement. Mais bientôt, l'équation se fera sur l’ensemble de son cycle de vie, c’est-à-dire de sa conception en passant par l’usinage, son usage jusqu’à son recyclage.

La communauté européenne travaille à la mise en place de ce calcul ACV (analyse du cycle de vie) pour les années à venir. Plus de 300 critères vont être passés au peigne fin, de l'extraction des matières premières, de leur transport, jusqu’à la pollution digitale ou au nombre de voyages des employés d’une firme ! Renault a d’ailleurs annoncé la réhabilitation possible de ses modèles ZOE, revendus d’occasion par la marque mais remis à neufs, comme pour un smartphone reconditionné. L’automobile fait peut-être face à la plus grande mutation de son histoire. Des fake news à la pelle Difficile toutefois de démêler le vrai du faux sur de nombreux aspects lors de la conception d’un modèle, en particulier électrique. De nombreux médias parlent de métaux rares contenus dans les batteries, de l’impossibilité de recycler certains composants et de la production d’électricité climaticide. Une affirmation qui laisse songeur, même si certains pays comme la Pologne ou la Chine utilisent encore les centrales à charbon pour produire de l’énergie quand le travail des enfants dans les mines passe incognito. Les voitures anciennes ou sportives sont aussi les premières sur la liste des espèces en danger. Alors que la majorité ne roulent que quelques centaines de kilomètres par an et/ ou sont bichonnées depuis des dizaines d’années. Et parler d’avenir quand il n’y a plus de rêve…

Benoit Charrette, ministre de l’Environnement du Québec, a déclaré en novembre 2020 que la vente de véhicules neufs à essence sera interdite au Québec dès 2035.

Les voitures électriques et hybrides rechargeables ont représenté 4,2 % des ventes mondiales de véhicules neufs particuliers l'année dernière. © Pixabay, Joenomias

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L’industrie automobile, face cachée d’un produit de luxe Les lignes de montage à l’arrêt. Cela faisait bien longtemps que les constructeurs n’avaient pas vu cela, mais Covid-19 oblige, l’industrie doit s’adapter. Celle-ci sert de levier entre un modèle et sa production de masse, ou même parfois de vitrine technologique pour les cadors du marché. Ces immenses usines rassemblent donc des hommes, des robots mais aussi des idées…

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t si la chaîne de production commençait à l’envers ? Direction l’atelier de peinture dans une des usines Audi à Neckarsulm en Allemagne. Le constructeur utilise depuis deux ans, un petit robot capable d’appliquer une teinte sur le toit sans gaspiller la moindre goutte de peinture avec une précision au millimètre près. Un gage de qualité et une prouesse pour préserver l’environnement : finis les bandes adhésives de protection et le papier. Mais la machine ne remplacera certainement pas le savoir-faire de l’humain. En Italie, Ferrari propose un programme exclusif baptisé « Tailor Made », permettant alors choisir les cuirs, finitions, peintures, matériaux pour chaque élément de la voiture. Un service à la carte qui peut, pour finir, se chiffrer en centaines de milliers d’euros.

« Nous ne voulons pas supprimer des postes, mais confier aux robots collaboratifs certaines tâches, plus fatigantes ou répétitives. Dans un premier temps, ils seront peut-être plus lents, mais le salarié peut travailler en parallèle sur des opérations particulièrement complexes ou à forte valeur ajoutée, ce qui permet finalement de gagner du temps. » Anselm Blocher, coordinateur au sein du centre de recherche allemand pour l’intelligence artificielle (DFKI)

Délocalisations en vents contraires Si certains s’enrichissent, d’autres plongent comme l’industrie automobile en Algérie. Plusieurs marques se sont implantées progressivement, depuis le début des années 2010, pour produire des modèles sur place, avec une main-d’œuvre moins chère. Mais dix ans plus tard, le rêve n’existe déjà plus. La plupart des patrons est en prison pour cause de corruption et toutes ces usines ont fermé, laissant place à quelque 3 000 salariés sans poste. Une logique retournée dans le cas de Toyota, premier constructeur mondial dont la Yaris, un modèle compact, est produit en France dans l’usine de Valenciennes depuis 2001 ! Une initiative qui rassemble 3 900 employés et un label « Made in France » mis en valeur dans toutes les publicités. Ce qui en a fait la voiture la plus produite dans le pays. Des projets industriels toujours plus grands La marque japonaise est aussi en passe de créer sa propre ville, au pied du Mont Fuji. « Woven City » pourra accueillir, à terme, 2 000 personnes pour tester ses produits à la manière de cobayes. 5G, réseau routier privé, pistes d’essais… tout y est. Dans un autre registre, Ferrari continue de travailler son image de marque et a proposé un partenariat avec l’un des plus grands parcs d’attraction au monde : Port Aventura en Espagne. Une partie entière est dédiée au cheval cabré (le logo) avec ses produits dérivés et sensations fortes proches de la Formule 1. Comme quoi rien n’est trop beau pour développer ses technologies et étendre, à la manière d’un royaume, son territoire aux quatre coins du monde.

Il faut désormais moins de 24 heures pour construire entièrement une voiture de taille moyenne. © Pixabay, Carlos Aranda

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L’instant de vérité autour de la voiture et ses dérivés Vrai ou faux ? Terriens vous propose une sélection de questions-réponses autour de mythes, fake news et d’anecdotes concernant l’automobile et plus généralement des mobilités. Et non, ne pas payer son amende ne vous fera pas garder vos points… Attachez votre ceinture, c’est parti !

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a vitesse est le premier facteur d’accident mortel en France.

Si je commets une infraction lorsque je suis à vélo, je risque seulement une amende.

Une voiture est volée environ toutes les 6 secondes dans le monde.

C’est la première fois depuis la création de l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière que l’alcool n’est pas en tête. 32 % des tués sur les routes sont dus à une vitesse trop élevée contre 29 % pour l’alcool. À noter que 21 % des victimes ne portaient pas leur ceinture de sécurité.

Les croyances sont parfois tenaces et vous connaissez l’histoire de la perte de points sur une bande cyclable ou au ski. Mais selon la Sécurité routière, « il ne peut y avoir de retrait de points que pour les infractions commises avec un véhicule pour la conduite duquel un permis de conduire est exigé. C’est ainsi qu’une infraction au Code de la route commise à bicyclette ou en voiturette, par exemple, ne donne pas lieu à un retrait de points, mais peut donner lieu à une amende ».

On estime à 3,59 millions le nombre de voitures déclarées comme volées par an avec, en tête, les États-Unis suivis… de la France qui figure comme un mauvais élève en deuxième position.

Plus de 40 % des voitures vendues en Europe en 2020 sont des SUV. Pas de panique si vous ne connaissez pas le terme. Les SUV (littéralement véhicules utilitaires de sport) sont ces véhicules rehaussés, plus gros que des voitures classiques, aux allures de 4X4 de ville. On peut citer les Audi Q5, Peugeot 2008 et autres Renault Captur. La ville de Los Angeles aux États-Unis compte plus de voitures que d’habitants. Aussi fou que cela puisse paraître, la ville compte environ 4 millions d’habitants pour 6,1 millions d’automobiles enregistrées. On commence à comprendre les autoroutes à 10 voies…

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Près de 165 000 nouvelles voitures sont fabriquées chaque jour dans le monde. Selon l’OICA (Organisation internationale des constructeurs automobiles), on compte plus de 96 millions de véhicules produits dans le monde en 2018. Un nombre qui augmente d’année en année, sauf en 2020, comme attendu. 6 000 véhicules volontairement incendiés par an, en France, relèvent de la fraude à l’assurance. L’escroquerie à l’assurance prend le plus souvent la forme d’une fausse déclaration de sinistre dans le but de percevoir une indemnisation. Un classique du genre reste la déclaration d’incendie. Cette fraude est reconnue comme un délit pénal puni d’une peine de 5 ans de prison et de 375 000 euros d’amende.

Toyota est constructeur mondial.

le premier automobile

Pour la première fois depuis 2015, la firme japonaise a pris la place de Volkswagen sur le marché automobile mondial en volume, en écoulant 9,53 millions de véhicules. Et ce, même si les ventes sont en recul de plus de 11 % par rapport à 2019. 34 milliards de litres d’eau sont consommés annuellement pour laver sa voiture. Un lavage par jet d’eau haute pression consomme en moyenne 50 à 60 litres d’eau par véhicule léger contre 200 pour un système à rouleaux et jusqu’à 500 pour un lavage individuel chez soi. 490,484 km/h, c’est la vitesse atteinte par la Bugatti Chiron Super Sport 300+ en août 2019. Le constructeur français a battu ce record de vitesse sur un exemplaire modifié et le record n’est donc pas homologué. N’empêche que personne ne fait mieux et c’est construit chez nous ! Benjamin LAURIOL


Musique et cinéma français, une réussite internationale Avec près de 300 millions de personnes parlant le français et 29 langues officielles, la langue de Molière est la sixième la plus parlée au monde. Par ailleurs, l’Hexagone compte plus de deux millions d’expatriés. Le français s’exporte donc bien ! Mais qu’en est-il de la culture française et notamment la musique et le cinéma ? Éléments de réponse.

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orsque l’on parle de culture française, on pense d’abord au cinéma, la France étant le pays fondateur de cet art grâce aux Frères Lumière au XIXè siècle. Sa qualité n’est plus à prouver et les pays étrangers n’hésitent pas à en acheter les droits. Par conséquent, il est possible de visionner des films français sur chaque continent. En 2019, c’est un total de 869 films qui a été diffusé dans le monde entier selon Unifrance. Un record ! Mais cette diffusion massive n’attire pas nécessairement les spectateurs. Toujours selon les chiffres d’Unifrance, ils n’ont attiré que 45.3 millions de personnes en 2019 contre une moyenne de 77 millions ces dix dernières années. La palme revient à l’année 2012 avec un impressionnant total de 144 millions. Cette année-là, le cinéma français avait été impacté par le succès mondial d’Intouchables. Le film d’Olivier Nakache avait compilé à lui seul, plus de 30 millions de personnes. Les plateformes de streaming, un véritable boost

Si dans les salles de cinéma, les entrées sont plus faibles ces dernières années, cela est compensé par l’arrivée des mastodontes Netflix ou Amazon Prime. En 2019, les films français représentaient en effet 2,4 % du catalogue sur les plateformes SVOD dans le monde. Plus faciles d’accès, des séries font également des cartons d’audience. À l’image de Lupin, porté par Omar Sy. Sortie en janvier dernier, la série a été vue par plus de 70 millions d’utilisateurs en un mois, se plaçant même à la première place du top 10 des tendances aux Etats-Unis, au Brésil, au Vietnam ou aux Philippines. Le constat peut aussi être fait au niveau de la musique avec les plateformes de Spotify ou Youtube. Grâce à ces plateformes, la chanson française peut être écoutée n’importe où et n’importe quand de manière gratuite. Grâce au hit Djadja, la chanteuse Aya Nakamura s’est par exemple retrouvée dans le top 15 Monde Chansons l’an dernier.

l’économie musicale. En 2019, elle a atteint 316 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’international, soit une croissance de 6,5 %. Si l’Europe reste la première source de revenus avec 204 millions d’euros, en Amérique du Nord, les bénéfices ont connu une croissance de 14 %, se portant à 68 millions.

« Les Alliances Françaises servent au renom de la culture française » Les Alliances Françaises sont des organisations qui ont pour vocation de diffuser les cultures françaises et francophones dans le monde. Comment s’y prennent-ils ? Interview de Jean-François Hans, délégué géographique à la fondation des Alliances Françaises. Quel est l’impact des Alliances Françaises de l'exportation du cinéma à l’étranger ? Le réseau des Alliances Françaises contribue beaucoup à le faire rayonner. Dans de nombreuses Alliances Françaises, il y a des ciné-clubs par exemple. Animer un ciné-club veut dire que des gens s’intéressent au cinéma français. On organise, avec l’ambassade, un festival de cinéma français en Australie qui diffuse près de 40 films français et suivi par 175 000 personnes. Les Alliances Françaises organisent également des séances qui ont des liens avec des partenaires locaux. Elles sont organisatrices de ces projections dans des salles de cinéma. Et au niveau de la musique ? En Afrique, les Alliances Françaises sont un relais pour la musique. Il y a des échanges musicaux entre la France et les musiques locales. L’Alliance Française de Nairobi au Kenya est par exemple très active.

L’économie musicale en pleine expansion Bien aidées par le streaming, les certifications export, qui regroupent les ventes physiques et digitales hors France, connaissent un boom. Selon l’association Bureau Export, elles ont été quasiment doublées en 2019 par rapport à 2018 et 55 artistes ont été certifiés contre 37 un an plus tôt. Cette réussite internationale profite également à MONDIALISATION

Est-ce une réussite ? C’est une réussite ancienne. Elles sont présentes sur les 5 continents pour plus de 830 Alliances Françaises. C’est un bagage qui sert à la diffusion et au renom de la culture française.

Anthony COMBEROUSSE

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Quand la langue anglaise s’invite dans notre quotidien Depuis l’avènement d’Hollywood en 1920, l’« american way of life » est exportée à toutes les sauces. Les séries télévisées et les films anglo-saxons mettent en scène l’image de l’Amérique avec ses mythes et ses héros. Et tout le style de vie qui en découle. Un modèle de soft-power qui influe indirectement sur notre langage quotidien.

élèves de mettre des sous-titres originaux. » D’après l’enseignante, ce nouveau mode d’apprentissage beaucoup plus ludique permet aux nouvelles générations d’acquérir plus de facilités en cours : « Je suis professeure depuis près de 20 ans et j’ai clairement vu une différence de niveau à l’oral, chez mes élèves, depuis que je leur conseille de regarder leurs séries en anglais. Pour l’écrit ça reste encore autre chose… », relève-t-elle toutefois sur un léger ton d’humour. Le marché américain, deuxième exportateur mondial

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L' « American way of life », véhiculée par le cinéma, participe à l'exportation des termes anglo-saxons dans le monde. © Craig Drezek photography

laylist, backstage ou encore best-seller… Pas besoin d’être bilingue pour comprendre ces termes bien qu’ils découlent tous de l’anglais. La langue la plus parlée au monde du fait de sa facilité d’apprentissage est devenue une langue universelle dans le monde de la culture comme la musique, la littérature et plus particulièrement le cinéma.

apprécier l’anglais avec la « VO ». Beaucoup plus accessibles qu’un roman à lire en anglais, les séries en VO peuvent être comprises dès le plus jeune âge grâce aux soustitres. Chaque collégien a d’ailleurs déjà entendu une fois dans sa vie sa professeure d’anglais lui conseiller de regarder des films ou des séries, pour s’habituer à entendre et comprendre cette langue.

Les séries, miroir international de la culture américaine ?

Pour Kate Mattew, professeure d’anglais dans un lycée, cette méthode a démontré son succès auprès des jeunes étudiants mais détient tout de même certaines limites. « Le problème avec les séries télévisées, c’est que les sous-titres peuvent être en français et c’est une très mauvaise habitude à prendre si l’on est débutant. Car notre attention est focalisée sur la lecture et non l’audition. Personnellement, je conseille à mes

Les États-Unis font partie des principaux leaders du monde cinématographique. En plus d’abriter derrière la facette du divertissement, des messages parfois géopolitiques comme l’hostilité envers le MoyenOrient, depuis les attentats de 2001, les films et séries américaines permettent de faire découvrir ou MONDIALISATION

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Et même si votre professeur d’anglais préfère les techniques traditionnelles d’apprentissage, il faudrait vivre dans une grotte pour échapper aux films et séries américaines. Deuxième exportateur de séries derrière la Turquie, le cinéma américain peut compter sur les grandes chaînes telles que ABC, Fox ou encore HBO, chaîne réputée pour sa diffusion de la série Game of Thrones dans près de 170 pays. Le géant du streaming américain, Netflix, compte également à lui tout seul près de 158 millions d’abonnés dans le monde. Cette plateforme a fait connaître bon nombre de séries dont les best-sellers House of Cards ou encore Orange is the new Black. En France, cette société comptabilise près de 6,7 millions d’abonnés, dont 3,5 millions quotidiens. À titre de comparaison, c’est le nombre de téléspectateurs par jour, de la chaîne France 5.

Lucas MOLLARD


Appropriation culturelle : L’art, le luxe, les vêtements et même la nourriture… L’expression « appropriation culturelle » a timidement fait son apparition sur la scène internationale. Lorsque des aspects d’une culture sont utilisés par certaines industries, elles le qualifient souvent d’hommage ou d’inspiration. Pourtant, les communautés en question, souvent minoritaires, parlent d’appropriation culturelle. Alors quelle est la limite ? Quelles en sont les conséquences ?

L

orsqu’on dit « appropriation culturelle » de quoi parlet-on réellement ? À cette question, le sociologue Éric Fassin propose une définition simple : « C’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination ». Pour comprendre la notion, il faut revenir à son origine. L’expression apparaît dans les années 1990 aux États-Unis, en même temps que le mouvement Black feminism. À cette époque, la notion de « prendre le dessus sur l’autre » prend tout son sens, que ce soit d’un point de vue culturel, ethnique ou socio-économique. De plus en plus, des communautés s'expriment sur la question, et ce, dans des domaines très éloignés les uns des autres.

La communauté nippo-américaine a eu également droit à son lot de désillusions concernant les agissements de Kim Kardashian, une des personnalités les plus célèbres d’Instagram. L’influenceuse projetait de faire de « Kimono » une marque déposée, bien que ce vêtement traditionnel soit ancré dans la culture japonaise depuis des siècles. L’industrie musicale contrainte au métissage La musique a beau être universelle, chaque genre musical a son histoire et sa genèse. C’est pourtant bien cet art qui constitue une des premières formes d’appropriation culturelle dans les années 20. À cette époque, le jazz et la country font leur apparition. Ces deux styles musicaux ont d’abord été chantés et dansés par la communauté noire. Le jazz apparaît à une période où le Ku Klux Klan rassemble près de 5 millions de membres selon Kathleen M.Blee, auteure et sociologue. La country, quant à elle, tire son origine du folk et du blues en Amérique du sud.

80 % du patrimoine culturel africain se trouve en Europe en raison de notre histoire coloniale Le défilé de Marc Jacob en 2016, collection Printemps-Été. © Getty Images

Quand les autres cultures sont à la « mode » Sur les podiums, nombreuses sont les marques à avoir été pointées du doigt sur la question de l’appropriation culturelle. Le port d’une coiffe amérindienne lors d’un défilé Victoria’s Secret, les dreadlocks des mannequins chez Marc Jacobs ou encore les turbans inspirés de la culture Sikh chez Gucci. Cette liste non exhaustive montre réellement les enjeux de l’appropriation : elle utilise un code culturel ou religieux pour le détourner à d’autres fins. Dans le monde de l’influence également, la sphère d’Instagram a eu son lot de polémiques. De nombreuses personnes blanches choisissent ainsi d’alimenter l’ambiguïté en changeant leur trait, leur teint ou leurs cheveux. Cette « mode » aurait eu pour but de gagner en popularité en s’appropriant des codes appréciés ou admirés par la communauté afroaméricaine par exemple.

Ce qui pousse réellement à la réflexion, ce sont les playlists modernes qu’il est possible de retrouver sur des applications telles que iTunes ou Spotify. Les artistes noirs y sont peu nombreux. Ce phénomène tire son origine dans les années 30, à l’époque de l’Apartheid où les radios refusent catégoriquement de diffuser des artistes noirs. Une partie de la population est donc contrainte au silence, tandis que d’autres artistes comme Elvis Presley, en pleine ascension, popularisent ces genres musicaux qui prennent un tout autre visage qu’à leurs origines. Un patrimoine culturel en souffrance À l’heure où la colonisation était encore une norme, de nombreuses œuvres culturelles telles que des statuettes ou des sculptures ont été emportées par la France en tant que butin et pillage de guerre. Malgré la décolonisation, une partie du patrimoine artistique de l’Afrique subsaharienne est toujours exposée dans des musées français. Emmanuel Macron, lors d’un discours en 2017, a clairement signifié son envie de rendre ces œuvres au continent africain.

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une culture, pas un déguisement LE SAVIEZ-vous

?

Les coiffes amérindiennes étaient fabriquées à partir de plumes d’aigles. Ils sont aujourd’hui les seuls à avoir le droit de les chasser en Amérique du Sud car si la pratique est culturelle, les aigles sont devenus une espèce protégée. Il aurait « ouvert la boîte de Pandore », selon Sindika Dokolo, homme d’affaires de la République Démocratique du Congo en s’adressant au New York Times. Des pays comme l’Angola, le Burkina Faso ou encore le Congo sont satisfaits des actions menées par Emmanuel Macron, dans le but que « le patrimoine africain ne réside pas uniquement dans des collections privées et dans des musées européens », avait-il assuré lors d’un discours à Ouagadougou en novembre dernier. Le président de la République s’est également engagé à restituer au Bénin

26 œuvres pillées par les troupes coloniales en 1892 et aujourd’hui conservées au Musée du Quai Branly, à Paris. À Paris, capitale mondiale du marché de l’art tribal, Alexandre Giquello, le président de Drouot, a été l’un des premiers à réagir à cette annonce. « En novembre dernier, tous les collectionneurs ne parlaient que de cela. La grande majorité des africanistes, qui ont collecté les pièces du XIXe et du début du XXe, aimait l’Afrique et sa culture. Et ce rapport fait peser sur eux une présomption de culpabilité », dénonce le commissaire-priseur. Si la question entre appréciation ou appropriation culturelle se pose de plus en plus, c’est que la parole se libère et que les communautés concernées revendiquent davantage leur appartenance. Plus qu’un réel débat, la problématique d’appropriation culturelle relève de sensibilité et est une forme d’affirmation et d’émancipation. L’hommage ou l’inspiration s’arrête lorsque l’histoire d’une culture est niée ou lorsque les codes culturels servent les intérêts, sans être cités ou expliqués.

« Quand on est une fille, on nous apprend à vivre avec la peur » Fiorella Romero

Le jazz dans les années 1920, une échappatoire symbole de joie. © Anthem Media

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Elzéa COLOMB


Hikikomori : des ombres Au Japon, il existe une partie de la population qui s’isole et n’a pas de contact avec le monde extérieur pendant des mois, voire des années. On les appelle les « hikikomori » et ils sont un phénomène qui prend de l'ampleur dans la société nippone. Mais qui sont-ils et pourquoi se coupent-ils du monde ? moments de sortie de leur espace sont pour des besoins impératifs, comme faire les courses par exemple. En général, le profil type de l’hikikomori serait un adolescent ou un jeune adulte âgé de 14 à 25 ans et habitant en ville. Mais cette image préconçue peut être fausse… Une société à la pression sociale énorme

L

Un hikikomori reste reclus chez lui des mois voire des années. © Francesco Jodice, Wikipédia

e mot « hikikomori » est composé de « hiki », issu du verbe « hiku » (reculer), « komori » dérive de « komoru », qui signifie « entrer à l'intérieur ». En français, nous pourrions le traduire par « retrait social ». Selon la définition donnée par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales japonais : est hikikomori l’individu qui refuse de quitter son domicile et de s’impliquer dans des activités sociales

qui répondent à ces critères pour une durée inférieure à six mois. Sortir uniquement nécessité

par

Enfermés dans leur domicile, les hikikomori passent souvent du temps sur internet et à jouer aux jeux vidéos. Certains peuvent aussi développer des troubles alimentaires et inverser leur cycle de sommeil (dormir le jour,

« Sortir du lot n’est pas bien vu, et pour les individus sensibles ou qui se sentent différents, ce n’est pas toujours évident à gérer. » Agathe parmentier, auteure et professeure au japon

en dehors du cercle familial. Il ne faut, en outre, souffrir d’aucune pathologie psychiatrique ou de retard mental significatif. La définition exclut ceux

vivre la nuit). Il arrive aussi souvent que des hikikomori coupent le lien avec leur famille. Ils n’ont pas d’emploi et ne suivent pas d’études. Les rares

Selon les estimations, il y aurait entre 200 000 et un million d’hikikomori au pays du soleil levant. Le Japon est un pays très à cheval sur les règles de comportement en société. Il faut se faire le plus discret possible et faire en sorte de ne gêner personne. L’échec est un concept honteux et les Japonais ayant par exemple affaire à un licenciement, feront tout pour le cacher afin de ne pas subir le regard des autres, y compris parfois de ses proches. C’est en partie pour cette raison que certaines personnes deviennent des hikikomori. Se sentant différents et incapable d’affronter la réalité et cette société très exigeante, ils préfèrent se replier sur eux-mêmes. Une prise de conscience de l’ampleur du problème Face à la montée en puissance du phénomène, le gouvernement japonais a décidé, il y a quelques années, de se pencher plus en avant sur le sujet. En 2016, les autorités nippones n’avaient recensé que les hikikomori de moins de 39 ans. Mais des associations demandaient depuis des années qu’une étude s’intéresse aux personnes plus âgées. Et les résultats de cette plus récente étude bouleversent l’idée préconçue que l’on se fait de ces personnes. Il y aurait en fait plus d’hikikomori au sein de la tranche d’âge 40-64 ans que chez les plus jeunes, faisant s’élever le nombre total de personnes touchées par ce problème à plus d’un million.

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au pays du soleil levant lever le nez de son écran et d’être livré dans l’heure, ou de pouvoir accéder à un ensemble de médias depuis son PC, sa tablette ou son téléphone, sont des « facilitateurs ». Comment peut-on venir en aide à un hikikomori pour le sortir de son isolement ? Il y a des associations, des médiateurs qui viennent en aide aux familles d’hikikomori qui en font la demande. C’est surprenant, mais ces demandes viennent généralement de la famille (et non pas de l’hikikomori luimême). Ces institutions proposent un accompagnement d’abord à domicile pour entrer en contact, puis le plus souvent à l’extérieur pour réamorcer une socialisation. Y a-t-il des hikikomori ailleurs qu’au Japon ? Agathe Parmentier vit à Tokyo depuis sept ans et s’intéresse au phénomène hikikomori. © Agathe Parmentier

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gathe Parmentier est auteure et professeure de français au Japon. Elle vit à Tokyo depuis sept ans et s’intéresse à la société et à la culture pop nippones. Elle étudie le phénomène des hikikomori, un thème qui sera abordé dans son prochain roman. Pourquoi les hikikomori se retrouvent-ils dans cette situation ? Il y a probablement un refus de se confronter à la société. Au Japon, il y a une pression sur l’individu plus forte qu’ailleurs. Il doit trouver sa place au sein de groupe et lui être utile. C’est un impératif. Sortir du lot n’est pas bien vu, et pour les individus sensibles ou qui se sentent différents, ce n’est pas toujours évident à gérer.

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Est-ce un problème majeur au Japon ? Tout dépend de ce que l’on entend par majeur. Disons que c’est une problématique dont se sont emparés les médias et les pouvoirs publics. Parce qu’au Japon, il est particulièrement important d’être un élément actif de la société. On pardonne difficilement à ceux qui ne rentrent pas dans le moule (que ce soit par choix ou non). Est-ce un problème qui s’est développé ces dernières années ou cela a-t-il « toujours » existé, sans que nous ne nous y intéressions ? Non, ce n’est pas un problème récent. Le gouvernement japonais évoque le phénomène depuis les années 1990. Disons que ces dernières années, le fait de pouvoir tout commander sans

Le phénomène, le nom lui-même, est exotique et fait un peu peur. C’est vendeur. Je note que le sujet de l’hikikomori a particulièrement été mis en lumière avec le coronavirus et l’isolement qui nous a été imposé. L’hikikomori devient un sujet d’étude intéressant, un précurseur, un isolé volontaire. Les médias du monde entier s’en emparent, comme pour marteler que les Japonais sont différents de nous. Mais dans le fond, nous sommes tous un peu hikikomori. Enfin, personnellement, je comprends sans mal les individus qui se coupent de la société de cette façon. Le phénomène de phobie sociale existe-t-il ailleurs qu’au Japon ? Oui. Les individus souffrent-ils de la pression de la société et tententils occasionnellement d’y échapper ? Oui. Alors y a-t-il des hikikomori ailleurs qu’au Japon ? Oui.

Camille ROMAND


Les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres Nous sommes 7,5 milliards sur Terre. 7,5 milliards d’êtres humains qui, tous les jours, travaillent, se nourrissent, se déplacent et tentent de survivre sur notre planète. Cependant, lorsque sont évoqués les sujets logement, emploi, argent ou alimentation, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Entre Jeff Bezos, le milliardaire américain, fondateur d’Amazon, et un Indien vivant dans son bidonville ou un enfant africain qui n’arrive pas à manger à sa fin, il y a un monde d’écart. Tour d’horizon des chiffres peu communs sur le partage des richesses dans le monde.

© Ninjason

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% de la fortune de Jeff Bezos

C’est aussi le budget santé de l’Éthiopie. Jeff Bezos a fondé dans les années 1990 Amazon, géant du commerce en ligne, qui fait partie aujourd’hui des entreprises les plus lucratives au monde. Il est également propriétaire du Washington Post et sa fortune personnelle s’élève à 191 milliards de dollars, faisant de lui « l’homme le plus riche de la planète ». Et justement un chiffre intéressant : 1 % de sa fortune personnelle équivaut au budget de la santé de l’Éthiopie, un pays composé de 105 millions d’habitants.

22 C’est le nombre d’hommes qu’il faut rassembler pour atteindre autant de richesses que l’ensemble des femmes d’Afrique. Selon un rapport de l’ONG Oxfam sur les inégalités dans le monde, datant de 2020, les 22 hommes les plus riches du monde, possèdent plus d’argent que toutes les femmes d’Afrique réunies. De gros travaux restent encore à faire sur le sujet de l’égalité homme-femme. 1 808 années de SMIC

26 C’est le nombre de milliardaires qu’il faut regrouper pour cumuler autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la planète. Des milliardaires célèbres, il y en a à foison. Bill Gates, fondateur de Microsoft, Elon Musk, propriétaire de Tesla ou Bernard Arnault, patron de LVMH, pour ne citer qu’eux. Eh bien saviez-vous que les 26 personnes les plus riches du monde, possèdent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la planète, soit 3,8 milliards de personnes. En 2017, il fallait compter sur la fortune de 47 milliardaires. Cela veut dire que les riches sont de plus en plus riches et les pauvres sont de plus en plus pauvres. Constat sans appel. MONDIALISATION

C’est ce que peut gagner un sportif français en une année. Dans le sport. Là aussi, l’argent est le nerf de la guerre et se révèle être au centre de toutes les attentions. Tennis, football, basket-ball, rugby, aucune exception n’est faite. Les sportifs sont de plus en plus rémunérés, bien qu’ils nous parlent sans arrêt de leur attirance pour le « projet sportif ». Cette année, le basketteur Rudy Gobert est devenu le sportif français le mieux payé avec un nouveau contrat lui rapportant 205 millions de dollars sur les cinq prochaines années. Soit 33 millions d’euros par an. C’est aussi la même somme qu’a perçue le footballeur Antoine Griezmann sur l’année 2018, lorsqu’il jouait encore pour l’Atlético de Madrid. Ce que ces deux sportifs ont touché en une année, représente 1 808 années de travail au SMIC. De quoi se motiver pour travailler les contrôles de la poitrine et frappe enchaînée. Tristan CHALVET

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Environnement : oui aux alternatives D

e Gaïa la divinité grecque à la Mère nature des tribus amazoniennes, la nature a toujours eu une aura primordiale dans les sociétés du monde. À l’ère de l’industrialisation, face aux objectifs de croissance économique qui poussent des pays comme l’Inde ou le Brésil à polluer davantage, des peuples résistent. Les tribus amazoniennes, les Bishnoïs en Inde, mais aussi les peuples océaniens ou la nation rwandaise, tentent

d’initier des alternatives, pour un quotidien de chacun respectueux de leur mode de vie et de l’environnement. Des efforts, des sacrifices, des progrès, des exemples, pour limiter les dérèglements climatiques, et conserver les modes de vie, les écosystèmes, les cultures. Un jardin à cultiver, à mieux cultiver, à bien cultiver.

Gaël TRAUB

Nos rédacteurs Sylvain GAUTHIER

Kenny LAUTERBACH

Marie de MONTERNO

Benjamin LAURIOL

ENVIRONNEMENT

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© Venance Journé

« La science, c'est être sceptique »

Chercheuse au CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), Venance Journé a longtemps étudié la question climatosceptique. Un fléau, selon elle, dont les origines tiennent avant tout des lobbies et de la désinformation. L'impact de la crise sanitaire et des changements climatiques, de plus en plus visible de nos jours, permet cependant de changer les modes de pensée, même si un long chemin reste encore à parcourir...

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où viennent les idées climatosceptiques ?

À l'instar de toutes les fake news sur les vaccins, la politique et autres, comment contrer celles liées au changement climatique ?

Les lobbies en sont à l'origine. Prenons l'exemple d'Exxon (société pétrolière américaine) : certains rapports dévoilés par le New York Times expliquaient déjà le changement Il faut que les journalistes invitent des scientifiques qui climatique en 1956. Là-dessus, Exxon, qui avait des connaissent bien le sujet. C'est une question de diffusion laboratoires de recherche, a missionné des scientifiques de l'information. Des associations font cela depuis pour étudier les capacités d'absorption du CO2 par des années, mais leur audience n'est pas comparable l'océan. Il s'est avéré que l'océan ne suffirait pas à enrayer à celle du journal d'une chaîne nationale à une heure le problème. Face à cela, de grande écoute. Exxon a viré tout le monde, « Les climatosceptiques fermé le labo et financé la Dans quelle mesure ne sont pas sceptiques désinformation. les climatosceptiques au sens de la recherche rendent-ils l'action pour scientifique. Ils sont sûrs Quel est l'écho actuel le climat difficile ? d'eux, sûrs que ce qu'ils de ces discours dans le affirment est vrai. » monde ? Comme pour tout, afin que l'action sur le climat soit efficace, Avec les catastrophes actuelles, la vision de ces discours il faut que les gens y adhèrent. Or, ce sujet est polarisé. change. Les gens se rendent quand même compte que Aux États-Unis par exemple, on donne l'image que les le climat n'est plus le même. Mais ce qu'il faut bien se Démocrates sont pour et les Républicains sont contre. Agir dire, c'est que ce que l'on voit maintenant, c'est ce que pour l'environnement, ce n'est pas ça, ça concerne tout le les scientifiques prévoyaient il y a 30 ans. Donc ce qu'on monde. prévoit aujourd'hui, c'est ce qu'on verra dans 30 ans... Faut-il convaincre tout le monde avant d'agir ? Pourquoi ces idées séduisent-elles ? Pas du tout. Il n'y a, par exemple, pas besoin de convaincre Souvent, les climatosceptiques sont des gens qui parlent tout le monde de ne pas gaspiller les ressources vitales, très bien. Ils sont assez pédagogues et ils ne font pas peur comme l'eau, en fermant ses robinets. Même chose avec ou ne sortent pas de leur confort ceux qui écoutent. Mais les petits trajets en train, plutôt qu'en avion. ils ne disent pas tout. Si les idées sont bien présentées, on peut facilement se laisser piéger. Surtout que, face à Certains climatosceptiques sont eux-mêmes des eux, les scientifiques sont prudents, n'affirment rien et sont scientifiques reconnus. Comment expliquer alarmistes. ces différences de discours ? Quels sont les climatosceptiques ?

arguments

des

Il m'est arrivé de me retrouver face à des arguments qui ne tiennent pas la route. Par exemple, à propos de l'élévation du niveau des océans, j'ai déjà entendu que ce qui était grave étaient les « vagues hautes ». Donc, que des tsunamis fassent 6 ou 6,30 mètres, ça ne changeait rien. Mais certains chercheurs sont beaucoup plus pointus et ne remettent pas le changement climatique en cause. Ils se demandent si nous sommes trop alarmistes ou quelle est la part de l'humain dans ces changements. C'est le cas Richard Lindzen (physicien américain). ENVIRONNEMENT

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Voyons déjà ceux qui sont vraiment spécialistes du climat et s'ils n'ont pas des intérêts derrière. Il y a quand même des gens qui croient encore que la terre est plate... N'est-il pourtant pas nécessaire d'être, dans une certaine mesure, climatosceptique ? Ce qu'il faut, c'est être sceptique. La science, c'est être sceptique, c'est le doute. La recherche, c'est s'aventurer dans quelque chose qu'on ne maîtrise pas totalement. Les climatosceptiques ne sont pas sceptiques au sens de la recherche scientifique. Ils sont sûrs d'eux, sûrs que ce qu'ils affirment est vrai. Propos recueillis par Sylvain GAUTHIER


Le Rwanda, modèle écologique pour l’Occident ? Après la période de guerre civile des années 1990, le début des années 2000 marque un tournant dans la politique rwandaise. Le pays s’est orienté vers l’innovation et l’environnement. Le très grand nombre de politiciennes rwandaises au Parlement, plus nombreuses que les hommes, n’est pas à négliger dans cette belle réussite, cette union d’un peuple pour repenser l’avenir.

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Les membres du projet Green City Kigali participent à l’Umuganda, la journée mensuelle de travaux communautaires pour améliorer la société et l’environnement. ©Communiqué de presse Green City Kigali

e tableau paraît assez classique de loin, de très loin, quand on regarde ce tout petit pays pas simple à placer sur la carte. Un pouvoir, fort et stable, depuis la fin d’une période de transition qui aura suivi une guerre civile dans les années 1990, contrôle la politique du pays et laisse peu de place à l’opposition. Sans surprise, le grand gourou de cette supposée pseudo-démocratie est un homme, au pouvoir depuis plus de vingt ans, qui mène son Front patriotique rwandais et le pays depuis l’an 2000. Et bien sûr un sol riche lui permet de gérer tranquillement ses finances en laissant la gestion des

terres au bon vouloir des compagnies étrangères… Mais, mais, mais… Surprise, avec une majorité de femmes au parlement rwandais, chose presque unique au monde, la politique et les priorités ont pris une tournure assez différente de leurs voisins africains. En effet, le minuscule pays s’est tourné vers un pari majuscule : l’écologie, le tourisme, les nouvelles technologies, en préservant en partie l’environnement et les ressources de matières premières, pourtant souvent premier atout économique des pays africains.

Mais c’est le Rwanda, il est à part en Afrique, dans notre imaginaire aussi, et son histoire est complexe. Divisé entre la francophonie et le Commonwealth, divisé entre ethnies, marqué à jamais par le cataclysmique génocide de 1994 des Hutu sur les Tutsi, et pourtant toujours là, au milieu des géants, entre la République Démocratique du Congo et la Tanzanie, au bord du lac Kivu, dans la région des Grands Lacs. Survivant et repensé, ouvert sur l’avenir.

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Une politique dominée par les femmes Le programme écologique du pays de 26 338 km² remonte au début des années 2000, avec la restriction du plastique à partir de 2004. Un progrès initié par Paul Kagamé mais qui semble lié à la supériorité féminine dans la politique du pays, tant cette particularité au Parlement a entraîné des effets uniques sur le pays. Notamment une culture économique et sociale repensée autour de l’écologie.

Un engagement politique issu du génocide puisque les hommes tués ou blessés et n’étaient plus aptes, plus assez nombreux, pour tout diriger. Cet héritage leur permet d’être davantage actives dans le fonctionnement du pays et donc sur l’écologie. Dernier symbole, depuis 2019, c’est une femme qui est ministre de l’Environnement : Jeanne d'Arc Mujawamariya.

écologique

Le dernier samedi de chaque mois a lieu l’Umuganda. Le projet Green City Kigali nous présente ce rassemblement : « Umuganda encourage la participation active de la population aux collectivités locales, facilite les échanges et améliore le sens de la communauté. Ces travaux communautaires pour aider le pays sont à la fois une fête et une obligation pour tous les Rwandais. Cette union du peuple aide sa modernisation et son respect de l’environnement, avec des nettoyages et des travaux. »

Car le Rwanda fait figure de modèle paritaire et les dernières élections législatives de 2018 n’ont fait que renforcer la place de la femme dans la politique nationale. Avec 61,3% de femmes à la Chambre des députés, le pays est en tête du classement mondial de l’Union Interparlementaire quant à la présence des femmes dans les parlements du monde. Sur les 80 sièges que compte le Parlement rwandais, 49 sont occupés par des femmes. Un rôle politique de premier plan pour les Rwandaises, également illustré par l’élection de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, en 2019.

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Le secteur environnemental est un grand atout du Rwanda. C’est avant tout le pays des mille collines, et l’aire de peuplement des grands singes. Quatre parcs nationaux confèrent au pays une place prestigieuse parmi les plus beaux refuges sauvages de la planète. Le Volcanoes National Park, le Nyungwe, le Gishwati Mukura et

Une fois par mois, pour l’Umuganda, les Rwandais se rassemblent autour d’un projet communautaire Un programme exemplaire

La ministre de l’Environnement, Jeanne d'Arc Mujawamariya. © Communiqué de presse Green City

Un avenir radieux ?

Au grand marché couvert de Kimironko, comme partout au Rwanda, vous ne trouverez aucun sac en plastique. Depuis 2004, loin en avance sur son temps, le gouvernement a décidé d’interdire les sacs en plastique. Les alternatives en papier, carton ou tissu sont rapidement devenues le quotidien de la population. Ainsi, avec quinze ans de notions écologiques, les Rwandais recyclent de manière remarquable, avec la règle des 3R, Reduce – Reuse - Recycle (Réduire – Réutiliser – Recycler). D’ailleurs, le voyageur se rendant dans le pays pourrait bien se retrouver un peu perdu, lorsque, à son arrivée à l’aéroport, il se fera confisquer tous les produits en plastique non biodégradables qu’il aurait emporté ! La finalité de toute cette prévention est finalement un pays propre, où la population profite du secteur écologique pour faire fonctionner l’économie.

l’Akagera assurent la préservation et la réputation de la richesse de la faune et de la flore, ainsi qu’une formidable offre touristique. Symbole des ambitions touristiques et attractives du pays, le sponsor « Visit Rwanda » figure désormais sur les maillots des équipes de football du Paris-SaintGermain et d’Arsenal ! C’est finalement une nation où les habitants ont appris à préserver l’environnement, persuadés que cette vision écologique et sociale peut avoir un impact positif sur l’économie. « La croissance économique annuelle de 8 % est une stratégie nationale. « Vision 2050 » ambitionne de faire du Rwanda un pays à revenu intermédiaire d’ici 2030 puis à revenu élevé d’ici 2050. Les autorités souhaitent aussi en faire un hub technologique », explique le service Trésor-International, du site du ministère de l’Économie. La prouesse technologique la plus populaire pour l’instant reste la marque de smartphones made in Rwanda, le Mara. Mais avec la croissance démographique, l'âge médian de la population est de 19 ans pour plus de 13 millions d’habitants, sans compter les réfugiés, pour une densité de 430 habitants au km², la plus forte d’Afrique continentale. Le pays saura-t-il trouver des solutions pour perpétuer son fonctionnement tout en continuant de se moderniser ?

Gaël TRAUB


Top 10 des sites industriels Dans le monde, la pollution n’épargne personne. Et il y a des endroits qui polluent plus que d’autres. Selon l’activité, le lieu, les matériaux utilisés, certains sites peuvent contaminer jusqu’à plusieurs milliers de personnes, qui sont exposées à des maladies. Voici un classement des 10 sites industriels les plus polluants sur Terre.

U

sine de recyclage ULAB

Localisation : Dacca (Bangladesh) Type de pollution : Poussière de plomb Indice de pollution Blacksmith* : 10/10 Pourquoi : De nombreux magasins de recyclage sont présents dans la région. Parmi les objets recyclés, les batteries de plomb, qui provoquent de la poussière du même matériau. Cette dernière pollue le sol et les plans d'eau des zones résidentielles aux alentours. Les travailleurs des magasins et les personnes vivant dans la région sont exposés à la toxicité du plomb par contact cutané et par inhalation/ingestion de poussière de plomb. Rostom et Moktar - Recyclage des batteries au plomb usagées Localisation : Rajshahi (Bangladesh) Type de pollution : Poussière de plomb Indice de pollution Blacksmith* : 10/10 Pourquoi : À l’instar du site industriel précédent, ce sont deux magasins de recyclages ULAB qui sont à l’origine de cette pollution. Cette fois-ci, ce n’est pas une usine de stockage où les batteries de plomb sont entreposées qui pose problème mais l’usine de destruction où les batteries sont détruites. Le résultat est le même, de la poussière de plomb pollue l’eau, le sol, mais aussi l’air des environs. Rivière Sirsiya Localisation : Naranayi (Népal) Type de pollution : Chrome Indice de pollution Blacksmith* : 10/10 Pourquoi : Huit industries de la « tanning » (processus de traitement des peaux et des cuirs d'animaux pour produire du cuir) rejettent directement leurs eaux usées non traitées dans les rivières. Elles rejettent également une grande quantité de déchets solides

mélangés au chrome (peaux, cuirs et graisses) sur les rives de la rivière et dans les communautés avoisinantes. Bassin de charbon de Kizel Localisation : Permskaya (Russie) Type de pollution : Chrome Indice de pollution Blacksmith* : 10/10 Pourquoi : L'exploitation minière dans la région du bassin de charbon de Kizel a libéré d'importants métaux lourds dans la région. Bien que la mine ait fermé ses portes, les effluents acides continuent de polluer le sol, les rivières et l'air avec du chrome. Tempête de pesticide près de l’aéroport de Zinguinchor Localisation : Zinguinchor (Sénégal) Type de pollution : Hydroxyde de sodium (soude caustique) Indice de pollution Blacksmith* : 10/10 Pourquoi : Le site est situé dans l'enceinte de l'aéroport de Ziguinchor. La pollution vient de la soude caustique utilisée par les préparateurs d'hydrogène dans le cadre des activités de la météo. Cette activité a été arrêtée depuis plus de 5 ans mais les résidus de soude, versés dans le sol, ont favorisé l'infiltration. La soude caustique est irritante et corrosive pour la peau, les yeux, les voies respiratoires et digestives. La contamination du corps humain peut se faire par contact cutané avec le produit mais aussi par inhalation et ingestion. La soude entraîne une augmentation du pH des cours d'eau et constitue donc une menace potentielle pour la faune et la flore aquatiques. C’est donc un danger pour les biens, les personnes et l'environnement. Anciennes mines abandonnées d’Uravi Localisation : Ozourguéti (Géorgie) Type de pollution : Arsenic Indice de pollution Blacksmith* : 9/10

ENVIRONNEMENT

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les plus polluants dans le monde *Le Blacksmith Index est un classement des risques de pollution, qui prend en compte des facteurs importants tels que l'échelle de la source de pollution, la taille de la population éventuellement affectée et les voies d'exposition. Pourquoi : Les mines d'arsenic abandonnées, les usines de traitement et surtout une décharge polluent les eaux de surface et les sols agricoles. Il y a un risque très important que la décharge tombe dans la rivière et déverse 100 000 tonnes d'arsenic. Mine de Zyryanovsk Localisation : Zyryanovsk (Kazakhstan) Type de pollution : Cadmium Indice de pollution Blacksmith* : 9/10 Pourquoi : Les tas de déchets extraits de la carrière à ciel ouvert de Zyryanovsk sont à l’origine du problème. C’est une usine de plomb située dans les limites du terrain de Zyryanovsk. Le principal pollueur est le cadmium. Les décharges sont situées sur plusieurs kilomètres dans la ville. Autour, il y a des maisons résidentielles et impactent donc plus de 30 000 personnes. Le polluant qui pénètre dans l'organisme par la peau se produit par inhalation ou ingestion. Usine chimique de Pavlodar Localisation : Pavlodar (Kazakhstan) Type de pollution : Mercure Indice de pollution Blacksmith* : 9/10

Pourquoi : Les sols sous et à côté de l'usine chimique de Pavlodar au Kazakhstan ont été contaminés par du mercure à la suite du traitement du chlore et de la soude par la technologie des cellules cathodiques au mercure. Ce dernier est polluant et nocif pour la population des environs, qui atteint les 50 000 personnes. Centrale thermique Vindhyachal

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Localisation : Madhya Pradesh (Inde) Type de pollution : Dioxyde de soufre Indice de pollution Blacksmith* : 9/10 Pourquoi : La centrale thermique de Vindhyachal émet de grandes quantités de dioxyde de soufre et pollue l'air de la région environnante. Rivière Kalu Localisation : Mumbai (Inde) Type de pollution : Mercure, plomb, cadmium et chrome Indice de pollution Blacksmith* : 9/10 Pourquoi : Une zone industrielle de plus de 100 usines de production entre Mumbai et Kaylan contamine la rivière Kalu avec toutes sortes de matériaux très polluants.

Les 10 sites industriels les plus pollués et le nombre de personnes impactées au quotidien par cette pollution. © Gaël Traub

ENVIRONNEMENT

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Kenny LAUTERBACH


La menace Les scientifiques cherchent des solutions contre le réchauffement climatique et contre la submersion des terres. Un travail vital pour sauver des populations et des cultures. Et éviter des dizaines d’Atlantides dans les mers du Pacifique Sud et d’ailleurs.

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a montée des eaux menace l’Océanie et les autres petits États insulaires, pourtant ces pays sont parmi ceux qui polluent le moins. Malgré des appels répétés à la communauté internationale, rien n’y fait, ils seront et sont déjà les premiers touchés par le dérèglement climatique et la montée des eaux. Chaque pays prend des initiatives, à la fois techniques et sociétales, pour gagner du temps, éveiller les consciences, se projeter sur l’avenir ou au contraire, préparer la fuite. À Nauru, île dévastée par l’exploitation minière, la Nauru Rehabilitation Corporation travaille pour rendre de nouveau vivable le centre de l’île, tandis que la mer se rapproche des habitations, toutes situées sur la côte. Aux îles Salomon, l’université du Queensland

Manifestation écologique aux Kiribati, en 2016. ©Kirican

estime que « les taux d’élévation du niveau de la mer sont trois fois supérieurs à la moyenne mondiale ». L’étude affirme que le dérèglement climatique renforce le courant marin El Niño, qui participe à l’érosion des sols dans le Pacifique. Sur l’île de Taro, des plans de relocalisation sont à l’étude depuis 1994. Les Palaos se sont quant à eux fait connaître en 2017, avec le « Palau Pledge ». Le 1er Visa environnemental au monde, qui oblige les visiteurs à ne pas polluer…

politique, les conséquences seront environnementales. L’influence du Forum au niveau mondial en matière de changement climatique va baisser. Heureusement, l'AOSIS, une coalition de 44 petits États insulaires, travaille dans la négociation d’accords pour réduire la pollution au niveau mondial. L’organisme, fondé en 1990, est en mission permanente auprès des Nations Unies à New York.

S’ajoute à ces crises locales une récente crise politique, au Forum des Îles du Pacifique. L’archipel des Palaos ont indiqué quitter cette organisation le 5 février dernier. Quatre autres États, la Micronésie, les îles Marshall, Kiribati et Nauru pourraient suivre. Si la divergence est

Les États-Atolls se distinguent par l’absence d’une grande surface refuge, situé plusieurs dizaines de mètres au dessus de l’actuel niveau de la mer. Ils ne sont composés que d’une bande de terre qui forme le plus souvent un cercle autour d’un lagon central.

La spécificité des États-Atolls

ENVIRONNEMENT - MONTEE DES EAUX

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de la montée des eaux Dans ces territoires, la mer défi chaque instant la terre, et menace les États même. Et avec eux, la culture, les peuples, l’écosystème… Parmi la dizaine de nations qualifiées d’États-Atolls, quatre sont particulièrement emblématique par leur très faible altitude globale. Tuvalu, avec seulement 10 000 habitants, une superficie de 26 km2 dont une longueur littorale de 24 km, avec une altitude moyenne de 1m et un point culminant à 5m, est peut-être la plus marquante par sa fragilité.

« Tuvalu est la nation la plus menacée par les dérèglements climatiques » Gilliane Le Gallic, présidente de l’association Alofa Tuvalu nous présente ce micro-État : « Tuvalu est la nation la plus menacée par les dérèglements climatiques et particulièrement la montée des eaux. L’eau remonte par le sol de plus en plus souvent, empêchant les quelques cultures traditionnelles. Et, de temps en temps, d’énormes vagues submergent l’île principale, très peu large, d’un bout à l’autre. L’érosion y est galopante en dépit des tentatives pour renflouer les plages. »

explique que plus qu’un naufrage lent et inévitable, c’est bien la force des vagues qui casse et creuse le littoral, toujours plus en avant dans les terres. Face à ce drame climatique, le président des Îles Marshall, David Kabua, a pris la parole en septembre dernier dans une tribune à l’ONU : « Mon pays va disparaître si le monde ne tient pas ses promesses, celles faites lors de l’accord de Paris. » Aux Kiribati, l’association Kirican, menée par Maike Pilitati, lutte par des opérations de communications pour éveiller les consciences et faire agir le monde. Digues, sables, végétations ou îles artificielles, de nombreuses solutions envisagées Il devient primordial de trouver des solutions pour les populations de ces récifs. La principale mise en place dans ces États insulaires en matière d’infrastructure est la construction de digues de protection. Les polders des Pays-Bas, comme le Flevoland, entièrement créés par l’homme, situés sous le niveau de la mer mais protégés par des digues, en sont le meilleur exemple.

Depuis, Malé, île-capitale des Maldives, s’est également entourée de digues. Mais les Maldives, porté par la puissance économique de son tourisme, ont fait encore plus fou. Avec l’île de Hulhumalé, ils ont élargi un atoll existant. Et encore mieux, avec la firme Dutch Docklands International, ils créent des îles flottantes, qui s’ajusteront donc à la hauteur du niveau de la mer. Plus concrètement, de nombreux atolls travaillent à la réimplantation de mangroves. On plante alors des palétuviers, qui, grâce à leurs racines s’ancrant dans la vase ou le sable, sont capables de limiter les effets des vagues. Mais la solution la plus innovante se trouve dans le transfert des sables des fonds marins. « Et si nous pouvions exploiter la puissance de l'océan pour éviter l’érosion et la submersion des îles, reconstruire des plages et protéger les communautés côtières de l'élévation du niveau de la mer ? », interroge le Self Assembly Lab du MIT et Invena, une entreprise des Maldives.

On peut également citer les Maldives (superficie de 298 km2), les Îles Marshall (181 km2) et les Kiribati (811 km2), plus grandes mais plus hautes (avec respectivement une altitude moyenne de 1,8m, 2m, et 4m). Virginie Duvat, membre du GIEC et spécialiste des milieux tropicaux, et Alexandre Magnan, spécialiste des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique, qualifient, dans leur étude de cas des Maldives et des Kiribati, ces nations d’ « États éclatés et morphologiquement instables ». Une autre étude universitaire française, Élévation du niveau marin dans les îles intertropicales des océans Pacifique et Indien, menée par Gérard Beltrando,

Illustration de couverture du rapport 2014 du GIEC sur le climat. Aux Tuvalu, un projet de plantation de palétuviers pour créer une barrière naturelle. ©Rapport GIEC 2014 – David Wilson - Tuvalu Odyssey

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Ils travaillent ensemble dans ce pays pour créer un système de structures sous-marines qui utilisent l'énergie des vagues pour favoriser l'accumulation de sable dans des endroits stratégiques. C’est le projet « Growing Islands ». Sarah Dole, fondatrice d’Invena, nous explique le problème de la technique classique : « Les tentatives habituelles de lutte contre l'élévation du niveau de la mer par le sable, reposent sur un dragage côtier continu, qui tentent de résister aux forces naturelles. »

« Notre objectif est plutôt de travailler avec les forces de la nature que contre elle » Ce n’est plus le cas pour cette nouvelle technologie. « Notre objectif est plutôt de travailler avec les forces de la nature que contre elle. Notre approche vise à remodeler naturellement et durablement les topographies de sables grâce à des structures sous-marines », explique le laboratoire du MIT, basé à Boston. Et selon Sarah Dole, les résultats sont très prometteurs : « Nous n'en sommes qu'au début du projet, mais nous voyons des résultats très prometteurs. Lors de notre expérience sur le terrain, menée en novembre 2019, nous avons immergé notre structure sous-marine de 20 m x 4 m x 2 m, et constaté une nouvelle accumulation de sable d'environ 1/2 mètre sur une surface d'environ 20 m x 30 m, soit une surface d'environ 600 m² et 300 mètres cubes de nouvelle accumulation de sable en 4 mois. » Sans solution le risque des climatiques

durable, réfugiés

Des îles ont déjà disparu. En Micronésie, deux îles habitées Nahlapenlohd et Kepidau en Pehleng ont été submergées par l'océan entre 2007 et 2014, avec six autres petites îles non peuplées. Aux Îles Salomon, cinq îles inhabitées ont disparu entre 2002 et 2016.

Mise en place et représentation du concept de Growing Islands. ©Self Assembly Lab

La dernière, Kale, disparue en 2016, faisait 48 890 m2 en 1947, selon l’étude d’Environnemental Research Letters. Aux Kiribati, deux îles de l’atoll de Makin ont été submergées dès 1999. Le cas des Kiribati, comme les autres États-Atoll, inquiète. Les experts du Giec prévoient une montée des eaux de près d’un mètre sur Tarawa, l’atoll principal des Kiribati, d’ici à 2100. Les Kiribati représentent 110 000 habitants qui pourraient bientôt devenir réfugiés climatiques. Ce pays est d’ailleurs celui du premier réfugié climatique, Ioane Teitiota. Après avoir été expulsé par la NouvelleZélande vers les Kiribati en 2015 suite au refus de son statut de réfugié, il avait demandé l’aide du Comité des droits de l'homme de l’ONU en février 2016. En janvier 2020, l’organisme a estimé que « les gouvernements devront désormais prendre en considération les violations causées par la crise climatique quand ils envisageront d’expulser des demandeurs d'asile », explique Amnesty International.

ENVIRONNEMENT - MONTEE DES EAUX

Si la Nouvelle-Zélande va donc devoir adapter sa politique migratoire à l’accueil des réfugiés climatiques d’Océanie, c’est également le cas de l’Australie. Le pays-continent a investi un demi-milliard de dollars australiens en 2019 pour aider les pays du Pacifique face à la montée des eaux, et donc pour tenter de limiter l’exode climatique. 143 millions de personnes pourraient bientôt devenir des réfugiés climatiques Malgré tout, 143 millions de personnes pourraient bientôt devenir des réfugiés climatiques selon l’étude Groundswell : Preparing for Internal Climate Migration, parue en 2018. Alors pour ces petites émeraudes, perlées sur le grand bleu, les solutions et les actions semblent bien dérisoires, dans ce monde si vaste, à la nature si puissante. Il semble important de soutenir les solutions, même si elles paraissent faméliques face à la marche du monde. Gaël TRAUB & Guillaume BESSON

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Avis de tempête sur le Bangladesh Avec une superficie totale de 147 000 km2 et plus de 160 millions d’habitants, le Bangladesh est un pays très densément peuplé. Il fait partie des pays les plus touchés par le réchauffement climatique. En effet, il abrite le delta du Gange qui souffre de plus en plus de la montée des eaux et pousse des millions de déplacés climatiques à quitter leur foyer.

I

l n’y a pas que les petites îles qui souffrent de la montée des eaux. Le 25 décembre 2019, près d’un quart du Bangladesh se retrouve sous les eaux. Un record pour ce pays durement touché par des inondations de plus en plus importantes depuis une dizaine d’années. Un an plus tard, la situation reste critique et Saiful Islam, expert en gestion de l’eau, prédit même « une aggravation de ces inondations », au fur et à mesure des années à venir. 6 millions de personnes affectés, plus d’un millions de maisons inondées et 800 000 élèves déscolarisés, voici le triste bilan chiffré de l’année 2020 suite aux nombreuses inondations. Si la situation semble s’être depuis apaisée, beaucoup d’habitants des zones côtières touchés par ces phénomènes climatiques ont rejoint les bidonvilles de la capitale pour leur sécurité. Cependant, ils laissent derrière eux des terres agricoles entièrement détruites par la montée des eaux. Une situation qui devient d’année en année de plus en plus préoccupante à cause des puissantes

moussons en Asie du Sud et de la hausse du niveau de la mer dans le delta du Gange, qui couvre aujourd’hui les deux tiers du Bangladesh. Cette embouchure formée par le Gange, le Brahmapoutre et la Meghna menace désormais, selon des études fiables, environ 200 millions de personnes. Un chiffre inquiétant pour ce pays pauvre, qui n’a pas les moyens de se reconstruire. 6 millions de réfugiés climatiques au Bangladesh en 2020 L’avenir ? Silence, ça coule … En cinquante ans, le niveau d’eau a augmenté de 3 mm par an en moyenne dans le delta, soit une quinzaine de centimètres. Cette hausse est due en grande partie à la hausse globale du niveau des océans, et d’une autre part à l’affaissement du sol. Elle a inscrit le Bangladesh dans la liste des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique.

Si ces paramètres de hausse du niveau des eaux ou d’affaissement inquiètent, d’autres facteurs ne sont pas à négliger. En effet, l’augmentation des températures a tendance à générer plus de pompage d’eau pour l’irrigation des terres, ce qui pourrait aggraver l’affaissement du sol. Selon des études, pour 2°C supplémentaires, les inondations augmenteraient de 24 % et pour 4°C de 60 %. Petit à petit, sans la moindre amélioration concrète, le Bangladesh est en train de couler et voit des bouts de terre, de villes et de routes disparaître sous l’intensité de la montée des eaux. Le chiffre est terrifiant, selon la Dhaka School of Economics, dès 2050, le pays pourrait perdre 20 % de son territoire, soit 29 400 km², ce qui représente 50 millions de Bangladais devant quitter leur pays, faute de place. Plus inquiétant encore, dès 2100, le delta pourrait mesurer jusqu’à 140 centimètres en période de crue et 85 centimètres lors de la décrue. La conclusion est rapide : aucune personne ne pourrait vivre dans de telles conditions. Pays très pauvre et très dense, le Bangladesh semble n’avoir aucun moyen pour lutter contre ces inondations, les divers projets d’investissements de grandes digues n’ont pas aboutis. En effet, aux vues de l’impuissance des digues déjà en place dans les villages pour protéger les champs agricoles et les habitations, régulièrement détruites, cela ne semble pas être la bonne solution. À la fin des années 1990, une digue extrêmement ambitieuse de 3 000 km avait même été imaginée. Un projet finalement jugé irréalisable et tombé à l’eau aujourd’hui.

Les marais du delta du Gange vu du ciel, zone extrêmement humide et inondable. © Gaël Traub

ENVIRONNEMENT - MONTEE DES EAUX

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Gaël TRAUB & Guillaume BESSON


Les Bishnoïs, précurseurs de l’écologisme mondial Il existe un peuple qui vit en harmonie avec la nature depuis près de cinq siècles. Les Bishnoïs cachent un incroyable passé, entièrement dévoué à leurs traditions et au bien-être de la Terre et de ses créatures. Bienvenue dans le désert du Rajasthan, au nord de l’Inde, avec sa « famille » d’un million d’habitants.

«

J’

aimerais que les gens entendent le message des Bishnoïs. » Comme un appel à l’aide, Khamu Ram, activiste et personnalité forte de la communauté, interpelle le monde entier. Ce dernier sillonne le continent indien pour sensibiliser aux déchets polluants, notamment le plastique. Le peuple vénère une religion tournée essentiellement autour de la protection de l’environnement. Toute vie bénéficie de la même importance : faune, flore, hommes… Les antilopes noires vivant dans cette région sont même considérées comme leurs filles : les femmes donnent le sein aux animaux sauvages jusqu’à l’âge adulte ! Et ils se battent jour et nuit contre la déforestation ou la chasse sauvage. Une « famille » unie par les liens sacrés de la foi Bishnoï qui descend directement de l’hindouisme.

répand autour du globe et dans ce contexte d’urgence climatique, ne faudrait-il pas écouter ceux qui savent ? Eux, les Bishnoïs, qui sont les précurseurs de la préservation environnementale à grande échelle, dans un écosystème stable et serein.

L’héritage écologique

Ce sont plus de 300 000 tonnes de plastique qui étaient déposées chaque année dans le pays. Majoritairement polluée par l’Europe et les États-Unis, l’Inde fait face à des décharges géantes aux quatre coins des grandes villes. Mais les combats de Khamu Ram ne sont pas vains. Le pays a interdit l’importation de déchets plastiques depuis août 2019. Un premier pas de la république fédérale pour sortir la tête de l’eau. La communauté tout entière n’hésite plus à donner l’exemple en sortant de ses contrées pour nettoyer rues et maisons, dans le respect des traditions Bishnoï. « Si on ne protège pas la nature, on ne survivra pas », tel est le dicton de l’ancien. Et qui pourrait lui donner tort ?

Les Bishnoïs sont considérés comme les « premiers écologistes » et continuent de préserver aujourd’hui leurs terres. Ils se basent sur 29 enseignements créés par le prophète Jambheswhar en 1485 et sans cesse adaptés aux enjeux du moment. Parmi eux : nourrir et s’occuper des bêtes blessées, replanter durablement plusieurs arbres par personne tous les ans, récupérer l’eau de pluie pour la flore et les cultures… Malgré les persécutions qu’ils subissent, ils ne perdent pas espoir et surtout, ne perdent pas position dans ce coin reculé de l’Inde. Leur histoire se

« Bishnoï » vient de Bish (20 en Hindi) et Noï (9), en rappel aux 29 règles de cette ethnie

L’Inde, poubelle du monde

Une femme bishnoï prend soin d’un chevreau, au Rajasthan. © Wikimédia Commons

ENVIRONNEMENT

Benjamin LAURIOL

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Flexitarisme : du goût pour le bon sens Végétarisme, végétalisme, véganisme… Ces termes semblent sortir de toutes les bouches depuis la prise de conscience collective autour de l’écologie, ces vingt dernières années. Là où la tendance est à la restriction, le flexitarisme n’impose rien. Il implique la réflexion du consommateur et l’invite à se faire plaisir dans une logique durable. l’époque de la livraison à domicile et du surgelé. Rappelons que l’anorexie continue de faire des ravages chez les jeunes femmes et que l’obésité prend possession de nombreux pays dans le monde. Manger de tout, c’est aussi prendre soin de soi, de son état physique et par corrélation, de son état mental. En effet, ce n’est pas pour rien que les médecins prescrivent aux patients en état dépressif… des régimes flexitariens. Le juste prix ?

S

Quel régime alimentaire, quel type de consommation choisir ? Un vrai casse-tête. © Pixabay

elon les statistiques de Nielsen (comportement des consommateurs), 10 % des Français adoptent un régime alimentaire particulier. Un chiffre étonnant qui est encore plus important dans les pays frontaliers comme en Allemagne ou au Royaume-Uni. Les denrées récoltées et cultivées de manière durable sont vendues, en moyenne, 75 % plus chères. Un essor porté par les courants écologiques, en politique notamment, découlant des habitudes et du quotidien de millions d’êtres humains. Parfois dirigées par la religion, l’environnement ou l’appartenance sociale, les habitudes alimentaires sont souvent débattues sur la place publique. Entre effet de mode, fake ENVIRONNEMENT

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news sur les réseaux sociaux et extrémisme, leur message intrinsèque en est oublié. Et si tout n’était qu’une question de flexitarisme ? Manger moins et mieux Privilégier la qualité à la quantité, voici le credo du flexitarisme dans les grandes lignes. Les mauvaises langues diront que le gouvernement ou certains parents ne font pas mieux. Et pourtant. Les besoins de chacun évoluent avec le temps mais les efforts peuvent être constants. Quitte à manger des légumes et varier l’alimentation, autant les acheter surgelés si l’envie, les moyens ou toute autre chose manquent. Les étudiants accaparés par la malbouffe peuvent en témoigner. Et manger de la viande deux fois par semaine suffit amplement à votre corps. En Europe, un habitant en consomme en moyenne 69,3 kilos par an ! Autant de principes de plus en plus difficiles à appliquer à

Mais tout n’est pas si simple au pays de la nourriture. Si la conscience écologique pousse à privilégier les circuits courts et les produits bios, le coût reste plus élevé. Selon une étude de Linéaires, les denrées récoltées et cultivées de manière durable sont vendues, en moyenne, 75 % plus chères. Et cela ne concerne que les pays développés qui encouragent la culture bio avec un commerce plus ou moins équitable et normalisé. Le flexitarisme et plus généralement ce qui s’apparente à une culture saine vis-à-vis des produits alimentaires devient aussi un argument marketing. Des enseignes ou les lobbies de la viande n’hésitent pas à tirer les ficelles pour récupérer des parts de marché. On ne compte plus le nombre d’influenceurs vantant les mérites de tel ou tel produit, si bien que ce mode de consommation passe pour de « la bien-pensance ». Ces problématiques sont en train d’être soulevées par la mouvance écologique et méritent de s’y attarder. L’humain reste omnivore et se nourrit de la diversité, tous terriens, mais vecteurs d’énergies différentes. Et cela passe par votre assiette. Benjamin LAURIOL


Résistance et contre-attaque en Amazonie Avec un mode de vie menacé par la déforestation et une volonté de valoriser la forêt, les indigènes s’opposent à la politique du Brésil. L’apogée de cette lutte a été atteinte le mois dernier avec la plainte du chef Raoni au tribunal de La Haye contre Bolsonaro. Le non-respect des droits indigènes et la catastrophe environnementale ont créé un véritable conflit avec le gouvernement. L’alliance des Peuples de la Forêt Raoni, Almir Surui, les Ashaninka et d’autres leaders de la lutte pour les droits indigènes se sont réunis en janvier 2020. Ils ont reformé l’alliance des Peuples de la Forêt. Pour la première fois depuis les années 1980 et la disparition du militant Chico Mendes, 47 peuples se sont réunis pour faire front commun contre le gouvernement.

Les militantes anti-déforestations Alexandrina et Dora Piyako, du peuple Ashaninka, dans le village d’Apiwtxa de l’État d’Acre, au nord-ouest du Brésil. ©Julien Orain, Association Amazônia

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avid contre Goliath. Infime minorité dans le Brésil d’aujourd’hui, les peuples indigènes menés par le chef Raoni ne se laissent pas faire. Le cacique porte plainte contre Jair Bolsonaro pour crimes contre l’humanité. Le 22 janvier dernier, les chefs indigènes Raoni Matuktire, du peuple Kayapo, et Almir Surui, des PaiterSurui, ont adressé une plainte à la procureure de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. Un symbole puissant pour la lutte indigène au Brésil. La famille Piyako, ambassadeurs de l’Amazonie : « on ne se sauvera pas tout seul ! »

Les Ashaninkas au secours de la Serra do Divisor Prenons un récent exemple des failles de ce gouvernement brésilien envers les indigènes et les espaces protégés de l’Amazonie. Le parc national de la Serra do Divisor, à la frontière entre l’État d’Acre en Amazonie brésilienne et le Pérou, détient l'une des plus grandes biodiversités du monde, mais risque de perdre ce statut. Et ce n’est pas ENVIRONNEMENT

Et l’alliance s’exporte. En plus de l’iconique chef Raoni et de quelques autres, présents à de nombreux sommets environnementaux, Alexandrina et Dora Piyako devaient se rendre en France en 2020, pour des conférences à Nantes et Lyon avec l’association Amazônia, avant de devoir être annulées.

anodin. La fin de ce sanctuaire de biodiversité est due à la construction d’une route de 220 km entre Cruzeiro do Sul (Brésil) et Pucallpa (Pérou) dont le tracé coupe le parc. Les Ashaninkas d’Apiwtxa, dans le Haut-Juruà, à la frontière péruvienne de l’État d’Acre, font partie des grands leaders de la lutte contre la déforestation. Situés dans la région, ils sont particulièrement impliqués dans la défense du parc national. Et notamment une famille, les Piyako. Benki, Alexandrina et Dora Piyako sont devenus des ambassadeurs internationaux de l’Amazonie, partant du principe « qu’on ne se sauvera pas tout seul » comme l’explique Julien Orain, président de l’association Amazônia, spécialisée dans le soutien au peuple Ashaninka. Contre ce projet, une pétition lancée en mars 2020 a aussi reçu plus de 85 000 signatures. Et le 8 février 2021, l’État d’Acre a interrompu le projet et lancé une enquête sur « la mission de protection des peuples autochtones et de l'environnement dans la région du Haut-Juruà ». Une belle victoire pour la considération des peuples indigènes mais éphémère, les chances d’annulation du projet sont faibles tant l’ouverture de l’Amazonie enclavée semble dans l’air du temps. Gaël TRAUB

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En Inde, la lutte s’organise Quatre ans après les Accords de Paris sur le climat, l’Inde, comme la plupart des pays, tente d’engager des transformations pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution. Mais quelle est la réalité de terrain de ces annonces ? Éléments de réponse avec Extinction Rebellion India.

C’

est l’heure de pointe à Mumbai. Dans un trafic inouï, la population se presse et des centaines de voitures, de scooters et de tuk-tuk bouchonnent dans les carrefours. L’air est irrespirable. Mais dans le bruit ambiant d’une des plus grandes métropoles du monde, quelques rares voix écologiques tentent de se faire entendre. Jeevesh Gupta, militant écologiste d’Extinction Rebellion India, nous explique la réalité dans laquelle il vit : « aujourd’hui, le gouvernement aide les entreprises à faire des profits et réalise des projets qui consistent, au final, à couper des forêts, salir nos rivières et polluer notre air. » L’inde, 2ème pays le plus peuplé au monde avec plus d’1,3 milliards d’habitants, est un des pires en matière d’environnement.

L’économie avant tout, dirait le premier ministre Narendra Modi, après sa promesse d’une « Inde autosuffisante » (Atmanirbhar Bharat en hindou), son grand programme économique lancé l’été dernier pour rebondir après l’épidémie. Un rebond inquiétant alors que le pays avait réduit la hausse de son empreinte CO2 en 2019 : +2 %, sa plus faible hausse depuis 2001, bien loin de la moyenne de 5 % enregistrée jusque-là. Malgré la ratification de l’accord de paris sur le climat, rien n’a changé en Inde. Pourtant, l’activisme écologique en Inde « existe depuis quatre siècles », souligne le militant écologiste, faisant référence à certaines ethnies protectrices de l’environnement ainsi qu’à la religion Hindou.

Protestations, sensibilisation à la jeunesse… L’inde fait face à l’action du gouvernement. © Extinction Rebellion India

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Vers un éveil des consciences, surtout dans la jeunesse « Notre action chez Extinction Rebellion consiste à dire au gouvernement que nous avons besoin d’un activisme climatique pour sauver la nature en Inde », explique Jeevesh Gupta. Son action militante a commencé plus de 10 ans auparavant : « à l’époque, j’essayais de sauver un arbre de l'abattage dans mon quartier ». Depuis, dans ce pays où l’âge moyen ne dépasse pas les 30 ans, l’activiste de 40 ans a fait de la sensibilisation dans le secteur éducatif sa priorité. Il mène des actions éducatives auprès des jeunes dans les grandes villes. Un élément essentiel selon lui : « tous les 2 ou 3 ans, nous recrutons de nombreux jeunes et nous les formons pour parler du changement climatique dans leur ville. Et se sont eux qui seront en première ligne lors de nos actions. » Malgré la ratification de l’Accord de Paris sur le Climat, en octobre 2016, Jeevesh Gupta est réaliste : « même si nous suivons les lois du pays et que nous protestons pacifiquement, le gouvernement ne veut pas nous entendre. Nous devons poursuivre et intensifier les protestations, les actions, les sensibilisations pour qu’ils ressentent la pression. Et qu’enfin ils agissent. » C’est à New Delhi que se trouve le siège de l’Alliance solaire internationale, qui encourage « une meilleure exploitation de l’énergie solaire pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles », selon leur site. L’Inde est le plus gros consommateur de charbon au monde avec, en 2019, 11,8 % de la consommation mondiale. Porté par le premier ministre Modi en 2016, cet alliance permettra-elle à l’Inde de tenir les promesses de la COP21 ? Marie DE MONTERNO


Richesse et déclin du micro-État de Nauru L’île de Nauru est un État indépendant au cœur du Pacifique. Dans les années 1970 et 1980, elle possédait l'un des plus hauts niveaux de vie au monde grâce à une matière première exceptionnelle, le phosphate. Cette ressource, élément essentiel de la croissance végétale, est recherchée pour la création d'engrais. Mais après l’épuisement des réserves, le pays a plongé dans la crise. 1990 : 968 : Au début des années 1990, les L’exploitation du phosphate présent réserves de phosphate dans le sol dans le sol de l’île débute en 1907. C’est s’épuisent. Tout le monde sur l’île Albert Ellis, un prospecteur australien savait que la ressource ne serait qui fut le premier à s’intéresser au utilisable que sur une courte durée. phosphate de l’île. Mais les investissements à l’étranger Mais le destin de Nauru prend une mis en place par le gouvernement toute autre ampleur en 1968, quand de Nauru pour se diversifier, par l’île obtient son indépendance exemple de l’immobilier en Australie de l’Australie et que son premier et une compagnie aérienne, Air président, Hammer DeRoburt, Nauru, n’ont pas fonctionné. Sans ces nationalise l’exploitation minière. Une investissements et sans ressources, le exploitation auparavant gérée par pays qui s’était habitué à un quotidien des compagnies étrangères, surtout idyllique plonge dans la crise et la pauvreté. australiennes.

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© Gouvernement de Nauru

Au début des années 1990, le pays qui s’était habitué à un quotidien idyllique plonge dans la crise.

1970-1980 :

2021 :

L’exploitation minière enrichit toute l’île. Le PIB par habitant atteint 20 000 dollars. La population ne paye alors pas d’impôt, ni l’eau et l’électricité. Tout frais payés ou presque, les nauruans arrêtent les activités traditionnelles comme la pêche, et la plupart n’ont alors plus besoin de travailler. L’exploitation minière et les autres emplois sont laissés à des travailleurs immigrés. Ils développent alors une folle société de consommation, jusqu’à atteindre l’un des pires taux d’obésité du monde, près de 80 % aujourd’hui.

Minuscule île de 21 km² pour 10 000 habitants, Nauru est aujourd’hui la plus petite république de la planète. Sans solution économique durable, les possibilités de rebond sont très faibles. Aujourd’hui, 90 % de la population se retrouve au chômage sans que l’État, ruiné, ne puisse aider la population.

ENVIRONNEMENT

Cette île ne peut même pas profiter d’un attrait touristique contrairement aux îles voisines. En effet, ce qui était autrefois un îlot typique d’Océanie s’est transformé en un terrain ravagé à 80 % par l’exploitation minière.

Gaël TRAUB

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Sexualité : entre sexualité et tabou L

ittéralement, la sexualité englobe les phénomènes de reproductions biologiques d’organismes vivants ainsi que les comportements associés. En application, elle s’apparente aux phénomènes culturels liés au comportement sexuel et par-dessus tout, à l’intimité. Tandis que la pornographie est souvent légale, parfois même démocratisée dans certains pays, d’autres pays tels

que l’Égypte ou la Somalie, pratiquent l’excision. Dans ces pays où la sexualité est taboue et le contrôle sur le corps féminin total, des femmes se soulèvent et libèrent la parole. D’autres pays tels que le Bahreïn ou au Guam ont, quant à eux, des lois bien particulières qui ont pour but de réglementer mais qui peuvent faire sourire les Occidentaux.

Elzéa COLOMB

Nos rédacteurs Marie de MONTERNO

Ugo MAILLARD

Anthony COMBEROUSSE

Inès PALLOT

Coline MICHEL

Pauline CHOPPIN

SEXUALITÉ

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Elzéa COLOMB


L’amour, une question de culture Dans les pays occidentaux, la question du mariage s’aborde de différentes manières. Religieux ou encore civil, il met en règle générale l’amour au premier plan. Dans d’autres pays tels que le Kenya ou l’Inde le mariage est étroitement lié à la condition socio-économique. Il permettrait même de perpétuer les différences entre différentes classes.

A

u Kenya, l’union par le mariage est accompagnée de la négociation de la dot. La famille de l’époux « offre des biens (souvent du bétail) à la famille de l’épouse. Dans ces termes, les familles respectives des futurs époux se rassemblent afin de trouver un arrangement qui sera honoré tout au long de la relation », nous explique Rachael dont la grand-mère est Kenyane. Là encore, les 40 ethnies qui peuplent ce pays de l’est africain ont chacune des coutumes qui leur sont propres.

Chez les Kalenji (12 % de la population totale), la question de la dot mobilise le village entier. Lors de la cérémonie des fiançailles, un dialogue est organisé entre les deux familles. À cette occasion, le fiancé n’a pas le droit de s’exprimer et doit donc avoir un porte-parole. S’il intervient, il prend le risque que « la cérémonie soit annulée et repoussée souvent des mois plus tard », précise Rachael. Si les deux familles tombent d’accord, le mariage peut donc être organisé quelques jours plus tard dans la maison du marié. Les deux familles s’engagent alors, notamment à travers la dot, à garder un contact fort pendant plusieurs années.

Mariage traditionnel Kikuyu au Kenya. ©Topafro

La question monétaire ne s’arrête pas là, puisqu’elle est également une des « causes principales de séparation dans les ménages », déclare la jeune SEXUALITÉ

Mariage traditionnel dans le nord de l’Inde. ©Shriya Sajeesh

femme. D’ailleurs, les femmes cachent souvent aux hommes le vrai montant de leur salaire pour éviter de payer toutes les dépenses du ménage. Quant à la polygamie, elle reste une pratique répandue chez les Kikuyus (22 % de la population totale), mais là aussi, un homme qui n’a pas les ressources nécessaires ne peut se permettre d’avoir plusieurs femmes. Entre mariage d’amour mariage arrangé

et

En Inde, le mariage idéal a d’abord une connotation religieuse. Dans l’hindouisme, « les divinités Shiva et Parvati symbolisent l’union parfaite entre deux êtres », annonce Shriya, indienne de naissance. Chaque année, la fête de Gangur (fin avril-début mars) est une célébration en leur honneur, « elle se déroule principalement dans quelques endroits tels que le Rajasthan ou encore le Madhya Pradesh. Le festival a lieu pour que les femmes puissent prier pour la longévité de leur mariage et celles qui ne sont pas mariées prient pour trouver un mari », précise-t-elle. Toutes les femmes d’un foyer se réunissent dans une pièce à l’écart du reste de la famille pour se retrouver et prier les deux divinités ensemble

durant les 16 jours de festivités. Dans la vision du couple indien, l’homme veille à ramener de l’argent au foyer et la femme s’occupe des enfants. Dans ce modèle, « les mariages arrangés par la famille sont fréquents. Avant, c’était principalement pour préserver le système de caste, aujourd’hui on essaye de s’en délaisser de plus en plus ». Le contact s’établit via les parents avec l’échange de photos, puis les futurs mariés ne se voient qu’une fois avant le jour J. Ce type de mariage a lieu dans le but de préserver les différences socio-économiques qui existent entre les différentes castes du pays mais surtout de préserver une forme de « hiérarchisation » entre eux. Malgré un âge légal fixé à 18 ans pour le mariage, il arrive que des familles très pauvres en zones rurales marient leurs filles, parfois très jeunes. Dans cette société, être une fille est un fardeau pour la famille. Il arrive même que des familles marient toutes leurs filles le même jour pour limiter les frais, et ce peu importe leur âge. « Les choses sont en train de changer en Inde. Aujourd’hui, de moins en moins de mariages sont forcés et se remarier devient possible. Notre pays est en pleine mutation », conclut-elle. Elzéa COLOMB

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Être Inde

veuve

en

Dans la culture Bengali, lorsqu’une femme perd son mari elle devient en marge de la société. En conséquence, elle doit renoncer à ses bracelets d’amour traditionnels, bijoux, sindour (raie rouge dans les cheveux) et à ses vêtements colorés, pour ne s’habiller qu’en blanc. Elle n’a plus le droit de manger de poisson ni de nourriture frie. La veuve n’a plus le droit d’exprimer ses envies ni ses désirs. Même les tatouages au henné de ces femmes doivent être sobres. De plus, bien souvent, elles ne revoient pas les autres membres de leur famille et n’ont pas le droit de se remarier. Elles se retrouvent donc complètement isolées.

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Marie DE MONTERNO


« J’existe aussi »

Ayouba rêve d’un Maroc qui ne criminalise pas l’homosexualité. © Ayouba El Hamri

Vivre dans un pays qui ne vous accepte pas. Ayouba El Hamri est un jeune Marocain qui milite pour les droits LGBT. Il a décidé de s’investir dans son pays pour que sa communauté soit reconnue.

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é à Sefrou, une petite ville du Maroc, Ayouba a très vite compris qui il était. Lui qui se décrit comme « trans-féministe nonbinaire », il a choisi de rajouter un « a » à son prénom pour le féminiser. Ses revendications identitaires lui ont semblé être une évidence. « On naît militant, on ne le décide pas. Dans un pays comme le Maroc, mes droits ne sont pas acquis alors forcément je suis devenu militant par nécessité. » Au Maroc, l’homosexualité est toujours interdite. Que ce soit dans les mœurs ou dans la loi, la nature d’Ayouba dérange. À 24 ans, le Marocain est fier de ce qu’il est et assume tous ses choix. « Aujourd’hui, c’est plus facile car j’ai appris à encaisser les regards, les critiques et les insultes. » Ce refus de sa personnalité, le jeune homme l’a vécu lorsqu’il n’était encore qu’Ayoub. D‘un ton solennel, il explique que SEXUALITÉ

« les contacts avec sa famille sont aujourd’hui rompus ». Ce combat au quotidien, Ayouba a décidé de le mener pour lui, mais aussi pour toute sa communauté. En arrivant en 2014 à Rabat, la capitale du Maroc, l’étudiant entame des études de mathématiques. Très vite, il stoppe ses études et met entre parenthèses ses rêves professionnels pour se consacrer à plein temps à la lutte pour ses droits.

« Les LGBT au Maroc prennent un risque » Dans un pays où les LGBT risquent la prison, Ayouba El Hamri a souhaité s’investir pour défendre leurs droits. Alors qu’il était dans un concert à Rabat, le militant a brandit un drapeau arc-en-ciel. Un acte fort qui n’a pas

« J’ai appris à encaisser, les regards, les critiques, les insultes » Ayouba El Hamri

été sans conséquence. « Je voulais le faire pour nous mais dès le lendemain matin, beaucoup de médias marocains ont repris mon image pour la critiquer. Heureusement, tous les militants se soutiennent et cela nous donne la motivation pour continuer à se battre. » Ayoub s’est engagé dans des structures qui couvrent tout le Maghreb. Avec ces associations, il organise des évènements et met en place des plateformes de dialogue. Si ses journées sont totalement occupées par le militantisme, c’est en partie en raison de ses expériences dans le monde du travail. « J’ai dû quitter pas mal d’emplois en raison de mon engagement. » Même s’il confie se sentir « menacé », Ayouba ne veut pas fuir son pays. Son rêve est de voir le Maroc reconnaître son droit d’exister. Ugo MAILLARD

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La disparition des Péruviennes s'intensifie La sécurité des femmes au Pérou est remise en question. L’année dernière, pas moins de 5 550 péruviennes ont été portées disparues. Les pouvoirs publics sont clairs, ce drame est dû à la traite d’êtres humains et aux féminicides.

E

n 2020, les disparitions de femmes au Pérou ont doublé par rapport à l’année précédente. Alors que l’État péruvien a longtemps nié ce problème, un rapport du bureau du Défenseur du peuple indique que 1 686 femmes adultes et 3 835 mineures ont été portées disparues en 2020. Des chiffres inquiétants qui témoignent de l'ampleur des violences faites aux femmes au Pérou. Souvent négligées par Lima, la capitale, les disparitions de ces femmes ne sont plus imputées à de simples fuites individuelles. Cette banalisation aggrave le problème. Fiorella est une jeune étudiante péruvienne en marketing. Elle déplore « un manque de considération des femmes ». « On est trop habitués à ce genre de nouvelles et moi la première. Je ne suis plus étonnée et ça ne me touche plus », nous explique-t-elle. Si Fiorella Romero se dit habituée à ces disparitions il n’empêche qu’elle explique « avoir peur dans la rue ». « On nous apprend à vivre avec la peur quand on est une fille. On nous apprend à toujours être avec

quelqu’un. Si une fille prend le taxi seule, elle est foutue. » Cette habitante d’Arequipa, une ville au sud du Pérou, raconte : « Ma mère ne comprend pas que je réponde violemment lorsque l’on m’interpelle dans la rue, c’est la mentalité d’avant ». Au Pérou, il existe de grandes disparités entre les grandes villes comme Lima, la capitale et les villes de campagne. Dans ces villes souvent isolées les traditions où la femme est à la cuisine et gère les enfants perdurent. « Quand on est une fille, on nous apprend à vivre avec la peur » Fiorella Romero Un problème non prioritaire

a déclaré à l’AFP Patricia Sarmiento, en charge des droits des femmes au sein du bureau du défenseur des droits. Il n’existe plus de place pour le doute, les femmes péruviennes sont bel et bien en danger lorsqu’elles sont seules dans les rues, les bars ou encore les taxis. Fiorella Romero n’est pas optimiste quant à la force d’action du gouvernement. « Je n’attends rien du gouvernement. Le nombre de fois où j’ai réfléchi à la manière dont ou pourrait changer les choses, sans jamais trouver de solutions est énorme. Le Pérou a des crises politiques chaque mois donc ce problème passe après. » Comme l’explique très justement la Péruvienne de 20 ans, la place des femmes au Pérou est un problème de taille. Fiorella Romero n’hésite pas à aller manifester pour s’engager pour les droits des femmes dans son pays. © Fiorella Romero

Ne plus se cacher derrière le chiffre officiel de 138 féminicides en 2020. Le rapport du bureau du Défenseur du peuple péruvien se nomme « Que leur est-il arrivé ? ». « C’est préoccupant d’avoir un chiffre aussi élevé de femmes disparues » en 2020,

Pour beaucoup de Péruviennes, il est inconcevable de marcher seules dans la rue. © Pixabay, Diana Vargas

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Ugo MAILLARD


La consommation de la pornographie chez les femmes : Depuis près d’un an, date du premier confinement, le nombre de visiteurs sur les sites pornographiques a été multiplié par trois. Et tandis que cette consommation est déjà implantée depuis longtemps chez les hommes, elle tend à se démocratiser de plus en plus chez les femmes. Quel(s) usage(s) font ces dernières de la pornographie selon les différents pays ? Tour d’horizon.

L

a pornographie sur internet est en plein essor. Ces sites représentent 4,41 % de l’ensemble des visites mondiales sur le net. Mais leurs consommateurs ne se trouvent pas forcément là où on les attend… Selon une étude de 2015, réalisée par le site TheNextWeb.com, les pays hébergeant le plus de sites pornos ne sont pas les États-Unis, ni-même l’Europe de l’Ouest mais bien... l’Égypte et L’Irak ; des contrées connues pour leur politique conservatrice, mais également l’importance du culte religieux. Un an plus tard, le webzine Salon.com sort

un classement des huit pays les plus friands de sites pornos. Là encore, le constat est sans appel : cinq d’entre eux sont des pays dans lesquels la religion de l’Islam est implantée depuis des années. Le Pakistan prend la première place, suivi de l’Égypte, l’Iran, le Maroc et la Turquie. La religion, une bride à la sexualité Dans ces pays où la sexualité avant le mariage reste très taboue, les femmes ont dû réinventer leur approche de la sexualité. Shereen El Feki, auteure d’une enquête sur la sexualité dans le monde arabe nous explique : « Il y a une grande frustration dans beaucoup de pays musulmans, parce que le sexe ne se pratique pas avant le mariage. Et la moyenne d’âge du mariage augmente. Pour les hommes, c’est à environ 30 ans, et 20 ans pour les femmes. »

« Il y a une grande frustration dans beaucoup de pays musulmans parce que le sexe ne se pratique pas avant le mariage. Et la moyenne d’âge du mariage augmente. Pour les hommes, c’est à environ 30 ans, et 20 ans pour les femmes. » Shereen El Feki

Sur les sites pornographiques, les recherches effectuées par les femmes sont drastiquement différentes en fonction du pays dont elles sont originaires. @ Victor Westfalia

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entre tabou et féminisme Les statistiques relevées dans les pays les plus religieux sont également celles qui enregistrent le plus fort taux de rebond. C’est-à-dire que les visiteurs ne regardent qu’une seule vidéo avant de quitter le site ; un constat logique dû à la peur de se faire surprendre sur le fait. Mais certaines femmes bravent les interdits, malgré la religion. C’est le cas de l’actrice X, Mia Khalifa. Cette libanaise s’est exilée aux États-Unis pour pouvoir continuer d’exercer en toute quiétude. Aujourd’hui connue mondialement, elle fait figure d’émancipation féminine dans son pays d’origine, malgré les vives polémiques qu’elle avait suscitées lorsqu’elle a reçu un prix du site Pornhub, en 2015. Des goûts différents selon les pays Même si la masturbation féminine reste encore un tabou de nos jours, certains sites pornographiques tels que Pornhub tentent de faire changer les mentalités. En 2021, la femme n’est plus seulement actrice mais, tout comme l’homme, consommatrice de porno. Il y a deux ans, le site a d’ailleurs révélé les données sur les femmes fréquentant la plateforme et, selon la localisation géographique, les catégories visitées diffèrent…

Les limites du porno dans le monde Si le porno rend aujourd’hui compte des facteurs sociétaux dans lesquels nous évoluons constamment, il peut également en être à l’origine. Le cas de l’insécurité et plus particulièrement du viol, est un phénomène accentué par un usage excessif du porno. Pire encore, puisque les requêtes concernant la pornographie violente « sont deux fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes », assure le statisticien Seth Stephens-Davidowitz. En 2014, l’Université de Montréal annonce des chiffres glaçants. Si 64 % des femmes cherchent à être dominées au lit contre 53 % des hommes, près de 29 % d’entre elles ont le fantasme de subir un viol contre 30 % chez les hommes. Et même si le porno n’est pas le seul responsable, il y tient sa part de responsabilité. Les catégories apparaissantes sur les sites pornographiques sont de plus en plus violentes, des catégories souvent reliées aux interdits, comme le sadomasochisme : « Il y a dix ans de cela, j'aurais refusé de faire du SM, je n'aurais pas assumé, alors que j'en avais déjà envie », relate une étudiante interviewée dans l’enquête.

Des pratiques plus ou moins étranges se démarquent selon les pays, comme aux Pays-Bas, où les femmes fantasment sur la « Golden shower », pratique consistant à s’uriner dessus. Les Polonaises restent plus soft, et préfèrent dans l’ensemble le porno vintage, réservé aux visiteurs plus âgés. Enfin, les Allemandes affectionnent quant à elles, les vidéos liées au fétichisme des pieds.

« Les rapports entre hommes et femmes y sont faussés : les hommes sont des dominateurs toujours capables de donner du plaisir et les femmes des créatures toujours prêtes à dire oui ! » Claude Rozier

Aux États-Unis, en Amérique latine, en Australie et en Europe de l’Ouest, la catégorie « Lesbian », connaît un succès considérable chez les femmes, avec 151 % de visites en plus que chez les hommes. Interrogée par Madame Figaro, dans le cadre d’une enquête sur l’apport de la pornographie chez les femmes, Sidonie, consommatrice de 30 ans, explique : « Cela m’a permis d’identifier les choses qui me faisaient envie comme le porno lesbien. Je n’aurais jamais eu le courage de tenter cette expérience dans la vie de tous les jours. » Tandis que le porno permet à certaines de se découvrir une nouvelle attirance sexuelle, il peut également se révéler être un véritable danger.

Certains spécialistes mettent en cause la société patriarcale, source de réprimande, qui empêcherait la femme d’extérioriser son agressivité, qu’elle retournerait alors contre elle-même. Une domination plus que présente dans la pornographie : « Les rapports entre hommes et femmes y sont faussés : les hommes sont des dominateurs toujours capables de donner du plaisir et les femmes des créatures toujours prêtes à dire oui ! », nous explique Claude Rozier, sexologue. « Pour éviter cette conception erronée de la sexualité, mieux vaut donc consommer le porno avec modération, et ce pour les femmes autant que pour les hommes. »

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La pornographie sur le web, un accès partout dans le monde ? Si en Occident, la pornographie sur Internet est acceptée dans les mœurs, ce n’est pas le cas dans tous les pays du monde. 91 pays, majoritairement situés en Afrique et en Asie, essaient en effet de bloquer l’accès à ces vidéos. Les sanctions peuvent alors être très lourdes si une personne se fait arrêter.

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egarder des vidéos pornographiques sur Internet est loin d’être accessible partout. Alors qu’en France, il suffit de certifier sur l’honneur d’être majeur pour avoir accès à des milliers de vidéo, près de la moitié des pays tente de les censurer, à commencer par la Chine. En 2010, Le gouvernement a fermé plus de 60 000 sites web et le créateur d’un des plus grands sites pornographiques chinois a notamment été condamné à la prison à perpétuité.

sont bloqués par le gouvernement, tandis qu’au Soudan du Sud, une personne risque trois ans de prison en cas de production et diffusion de contenus. De son côté, le gouvernement ougandais a demandé au fournisseur d’accès à Internet (FAI) du pays de bloquer 27 pays jugés à caractères pornographiques. L’Amérique et l’Europe sont en revanche deux continents qui se montrent conciliants envers la pornographie sur le web, où l’accès est légal sauf en Biélorussie. Un habitant peut alors encourir quatre ans de prison. Au Royaume-Uni, on a aussi mis en place quelques restrictions avec une loi numérique afin de protéger les jeunes de contenus choquants. C’est ainsi que des vidéos de coups de fouet, de fessées ou de scènes sadomasochistes ont été bloquées par le British Board of Film Clasification (BBFC). Un accès difficile à bloquer Il voulait également mettre en place une loi imposant aux sites pornographiques de vérifier l’âge des internautes. Mais celle-ci n’a pas abouti à cause d’inquiétudes sur la vie privée.

Le Bangladesh se lance dans une Cet échec n’est pas le seul. Au Nigéria, notamment, et malgré la demande de guerre contre la certains membres musulmans du gouvernement, la pornographie reste légale. Pour pornographie le plus grand plaisir de ses habitants. En 2015, la moyenne mensuelle de nombre de recherches pornographiques était en effet de 135 000, tandis qu’en 2014, ce pays Mais la Chine est loin d’être d’Afrique de l’Ouest se classait troisième en recherche Google de porno gay. le seul pays concerné. Et pour cause, 91 pays interdisent le X. C’est aussi le cas du Bangladesh, contrée à majorité musulmane, qui s’est lancé dans « une guerre contre la pornographie ». Les autorités ont en effet bloqué plus de 16 000 sites web de novembre 2018 à février 2019. « Je veux créer un Internet sain et sûr pour tous les Bengalais, dont les enfants », avait déclaré Mustafa Jabbar, ministre des postes et télécommunications, en 2019. Le Royaume-Uni et la Biélorussie, les contreexemples européens En Afrique aussi, la pornographie est sévèrement traquée. Au Soudan, par exemple, les sites web

Carte du monde de la législation de la pornographie sur le web. © Anthony Comberousse

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Pornhub, roi de la pornographie Sur Internet, les sites pornographiques sont de plus en plus à la mode. Pour nombre d’entre eux, le succès de leurs vidéos n’est plus à prouver. Certaines réalisations atteignent plus de 200 millions de vues dans le monde. Mais si l’un devait se distinguer, c’est bien Pornhub. Ce site basé au Luxembourg enregistre la plus forte audience.

L

e X est roi. Le succès des sites pornographiques ne cesse de croître au fil des années. C’est particulièrement le cas de Pornhub. En 2019, le site internet a enregistré une fréquentation record avec 42 milliards de visites, soit 115 millions de visites par jour, selon sa propre revue réalisée sur son site Internet. C’est 8.5 milliards de plus qu’en 2018. Mais alors que représente ce nombre impressionnant de 115 millions ? C’est tout simplement la population de l’Éthiopie ou le double de la population française.

Et ce, grâce au confinement. Chaque jour, durant la période entre mars et juin, le pourcentage de trafic internet dans le monde était supérieur à l’époque avant Covid, atteignant même jusqu’à 23 % de plus le 26 mars…

Le confinement, un atout de plus à l’avantage de Pornhub Ce succès international place le site comme la référence du porno, avec le plus de trafic devant notamment xvideos. Placé en huitième position et preuve de sa popularité grandissante, ce mastodonte de la pornographie se positionne devant Instagram, Netflix ou Amazon, selon la plateforme de données Statista. Rien que ça ! Alors que 2019 a donc été une année faste pour Pornhub, que dire de l’année 2020 ? Si l’entreprise basée au Luxembourg n’a pas encore dévoilé son review officiel de l’année écoulée, on peut déjà anticiper une forte croissance des visites, et donc un nouveau record battu.

Pornhub devant Netflix ou Amazon Pornhub arrive par ailleurs à toucher tous les publics, des plus jeunes aux plus âgés. En effet, la moyenne d’âge est de 36 ans et 4 % des plus de 65 ans consomment de la pornographie. Du côté des 18-24 ans, le pourcentage ne s’élève qu’à 25 %, tandis que les 25-34 ans sont la tranche la plus concernée, avec 36 %. Les personnes de sexe féminin regardent également davantage des films à caractère X que par le passé. En 2019, les vidéos étaient vues par 32 % d’entre elles, soit une hausse de 3 % en un an. L'utilisation du site pornographique Pornhub dans le monde © Anthony Comberousse

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Lucas MOLLARD & Anthony COMBEROUSSE


L’excision, une emprise sur la sexualité des femmes La sexualité des femmes tend à être contrôlée par les hommes depuis la nuit des temps. Cela se fait de plusieurs façons, allant même parfois jusqu’à l’atteinte au corps. Au nom des traditions, des coutumes, les parties intimes féminines sont la cible de bien des maux. Notamment de mutilations sexuelles féminines (MSF), pratiquées, à des degrés différents, sur tous les continents du monde.

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«

radition néfaste », c’est l’expression utilisée par l’ONU pour désigner l’excision, un rituel qui fait peur et alerte d’un réel danger pour les jeunes femmes. Considérées comme une violation des droits des filles à la santé, à leur bien-être et à leur autonomie selon l’OMS, les mutilations sexuelles féminines persistent au fil du temps. Elles constituent une norme sociale profondément ancrée dans certaines mentalités traditionnelles et encore autorisées dans plusieurs pays. Simple coutume pour préserver l’honneur de la famille, ou pratique visant à réprimer la sexualité féminine, cette dernière est encore présente partout dans le monde. Mais là où elle est la plus conséquente, c’est dans la corne de l’Afrique, à l’est, de l’Égypte jusqu’au Mali en passant par la Somalie.

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% des femmes en Somalie ont subi des mutilations sexuelles selon l’Unicef

Un crime qui marque à vie Généralement, ces manipulations, si elles sont pratiquées par une exciseuse (qui n’est pas une professionnelle de santé), sont réalisées avec une lame de rasoir ou le couvercle d’une boîte de conserve. Elles peuvent engendrer des infections parfois mortelles, ou une perte trop importante de sang. Si elle est pratiquée par un médecin, c’està-dire dans les pays où la pratique est autorisée, « le résultat concretpratique pour les femmes dans la vie quotidienne est le même », explique Michèle Vianès, spécialiste des questions d’égalité femmes-hommes et notamment de la lutte contre les traditions néfastes. Elle poursuit :

Les mutilations sexuelles féminines sont considérées par l'OMS comme une violation des droits des filles à la santé, à leur bien-être et à leur autonomie. © Elzéa Colomb

« Une fois que l’ablation partielle ou totale du clitoris est faite, le fait d’uriner, les premiers rapports sexuels, l’accouchement et la grossesse sont très douloureux. » Aujourd’hui, il existe plusieurs grands types de mutilations sexuelles féminines selon l’association « Excision, parlons-en » : la clitoridectomie, qui serait une ablation partielle ou totale du clitoris, l’excision, qui représente une ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres et l’infibulation. Cette dernière correspond au rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres,

avec ou sans ablation du clitoris.

« En France, nous avons agi pour que ce soit qualifié comme des mutilations sexuelles féminines et non génitales comme on peut encore le voir. Pourquoi ? Parce que dans le droit français, un crime ou délit sexuel commis par des personnes qui résident habituellement en France ou qui rentrent en France, est évidemment puni, défend Michèle Vianès. Pas besoin de loi spécifique mais le crime est inscrit dans l’arsenal législatif français. Et puis le terme de mutilation génitale pourrait faire penser aux mutilations imposées pour la santé des femmes. »

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Diaryatou Bah, le témoignage d’une victime engagée j’ai poussé ce jour-là je ne l’ai jamais oublié. »

« Un désir des hommes de maîtriser la sexualité des femmes » « Ce n’est pas une question de religion puisque ça se fait dans toutes les religions, précise Michèle Vianès. En Égypte, les filles sont excisées à près de 99 % et ça se passe aussi bien dans les populations musulmanes que chez les Coptes, qui sont chrétiens. C’est une tradition très ancienne qui vient plus de l’Afrique de l’Est. Parmi les origines qui paraissent les plus crédibles, ce serait la crainte des hommes de voir le clitoris grandir comme les autres organes et qu’il soit suffisamment grand pour que les femmes puissent avoir des enfants, en se passant des hommes. Donc c’est bien un désir des hommes de maîtriser la sexualité des femmes. » À la genèse de la tradition, on parle « d’excision pharaonique », rajoute la spécialiste, liée au territoire égyptien. Les excisions là-bas sont vraiment tabous, et sont pourtant faites par les médecins. Les mutilations sont également pratiquées en Asie, en Malaisie et en Indonésie, mais aussi en Amérique du Sud, au Pérou et en Colombie. Toutes ont le même objectif : le contrôle de la sexualité féminine. L’un des premiers pays à avoir interdit les excisions, c’est le Burkina Faso, qui a réussi à faire baisser le nombre de passages à l’acte. À l’inverse, le Mali ne pénalise pas encore cette pratique et a été attaqué par un collectif d’associations maliennes auprès de la Cour internationale de justice et condamné en 2020. Une lutte qui n’est donc pas encore terminée...

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À l’époque, elle était contente, puisqu’elle était « comme toutes les autres petites filles et que c’était la première étape pour devenir une femme ».

Diaryatou Bah, victime d’excision, est militante contre cette pratique. © Diaryatou Bah

Diaryatou Bah est une jeune Guinéenne qui s’engage dans la lutte contre l’excision. Elle a elle-même vécu l’acte lorsqu’elle avait 8 ans, dans son village.

« Elles m’ont excisée avec un couteau. Le cri que j’ai poussé ce jourlà, je ne l’ai jamais oublié » Diaryatou Bah présidente de l’association "Espoirs et combats des femmes"

«

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n ne m’a pas dit ce qui allait se passer. On m’a juste dit d’accompagner une dame. Sur place, il y avait quatre femmes : deux qui me tenaient les pieds et deux les mains. Elles m’ont excisée avec un couteau ; le cri que

Pour soigner la blessure, sa grandmère a seulement utilisé de l’eau et des herbes, car aucun hôpital n’était à proximité. Puis elle a été mariée de force alors qu’elle n’avait qu’une dizaine d’années, avec un homme de 45 ans.

« Jusqu’à 20 ans, je pensais que l’excision était normale et que toutes les femmes du monde étaient passées par là ». Quand elle a découvert la réalité, elle a décidé s’impliquer dans plusieurs associations comme "Excision, parlons-en", "Ni putes, ni soumises", puis a créé la sienne "Espoirs et combats des femmes", en même temps qu’elle a sorti son livre "On m’a volé mon enfance", en 2006.

« Cela n’a pas été facile du tout, surtout avec la sexualité. C’est un travail que j’ai fait avec mon corps. Je me bats aussi dans ce pour quoi je milite, pour que les filles soient éduquées à la sexualité. » Son objectif : « continuer les campagnes de sensibilisation, condamner quand c’est nécessaire et il faut que les hommes s’engagent aussi ; il faut que ça soit un combat mutuel ! »

Inès PALLOT


Droit à l’avortement : le monde avance d’un pas et recule de trois Alors que les militantes polonaises continuent de manifester pour la légalisation de l’avortement, à l’autre bout du monde, les Argentines ont vu ce droit leur être accordé en décembre.

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voir le droit de mettre un terme à sa grossesse, et ce, jusqu’à 14 semaines. Une loi qui, dans un pays aussi catholique que l’Argentine, est considérée comme une victoire par ses partisans. Jusqu’ici, l’IVG n’était autorisée qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Mais malgré une profonde division du pays sur la question à cause de la religion notamment, et après avoir voté une première fois contre le 8 août dernier, le Congrès argentin a bel et bien adopté le texte en décembre 2020. Le film « Femmes d’Argentine : Que sea ley » (Que la loi soit) a été réalisé par Juan Solanas en 2013, avant que le droit à l’IVG ne soit accordé. En dressant le portrait de femmes luttant pour sa légalisation, il prouve en quoi cela est une victoire dans ce pays où chaque heure, 41 femmes avortent clandestinement. Au péril de leur liberté, puisque cet acte était passible de 4 ans de prison. Mais encore plus, au péril de leur vie : pour les femmes les plus aisées, il fallait compter près de 30 000 pesos pour un avortement illégal dans des conditions à peu près acceptables. Mais pour la majorité d’entre elles, qui n’avaient pas les moyens, l’avortement se faisait avec les moyens disponibles : sans anesthésie ni matériel aseptisé, ou avec des médicaments trouvés sur le marché noir, comme le misoprostol, utilisé à l’origine pour le traitement des ulcères gastriques, mais connu pour ses propriétés abortives. Cette loi pourra donc sauver les femmes de la prison ou de la mort, mais pas de la stigmatisation sociale, très forte en Argentine, qui, on l’imagine, mettra du temps à s’effacer malgré cette loi.

En Pologne, le combat se poursuit SEXUALITÉ

« Constitution », le slogan brandi par les manifestantes depuis que le Tribunal constitutionnel polonais a jugé l'avortement non-conforme à la consitution. © Pixabay

« L’État doit proposer des alternatives » association Aborcydreamteam. Après la décision, fin octobre 2020, du Tribunal constitutionnel de Pologne interdisant l’avortement même en cas de malformation grave du fœtus, des manifestations ont eu lieu dans toute la Pologne. Conséquence : l’interruption d’une grossesse n’est autorisée qu’en cas de viol ou d’inceste. « Non à la terreur », « Libre choix »... tels étaient les slogans brandis par les manifestants. Parmi les associations pro-avortement qui protestent contre cet arrêté considéré comme liberticide, Aborcydreamteam (La dream team de l’avortement). Elle explique que malgré l’interdiction de l’IVG, beaucoup de femmes trouvent des moyens de le faire, même s’ils sont peu efficaces et dangereux pour leur santé. « Quand beaucoup de gens doivent briser une loi pour vivre, c’est qu’elle n’a pas lieu d’être et qu’elle est injuste. L’avortement n’est pas différent d’une autre procédure médicale : il s’agit de ne pas stigmatiser les femmes qui veulent vivre leur vie », explique

une bénévole. Pour cela, l’association propose plusieurs alternatives à la loi, qui réguleraient l’accès à l’avortement sans pour autant l’interdire. « Autoriser l’avortement, mais précédé d’un délai obligatoire de réflexion par exemple, ou l’autoriser si la personne se trouve dans une situation économique difficile, autoriser l’avortement avec l’accord des parents si la personne est mineure… L’État doit proposer des alternatives », conclut-elle. Des alternatives pour l’instant rejetées par le gouvernement, malgré les quelque 200 000 IVG réalisées illégalement ou à l’étranger par les femmes polonaises chaque année.

Le film Que sea ley dresse le portrait de femmes qui se battent pour l’avortement. © Amnesty International

Coline MICHEL

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La révolution du plaisir féminin En 2017, la polémique de non-représentation du clitoris dans les manuels scolaires de SVT (Sciences et Vie de la Terre) éclate en France. Depuis cette dénonciation de « cacher » l’organe du plaisir féminin, bon nombre de livres, films, artistes, photographes et comptes Instagram inondent la toile de représentations du clitoris et de l’orgasme féminin.

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a jouissance, le plaisir féminin ne se cachent plus. Ils sont même aujourd’hui revendiqués après de longues années passés sous silence. En 2021, grâce notamment à Instagram, il n’est désormais plus possible de dire que l’organe et l’orgasme féminin sont un mystère. Depuis près de cinq ans, des productions culturelles et éducatives se multiplient sur la toile pour développer un sujet beaucoup trop méconnu chez un bon nombre de femmes et de jeunes femmes. Des initiatives mondiales

L’orgasme féminin n’est donc plus muselé. Sur internet, un grand nombre de femmes, anonymisées, réalisent de réelles cartographies du plaisir. C’est le cas de Jüne Pla, qui publie début 2020 Jouissance club. Elle est à l’origine du compte Instagram Jouissance club, un mode d’emploi sur son corps qui permet de pouvoir aborder sa sexualité sans peur, gêne ou honte. Dans le même genre, mais déconstruisant les stéréotypes sur l’orgasme féminin, le compte Instagram « Tasjoui », est lancé en 2018 par la journaliste Dora Moutot. Elle met à mal les clichés machistes en matière de relation sexuelle.

jeunes, dès leur plus jeune âge, à la pornographie, Barbara Miller décide de consacrer un long-métrage documentaire, en faisant un tour d’horizon au niveau global. Elle accompagne cinq jeunes femmes dans la perception de leur corps et de leur sexualité dans différentes religions et cultures du monde. Du côté du continent africain, où la question du plaisir féminin est très peu évoquée, des femmes comme Nana Darkoa Sekyiamah mettent en avant la sexualité féminine. En plus d’être écrivaine et activiste, elle est fondatrice du groupe Fab Fem, un groupe féministe pour l’autonomisation des femmes. Spécialiste du leadership en Afrique et engagée auprès du African Women’s Development Fund, elle fonde en 2019 un blog, Adventures from the Bedrooms of African Women, un espace permettant aux femmes africaines de partager ouvertement leurs expériences sexuelles dans toute leur diversité. Ce blog se base sur des expériences personnelles, mais également sur des sources d’inspiration aléatoires, sur des articles anglés sur la sexualité, des conversations avec des amis, des livres sur le plaisir féminin, etc. 62 % des femmes disent qu’elles arrivent à demander franchement ce dont elles ont envie.

En 2018, la réalisatrice suisse-allemande Barbara Miller décide de réaliser un documentaire, #FemalePleasure, sur la libération de la sexualité féminine au XXIe siècle, aux quatre coins du monde. Elle y fait une critique de la pensée misogyne, à la diabolisation des corps féminins ainsi que les violences psychologiques et sexuelles qui leur sont infligées par les hommes. Après s’être intéressée à la représentation du clitoris et à l’exposition des

Des pays où il y a des limites Malgré l’engagement des femmes et des hommes dans le monde, la liberté sexuelle de la femme n’est pas unifiée. La liberté sexuelle n’est pas quelque chose d’acquis dans certains pays. Le Soudan du Sud, certains pays d'Asie et du Moyen-Orient, ont restreint pendant plus de trois décennies une pleine liberté sexuelle pour les femmes. Bien que l’excision soit pratiquée dans le but d’une normalisation sociale, d'un héritage culturel et de maintien d’une identité, le clitoris coupé reste tout de même l’organe du plaisir féminin. Le contrôle de la sexualité des femmes montre le maintien de la domination masculine. Catherine Solano, explique que « les femmes consultent de plus en plus souvent pour des questions techniques, alors qu'il y a peu de temps encore, elles abordaient surtout l'aspect relationnel ». © Stocksnap

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Pauline CHOPPIN


Elzéa COLOMB

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Tradition : entre croyances et coutumes L

«

a tradition est un guide et non un geôlier », appuyait le romancier britannique, Somerset Maugham. Si les traditions sont souvent attribuées aux croyances et à la religion pure, elles concernent aussi la culture et les pratiques devenues conventionnelles. Comment à travers le temps certaines persistent et entrent dans la vie quotidienne,

quand d’autres restent propres à un peuple et à une histoire culturelle ? Nous allons scruter de près les cultes, les usages religieux ou politiques, mais également les us et coutumes, en passant par la Chine, pour aller au Canada et arriver au Togo. Embarquez pour ce tour du monde des traditions, pour découvrir l’héritage des différentes communautés. Inès PALLOT

Nos rédacteurs Guillaume BESSON

Anthony COMBEROUSSE

Pauline CHOPPIN

Coline MICHEL

Ugo MAILLARD

Camille ROMAND

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Amérique latine : terre promise du ballon rond Certes, le football a vu le jour en Europe au XIXe siècle en Angleterre, mais il s’est depuis exporté dans d’autres pays. Notamment en Amérique latine, où ce sport est devenu une pseudo-religion et une réelle culture au fur et à mesure des années. Popularité, joueurs de génies et ambiances mythiques, à la découverte d’un continent qui vit « football ».

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a fête, la musique ou encore la danse, les traits culturels propres à ce continent sont nombreux mais un seul rassemble et unit tous les peuples à l’instar de la religion. Né sur le Vieux Continent, le football a traversé les mers et les océans pour trouver sa place sur la terre de feu. C’est à la fin du XIXe siècle qu’arrive ce sport en Amérique du Sud, en même temps que les immigrés venus des îles britanniques. L’Argentine, l’Uruguay et le Brésil sont les premiers pays frappés de plein fouet par cette activité importée d’Europe, et la développent en interne avec l’impulsion des Anglais implantés dans les villes. Les premiers clubs font leur apparition et les joueurs, généralement affiliés à des industries de voies ferrées la journée, débarquent sur les premières pelouses sudaméricaines. Les fanatiques, une passion sans limite Boca Junior et River Plate en Argentine, Peñarol et Nacional

en Uruguay puis Fluminense et Corinthians au Brésil, ces clubs pionniers apportent un bol d’air frais au football en lançant notamment des championnats entre eux. Mais que serait le « fùtbol » en Amérique du Sud sans ses « hinchas » ou « recibimientos », ces célèbres fanatiques ? Plus que sur un autre continent, sans nul doute, les peuples sudaméricains ont construit au fil des années une relation très forte avec leurs clubs fétiches. La fidélité envers son club est d’ailleurs une chose sacrée, qui se transmet souvent de génération en génération. C’est généralement vers 13 ans que le choix s’effectue, et changer de « distrito » est souvent vu comme une trahison au sein de la famille. Réel berceau des figures emblématiques comme Maradona, Pelé, Zico et Messi, avec ses stades, ses clubs, et son public unique, l’Amérique du Sud est un pôle d’attraction pour les passionnés de football, mais pas seulement. Toute personne sensible, charmée par le continent et tentée par une connaissance plus profonde de la culture sudaméricaine ne peut passer à côté.

La Bombonera, stade mythique en Argentine, accueille les matchs de Boca Juniors dans une ambiance qualifiée d'électrique par les spécialistes. @Grapical Brain/Pixabay

« Ce n’est même plus une religion, c’est une maladie » Interview de Junior Miranda, joueur de football brésilien. L’expression « le football est une religion au Brésil » est-elle avérée ?

As-tu des anecdotes qui montrent l’importance du football en Amérique du Sud ?

Le Brésil a un rapport particulier avec le football et notamment dans les quartiers, où chaque joueur brésilien débute sa carrière. Désormais, ce n’est même plus une religion, c'est une maladie. Actuellement, malgré la pandémie du Covid-19 et les stades à huis-clos, près de 30 000 supporters viennent se mettre autour du stade pendant la rencontre pour soutenir les joueurs.

Lors de la finale de Copa Libertadores (N.D.L.R : Compétition regroupant les meilleures équipes de football sud-américaines), j’ai déjà vu une personne poignardée une autre pour obtenir un simple billet de match. De plus, j’étais allé voir une rencontre entre jeunes en Uruguay et le match n’est jamais allé à son terme puisque les supporters des deux équipes se sont battus avec des battes de baseball autour du stade !

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Guillaume BESSON


Le vaudou au Togo : Le vaudou est né d’une rencontre entre des cultes traditionnels des dieux Yorubas et des divinités Fon et Ewe, lors de la création puis l’expansion du royaume Fon d’Abomey aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le vaudou est le fondement culturel des peuples issus par des migrations successives de Tado au Togo, un peuple qui constitue une part importante des populations au sud des États du Golfe du Bénin (Bénin, Togo, Ghana, Nigeria).

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e vaudou évoque souvent la magie noire et la sorcellerie. Pour ceux qui le pratiquent, c’est une religion, voire une philosophie de vie. Mais il est aussi très complexe dans sa compréhension, entre adoration d’un dieu unique à travers les symboles de la nature et héritage des ancêtres. Cette philosophie de vie comprend souvent une forme de culte des aïeux et une initiation sociale à la vie d’adulte dans la communauté, tout en jouant un rôle dans d’autres passages de la vie comme la naissance, le mariage, la mort et la vie dans l’au-delà, mais également la guérison des malades. Plus qu’une religion au Togo Le Togo connaît depuis le XVIIe siècle ses heures de gloire avec le vaudou. Notamment avec ses adeptes de l’animisme, une pratique religieuse polythéiste, qui lie l’homme et les forces de la nature dans un ensemble de coutumes et de rites. Ces pratiques religieuses ont principalement pour but de conserver ou de restaurer l’équilibre et l’harmonie entre toutes les forces de l’univers. Il est l’un des pays où la tradition du vaudou ne fait qu’un avec son peuple. « Nos ancêtres croyaient en un être suprême, créateur du ciel et de la terre ; ils l’ont appelé Mawu ; c’est Dieu », explique le roi d’Aného.

de multiples personnes appellent des esprits pour communiquer avec la vie. Un rapport gouvernemental du Togo avait été présenté au Comité des droits de l’homme des Nations unies en 2009, relié à un Pacte international relatif aux droits civils et politiques, montrant que : « Dans le souci de permettre aux enfants en âge d'être scolarisés et de suivre les rites d'initiation du culte vaudou conformément à la tradition, le Ministère de l'Action sociale, de la Promotion de la femme, de la Protection de l'enfant et des personnes âgées a, en 2007, associé les chefs des couvents à la réflexion sur la durée trop longue (trois ans) de ces cérémonies initiatiques des enfants. Grâce à l'action des comités locaux de protection des enfants conjuguée avec l'esprit d'ouverture des chefs de couvents, l'initiation des enfants a lieu pendant les vacances scolaires et s'étale sur une durée de deux à quatre semaines, permettant ainsi aux enfants de fréquenter et de suivre l'initiation du culte vaudou. » (Togo 17 oct. 2009, para. 105).

Des limites à cette pratique Cependant, dans un rapport publié en juillet 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans le cadre de l’Examen périodique universel, le Bureau international catholique de l’enfance (BICE) souligne qu’au Togo, la pratique traditionnelle de placer des enfants dans un couvent vaudou est « néfaste ».

Le vaudou est né au XVIIe siècle et vient principalement de quatre régions du golfe du bénin. (bénin, togo, ghana, nigéria. Le rapport souligne également que le gouvernement du Togo signale qu’il « enregistre dans les régions maritimes et des plateaux des pratiques culturelles dans les couvents où les enfants subissent des rites d’initiation préjudiciables à leur épanouissement et à leur intégrité physique ».

Poupée vaudou, traditionnellement représentée dans le monde moderne. © Desertrose7 / Pixabay

C’est ce que nous explique James Kpatagnon Tchowoui, président de l’association des volontaires solidaires (AVS-Togo). « Pour le Togo, le vaudou, c’est comme une culture, un héritage, une philosophie de vie, un art, des danses, un langage, un art de la médecine, un style de musique, une justice, et non quelque chose de mal », déclare-t-il après une heure de chants et de danses protocolaire où TRADITION

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entre rite et réalité

Femme d’un village togolais, avant un rite vaudou. © Gadjet / Pixabay

La culture du vaudou rassemble dans le monde environ 50 millions de pratiquants.

Mais à la différence d’un bon nombre d’agences gouvernementales qui essayent de pointer du doigt le vaudou, presque tous les groupes ethniques du Togo croient en l’existence d’un Être supérieur, auquel s'ajoutent des divinités intermédiaires qui servent de relais entre les hommes et la divinité. : « Notre association a pour but de promouvoir la culture du vaudou, grâce à l’aide de tous les bénévoles de l’association qui sont eux aussi des adeptes du vaudou et de ses pratiques. Nous pratiquons des rituels avec tous ceux qui aiment cette culture », explique le présidentfondateur d’AVS-Togo. TRADITION

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D’autres vaudou

pays

adeptes

du

Avec la traite négrière au XVIIe siècle, où des esclaves africains ont été déportés, la culture du vaudou s’est exportée sur le continent américain, dans certaines îles des Caraïbes notamment à Haïti, en Guadeloupe, mais également au Brésil et au Mexique. En plus d’être très présente de ce côté du globe, la culture du vaudou se retrouve aussi dans les îles de l’océan Indien. Du fait de la colonisation, l’exportation de ces rites est arrivée à Mayotte, Madagascar et aux Comores.

L’influence africaine sur ces trois régions est, aujourd'hui encore, très présente. Pour Mayotte et les Comores, l’influence islamique amène d'autres aspects du vaudou, avec notamment ce que l’on peut appeler les « Djinns ». Les pratiques vaudoues sont, depuis, toujours diabolisés par l'Église catholique et défendue de pratique, à l’arrivée des colons en Afrique. Mais à Haïti, depuis 2003, le vaudou est considéré comme religion officielle. Une décision prise par le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide qui a accordé à certains prêtres vaudouisants de célébrer leurs propres mariages. Pauline CHOPPIN


Le Japon, l’île moderne L’harmonie entre tradition et modernité : c’est ce qui fait la particularité du Japon. Le pays se distingue en effet par un respect indiscutable de certaines coutumes ancestrales, mais ses technologies novatrices et ses villes aux allures parfois futuristes font aussi partie du décor. Une culture étonnante résulte de ce mélange, aussi bien dans la façon de vivre que dans les rues de la capitale, Tokyo.

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es temples nichés entre deux buildings : c’est ce qui peut frapper lorsqu’on déambule dans les rues de Tokyo. En effet, malgré la hauteur impressionnante des immeubles de la capitale japonaise, il n’est pas rare de tomber, au coin d’une rue, sur un monument à l’aspect bien plus traditionnel, ou tout simplement sur un quartier typiquement japonais.

technologique. En effet, avec une économie d’export basée sur la technologie robotique, automobile et électronique quotidien, la modernité du Japon n’est plus à prouver. C’est ainsi, que l’on retourne à la plus pure des traditions dans de véritables sanctuaires, aux côtés de rues très commerçantes, où la musique des publicités diffusées sur des écrans géants résonne et emplit la tête.

À certains endroits, les toitures aux coins pointus, si reconnaissables, remplacent les gratte-ciels aux parois vitrées, comme dans le quartier d’Asakusa, qui abrite un des plus beaux temples de Tokyo. Il y a deux religions principales dans la société japonaise : le shintoïsme et le bouddhisme.

La hiérarchie, la tradition qu’on ne discute pas

Si un pays a su allier tradition et modernité, c’est bien le Japon. Entre ses villes faites de buildings à écrans lumineux géants et ses temples bouddhistes, c’est l’harmonie de ces deux cultures qui étonne et fascine. Le Japon parvient à mêler la beauté de son patrimoine avec l’innovation

Mais la tradition au Japon ne se trouve pas que dans ses temples : elle est à la base de la société. Marie-Paul Rouleau est canadienne. Journaliste radio depuis plus de 30 ans, elle a été rédactrice en chef de Radio Canada pendant 8 ans. Elle a tout quitté pour rejoindre la rédaction de NHK World, la société de radio internationale japonaise, présente dans le quartier de Shibuya à Tokyo. Elle a été le témoin de cette harmonie entre le traditionnel et le moderne, en particulier dans le milieu de l’entreprise. « J’ai dû être ouverte. Le Japon est une société très hiérarchisée, ce qui contraste

Le quartier de Shibuya, à Tokyo, est le reflet de la modernité et de la technologie du pays. © Coline MICHEL

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de la tradition parfois avec l’esprit contemporain du monde du travail. Pour une canadienne comme moi, ça a demandé des efforts assez intenses. Même dans les entreprises les plus modernes par exemple, la tradition fait que, ici, ce sont les cadres qui décident de tout. À la NHK, c’est eux qui ont la main sur ce qu’on écrit en tant que journalistes, et on a rien à dire puisque la hiérarchie l’impose. » « Le Japon est une société très hiérarchisée » Marie-Paul Rouleau, journaliste Cette tradition se retrouve aussi dans la langue japonaise. En effet, le japonais est souvent réputé difficile à apprendre, avec ses niveaux de langage au quotidien. La façon dont on s’adresse à un interlocuteur varie selon son âge, sa richesse, mais surtout en fonction du contexte. « Si on se trouve dans un magasin en tant que client, alors l’employé de 75 ans derrière la caisse nous devra le respect. Si on croise cette même personne un peu plus tard dans la rue, alors on lui devra le respect car c’est elle la personne

la plus âgée », explique Jérôme Le Bois, professeur de management interculturel au Japon, où il exerce depuis plus de 15 ans. Le respect de l’aîné et de l’expérience sont ainsi très importante dans cette culture. Mais cette considération ne va pas qu’aux aînés : « Les Japonais ne valorisent pas la confrontation et ne lui donnent pas de poids, contrairement aux sociétés occidentales », conclut Marie-Paul Rouleau. Faire vivre la tradition, un espoir naïf ? Allier la tradition avec modernité, est-ce un moyen de la conserver face au progrès ? Pas forcément, semble montrer la réalité. Au Japon, « les campagnes continuent à se vider au profit des villes », regrette Jérôme le Bois. « Ce phénomène d’exode rural fait que les cultures ne sont plus assurées, et ces secteurs moins attractifs. » De plus, au sein même de Tokyo, beaucoup de constructions traditionnelles sont rasées pour construire des infrastructures à l’air plus occidental. Ainsi, malgré l’action des plus petites villes de l’arrière-pays, qui tentent de faire perdurer leurs spécialités et malgré le soft-power japonais qui exporte en autres l’art du manga dans le monde, la tradition semble peu à peu perdre du terrain.

Le temple d’Asakusa est l’un des temples qui montre le mieux la place importante de la tradition au cœur de la capitale japonaise. © Coline MICHEL

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Coline MICHEL


Comment les religions Si les religions cohabitaient dans un même territoire, quel serait le fonctionnement ? Quelles traditions survivraient ? Pour comprendre comment la mixité des croyances peut encore exister au sein d’un même peuple, il est important de se pencher sur un exemple bien précis. Celui du Sri Lanka reflète parfaitement la notion de diversité religieuse, lui qui accueille quatre formes de religions.

Les Cinghalais habitant au Sri Lanka sont majoritairement bouddhistes ; ils célèbrent la représentation de la divinité Bouddha. © Pixabay / pasja1000

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epuis des milliers d'années, notamment depuis l’arrivée de la première religion, l’hindouisme tient une place importante au Sri Lanka. Aujourd’hui, celui qu’on appelle la « larme de l’Inde » contient quatre religions principales qui vivent en promiscuité : le bouddhisme, l’hindouisme, l’islam et le christianisme. Entre cohabitation et clivage, les différentes communautés sont réparties sur plusieurs zones. Les bouddhistes sont majoritaires et principalement Cinghalais, qui constituent 70 % de la population. Ils sont situés dans le sud ou dans les villes comme Kandy ou encore Anuradhapura. Les hindous, eux, représentent 15 % du Sri Lanka, dont 70 % des fidèles sont issus du peuple des Tamouls et se concentrent principalement dans le nord et l'est de l'île. Enfin, il y a également 2 millions de musulmans dans le pays, soit 8 % de la population, installés plus à l’est, à Colombo, Kalutara ou encore Beruwala. Pour finir, 7 % des Srilankais

sont considérés comme chrétiens, aussi bien des catholiques que des protestants, localisés essentiellement sur la côte ouest de l’île, notamment à Negombo.

« Au Sri Lanka, il y a un vrai respect de la foi de l’autre. » Delon Mavadan Quand les traditions se mêlent à la vie publique On retrouve un peu partout au Sri Lanka des temples et des statues en l’honneur de Bouddha. Faisant partie intégrante de la vie des habitants, le bouddhisme est considéré comme religion d’État selon la Constitution de 1978, qui lui accordent ainsi un statut « prééminent ». Les moines bouddhistes sont présents par exemple lors des serments des présidents lors de leur investiture. Cela ne veut

pas dire que les autres religions ne peuvent pas être pratiquées : « Il y a un vrai respect de la foi de l’autre. Les différentes iconographies religieuses sont présentes dans les espaces publics, sans prosélytisme : on peut avoir une image de Bouddha, puis à côté un symbole représentant les musulmans et les chrétiens mais aussi une divinité hindou », nous explique Delon Madavan, géographe affilié au laboratoire québécois Cerias Uqàm, spécialisé sur les Tamouls, notamment au Sri Lanka. « Il y a aussi beaucoup de passerelles entre les religions, puisque Marie représente une divinité chez les hindous, quand pour les chrétiens elle est symbole de maternité. Les rites sont parfois partagés, par exemple entre hindouisme et catholicisme. » De plus, les quatre religions partagent la même terre sainte : la montagne du pic d’Adam. Même si les lieux de culte sont différents, puisque les hindouistes prient dans des temples appelés kovils, que les chrétiens se recueillent dans les églises, que les musulmans pratiquent dans les mosquées, la vie religieuse est libre dans la vie publique. Les fêtes restent différentes pourtant selon les croyances. Elles rythment la vie des habitants tout au long de l’année ; celle de Poson en juin, pour célébrer l’introduction du bouddhisme au Sri Lanka ou encore Poya, le jour sacré de pleine lune où les plaisirs futiles sont mis de côté et où l’alcool et le tabac sont proscrits, considéré comme un jour férié. Les pratiquants Srilankais ont maintenu la forme la plus ancienne du bouddhisme (theravāda), mouvement proche de celui existant en Birmanie, avec l’observation des jeûnes et l’aumône matinale aux moines. Les célébrations des hindous, elles, sont animées par des rituels corporels

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cohabitent dans un même pays ? Delon Madavan est un géographe qui s’intéresse aux populations tamoules au Sri Lanka, en Malaisie et Singapour, mais aussi en France et au Canada. © Delon Madavan

assez impressionnants, comme lors du festival de Kataragama. Pâques est également fêtée par les musulmans et les chrétiens. « Il y a eu une politisation des mouvements intégristes bouddhistes actuels, pour essayer d’imposer une vision cinghalobouddhiste. »

Tension et clivage politique Même si dans la sphère publique, l’harmonie religieuse est réelle, au niveau politique les notions de religion et de tension intercommunautaire sont instrumentalisées. « Il y a eu une politisation des mouvements intégristes bouddhistes actuels, pour essayer d’imposer une vision cinghalo-bouddhiste, pas forcément reprise par la majorité des Cinghalais », décrit Delon Madavan à notre rédaction. Douze ans après la guerre civile entre Tamouls et Cinghalais, le bouddhisme extrémiste et le ressort religieux intégriste sont encouragés à nouveau avec les frères Rajapaksa au pouvoir (l’un président, l'autre Premier ministre). « Les frères Rajapaksa sont des champions ethno-communautaires. Pour essayer d’arriver à la tête du pays et y rester, TRADITION - RELIGION

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il faut essayer de cliver et si possible contre les minorités qui ne les soutiennent pas », selon Delan Madavan, spécialiste du Sri Lanka. Des groupes extrémistes de bouddhistes, comme le Bodu Bala Sena (BBS, Force du pouvoir bouddhiste) construisent des temples et dressent des statues du Bouddha dans les provinces du nord et de l’est, qui sont principalement tamoules, « pour se protéger contre ce qu’ils voient comme des envahisseurs, c’est-àdire les autres minorités », explique Delon Madavan. Une preuve que la majorité cinghalaise veut étendre son influence culturelle et religieuse selon les hindous. Ils s’attaqueraient également à la religion musulmane, puisque « avec le BBS, ils voulaient interdire le halal, ainsi que l’appel à la prière avec les microphones et propagent beaucoup de rumeurs sur les musulmans qui seraient à l’origine de tous les maux des Cinghalais. Il y une succession de signaux qui touchent beaucoup les musulmans, mais les Tamouls aussi : le mois dernier, un mémorial tamoul de la guerre a été détruit et les musulmans sont stigmatisés comme terroristes, surtout après l’attaque de Pâques », précise le spécialiste. « La rancœur de la guerre civile y est sûrement aussi pour quelque chose. Il y a quand même eu 100 000 personnes qui sont mortes. » Les différentes religions vivent bien en communauté et savent trouver leur place dans la vie quotidienne et publique des Srilankais. Seulement, elles sont aussi la cible de politisation et sont pointées du doigt par les dirigeants, qui voient là l’occasion d’imposer la religion majoritaire dans le pays, le bouddhisme.

Les musulmans, encore une fois ciblés lors de la crise sanitaire Des familles musulmanes ont dénoncé en début 2021, des crémations « imposées », par le gouvernement srilankais, de corps de défunts malades - ou supposées - de la Covid. Les onze familles sont allées jusqu’à déposer plainte auprès du Comité des droits de l’homme des Nations unies, avec l’aide du Conseil musulman de GrandeBretagne. Toutes les démarches n’ont pas abouti. Complètement en désaccord avec les pratiques de leur religion, la crémation, soit le fait de brûler, serait une prérogative de Dieu. Selon l’islam, le corps du défunt doit passer dans une autre dimension et les vivants doivent respecter l’intégrité corporelle du corps, doivent le traiter comme on traiterait un vivant, sans le blesser. L’obligation de la crémation a été mise en place le 31 mars 2020, inscrite dans une gestion de la crise sanitaire. Alors que la veille, la maladie a fait sa première victime musulmane, Mohammed Jamal à Negombo, les employés de l'hôpital l'ont incinéré sans le consentement de sa femme et de ses enfants. Le gouvernement de Rajapaksa a avancé, que la mise en terre des personnes décédées des suites du virus comportait le risque de « contaminer l’eau souterraine ». Deux-cents musulmans auraient donc été incinérés au Sri Lanka à cause de la Covid-19. Seulement, le motif sanitaire n’est peut-être pas si sûr. En janvier 2021, l’Association médicale du Sri Lanka (SLMA) a précisé dans une déclaration, qu’il était peu probable qu’un virus reste infectieux dans un cadavre.


Quand la religion Les religions occupent une place importante dans la société. Les débats enflammés qu'elles provoquent cristallisent autant qu'ils regroupent. Leur pratique et leur impact sont toutefois bien différents suivant les pays dans le monde. De même, les mouvements non-religieux prennent leurs aises face aux croyances. Parfois, ces mouvements doivent cohabiter, ce qui n'est pas des plus simples...

Le Sri Lanka est le parfait exemple d'un pays multiconfessionnel. © Inès PALLOT

À

l'instar de l'exemple du Sri Lanka, plusieurs pays font aussi face à de grandes différences dans le domaine religieux. Alors que le mode de pensée noncroyant s'exporte aussi de plus en plus. Parmi ces derniers, le plus proche de nos frontières, est sans doute l'Espagne. Le pays n'a pas de religion officielle, mais le catholicisme domine largement les débats. • Environ 65 population se dit catholique.

% de la en effet

• Le courant suivant de pensée le plus puissant est celui des non-croyants, à 30 %. • Les 5 % restants sont constitués d'autres cultes comme l'Islam. La percée du mode de pensée nonreligieux est toutefois intéressante à suivre. En 2019, le nombre de noncroyants a en effet dépassé celui des catholiques pratiquants. Autre preuve de cette tendance, en 2018, Pedro Sanchez, président du gouvernement du pays, a pris ses fonctions sans aucun signe religieux (Crucifix, ... à l'image de ce que l'on peut voir aux Etats-Unis, par exemple). L’État chinois plus fort que la religion En parlant de non-croyance, la Chine est aussi un exemple particulièrement intéressant. Suivant les sondages, le pays est constamment considéré comme l'un des moins croyants au monde. Mais plusieurs raisons expliquent cela....

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morcelle un pays Les Chinois ont de nombreuses pratiques similaires aux religions, comme le culte des ancêtres, mais qui ne sont pas totalement religieuses. Beaucoup de citoyens s'intéressent aux idées développées par Confucius, ce qui ne rentre pas non plus totalement dans le même cadre que les religions au sens auquel nous l'entendons. Les pratiquants peuvent avoir plusieurs religions. Il est courant de voir des citoyens à la fois bouddhistes, taoïstes ou pratiquant la religion traditionnelle du pays. Au Liban, 18 confessions forment le pays, principalement regroupées sous le christianisme et l’islam.

Dans un registre différent, l'État garde un œil sur les religions et n'hésite pas à persécuter celle qu'il perçoit comme une menace. En témoignent les Ouïghours... Au Liban, même la République n'y arrive plus Dans d'autres pays, le paradoxe des religions revêt un intérêt d'identité nationale. C'est notamment le cas au Liban. Pas moins de 18 confessions différentes y cohabitent, à savoir notamment :

Force est de constater que cela ne fonctionne pas pour le moment, puisque les contestations s'enchaînaient en 2020. Chaque religion se sentait en effet menacée par une autre. Difficile de concilier tout le monde. Des exemples positifs existent toutefois. Rappelons par exemple que le Canada est l'assemblage de trois nations rivales : le Canada-Uni, le NouveauBrunswick et la Nouvelle-Écosse.

• Les musulmans (chiites, sunnites, druzes) • Les chrétiens (maronites, protestants ou Grecs orthodoxes) Pour gérer tout cela, une république confessionnelle a été mise en place, et était censée représenter les différentes confessions.

Au centre de Beyrouth, la mosquée Mohammed al-Amine côtoie la cathédrale Saint-Georges-des-Maronites. © djedj / Pixabay

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Inès PALLOT & Sylvain GAUTHIER


En Australie et au Canada, quelles traditions de Noël ? En France, Noël est considéré comme une fête populaire laissant peu à peu le côté religieux. Après avoir donné les cadeaux la veille au soir ou le matin, toutes les familles se réunissent autour du repas. L’occasion pour tous de se retrouver. Mais comment le célèbre-t-on au Canada et en Australie ? Deux pays aux caractéristiques totalement différentes.

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our Fany Bayard, étudiante habitant au Nord du Québec, « Noël est la fête la plus importante au Canada. Toute la ville se pare de ses plus belles illuminations. C’est à ce moment-là que toutes les familles se réunissent autour du repas ». Au menu, des spécialités locales comme la tourtière ou un ragoût de boulettes. Mais aussi des plats plus traditionnels tels que la bûche. Sans oublier le fameux sirop d’érable qui est servi tout au long du repas. « Celui-ci est fabriqué dans des cabanes à sucre. Ce sont de petits bâtiments au look chalet aménagé en restaurant à l’intérieur. Situées en région, dans des forêts où l’on trouve plusieurs érablières, c’est l’endroit où on fabrique les produits de l’érable », décrit-elle.

En Australie, Noël à la plage

Les Canadiens s’inspirent par ailleurs de la tradition britannique avec le boxing-day, le lendemain de Noël. « Ce jour-là, il y a beaucoup de queues dans les magasins. Les gens continuent d’acheter à des prix spéciaux », explique-t-elle. Le pays de l’érable a également une tradition bien à lui, à savoir les lutins. Selon la légende, après avoir travaillé toute l’année à l’usine du Père Noël, ils rentrent dans les maisons pour faire des mauvais coups, la nuit tombée.

« Nous avons souvent très chaud et on n’hésite pas à aller à la piscine ou sur la plage pour fêter Noël », explique Will Cole, originaire de Sidney. Après avoir récupéré les cadeaux posés sous un sapin illuminé de décorations, toute la famille se réunit autour d’un repas.

Célébrer Noël en Australie peut paraître atypique pour nous Français. Alors que dans l’Hexagone, les températures flirtent avec le zéro, l’Australie se trouve être en plein été. C’est ainsi que près de 40 000 personnes se retrouvent à la plage de Bondi à Sydney.

« Noël est une tradition très importante. On n’a pas l’habitude de se retrouver tous ensemble » Will Cole, habitant de Sydney.

l’année. Alors on profite au maximum de cet événement pour passer de bons moments. » Dans la famille de Will Cole, on mange alors des mangues ou une salade d’avocats, sa famille étant majoritairement végétarienne ou végan. Mais le plus souvent, Noël est l’occasion de savourer des plats plus traditionnels comme les fruits de mer, la dinde et en dessert, le chocolate pudding. Des concerts sont par ailleurs organisés dans certaines grandes villes comme à Sidney. « C’est un moment de partage avec la famille. Toute la ville est illuminée pour cet événement, c’est très beau à voir », décrit ce jeune homme de 24 ans.

« Pour nous, Noel est une célébration très importante. Notre maison est décorée. On n’a pas l’habitude de se retrouver tous ensemble le restant de

« Le lendemain matin, les enfants cherchent alors ce qu’ils ont fait. Cela peut être par exemple un paquet de céréales renversé ou le sapin enroulé d’un papier cadeau », raconte Fany. À 6 800 kilomètres de la France, la magie de Noël opère donc bel et bien. Au Canada, selon la tradition locale, chaque nuit, un lutin vient mettre le désordre. © Fany Bayard

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Anthony COMBEROUSSE

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Carnaval de Venise : cette année, c'était sans touristes Si le carnaval de Venise 2021 n'a pas été annulé à cause de la Covid-19, il s'est néanmoins tenu dans une version sans touristes, alors qu’il en attire habituellement des milliers. Un mal pour un bien face à la situation sanitaire mais aussi pour certains habitants, qui en ont profité pour se réapproprier les lieux.

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Le décret gouvernemental du 15 janvier a annulé des animations, mais les costumes sont toujours au rendez-vous. © Pixabay

e Carnaval de Venise 2021 a eu lieu du 6 au 16 février mais ne s'est pas déroulé comme d’habitude. Annulé en 2020 à cause de la crise sanitaire, il s’est tenu cette année sans spectateurs étrangers, alors que cet événement en attire d’habitude plusieurs milliers. Il ne s’agit pas d’un grand défilé : ce spectacle unique au monde, constitué de multiples animations, prend place dans les rues. Parmi ces animations, concentrées aux alentours et sur la place Saint-Marc, on retrouvait par exemple le traditionnel concours du plus beau costume. Le décret gouvernemental du 15 janvier a cependant annulé plusieurs célébrations, qui auraient attiré trop de monde à la fois, comme par exemple le Vol de l’Ange ou la fête des Marie, ainsi que les parades place Saint-Marc. À l'origine, les costumes du carnaval de Venise sont inspirés de la commedia dell'arte. Il s’agissait d’un moment de partage entre les nobles et le peuple de Venise. Une fête symbolique et très traditionnelle, qui a su s'implanter durablement TRADITION

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dans le temps. En témoigne le succès qu’elle rencontre depuis sa création, qu’on situe autour de 1094. Mais cette année, les conséquences économiques de cette édition inédite s'annoncent importantes. La période du carnaval représente en effet une large part du chiffre d’affaires annuel des commerçants vénitiens.

« Cette année, c’est le carnaval des vrais Vénitiens » Mais tout n’est pas si noir pour autant. Pour les Italiens, la ville, habituellement surchargée de touristes à cette époque, laisse place à des rues bien plus calmes. Simonea Stefanelo a 67 ans. Contactée pendant le carnaval par la rédaction, elle est née et vit dans un village situé à 15 minutes au Nord-est de Venise. Elle explique ne jamais se rendre au carnaval en temps normal. « L’air y est irrespirable, il y a bien trop de monde et on ne profite pas de ce qu’il y a à voir. » Elle poursuit pourtant : « s'il y a bien une année où je suis susceptible de m’y rendre, c’est 2021 ! Il n’y aura pas de touristes, c’est le carnaval des vrais Vénitiens ! ». Simonea rappelle également que

l’absence de touristes aide sans doute à ne pas empirer l’état des fondations de la ville. Cette dernière souffre en effet notamment du mouvement des mastodontes flottants qui accostent dans la lagune.

« S’il y a bien une année où je suis susceptible de m’y rendre, c’est bien 2021 » Simonea Stefanelo, habitante de Venise. D’ailleurs, ce sont de nombreux clubs nautiques vénitiens qui ont organisé un mouvement de protestation lors du carnaval. Ils s’opposent au « Moto Ondoso », le phénomène des vagues créé par les bateaux à moteurs, contre lequel les autorités ne réagissent pas suffisamment selon eux. Pour cela, le cortège qui a lieu d’ordinaire sur l’eau est largement réduit, voire inexistant. Néanmoins, cette édition à huis clos a laissé un peu de répit à la lagune… avant le retour probable des flots de touristes l’année prochaine. Coline MICHEL


La pause du nouvel an chinois Dans un pays où le travail rythme la vie quotidienne, le nouvel an fait office de vacances. Pour plus d’un milliard de Chinois, le passage à la nouvelle année est un moment de fête conviviale et surtout familiale.

新年快樂 Bonne année du bœuf ! Le 12 février dernier, l’empire du Milieu a lancé les festivités de son traditionnel nouvel an. Si cette fête représente en France une soirée entre amis et souvent arrosée, en Chine lorsque les aiguilles de l’horloge se positionnent sur zéro le 31 décembre, c’est un moment particulier. Comme l’explique Lu Yan, le nouvel an permet de célébrer « une année très chargée ». Cette habitante de Shanghai comme 1,3 milliard de ses compatriotes profitent de cette période de vacances pour se reposer. Même s’il n’existe pas de Code du travail comme nous le connaissons en France, le Parti Communiste chinois attribue dans la législation du travail 11 jours de repos dont cinq de congés payés. Ces courts moments de repos permettent aux chinois de retrouver leur famille et/ ou de partir en vacances. Résidant à Yanghzou, Shao Guoliang résume en expliquant : « Cela représente un renouveau et une clôture. Une année de travail qui se termine et qui en ouvre une autre. »

À 21 ans, Lu Yan espérait pouvoir voyager lors de ce nouvel an. © DR

« Un des rares moments pour être ensemble » À l’heure du premier jour du calendrier lunaire, c’est tout un pays qui entame des célébrations. Le nouvel an est un moment de famille qui pourrait se TRADITION

Lors du nouvel an, la couleur rouge envahit les rues de Chine. Image libre de droits.

comparer à Noël pour les chrétiens ou l’Aïd pour les musulmans avec la distribution de cadeaux. Le temps d’une soirée, toute la famille de Shao Guoliang s’est réunie autour d’un repas. Le père de famille explique « qu’un grand show de télévision vient rythmer cette journée un peu spéciale ».

« Une année de travail qui se termine et qui en ouvre une autre. » Shao Guoliang Ce grand show télévisuel est organisé par l’État chinois. « Après avoir offert des cadeaux aux enfants et un bon repas, une très grande partie des Chinois regardent le festival organisé par Pékin », nous explique Lu Yan. Cette habitante de Shanghai précise que le plus important est de profiter « d’un des rares moments pour être ensemble ». Une fête gâchée par le virus ? Si les festivités du nouvel an 2020 ont

Shao Guoliang a pu profiter de son nouvel an comme il le souhaitait : en famille. © DR

été gâchées par un virus né sur son territoire, la Chine a su réagir. Un an plus tard, si le monde est encore au ralenti, l’empire du Milieu offre à ses citoyens la possibilité de fêter ce rite annuel. Impacté violemment et en premier par la Covid-19, le peuple chinois s’est vite adapté. Dans les grandes villes comme Shanghai, les habitants n’ont pas été freinés par cette pandémie, pendant les festivités. Pour Sun Yan, « hormis le port du masque dans les rues, toutes les familles chinoises ont pu se retrouver au complet ». « Le seul bémol pour de nombreux Chinois, l’absence de voyages à l’étranger » déplore la jeune Chinoise. Mais une fois de plus, la Chine et son emblématique nouvel an, semble avoir résisté au monde extérieur. Ugo MAILLARD

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Brexit : la fracture du peuple britannique Le 24 juin 2016, le Royaume-Uni choisit par référendum de quitter l’Union européenne. Une onde de choc qui a décidé certains Britanniques à quitter leur pays. Mais cette décision n’est finalement pas si étonnante, quand l’on connaît l’attachement de l’île à sa souveraineté.

C’

est une révélation inattendue qu’a connue l’Europe le 24 juin 2016. Contre toute attente, 51,9 % des électeurs britanniques ont voté la sortie de leur pays de l’Union européenne, par référendum. Un vote promis par David Cameron en 2013, si le Parti conservateur remportait les élections de 2015.

« Le Brexit a forcé le trait de la mentalité "insulaire" que peuvent avoir certains Britanniques »

Partir sans regrets Si beaucoup de Britanniques ont été ravis de ce vote, d’autres se sont inquiétés de la situation dans laquelle allait se retrouver leur pays. Parmi eux, certains ont décidé de quitter le Royaume-Uni. Pour Lucy, originaire du sud-est de l’Angleterre, le Brexit a été un déclencheur. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris que le RoyaumeUni allait quitter l’Union européenne ?

Le Brexit a permis à Lucy de se décider à s’installer en France avec son conjoint. © DR

J’étais en colère mais pas vraiment surprise de ces résultats. C’est quelque chose qui était dans l’air depuis un petit moment.

Avez-vous décidé de quitter le Royaume-Uni après l’annonce du Brexit ou y a-t-il eu un autre déclencheur ? J’ai quitté l’Angleterre après avoir rencontré mon conjoint qui est Français. Pour vivre ensemble, on s’est posés la question de savoir ce qui était le mieux entre vivre au Royaume-Uni et vivre en France. Les résultats du Brexit nous ont finalement poussés à choisir la vie « française » car il ne nous semblait pas sage de construire une nouvelle vie dans ce climat instable au Royaume-Uni. TRADITION

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Regrettez-vous votre décision ? Je ne regrette absolument pas cette décision. J’ai découvert une nouvelle vie en France qui me comble et l’intégration a été très simple. Il faut dire aussi que j’ai été très bien accueillie.

Selon vous, quelle est la pire chose que le Brexit ait déclenchée ? Le Brexit a forcé le trait de la mentalité « insulaire » que peuvent avoir certains Britanniques et c’est ce que je déteste le plus dans ce résultat. Qu’est-ce qui pourrait vous faire revenir vivre au Royaume-Uni ? Il faudrait pour cela qu’il y ait un changement au niveau politique et de la mentalité, notamment sur la manière dont le Royaume-Uni pourrait mieux considérer l’ouverture à l’Europe et aux Européens. Esprit d’indépendance et de souveraineté Le Brexit n’est en réalité pas si surprenant. Les Britanniques ont toujours été attachés à leur liberté en conservant notamment leur monnaie, la livre sterling. Ils préfèrent mettre en avant leurs propres intérêts et évitent de se mêler des affaires du continent, à moins que cela ne soit absolument nécessaire. Au cours de l’Histoire, la couronne britannique n’a fait que très peu d’interventions en Europe. Les seules fois où cela s’est produit, c’était soit pour récupérer des terres (comme lors de la guerre de Sept Ans, au XVIIIe siècle), soit parce que l’île sentait ses intérêts menacés (conquête napoléonienne, deux Guerres mondiales). Le Royaume-Uni a toujours su garder ses distances et cela lui a plutôt bien réussi. Les Britanniques ont toujours su défendre leur territoire seuls et ont même réussi à résister face à la menace hitlérienne. Leur discours pourrait tenir en une phrase de Churchill : « Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large ! » Camille ROMAND


Top 3 des cultes les plus étranges au monde 1

La religion, le guide spirituel d’une conduite avisée et respectueuse ? Rien n’est moins sûr : Terriens vous dévoile le podium du classement de ces cultes religieux hors du commun.

- Le pastafarisme

« Que son appendice nouilleux vous touche ! » : une bénédiction bien étrange, n’est-ce-pas ? Le pastafarisme avait été créé à l’origine comme une parodie d’autres cultes, par Bobby Henderson, en 2005 aux États-Unis. Mais depuis, la religion a été reconnue officiellement par certains États. L’idole des Pastafariens ? The Flying Spaghetti Monster (littéralement le monstre de spaghettis volant), un dieu représenté par un amas de pâtes et de boulettes de viandes. Aujourd’hui, on compte plusieurs milliers d’adeptes à travers le monde, vénérant donc… les pâtes, et qui sont censés, à chaque manifestation, s’habiller en pirates (la raison n’a toujours pas été expliquée à ce jour). Hormis cela, aucun dogme, aucune règle, si ce n’est, selon la Fédération française pastafarienne (bien sûr qu’elle existe) : « Le vendredi est un jour saint. On ne doit pas travailler le vendredi. » Et rien que pour ça, on aurait presque envie d’adhérer.

2 - Le festival du pénis de fer D’accord ce n’est pas une religion, mais c’est un véritable culte. Le Kanamara matsuri, « fête du pénis de fer » en japonais, correspond en réalité à la célébration de la fertilité au Japon. Prenant place à Kawasaki, elle présente un défilé de dizaines de milliers de personnes, qui portent des divinités incarnées par des pénis géants. Dans la religion shinto, c’est une fête qui vénère Hiko et Hime, un couple divin qui veille sur le mariage, les relations sexuelles et le respect du devoir conjugal. Et visiblement, c’est un rite qui fascine le monde entier : sur près de 30 000 personnes qui viennent chaque année participer ou assister à l’événement, 60 % sont étrangères.

Ces Pastafariens ont recréé à grande échelle leur idole. © Wikimedia Commons

TRADITION

Les idoles du pénis de fer sont au cœur du cortège. © Flickr / Adam Lederer

3 - L’Église de l’Euthanasie

« Sauvez la planète, suicidez-vous ! » : un slogan qui donne envie de passer une journée productive. Pour lutter contre la surpopulation et son impact sur l’environnement, l’Église de l’Euthanasie milite pour le suicide rapide de l’Humanité, en encourageant les gens à passer l’arme à gauche dans un souci écologique. Fondé au début des années 1990 par Chris Korda, DJ transgenre, le culte essaie aussi de convaincre la société américaine de ne pas se reproduire pour ne pas aggraver le « problème » de la vie humaine. Leur credo ? « Tu ne procréeras point. » Ici, on a quatre piliers fondateurs : le suicide, l’avortement, le cannibalisme et la sodomie (pour éviter tout risque de procréation). Ahurissant ? Sachez tout de même que cette religion est reconnue en tant que telle par l’administration américaine.

Le mouvement religieux a été créé en 1992. © Chris Korda – Man of the future

Coline MICHEL

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Inégalité : peut-on y faire face ? L

es inégalités dans le monde créent un fossé croissant entre les populations. Des centaines de millions de personnes vivent dans une situation de pauvreté extrême alors qu’un grand nombre d’individus profite de cette situation pour accroître leur fortune. Les 10 % des habitants les plus riches de notre planète possèdent 83 % de la richesse mondiale. Le nombre de milliardaires n’a jamais été

aussi élevé et leurs richesses ne cessent d’augmenter alors que les plus pauvres continuent de s’appauvrir. Pour la plupart, les gouvernements y sont pour beaucoup et alimentent cette crise des inégalités. Les multinationales ne sont pratiquement pas imposées, tandis que les services publics essentiels, comme la santé ou l’éducation, souffrent d’un réel manque de financement. Pauline CHOPPIN

Nos rédacteurs Marie de MONTERNO

Sylvain GAUTHIER

Léa CHRISTOL

Kenny LAUTERBACH

INÉGALITÉ

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L'eau en Afrique : une richesse naturellement mal répartie Continent traversé par 37 fleuves et 13 lacs, l’Afrique a un grand potentiel hydraulique. Cependant, le continent est connu pour sa sécheresse extrême. Comment expliquer ce phénomène ? Éléments de réponse avec Pascal le Pautremat, docteur en Histoire contemporaine, spécialiste en géopolitique.

L’

Le lac Tchad est un motif d'optimisme car chaque année depuis 1990, son volume augmente. Image libre de droits.

Afrique est un territoire immense, où la modernité et les civilisations millénaires peinent à trouver un équilibre. L’eau, dans l’Égypte antique, était représentée par Sobek. Mais l’époque des dieux est révolue et l’Égypte, comme le Tchad (bordé par son lac de 1540 km2), sont tous les deux en situation de stress hydrique, qui est « une échelle de valeur qui prend en compte la population du monde entier en fonction de sa disponibilité des ressources en eau, et de la consommation en mètre cube par an et par personnes », selon Pascal le Pautremat. Un pays est dit en situation de stress hybride, « quand on a environ 1 300 mètres cubes par an et par personne », précise-t-il.

plus en plus exposées à des phases de sécheresse longues et répétées. Et maintenant, c’est aussi l’Afrique australe qui est touchée », poursuit le spécialiste.

Le continent, malgré le fait qu’il ne soit pas le seul à être touché par ce phénomène, est celui qui en souffre le plus. « Étant donné sa situation géographique, le lien à l'Équateur, on est sur une zone sujette à des sécheresses classiques mais accentuées par le réchauffement planétaire. On s’aperçoit que les zones allant du Cap-Vert à l’Érythrée sont de

Malgré l’ampleur de la situation, les gouvernements tchadien et égyptien ont recours à une technique assez populaire, selon les dires du géopolitologue : « Les barrages. Plus l’Égypte que le Tchad d’ailleurs, parce que le Tchad est un pays pauvre et que l’Égypte reçoit des aides financières étrangères, notamment israélienne et chinoise. Cette politique du barrage

INÉGALITÉ

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« Nous avons une double peine : l'accentuation de la désertification avec la forte diminution des précipitations et la hausse de la population. » Pascal le Pautremat

Des gouvernements débordés

hydroélectrique est commune à tout le continent : elle favorise les retenues d’eau pour prévenir les déficits en pluviométrie croissants. » En dépit des investissements entrepris, les deux pays souffrent encore du manque d’eau. Cela s’explique par plusieurs raisons, d’après Pascal le Pautremat : « Les débits diminuent, beaucoup de gens ponctionnent et consomment l’eau et les ressources ne se renouvellent plus aussi vite. Donc nous avons une double peine : l'accentuation de la désertification avec la forte diminution des précipitations et la hausse de la population. » Mais le problème ne pourra être réglé, d’après le géopolitologue, que par une prise de conscience des pouvoirs publics locaux et des autres pays. « C’est aux Africains et aux autres pays de prendre conscience de la situation. Puis, à nous, pays ayant déjà des technologies avancées et sophistiquées, de participer à la sensibilisation, à la prise de conscience, et la responsabilisation. On peut former, instruire et offrir des technologies à ces pays-là. » Marie DE MONTERNO


La Covid-19 révèle Mortalité, mesures de sécurité, vaccin, la Covid-19 met en lumière les nombreuses inégalités liées à la santé. Là où certains pays sont en bonne voie concernant la vaccination, d'autres s'attendent à vivre avec le virus durant un certain temps. Les difficultés financières sont les principales causes de ces inégalités, mais la démographie et la communication entrent aussi en compte.

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a pandémie de Covid-19 a réveillé les consciences dans de nombreux domaines, notamment sur le plan médical. Voir des pays soi-disant développés empiler les morts, leurs hôpitaux et soignants saturer et les vaccins et traitements tarder à venir, a mis en lumière les difficultés que rencontrent les citoyens du monde pour se soigner. Et pour une fois, pays riches comme pauvres, développés comme en développement, ont souffert du même mal et des mêmes difficultés. Alors que d'habitude, en matière de santé, les inégalités sont fortes et ont même tendance à se creuser au fil des années. La donne est simple. Plus on est pauvre, moins on se soigne bien. Les écarts entre les différents pays peuvent donc donner le vertige. Ainsi, en 2016, la différence de durée de vie à la naissance entre la Sierra Léone et le Japon était de 33,6 ans. On vous laisse deviner en faveur de qui... La Covid-19, révélatrice des inégalités Ces différences liées à la santé ne sont, à l'instar de nombreuses inégalités, pas nouvelles. La distribution du vaccin face à la maladie illustre ces disparités. Les États du Proche et du Moyen-Orient sont ainsi déjà lancés à un bon rythme. Puisque le ratio est de 56 % d'habitants vaccinés, depuis le 19 février. La France et ses 3,5 % de citoyens concernés fait figure de petit poucet. Quant aux pays traversant de graves crises comme la Syrie, n'en parlons même pas.

La principale raison liée à ces disparités est avant tout l'argent. C'est du moins ce qu'explique pour le Monde, Shadi Saleh, du Global Health Institute de l'Université américaine de Beyrouth, dans une interview parue le 16 février dernier. « Au Proche-Orient, plus on est riche, plus on est vacciné tôt, lâchait-il. En tête, on trouve les monarchies de la péninsule arabique, qui ont été proactives, ont passé commande très vite, pour être livrées en grande quantité. Ensuite, il y a les États avec des ressources limitées, comme l’Égypte, le Liban et la Jordanie, qui ont reçu des vaccins en petite quantité, souvent grâce à une aide étrangère, et attendent leur quote-part du Covax [le mécanisme de distribution du vaccin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) destiné aux pays pauvres]. Et, enfin, il y a les pays en crise, comme la Syrie, le Yémen, l’Irak et la Palestine, où la campagne de vaccination n’a même pas encore commencé. »

L'argent... et la communication Mais l'argent ne fait pas tout... enfin pas totalement. Dans de nombreux pays, la dispersion des populations, les besoins matériels ou la communication rendent difficile l'accès aux soins. En témoigne ce discours du président tanzanien John Magufuli, qui déclarait en juin dernier tenir « à remercier les Tanzaniens de toutes les confessions. Nous avons prié et jeûné pour que Dieu nous sauve de la pandémie qui a frappé notre pays et le monde. Mais Dieu nous a répondu ». Et d'ajouter : « Je crois, et je suis certain, que de nombreux Tanzaniens croient que la maladie (...) a été éliminée par Dieu. »

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les inégalités liées à la santé Loin de penser à l'après-Covid-19, certaines zones du monde sont déjà prêtes à vivre avec. © David Mark / Pixabay

La récente mort du vice-président de la région semiautonome de Zanzibar, Seif Sharif Hamad, et l'augmentation significative du nombre de décès liés, officiellement aux « pneumonies », remettent pourtant en question ce bilan. Stephan Swettzer, médecin en mission humanitaire l'an passé dans le pays, affrontait en effet une réalité bien différente à cette époque : « Les cas de Covid-19 étaient fréquents, mais cela s'explique par diverses raisons. En particulier le fait que porter un masque est un sujet tabou dans le pays. Rares étaient ceux qui s'affichaient avec cet accessoire. La démographie rendait aussi difficile le respect de la distanciation sociale dans de nombreuses zones. Les citoyens ont besoin d'échanger, notamment pour trouver des ressources. Sans compter qu'ils doivent en plus faire avec d'autres maladies graves en circulation active dans ces pays, comme le VIH. » Vivre avec la maladie Pour ces contrées dans lesquelles les soins sont difficiles d’accès et les mesures de protection complexes à mettre en place, il semble donc qu'il faudra vivre au moins un temps avec la maladie. La branche africaine de l'Organisation Mondiale de la Santé se prépare en tout cas à un scénario de ce genre. « À l’heure où les gouvernements ont commencé à assouplir leurs mesures de confinement, on se rend compte avec force que nous devrons vivre avec ce virus pendant un certain temps », déclarait en août dernier le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, lors d'une conférence de presse virtuelle.

« Je suis certain que de nombreux Tanzaniens croient que la maladie (...) a été éliminée par Dieu » John Magufuli Président de la Tanzanie

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Les inégalités liées à la santé dans le monde sont encore en train de croître avec la Covid-19. Difficile d'imaginer que la donne change au fur et à mesure des années, tant la période est pessimiste. Le Dr David Nabarro, lui aussi de l'OMS, se voulait toutefois positif au micro de la BBC : « Nous adopterons nos comportements pour minimiser les menaces qu'il provoque. Nous savons qu'il y a des endroits où cela va être particulièrement délicat, mais oui, nous allons apprendre à vivre avec, à nous amuser, aller au travail, socialiser et être avec notre famille. Cela créera un nouveau mode de vie. » La Covid-19 s'ajouterait donc simplement à la liste des virus dont il faut se méfier.

Sylvain GAUTHIER


Vous êtes caissières, vous êtes docteurs, vous êtes prisonnières, vous êtes leaders D’une région du monde à une autre, la place de la femme vacille entre dominance et infériorité. Quand certains pays réduisent la femme au statut de servante, d’autres régions lui donnent le pouvoir, et cela semble fonctionner.

C’

est l’un des enjeux les plus importants de notre siècle et il est en train de prendre un tournant considérable. La place des femmes dans le monde. Si beaucoup de pays sont encore en retard sur le sujet, la majorité mondiale a pris conscience qu’il fallait désormais élever la femme au même rang social que l’homme. Il arrive même aussi que la gente féminine soit au pouvoir dans certaines régions du monde. À bas les idées préconçues d’un genre fragile, faible, émotif et influençable. Finie également l’image de la femme à la maison, qui doit s’occuper des

Malgré une belle avancée, la place des femmes dans la société est un sujet qui divise encore. @ L’odyssé/Unsplash

tâches ménagères et de l’éducation des enfants. La femme d’aujourd’hui travaille, est indépendante et dicte sa vie comme elle l’entend. Bien que nombreuses, les inégalités persistent encore mais la période sombre de la femme soumise est derrière nous, et la voilà désormais sur le même piédestal que son alter ego. Ou presque, puisque quelques exceptions sont encore à souligner.

Moso, Bijagos, Lao, Gayakis : ces communautés dirigées par les femmes Il arrive que ce soit aux femmes de mener la danse. Comme en Chine, chez les Moso, ou chez les Bijagos de Guinée-Bissau, les Lao de Thaïlande, les Gayakis du Paraguay, et bien d’autres encore. Les femmes de ces communautés contrôlent tout. Elles gèrent les dépenses, décident des faits du quotidien, détiennent les terres, etc. David Le Fanc, photographe Belge, a côtoyé la tribu des Bijagos en Guiné-Buissau, pendant quelques

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semaines. Il nous raconte : « C’est assez surprenant au début de voir les femmes diriger la communauté. Elles sont autoritaires et les hommes écoutent, explique le photographe. Après quelques jours, on s’y fait. Et on est même surpris quand on revient au pays de voir que cela ne se passe pas tout à fait comme ça en Europe », conclut-il.

En Arabie Saoudite, c’est en 2017 que les femmes ont seulement été autorisées à conduire.

Moyen-Orient, le mauvais élève du monde À l’inverse, d’autres pays sont encore en retard à ce sujet. Et les plus mauvais dans cette catégorie sont les pays du Moyen-Orient. Selon un classement du WEF (World Economic Forum), qui a établi un classement des 16 pays où l’égalité homme-femme est la moins respectée, 9 pays du Moyen-Orient

sont concernés. Le classement se base sur les critères de la santé, l'éducation, la politique et la participation économique. C’est le Yémen qui a d’ailleurs raflé la première place. Un pays où les lois ne prônent pas le salaire égalitaire, et où les femmes n’ont pas accès aux services financiers. L’Arabie Saoudite, bien connu pour ne pas respecter la femme dans la société, occupe la 7ème place. Les femmes peuvent voter et se présenter comme candidates aux élections municipales depuis 2015 seulement. En 2017, elles ont obtenu le droit de conduire pour la première fois. L’essor du féminisme pencher la tendance

fait

Si les femmes se sont plus qu’affirmées au cours de ces dernières années, c’est sans nul doute par l’explosion de la cause féministe. Le féminisme a connu un véritable bond, avec des militants de plus en plus nombreux, et de plus en plus différents. Jeunes et aînés, femmes et hommes, différentes classes sociales et origines, les manifestations féministes regroupent des gens de tous les horizons.

Mieux, c’est surtout le féminisme en ligne qui jouei son rôle. Les réseaux sociaux regorgent de comptes, associations féministes qui militent activement en ligne. Des grands mouvements se sont d’ailleurs élevés sur la toile, avec une portée planétaire. Des inégalités restent encore bien ancrées Si la place des femmes dans le monde a connu une forte progression depuis quelques années, des inégalités persistent encore, y compris dans les pays les mieux avancés à ce sujet. En tête de liste, la place de la femme dans le monde de l’emploi. Des inégalités salariales demeurent toujours, et les postes à haute responsabilité sont toujours monopolisés par les hommes. À la maison, les tâches ménagères sont encore plus souvent faites par les femmes. Les hommes ont également plus de temps libre lors d’une journée. À l’échelle mondiale, un homme possède 4 heures 30 de temps libre, contre 4 heures pour les femmes. Des améliorations sont encore à réaliser, mais le chantier reste ouvert.

Dans la communauté des Bijagos, en Guinée-Bissau, ce sont aux femmes de prendre le contrôle. @David Le Fanc

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Kenny LAUTERBACH


Le sans-abrisme, La pandémie de la Covid-19 frappe les personnes sans-abri dans le monde entier. Dans les années à venir, leur nombre pourrait augmenter.

L

e sans-abrisme isole, humilie, détruit. Le ralentissement de l’économie dû à la crise de la Covid-19 pourrait augmenter ce phénomène. D’après des rapports nationaux plus de 150 millions de personnes seraient sans-abri dans le monde. En 2005, l’ONU a mené une enquête sur le sujet. Les données avaient montré qu’environ 100 millions de personnes étaient sans-abri. En 2019, l'organisation internationale a également estimé que près de 1,8 milliard de personnes n’avaient pas accès à un logement décent. Il est cependant difficile d’obtenir des chiffres exacts. Les pays ne définissent pas la notion de “sans-abrisme” de la même manière. Cela peut varier de l’absence de résidence permanente au manque de logement convenable.

Les déplacements de populations causés par des conflits ou des catastrophes naturelles y contribuent aussi. Le milieu social joue également un rôle dans le risque de se retrouver à la rue. Même des personnes avec un emploi n’ont parfois pas les moyens de vivre dans un logement décent. Aux Etats-Unis, une personne payée au salaire minimum fédéral (7.25 $ de l’heure) doit travailler 79 heures par semaine pour se payer un appartement en location avec une chambre. C’est ce que montre une étude réalisée en 2020 par l’ONG américaine « National Low Income Housing Coalition ». Dans le pays le plus riche du monde, des milliers de travailleurs américains sont sans-abri. Lorsque leur journée de travail est terminée, ils s’installent dans leur voiture ou dans des refuges.

L’absence d’une définition commune à l’échelle internationale ne permet donc pas une comparaison entre les pays de façon correcte. De nombreux gouvernements manquent également de ressources pour mesurer ce phénomène. Ils peuvent aussi minimiser le problème. Par ailleurs, le sujet est tabou. Beaucoup de personnes sansabri ne souhaitent pas se faire recenser pour plusieurs raisons (honte, ressources insuffisantes, etc.).

Le mobilier urbain contre les SDF Pour empêcher les personnes sans-logis de vivre dans la rue, des villes de différents pays s'équipent de mobiliers urbains anti-SDF (ou architecture hostile). Les grillages, les pics, les plots ou encore les accoudoirs sur les bancs sont des exemples de ce type d’architecture. Cette stratégie a pour but de restreindre les « mauvais comportements » afin de maintenir l’ordre dans l’espace public. Certaines personnes pensent que ces mesures sont nécessaires. D’autres soutiennent, au contraire, qu'elles ciblent les populations vulnérables. L’assistant en architecture anglais Rory Thomas a étudié ce type d’architecture alors qu’il était étudiant à Manchester. Selon lui, « cette conception crée des villes où tout le monde n’est pas le bienvenu. Elle vise de manière disproportionnée les personnes qui dépendent de ces espaces, notamment les sans-abri. Cette architecture les empêche, par exemple, de se reposer ou de s’abriter. Je pense que nous devons prendre le temps de concevoir des espaces confortables où tout le monde est accepté ».

Les multiples causes du sans-abrisme Plusieurs raisons peuvent mener des personnes à se retrouver sans-abri. Les principaux facteurs comprennent des revenus insuffisants ou encore le manque de logements abordables dans les pays. Des problèmes de la vie quotidienne peuvent conduire à devenir sans-domicile comme une crise personnelle, des problèmes de santé, une rupture familiale, etc.

En France, la fondation Abbé Pierre a mené en 2017, une opération coup d'affichage, pour alerter les citoyens sur les équipements anti-SDF. Elle a ensuite lancé la plateforme soyonshumains.fr. Elle permet de recenser ces dispositifs dans la France entière. Quatre cent cinquante installations ont été signalées via la plateforme. En 2019, la fondation a décidé de « récompenser » ironiquement les pires dispositifs.

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un phénomène mondial sociaux » explique Kenéz Szabó, membre de l’association « Les juristes de la rue » (Utcajogász Egyesület). Cette année, l’État a dépensé neuf milliards de forints hongrois (environ 25 millions d’euros) pour la prise en charge des sans-domicile. Cependant, il ne proposait qu’environ 11 000 places d’hébergement en 2018. « Il n’y a pas assez de refuges pour accueillir tous les sansabri. Ces refuges sont souvent bondés et sales. Il y a des conflits ou encore des vols. Les couples ne peuvent pas être placés ensemble… » poursuit Kenéz Szabó.

Lyon a reçu cette année, le prix du pire banc anti-SDF par la fondation Abbé Pierre. © Léa Christol

La Hongrie criminalise les sans-abri Depuis octobre 2018, les SDF hongrois n’ont pas le droit de dormir dans la rue. Un amendement de la Constitution spécifie qu’il est « interdit d’utiliser l’espace public comme une habitation ». La police a le devoir d’ordonner aux personnes sans-abri de se rendre dans des refuges. S’ils ne se conforment pas à la loi, après avoir reçu trois avertissements en trois mois, ils doivent payer une amende d’environ 15 000 forints hongrois (environ 45 euros).

Selon une enquête du Réseau européen de politique sociale (ESPN), en 2019, le nombre de SDF variaient entre 10 000 à 60 000 personnes. D’après cette même étude, entre octobre 2018 et mars 2019, près de 330 avertissements ont été prononcés par la police. Sur cette même période, dix affaires ont été portées devant les tribunaux. Aucune d’entre elles n’a entraîné de mesures punitives réelles. Le Gouvernement hongrois, n’est pas le seul à criminaliser les SDF. Au Danemark, en Grèce, en Suède ou encore en Roumanie, il existe des lois contre la mendicité.

“Cette loi ne résout pas le problème en Hongrie. La réduction du sans-abrisme ne doit pas se faire de manière punitive mais par des mesures de politique sociale.” Kenéz Szabó Ceux qui ne peuvent pas payer effectuent des travaux d’utilité publique. S’ils refusent de travailler, les sans-abri passent par la case prison. Selon le Gouvernement de Viktor Orbán, cette loi vise à maintenir l’ordre et la sécurité dans l’espace public. Elle doit également permettre aux SDF de bénéficier d’un suivi et donc de les éloigner de la rue. « Cette loi ne résout pas le problème en Hongrie. La réduction du sans-abrisme ne doit pas se faire de manière punitive mais par des mesures de politique sociale. Il faut créer davantage de refuges et employer plus de travailleurs INÉGALITÉ - SANS-ABRISME

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La loi est considérée comme une violation des droits de l’homme par de nombreuses associations. © Harrison Haines, Pexels


Au Japon, des sans-abri dorment dans les cybercafés Tokyo a la réputation d’être une ville aisée et prospère. Mais la capitale japonaise compte en réalité près de 5 126 personnes sans-abri, d’après le Gouvernement métropolitain de Tokyo en 2019. Parmi eux, plus de 4 000 sont réfugiés dans des cybercafés. Des associations caritatives estiment cependant que ces données pourraient être bien plus élevées. Les cybercafés, ouverts 24 heures sur 24, proposent souvent des cabines privées. Elles peuvent être louées pour l’heure, pour la journée ou la nuit. Ces lieux disposent également de douches, de bibliothèques et de blanchisseries. L’envolée des prix des loyers dans la capitale est une des raisons de ce phénomène. Ce problème se conjugue avec l’augmentation de contrats précaires. Au cours des dernières décennies, le nombre de travailleurs à temps partiel et temporaires a augmenté. Les raisons ? La légalisation du travail temporaire et contractuel en 1999 mais aussi les crises économiques. Selon le ministère de l’Intérieur et des Communications, en 2019, le pays comptait environ 22 millions de travailleurs à temps partiel et temporaires. En 2011, ils étaient 17 millions. Certains de ces travailleurs n’exercent pas un emploi tous les jours. De plus, ils touchent souvent le salaire minimum (environ 8 euros de l’heure à Tokyo). Il est souvent difficile pour eux de trouver un logement stable. Avec la crise sanitaire de la Covid-19, un grand nombre de ces réfugiés de cybercafés se sont trouvés à la rue. Des structures d'hébergement ont été mises en place. Malgré cela, de nombreuses personnes ne trouvent aucune solution pour se reloger.

Au Japon, on trouve des cybercafés partout. © Aleksandar Pasaric, Pexels

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En Finlande, la politique d’aide aux SDF fait ses preuves Dans le monde, des politiques permettent de sortir les sanslogis de la rue. En Finlande, le nombre de personnes sans-abri a diminué de près d’un tiers en dix ans. À la fin de l’année 2019, le pays comptait 4 600 SDF vivant seuls. Dès 2008, l’État a mis en place le programme « Housing First » (ou « Logement D’abord »). Le Gouvernement actuel souhaite éradiquer le sans-abrisme d’ici 2027. L’organisation finlandaise Y-Foundation travaille sur le principe « Housing First » depuis des années. Elle achète des logements sur le marché privé, pour ensuite les proposer aux personnes sans-logis. La fondation compte plus de 17 300 appartements et travaille dans près de 50 villes en Finlande. La majorité des appartements sont loués à des organisations ou encore des municipalités. Ces partenaires sous-louent ensuite les logements à ceux qui en ont le plus besoin. « Le Gouvernement a son propre système de prestations de logements. Si la personne n’a pas assez d’argent pour payer le loyer, elle peut demander des prestations qui peuvent couvrir 80 % du loyer. Si elle n’a aucun revenu pour payer le reste, les autorités locales l'aident. Mais c’est le dernier recours », témoigne Taina Hytönen, membre de l’Y-Foundation.

« Pour réussir à régler ses problèmes, la personne doit avoir un logement permanent. » Taina Hytönen L’Y-Foundation aide les sans-abri locataires en vue de leur permettre de vivre de façon indépendante. « Par exemple, si une personne a des problèmes d’addictions ou encore des soucis psychologiques, nous l’aidons si elle le souhaite. En tout cas, pour réussir à régler ses problèmes, la personne doit avoir un logement permanent » explique Taina Hytönen. Aujourd’hui, ce programme est expérimenté dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, au Canada et en Belgique. En France, l'association « Toit à moi » rachète des maisons pour les SDF et les aide à s’insérer dans la société.

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Léa CHRISTOL


Sur le chemin du travail : la réalité de 152 millions d’enfants Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), près de 152 millions d’enfants travaillaient dans le monde en 2017. Avec la crise sanitaire, ce chiffre pourrait augmenter.

L

e nombre d’enfants contraints de travailler a diminué de 94 millions depuis 2000. Mais la pandémie de la Covid-19 pourrait inverser cette tendance. C’est ce que montre un rapport publié en juin 2020 par l’OIT et l’Unicef. Les enfants déjà obligés de travailler pourraient également subir une dégradation de leurs conditions de travail. Un plus grand nombre d’entre eux pourrait ainsi se retrouver dans les pires formes de travail. Aujourd’hui, 73 millions d’enfants occupent un emploi dangereux. Qu’est-ce que le travail des enfants ? D’après l’OIT, la notion de « travail des enfants » est définie comme une « activité économique » rémunérée ou non. Elle prive les enfants de leur enfance, mais aussi de leur dignité. Elle nuit également à leur développement physique et mental. L’OIT fixe l’âge minimum d’emploi selon la région et la nature du travail. Les enfants peuvent travailler à plein temps à partir de 15 ans. Cet âge est abaissé dans les pays en développement, où ils peuvent être employés à 14 ans. Les emplois dangereux susceptibles de compromettre la santé et la moralité des enfants sont interdits jusqu’à 18 ans (par exemple la prostitution ou encore le recrutement dans des conflits armés…).

Le travail des enfants, plus important dans les pays pauvres Selon l’OIT, le travail des enfants est plus élevé dans des pays à faible revenu (moins de 1 045 dollars par habitant et par an). 65 millions d’enfants travaillent dans ces États. Le phénomène n’a pour

Une jeune fille cherche de l’or sur un site d’orpaillage au Mali. ©UNICEF Mali 2019

autant pas disparu des pays les plus riches puisque plus de deux millions d’enfants effectuent un travail dans des pays à haut revenu. Près de trois quarts d’entre eux sont astreints à des emplois dangereux. Le secteur de l’agriculture est le plus important en termes de travail des enfants. Il représente environ 71 % des enfants employés.

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Des enfants travailleurs très jeunes 48 % des enfants astreints au travail ont entre 5 et 11 ans. Les garçons semblent être plus exposés au phénomène (58%) que les filles (42%). L’OIT reconnaît cependant que ces chiffres pourraient sous-estimer le travail des filles qui peuvent notamment être employées pour des services domestiques chez des ménages privés.

Au Mali, plus de 50 % des enfants travaillent

Fasirma, obligé de travailler pour survivre

Selon l’enquête MICS Mali, réalisée en 2015, par l’Institut national de la statistique (INSTAT), près de 50% des enfants exercent un emploi dans le pays. Au Mali, le travail est interdit jusqu’à l’âge de 15 ans. Moussa Sogoba, chargé de la protection de l’enfance à l’Unicef Mali, contacté par la rédaction, explique : « le secteur informel est prédominant dans le pays. En général, les acteurs de ce secteur n'appliquent pas la loi. »

Fasirma a 14 ans et vit dans la région de Kayes dans l’ouest du pays. Il passe toutes ses journées à remonter des seaux de boue sur des sites d’orpaillage. L’adolescent a dû abandonner sa scolarité. Sa famille avait peu de moyens financiers. « Ça me rend triste d’avoir quitté l’école. Il n’y a pas d’école pour nous ici, dans les sites d’orpaillage. C’est du travail toute la journée » déplore-t-il. Le jeune homme risque sa vie au quotidien. « Les tunnels peuvent s’effondrer et on peut mourir ou se blesser. »

La pauvreté est la raison principale du travail des enfants dans le pays. L’accès insuffisant à l’éducation et le manque d’opportunités économiques sont aussi en cause. « Le travail des enfants est plus important dans les zones rurales par exemple dans les régions de Kayes, Sikasso et Ségou. Une partie de la population ignore aussi les dangers pour les enfants », détaille Moussa Sogoba.

L’Afrique se classe au premier rang 9 enfants sur 10 travaillent en Afrique et en Asie-Pacifique. Le continent africain se classe au premier rang avec plus de 72 millions à être obligés de travailler (presque 20% des enfants). Parmi eux, 31,5 millions exercent un travail dangereux. INÉGALITÉ

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Le travail a un impact direct sur la scolarisation des enfants maliens. « Ils ne peuvent pas travailler et se rendre à l’école en même temps. Ils n’ont pas la possibilité d’avoir une éducation pour obtenir un emploi décent plus tard » poursuit l’agent de l’Unicef Mali. D’autre part, le travail expose les enfants à la violence sous toutes ses formes : les violences physiques, émotionnelles mais également sexuelles.

L’Unicef Mali travaille main dans la main avec le gouvernement malien pour lutter contre ce phénomène. L’organisation sensibilise notamment les communautés sur les conséquences néfastes du travail des enfants « Nous travaillons avec le gouvernement pour un meilleur accès à l’éducation. Nous rencontrons les employeurs des secteurs informels pour qu’ils puissent comprendre les dangers. Ce travail est appuyé par le ministère du Travail » conclut Moussa Sogoba.

Léa CHRISTOL


Malnutrition : la faim La malnutrition dans le monde est une problématique toujours d’actualité. Le phénomène n’est pas près de s’arrêter, puisque les chiffres sont en hausse depuis plusieurs années. Trois pays dominent dans ses grandes inégalités.

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is-moi d’où tu viens, je te dirai si tu manges bien. En 2017, l’OMS estimait le nombre de personnes victimes de malnutrition à plus de 2 milliards. Parmi celles-ci, on retrouve plusieurs problèmes récurrents. La famine, le manque d’apport calorique mais aussi la mauvaise alimentation. Sur les 2 milliards, 800 000 ont des carences alimentaires en micronutriments et vitamines. Ce phénomène ne touche pas uniquement les plus pauvres, mais aussi les classes moyennes et aisées. Un problème mondial initié par les grandes multinationales alimentaires et qui ne devrait donc pas s’arrêter de sitôt. Un cercle vicieux interminable En Nouvelle-Zélande, un verre de vin (33 centimes) coûte moins cher que 25cl d’eau (67 centimes) ou de lait (47 centimes). Au Mexique, dans certains quartiers pauvres, il est plus facile de se procurer une bouteille de CocaCola que de l’eau potable, tandis que dans les centres commerciaux des grandes villes, le prix de la bouteille d’eau est plus bas que celle de Coca-Cola. Ne parlons pas des pays où la bière est moins chère que l’eau. Ukraine, Allemagne, Angleterre, Irlande… La liste est longue.

Consommer des produits sans tenir compte de sa santé revient donc moins cher. Ce qui génère un dilemme chez les personnes à faibles revenus. Bien manger et se ruiner ou faire des économies en adoptant une mauvaise alimentation ? 1 décès sur 5 dans le monde est associé à une mauvaise alimentation Dans la plupart des cas, la deuxième option est privilégiée. Et à l’origine de ces prix étranges, ce sont les stratégies de grandes entreprises alimentaires, qui baissent le prix de leurs produits pour que les personnes précaires se tournent vers ceux-ci, sans avoir le choix. Au vu du nombre de personnes pauvres dans le monde, c’est une stratégie commerciale qui fleurit et qui pousse les entreprises à continuer vers cette voie-là.

La malbouffe cause près de 10 millions de décès par an dans le monde. @ Janice Lin / Unsplash

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n'est pas une question de moyens Il n’y a pas uniquement les multinationales qui usent et abusent de ce procédé : les politiciens l’ont également bien compris. En Russie, le président Vladimir Poutine a récemment voté un décret pour faire baisser le prix de la Vodka, l’alcool populaire de l’ex-URSS. Officiellement, cette loi vise à contrer l’alcool de contrebande. Officieusement, ce pourrait être une volonté de Vladimir Poutine de garder intacte sa popularité. « C'est principalement une logique fiscale qui est à l'œuvre », observe le politologue russe Dmitri Orechkine. Tabagisme, alcoolisme, fast-food, addiction au sucre : le plaisir gustatif ne faiblit pas Mais la malnutrition n’est pas uniquement un problème de nécessiteux. Elle est même fortement présente dans les milieux aisés. Parce qu’en dehors de la dimension économique, il y a la dimension psychologique. Manger de la mauvaise nourriture rend parfois heureux. Pour beaucoup de personnes, c’est un des petits plaisirs les plus rentables. Quand certains dépenseront leur argent dans l’achat de vêtements, ou de produits électroniques, d’autres iront déguster leur burger ou pizzas de leur snack préféré. Le constat est le même pour les fumeurs, dont le nombre ne faiblit pas, malgré l’augmentation du prix des paquets de cigarettes dans de nombreux pays. Le problème d’alcoolisme ou les plaisirs sucrés rejoignent les premiers cas d’addiction. Mais si le moral remonte après la dégustation d’un de ces plaisirs, le corps lui, en prend un coup.

La malbouffe accentue la Covid, la Covid accentue la malbouffe Depuis plus d’un an maintenant, le monde connaît une véritable crise sanitaire. Au total, près de 2,5 millions de personnes ont perdu la vie en raison du virus. Et Covid plus obésité ne font pas bon ménage. Selon une étude de The Obesity Society, parue dans le magazine Obesity, 75 % des patients admis aux soins intensifs du CHU de Lille étaient obèses. L’étude révèle aussi que 85 % des obèses sévères avaient dû être intubés. Au Mexique, 73 % des morts dus à la Covid-19 étaient atteints d’une maladie chronique provoquée par le surpoids. En d’autres termes, les personnes souffrant de surpoids sont en première ligne des victimes. Et dans le sens inverse, cette épidémie a également aggravé notre mode de vie alimentaire. Les restaurants de fast-foods, qui ont pu rester ouverts quasiment depuis le début de la crise, ont été la branche du secteur de la restauration qui ont connu la plus petite baisse de chiffre d’affaires. Avec la crise, le moral a été en chute chez la majorité des personnes et la malnutrition s’est alors révélée être une belle échappatoire pour certains.

Les dégâts délirants de la malnutrition Obésité, problèmes cardiaques, hypertension, diabète ou cancer, la malbouffe est aujourd'hui coupable de nombreux maux. Elle agit aussi négativement sur le cerveau humain. Les chiffres de l’OMS sur la « malbouffe » démontrent qu’ un décès sur cinq est associé à une mauvaise alimentation, soit au moins 11 millions de morts par an. Elle est aussi la cause de près de 10 millions de décès découlant d’une maladie cardiaque liée à ce phénomène. Sur ces 10 millions de cas, 913 000 sont dus à des cancers liés à l’obésité. Chaque année, ce problème de société cause plus de décès que le tabagisme dans le monde. Un vrai fléau qui ne semble pourtant pas près de s’arrêter.

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Kenny LAUTERBACH


Quand le partage des richesses n’est pas la priorité Les inégalités de revenus et de richesses sont depuis toujours très importantes. Cependant avant le XXe siècle, elles avaient diminué. Mais depuis les années 1980, elles ont augmenté à des rythmes différents selon les pays. Le commerce international et la grande avancée de la technologie n’expliquent pas à eux seuls les grandes variations présentes dans les inégalités entre les pays. Elles prennent en compte l’évolution des politiques budgétaires et de salaires et les différences entre les systèmes d’éducation et de santé.

L’

Inde

Paradoxalement, au pays de Gandhi, l’Inde est le grand pays des inégalités. Bien que la pauvreté ait globalement diminué, les inégalités de revenus ont doublé en vingt ans. Paradoxalement,. Les 1 % des plus riches détiennent pratiquement 60 % du patrimoine. Dans un de ses articles Palagummi Sunaith, spécialiste du monde rural, « les inégalités sociales et de caste ont toujours existé en Inde. Mais ces deux types d’inégalités se cumulent et se renforcent mutuellement ». Et le libéralisme a depuis 20 ans ajouté « des inégalités économiques » qui ont approfondi et enraciné les disparités pré-existantes. L’Inde faisant partie des BRIC (pays en développement) n’est ainsi « qu’une puissance émergente en trompe l’œil », car une grande majorité de la population n’a toujours pas accès à la santé, à l’alphabétisation, à la scolarité, aux équipements sanitaires et à l’eau potable. Début 2020, l’organisation non-gouvernementale OXFAM (Oxford Committee for Famine Relief), a pointé du doigt l’Inde sur les inégalités sociales. Mais d’après Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam Inde, « Il est impossible de combler le fossé entre les riches et les pauvres sans adopter

des politiques visant expressément à lutter contre les inégalités, et trop peu de gouvernements mettent en œuvre de telles politiques ». La Chine Le développement de la Chine au niveau mondial a permis d’élever le niveau de vie de la population chinoise et de sortir 600 millions de personnes de la pauvreté. Mais cette progression s’est accompagnée d’une montée des disparités entre la ville et la campagne. Selon les chiffres officiels, le coefficient de Gini, l’un des plus utilisés pour mesurer l'inégalité dans la distribution des revenus sur une échelle de 0 à 1, s’est établi à 0,461. Les inégalités entre les ruraux et les urbains ne se limitent pas aux revenus. Les habitants des grandes villes côtières industrialisées et ouvertes au commerce international sont les principaux bénéficiaires de l’essor économique chinois et bénéficient d’un accès à des logements sociaux et à une couverture santé plus importante. Les habitants de la campagne sont eux contraints à être restreint par le système de livret de résidence (hukou) qui maintient la main d’œuvre dans les campagnes pour garder la production agricole.

Les États-Unis Le pays le plus puissant du monde, les États-Unis se caractérisent par de très fortes disparités économiques et sociales. Entre écart de revenus et patrimoine, inégalités d’accès aux études et surreprésentation des minorités en prison, le fossé se creuse. L’accroissement des inégalités outre-atlantique s’explique par l’accaparement de la richesse par les riches et non par une aggravation des conditions de vie des pauvres. En 2017, sur l’échelle de l’OCDE, le coefficient de GINI, les États-Unis étaient à 0,39 sur 1. Selon plusieurs études, les inégalités de revenus ont atteint leur plus haute inégalité depuis plus de cinq décennies. Ces inégalités sont particulièrement visibles dans les régions des côtes Est et Ouest, comme l’État de New York, du Connecticut, de Californie et de Washington. Mais également des États comme Porto Rico et la Louisiane où la pauvreté généralisée est présente.

En Inde, les 1 % des plus riches détiennent pratiquement 60 % du patrimoine.

En Inde, près d’un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles. @ Ameeq

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Pauline CHOPPIN

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La culture, identité des peuples E

n 1969, le sociologue québécois Guy Rocher défini la culture comme « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ». Autrement dit, la culture nous rassemble et nous ressemble : elle permet

à un japonais et à un argentin de partager la même passion pour les peintures de Picasso, à un Canadien et un Suisse d’apprécier l’architecture de Mario Botta ou encore à un Anglais et à un Chinois de vibrer devant une sculpture de Rodin. Même si les fondamentaux ne sont pas oubliés, de nouvelles formes de culture arrivent et inondent nos maisons, nos bibliothèques et nos idées de nouvelles possibilités. Marie DE MONTERNO

Nos rédacteurs Camille ROMAND

Christopher COUSTIER

Tristan CHALVET

Corentin RICHARD

Ugo MAILLARD

Lucas MOLLARD

CULTURE

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L’importance du repas en Polynésie française En France métropolitaine, le repas est souvent un moment sacré dans une journée. On se retrouve en famille ou entre amis, on mange de bons petits plats… Mais quelle est l’importance du temps de repas et de la nourriture à l’autre bout du monde ? Zoom sur la Polynésie française.

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après une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) de 2015, les Français sont les champions du monde du temps passé à table avec environ 2 heures et 11 minutes par jour. Il faut dire qu’avec la richesse gastronomique impressionnante de notre pays, rien d'étonnant à ce que les gens aiment passer du temps en famille et déguster des plats. Dans une grande partie des différents pays du monde, le repas est aussi un moment privilégié ou parfois même sacré. Si dans certains endroits du globe comme aux ÉtatsUnis, le repas se limite souvent à une pause snack, en Corée du Sud par exemple, c’est un moment important. Apprécier de la nourriture avec des gens que l’on aime permettrait de mieux manger, de respecter ses besoins et d’apprécier davantage son plat.

Dans une semaine normale, c’est surtout le week-end que les Polynésiens passent du temps à table et à cuisiner. « Le petit-déjeuner du dimanche est très spécial, précise la jeune femme. Très tôt le matin, les Polynésiens sortent acheter des plats ou des ingrédients pour les préparer. Ce petit-déjeuner est un peu comparable à un brunch. Il est composé de beignets appelés "firi firi", de pain coco, de "pu’a" rôti (cochon rôti), du poisson cru au lait de coco, des nems, des fruits... » Pour les évènements comme les mariages, les Polynésiens préparent le four tahitien appelé « ahi ma’a ». Une autre facette de la nourriture

Contrairement à d’autres parties du monde, la journée des Polynésiens n’est pas complètement rythmée selon des horaires fixes de repas. Il est rare que les habitants prennent un petit-déjeuner. Coralie explique cela à cause des horaires de travail : « En général, les journées commencent entre 7h et 7h30 ou même bien plus tôt. Certains Polynésiens peuvent quitter leur maison En Polynésie vers 3h du matin ! En route, ils se retrouvent française, il existe souvent bloqués dans les embouteillages de un plat un peu la seule route de ceinture de l’île. Mais une particulier appelé fois arrivés sur leur lieu de travail, ils courent le « fafaru ». Il s’agit acheter des casse-croûtes et sodas. » d’un mélange de plusieurs poissons ou crustacés mis à macérer dans de l’eau de mer plusieurs heures voire même plusieurs jours.

La malnutrition est un problème en Polynésie. Coralie en est d’ailleurs désolée : « Beaucoup de gens mangent à longueur de journée des biscuits, des chips, des bonbons… Nous avons un taux très élevé de diabète et d’obésité. Le soir après leur journée de travail, les Polynésiens sortent souvent aux roulottes, des camions aménagés en Un plat typique de la Polynésie, le poisson cru à la tahitienne. Souvent snack, pour manger. Ils raffolent de pizzas accompagné de légumes et de lait de et hamburgers et se ruent souvent au coco. © Coralie R. B. McDonald’s dès qu’ils le peuvent… Nous avons une expression très locale, "faire Coralie est une psychologue originaire de France mais qui château", qui signifie remplir son assiette au maximum. Les habite en Polynésie française depuis 10 ans. Elle en connaît portions de nourriture ici sont gargantuesques. » désormais les coutumes et confirme que là-bas aussi, « le temps du repas est très important car c’est un moment de Mais toujours d’après Coralie, le problème de malnutrition partage ». Avant de commencer à manger lors de réunions semble enfin être pris en considération. En témoigne de famille ou de cérémonies officielles, une prière est dite. l’amélioration de l’équilibre des repas dans les cantines « C’est comme pour ancrer toujours plus son caractère scolaires. « Avant, on servait souvent aux enfants du riz ou privilégié », explique Coralie. des lentilles, mais les choses ou changé depuis peu. »

Camille ROMAND

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L'art de rentrer dans les cases, ou comment la parole se confine S’il y a un droit universel que chaque être humain doit posséder et qui doit être respecté, c’est bien la liberté d’expression. Mais alors, pourquoi, de nos jours, les textes des chanteurs sont-ils les cibles préférées des institutions judiciaires ? De l’Espagne aux États-Unis, en passant par la France, nombreux sont les cas d’artistes attaqués en justice pour leurs paroles. La liberté d’expression est-elle menacée ?

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a liberté d’expression, c’est l'un des droits les plus fondamentaux de notre société et à raison. Que serait notre monde sans ce droit si important pour chacun d’entre nous ? De longs combats ont été menés pour le faire respecter et encore aujourd’hui, il peut être bafoué très facilement par les institutions. Alors quid de la liberté d’expression. Un droit qui semble dernièrement un sujet ouvert au débat. Arrêté et condamné pour des paroles contre la couronne espagnole En Espagne, c’est récemment que le débat lié à la liberté d’expression a été remis sur la table. Pablo Hasel, un rappeur catalan, a été arrêté et condamné à une peine de neuf mois de prison pour des paroles dans ses chansons, le 16 février dernier. Le rappeur a notamment fait référence au groupe séparatiste « ETA », mais a aussi lourdement critiqué la couronne espagnole expliquant « que l’héritière était issue du régime franquiste ». Une référence directe au règne du général Franco, avec pour idéologie une Espagne traditionaliste et antimoderniste, fondée notamment sur la religion catholique et le corporatisme. Dans ce cas de figure, la question de la liberté d’expression est forcément de mise. Comment un artiste peutil être accusé « d’apologie du terrorisme » ou encore « d’injures à la couronne » à cause de textes provenant de ses chansons ? L’engagement est présent pour cette chanson, mais la justice espagnole outrepasse clairement ses droits sur cette affaire. Cette condamnation n’est d’ailleurs pas passée inaperçue, puisque de nombreuses et violentes

manifestations ont éclaté à la suite de cela dans plusieurs villes d’Espagne, dont Madrid et Barcelone.

que l’Espagne est fortement pointée du doigt en matière de législation au sujet de la liberté d’expression.

Le rapport « Tweet if you dare » concerne notamment l’article 578 du Code pénal espagnol, permettant de punir à presque trois ans d’emprisonnement toute personne qui glorifie un acte terroriste en public ou sur Internet.

Critiqué par Amnesty International et condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme Cette condamnation n’est pas la première en Espagne, puisqu’un autre rappeur, « Valtonyc » y avait été condamné pour les mêmes raisons en 2018. Ce dernier s'est par ailleurs exilé en Belgique et s'y trouve toujours à l'heure actuelle. Une demande d’extradition a même été formulée par le gouvernement espagnol, mais rejetée par l'État belge. Il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour que des organismes comme Amnesty International montent au créneau. Le gouvernement espagnol est en effet dans le collimateur de l’ONG, puisque cette dernière a vivement critiqué la direction prise par l'État dirigé par Pedro Sanchez. Un rapport a d’ailleurs été fait par Amnesty International. Nommé « Tweet if you dare », il signifie littéralement « Tweetes si tu l’oses » et pointe ainsi du doigt les débordements orchestrés par le gouvernement espagnol. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est aussi manifestée pour condamner la loi de 2015 rendant d’autant plus grave ce genre d’affaires. Autant dire

Les États-Unis aussi dans le flou Aux États-Unis, nombreux ont été les cas de rappeurs épinglés pour leurs textes. D’un point de vue général, il faut aussi se rendre à l’évidence, l’essence même du rap réside dans l’agressivité et la revendication. En guise d’exemple, un jeune rappeur du nom de « T-Bizzle » avait été viré de son lycée pour un morceau de rap en 2010. Ce dernier dénonçait des pratiques de harcèlement de la part de deux entraîneurs de son lycée. Dans ce morceau, l'aspirant rappeur s'en prenait violemment aux entraîneurs, en chantant notamment « Looking down girl’s shirts, drool running down your mouth / Going to get a pistol down your mouth », (« Tu regardes sous les chemises des filles, la bave au bord des lèvres / Tu vas te prendre un flingue dans la bouche »). Des paroles crues, et très agressives certes. Mais comme cela a pu être souligné par un collectif d’une douzaine de rappeurs stars aux US comme T.I, Big Boi ou Killer Mike : il est ici question de liberté d’expression. Pourquoi un morceau de rap, « considéré comme le genre musical le plus important des 50

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« La liberté d’expression est bafouée » Interview de Paul Bekaert, avocat belge du rappeur espagnol Valtonyc. savoir si cela est en conformité avec la liberté d’expression, ce malgré les injures contre le roi. La Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà fait savoir à l’Espagne que la loi prévue à cet effet était contre la liberté d’expression. Êtes-vous d’accord ?

Les artistes sont de plus en plus touchés par les condamnations au fil des années. Un phénomène troublant. @ Pixabay / Cbudd

dernières années, ne peut-il pas bénéficier de la protection du premier amendement ? »... Le collectif venu au secours du jeune rappeur avait d’ailleurs détaillé son argumentaire en expliquant que les propos du jeune rappeur étaient monnaie courante dans ce milieu. « Ses paroles sont banales dans le rap. Elles reflètent les conventions du genre. Le gouvernement a puni un jeune homme pour son art, et c’est le plus troublant pour le genre musical qu'il a choisi pour s'exprimer » plaidaient alors les grands noms de la scène hip-hop. Dans ce cas de figure, le jeune homme est engagé et dénonce des choses qu’il estime anormales. A contrario, si l'on prend pour exemple des chansons réalisées par des artistes mondialement connus comme Johnny Cash ou Bob Marley, le constat n’est pas le même. Le premier dans sa chanson intitulée « Folsom Prison Blues » chante « I shot a man in Reno just to watch him die ». Ce qui veut dire « J’ai tiré sur un homme à Reno juste pour le regarder mourir ». Dans le cas de Bob Marley, figure emblématique du Reggae, un de ses titres mondialement connus n’est autre qu’« I shot the sheriff ». Pourtant, dans ces deux cas, aucun des deux artistes n’a été inquiété pour ses paroles. La question de la liberté d’expression est ici aussi remise en doute sur les 20 dernières années. Y a-t-il un durcissement des mœurs à ce sujet ? La question se pose et s'impose. CULTURE

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Paul Bekaert est un avocat belge spécialisé dans la liberté d'expression mais aussi les extraditions. © DR

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otre client, Valtonyc, a été condamné en 2018 par la justice espagnole après des propos à l’encontre de la couronne en 2012. Cela fait trois ans maintenant qu’il est exilé en Belgique. Où en est la procédure ? C’est compliqué. Au début, le tribunal belge a rejeté le mandat européen, et le parquet a interjeté appel. La cour d’appel de la Gantoise a renvoyé l’affaire au tribunal du Luxembourg, car il y avait débat autour de la législation espagnole. Valtonyc a été condamné en Espagne pour des faits remontant à 2012 sur les principes d’une loi appliquée en 2015. La cour d’appel du Luxembourg nous a par ailleurs donné raison sur ce point. L’affaire est donc revenue au tribunal de la Gantoise. Quelle a été la décision prise par ce tribunal ? Il est ici question de savoir si la condamnation respecte la liberté d’expression de la convention des droits de l’Homme. Nous avons donc envoyé l’affaire à la cour constitutionnelle de Belgique pour

Oui tout à fait, c’est une grave atteinte à la liberté d’expression. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’affaire dure. Sur le principe, pour que la Belgique accepte l’extradition de Valtonyc, il faut que la loi espagnole soit en accord avec la loi ici en Belgique, ainsi qu’avec la convention des droits de l’Homme. Selon vous, le fait que les artistes soient attaqués en justice, notamment dans ce cas-là en Espagne, dénotet-il un durcissement des mœurs quant à la liberté d’expression ? Bien sûr, il y a d’ailleurs un rapport effectué en 2018 par Amnesty International qui explique très bien que la liberté d’expression en Espagne est sévèrement bafouée. La justice espagnole attaque toutes les personnes qui font référence à l’ETA dans des chansons ou même qui s’expriment contre le régime. C’est aussi le cas pour des citoyens qui font de même sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. C’est une évolution très préoccupante. Sur ces dernières années, on constate une recrudescence d’affaires comme celle-ci et c’est vraiment préoccupant.

Christopher COUSTIER


Chine-Finlande, l’excellence malgré les divergences Dans le monde, il y a de nombreux systèmes éducatifs. Celui qui nous est le plus commun, c’est bien sûr le système français mais il est loin d’avoir fait ses preuves. Nos voisins en utilisent d’autres, comme en Finlande où le modèle frôle l’excellence. Autre méthode qui a fait ses preuves, « le modèle à la chinoise ». Issu de l’Empire du milieu, il a su conquérir de nombreux autres pays d’Asie, du fait de ses très bons résultats. Zoom sur ces deux modèles et leurs méthodes.

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a Chine est passée d’un système basé sur la mémorisation à un système qui améliore les capacités d'analyse et de raisonnement. Les Chinois utilisent une méthode appelée : « la salle de classe renversée ». L’élève doit consulter le principe qui sera étudié en cours chez lui en amont. Ainsi l’élève arrivera en classe avec une certaine connaissance du sujet et ses questions seront plus pertinentes. Très tôt, les élèves sont responsabilisés et peuvent prendre la parole devant toute la classe pour expliquer des choses à leurs camarades. Pour mettre toutes les chances de leurs côtés, les élèves suivent également des cours supplémentaires le soir et les week-ends, auxquels s’ajoutent des devoirs.

La Finlande comptait 368 852 élèves scolarisés dans le primaire en 2018. @ CDC

En Finlande, le jeu est roi durant la petite enfance. Les enfants commencent l’école seulement à sept ans et ils ne sont notés qu’à partir de treize ans. Les journées de classe sont courtes et les vacances nombreuses.

Le modèle finlandais La Finlande offre un beau paradoxe pour les chercheurs en éducation. Le modèle finlandais va à l’encontre de tous les systèmes basés sur la performance et la compétition, qui préconisent une scolarisation précoce et les longues heures d’études qui vont avec. Pourtant les Finlandais obtiennent les meilleurs résultats aux tests internationaux.

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d’avoir des bonnes notes. Les évaluations font leur apparition petit à petit, sous forme d’appréciations vis-à-vis de ses propres progrès et non par rapport aux autres. Ce système permettrait de développer l’entraide et le soutien

L’accent est mis sur l’autoévaluation plutôt que sur les examens. L’accent est mis sur l’autoévaluation plutôt que sur les examens. Pour les enseignants, le plus important est de transmettre aux jeunes le plaisir d’apprendre plutôt que de les obliger à se consacrer à des études strictes, dont le seul but est

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également été remplacées, par un apprentissage individualisé, en fonction de la personnalité et des aptitudes des élèves. Ce modèle attire de plus en plus l’attention ces dernières années, le monde de l’éducation reconnaît qu’il est préférable de former des jeunes qui sauront interagir entre eux plutôt que de réciter par cœur certaines notions.

èm e, c ’est le ran g qu’occupe la Finlan de au classem ent PISA 2019 dans la catégorie compréh ension de l’écrit auprès des élèves de 15 ans.

entre les élèves et non la compétition entre eux. Les orientations en filières ont Tristan CHALVET

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L’ONG « Afrique Pleine d’Avenir » aux côtés des écoliers Tous les enfants du monde ne sont pas égaux au niveau de l’éducation. Si chez nous en Europe, quasiment tous les jeunes ont accès à l’école, il reste encore énormément à faire en Asie et en Afrique. L’ONG « Afrique pleine d’avenir », basée au Bénin, se bat pour que 100 % des enfants aient accès à l’école. Rencontre avec Elodie, une bénévole.

Fondée en 2009, l’ONG Afrique Pleine d’avenir est également intervenue au Burkina Faso ou encore au Sénégal pour construire des écoles. @ Santivedri

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ourquoi avoir choisi de rejoindre cette association ?

Enfin, nous avons également des partenariats avec des écoles européennes et africaines avec qui les enfants du Bénin font des échanges épistolaires.

J’ai choisi l’association Afrique pleine d’avenir car c’est une L’ONG est également très sensible aux sujets association qui promeut beaucoup les échanges inter- environnementaux, pourquoi ? culture et je trouvais cela très intéressant. Pouvoir se nourrir de la culture des autres, s’ouvrir au monde, c’est quelque Exactement, c’est un sujet primordial pour nous. chose qui compte pour moi. Je suis très sensible à la cause Nous organisons des activités de sensibilisations à des enfants et encore plus à leur accès à l’éducation. Pour l’environnement pour les jeunes africains. Ils sont moi, c’est impensable que les d’ailleurs très réceptifs aux « On organise des chantiers messages. Dans chaque projet enfants africains ne soient pas avec des bénévoles pour tous scolarisés et ne reçoivent que nous menons, ce thème de construire des écoles » pas la même éducation que l’environnement est très présent Elodie, bénévole de nous en Europe. Il faut que nous puisque nous construisons « Afrique pleine d'avenir » soyons égalitaires. également des panneaux solaires, nous favorisons Quelles sont vos actions au quotidien en l’utilisations de matériaux locaux…Toutes ces choses qui Afrique ? Et avec les enfants ? font du bien à notre planète. Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain, c’est notre futur, donc l’objectif est de favoriser leur éducation en se basant sur trois grands axes : Scolarité, enfant et construction. On organise des chantiers solidaires avec des bénévoles, pour par exemple construire une école ou alors la rénover. On construit également des salles de classes ou des centres multi-activités, avec des bibliothèques à l’intérieur pour favoriser l’accès à la lecture, c’est très varié. CULTURE

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Comment faut-il faire si on veut participer à un chantier dans un pays Africain et être bénévole comme vous ? C’est très simple, moi je les ai contactés sur les réseaux sociaux mais il est possible également de passer par leur site internet. En plus, pour les chantiers solidaires, c’est très pratique car les périodes sont courtes, c’est entre trois et six semaines. On a vraiment l’impression de se sentir utile au monde et on rencontre vraiment des gens de tous les horizons. C’est vraiment une expérience unique. Propos recueillis par Tristan CHALVET


Le jeu vidéo Quand on pense à l’art, le cinéma, la peinture et la musique sont les éléments qui nous viennent en premier en tête. Pourtant, à l’ère du numérique, on oublie généralement un autre gros acteur de ce secteur : le jeu vidéo. Comment, pourtant, mettre de côté cet univers ? Capable de vous transporter dans un autre monde avec des musiques bien trouvées et des animations hors-norme, le jeu vidéo est-il pour autant une œuvre d’art ?

Souvent décrié, le jeu vidéo reste le secteur culturel le plus rentable. @ Pixabay / Ptra

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out d’abord, il est important de resituer quelques faits avant de se lancer. Le jeu vidéo a longtemps été considéré comme un simple média de divertissement. Depuis plusieurs années, il a toutefois évolué, s'est diversifié, pour s'adresser à différentes tranches d'âges et aborder des thèmes touchant plus ou moins les joueurs. Aujourd'hui, les jeux vidéo peuvent être des œuvres à part entière, mais peut-on parler d’œuvre d'art ? Et, qu’est-ce que l’art au juste ? Il est important de définir ce qu'est l'art. Mais est-ce vraiment définissable ? Chacun perçoit l'art à sa manière. Pour le Larousse, l’art est « l’ensemble des procédés,

des connaissances et des règles intéressant l'exercice d'une activité ou d'une action quelconque ». Suivant les émotions que lui procure une œuvre et selon le message qu'il va en tirer, cela va éveiller des sens chez certains et non chez d'autres. La définition de l’art est finalement très personnelle. Le jeu vidéo est officiellement reconnu comme un art par la Cour suprême des États-Unis depuis 2011. Il en est de même en France où, depuis 2006, le ministère de la Culture reconnaît cette industrie comme une forme d'expression artistique. L’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen affirmait d'ailleurs son intérêt pour les

jeux vidéo dans une interview accordée au journal Le Monde : « C'est un art comme les autres, ça fait partie de la culture et nous y sommes attachés. En France, c’est un secteur très actif, très créatif et beaucoup de gens sont dans cet univers des jeux vidéo. Il y a des inventeurs, des concepteurs, des ingénieurs qui travaillent làdessus. Nous allons soutenir cela, et nous sommes très attentifs, ici au ministère de la Culture, à soutenir et à développer le jeu vidéo, qui est un vrai élément de notre culture en France. »

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peut-il être considéré comme une œuvre d’art ? Là où les choses se compliquent, c'est quand il s'agit de faire reconnaître le jeu vidéo comme un art par la majorité. Le fait qu'il soit juridiquement et officiellement considéré ainsi n'empêche pas les détracteurs d'avoir leur mot à dire et de s'opposer à cette façon de voir les choses. Alors pourquoi le jeu vidéo a encore du mal à se faire sa place en tant qu’œuvre d'art et ce qui peut le définir comme tel. Une notoriété parfois encore incomprise Le secteur du jeu vidéo est encore jeune et il rassemble majoritairement un public de niche, même si cela tend à se démocratiser. Cependant, plusieurs choses contribuent à le populariser, que cela soit auprès des adultes, des réfractaires ou du reste du monde. Nintendo a par exemple grandement contribué à cette démocratisation du secteur auprès de toutes les tranches d'âge, avec ses consoles Nintendo DS et Wii. Le jeu sur smartphone n'est pas en reste non plus, car au même titre que la firme nippone, il a ouvert le marché à un public très varié. L’eSport ou sport électronique amène également beaucoup de monde à se pencher sur le secteur vidéoludique. Tout cela permet au jeu vidéo de se faire gentiment une place dans les mœurs. Les médias non spécialisés en parlent de plus en plus. Cela se fait parfois naïvement, certes, mais c'est toujours une bonne chose pour le jeu vidéo que de voir que la majorité essaie de comprendre et de s’ouvrir à ce secteur. C'est cette acceptation qui peut, progressivement, transformer l’image de cet univers en tant qu’art auprès de l'esprit collectif, au même titre CULTURE - LE JEU VIDEO

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que le cinéma ou la musique comme tel. Il suffit juste de familiariser tout le monde avec ce secteur et de ne pas le laisser à l'état de « passe-temps débile » comme il peut être considéré. Le jeu vidéo, une mine d’or Le secteur du jeu vidéo pèse dans son ensemble 139,9 milliards de dollars en 2020, selon SuperData. La majorité de cette somme est notamment due aux jeux numériques qui, à eux seuls, ont récolté 126,6 milliards de dollars. En détaillant davantage, SuperData révèle que les jeux mobiles numériques ont généré 73,8 milliards de dollars, loin devant les autres plateformes et formats. Grâce à l’ascension des plateformes de streaming et de l’eSport, les jeux vidéo ne font plus que se jouer : ils se regardent aussi. Selon les données récoltées, l’audience des contenus autour de la thématique des jeux vidéo a augmenté de 18 %, pour atteindre les 1,2 milliard de spectateurs en 2020. Poussés par cette popularité, les contenus diffusés en live liés aux jeux vidéo ont généré 9,3 milliards de recettes. Twitch détient la majorité des parts (22 %), notamment suite à la mort de son rival, Mixer, qui lui a été profitable. YouTube se place en deuxième position, avec 18 % des parts en sa possession. L’ensemble des autres plateformes se dispute des petites portions parmi les 60% restants.

Un aspect commercial très pointé du doigt Le secteur vidéoludique dispose d'une forte puissance économique, qui peut amener le grand public à le considérer comme une réserve sans fond d'objets de consommation. Il est vrai que le jeu vidéo fait partie des plus grandes industries culturelles du XXIe siècle, mais son côté artistique doit-il en pâtir pour autant ? Au même titre que la musique ou le cinéma, les jeux développés et édités par de gros studios bénéficient d'une grande couverture commerciale. Les titres plus indépendants fonctionnent notamment grâce au bouche-àoreille, ou grâce aux streamers et vidéastes. Libre à chacun de trouver son confort dans ce marché et de se faire son propre avis sur la question, mais un jeu dit « commercial » ne signifie pas qu'il est bâclé et qu'il ne transmet rien. Même si ce gros aspect commercial est très présent et pourrait laisser penser que ce n’est pas bénéfique, détrompez-vous. Pour les entreprises, les marques, les artistes et même les personnalités politiques, ces résultats représentent de nouvelles opportunités marketing importantes. Et ils sont nombreux à l’avoir compris. On pense notamment aux maisons de haute-couture Marc Jacobs et Valentino, qui ont lancé des lignes de vêtements virtuels au sein d’Animal Crossing : New Horizons, ou encore à Alexandria Ocasio-Cortez, une élue américaine, qui a joué à Among Us sur Twitch et qui a réuni 700 000 spectateurs sur son live. Un jeu en particulier s’est démarqué dans la création d’événements publicitaires : il s’agit de Fortnite.


Que ce soit pour promouvoir des films (Star Wars, Avengers) ou des artistes musicaux, le battle royale d’Epic Games a su fédérer ses communautés de joueurs et de spectateurs autour d’événements aussi inédits que spectaculaires. Le concert de Travis Scott au sein du jeu est un exemple particulièrement marquant, puisqu’il a cumulé en moyenne et chaque minute plus de 4,7 millions de spectateurs, pour un total de 785 000 heures visionnées. Des avis qui divergent Il est difficile au sein même d'un secteur artistique, de rassembler tout le monde sur un avis commun. Bien que le jeu vidéo soit officiellement reconnu comme un art, rien n'empêche de penser le contraire. Par exemple, certains joueurs sont très friands de jeux indépendants et n'ont pas de considération envers les AAA (jeux issus de studios de développement à gros budgets). Dans ces derniers ils ne vont pas ressentir la petite étincelle frétillante qui leur chauffe le cœur comme lorsqu'ils posent les mains sur un jeu indépendant. Mais l'inverse est tout à fait louable, et d'autres vont plutôt se contenter des grosses productions, sans avoir un regard pour les indépendants. De même pour les adeptes des jeux d'horreurs, rejetés par plus d'un joueur. Même rengaine pour les opus de voitures.

certains styles musicaux n'en étaient pas ? Alors que la musique, eh bien encore une fois... vous avez deviné la suite. Le jeu vidéo contient tous les autres arts C’est l’argument le plus facile, à défaut d’être le plus profond, pour plaider la nature culturelle du jeu vidéo. Ce dernier regroupe de nombreux arts : du dessin, de la musique, du cinéma, de la littérature, de l’animation, de la sculpture, de l’architecture,… « Le jeu vidéo est bien un art total, car s’il est ludique par nature, il porte aussi l’ambition souveraine de s’inscrire dans une histoire connotée, diaprée de correspondances et de références à tous les arts qui l’ont précédé », écrivait le sociologue Emmanuel Ethis à propos de l’exposition « L’Art dans le jeu vidéo », qui s’est tenue en 2015 au musée Art ludique de Paris. Une multitude d’artistes participent à la conception des jeux vidéo d’aujourd’hui, qui, a minima, peuvent être perçus comme des musées, cinémas et salles de concert virtuelles dans lesquels découvrir leurs œuvres.

regarder le monde. Posséder une vision particulière, dégager l’essence des choses qui existent hors de toute relation, voilà le don inné propre au génie. Être en état de nous faire profiter de ce don et de nous communiquer une telle faculté de vision, voilà la partie acquise et technique de l’art », assurait le philosophe allemand Arthur Schopenhauer dans son livre « Le Monde comme volonté et comme représentation ». Selon une vieille idée reçue, le jeu vidéo serait moins « artistique » que le cinéma ou la littérature, par exemple. En cause, son interactivité qui, en laissant trop de marge de manœuvre au joueur ou à la joueuse, empêcherait de faire passer des idées de manière claire. En réalité, c’est le contraire : les jeux vidéo sont des univers, des simulations, des systèmes pourvus de règles qui nous confèrent un rôle, réagissent à nos actions et laissent plus ou moins de place à l’expérimentation. Pratiquer un jeu, c’est dialoguer avec l’esprit de celles ou ceux qui l’ont créé. Lorsqu'on se penche sur la question, le jeu vidéo s'apparente à un art total. Ce qui est fascinant ici, c'est la liberté d'expression à laquelle peuvent s'adonner les nombreux artistes travaillant à l’élaboration de leurs jeux. Ils peuvent créer ce qu'ils veulent, de la manière qu'ils le souhaitent. Un mode d’expression unique

Dans tous les genres, chacun attache une certaine affinité et y perçoit sa propre notion de l’art. Ainsi, le schéma se répète dans tous les mouvements artistiques. Prenons par exemple l'art abstrait, aussi bien en peinture qu'en sculpture. Nombreux sont ceux qui n’y perçoivent pas le moindre message et il est facile de dire que ce n'est pas de l'art. Pourtant, la peinture et la sculpture sont bien de l'art, depuis sacrément longtemps qui plus est. La musique connaît aussi le même sort.

La réalité virtuelle s'invite aussi dans le secteur du jeu vidéo, un moyen de rendre l'aventure encore plus immersive. @ Unsplash/Soberanes

Qui n'a jamais entendu ou prononcé cette fameuse phrase : « ÇA, c'est de la musique ! » en considérant que

À défaut d’être joués, les jeux vidéo méritent donc déjà d’être visités. « L’artiste nous prête ses yeux pour

Tous les sujets abordés régulièrement par les autres arts le sont aussi par le jeu vidéo. Dear Esther, Rime ou Last Day of June parlent du deuil, Gris et Céleste de la dépression. That Dragon, Cancer est un jeu conçu par les parents d’un enfant gravement malade. Gone Home et Life is Strange traitent avec une finesse remarquable de l’adolescence et de l’amour entre filles. Simplement, l’expression n’est pas forcément directe et scénarisée. Il faut aussi ajouter à tout cela la place de la bande-son dans tous ces jeux. La musique est l’un des vecteurs les plus forts en émotions.

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Un art en constante évolution Il y a un point commun entre le jeu vidéo et les autres formes d'art : l'évolution et l'adaptation à travers le temps. Certains jeux ont marqué l'histoire au point d'être clairement considérés comme des œuvres d'art (The Legend of Zelda : Ocarina of Time, Mario Bros,...), le personnage de Mario est aujourd'hui connu de tous et est devenue une icône de la pop culture. Il a révolutionné le jeu vidéo et le jeu de plateforme, de la même manière que Star Wars a révolutionné le cinéma et la science-fiction, ou que les Beatles ont révolutionné la musique. Dans tous ces mouvements, des œuvres marquent, d'autres perdurent et certaines sont éphémères. Elles forment un tout qui s'adapte constamment à son époque. Certains courants artistiques reviennent cependant faire parler d'eux, en profitant au passage des technologies modernes. Les jeux en pixel art, par exemple, sont grandement revenus sur le devant de la scène (avec les titres indépendants notamment). Au point qu’ils jouissent aujourd'hui d'une grande popularité. À titre de comparaison, on pourrait évoquer le retour du vinyle, qui est presque devenu plus populaire que le format CD en musique.

Imaginez cela couplé à un scénario immersif dans lequel vous prenez vos propres décisions, impactant ainsi votre propre aventure. Parmi les grands noms des bandes-sons du jeu vidéo, nous vous invitons à aller écouter ne serait-ce que Nobuo Uematsu, le compositeur phare de la licence Final Fantasy. Le musicien japonais est très certainement le compositeur le plus reconnu dans son domaine, tant sa musique a un pouvoir particulier, celui de vous toucher jusqu'au plus profond de votre être et de vous marquer à vie. On ne peut que vous conseiller d’aller écouter To Zanarkand en version orchestrale. CULTURE - LE JEU VIDEO

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Call of Duty : Modern Warfare est le jeu le plus lucratif de 2020, avec près de 2 000 millions de dollars de recette générés cette année. @ Christopher COUSTIER

Du petit au grand écran Nous sommes habitués à voir des œuvres littéraires être adaptées au grand écran. On pense à beaucoup de films à gros succès, comme la saga Harry Potter de JK Rowling, par exemple. C’est aussi le cas des jeux vidéo qui ont été adaptés eux aussi au cinéma ?

En fin de compte, si l’art est abstrait et qu’il appartient à chacun de le définir, le jeu vidéo demeurera-t-il dans le temps comme les peintures de Michelangelo et les autres œuvres majeures de l’Homme avec un grand H ?

Eh bien figurez-vous que c’est le cas. De Lara Croft : Tomb Raider, en passant par Pokémon, nombreux sont les jeux vidéo qui ont été adaptés du petit au grand écran. Un des derniers en date n’est autre que The Last of Us, qui est actuellement en phase de tournage.

Christopher COUSTIER


L'histoire en image : rencontre avec Enrique Cerda, Dans les années 1990, Enrique Cerda allait dans la rue pour photographier le peuple chilien à la sortie de la dictature d’Augusto Pinochet. Son travail est aujourd’hui une archive, un bout d’histoire et un travail de mémoire reconnu. Nous sommes allés à sa rencontre afin de comprendre sa démarche, son travail, et sa vision du monde.

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Pour moi, il s'agit d'essayer de transmettre le quotidien, ce que nous vivons au quotidien. Les choses simples, le banal, l'être humain dans son environnement, la douleur, la joie, ce que nous regardons, mais que parfois nous ne voyons pas. Avez-vous conscience de participer à la mémoire de votre pays ? Non, quand vous prenez votre appareil photo et que vous sortez pour photographier, vous ne savez pas ce que vous allez trouver et encore moins que vos images

peuvent transcender le temps. Je crois plutôt que c'est le spectateur, celui qui reçoit les images, qui peut sentir que quelque chose se transcende. Pourquoi travailler à la diffusion de ces images de Chiliens après les années de dictature Pinochet ? Quel est l’objectif derrière ces photos ? Cette série de photos a été conservée pendant une longue période, 30 ans pour être exact. Lorsque j'ai travaillé sur ces films, j'ai découvert qu'il y avait une histoire qui devait être montrée et partagée avec les autres. C'était l'histoire d'un peuple qui sortait d'une dictature militaire féroce, mais avec de l'espoir, de la joie et de l'amour pour ce qui était à venir, pour leur avenir. De telles images ne peuvent pas rester non partagées. Pensez-vous que la photographie peut avoir un impact sur l’avenir ? En permettant de voir les erreurs du passé peuvent-elles éviter de les reproduire dans le présent ou le futur ? Je me considère comme une personne optimiste quant à l'avenir. Je crois que l'homme doit évoluer dans tous les sens et j'espère que les images du passé pourront faire réfléchir les nouvelles générations. Je pense que nous sommes encore loin de prendre soin de la planètesur laquelle nous vivons. L'égoïsme, l'ambition des êtres humains les amènent à répéter les mêmes erreurs et horreurs du passé.

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photographe chilien Comment décririez-vous la place de la photographie dans l’histoire contemporaine ? La photographie joue un rôle fondamental dans notre vie quotidienne, nous ne pourrions parler de l'histoire du XXe siècle qu'en images. Je ne peux pas concevoir ces derniers siècles sans évoquer les images des deux guerres mondiales, des camps de concentration, de la guerre du Vietnam, des catastrophes naturelles, comme l'ouragan Katrina ou le tremblement de terre au Japon. Ou même

celles des migrations qui nous montrent jour après jour la souffrance de milliers et de milliers de personnes déplacées dans le monde entier. Mais il nous montre aussi les réalisations de l'homme, ses conquêtes scientifiques, ses exploits sportifs, ses exigences pacifiques, ses joies quotidiennes. Comment faites-vous pour de témoigner au mieux de ces événements ? Est-il question d’esthétisme, de composition ? Non, je pense que c'est plutôt une question d'intuition. Quand les événements se produisent, il est difficile de savoir quelle sera leur signification ou leur importance dans l'histoire. Vous êtes juste là en tant que spectateur, mais votre travail consiste à saisir les événements qui se produisent.

« La photographie joue un rôle fondamental dans notre vie quotidienne, nous ne pourrions parler de l'histoire du XXe siècle qu'en images. »

Lorsque vous prenez toutes ces photos, vous sentez-vous artiste, témoin, manifestant, citoyen, simple photographe ou autre chose ? Je pourrais dire que lorsque je sors avec mon appareil photo, j'essaie d'être impartial et de ne pas participer directement aux événements qui se produisent. Photographier, c 'est être en communion avec vos sens, vos réflexes, vos yeux et votre appareil photo. Je ne suis qu'un photographe. CULTURE

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Propos recueillis par Corentin RICHARD


Juste une dernière danse Mohamed Kewish a quitté l’Irak depuis un an. Le jeune homme de 21 ans est parti, seul, de son pays natal. Après un long voyage, il est arrivé en France dans l’unique but de poursuivre son rêve. Danser.

L

a danse pour s’envoler. C’est à Bagdad que Mohamed Kewish fait ses premiers pas. Alors qu’il est encore dans les bras de sa mère, le jeune Irakien est confronté à la triste réalité de la guerre dès 2003, alors qu’il est âgé de trois ans. Né dans une famille plutôt aisée, le quotidien « reste très difficile pour un enfant », explique t-il. Dans un pays en crise, Mohamed décide de s’évader. Très vite, il va choisir de se lancer dans la danse. À seulement 11 ans, le natif de la capitale irakienne rejoint un cours de danse. « J’avais des images d’un ballet à la télévision. Tous ces danseurs m’ont fait rêver et presque oublier mon quotidien. » Malgré sa fausse timidité, Mohamed Kewish est un battant. Si son sourire cache des blessures, c’est sa manière à lui de regarder droit devant.

« La danse m’a sauvé » En intégrant une troupe de danse moderne, Mohamed Kewish découvre un univers qui le fascine. Au bout de quelques mois seulement, il comprend que la danse n’est pas seulement une passion. « Lorsque j’allais à mes cours de danse, plus rien n’existait autour de moi. C’est sûrement difficile à comprendre mais je voulais que cette illusion ne s’arrête jamais. » Les années passent et Mohamed et son groupe de cinq amis enchaînent les représentations. Son rêve de devenir danseur n’a jamais été aussi proche.

très religieuses. Pour eux, la danse est un synonyme d'homosexualité. Même si je ne le suis pas, ils n'ont pas accepté ma passion. » En Irak, l'homosexualité est encore un délit dans la loi mais le plus violent est le regard que porte la société sur cette orientation sexuelle.

« Protéger ma santé et ma vie » Mohamed Kewish

« La liberté de monter sur scène »

En 2018, Mohamed doit partir. Quitter sa famille, son pays, mais surtout sa troupe de danseurs. Un choix forcé pour « protéger sa santé et sa vie ». « La danse m’a donné une raison de partir, de vivre. La danse m’a sauvé. Dans mon entourage, les personnes sont

Comment s’est passé ton départ d’Irak ? La réponse est aussi intense que brève. Un sourire. Si Mohamed n’évoque pas son départ, c’est en raison de la brutalité de cette décision : partir de son pays à seulement 20 ans. Lorsque le jeune

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Après être arrivé à Paris, Mohamed a décidé de s’installer à Lyon, sa nouvelle ville. © Mohamed Kewish

homme arrive en France, il découvre un pays « fantastique ». Accompagné par des associations lyonnaises, il a pu apprendre le français, trouver des solutions pour se loger et être conseillé pour ses papiers. Alors oui, il manque une chose dans cette liste, la danse. « Je n’ai pas encore pu prendre du temps pour la danse. Avec tout ce que j’ai vécu, je souhaite retrouver cette sensation de liberté lorsque je monte sur une scène. »

Ugo MAILLARD

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« Sports d’ailleurs » sur Netflix : le docu-série des sports les plus extravagants du monde Sorti le 26 juin 2020, ce docu-série de 8 épisodes offre un aperçu des sports les plus anciens des quatre coins du monde, en s’intéressant avant tout à la culture de ceux qui les pratiquent. Des sports très dangereux pour la plupart, mais cependant encrés depuis des siècles dans les mœurs de ces pays. Découverte.

A

près avoir regardé l’ensemble de cette mini-série, sortie en juin dernier sur Netflix, et traitant de sports peu connus dans le monde, on est partagé entre admiration et consternation. Car tous ces épisodes d’une durée moyenne de 30 minutes, nous donnent à voir des hommes et des femmes continuant à exercer des sports ancestraux à travers le monde et courant un danger considérable à chaque compétition… Tout ça pour ne rien gagner en échange mis à part l’honneur.

Lancer de tronc en kilt aux jeux des Highlands Eux n’ont pas le droit à la même appellation guerrière malgré leur morphologie déconcertante. Les athlètes écossais participant aux jeux des Highlands, autre sport mis en avant dans la série Netflix, réalisent des épreuves de force presque surhumaines. Parmi les plus impressionnantes : le lancer de tronc.

« En 59 av. J-C, à l’époque où les légionnaires romains fondèrent la colonie de Florentia, ils jouaient au Calcio Storico pour rester en forme » Luciano Artusi, président du Calcio Storico de Florence Au Calcio Storico, tous les coups sont permis pour dégager du terrain. © Netflix

Les gladiateurs des temps modernes du Calcio Storico Si l’on se demande, avant visionnage, pourquoi cette série est déconseillée au moins de 16 ans, on trouve facilement la réponse dès lors que l’on débute l’épisode sur le « Calcio Storico ». Une pratique à cheval entre le rugby et les arts martiaux, d’une violence inouïe, inscrit dans le patrimoine de Florence en Italie, depuis près de 500 ans. Pour Luciano Artusi, président du Calcio Storico de Florence, ce sport fait partie intégrante de l’histoire de la ville : « En 59 av. J-C, à l’époque où les légionnaires romains fondèrent la colonie de Florentia, ils jouaient pour rester en forme. » La version de cette pratique a depuis été modifiée même si les joueurs actuels, plus communément appelés les gladiateurs des temps modernes, jouent encore avec les règles réinstaurées depuis 1530.

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« Je me sens plus écossais depuis que je participe aux jeux », déclare le lanceur, Kyle Bandalls. Pour cet athlète, participer aux jeux des Highlands, renvoie avant tout à une fierté nationaliste. Pas étonnant lorsque l’on connaît la volonté d’indépendance féroce du pays depuis 2007, à l’issue de l’élection du parti national écossais (SNP). Mais les jeux des Highlands sont encore plus anciens, puisqu’ils datent de l’époque médiévale et plus particulièrement du XIe siècle, époque à laquelle les clans régissaient encore l’Écosse. L’entraîneur d’un des athlètes du jeux des Highlands, Alastiar Gunn, explique : « Les chefs de clans choisissaient les hommes les plus forts, comme leur garde du corps pour affronter le clan voisin. Puis il y a environ 140 ans, les jeux se jouaient entre fermiers. » Aujourd’hui, il y a plus de 100 jeux chaque été, en Écosse. Pour y participer, il faut porter un kilt, mais pas sûr que seule cette jupe à carreaux permette d’atteindre les aptitudes de ces athlètes originaires du pays du Loch Ness. Lucas MOLLARD


Quiz Terriens vous propose un jeu. Avez-vous bien lu nos différents articles ? Si vous avez malencontreusement oublié un détail, notre rédaction ne vous en tient pas rigueur. Nous vous invitons donc à relire les pages qui vous ont échappées. Je sais que vous mourrez d’envie de commencer ce quiz, alors Terriennes, Terriens, amusez-vous !

Quelle est la première personne à utiliser le terme « soft power » ?

Le site Pornhub a enregistré combien de visites en 2019 ?

Quel jeu a généré le plus d’argent en 2020 ?

Réponse : Page 6

Réponse : Page 45

Réponse : Page 93

Dans quel pays déguste-t-on de la tourtière à Noël ?

Quelle ressource naturelle a fait la richesse de l’île de Nauru ?

Comment pratique-t-on le « Calcio Storico » ?

Réponse : Page 62

Réponse : Page 34

Réponse : Page 97

Pourquoi les Hikikomori décident de se retirer de la vie sociale ?

Quel pays a récemment autorisé le droit à l’avortement ?

Combien d’enfants travaillent chaque jour dans le monde ?

Réponse : Page 16

Réponse : Page 48

Réponse : Page 78

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Anthony COMBEROUSSE & Ugo MAILLARD

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Comme le disait John F. Kennedy, « Ne vous laissez pas abattre ». Coluche

FIN T

out à une fin. Cette phrase se finira par un point. Ce magazine finit par ce bref édito. Et puis comme tout a une fin, tous les défis que nous avons abordés aussi, peut-être, trouveront une issue, un dénouement, un acte final. Et voilà où je voulais en venir. Si tout a une fin, mieux vaut apprécier le voyage. Et Terriens a été conçu dans cet esprit. Nous, jeunes apprentis journalistes, nous souhaitons voyager, connaître et découvrir. Non pas pour trouver une solution, mais pour donner les clés nécessaires à ceux qui souhaitent ouvrir de nouvelles portes. À l’image de ce magazine, rien ne s’est fait en un jour. Ces pages ne sont pas écrites d’une seule plume. Et notre voix ne s’élève pas pour une seule et même personne. Répondre aux défis d’aujourd’hui, c’est avant tout accepter le défi millénaire de travailler

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ensemble. De s’aimer, de s’entraider et d’avancer à l’unisson. Au-delà des rêves, des idées et des croyances que chacun doit avoir, il nous faut trouver une force commune qui n’a ni couleur, ni milieu social, ni engagement dans un parti politique. Mais qui connaît simplement la seule vérité qu’est la vie. Alors il est vrai que tout a une fin. Ce bref édito finira par un point. Et chacun d’entre nous finira son voyage par un dernier soupir. Mais en attendant, notre voyage est délicieux. Terriens porte le message d’une unité. Les défis sont communs. La Terre est notre unique foyer. Et chaque terrien que l’on croise est un colocaterre. Nous voici à la fin d’une chose. Et peut-être au début d’une autre. Cela, vous en êtes le seul maître, nous en sommes les seuls acteurs. Ainsi, si vous y croyez, sachez que moi aussi, nous aussi. Corentin RICHARD


100 pages pour s’envoler. Découvrir des témoignages, des histoires, des vies à l’autre bout du monde. Terriens vous donne la possibilité de comprendre l’impact des enjeux du XXIe siècle sur le quotidien des habitants de notre planète. Quelles seront les grands défis à relever dans les prochaines années ? Quelles sont les espérances des peuples du monde pour leur planète ? Plongez-vous dans notre magazine.


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