ITAA-Zine | Numéro 9 - Novembre 2022

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L’expert-comptable est régulièrement confronté, au moment de la décla ration d’état de faillite d’un de ses clients, à la situation de déterminer si la relation en cours se poursuit ou non avec la curatelle.

Le curateur dispose d’un droit de résiliation sui generis des contrats en cours. Aussi pour les contrats intuitu personae comme celui de l’expert-comptable ou du conseiller fiscal

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-ZINE
L’état de faillite d’un client met-il fin à la lettre de mission de l’expertcomptable ou du conseiller fiscal ?
Numéro 9 | Novembre 2022 Édition mensuelle – Bureau de dépôt Gent X – P409030

L’état de faillite d’un client met-il fin à la lettre de mission de l’expert-comptable ou du conseiller fiscal ? 3

Colophon

ITAA-zine Magazine mensuel de l’ITAA (ne paraît pas en janvier et en juillet) N° 9/2022

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Le nouveau droit des obligations
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L’erreur est humaine, le pardon divin. Cela vaut-il également pour les contribuables ? 7 Le régime de report de paiement de la TVA 14
entre en vigueur dès le 1
janvier : soyez prêts ! 19

L’état de faillite d’un client met-il fin à la lettre de mission de l’expert-comptable ou du conseiller fiscal ?

L’expert-comptable est régulièrement confronté, au moment de la déclaration d’état de faillite d’un de ses clients, à la situation de déterminer si la relation en cours se poursuit ou non avec la curatelle.

Le curateur dispose d’un droit de résiliation sui generis des contrats en cours. Aussi pour les contrats intuitu personae comme celui de l’expert-comptable ou du conseiller fiscal?

1. Introduction

La présente contribution ne vise que les contrats de prestation de nature « intellectuelle », pas les ventes de biens ou les autres opérations comme le contrat de bail.

Quels sont les effets de la faillite d’une entreprise sur les contrats de prestation de nature « intellectuelle » en cours au moment de l’ouverture de la faillite ? S’il était évident au moment de la loi du 18 avril 1851 que les contrats restaient en vigueur, au fil du temps cette certitude a disparu, notamment par l’article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

Depuis l’arrêt de la Cour d’arbitrage (constitutionnelle) du 10 décembre 2003 1 , la question est plus complexe qu’il n’y parait.

2. Position controversée

Le 10 avril 2008, dans une affaire de baux à ferme, la Cour de cassation confirme que le curateur bénéfice, en application de l’article 46 de la loi

sur les faillites de l’époque, d’un droit de résiliation légal sur les contrats 2 La Cour poursuit en précisant que ce droit ne peut être exercé que dans l’hypothèse où l’intérêt de la masse des créanciers le justifie et que c’est à la curatelle de démontrer que cette condition est remplie.

Dans son rapport annuel de 2008, la Cour informe que cet intérêt est notamment le cas « lorsque la conti nuation du contrat conclu par le failli fait obstacle à la liquidation de la masse ou compromet anormalement cette liquidation ».

3. Le livre XX du Code de droit économique (CDE)

La loi du 11 août 2017 (livre XX CDE) a intégré cette jurisprudence en limi tant le fait qu’il ne pouvait être porté atteinte qu’aux seuls droits réels des tiers, pas à leurs droits personnels.

Le Code de droit économique apporte cependant des précisions importantes. L’article XX.139 CDE, paragraphe 1 er, oblige le curateur à

1 Cour d’arbitrage 10 décembre 2003, n° 161/2003.

décider, sans délai, dès son entrée en fonction, s’il poursuit ou non les contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de faillite.

Le curateur doit donc choisir s’il poursuit le contrat ou s’il le résilie uni latéralement lorsque l’administration de la masse de la faillite le requiert nécessairement.

4. Principe de la poursuite des contrats

Le curateur doit prendre position et, en l’absence de décision de sa part, il peut être mis en demeure de prendre position dans les quinze jours.

C’est à ce moment, sous réserve d’une prorogation amiable du contrat, si le curateur n’a pris aucune décision expresse, que le contrat est considéré comme étant résilié.

Le fait pour un curateur de continuer à tirer momentanément le bénéfice du contrat après l’ouverture de la faillite n’engendre pas une considération de volonté du curateur de poursuite tacite du contrat.

2 Cass. 10 avril 2008, C.05.0527.N, Pas. 2008/4, p. 860, avec concl. av. général G. Dubrulle, JT, 2008/20, p. 349.

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Les éventuelles dettes qui inter viennent entre le jour de la faillite et la décision de renon au contrat par la curatelle ne sont pas des dettes de la masse. En effet, ces dettes ne sont pas « divisibles » et le créancier arrête son compte au jour de la fin des opérations. Sa créance est inscrite sur son initiative, via Regsol, le Registre Central de la Solvabilité, au passif dans la masse de la faillite.

5. Clause de résolution ou résiliation du contrat

Sans préjudice du point 6., la faillite n’entraîne pas automatiquement la fin des contrats, sauf lorsque ceux-ci contiennent une clause qui prévoit expressément sa résolution ou résiliation lors de la survenance de l’état de faillite. La Cour de cassation considère que « la faillite ne met pas

3 Cass. 24 juin 2004, C.02.416.N, Pas. 2004/7-8, p. 1130 avec note A. Zenner et C. Alter.

fin à un contrat existant à moins que ce contrat contienne une clause réso lutoire expresse, … » 3

Dans la lettre de mission des profes sionnels, il est préférable de libeller la clause comme entraînant la résiliation du contrat. Ce pacte commissoire exprès permettra au professionnel, s’il échet, de demander des dommages et intérêts (cf. point 10.).

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La lettre de mission type de l’ITAA, disponible sur BeExcellent , prévoit cette clause.

6. Et le contrat intuitu personae d’un professionnel ?

Le contrat intuitu personae est celui conclu en fonction de la considé ration de la personne avec qui le contrat est conclu. C’est cet élément personnel qui amène la naissance du contrat entre les parties.

Différents exemples de ces contrats conclus en vertu de la personne qui contracte existent, comme le contrat d’assurance décès, le contrat de crédit, le contrat de travail, le contrat d’entreprise ou d’architecture, le contrat de franchise, le contrat d’ar tiste, d’enseignement, d’auteur, etc.

C’est le cas pour l’expert-comptable ou le conseiller fiscal. La lettre de mission conclue par un professionnel avec son client intervient parce que le client est convaincu de la compé tence, de la disponibilité, de l’hono rabilité de ce dernier, membre d’un institut professionnel et qui exerce une profession libérale. C’est ce caractère déterminant validé par le client lors de la conclusion du contrat qui détermine le caractère intuitu personae. Ce n’est pas uniquement l’objet ou la cause du contrat qui est pris en compte mais bien les qualités spécifiques de la personne qui va l’exécuter.

Si un contrat conclu en considération de la personne ne prend pas fin par sa mort 4 , ce contrat prend fin avec la faillite d’une des parties 5

L’expert-comptable ou le conseiller fiscal ne doit donc pas demander au curateur s’il poursuit la mission étant donné le caractère instantané de la fin de la lettre de mission au jour de l’ouverture de la faillite de son client.

7. Contrat suspendu

Il est fréquent que le professionnel, avant l’état de faillite et la situation de concours entre les créanciers, ait signifié à son client la suspension de ses prestations pour défaut d’inexécution, principalement le non paiement des honoraires échus.

Cependant, un contrat suspendu n’est pas résilié.

La faillite du client entraîne immé diatement au jour de l’ouverture de la faillite la fin du contrat du profes sionnel, même si ce contrat a été préalablement suspendu.

8. Fin de contrat et provision d’honoraires

La pratique révèle qu’il existe plusieurs formes de détermination des honoraires. Les deux grandes méthodes sont celles qui visent un forfait périodique, souvent mensuel, pour une série de prestations déter minées, ou selon un tarif horaire avec provisions. Dans les deux cas, la situation de faillite du client peut amener le curateur à solliciter du pro fessionnel un décompte précis des prestations effectuées et des mon tants éventuellement non absorbés qui seraient à restituer. De plus, cette reddition des comptes doit intervenir dans l’hypothèse fréquente et recom mandée déontologiquement où des provisions ont été encaissées.

La rédaction affinée de la lettre de mission est essentielle pour maîtriser ce que comprend le forfait et s’il est dû même en période d’absence de prestation.

Exemple

Le client d’un expert-comptable paie onze mois du forfait et il est déclaré en faillite début décembre. Le curateur pourrait prétendre que

4 Cass. 22 février 2008, C.07.0274.F, Pas. 2008/2, p. 486.

5 Cass. 24 juin 2004, C.02.416.N, Pas. 2004/7-8, p. 1130 avec note A. Zenner et C. Alter.

le forfait comprenait aussi toutes les opérations de clôture des comptes, de préparation de l’assemblée générale, de rédaction des projets de comptes annuels et de déclaration fiscale, etc. Hors la situation de faillite en décembre a mis fin au contrat de l’expert-comptable. Ces prestations n’ont pas été accomplies, de même que la déclaration TVA de la der nière période et le dépôt de la liste annuelle clients.

Des discussions sans fin pourraient intervenir et il n’est pas certain que l’expert-comptable finissent à ne rien devoir rembourser à la faillite.

Consulter un avocat pour prévenir ce genre de situation déjà rencontrée moyennant la rédaction de clauses contractuelles appropriées est très utile.

L’attention sera aussi portée sur la notion de bénéfice sans cause.

faillite

Lorsque le curateur décide de pour suivre le contrat, par exemple par prorogation amiable, les obligations et prestations effectuées après le jugement déclaratif de faillite sont à charge de la masse.

Si le curateur poursuit la lettre de mission en cours avant la faillite, c’est l’entièreté du contrat qui est pour suivi, même dans l’hypothèse ou cer taines clauses ou opérations seraient contraire à l’intérêt de la masse ou au principe d’égalité des créanciers. Ce serait le cas lorsque l’expert-comp table met à jour la comptabilité du failli afin de déterminer avec précision la dette de la TVA, du fisc, etc. et peut-être ainsi augmenter le montant des dettes privilégiées institutionnelles au détriment d’autres créanciers.

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9. Poursuite du contrat au profit de la masse de la
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Afin d’éviter toute équivoque, dans la quasi-unanimité des cas, les curateurs cessent le contrat ancien au profit d’une nouvelle base contractuelle après faillite.

Le professionnel a donc intérêt à conclure une nouvelle lettre de mission particulière avec la curatelle, souvent pour une mission spécifique et une durée déterminée.

Malgré le fait que le professionnel bénéfice pour cette mission nouvelle du privilège des dettes de la masse, en fonction de la réelle consistance des actifs à réaliser il est utile et recommandé pour le professionnel d’encaisser une provision auprès de la curatelle.

La conclusion d’une nouvelle lettre de mission avec l’expert-comptable ne fait pas l’objet d’une approbation préalable du juge-commissaire à la

faillite. Régulièrement cette décision est prise par le curateur en concerta tion avec ce dernier.

10. Dommages et intérêts pour résiliation anticipée

La faillite peut être une cause d’inexé cution fautive lorsque le contrat n’est pas poursuivi par le curateur, lorsqu’il prend fin en vertu d’une clause contractuelle ou eu égard à son caractère intuitu personae

La créance de dommages et intérêts éventuellement dus au professionnel, bénéficiaire du contrat rompu, entre dans la masse de la faillite et consti tue souvent une créance chirogra phaire sans privilège particulier.

C’est la raison pour laquelle, étant donné l’espoir faible – voir nul – d’ob tenir un dividende de la faillite, les experts-comptables ne perdent pas de temps à quantifier ces dommages et intérêts afin de déposer leur créance sur Regsol .

11. Conclusion

Le contrat du professionnel prend fin avec la déclaration par le tribunal de l’entreprise de l’état de faillite de son client.

La lettre de mission doit être rédigée de manière préventive pour assoir les honoraires perçus par le profession nel en cas de faillite de son client.

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L’erreur est humaine, le pardon divin. Cela vaut-il également pour les contribuables ?

En principe, les contribuables peuvent rectifier leurs erreurs ou omissions fiscales (par exemple dans leur déclaration), à condition de s’y prendre rapidement. C’est un peu moins vrai pour les contribuables qui tiennent une comptabilité, même si le nouveau Code des sociétés et des asso ciations tend à leur venir en aide.

Dégrèvement d’office

Celui qui découvre son erreur après l’expiration du délai de réclamation ne doit pas désespérer, car l’article 376 du CIR 1992 prévoit, certes pour des cas spécifiques, un « dégrève ment d’office », qui doit être demandé dans les cinq ans.

Réclamation

Même si l’imposition a été établie conformément à sa déclaration, le contribuable peut se pourvoir en réclama tion 1 et obtenir une réduction de sa base imposable, à condition d’apporter la preuve d’une erreur de fait ou de droit 2 . Cela s’applique également si le contribuable, à la suite d’un contrôle, a signé une déclaration d’accord 3

Selon le fisc 4 , les erreurs ou omissions (p. ex. dans une déclaration fiscale) peuvent donc également être rectifiées à condition d’exercer à temps son droit de réclamation (dans un délai de six mois).

Dans la pratique, on constate néanmoins que le fisc n’ac cepte pas toujours aussi facilement les erreurs ; en particu lier lorsque le contribuable tente de remettre en cause une déclaration d’accord négociée.

C’est regrettable, d’autant plus que la « condition d’erreur » n’est pas expressément inscrite dans l’article 366 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992).

C’est notamment le cas pour les erreurs matérielles : « Le conseiller général de l’administration en charge de l’éta blissement des impôts sur les revenus (…) accorde d’office le dégrèvement des surtaxes résultant d’erreurs matérielles (…) à condition que (…) ces surtaxes aient été constatées par l’administration ou signalées à celle-ci par le redevable (…) dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l’année au cours de laquelle l’impôt a été établi. »

Mais en quoi consistent ces erreurs matérielles ?

Contrairement à la procédure de réclamation, la loi exige d’apporter la preuve des erreurs matérielles pour le dégrè vement d’office.

Le problème réside néanmoins dans le fait qu’à défaut d’une définition légale, le contribuable et le fisc sont souvent en désaccord sur l’interprétation de ces « erreurs matérielles », ce qui engendre une jurisprudence abondante.

À l’époque, lors des travaux parlementaires d’une loi du 30 mai 1949, le législateur a décrit les erreurs matérielles comme étant « les erreurs de calcul, les erreurs de plume ou autres erreurs grossières » 5

1 Voir art. 366 et suivants du CIR 1992.

2 Cass. 25 juin 1963, Pas. 1963, I, 1130.

3 Cass. 21 octobre 1952, Pas. 1953, I, 83.

4 ComIR, 366/20.

5 Doc. parl., Chambre, 1948-1949, n° 323, p. 1, https://www.dekamer.be/digidoc/DPS/K3136/K31360175/K31360175.PDF

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Peut-on introduire un recours administratif contre sa propre déclaration ou contre un accord signé ?
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La Cour de Cassation définit l’erreur matérielle comme étant « une erreur de fait, qui résulte d’une méprise sur l’existence d’éléments matériels en l’absence desquels l’imposition manque de base légale » 6

L’erreur matérielle s’oppose à l’erreur de droit, qui suppose une interprétation inexacte de la loi fiscale ou son applica tion erronée 7. Par conséquent, l’erreur matérielle doit être étrangère à toute action intellectuelle ou délibérée de la part du contribuable.

Dans un arrêt récent du 19 mai 20228 , la Cour constitution nelle a déclaré que le dégrèvement d’office était somme toute une procédure exceptionnelle qui ne doit pas vider la procédure de la réclamation de sa substance.

Selon la Cour, le but n’est pas d’étendre la procédure de dégrèvement d’office à toutes sortes d’erreurs autres que matérielles, aux oublis commis par le contribuable ou par son mandataire, ou encore à toute cause autre qu’une erreur.

Selon la Cour, une telle extension reviendrait en effet à vider de son contenu la procédure normale de la réclamation (six mois), et à généraliser la procédure du dégrèvement à tous les cas dans lesquels une erreur ou une négligence a été commise dans la déclaration d’impôt introduite par le contri buable ou par son mandataire.

Le législateur a pu estimer qu’une telle extension n’était pas souhaitable, dès lors qu’il est nécessaire d’assurer la stabi lité des finances de l’État dans un délai raisonnable 9

Ce faisant, la Cour constitutionnelle semble avoir totalement perdu de vue l’objectif initial du législateur, à savoir per mettre au fisc « d’accorder d’office, dans des cas réellement exceptionnels et dans un esprit d’humanité, le dégrèvement de surtaxes manifestes que le contribuable n’a pu faire constater et dégrever dans les délais normaux » 10

Mais l’esprit (d’humanité) est-il encore d’actualité dans la pratique ? Non, même s’il existe une certaine jurisprudence favorable au contribuable, le tableau de chasse du fisc est malheureusement beaucoup plus imposant. Un phénomène qui semble d’ailleurs toucher toutes les affaires de droit fiscal. Il semblerait que le contribuable ne remporte ces

6 Cass. 20 juin 1991, F.1104.F ; 10 novembre 1997, F.97.0013.F ; 19 décembre 1997, F.97.0067.F ; 23 janvier 2004, F.02.0081.F ; 19 janvier 2012, A.R. F.10.0133.N.

7 Cass. 9 septembre 1969, Pas. 1970, I, 29 ; Cass. 16 mars 1973, Pas. 1973, I, 669.

8 C. const. 19 mai 2022, n° 67/2022, https://www.const-court.be/ public/f/2022/2022-067f.pdf

9 C. const. 19 mai 2022, n° 67/2022, https://www.const-court.be/ public/f/2022/2022-067f.pdf, B.8.2.

10 Doc. parl., Chambre, 1952-1953, n° 277/1, p. 6, https://www. dekamer.be/digidoc/DPS/K3148/K31481178/K31481178.PDF

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affaires que dans 12 % des cas11 . Il faut néanmoins admettre que de nombreuses décisions de justice en défaveur du contribuable font sourciller (car il semble s’agir d’affaires indéfendables).

Morale de l’histoire : tentez d’identifier à temps vos erreurs ou celles de vos clients, de manière à pouvoir agir avant l’expiration du délai de réclamation (six mois), car cela per met de rectifier relativement facilement les erreurs de fait, mais aussi les erreurs de droit. Mais si vous ne découvrez qu’un an plus tard, par exemple au moment de la déclaration fiscale suivante, que des erreurs ont été commises, vous n’êtes pas nécessairement dépourvu de recours.

En effet, la jurisprudence (supérieure) en matière d’erreurs matérielles semble avoir récemment pris un tournant favorable pour le contribuable, même si le commentaire administratif (ComIR), qui traite uniquement d’anciens cas, ne semble pas abonder dans ce sens. Le commentaire administratif fait référence à trois cas sous le n° 376/7 et à pas moins de quatorze cas sous le numéro 376/8 (dont des oublis) qui ne constitueraient pas des erreurs matérielles.

Le ton est donné. Toutefois, la circulaire du 22 septembre 2014 12 , qui ne semble pas avoir été intégrée au commentaire précité, permet d’espérer que davantage de cas seront considérés comme des erreurs matérielles.

Cela vaut également pour la jurisprudence (supérieure) récente. Dans un arrêt du 21 septembre 2021, la Cour d’ap pel de Bruxelles13 a estimé qu’un oubli pouvait constituer une erreur matérielle, même si la Cour de cassation avait préalablement estimé qu’en général, les oublis ne consti tuaient pas des erreurs matérielles14

Un contribuable avait oublié de mentionner ses dépenses en vue d’économiser l’énergie, mais d’après la Cour de Bruxelles, « aucun contribuable normalement prudent (…) n’aurait (…) consciemment choisi de le faire ». Selon la Cour, le fait de ne pas inclure le bon montant dans la déclaration constitue une distraction, et donc une erreur matérielle « au-delà de la raison ou de la volonté ».

Un autre élément a peut-être joué en faveur du contri buable : les intérêts du prêt vert avaient bel et bien été mentionnés par nul autre que le fonctionnaire qui avait aidé le contribuable à remplir sa déclaration à l’impôt des per sonnes physiques.

La Cour a décidé que le dégrèvement d’office devait être appliqué de la manière la plus large possible et avec

11 Trends Money Talk 13 décembre 2021 [source Belga].

12 Circulaire AGFisc n° 38/2014 (n° Ci.RH.861/633.382) du 22 septembre 2014.

13 Bruxelles (Nl.) (civ.) (6e ch. N) 21 septembre 2021, n° 2016/ AF/230.

14 P. ex. Cass. 6 octobre 1983, FJF, 1984, 80.

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précaution pour éviter que le contribuable paie plus que ce dont il est redevable sur la base de l’équité.

Une méprise involontaire peut également constituer une négligence matérielle, comme l’a estimé la Cour d’appel d’Anvers dans un arrêt du 7 décembre 2021 15 . Une société (de logement social) avait inclus par erreur une plus-value dans son bénéfice imposable. Pourtant, une telle plus-value bénéficiait d’une exonération inconditionnelle confor mément à l’ancienne législation 16 . Selon la Cour, la seule explication de la non-mention de la plus-value sous le bon code dans la déclaration (= code 1605) ne pouvait être qu’une méprise involontaire ou une négligence matérielle, puisqu’une appréciation raisonnée était ici impensable.

Cette jurisprudence (supérieure) récente est donc favorable au contribuable, mais les faits sous-jacents sont chaque fois très déterminants.

Conclusion provisoire : identifiez de préférence les erreurs avant l’expiration du délai de réclamation ou, pour le moins, démontrez qu’un problème est survenu avec une déclara tion antérieure et que cela n’a pu être découvert qu’un an plus tard.

le principe de légalité et le caractère d’ordre public de la loi fiscale.

La dette d’impôt résulte exclusivement de la loi. Sur la base de ces principes, le fisc ne peut exiger que les impôts dont le contribuable est réellement et légalement redevable (ce qui a trait également au principe de réalité). Par conséquent, le fisc doit établir l’impôt sur la base des faits, tels qu’ils se sont produits dans la réalité comptable du contribuable (primauté du droit comptable), plutôt que sur des comptes annuels erronés18 .

À cet égard, le CIR 1992 stipule également que l’Adminis tration doit établir l’imposition sur la base des « revenus et autres éléments déclarés, à moins qu’elle ne les recon naisse inexacts » 19 (n.d.l.r. soulignement appliqué par nos soins). Il s’ensuit que le contribuable a le droit de rectifier dans sa déclaration et ses comptes annuels des erreurs qui ont conduit à l’établissement d’un impôt qui n’est pas dû, lors même que ces erreurs résulteraient d’une décision sciemment prise 20

Les mêmes principes s’appliquent aux comptes annuels : en cas d’expiration du délai de réclamation, seules les erreurs matérielles en matière fiscale peuvent être rectifiées

Mais peut-on revenir sur des comptes annuels approuvés ?

Dans la doctrine, on admet depuis longtemps que des erreurs de fait ou de droit commises dans les comptes annuels peuvent être rectifiées par l’assemblée générale 17

Cette acceptation ne méconnaît pas le fait que les comptes annuels approuvés sont généralement contraignants. L’alinéa précédent est l’expression des principes supérieurs :

15 Anvers 7 décembre 2021, n° 2020/AR/1139.

16 Ancien art. 191 CIR 1992.

Cette vision a été confirmée dans la jurisprudence (de la Cour de Cassation) 21 . En outre, dans une affaire où des déci sions ont également été prises sur la base de faits erronés, la Cour d’appel de Gand a explicitement déclaré qu’une rectification de la décision pouvait être prise en compte 22 . D’après la Cour de Cassation, une rectification opposable au fisc demeure possible tant que le droit comptable ne laisse aucun choix au contribuable et que le contribuable ne prend pas de décision de gestion qui traduirait un tel choix 23

Cette possibilité est également inscrite noir sur blanc dans le nouveau Code des sociétés et des associations (CSA). Attendu que la comptabilité doit toujours refléter fidèle ment la situation réelle de la société (« principe de l’image fidèle »), il est important d’offrir la possibilité de rectifier les erreurs comptables. L’article 3:19 du CSA stipule que « les comptes annuels, même approuvés par (…) l’assemblée générale et déposés conformément aux articles 3:1 et 3:10, peuvent être rectifiés non seulement en cas d’erreurs matérielles, faux ou double emploi au sens de l’article 1368 du Code judiciaire, mais encore en cas d’erreur de fait ou

17 S. Van Crombrugge, « Rectification des comptes annuels : uniquement en cas d’erreurs ? », Fisc, éd. 1351, p. 7 ; L. Cassimon et B. Van Vlierden, « Rechtzetting jaarrekening: ook bij schending boekhoudrecht », Fisc.Act., 2016/16, p. 1-4.

18 S. Van Crombrugge, « Force probante des comptes annuels », Fisc., éd. 1539, p. 10.

19 Voir art. 339 CIR 1992.

20 P. Van Eysendeyk, « Wijziging jaarrekening: ook tegenstelbaar bij inbreuk op het boekhoudrecht », TFR, 2017/8, n° 520.

21 Voir Cass. 10 mars 2016, C.14.0399.N et commentaire dans L. Cassimon et B. Van Vlierden, « Rechtzetting jaarrekening: ook bij schending boekhoudrecht », Fisc.Act., 2016/16, p. 1-4 ; Gand 20 juin 2017 et commentaire dans S. Van Crombrugge, « Force probante des comptes annuels », Fisc., éd. 1539, p. 10.

22 Gand 20 juin 2017 et commentaire dans S. Van Crombrugge, « Force probante des comptes annuels », Fisc., éd. 1539, p. 10.

23 Voir commentaire Cass. 10 mars 2016 dans P., Van Eysendeyk, « Wijziging jaarrekening: ook tegenstelbaar bij inbreuk op het boekhoudrecht », TFR, 2017/8, n° 520 ; et décision anticipée n° 2012.365 du 6 novembre 2012 ; voir également avis CNC 2014/4 –Rectification des comptes annuels.

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Quid si des erreurs se glissent dans les comptes annuels ?
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de droit, y compris d’erreur commise dans l’évaluation d’un poste ou d’infraction au droit comptable ».

Par conséquent, le CSA permet les rectifications sur base volontaire (et, accessoirement, sur base contraignante) en cas d’infraction au droit comptable, s’il s’avère que l’obligation de donner une image fidèle est compromise.

La Commission des Normes Comptables (CNC) y fait également référence dans son avis 2020/12 relatif à la rectification des comptes annuels 24 . La CNC admet de telles rectifications.

En principe, les décisions de gestion reflétées dans les comptes annuels ne peuvent pas être rectifiées en raison de leur caractère irrévocable et définitif25 , sauf si une violation du droit comptable est constatée 26

En outre, le CNC décrit ce qui est visé par la rectification, à savoir les erreurs matérielles, les faux ou doubles emplois, mais également les erreurs de fait ou de droit, y compris les

erreurs commises dans l’évaluation d’un poste ou les infrac tions au droit comptable 27

En ce qui concerne les erreurs matérielles, la Commission explique que ces erreurs comprennent les erreurs de calcul et autres erreurs de fait grossières non fondées sur une quelconque appréciation juridique, mais également les erreurs de plume donnant lieu à un montant incorrect.

Un arrêt du 2 mars 2021 de la Cour d’appel de Gand confirme ce raisonnement.

Une société avait constitué une réserve distincte dans le cadre d’un régime fiscal préférentiel. Pour pouvoir bénéfi cier du régime Tax Shelter, elle avait également besoin de plusieurs attestations. La condition d’intangibilité temporaire jusqu’à l’obtention des attestations était une exigence légale. Dans l’affaire de Gand, la contribuable a supposé qu’elle disposait déjà des attestations nécessaires pour bénéficier de ce régime et a donc transféré la réserve, puis l’a inscrite dans sa déclaration à l’impôt des sociétés.

24 Commission des Normes Comptables, Avis sur la rectification des comptes annuels, 6 avril 2020, n° 2020/12, n° 15-21, https://www.cnccbn.be/fr/avis/rectification-des-comptes-annuels

25 Doc. parl., Chambre, 2018-2019, no 54-3119/001, 111, https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/54/3119/54K3119001.pdf

26 Commission des Normes Comptables, Avis sur la rectification des comptes annuels, 6 avril 2020, n° 2020/12, n° 23, https://www.cnc-cbn. be/fr/avis/rectification-des-comptes-annuels

27 Commission des Normes Comptables, Avis sur la rectification des comptes annuels, 6 avril 2020, n° 2020/12, n° 18-20, https://www. cnc-cbn.be/fr/avis/rectification-des-comptes-annuels

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Malheureusement, sa supposition était erronée. En réalité, elle ne disposait pas encore des attestations et ne pouvait donc pas utiliser le Tax Shelter Ce faisant, elle n’a pas respecté la condition imposée par le régime. Cela s’explique par une erreur dans le chef de l’expert-comptable : il avait confondu certains documents avec les attestations requises dans le cadre du régime Tax Shelter. Cette erreur a donné lieu à une décision de l’assemblée générale et, par conséquent, à l’utilisation prématurée de la réserve. Une confusion d’années est à l’origine de cette erreur. L’expertcomptable externe de la société aurait confondu les documents du projet « Slate Q1 2014 » avec ceux du projet « Slate Q1 201 3 ». L’avis de rectification reçu peu après par la société a permis de découvrir l’erreur.

À la lumière des nouveaux éléments, la société a décidé de rectifier ses comptes annuels. Le transfert de la réserve a été annulé, et le régime Tax Shelter a été correctement appliqué. Le fisc a cependant estimé que la rectification et ses conséquences n’avaient aucune pertinence à l’égard du point de vue exposé précédemment par le fisc. L’affaire est donc passée devant le tribunal de première instance de Bruges, puis devant la Cour d’appel de Gand.

Dans un premier temps, la Cour a confirmé que les erreurs dans les comptes annuels pouvaient être rectifiées, même si cela impliquait une possible considération intellectuelle. Dans ce dernier cas, il s’agit de décisions où l’on ne peut que supposer qu’il n’existe aucune autre explication sensée à l’opération effectuée que celle du contribuable s’étant basé sur une donnée erronée par inadvertance. Quoi qu’il en soit, la Cour a estimé que la société avait commis une erreur de ce type.

Selon la Cour, il est tout à fait improbable que l’erreur en question ait été commise délibérément par la société. Dans cette hypothèse improbable, sa réelle intention aurait été de renoncer à l’avantage fiscal, sans motif apparent. Rien ne semblait indiquer une quelconque volonté d’aller dans ce sens. La Cour a dès lors estimé qu’il était question d’une erreur et non d’une décision de gestion.

La décision du tribunal de première ins tance adopte un point de vue similaire : il était clairement question d’une erreur de fait découlant d’une méprise quant à l’existence de données matérielles, à savoir les attestations requises. Par conséquent, on ne pouvait admettre d’imputer l’erreur à une décision de gestion 28

En ce qui concerne l’approbation des comptes annuels par l’assemblée générale et la déclaration à l’impôt des sociétés qui en a découlé, la Cour d’ap pel de Gand explique dans son arrêt qu’il s’agit d’une confirmation d’une erreur commise préalablement par la société. L’approbation n’af fecte donc en rien la qualification des faits en tant qu’erreur. On peut conclure ici aussi qu’il n’existe aucune autre explication sensée à l’opération effectuée que celle du contribuable s’étant basé sur une donnée erronée par inadvertance.

La Cour estime donc qu’après avoir découvert une erreur, la société peut faire rectifier les comptes annuels de manière valable. Par conséquent, il s’agit d’une « rectification des comptes annuels admissible et opposable au fisc ».

Conclusion

Les erreurs de droit et de fait doivent de préférence être identifiées dans les six mois, et peuvent pratiquement toutes être rectifiées.

À la réception de l’avertissement-extrait de rôle, on pourrait appliquer la technique de Descartes, à savoir le « doute méthodique », et passer à nouveau en revue l’ensemble du dossier de déclaration.

En cas d’expiration du délai de réclamation, il conviendra de prouver qu’aucun contribuable normalement prudent n’aurait consciemment choisi de commettre l’erreur. On doit pouvoir prouver que l’on a été « distrait ».

Cela s’applique également aux comptes annuels rectifiés.

Leo De Broeck

Prof. à la Fiscale Hogeschool et avocat

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28 S. Vancolen et J. Sandra, « Vergissingen in de jaarrekening – Gentse hof bevestigt: rechtzetting werkt fiscaal door, ook bij tax sheltervergissingen! », Acc. & fisc., n° 14, 15 avril 2021, 1-3.
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Les erreurs de droit et de fait doivent de préférence être identifiées dans les six mois, et peuvent pratiquement toutes être rectifiées.

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Le régime de report de paiement de la TVA

On parle souvent de report de paiement en matière de TVA. Ce régime de report de paiement est exposé et commenté en détail ci-après. En quoi consiste-t-il concrètement ? Dans quels cas ce régime de report de paiement est-il obligatoire ? Ou optionnel ? Comment le report de paiement est-il opéré ? Y a-t-il des obligations spécifiques associées à cette mesure ? Quelles mentions doivent figurer sur la facture ? Quelles sont les conséquences éventuelles de la non-application ou de l’application incorrecte du régime ? La liste de questions est longue, mais comme toujours, nous commencerons par analyser une opération sous l’angle de la TVA.

Analyse d’une opération sous l’angle de la TVA

L’analyse d’une opération sous l’angle de la TVA passe par cinq questions de base, à savoir :

• le vendeur/prestataire est-il assujetti à la TVA ?

• s’agit-il d’une opération imposable ?

• où cette opération a-t-elle lieu en vertu de la législation TVA ?

• cette opération fait-elle l’objet d’une exemption ?

• qui acquitte la TVA ?

Une fois que nous aurons répondu à ces questions, l’opération nous appa raîtra clairement et nous saurons s’il y a de la TVA à payer sur cette opération et, si oui, quelle partie doit l’acquitter.

Le régime de report de paiement de la TVA est un régime légal spécifique en application duquel la TVA due doit être acquittée par le cocontractant du fournisseur ou prestataire (et non par le fournisseur/prestataire). En d’autres termes, aucune TVA ne doit être imputée sur la facture relative à cette opération, il suffit d’y mentionner que la TVA doit être acquittée par le cocontractant (acheteur/preneur) via sa propre déclaration à la TVA.

En Belgique, le régime de report de paiement le plus connu est celui qui s’applique aux travaux immobiliers et opérations y assimilées, à pro pos duquel le législateur a prévu (arrêté royal n° 1, article 20) que le

cocontractant doit acquitter la TVA exigible pour autant qu’il soit tenu à l’introduction de déclarations pério diques à la TVA.

Exemple

Un entrepreneur belge facture des tra vaux immobiliers à un autre preneur/ donneur d’ordre assujetti à la TVA belge. Ces travaux sont exécutés sur un bâtiment situé en Belgique. Les deux parties sont tenues d’introduire des déclarations périodiques à la TVA en Belgique.

• L’entrepreneur est-il assujetti à la TVA ? Oui.

• S’agit-il d’une opération imposable ? Oui, il s’agit d’une prestation de services.

• Où l’opération a-t-elle lieu ? En Belgique (à l’endroit où le bien immobilier est situé).

• Cette opération bénéficie-t-elle d’une exemption en Belgique ? Non.

• Qui doit acquitter la TVA belge due ? Le preneur (cocontractant).

Un report de paiement n’est pas une exemption

Il convient de faire remarquer à cet égard qu’un report de paiement de la TVA n’équivaut pas à une exemption. Cela signifie que la réponse à la der nière question de notre analyse doit être que la TVA due doit être acquittée par le cocontractant. Cette question ne se pose qu’après qu’une réponse

ait été apportée à la question de l’exemption éventuelle.

Sur la facture qu’il délivre concernant une telle opération, le fournisseur ou prestataire doit renvoyer à une disposition légale ou équivalente qui justifie la non-imputation de TVA sur la facture à la sortie.

Il peut pour ce faire apposer la men tion « autoliquidation » sur la facture.

Dans la pratique, cela peut parfois prêter à confusion (généralement dans les cas d’opérations transfrontalières) parce que dans certains cas, le four nisseur renvoie à tort à une exemption.

Comment le cocontractant doit-il acquitter la TVA due ?

Le législateur a prévu que, dans certains cas, c’est le cocontractant qui doit acquitter la TVA due. Cela signifie que le cocontractant calcule et déclare lui-même la TVA due sur une opéra tion déterminée dans sa déclaration à la TVA comme TVA à payer.

Pour les travaux immobiliers en Belgique, cette TVA doit être déclarée au taux applicable en Belgique dans la grille 56 de la déclaration à la TVA.

Vu que, pour ce cocontractant, il s’agit d’une opération à l’entrée, il a le droit de déduire cette TVA qu’il

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déclare lui-même comme TVA à payer via la grille 59 de sa déclaration. C’est la raison pour laquelle on parle géné ralement d’opération blanche.

Attention, il s’agit toujours de deux choses différentes. D’un côté, le cocontractant est tenu de déclarer la TVA exigible sur l’opération comme TVA à payer au taux local de TVA applicable à cette opération et, de l’autre, il peut déduire cette TVA dans la mesure où il bénéficie d’un droit à déduction.

Exemple

Dans l’exemple ci-dessus, il est ques tion de travaux immobiliers facturés à un client assujetti à la TVA belge (qui introduit des déclarations à la TVA). Nous avons vu qu’en l’occurrence, la

TVA exigible doit être acquittée par le cocontractant. Imaginons que le cocontractant ait fait exécuter des tra vaux à un bâtiment qu’il utilise à 60 % à des fins professionnelles et à 40 % à des fins privées.

Dans ce cas, le cocontractant doit calculer la TVA exigible sur la base d’imposition totale et la reprendre dans la grille 56 de sa déclaration à la TVA.

Dans la grille 59 de la même décla ration à la TVA, il pourra déduire 60 % de cette TVA, vu qu’il utilise le bâtiment à 60 % pour la réalisation d’opérations taxées qui génèrent un droit à déduction.

Dans cet exemple, il est donc déjà clair que les grilles 56 et 59 de la

déclaration à la TVA ne sont pas nécessairement identiques.

Conformément à la Directive euro péenne 2006/112/CE du 28 novembre 2006, la TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne.

La TVA est ainsi due par l’assujetti ou la personne morale non assujettie identifiée à la TVA, à qui sont fournis

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Pour quelles opérations le législateur prévoit-il un report de paiement de la TVA ?
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les services (visés à l’article 44 de la directive), si ces services sont fournis par un assujetti qui n’est pas établi dans cet État membre (article 196 de la directive).

Dans la pratique, cela signifie que lorsqu’une prestation de services est effectuée qui, en vertu de la règle générale, est réputée avoir lieu à l’en droit où le preneur est établi (article 44 de la directive pour les opérations B2B), ce preneur doit acquitter la TVA due si la prestation de services est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans cet État membre.

Exemple 1

Lorsqu’un bureau de consultance néerlandais effectue une prestation de services intellectuels pour le compte d’un client assujetti belge, cette prestation est réputée avoir lieu en Belgique, à l’endroit où le preneur est établi.

Si ce prestataire néerlandais n’est pas établi en Belgique, la TVA belge due doit être acquittée par le preneur belge.

La TVA belge due doit alors être reprise dans la déclaration belge du preneur belge dans la grille 55.

Dans la mesure où ce dernier béné ficie d’un droit à déduction de cette TVA, il peut la déduire dans la grille 59 de la même déclaration.

Si, dans cet exemple, le montant facturé est de 1 000 euros, le preneur déclarera les montants suivants :

• grille 82 : 1 000 euros ;

• grille 88 : 1 000 euros ;

• grille 55 : 210 euros ;

• grille 59 : 210 euros.

Cette grille 88 peut être contrôlée par l’Administration sur la base des relevés IC introduits par le fournisseur aux Pays-Bas.

Remarque : si le preneur belge béné ficiait d’un droit à déduction de la TVA limité à 80 %, il devrait reprendre un montant de 168 euros dans la grille 59

de la déclaration et les grilles 55 et 59 ne seraient donc pas identiques.

Exemple 2

Si cette même prestation (de services intellectuels) était effectuée par un prestataire établi au Royaume-Uni, le même report de paiement devrait avoir lieu sur la base de la même légis lation citée ci-avant.

Dans ce cas, le cocontractant devrait déclarer les montants suivants dans sa déclaration à la TVA belge :

• grille 82 : 1 000 euros ;

• grille 87 : 1 000 euros ;

• grille 56 : 210 euros ;

• grille 59 : 210 euros.

Ces grilles diffèrent de celles visées ci-avant parce que le prestataire est établi dans un pays tiers. Pour ces prestataires, aucune correspondance avec les relevés IC n’est possible vu qu’ils ne sont pas établis dans l’Union européenne.

jours et, pour les navires, maximum 90 jours) ; • prestations de services de restau rant et de restauration.

Toutes les autres prestations de services effectuées dans un contexte B2B sont par conséquent réputées avoir lieu à l’endroit où le preneur est établi. Les prestations de services de transport de biens sont ainsi réputées avoir lieu à l’endroit où le preneur est établi, quel que soit l’itinéraire de transport suivi.

Si les exceptions énumérées ci-dessus sont applicables, il faut consulter la législation locale afin d’établir si celle-ci contient un régime de report de paiement local. De plus en plus d’États membres prévoient des régimes de report de paiement locaux, de sorte que le fournisseur/prestataire ne doit pas nécessairement y être enregistré.

Autres reports de paiement de la TVA prescrits par la directive

La Directive européenne en matière de TVA prévoit également un report de paiement de la TVA dans les cas spécifiques suivants :

La plupart des prestations de services effectuées dans un contexte B2B sont réputées avoir lieu à l’endroit où le preneur est établi.

• livraisons de gaz via un système de gaz naturel, d’électricité, et de cha leur ou de froid via les réseaux de chauffage et de refroidissement ;

Seules

les prestations de services suivantes dérogent à cette règle générale :

• prestations de services se rattachant à un bien immeuble par nature ;

• prestations de transport de personnes ;

• prestations de services consistant à donner accès à des manifestations culturelles, artistiques, sportives, scientifiques, éducatives, de diver tissement ou similaires, telles que les foires et les expositions, ainsi que des prestations de services accessoires à cet accès ;

• prestations de location de courte durée d’un moyen de transport (30

• livraisons de biens dans un entrepôt TVA ;

• en cas d’opérations triangulaires, par le dernier acheteur des biens.

Reports de paiement belges

Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de ser vices (article 194 de la directive).

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Quelles prestations de services ont lieu à l’endroit où le preneur est établi ?
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En Belgique, ce régime de report de paiement est prévu à l’article 51, § 2, 5° du Code de la TVA qui dispose que la taxe est due par le cocontractant établi en Belgique lorsque la livraison de biens ou la prestation de services a lieu en Belgique et que le prestataire n’est pas établi en Belgique.

Exemple

Un assujetti allemand livre des biens en Belgique à un client établi en Belgique qui est tenu à l’introduction de déclarations périodiques à la TVA. L’assujetti allemand a acheté ces biens à un assujetti belge qui les a entreposés dans son entrepôt de Lokeren où ces biens demeurent entreposés.

• S’agit-il d’une opération imposable ? Oui, une livraison de biens.

• Lieu de la livraison ? En Belgique, où les biens sont à la disposition de l’acheteur.

• Y a-t-il une exemption de TVA ? Non.

• Qui doit acquitter la TVA due ? Le preneur/acheteur belge.

L’acheteur belge doit donc recevoir une facture du four nisseur allemand sur laquelle aucune TVA n’est imputée. L’acheteur belge doit reprendre la TVA belge dans les grilles 56 et 59 de sa déclaration périodique à la TVA. Le fournisseur allemand n’est de ce fait pas obligé de deman der son enregistrement à la TVA en Belgique.

La même solution s’appliquerait si le fournisseur était établi dans un pays tiers (Suisse, Royaume-Uni, Norvège, ...).

Comme nous l’avons déjà indiqué, le législateur belge a également prévu des reports de paiement locaux pour les travaux immobiliers en Belgique, ainsi que pour certaines opérations portant sur de l’or et sur de l’or d’investissement.

Autorisation de report de paiement de la TVA due à l’importation de biens

Le législateur belge a en outre prévu la possibilité de reprendre la TVA due à l’importation de biens dans la déclaration à la TVA au lieu de l’acquitter à la Douane. À cet effet, l’autorisation ET14000 doit être demandée à l’admi nistration de la TVA (le nouveau formulaire de demande est disponible à l’adresse suivante : https://finances.belgium. be/fr/douanes_accises/entreprises/brexit/nouvelles/ autorisation-et-14000-report-tva-vers-la-déclaration).

Exemple

Un assujetti belge achète des biens en Chine d’une valeur de 1 000 000 euros qu’il fait mettre en libre pratique à Anvers. La mise en libre pratique des biens est une opéra tion imposable qui rend la TVA exigible en Belgique (soit

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210 000 euros si le taux normal est applicable). En principe, cette TVA doit être payée à la Douane lors de l’importation des biens.

Lorsque le destinataire à l’importation (importateur) dispose d’une autori sation de report de paiement, la TVA due à l’importation doit être reprise dans la déclaration à la TVA dans la grille 57 et peut, dans la mesure où l’intéressé bénéficie d’un droit à déduction, être reprise dans la grille 59 de la même déclaration. Cela signifie qu’il ne doit y avoir aucun préfinancement de cette TVA.

Remarque : la grille 57 de la déclara tion ne peut être complétée que si le déclarant dispose d’une autorisation

de report de paiement de la TVA due à l’importation.

iStockphoto.com/Isbjorn.

pourtant des amendes en cas de non-application ou d’application incor recte des reports de paiement.

Une amende de 20 % de la TVA peut ainsi être appliquée si aucune TVA due n’a été déclarée alors qu’elle doit l’être.

Comme nous l’avons déjà indiqué, un report de paiement de la TVA peut résulter en une opération blanche. Raison pour laquelle ces reports de paiement sont généralement ignorés dans la pratique ou ne se voient à tout le moins pas accorder l’attention qu’ils requièrent. La législation prévoit

Il est par conséquent indiqué d’ap pliquer correctement ces reports de paiement de façon à éviter ces sanctions.

Heylens

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Sanctions si aucun report de paiement n’est déclaré ou si le régime n’est pas appliqué correctement ?
Luc Magazine mensuel de l’ITAA | N° 9 | Novembre 2022

Le nouveau droit des obligations entre en vigueur dès le 1

janvier : soyez prêts !

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Le nouveau droit des obligations entrera en vigueur le 1er janvier 2023. Ce droit fait l’objet du Livre 5 du nouveau Code civil (C. civ.), et à terme notre code civil napoléonien vieux de 200 ans (ancien C. civ.) sera remplacé livre par livre. Le droit des obligations constitue le droit commun, applicable à toutes les obligations qu’elles soient nées de contrats, ou qu’elles soient extracontractuelles. En tant que droit commun, il s’applique notamment à tous les contrats que vous concluez, y compris vos lettres de mission, et ce pour tous les aspects non réglementés par des lois spéciales. Le nouveau Code forme en grande partie la codification de principes existants issus de la jurisprudence de nos cours et tribunaux. Il ne constitue donc pas une révolution. Néanmoins, il y a quelques nouveautés notables. Cette contribution met en lumière certains changements qui pourraient intéresser votre pratique professionnelle.

1. Régime transitoire

Le nouveau droit des obligations entre en vigueur le 1 er jan vier 2023 pour tous les actes juridiques et les faits juridiques survenant après cette date. Il ne s’applique expressément pas aux conventions conclues avant le 1 er janvier 2023, ni aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l’entrée en vigueur de la loi mais qui se rapportent à une obligation née avant l’entrée en vigueur de la loi.

Concrètement, ce que cela signifie pour vous, c’est que rien ne changera pour vos contrats de fournisseurs ou lettres de mission actuels. Toutefois, pour les nouveaux contrats et lettres de mission que vous conclurez après le 1 er janvier 2023, vous devrez tenir compte du nouveau droit des obligations.

Vous pouvez également choisir, sous réserve de l’accord de toutes les parties, d’appliquer le nouveau droit des obliga tions à vos conventions existantes.

2. Théorie de l’imprévision

Un changement notable dans le nouveau droit des obliga tions est l’introduction de la théorie de l’imprévision, une figure juridique qui existait déjà dans plusieurs pays voisins et qui fait désormais son apparition en Belgique. La théorie de l’imprévision entre en jeu lorsque l’exécution d’une obligation contractuelle devient excessivement onéreuse en raison d’un changement de circonstances, au point que son exécution ne puisse plus être raisonnablement exigée.

Bien entendu, le changement de circonstances ne doit pas être imputable au débiteur lui-même.

Dans le passé récent et dans la période de turbulence actuelle, il existe quelques exemples de changements de circonstances qui rendent un engagement potentiellement excessivement onéreux, tels que les mesures corona impo sées par les autorités, la hausse des prix de l’énergie et des matériaux ou les chiffres d’inflation élevés.

Pour que la théorie de l’imprévision puisse jouer, il faut que le changement de circonstances ait été imprévisible lors de la conclusion du contrat et que le débiteur n’ait pas assumé le risque de ce changement.

La figure de la théorie de l’imprévision rappelle la théorie de la force majeure, mais avec de nettes différences. La force majeure ne peut être invoquée que lorsque l’exécution de l’obligation est devenue (temporairement ou définitivement) impossible. Pour la théorie de l’imprévision, le seuil est plus bas : l’exécution de l’obligation ne doit pas être devenue impossible, mais « seulement » excessivement onéreuse

Les effets sont également différents : en vertu de la théorie de la force majeure, votre obligation d’exécution est soit temporairement suspendue, soit définitivement éteinte. En vertu de la théorie de l’imprévision, vous devez continuer à exécuter votre obligation, mais vous pouvez demander à votre cocontractant de renégocier le contrat pour l’adapter ou le résilier. Il peut s’agir, par exemple, d’une adaptation du prix ou du délai d’exécution. Si la renégociation est rejetée ou échoue dans un délai raisonnable, vous pouvez saisir la

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Magazine mensuel de l’ITAA | N° 9 | Novembre 2022

justice pour obtenir une adaptation du contrat, ou sa résilia tion partielle ou totale.

La théorie de l’imprévision est de droit supplétif. Cela signifie non seulement que les parties pourront exclure le recours à la théorie de l’imprévision dans leur convention, mais aussi qu’elles pourront convenir d’autres modalités, comme l’imposition de conditions supplémentaires au chan gement de circonstances ou la détermination de ce qui peut ou ne peut pas être renégocié.

3. Clause d’exonération de responsabilité

Très souvent, les contrats ou les conditions générales contiennent une clause d’exonération de responsabilité. Il s’agit de clauses dans lesquelles vous excluez ou limitez votre responsabilité à un certain montant ou type de dommage.

Par exemple, la clause limitant votre responsabilité au mon tant que votre assureur de responsabilité professionnelle verserait le cas échéant.

Toute une série de principes qui faisaient déjà partie de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation sous l’an cien droit des obligations sont confirmés par le législateur dans le nouveau droit :

• L’exonération pour faute lourde ne se présume pas : si vous souhaitez exclure votre responsabilité pour faute lourde, vous devez l’indiquer en toutes lettres dans votre contrat ou vos conditions générales (« Le contractant n’est pas responsable de [...], y compris en cas de faute lourde »).

• Une cause exonératoire de responsabilité ne doit pas vider le contrat de sa substance : vous ne pouvez pas exclure votre responsabilité si cela porte atteinte à l’es sence de votre accord.

Par exemple, il est pour le moins discutable qu’un profes sionnel du chiffre puisse exclure sa responsabilité en cas de manquement à son obligation de conseil lorsqu’il aide à l’établissement d’un plan financier.

• La responsabilité pour les fautes intentionnelles ne peut jamais être exclue.

Sur ce dernier point, d’ailleurs, le législateur va désormais plus loin que la jurisprudence constante de la Cour de Cassation : on ne peut pas non plus s’exonérer de la res ponsabilité pour les fautes intentionnelles de ses auxiliaires. Il s’agit de personnes auxquelles vous faites appel pour l’exécution de vos obligations.

4. Sanctions en cas de non-exécution

Le nouveau droit des obligations énumère les sanctions lorsqu’une partie contractante manque (de manière qui lui

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est imputable) à ses obligations. De nombreuses nouveau tés sont à noter à cet égard. Nous mettons en évidence les plus importantes.

4.1. La résolution extrajudiciaire

Selon le texte de l’ancien Code civil, vous ne pouviez résoudre (autrement dit ‘annuler’) vos conventions que moyennant un recours préalable aux tribunaux (avec tous les délais que cela implique), en tout cas en l’absence d’une clause résolutoire expresse. La jurisprudence a reconnu que vous pouviez également résoudre vos conventions de manière extracontractuelle, mais uniquement si le pouvoir préalable du juge d’accorder un délai était devenu sans objet ou sans signification.

Le législateur a désormais inscrit la résolution extrajudiciaire dans la loi et l’a mise sur un pied d’égalité avec la résolution judiciaire. La condition supplémentaire est ainsi supprimée. Il suffit au créancier de transmettre au débiteur une notifica tion expresse de sa décision de résoudre la convention.

D’autres conditions, telle que l’exigence selon laquelle le manquement du débiteur doit être suffisamment grave pour justifier la résolution, continuent évidemment de s’appliquer.

La résolution par voie de notification se fait toujours à ses propres risques : un contrôle judiciaire a posteriori pour véri fier si toutes les conditions de résolution étaient remplies reste possible.

4.2. Anticipatory breach

Plus frappante est l’introduction de l’‘anticipatory breach’ dans l’ordre juridique belge : dans des cas exceptionnels, vous pouvez résoudre votre contrat lorsqu’il est clair que votre débiteur ne sera pas en mesure d’exécuter son obliga tion ou ne pourra pas l’exécuter à temps, même si l’obliga tion n’est pas encore exigible et qu’il n’y a donc pas encore d’inexécution. Vous anticipez l’inexécution (attendue) de votre cocontractant.

Ce pourrait être le cas, par exemple, si votre débiteur annonce lui-même qu’il ne remplira pas l’obligation ou s’il existe des indices qu’il serait (devenu) insolvable. De même, votre client peut résoudre votre contrat de manière antici pée parce qu’il s’attend à ce que vous ne remplissiez pas (ou ne soyez pas en mesure de remplir correctement) vos engagements.

L’inexécution (attendue) doit être suffisamment grave pour justifier la résolution.

La loi impose en effet que, avant d’invoquer la résolution, vous mettiez le débiteur en demeure de donner, dans un délai raisonnable, des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations. Si ces assurances

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sont fournies, vous ne pouvez plus invoquer l’inexécution anticipée.

La question est de savoir ce que la jurisprudence fera de cette exigence lorsqu’il n’est manifestement pas utile d’envoyer une telle mise en demeure (par exemple, lorsque le débiteur lui-même a annoncé qu’il n’exécuterait pas l’obligation).

Il existe d’ailleurs une alternative de moindre portée : vous pouvez également suspendre (par anticipation) l’exécution de vos propres obligations (au lieu de résoudre la conven tion) lorsqu’il y a lieu de craindre que vous ne soyez pas en mesure de les exécuter.

Dans les deux cas, vous invoquez la mesure à vos risques et périls : votre débiteur peut demander ultérieurement au tribunal de vérifier si les conditions de la résolution ou de la suspension étaient réunies. Il est donc important de manier la résolution anticipée avec prudence.

En tout état de cause, la jurisprudence devra donner du contenu à ce que sont les « circonstances exception nelles » qui doivent être réunies pour pouvoir résoudre le contrat de manière anticipée. C’est là qu’on verra si la pratique sera moins stricte que la théorie.

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4.3.

Réduction du prix

Enfin, il existe une nouvelle disposition de la loi selon laquelle le créancier a droit à une réduction du prix si le débiteur n’honore pas ses engagements et que cette inexécution n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution de la convention.

La réduction du prix peut être soit exigée en justice, soit être exercée par une notification écrite au débiteur qui indique la cause de la réduction.

Là encore, un contrôle judiciaire a posteriori est possible.

La réduction du prix doit être proportionnelle à la différence, au moment de la conclusion du contrat, entre la valeur de la prestation reçue et la valeur de la prestation convenue.

Si le créancier obtient une réduction du prix, il ne peut plus exiger de réparation pour compenser cette différence de valeur (mais il peut demander une indemnisation pour tout autre dommage subi).

Cette sanction est de droit supplétif. Les parties peuvent donc exclure la sanction dans leur convention ou en adapter les modalités. Si vous n’indiquez rien à ce sujet dans votre lettre de mission ou vos conditions générales, en principe, en cas d’inexécution ou de retard d’exécution de votre part, votre client pourrait retenir une partie de vos honoraires sur notification unilatérale.

5. Conditions générales : knock-out rule

Si vous utilisez des conditions générales qui s’appliquent à vos relations avec les clients ou les fournisseurs, mais que ces derniers ont également communiqué des conditions générales, la question de savoir quelles conditions géné rales s’appliquent à votre relation se pose, en particulier en présence de clauses contradictoires.

Par exemple, des tribunaux compétents différents ont été désignés ou des taux différents s’appliquent aux intérêts de retard.

Alors que dans le passé, il existait une insécurité juridique quant aux conditions générales applicables dans de tels cas, le législateur a désormais stipulé que les conditions générales des deux parties sont des éléments constitutifs de la convention, à l’exception des clauses incompatibles. Les clauses incompatibles ne font pas partie du contrat, c’est donc le droit commun qui s’applique.

Ainsi, dans nos exemples, le tribunal compétent sera celui désigné par le Code judiciaire. Il s’agira souvent du tribunal du domicile de la partie défenderesse (le cas échéant situé à l’étranger). En ce qui concerne le taux d’intérêt, le taux

d’intérêt de la loi concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales sera très pro bablement appliqué. Ce taux s’élève actuellement à 8 %.

Cette règle est de droit supplétif, les parties peuvent donc y déroger.

Cela doit alors être fait explicitement et ne peut pas être fait en incluant une disposition dans les conditions générales elles-mêmes.

Attention : la conséquence sera alors que la convention ne se forme pas.

Même si les parties ont déjà commencé à exécuter le contrat alors qu’il existe des conditions générales contradic toires, et que l’une ou les deux parties ont indiqué expres sément et sans retard injustifié qu’elles ne veulent pas être liées par les conditions générales de l’autre, le contrat peut, selon les travaux parlementaires, être annulé pour absence de consentement. Dans ce cas, les prestations fournies doivent être restituées de part et d’autre.

6. Conclusion

L’entrée en vigueur du nouveau droit des obligations approche à grands pas et s’appliquera comme le droit com mun à toutes vos conventions conclues à partir du 1 er janvier 2023. Toute une série de nouvelles figures juridiques sont de droit supplétif et vous pouvez donc les moduler ou même les exclure dans vos conventions. Bien entendu, cela n’est possible que si vous y avez pensé avant de contracter et, le cas échéant, si vous avez précisé par écrit dans votre contrat ou dans vos conditions générales comment vous voulez y déroger. Il peut être utile de vérifier si les conven tions que vous concluez, selon vos modèles ou au cas par cas et sur mesure, sont conformes au nouveau droit des obligations, surtout si vous vous contentez de certaines de ces nouveautés légales – ou au contraire – si vous sou haitez exclure l’applicabilité de certaines nouvelles figures juridiques qui sont de droit supplétif.

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