ACCENT #8 Le magazine d'actualité internationale des B2 journalisme

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Sommaire

Édito

L’accent de la rédac’

MédiAccent DÉSINFORMATION

L’Accent de

Guillaume Besson, rédacteur en chef

L

Depuis 1 an et l’arrivée au pouvoir du président autoritaire Jair Bolsonaro, la cacophonie s’est de nouveau installée, 35 ans après la dernière dictature militaire. Dans ce nouveau régime politique entre démocratie et dictature, les fous peuvent parfois être lucides, contrairement aux lucides qui eux commencent depuis 1 an à avoir peur. D’ailleurs si c’était elles, « les personnes lucides », qui depuis le début avaient raison de craindre ce président aux multiples facettes. Face à cette crise sanitaire, nombreux sont les pays en Europe, en Asie, en Afrique, en Océanie ou encore en Amérique qui ont appliqué à la lettre le confinement pour lutter intégralement contre cette pandémie. Jair Bolsonaro, lui, de son côté rejette cette théorie et contrairement à ses homologues ne ferme aucune porte pas même celles des salons de coiffure et des salles de musculation. Pour pousser l’exagération encore plus loin, le président d’extrême droite n’a pas hésité à défier les propres règles de son gouvernement en allant à la rencontre des gens dans les rues de Brasilia. Des sorties à répétition, le licenciement d’un ministre de santé favorable au confinement et des tweets supprimés, Jair Bolsonaro a toutes les caractéristiques d’un enfant immature et égoïste qui prône au sein de son pays une « politique du déni ». Néanmoins cette situation peutelle encore durer alors que les hôpitaux se remplissent et que le pic de l’épidémie est attendu pour la fin mai ?

INTERVIEW

Bruno Meyerfeld page 5

Bolsonaro fait son one-man-show a Covid-19 n’aura donc pas épargné le Brésil. Longtemps immunisé, un temps éloigné du poumon de la planète, désormais le virus est venu se greffer dans les rues du nouveau pays émergent. Jour après jour le plus grand pays d’Amérique du Sud enterre ses morts et devient petit à petit le nouvel épicentre de la pandémie. À qui la faute ?

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jour. La faute à un président, qui sème la peur au cœur d’un pays touché de plein fouet par un virus mortel, et qui n’a toujours pas réglé ses problèmes d’inégalités et de violences. Actuellement près de 70 % des Brésiliens sont pour une distanciation sociale, donc jugeote et réflexion devraient être de mise dans la tête du président avec cette soudaine accélération de la pandémie dans son pays. Un État qu’il a pourtant qualifié « de plus bel endroit du monde » avant son investiture, mais qui a selon lui «besoin d’aides, de surveillances et de protections». Des paroles qui n’ont pas vraiment de sens en cette période.

CRISE SANITAIRE

Accent Grave

Accent de la semaine page 6

DÉFORESTATION

page 8

Manaus

REFORESTATION

Belém São Luís

Accent Aigu page 9

Fortaleza

Accent Éco

Recife Rio Branco Salvador Brasilía

page 10 Rio de Janeiro

Santos

EFFONDREMENT

São Paulo

Pôrto Alegre

CENTRE SPATIAL

French Accent page 11

Rédactrice en chef & coordination : Guillaume Besson Rédaction : Léo Ballery, Guillaume Besson, Lucile Brière, Vincent Imbert, Alixan Lavorel, Kévin Masegosa, Lancelot Mésonier, Eulalie Pernelet et Théo Zuili Secrétaires de rédaction : Lancelot Mésonier et Alixan Lavorel Conception graphique, maquette & dessin de presse : Eulalie Pernelet et Théo Zuili Community manager : Alixan Lavorel @_AccentMagazine

Ni même les scientifiques, ni même les virologues ne savent précisément quand s’arrêtera ce marasme. Tout ce qu’on sait c’est qu’à présent des dizaines de milliers de Brésiliens décèdent au même titre que de millions d’hectares de forêt en Amazonie disparaissent chaque 2

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L’Accent de Bruno Meyerfeld

MédiAccent Une guerre contre la liberté de la presse Actuellement, le Brésil est classé 107 au classement mondial de la liberté de la presse, ce qui en fait l'un des plus mauvais élèves. Une situation qui ne cesse d'empirer entre manques de transparence, ingérence politique, religieuse et économique. À cela s'ajoute le fait que cinq groupes ou individus, souvent proches du pouvoir en place, possèdent plus de la moitié des médias brésiliens.

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epuis 2018 et l'élection de Jair Bolsonaro, les rapports entre journalistes et classe politique aux Brésil sont ambigus. Certains grands médias ont aujourd'hui un rôle que l'on peut considérer comme de la communication politique, à l’image de RecordTV. En effet, il est plus sûr pour ces grands groupes de presse d’être du côté de l’Etat. Une situation dénoncée en 2019 par l'Observatoire de la Presse (une entité civile qui surveille les médias brésiliens). À l'inverse, certains médias s'opposent fermement au gouvernement et publient régulièrement enquêtes et reportages. Malheureusement, ces journalistes engagés subissent souvent des menaces, des agressions, voire parfois des assassinats.

Un climat de haine La stratégie de Bolsonaro et de ceux qui l’entourent consiste à créer un climat de haine et de terreur envers les journalistes ou tout ce qui s’en rapproche. À l’instar du blogueur Leonardo Pinheiro, connu pour être très critique du gouvernement, et qui a été assassiné en pleine rue le 13 mai 2020. En effet, la violence est la principale manière de faire taire les journalistes. Cela passe par des menaces et des agressions physiques, mais aussi par une violence morale. Il n’est pas rare que des journalistes brésiliens

passent devant les tribunaux pour des faits inventés de toute pièce. Pour créer ce climat et qu’il perdure, le président a de nombreuses méthodes, sa préférée consiste à insulter et humilier publiquement des journalistes dans le but de les décrédibiliser aux yeux du grand public. Tout comme son homologue américain, Bolsonaro est un fan des réseaux sociaux, lieu où il peut exprimer sa haine envers les journalistes. Et cela passe par moment par des mises en scène. Comme le 3 mars 2020 où le président brésilien est venu à une conférence de presse accompagnée d’un sosie chargé de distribuer des bananes aux journalistes (au Brésil c’est une insulte), il ira même jusqu’à demander à son sosie de répondre à une question qu’il jugeait trop gênante, tout cela en direct sur les réseaux sociaux présidentiels.

La désinformation La désinformation et les fausses accusations à l’encontre des journalistes sont monnaie courante pour Bolsonaro, et elles ont explosé avec l’apparition du coronavirus. Son ministre de la santé ira jusqu’à dire que les journalistes sont « sordides » et « toxiques » lorsqu’ils parlent du Covid-19. Des mots qui annoncent la couleur. Léo Ballery

« Le Brésil devient le paria de l’Amérique du Sud » Bruno Meyerfeld est Franco-Brésilien et correspondant du Monde au Brésil depuis août 2019. Il nous donne des clés de compréhension sur l’état du pays en ce moment, et sur la gestion de la crise sanitaire. Tout d’abord, quelle est la situation générale sur place par rapport au Covid ? Quelle est l’ampleur de l’épidémie dans le pays ? Est-ce qu’un confinement a été mis en place ? On vient de dépasser les 16 000 morts, ça a doublé en dix jours. Le taux de transmissibilité est le plus élevé du monde. En moyenne de mort quotidienne, le pays est à la deuxième place derrière les États-Unis. Donc aujourd’hui, le Brésil est un des foyers les plus importants de l’épidémie, et le pic n’est pas encore atteint, il est prévu pour le mois de juin. En termes de mesures, le président n’a pris aucune décision forte pour protéger la population. Par contre, les États eux, ont réagit de manières plus puissantes. Cela reste quand même un confinement lâche qui tend à se durcir dans les semaines qui arrivent.

À l’instar de ce que fait Donald Trump aux USA, il semblerait que Jair Bolsonaro ait une position très marquée sur la question, qu'en est-il réellement ? Je pense que c’est pire que Trump. Bolsonaro en plus, joue la guerre contre les autres institutions du pays, il y a une crise politique profonde parce qu’il est poursuivi dans des affaires judiciaires. Il a un ton encore plus grave, il montre une réelle indifférence pour les morts du coronavirus. Quand le pays a passé la barre des 10 000 décès, il faisait des tours en Jet-ski, il a refusé de mettre le drapeau en berne. Il élargit quotidiennement la liste des activités considérées comme essentielles, même si les gouverneurs ne le mettent pas en place ensuite. En plus de cela il soupçonne le président de la chambre des députés, le tribunal fédéral et les gouverneurs, de comploter dans son dos en utilisant la pandémie pour le destituer. Donc il va vraiment plus loin que ce que peut faire Donald Trump.

Le Brésil est un pays où les inégalités sont importantes, cette crise du Covid-19 ne les expose pas-t-elle encore plus ?

Jair Bolsonaro face à la presse, le 17 octobre 2018, à l'occasion d'une conférence de presse. © AFP - Carl de Souza

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Complètement, particulièrement au niveau de la santé. Seulement 25 % des Brésiliens disposent d’une mutuelle privée, donc 75 % qui n’en ont pas et qui dépendent du SUS (système unique de santé). Mais ce système est très mal doté, constamment sous-financé, très inégalitaire en fonction des régions, certaines n’ont aucun lit de réanimation. Le système de santé privé dispose de 50% des lits de réanimation pour tout le pays, alors que seulement

25 % de la population y ont accès. Tout le monde n’est pas soigné de la même façon au Brésil c’est une évidence. Ensuite, évidemment les personnes aisées ou riches, ont les moyens de se confiner. Mais la moitié du pays qui est dans le secteur informel avec des emplois journaliers, sans contrat de travail, eux ils n’ont aucune aide sociale et ils ne peuvent pas s’arrêter de travailler. Le journal O’Globo, a sorti une étude qui dit que 5 millions de Brésiliens risquent de se retrouver en extrême pauvreté à la fin de l’année, en plus de ceux qui le sont déjà.

Comment la population réagit à la politique de Bolsonaro ? Est-ce qu’il est soutenu ou est-ce qu’il est en train de s’isoler ? C’est très contradictoire. Même dans ma cour d’immeuble les voisins s’insultent, de « fasciste » pour les uns, et de « pourriture de communiste » pour les autres. Ce qu’on peut dire, c’est que les indécis sont plutôt en train de pencher du côté du rejet. Dans l’autre sens, les convaincus du premier jour, représente toujours la même proportion, c’est-à-dire à peu près 1/5eme de la population. Il a un socle très solide. Il y a un point intéressant qui est en train de se soulever, c’est que le Brésil devient le paria de l’Amérique du Sud, tous les gouvernements frontaliers ferment leur frontière et n’ont aucune intention de la rouvrir par la suite.

On sait que les Evangéliques sont une communauté très puissante au Brésil et qu’ils ont joué un grand rôle dans l’élection de Bolsonaro, quel rôle ont-ils aujourd’hui dans la gestion de cette crise ? Sont-ils toujours au soutien du président ? C’est une pièce cruciale de l’édifice de Bolsonaro. Au début de la pandémie, il y a eu un léger flottement dans leur position. Certains grands leaders ont tenu des propos complètement « Corona septique », mais bon an, mal an, ils ont été obligés de fermer leurs églises. Globalement, ils ont finalement pris conscience de la dangerosité du virus et ont aidé les autorités à mettre en place les mesures de confinements. Si l’on parle des Evangéliques politiques, donc ceux qui sont au gouvernement aux côtés de Bolsonaro, eux sont des businessmen, donc ils veulent que les commerces rouvrent. Par ailleurs, ceux qui se mettent vraiment en lumière, c’est l’aile militaire du pays, qui est le vrai grand soutien du président en ce moment, ils sont beaucoup plus visibles que les évangéliques. Propos de Bruno Meyerfeld, recueillis par Lancelot Mésonier 5


Accent de la semaine Le gouvernement brésilien au bord de l'implosion face à la crise sanitaire Nommé le 17 avril dernier, le ministre de la santé brésilien Nelson Teich démissionne le 15 mai, en pleine crise sanitaire. Un troisième départ au sein du gouvernement depuis le début de l’épidémie qui ne cesse d’affaiblir le président brésilien Jair Bolsonaro. Alors que le pays dépasse les 15 000 décès, le président continue sa politique démagogique au détriment des Brésiliens les plus à risque.

distance entre chaque personne et le masque est quasiment inexistant, ces « Corona septiques » condamnent les mesures de confinement prises par leurs gouverneurs d’États. Des manifestants pros Bolsonaro donc, et tout ceci ne tombe évidemment pas, dans l’oreille d’un sourd. Salue, serrage de main, accolade, le président brésilien, par pure démagogie politique, acclame et encourage les manifestations « anti-confinement. » Attention, il ne s’agit pas de croire que la popularité du président n’a jamais été aussi haute. Au contraire. Selon un dernier sondage (CNT) les Brésiliens désapprouvent à 55,4% la gestion de la pandémie par leur président, contre 47% au début de la crise. Pour cause, quand les riches peuvent se soigner et que les évangéliques pensent être protégés par Dieu, les plus pauvres, eux, prennent de plein fouet l’épidémie.

Quand les pauvres s’appauvrissent 13 millions de Brésiliens vivent dans des favelas. Joa Doria, gouverneur de São Paulo (État le plus touché par le Covid-19), a appelé à la population à rester chez elle. A Paraisópolis, un des quartiers les plus pauvres de São Paulo, avec plus de 100 000 habitants, ces derniers ont l’habitude d’être délaissés par l’État, et ont acquis une certaine culture de la solidarité. Par exemple cette initiative d’élire 420 « présidents de rue », ainsi chaque président veille sur 50 maisons de la favela et est tenu d’informer en cas d’urgence médicale dans une des maisons. Les associations du quartier ont également contacté sept professionnels de santé, disponibles à toute heure, pour les habitants de la favela et ont mis en place des formations de secouristes. Deux écoles ont

Jaïr Bolsonaro a participé à une manifestation, le 3 mai, contre les mesures de confinement décidées par les gouverneurs et les maires du pays. © AFP - André Borges

été également changées en centre d’accueil. Mais c’est aussi les restaurants qui distribuent des paniers-repas au plus nécessiteux. Les inégalités sociales ne sont pas nées d’hier, mais elles n’ont jamais été aussi accrues. Dans un pays où certaines élites blanches se donnent le « privilège » de nier l’existence de ce virus mortel, d’autres populations en subissent de plein fouet les dégâts. Ces derniers sont les plus exposés, car largement majoritaire en tant qu’employés dans les services de première nécessité. Mais aussi, car la majorité habite dans les favelas, là où il est difficile d’appliquer les gestes barrières. Très pauvres, ils ont faiblement accès aux soins et ceux qui se rendent dans les services de santé publics découvrent des hôpitaux saturés. Les habitants des favelas se créent finalement leurs propres politiques publiques pour pallier les carences de l’État. Un État en proie à une catastrophe sanitaire. Lucile Brière

Amanda Barros Vasconcelos Silva, à droite, inscrit une résidente de Paraisópolis, sans emploi, au programme de repas gratuits. La résidente a perdu son emploi à cause de la pandémie. © Gui Christ

«C

ertains vont mourir ? Oui, bien sûr. J’en suis désolé, mais c’est la vie. On ne peut pas arrêter une usine de voitures parce qu’il y a des morts sur la route chaque année. » Ces mots ont été prononcés au début du mois d’avril, par le président du Brésil, Jair Bolsonaro lui-même, opposé à la fermeture des activités économiques non essentielles. Alors que le Brésil n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie, cette phrase résume assez bien la politique actuelle menée dans le pays le plus touché d’Amérique latine. Depuis le début de la crise le président a presque fait autant parler de lui, que le président américain Donald Trump. Beaucoup se demandent à quoi joue le président brésilien. Après avoir limogé son ministre de la santé, Luiz Henrique Mandetta, avec qui il avait de profonds désaccords sur la lutte contre le coronavirus, c’est Sergio Moro qui a

claqué la porte du ministère de la Justice en condamnant le président « d’ingérence politique » dans les affaires judiciaires. Suivi du départ plus récent du ministre de la Santé Nelson Teich. Alors que Jair Bolsonaro est le sujet d’une enquête ouverte par un juge de la Cour suprême, le président semble jusqu’ici au pied du mur, avec un isolationnisme plus fort que jamais.

Sans masque, la fête est plus folle Celui qui était qualifié de « grand cheval » à l’armée n’a pas dit son dernier mot. En témoignent les images des manifestations « anti-confinement » qui ont lieu tous les week-ends. Chacun scande être radicalement opposé au confinement, d’autres martèlent avoir peur de ne plus pouvoir payer leurs impôts, ou encore payer leurs employés… Dans la foule, on est loin des un mètre de

Des chômeurs font la file à Rio de Janeiro pour entrer dans une banque étatique et obtenir de l'aide financière. © The Associated Press – Silvia Izquierdo

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Accent Grave

La déforestation illégale d’Amazonie s’accélère

Accent Aigu

La déforestation amazonienne a déjà augmenté de 55% par rapport à la même période l’an passé. Depuis le 11 mai, l’armée brésilienne s’active pour tenter de la réduire. Pourtant, la science prévient : les interventions humaines en zones indigènes peuvent ouvrir la porte à de nouveaux virus.

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n Amazonie brésilienne, la déforestation est au plus fort. Depuis janvier, 1202 km² de forêt ont disparu, selon les images satellites de l’Institut brésilien de recherches spatiales (INPE). Cela représente une augmentation de 55% par rapport à la même période en 2019. Pourtant l’an dernier, la déforestation était déjà au plus haut. Le seuil des 10 000km² de forêt pillée avait été dépassé pour la première fois, depuis la création de ces statistiques en 2008. La destruction massive avait été en grande partie provoquée de mai à octobre par des incendies incontrôlables.

situées dans des zones indigènes. Le bétail produit sur ces terres est illégalement vendu aux fournisseurs de JBS, principale multinationale brésilienne de l’industrie agroalimentaire. Le groupe, qui fournit les rayons boucherie de Carrefour et Casino au Brésil, s’était pourtant engagé à arrêter tout type de production liée à la déforestation illégale.

Embellie pulmonaire

La destruction des riches forêts brésiliennes attire l’attention nationale et internationale depuis la fin du XXe siècle. De nombreux acteurs écologistes multiplient les actions pour protéger et restaurer ces étendues vertes.

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a forêt amazonienne est concernée par le plus grand projet de reforestation du monde. En 2017, l’entreprise Rock in Rio a décidé de reboiser 30 000 hectares de forêt Amazonienne au Brésil en plantant 73 millions d'arbres, dont 200 types de graines différentes. Ce but devrait être atteint en 2023.

Depuis le début de son mandat, Jair Bolsonaro a promis de s’engager dans la protection de l’Amazonie, dont plus de 60% des terres se trouvent au Brésil. Le 7 mai dernier, le président a autorisé l'envoi de l'armée pour lutter contre la déforestation illégale et les incendies. Les forces, qui sont déployées depuis le 11 mai, le resteront jusqu’au 10 juin.

« L’Amazonie est un grand réservoir à virus » Le scientifique brésilien de l’environnement, David Lapola, remet en question « l’utilisation de l’armée pour toutes sortes de problèmes au Brésil. Cela démontre une certaine crise institutionnelle ». Par ailleurs, il s’inquiète aussi du danger des interventions humaines en Amazonie. Selon lui, elles peuvent « provoquer des déséquilibres écologiques et propager des maladies. » Les virus de la faune indigène pourraient être transmis aux hommes. Ces transmissions ont le plus fréquemment lieu en Asie du Sud et en Afrique. Néanmoins, la diversité des espèces en Amazonie pourrait faire de la région « le plus grand dépôt de coronavirus du monde », insiste le chercheur. « L'Amazonie est un réservoir à virus » affirme-t-il. La possibilité de l’émergence d’un nouveau virus doit être considérée, mais ce n’est pas le problème majeur de la déforestation. Aujourd’hui, ce qui frappe l’Amazonie, concerne l’agriculture.

Le marché bovin continue de profiter de la déforestation illégale La déforestation sert en partie à accroître la production de soja. Une denrée récoltée puis vendue aux exploitations bovines européennes ou américaines. L’ONG Greenpeace a récemment découvert plusieurs mines illégalement

Vue aérienne d’une zone de la région de Boca do Acre en Amazonie. La région subit une hausse de la déforestation alors que la saison sèche, favorisant les incendies, n’a pas encore débuté. 24 avril 2020. © AFP - Lula Sampaio

Greenpeace a d’ailleurs alerté la Commission européenne de ces pratiques. L’ONG réclame l’arrêt de la mise sur le marché européen de tous les produits liés à la déforestation, à la destruction d'autres écosystèmes et aux violations des droits de l'homme qui y sont liées. Estimant aussi que « les entreprises complices de la destruction de la forêt tropicale pour la production de viande, de bois ou de minéraux aggravent considérablement la crise actuelle et future à laquelle nous sommes confrontés ».

La ferme du photographe franco brésilien Sebastião Salgado avant et après qu'il ai replanté 2,7 millions d'arbres en 20 ans. Un projet qui a engendré progressivement le retour des animaux. © Daily Geek Show

Début 2020, de nombreux collectifs d’organisations* ont proposé de protéger 30 millions d’hectares de forêt tropicale et les 500 000 indigènes y habitant, en lançant l'initiative « Bassins Sacrés, Territoires pour la Vie ». La restauration de la forêt amazonienne est encore un rêve lointain, mais les initiatives, parfois repoussées par le gouvernement, se multiplient et l’opinion est favorable au sauvetage de ce territoire considéré comme « le poumon de la Terre ».

Une forêt menacée, mais avec l’espoir qu’elle renaisse

Eulalie Pernelet 8

La forêt amazonienne n’est pas la seule étendue d’arbre centenaires qu’abrite le Brésil. 80 fois plus petite en

superficie, la Mapa Atlantica (ou Forêt atlantique en français) localisée sur le littoral brésilien abrite une biodiversité aussi riche. Appelée la forêt oubliée, cette zone boisée montagneuse concentre une biodiversité exceptionnellement dense et est peuplée en quasi-majorité d’espèces endémiques, qui n’existent nulle part ailleurs sur la planète. Cette « forêt oubliée » est au cœur des préoccupations des écologistes. L’étendue de cette forêt tropicale a perdu 92,7% de sa superficie initiale depuis le début du XXe siècle. Elle est l’une des forêts les plus menacées du monde, en partie également à cause de l’urbanisation. En effet, les métropoles de São Paulo, Rio de Janeiro, Recife, Salvador de Bahia ou encore celle de Porto Alegre, aux portes de ce point chaud de biodiversité, s’étendent aux pieds des arbres. De nombreuses ONG se sont donc saisies de l’urgence de la situation pour protéger et restaurer ce trésor naturel. La Banque mondiale a fait don de 44 millions de dollars pour créer un « biocorridor » artificiel, une infrastructure écopaysagère pour reconnecter entre elles les différents habitats vitaux aux espèces séparées par la déforestation. L’initiative a été une réussite retentissante et l’État de São Paulo a créé un parc national pour protéger 93 000 hectares de biocorridor naturel. Tandis que le photographe franco-brésilien de renom Sebastião Salgado a permis le reboisement quasi intégral d’une vallée entière grâce à son institut « Terra », en plantant 2,5 millions d’arbres, l’ONG «The Nature conservancy» prévoit de l’imiter en restaurant d’autres parties disparues de la forêt. La somme de ces efforts a permis le retour de plus de 220 espèces animales disparues dans la zone, devenue « réserve privée du patrimoine naturel ». Avant ces projets d’envergure, moins d’un pour cent de la forêt subsistait.

* Comme la CONFENIAE et l’AIDESEP, la Fondation Pachamama, l’Amazon Watch ou la Pachamama Alliance.

Théo Zuili 9


French Accent

Accent Éco Un effondrement économique

La Guyane, l’eldorado à la française

La Guyane française, autrefois utilisée comme colonie pénale, est un territoire aussi isolé que convoité, abritant le fleuron de la technologie spatiale mondiale. Un joyau stratégique pour la France, tant sur les questions géopolitiques et économiques qu’environnementales.

À quelques semaines du pic du coronavirus, le Brésil, qui vit la plus grosse crise économique de son histoire, due au Covid-19, pourrait être confronté à son effondrement économique. L’alerte est sérieuse et le pays va devoir faire face, entre autres, aux pénuries alimentaires.

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Comme la distance en kilomètres séparant Cayenne, la capitale régionale de la Guyane, à Paris en métropole. Dernier territoire possédé par la France en Amérique continentale, la Guyane s’impose avec ses 83000 km2 comme la seconde plus grande région de France. Choisie depuis 2018 pour héberger le pas de tir du futur lanceur européen, Ariane 6, la crise sanitaire est venue mettre à mal l’avancée des travaux. Le chantier sur la base spatiale a en effet été interrompu le 16 mars dernier à cause du coronavirus et devrait reprendre le 25 mai. Alors que le premier vol inaugural devait avoir lieu en fin d’année 2020, celui-ci est repoussé à l’année prochaine. C’est un coup dur pour l’Agence spatiale européenne (ESA) qui voit la concurrence devenir de plus en plus forte ces dernières années, notamment face aux Américains de Space X.

Une fenêtre vers l’espace dès 1965 Un temps utilisé comme prison géante avec l’instauration du bagne, la Guyane abandonnera son titre de colonie en 1946 après que de nombreux combattants guyanais aient rejoint la Résistance française et De Gaulle dès 1940. C’est d’ailleurs ce dernier qui comprendra très vite l’importance stratégique de ce territoire ultramarin en y installant, dès 1965, le centre spatial guyanais à Kourou. 55 ans plus tard, le centre spatial de Kourou est un véritable atout stratégique pour la France. Considéré comme l’un des meilleurs emplacements de tirs de fusée grâce à sa proximité avec l’équateur de la Terre, le fleuron de la conquête spatiale européenne est aujourd’hui exploité par le Centre national d'études spatiales (CNES), Arianespace ou encore l’ESA.

La ville de Rio avec une forte représentation de ses inégalités, au premier plan les favélas et au second les buildings. © Pixabay

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e pays de 210 millions d'habitants voit actuellement sa courbe de contamination du Covid-19 progresser à un rythme très inquiétant, cela pourrait avoir des conséquences extrêmes. Dans de grands centres urbains comme Sao Paulo et Rio, les deux principaux foyers de contamination, mais aussi des villes du Pernambouc ou d'Amazonie, comme Manaus, les unités de soins intensifs des hôpitaux sont déjà quasi saturées. Le président d'extrême droite, Jair Bolsonaro, a réitéré son opposition aux mesures de confinement imposées pour sauver des vies par une majorité de gouverneurs et de maires, soutenus par la Cour suprême qui leur a accordé une autonomie de décision dans la lutte contre le coronavirus. Il refuse donc de sacrifier l’économie du pays au bénéfice de la sécurité sanitaire. Mais dans tous les cas, la désorganisation de la production, que le virus entraîne, risque d’avoir des conséquences dramatiques pour le plus grand pays d’Amérique latine.

Chute de la production de véhicule En avril, seulement 1 847 véhicules (voitures, véhicules utilitaires légers, camions et bus) ont été produits dans les 65 usines du pays, contre 189 958 en mars, et 267 561 en avril 2019. Soit une baisse de plus de 99% entre mars et avril. C’est le plus petit nombre de véhicules produits en un mois depuis 1957. Avril a été le premier mois complet

à subir l’impact des mesures de confinement mises en œuvre par le gouvernement. Mais déjà pendant les mois précédents, la production automobile avait baissé, alors que la pandémie commençait à paralyser l'économie mondiale et que le Brésil prenait les premières mesures de protection. Étant l’un des pays qui produisent le plus de véhicules de la planète, la forte chute de la production s'est accompagnée d'un recul tout aussi dramatique des ventes sur le marché intérieur et sur les exportations, ce qui impacte directement les revenus nationaux.

L’espace n’est pas le seul domaine permettant à la Guyane de faire rayonner la France dans le monde. Le dernier bastion français en Amérique concentre des ressources

Les inégalités continuent de se creuser Quand le fléau est entré sur l'immense territoire brésilien, les épidémiologistes l'ont constaté, les premiers cas de contamination étaient essentiellement des habitants rentrant de l'étranger, des habitants appartenant à la classe aisée. La population pauvre avait alors estimé que le coronavirus ne pénétrerait pas à l'intérieur des favelas. Et comme les gens ont continué de travailler comme si de rien n'était, la pandémie s'est développée et diffusée. Par exemple, 30% des habitants des favélas de Rio sont touchés contre seulement 2,4% dans les quartiers très huppés de la ville. La pandémie creuse les inégalités pour la précarité, l’accès aux soins et les conditions de vie entre autres.

Tir d'une fusée à Kourou depuis le CSG (Centre Spatial Guyanais) © Getty - Olivier Bourjac - EyeEm

Kévin Masegosa 10

Le lanceur lourd européen Ariane 5, à Kourou en Guyane française. © AFP - Jody Amiet

économiques (minières ou via l’agrandissement de la ZEE), stratégiques et environnementales uniques et cruciales pour la France et l’Europe. L’armée française est également largement présente en Guyane, permettant une projection rapide des troupes partout en un temps record et une formation des soldats aux spécificités de la jungle tropicale. L’US Army envoie d’ailleurs régulièrement des troupes en Guyane pour s’entraîner au côté des légionnaires français de Cayenne.

Le voisin brésilien Bien que beaucoup l’ignorent, la plus grande frontière que partage la France avec un autre pays ne se trouve en Europe, mais en Amérique du Sud avec le Brésil. Alors que 97% de la surface de la Guyane est recouverte par l’Amazonie, face au pyromane Bolsonaro la France est en partie responsable de l’entretien de la forêt tropicale. L’Hexagone joue plutôt bien ce rôle de préservation. Plus de 99% des bois guyanais appartiennent à l’État selon l’Office national des forêts et un gigantesque parc de 3,4 millions d’hectares (grosso modo plus de 700 fois la superficie de la ville de Lyon) a été créé en 2007 pour protéger la faune et la flore sauvage. Récemment, le projet minier « Montagne d’Or » a également été suspendu par l’Élysée, le jugeant dangereux pour l’environnement et «pas compatible» avec le poumon vert de la planète, selon Emmanuel Macron en mai 2019. Autant de ressources stratégiques qui poussent certains hauts-fonctionnaires français a imaginer les pires scénarios catastrophe. La perte de la Guyane serait même « un désastre stratégique et géopolitique » pour la France, selon eux. Une situation paradoxale entre le prestige qu’apporte ce territoire à la France et sa méconnaissance en métropole. Quid du candidat Macron qui parlait, en 2017, de la Guyane comme d’une île pendant la campagne présidentielle… Alixan Lavorel 11


Samba de Jairo Ouvertement misogyne et homophobe, Jair Bolsonaro le président brésilien d’extrême droite n’a jamais caché sa nostalgie de la dictature. Du milieu populaire au cœur populiste. Il aurait pu s’appeler Jésus, comme le souhaitait sa mère. Il s’appellera Jair, comme le souhaitait son père, en hommage à un joueur de la Seleção (Jair Rosa Pinto). Au côté de ses cinq frères et sœurs, il grandit dans un contexte de Guerre froide et de menace communiste (1955-1964). Avec les yeux d’un enfant de neuf ans, il voit son pays passer sous un régime militaire, dont il se dit aujourd’hui nostalgique. Sa jeunesse et son arrivée dans la vie adulte sont marquées par la religion et un dévouement inébranlable envers l’armée. Diplômé de l'école militaire des Agulhas Negras, il sert d'abord comme soldat puis comme capitaine d'artillerie. En 1986, il devient le leader d’une protestation contre les salaires trop bas des militaires. Pour cela, il est emprisonné pendant 15 jours pour avoir « heurté l’éthique, créant un climat d’inquiétude au sein de l’organisation militaire ». Quid de sa vie de soldat, sa carrière politique est lancée.

Ses scandales sont des armes, ses mots sont des balles Jair Bolsonaro choque par une rhétorique incendiaire, une prise de position misogyne, raciste, homophobe et haineuse. De capitaine d’artillerie, il passe à « Capitaine mitraillette », qui rêve de libéraliser la possession et le port d’armes : « Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens ». Il va jusqu’à lancer à la députée Maria do Rosário qu’« il ne

la violerait même pas, parce qu’elle ne le mérite pas ». Jair Bolsonaro divise l’opinion brésilienne et surtout, il tranche avec les anciennes mœurs politiques. Le peuple est affaibli par la crise économique, atteint par les scandales de corruption, tétanisé par la violence. Sur les cendres encore chaudes du système politique brésilien et du Lulisme, Bolsonaro est élu président. Ses partisans le surnomment « Bolsomito », jeu de mot portugais ou mito signifie le mythe.

Présidence nationaliste et productiviste Le soir de son élection, Bolsonaro promet devant le Brésil et devant Dieu qu’il sera le garant « de la démocratie et de la liberté ». Un an après son pays a tourné le dos à la communauté internationale, notamment à propos des droits de l’Homme et de l’écologie. Bolsonaro devient « Capitaine tronçonneuse » et livre la forêt amazonienne aux plus offrants. Il sort de l’accord de Paris, relance les centrales à charbon, promeut la déforestation, puis change de surnom pour devenir le « Trump des tropiques ». Maintenant, il se montre incapable de gérer la récente crise du Covid-19. Bolsonaro ne croit pas en la science. Aux préconisations de l’OMS, il répond que «cette organisation ne sert qu’à pousser les enfants à l’homosexualité et à la masturbation». Le président d’extrême droite ne reconnaît pas les sciences, et pourtant, il incarne à la perfection l’infiniment petit. Vincent Imbert


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