Le Grand Entretien
duction d'un tirage au sort… Ce n’est pas un problème d’argent. Nous pourrions compenser certaines dépenses par la baisse du nombre de parlementaires, par exemple. Les solutions d’ajustement existent. Existe-t-il des pays qui ont su négocier cette crise politique ? Je pense que la globalisation entraîne un bouleversement puissant de tous les pays. Aucun n’y échappe, y compris des pays comme la Chine ou l’Inde. Sauf qu’eux ont le sentiment d’en tirer profit. Même s’ils se sentent très perturbés dans leur système culturel, bouleversés dans leurs conventions par les questions d’environnement, de famille traditionnelle et percutés par la culture globale que le Web diffuse, dans
laquelle nous nous trouvons tous. Tout le monde est touché, mais n’en a pas forcément la même perception. Dans les pays démocratiques, je défendrais l’idée que la démocratie est une convention en crise. Selon les systèmes, les réponses atténuent ou accentuent cette crise. Distingue-t-on des spécificités de la jeunesse française ? Nous avons réalisé une enquête sur les valeurs de la jeunesse (16-29 ans) dans une trentaine de pays sur les cinq continents (1). Les jeunes Français étaient parmi les rares à avoir un point de vue négatif et pessimiste pour leur pays dans le monde, mais pas pour eux-mêmes. Ils se projettent dans un futur possiblement réussi, se reposent
sur leur famille – celle d’où ils viennent et celle qu’ils veulent fonder – et leurs amis. C’est très frappant, très net et très fort. Au fond, émerge une étoffe de monde à soi – mon rapport au monde, à ma famille ou mes amis – bien plus positif que le rapport au monde politique national, jugé et estimé en crise avec le monde actuel. Comme si les jeunes Français, j’en suis convaincu, avaient perçu leur pays comme fâché avec leur époque. Je crois que c’est une caractéristique de la jeunesse française. Ce qui est dit sur la mondialisation, les menaces, les fermetures, heurte de plein fouet l’époque. Et l’époque est celle des nouvelles générations. On ne peut pas être jeune aujourd’hui et ne pas aimer son époque. On ne peut pas quitter son époque.
IONISMag #26 - Été 2014
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