#21 - Femmes Engagées

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#21 - Juillet/Octobre 2019

FEMMES ENGAGÉES ENTRE DÉTERMINATION, GÉNÉROSITÉ ET COURAGE

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019 www.inspireafrika.com 1


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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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LUMIÈRES SUR LES FUTURS TALENTS DE L’AUDIOVISUEL AFRICAIN

Lancée en 2013, “L’Afrique au féminin“ est une initiative du groupe ¢ visant à former et soutenir des réalisateurs et réalisatrices africains d’Afrique sub-saharienne francophone. Placée sous le thème « La place de la femme dans la société africaine », cette deuxième édition rassemblera 7 candidats venant de 7 pays d’Afrique. ¢ contribue ainsi au développement des métiers de l’audiovisuel sur le continent africain à travers la formation de professionnels du cinéma et la mise en valeur de créations originales locales. Les 7 lauréats auront à leur disposition :

L’Afrique Au Féminin

@AAFeminin

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• Une formation sur mesure en partenariat avec CFI • Une formation en écriture de scénarios et montage par les équipes de Galaxie Africa • La participation à la production d’émissions de ¢ • La visibilité des lauréats sur les réseaux sociaux dédiés et sur le site ¢ Afrique Les reportages imaginés et produits par les lauréats seront diffusés à l’antenne de ¢ en Afrique à l’occasion de la journée de la femme avec un dispositif de communication spécifique.

CANALPLUS-AFRIQUE.COM 4

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019


SOMMAIRE

18. COUP DE COEUR

8. INSPIR’NEWS

LAETITIA KANDOLO ET DAMILOLA ODUFUWA

11. TENDANCES

7. ÉDITO

23.

DOSSIER MARIAGE

INSPIR’INTERVIEW ANGELIQUE KIDJO

32. OSER INSPIRER NELLY WANDJI ET ROUKIATA OUÉDRAOGO

27. INSPIR’ASSOCIATION DANIELE SASSOU NGUESSO, CELLE QUI VEUT RENDRE LES FEMMES CONGOLAISES AUTONOMES

30.

REPATSTORIES OLIVIA CODOU

45. INSPIR’ECO ENTREPRENEURES AFRICAINES : ENTRE DYNAMISME ET DISPARITÉ

49. 4 QUESTIONS A 42. CARRIÈRE

38. INSPIR’START-UP SARAH CODJO ET SANDRINE LECOINTE

CORINE OUATTARA ET YVOIRE DE ROSEN

OLA OREKUNRIN BROWN

47. LES PENSÉES DE MARIAM KAMARA ©Saitrag

54. TRIBUNE LE DIGITAL AU SERVICE DE LA SANTÉ MATERNELLE EN AFRIQUE

56. FOCULTURE

COUVREZ CE SEIN QUE JE NE SAURAIS VOIR

57.

LE CHOIX DES LECTEURS

60. LE BAR A LECTURE HISTOIRE DE FEMMES INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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ILS ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO

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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019


A LUTA CONTINUA !

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INSPIRE AFRIKA MAGAZINE - Edition #21 Juillet - Octobre 2019

« Bonne fête à toutes les femmes » ! Voilà ce qu’on peut lire sur les timelines ici et là, une fois par an, au mois de Mars. Ce qui peut être particulièrement agaçant, quand on connaît l’origine de la Journée Internationale des Droits des Femmes. Cette journée qui prend sa source dans les luttes féministes initiées en Occident, met en avant le combat pour la réduction des inégalités hommes-femmes. Son existence est la preuve que notre société n’a pas encore su régler ce problème. Si je prends un exemple parmi tant d’autres, il existe des pays où les femmes n’ont pas le droit d’accéder à la terre sans l’autorisation de leur époux. En Arabie Saoudite, les femmes ont obtenu le droit de conduire il y a seulement 2 ans. Il n’y a donc rien à célébrer (pour l’instant) tous les ans, le 8 Mars. Certes, les choses évoluent, mais lentement. Continuons les exemples : le nombre de femmes membres de comités exécutifs et de direction des entreprises du SBF1201 est de 9. Globalement en Europe, les femmes représentent 3% des Présidents Directeurs Généraux d’entreprises, quand ce chiffre s’élève à 5% en Afrique2.

Sans vouloir rentrer dans le « faux » débat du féminisme qui veut écraser les hommes, il est juste question d’équilibrer un minimum les compétences, dans un monde où les femmes sont de plus en plus éduquées et diplômées. Selon un rapport du World Economic Forum, à ce rythme d’évolution, la parité mondiale sera atteinte dans 100 ans. Rien que ça. Les langues se délient progressivement. Depuis fin 2017, on assiste à une libéralisation de la parole des femmes grandissante, déclenchée par le mouvement #metoo. Si ce vent de liberté a commencé à souffler en direction des abus sexuels et des violences faites aux femmes, il se dirige de plus en plus vers d’autres sujets. Dans le monde entier, des femmes dénoncent l’inégalité des salaires, les dérives politiques, l’oppression des peuples, l’absence de liberté d’expression … Il était donc évident et nécessaire pour nous de produire un numéro engagé, qui donne la parole aux Africaines connues ou moins connues, qui se battent au quotidien pour leurs convictions. Parce que la représentation est importante, parce que les femmes Africaines ont beaucoup de choses à dire, et parce que c’est notre responsabilité de leur « ouvrir la voix »3.

LA REDACTION RÉDACTRICE EN CHEF JOAN YOMBO RÉDACTRICES CULTURE MARIE SIMONE NGANE EMILIE TAPÉ GRAPHISME VINCENTE FATTACCINI

PARTENARIATS HYACINTHE ISSOMBO

ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO MANUELA BOUSOMOG – Relecture GLORIA ATANGA – Relecture

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE EST ÉDITÉ PAR ANINKA MEDIA GROUP DIRECTRICE GÉNÉRALE CHRYS NYETAM DIRECTRICE DE PUBLICATION JOAN YOMBO RESPONSABLE COMMERCIAL ANITA BAKAL RESPONSABLE JURIDIQUE IVAN NYETAM Couverture par Laurent Serroussi Régie Pub : Common Cloud Les photos non créditées proviennent de Google Images et ne sont en aucun cas la propriété d’Inspire Afrika Magazine.

Bonne lecture !

Joan Yombo

Tout droits de reproduction réservés pour tous pays. Reproduction interdite pour tous les articles sauf accord écrit de la Rédaction.

Rédactrice-en-chef

¹ Indice boursier sur la place de Paris. Il est déterminé à partir des cours de 40 actions du CAC 40 et de 80 valeurs des premier et second marchés les plus liquides cotés à Paris parmi les 200 premières capitalisations boursières françaises. 2 Women Matter Africa, McKinsey & Company, 2016 3 En référence au film documentaire de Amandine Gay, qui traite de la place et de la représentation des femmes noires en France. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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INSPIR’NEWS

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Le gouvernement burkinabè labélise le « Faso Dan Fani » Le « Faso Dan Fani » est le pagne traditionnel burkinabè tissé par des femmes. Mais ces derniers temps, le marché local est envahi par des tissus contrefaits. Si bien que, pour protéger et valoriser le travail des artisans locaux, le gouvernement burkinabè décide de labéliser ce pagne qui est un véritable symbole de la culture vestimentaire du pays des hommes intègres. Dorénavant, un logotype sera apposé sur les tissus « Faso dan fani » pour les différencier de la contrefaçon. Bientôt, le beurre de karité et d’autres produits locaux seront labélisés.

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Mati Diop et Ladj Ly collaborent avec les géant Netflix et Amazon C’est officiel depuis le 25 mai, Netflix et Amazon ont acquis les droits des films Atlantique de la franco-sénégalaise Mati Diop et Les Misérables du réalisateur franco-malien Ladj Ly. Les droits de distribution du film Atlantique par Netflix couvrent quasiment tous les pays du globe sauf la Chine, le Benelux, la Suisse, la Russie et la France. Pour Les misérables, la mise en ligne se fera sur la plateforme Amazon Prime Video. Atlantique a reçu le Grand Prix au Festival de Cannes 2019, tandis que Les Misérables a reçu le Prix du Jury, dans le même contexte.

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La Côte d’Ivoire classée 3e destination du tourisme d’affaire en Afrique Du 27 avril au 1er mai, Abidjan était la capitale du tourisme africain. Pendant quatre jours, des acteurs du tourisme venus de 20 pays, ont pris part à la 9e édition du Salon international du tourisme d’Abidjan, SITA. Panels et conférences ont porté sur le thème : « Synergie du tourisme en Afrique une force économique ». Une occasion pour les participants de se donner des outils pour le développement du tourisme africain qui est en pleine expansion. Et la Côte d’Ivoire n’est pas en reste de ce développement car le pays est désormais classé 3e destination du tourisme d’affaire au niveau continental derrière l’Afrique du Sud et le Maroc.

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4 « Boost Avec Facebook », un programme de soutien aux entrepreneurs africains Au-delà d’être un réseau social qui rapproche les gens, Facebook se veut être un outil qui contribue au succès des initiatives africaines. En mai dernier, Facebook a lancé « Boost Avec Facebook », un programme de formation gratuite au marketing digital dédié à 10.000 entrepreneurs issus de six pays d’Afrique. Les pays concernés sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Bénin et la Guinée Conakry. Comme au Nigéria et en Afrique du Sud, il s’agit pour Facebook de doter les PME africaines de moyens leur permettant de mieux exploiter les plateformes digitales pour démarrer ou agrandir leur business.

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MTV Shuga lance la version francophone de la série à Abidjan

Les auditions de la version francophone de la série à succès MTV Shuga dénommée MTV Shuga Babi ont eu lieu le 22 juin à Abidjan. Pour l’occasion, les jeunes acteurs amateurs et professionnels n’ont pas boudé cette opportunité de se voir propulser à l’international via le petit écran. C’est dans la commune de Marcory que se sont déroulées les auditions, sous le regard avisé du comité exécutif de ce projet télévisuel. Pour rappel, MTV Shuga est une série dont la diffusion a démarré en novembre 2009. Le programme vise à sensibiliser la jeunesse contre le VIH SIDA à travers le divertissement. Plusieurs stars y ont débuté leur carrière, notamment l’actrice et productrice Lupita Nyong’o.

6 Susu, la plateforme numérique d’assurance santé se lance sur le continent Susu est une plate-forme numérique intuitive, spécialement conçue pour permettre aux membres de la diaspora africaine d’offrir la meilleure qualité de soins de santé à leurs proches vivants en Afrique. Pour son lancement, la start-up vise 17 marchés africains dont les premiers pays sur la liste sont le Bénin et la Côte d’Ivoire. Susu est une solution qui vise à améliorer durablement la qualité de vie et la santé des Africains, et de faire la différence dans le secteur de la santé digitale sur le continent. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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TENDANCES - AFRIQUE

CELIBATAIRES, LEVEZ-VOUS, VOUS AVEZ L’OBLIGATION DE VOUS MARIER AVANT 30 ANS ! Par Emily Tapé

Par définition, le mariage est une union conjugale contractuelle et/ou rituelle, consentie entre au moins deux personnes. D’un point de vue légal, la législation ivoirienne autorise la femme à se marier à 18 ans contre 21 ans pour l’homme. Si en théorie et dans nombre de cas, on se marie par amour et parce qu’on se sent prêt pour la vie de couple et la vie de famille, dans les faits, la société semble mettre la pression aux célibataires avant que ceux-ci n’atteignent ou ne passe la barre des 30 ans. Pourquoi cette pression sociale ? Qui de la femme ou de l’homme la subit le plus ? Quelles en sont les conséquences ? Entre idéal et réalité En interrogeant plusieurs dizaines de personnes à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le constat est sans appel : se marier et fonder une famille avant 30 ans est considéré comme un idéal, imposé par la société. Si bien que, lorsque nous « dérogeons » à cette règle, la société conspire à nous rappeler que nous sortons de la “norme“. Commençons par ce que le mariage représente pour la majorité de notre panel ivoirien : « Dans notre société actuelle, le mariage représente à la fois un signe de maturité, une étape de la vie sociale et un moyen de montrer son appartenance à un ensemble de valeurs culturelles ». A cette représentation du mariage du point de vue de Clarisse, célibataire de moins de 30 ans, s’ajoute la question de sécurité sociale liée parfois au mariage. Ce qui nous emmène à savoir les raisons pour lesquelles on se marie. Si vous posez la question en Côte d’Ivoire, vous avez de fortes chances qu’on vous réponde comme Clarisse : « On se marie pour avoir une sécurité financière » ; ou Yannick : « Le mariage démontre notre maturité et prouve qu’on a reçu une bonne éducation de nos parents ». En clair, il arrive que les hommes se marient pour montrer à la société qu’ils sont responsables, qu’ils savent s’occuper de leur femme et mettre leur famille à l’abri financièrement. Comme le dit une chanson d’Espoir 2000, célèbre groupe de Zouglou ivoirien : « l’homme se marie quand il peut ». Ici le pouvoir de l’homme relève de son pouvoir d’achat. Celui qui se marie prouve à la société qu’il aura réussi socialement. Concernant la femme, la première chose que le mariage est sensé lui apporter, c’est « le respect de la société ». Une femme épousée est élevée sur un piédestal qui lui confère presque tous les honneurs. Une femme mariée est précieuse et valorisée dans la société, elle est le modèle de femme à imiter.

Se marier au bon âge Le mariage apparait donc comme une consécration, un couronnement. Carelle, 28 ans, nous a confié : « On me dit que si je ne suis pas mariée c’est que personne ne veut me prendre au sérieux. Qu’une femme qui n’est pas mariée à mon âge n’est pas une vraie femme » Il apparaît clairement que le tout n’est pas de se marier. Il faut se marier au bon âge ! Et à ce niveau, l’étau de la contrainte se resserre un peu plus. A 30 ans, la société estime que nous ne devons plus être au stade de recherche d’âme-sœur. Ce serait admettre qu’on n’a pas réussi. Et cela est « inadmissible ». En Afrique, une personne qui atteint ou passe l’âge de 30 ans en étant encore célibataire dérange un peu. On se demande pourquoi elle n’a pas encore trouvé chaussure à son pied? Pourquoi ne choisit-elle pas enfin ? On veut savoir, on veut l’aider à résoudre le problème qu’elle constitue pour son entourage. Parce que le célibat n’affecte pas uniquement la personne concernée, mais également toute sa famille, notamment les parents. C’est un honneur de marier son fils ou sa fille. Ne pas le faire assez tôt, devient source d’inquiétude. Nombreux sont ceux qui vont jusqu’à penser qu’on ne peut accéder à un certain niveau de responsabilité professionnelle si on n’est pas marié. Dans sa famille, dans son cercle d’amis ou même dans le milieu professionnel, atteindre 30 sans être marié(e) ou en voie de l’être est perçu comme un handicap. Pire, on n’éprouve aucune gêne à insinuer que la/le célibataire est une personne de moralité douteuse et de mauvaise compagnie.

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La pression pèse plus sur la femme Patricia, 32 ans, a confié : « J’ai voulu louer un local pour mon activité commerciale, j’avais le montant qu’il faut et j’étais prête à payer. Seulement, le bailleur était formel, il ne loue pas sa propriété à une femme qui n’est pas mariée, même si elle est solvable » Voilà qui en dit long sur ce que subissent les femmes célibataires au quotidien en Afrique. Au-delà de l’horloge biologique de la femme qui tourne, il faut tenir compte de l’espérance de vie. En Côte d’Ivoire, l’espérance de vie en 2018 était de 54 ans. Si l’on s’en tient à un raisonnement populaire, se marier et fonder une famille avant ses 30 ans, donne plus de chances de voir grandir sa progéniture. Et même si cela paraît quelque peu absurde, ou choquant, il existe encore en ce 21e siècle, selon monsieur Kouamé, des femmes pour qui, « se marier c’est trouver quelqu’un qui se chargera de la nourrir, la soigner, prendre la place des parents en quelque sorte… ». La religion enfonce le clou Du point de vue de la religion, le mariage est un sacrement qui confère aux époux l’autorisation divine d’avoir des relations sexuelles. Pour les croyants, seuls les époux ont la permission d’avoir des rapports

INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019 12Aninka © Media

sexuels, de vivre sous un même toit et d’avoir des enfants. Pour être un bon pratiquant et être en phase avec la foi, il faut se marier. Plus qu’un rite, le mariage est une bénédiction. Quel croyant ne voudrait donc pas se savoir béni ? « L’idée du couple en dehors du mariage est mal vue parce qu’elle est considéré comme le tremplin d’attitudes fornicatrices à censurer. La religion nous enseigne que l’être divin bénit les personnes qui se marient » ; cet argument de Clarisse est soutenu par la totalité de notre panel. Si le mariage est une bénédiction, le célibat apparaît comme une malédiction. « Dans des assemblées religieuses, on formule des prières pour chasser l’esprit de célibat » ; témoigne Thierry. La principale conséquence est que plusieurs personnes se laissent prendre au piège du mariage à tout prix. Ce qu’illustre bien le propos de Yannick ; « on met la charrue avant les bœufs ». On se marie pour la cérémonie, pour se conformer, plutôt que pour construire une union solide motivée par l’amour. La précipitation à se marier entraîne un mauvais choix du conjoint ou de la conjointe. Dans le dernier trimestre de l’année 2018, un phénomène malheureux a animé les conversations sur la toile à Abidjan : de fausses cérémonies de dot. Il s’agissait d’hommes qui payaient un groupe de personnes afin que ces dernières se fassent passer pour des membres de leur famille. Cette fausse famille prenait part à une cérémonie de mariage coutumier. La pression que subissent les célibataires peut contribuer à ce type de drame, car ce sentiment « d’échec social » n’est pas surmontable par tous les célibataires trentenaires.


TENDANCES - AFRIQUE

SORTEZ LA MARIÉE ! Par Chrys Ève Nyetam Photos par Victor Zebaze

« Il ne peut même pas imaginer ne pas me doter ». C’est ce que D.S, ivoirienne de 26 ans répond quand on lui demande s’il est important pour elle d’être dotée – c’est-à-dire d’être mariée traditionnellement. Ce que les non-africains – et parfois les africains très occidentalisés – considèrent comme un marchandage de la femme, est une pratique culturelle qui existe depuis la nuit des temps. A l’époque de nos ancêtres, il n’y avait pas d’État au sens où on le conçoit aujourd’hui. Il fallait donc sceller l’union de deux familles dont les enfants souhaitaient fonder un foyer. Parce que la descendance repose sur ses épaules, la femme était considérée comme le joyau de la famille. Son départ était donc perçu comme une perte pour le clan. Pour compenser cette perte et assurer à la famille de celle-ci qu’elle sera bien traitée et qu’elle ne manquera de rien, la dot était alors instituée. L’annonce du mariage – Une question de tradition Chez les Peuls du Sénégal, le mariage traditionnel est décidé entre hommes. Une fois que les deux futurs époux ont pris la décision de sauter le pas, l’homme informe ses oncles qu’il souhaite se marier à une femme qu’il fréquente. La femme de son coté en parle à sa famille, en particulier son père, qui à son tour contactera les oncles de la future mariée pour leur dire qu’un jeune homme veut prendre leur fille pour épouse. Le père et les oncles du futur époux décident ensuite d’une date où ils viendront rencontrer la famille de l’épouse (c’est-à-dire le père et les oncles de celle-ci). Une fois que cette rencontre est faite, si tout se passe bien, les hommes des deux familles décident de la date du mariage. Chez les Malinkés, peuple que l’on retrouve au Mali, au Burkina Faso et dans le Nord de la Côte d’Ivoire, l’annonce du mariage ne se fait pas que verbalement. A Tiémé – village du nord-ouest de la Côte d’Ivoire – l’annonce des cérémonies se fait à travers la kola. Pour se faire, on procède par le partage de la noix de kola aux différents membres de la famille : c’est le Worotlan. Lors de ce partage, on annonce ainsi la date et le lieu du mariage. Chez les Mina, ethnie que l’on trouve à la fois au Togo et au Bénin, le mariage traditionnel est scellé par les femmes. Ce sont les tantes de la mariée qui décident de la date du mariage traditionnel et ce sont elles qui reçoivent les présents apportés par la famille de l’époux. Ce sont également elles qui prennent la parole lors de la cérémonie de la dot. Chez les Bassa’a, l’officialisation des fiançailles se fait par le «li ti pôs», c’est-à-dire « donner la bouteille ». La particularité de ce peuple que l’on trouve au Cameroun, est que cette cérémonie est dirigée par le chef de famille, qui n’est pas nécessairement le père biologique de la future « sombo » (mariée). C’est lui qui reçoit symboliquement la bouteille. Une fois celle-ci reçue, la famille de la fiancée remet à la famille du prétendant le « Litamb Likil », c’est-à-dire la liste des objets devant composer la dot. Dans la tradition Bassa’a la famille du fiancé a la possibilité de contester cette liste. C’est le « Likaa Likil ».

La liste, la pomme de discorde Le constat est triste mais réel : de plus en plus de familles profitent de la dot pour se refaire une santé financière et/ou matérielle. Ce qui était considéré autrefois comme un symbole, est devenu un vrai moment d’exhibition. Chez les Akan, peuple originaire du Ghana que l’on retrouve également en Côte d’Ivoire, une bouteille de liqueur, un ou deux pagnes kita et 50.000 FCFA étaient suffisants. La famille de la mariée n’en demandait pas plus et la famille du prétendant pouvait, si elle le voulait, donner encore plus de présents. Chez les Malinkés, la liste est plus longue. Pour les Malinkés basés en Côte d’Ivoire, une somme de 12 500 FCFA en espèce est remise à la famille de la mariée. Cette somme est accompagnée de quelques voiles de prière et de chaussures dont le nombre exact dépend du marié. De plus, plusieurs complets pagnes sont distribués à la famille de la mariée dont 5 complets pagnes (la qualité dépend du standing des mariés), et un complet pagne pour le père de la mariée, qui est dans cet ethnie, un des oncles de la mariée. Un autre complet pagne est également donné à la Djembadjara, une tante qui ce jour-là, a le rôle de la maman de la mariée, et qui attache le foulard de la mère biologique de la future épouse. Pour clôturer le tout, une nouvelle somme symbolique est remise pour pouvoir coudre les pagnes qui ont été distribués. Mais tout ça c’était avant. Aujourd’hui, la liste de la dote s’est modernisé dans toutes ces ethnies et la tradition n’est plus vraiment appliquée. On y trouve des objets du quotidien comme des micro-ondes, des téléphones portables, des téléviseurs, et même des ordinateurs Chez les fang-bétis, peuples que l’on retrouve au Gabon et au Cameroun, de nos jours, la liste comporte presque toujours des porcs « longs-châssis1 » et une somme de 100.000 FCFA au moins est à prévoir pour « l’avion », ce petit jeu qui consiste pour le futur marié à ¹ Porc de longueur imposante INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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deviner qui est sa future épouse parmi plusieurs femmes de la famille qui sont cachées sous un drap blanc. Il devient de plus en plus difficile de se marier traditionnellement et la dot passe aujourd’hui comme le marchandage de la femme. « La liste de la dot de ma femme a coûté 10 000 €. J’ai payé, sans broncher, mais qu’ils ne viennent plus rien me demander », nous confie J.P, un camerounais marié depuis deux mois. Pour S.G, béninois, « c’est à cause de la valeur des objets de la liste que je ne me suis pas encore marié. Je n’ai pas encore les fonds nécessaires. Quand on sait qu’il y a une vie après le mariage, on y réfléchit à deux fois avant d’entrer dans cette famille ». Et c’est là que le bât blesse. Plusieurs jeunes hommes africains se sentent escroqués par leurs belles familles. Certains décident de céder à ces caprices, et d’autres non, car pour eux, la dot doit d’abord être symbolique. 9 hommes sur 102 seraient prêts à doter leurs dulcinées. Mais pas à tous les prix. Ils sont prêts à mettre entre 1.000 et 7500 € pour les objets figurant sur la liste. D’un autre côté, 8 femmes sur 103 estiment que leurs prétendants devraient donner tout ce qui est listé pour la dot. Pour les 20% restantes,

Une cérémonie de dot au Cameroun La dot – La cérémonie nuptiale Si « le dimanche à Bamako c’est jour de mariage », à Tiémé, le mariage commence le lundi ou le mercredi. Pour des raisons religieuses, (ici l’islam), les femmes et les hommes sont séparés. Les femmes de leur côté commencent par la mise en chambre de la mariée, appelée chez les Malinkés, le Lassiguili. Pendant ce temps, la mariée a le visage couvert d’un voile blanc et elle est assise. Elle ne sort pas de sa chambre et elle peut même y rester trois jours. C’est également à ce moment-là qu’il y a la très célèbre cérémonie de pose du héné, le Djabila. De leur côté, les hommes commencent la cérémonie le jeudi. Pour célébrer le mariage, les hommes des deux familles se réunissent pour le Fouroussiri, c’est-à-dire l’attaché des kolas précédemment distribué lors de l’annonce du mariage. C’est ainsi que le mariage religieux est alors cé2 3

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Sondage mené par Inspire Afrika auprès de 150 hommes africains âgés de 26 à 38 ans Sondage mené par Inspire Afrika auprès de 150 femmes africaines âgées de 22 à 34 ans

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les raisons sont principalement familiales, ou liées à l’éloignement de la culture. Pour D.O, Ghanéenne de 23 ans éduquée en Angleterre « la dot c’est le mariage traditionnel. Je respecte mes traditions, mais le fait de demander à mon futur époux de l’argent pour que je puisse aller vivre avec lui est une façon de me vendre. Je ne suis pas un objet. Et je ne veux surtout pas qu’on me dise que je dois me plier à telle ou telle exigence parce que j’ai coûté cher ». La dot a perdu son symbole et ce qui était autrefois une célébration devient un vrai folklore où tout le monde ne trouve pas sa place. « Je ne vends pas ma fille. Je veux juste une belle réception qui fera comprendre au village que ma fille est partie en mariage », nous confie F.N, gabonaise, épouse de 52 ans et mère d’une fille de 29 ans. Pour certaines femmes, la dot n’est rien de plus qu’une cérémonie nuptiale. Pour d’autres comme B.K, « c’est aussi une occasion de s’amuser malgré le chagrin que l’on ressent de voir sa sœur ou sa fille partir. Le mariage n’est pas facile ! », nous confie-t-elle. Au Cameroun, l’article 357 du code pénal prévoit une peine d’emprisonnement « de trois mois à cinq ans » et « une amande de cinq mille à cinq cent mille » pour toute personne exigeant une « dot excessive ». Le mot est lâché. Mais l’excès reste finalement une notion relative, aux yeux de la loi camerounaise comme aux yeux des hommes.

© Victor Zebaze lébré à la mosquée. Si le Fouroussiri est fait le matin, alors l’après-midi le Koun-Koli aura lieu. On lave alors la tête de la nouvelle mariée. Parce que l’Afrique mêle religion et tradition, la question s’impose presque : Est-il nécessaire, après avoir été marié selon la coutume, de se marier à l’état civil ? Est-il nécessaire de se marier traditionnellement si l’on compte se marier à l’église ? Dans les deux cas, la réponse est oui, à l’unanimité, mais pas pour les mêmes raisons. Pour certains, le mariage à l’état civil est nécessaire car cela permet à la femme d’être protégée selon les lois en vigueur dans son pays. Pour d’autres, les cérémonies civiles et religieuses sont des occasions de faire sortir la mariée parée des plus belles dentelles et des plus beaux tissus, pour avoir les plus belles photos à partager avec ses proches ou sur les réseaux sociaux.


TENDANCES - AFRIQUE

DIVORCE À L’AFRICAINE Par Marie Simone Ngane

Jour de mariage, Jour heureux. C., jeune demoiselle de moins de 30 ans, qui se réjouit de commencer sa vie avec son nouvel époux, reçoit des félicitations. Très souvent, les femmes ajoutent “le mariage est dur, il faut supporter!”. Le refrain, on le connaît, la rengaine, on l’a récitée. Supporter, oui mais quoi ? Où est donc passé le “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” des contes de notre enfance ? Qu’on se marie par amour, par effet de mode ou pour faire face à la pression sociale, on se marie pour le meilleur et le pire. Quels sont donc ces causes pire que le pire qui poussent les couples au divorce ? De nombreuses idées reçues circulent sur le divorce en Afrique. “A l’époque de nos grands-parents, on ne divorçait pas.” Faux! Si le divorce était mal perçu, il avait toutefois court. Dans la culture africaine, les désaccords entres les époux pouvaient conduire par la répudiation de la femme ou par un départ volontaire de celle-ci. Le divorce était rendu difficile par le fait que le mariage n’était pas seulement l’union de deux personnes mais l’union de deux familles. En général, dans la plupart des cultures africaines, des arbitrages familiaux suffisaient souvent à rompre l’union sauf en cas de litige financier. Pour divorcer, il fallait donc l’accord de ceux-là qui s’étaient unis en même temps que vous en leur énonçant des raisons solides. Les raisons étaient nombreuses: l’impuissance, l’insatisfaction sexuelle, la stérilité, l’absence de naissances masculines, l’incompatibilité d’humeur et bien d’autres. Chez les fang, où “divorce” se dit “nvasan”, seule la femme pouvait demander le divorce. Elle devait alors rembourser la dot pour être totalement libre. L’homme, quant à lui, s’il venait à ne plus être satisfait de sa femme avait le droit d’en prendre une deuxième ou même une troisième s’il en avait les moyens, choisie par la première. Chez les Bamiléké, au Cameroun, le divorce est un acte grave mais possible avec l’accord des familles. Le divorce se dit en langue ghomala “Nëe khù m’tsche”, autrement dit “fuir le sang”, sous-entendu, le sang du mari. La femme divorcée est mal vue. En langue Shona, au Zimbabwe, la femme divorcée est appelée “Akarambwa”, qui signifie “rejetée” que ce soit elle qui ait demandé la fin de l’union ou pas. Si “l’homme se marie quand il peut”, la femme, elle, divorce quand elle peut. A la pression sociale qu’un divorce impose, s’ajoute souvent les difficultés à subvenir aux besoins de ses enfants et elle-même. Une femme indépendante financièrement aura donc plus de facilité à s’affranchir d’un mauvais mariage avec ou sans l’approbation du groupe. Les luttes féministes ont permis à de nombreuses femmes d’accéder au travail et à l’éducation, leur permettant ainsi de jouer un rôle plus important dans la famille. La polygamie perd du terrain et les divorces causés par les adultères sont nombreux. Pourquoi les femmes accepteraient-elles que leurs maris prennent une deuxième épouse quand elles sont répudiées à la moindre incartade ? Le droit au Cameroun ne prononce le divorce en cas d’adultère de l’homme que si la femme trouve son mari nu dans le lit conjugal en des positions équivoques avec une autre dame. Elle devra cependant rendre des comptes et

pourra même être accusée d’adultère si seulement elle est retrouvée en train de parler avec un autre homme inconnu à son mari. Les lois injustes et partisanes sur le divorce en Afrique sont légion. La plupart des religions insistent également sur le caractère indélébile du mariage. Dans l’Islam, le divorce n’est pas conseillé mais peut être prononcé lorsque la vie de couple devient impossible. Les pays musulmans sont cependant ces dernières années, en tête des pays africains en ce qui concerne les divorces. L’Égypte est déclarée première par le rapport Divorces and crude divorce rates by urban/rural residence publié par les Nations Unies en 2015. En Tunisie, les tribunaux ont tranché dans 14.982 affaires de divorce lors l’année judiciaire 2014-2015, soit 41 cas par jour, selon les statistiques du ministère de la Justice. Les causes sont souvent l’incompatibilité d’humeur, l’adultère, les difficultés financières mais aussi une cause inédite, les réseaux sociaux. Il est en effet de plus en plus facile de faire des rencontres virtuelles, de partager des centres d’intérêt avec des inconnus qui deviennent des amis et plus si affinités. Il ne faut cependant pas penser que l’adultère est l’apanage des hommes. En Tunisie, les hommes sont plus nombreux à demander le divorce pour ces causes que les femmes. En Afrique subsaharienne, contrairement à la croyance commune, le taux de divorce est en baisse. Une étude menée dans vingt pays d’Afrique subsaharienne de 1995 à 2015 par des chercheuses de l’Université McGill au Canada démontre que le taux de divorce a baissé sur la période dans la moitié des pays examinés. Alors que le niveau d’éducation et le pouvoir d’achat augmentent chez les femmes africaines, l’on s’attendrait à ce que la tendance soit à la hausse comme en Occident. Il n’en est rien. Selon les chercheuses, la raison serait l’âge du mariage. “ Même si l’urbanisation et l’emploi des femmes sont généralement associés à des taux plus élevés de divorce, ces facteurs sont compensés en Afrique subsaharienne par l’augmentation de l’âge du premier mariage”, explique Shelley Clark, directrice du Centre sur la dynamique des populations de l’Université McGill. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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Dans Mariage et divorce à Dakar; itinéraires féminins, l’auteure Fatou Bineta Dial explique que dans les années 1950, l’âge du mariage au Sénégal était l’un des plus précoces. Les filles quittaient la tutelle du père pour celle de l’époux. Aujourd’hui, ce sont des jeunes femmes éduquées et scolarisées qui accèdent au mariage. Cependant, elle rajoute que la dot étant moins élevées pour les divorcées, elles n’ont pas de mal à se remarier. “La faible proportion des femmes “hors union” montrent bien le caractère quasi obligatoire de l’union pour les femmes.” écrit-t-elle. L’émancipation de la femme est souvent citée comme cause de la recrudescence des divorces mais si celles-ci ont plus de facilité à abandonner les unions difficilement “supportables”, elles n’en restent pas moins en attente du fameux sésame que représente le titre de “Madame”.

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Il n’y a pas de doute, les liens du mariage sont moins sacrés en Afrique qu’il y a quelques années. Les cérémonies traditionnelles ont perdu de leur importance. Les principes de la religion sont parfois questionnés. On ne marie plus forcément les familles mais deux personnes capables de se séparer selon leur bon vouloir. On se marie peut-être pour les mauvaises raisons mais on divorce pour les bonnes. L’accessibilité du divorce n’est pas tant le problème mais les fondements du mariage. Un proverbe africain dit “Que chacun accroche son sac où il peut le décrocher”, autant dire que chacun choisisse le mariage qu’il peut “supporter.” P.S : Mariez-vous, vivez heureux et ayez beaucoup d’enfants, histoire de ne pas finir ce dossier sur une note triste ;).


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COUP DE COEUR - RDC

LAETITIA KANDOLO « LE MÉTIER DE DESIGNER N’EST PAS FORCÉMENT NOBLE EN RDC » Interview par Joan Yombo Photos par IndigoChromia pour Inspire Afrika © Aninka Media

Elle se définit comme une « fille de partout », du fait de ses nombreux voyages. Née en France de parents Congolais, Laetitia Kandolo a grandi bercée par la musique. Amoureuse du monde du spectacle depuis toute jeune, elle pratique la danse pendant plusieurs années, et finit par intégrer l’univers de la mode et du costume, dans lequel elle démarre sa carrière de styliste à 19 ans. Laetitia Kandolo a travaillé et continue à travailler avec les plus grandes stars mondiales, de Kanye West (pendant 3 ans), à Beyonce en passant par Rihanna, Madonna, ou encore Sting. Elle dégage à la fois une paix d’esprit, et un bouillonnement intérieur, qui en font une personnalité intrigante… Tu as dit que l’une des raisons pour lesquelles tu avais décidé d’être styliste c’est parce que tu t’étais rendue compte que tu pouvais raconter des histoires avec des vêtements. Comment raconte-t-on une histoire avec des vêtements ? Je crée des vêtements de la même manière que l’on fait des collages ou des phrases. On assemble des images ou des mots, pour que le tout fasse sens. J’assemble donc tout ce qui me vient à l’esprit, des choses en lien avec des événements personnels (ou pas) qui me marquent, de la musique, des mots, des couleurs et des textures, pour représenter des ambiances et des tableaux d’humeur. Je me raconte aux autres à travers mes vêtements. Je n’ai pas forcément besoin qu’on me comprenne. Ensuite, chacun fait ce qu’il veut de mes pièces, les clients réinventent d’autres histoires avec les vêtements qu’ils achètent, et c’est ça le plus drôle. Démarrer sa carrière en étant styliste et embrayer sur une carrière de designer. C’est un peu la suite logique non ? Non. Un styliste n’est pas forcément un bon designer et vice versa. Ce sont deux métiers très différents. Si vous y regarder de près, vous verrez que beaucoup de designers font appel à des stylistes pour leurs looks de campagnes ou de défilés. C’est comme les bloggeuses, qui très souvent, ne savent pas faire leurs propres looks. C’est exactement ce genre de croyance qui laisse penser à certains qu’ils peuvent être d’excellents designers ou stylistes à partir du moment où ils travaillent dans la mode. Chaque métier a une fonction précise. Tu as 22 ans et tu as démarré ta carrière à 19 ans. Tu es noire et africaine. Tu as travaillé avec les plus grands. As-tu souvent eu l’impression que ta condition ou ton identité posait un problème dans ton entourage professionnel ? Les Anglo-saxons sont très différents des francophones. Ils attendent surtout un rendu, peu importe la personne qu’ils ont en face. Je pense aussi que j’ai été conditionnée très tôt pour ne pas me laisser distraire par toute personne portant des jugements discriminatoires. Je ne dis 18

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pas que le racisme est inexistant dans la mode, car il existe ! Mais j’ai toujours su m’imposer. On m’a souvent dit : « Ah c’est vous ? On s’attendait à quelqu’un de plus âgé ». C’est justement à ce moment-là que je démontre que la petite jeune en sait assez pour exercer « dans la cour des grands ». Concrètement, comment réussis-tu à t’imposer dans ce milieu? Raconte-nous ta pire expérience en tant que styliste et comment tu t’en es sortie. J’ai souvent été la seule noire, la seule française, la seule enfant de 2 ans quand j’étais à la maternelle, la seule « quelque chose » ! Disons qu’on apprend vite à aller chercher sa propre chaise et s’installer autour de la table. Pour le respect de mes clients, je ne divulguerai pas de noms. Mais je peux vous dire que j’ai tout vu, tout fait, tout entendu. J’ai fait réparer des chaussures en 10 min, travaillé des nuits entières, fait raccorder des vêtements à l’autre bout du monde, été réveillée à minuit pour prendre le 1er avion dans la foulée, etc… Je m’en suis toujours sortie, sauf une fois… Dix costumes étaient restés bloqués à Londres, je ne pouvais pas utiliser d’hélicoptère, et tous les costumes déjà reçus avaient besoin de retouches. Le timing étant trop short, les artistes ont dû monter sur scène avec leurs vêtements… Ce fut le pire échec de ma jeune carrière. J’ai mis 3 semaines à m’en remettre. Rose. Géométrie. Tresses. Musique. Que peux-tu me dire à propos de ces 4 mots ? Le rose, n’est pas ma couleur préférée mais la couleur qui s’associe le mieux à mon état d’esprit, la quête d’une vie en rose, l’acceptation d’être vulnérable, la paix intérieure, le bonheur. Mon amour de la géométrie date de mon enfance. Plus jeune, j’adorais les puzzles, parce que j’aimais déjà assembler les bonnes pièces entre elles. Et pour moi, c’est comme la vie : trouver le parfait assemblage entre des pièces toutes plus différentes les unes des autres. Depuis quelques mois, je n’arbore que des tresses. C’est moi en ce moment, je serais quelqu’un d’autre demain.


Il n’y a pas de mots pour décrire ma relation avec la musique. C’est la première chose que je fais chaque matin, c’est ce que je voulais faire avant de travailler dans la Mode. Je vois des images quand j’écoute de la musique et c’est de cette façon que je travaille le stylisme d’un clip. Et puis, les tournées représentent une bonne partie de mes expériences professionnelles. C’est magique ! En parlant de magie, tu as lancé en 2014 la marque UCHAWI, qui signifie justement « magie» en Swahili. Toutes les pièces sont fabriquées en RDC. Sachant que l’industrie de la mode y est peu structurée, quels sont les challenges auxquels tu fais face au quotidien ? TOUT. L’industrie de la mode est quasi inexistante. L’industrie du textile a existé, puis tout a disparu. Des événements existent, mais n’ouvrent pas réellement la mode locale au reste du monde. Beaucoup de métiers n’existent pas et sont encore méconnus. Le marketing de la mode, le commerce, les boutiques… C’est un terrain vide. Pour être honnête, il y a des jours où je me dis que j’ai pris une décision complètement folle. En fait, je le pense toujours ! Il manque des acteurs dans tous les autres domaines de la mode. Je fais des choses, mais je me suis rendue compte que je ne peux pas tout faire. Nous n’avons plus besoin d’ONG, mais d’infrastructures, de formations et ensuite d’entreprises dans lesquelles les personnes vont pouvoir évoluer. Certains suivent des formations, mais elles n’ont pas, comme en Europe, l’opportunité de se construire à travers des expériences concrètes en entreprise ou au sein des marques. Il est compliqué de marketer des produits dont on ne connait pas la valeur… L’autre chose c’est que le métier de designer n’est pas forcément noble en RDC. Trop créatif, il n’est pas assez « cérébral » pour être accepté et considéré.

Est-ce que UCHAWI est éthique au niveau du choix des matières ? Des artisans? Des ressources utilisées, ou de tout ça à la fois ? UCHAWI est éthique principalement au niveau des artisans et de la méthode de travail. Je travaille avec des artisans locaux qui ont un emploi stable et des revenus justes. C’est pour moi le point le plus important, car le chômage est un des principaux fléaux en RDC. Ensuite, j’aimerai développer la formation via un programme. J’y réfléchis encore. Aujourd’hui, il est compliqué pour moi d’être 100% éthique, et je pense qu’il faut faire les choses petit à petit. Les matières viennent de partout dans le monde, tout comme mes inspirations. Les modèles que tu shootes pour tes campagnes sont différents. Sur la collection actuelle apparaît sur la plupart des photos, un modèle albinos. A quel point est-il important pour toi de montrer des personnes qui ne ressemblent pas aux mannequins qu’on a l’habitude de voir ? Je ne créé pas que pour des « mannequins ». Je souhaite simplement avoir des muses qui ressemblent à mes clients, aux gens qui m’inspirent. Je veux que chacun puisse se voir et s’imaginer à travers nos visuels. C’est la force de la représentation. Nos photos ne sont que très peu retouchées. Nos filles ont souvent de fortes personnalités, et c’est ce que j’essaye de faire ressortir.

Tu travailles avec plusieurs couturiers différents à Kinshasa, qui ont surement des styles différents. Comment t’assures-tu que leurs productions respectent la cohérence de ta marque ? D’ailleurs, comment les sources-tu ? Le couturier n’est pas designer, son travail c’est de fabriquer le vêtement, de couper et de monter. Son style n’a pas d’impact ici. Le designer ou le styliste comme on en parlait plus haut, ont d’autres rôles. D’où l’importance de bien dispatcher les rôles de chacun. Les personnes avec lesquelles je travaille sont généralement jeunes, car je tiens à avoir un personnel doté d’une ouverture d’esprit. Chaque collection est faite de matières différentes, avec des techniques différentes, et apporte son lot de challenges. C’est ce qui leur permet d’évoluer et de voir la mode autrement. Je les sources où je peux : écoles, bouche à oreille, etc. Depuis quelques temps, je travaille avec les mêmes car je veux qu’ils deviennent les meilleurs dans ce qu’ils font. Cela demande un peu de temps. Il y a cette technique de couture, le masusa, que tu souhaites préserver. Peux-tu nous en dire plus ? C’est une technique que j’ai apprise en textile à l’école il y a quelques années, et que j’ai adoré. Elle date de très longtemps (vers 1800), et j’ai décidé de me la réapproprier, en lui donnant un coup de jeune. C’est une technique manuelle, qui prend du temps, et pour moi c’est ce que les grandes marques ne font plus aujourd’hui. Elles ne prennent plus le temps de faire de belles pièces. Car le vrai luxe, c’est le temps ! « Masusa » signifie « plis » en lingala.

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COUP DE COEUR - NIGERIA

DAMILOLA ODUFUWA FEMINISTE PASSIONÉE Mots par Joan Yombo Photos par Medina Dugger A 28 ans, cette jeune repat possède une carrière médiatique qui pourrait faire pâlir d’envie beaucoup d’entre nous : MTV, Zikoko, Konbini Nigeria, CNN … Beau palmarès pour quelqu’un qui a fait des études en économie et qui a démarré en tant que consultante dans une société de gaz et d’énergie. Le secret de Damilola ? Un esprit libre qui utilise la passion comme carburant. Après être passée par des startups et par des gros médias, elle veut désormais être le capitaine de son propre bateau, celui qui va bousculer le paysage médiatique Nigérian. Bourrée d’ambition et de talent, elle est obsédée par une seule chose : créer un contenu pertinent et adapté à la femme africaine moderne. LE PARCOURS En terminant ses études d’économie, rien ne présageait Damilola Odufuwa à travailler dans les médias. Pourtant, elle l’admet elle-même, elle a toujours eu un fort intérêt pour la pop culture, les médias et la musique, mais pas au point d’en faire une carrière : « Vous connaissez les parents africains, ils ne comprennent pas certains métiers. De manière inconsciente, je n’envisageais aucune carrière dans ces domaines-là. C’était juste des hobbies » Bonne élève, Damilola obtient rapidement son Master en Finance Internationale et en Économie à Londres: « C’était la bonne voie pour moi. J’aimais l’aspect analytique des études en économie, qui me permettaient de comprendre la structure du monde du business ». La jeune femme a alors un plan très clair : travailler à la Banque Mondiale une fois son diplôme en poche, dans le but d’avoir un impact et de changer les choses. Mais elle se retrouve plutôt à travailler comme consultante dans une entreprise de gaz et d’énergie. « Je me suis vite sentie misérable. Moi qui voulais apporter un impact positif dans ce monde, je travaillais pour une entreprise qui polluait la planète. J’ai vite compris que je ne tiendrai pas longtemps, il fallait que je trouve autre chose. » Au détour d’une conversation, l’une de ses amies lui fait remarquer à quel point elle est toujours au courant de ce qui se passe dans le monde de la pop culture en général, et de la musique en particulier. Et là, c’est le déclic. Damilola commence à se dire qu’après tout, ce ne serait pas une mauvaise idée de transformer sa passion en carrière. La jeune femme commence alors à chercher des opportunités dans le monde du divertissement, et les portes s’ouvrent vite. En 2015, elle décroche un stage au sein d’Universal Music à Londres, où elle travaille comme data analyst dans la branche Marques & Partenariats : « c’est à ce moment-là que j’ai compris l’utilité d’avoir fait des études en économie. Mon rôle était de récolter des données chiffrées sur le comportement des consommateurs de musique : qui est l’audience de tel musicien ? Qu’est ce qui les intéresse ? J’ai compris que même

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dans le domaine artistique, il y a un aspect business. Je pouvais alors clairement réunir ce que je savais faire, (analyser) et ce que j’aimais (l’art et la culture) ». Très vite, une seconde porte s’ouvre pour la jeune femme, et la même année, elle se retrouve propulsée sur MTV, afin de travailler pour la célèbre série Shuga. Travailler dans les médias, éduquer les gens, avoir un impact. C’était le trio gagnant pour Damilola. Mais on vous l’a dit, la jeune femme est un esprit libre. Après 9 mois d’aventure chez MTV, elle décide de rentrer au Nigéria : Je me suis rendue compte que je voulais en faire plus. Je voulais raconter des histoires africaines, et je voulais le faire dans mon pays. Je voulais avoir un meilleur impact sur le continent. Pendant sa première année au Nigéria, elle est rédactrice en chef de Zikoko, une sorte de buzzfeed africain. « En un an, nous sommes devenus une véritable référence au Nigéria avec plusieurs millions de lecteurs ». En Septembre 2016, Konbini l’approche pour lancer et installer la première branche africaine du média. Damilola en devient l’éditrice en chef, met en place la ligne éditoriale, et déniche les africains « qui font des choses cool sur le continent ». Damilola joue cette partition à la perfection pendant près de 2 ans, avant de se retrouver à la tête de la branche Social Media Afrique de CNN, où elle réussit à augmenter le nombre de followers Instagram de 25 000 à l’issue du premier mois. Rien que ça ! Quand on lui demande comment elle réussit à avoir d’aussi bonnes performances si rapidement, elle répond : « Je sais et je comprends ce que les millenials africains veulent, je sais ce qui leur tient à cœur, et par conséquent je sais ce que les médias africains doivent vendre ».


OPINIONS TRANCHÉES Damilola Odufuwa est une fervente défenseuse des libertés individuelles, qui n’a pas la langue dans sa poche. Cela peut vite s’avérer compliqué à gérer quand on a vécu longtemps en Europe et qu’on évolue désormais dans une société où il est mal venu de remettre en question l’ordre établi. Les valeurs et les convictions ne sont pas les mêmes. La jeune femme confirme que ce n’est pas toujours simple : « Je mentirai si je ne disais pas que c’est très difficile pour moi à tout point de vue. Je sais que chaque pays africain a son lot d’incohérences, mais le Nigeria est un pays très particulier. Il existe une « folie » ici que seuls ceux qui y vivent peuvent comprendre et expliquer. Je viens d’une famille plutôt tolérante, mais la société nigériane est très conservatrice et très religieuse. Or j’ai tendance à avoir un problème avec la religion. Je ne trouve pas justement qu’elle soit une source de tolérance. Au contraire, elle stigmatise et créé du jugement sur les gens. » En ce qui concerne les libertés sexuelles et la place de la communauté LGBT, Damilola est plutôt optimiste. Bien que la société nigériane ne soit pas encore prête à adresser frontalement ce type de sujets, la conversation commence à éclore petit à petit, notamment sur les réseaux sociaux : « Avez-vous entendu parler de Bobrisky ? C’est l’un des premiers transsexuels au Nigéria. Il est très controversé, mais en même temps les gens l’adorent et le suivent, comme une célébrité. C’est un phénomène intéressant à observer. Il crée énormément de débats sur la toile, et je pense que ce genre de choses va de plus en plus arriver, car ce sont des sujets qui préoccupent aussi la nouvelle génération. » Au-delà de tout ça, le vrai challenge pour notre femme de média, c’est tout simplement de vivre en tant que femme au Nigeria. Comme dans beaucoup de sociétés africaines, on accorde plus de respect aux hommes qu’aux femmes. Les micro-agressions y sont quotidiennes. On se souvient de l’exemple pris par l’auteure Chimamanda Ngozi Adichie dans son discours « We should all be feminists1 », où elle évoquait le fait que même si une femme règle la note quelque part, si elle est accompagnée par un homme, on donnera le reçu à ce dernier, ou on le remerciera au lieu de remercier la femme.

Si je crée un média demain, il adressera le sujet du mariage, mais d’une autre manière. » La jeune femme fustige le contenu de certaines publications féminines, qu’elle considère rétrogrades et dégradantes : « Comment peut-on encore dire dans un média aujourd’hui, que la femme doit cuisiner pour l’homme en toutes circonstances alors que, du fait de la conjoncture économique, la majorité des femmes africaines travaillent, et ont donc des horaires tout aussi compliqués, que ceux des hommes ? Même si elles ne travaillent pas dans le secteur formel, elles rapportent de l’argent dans le foyer. Il est important de remettre les choses dans leur contexte. Nous sommes en 2019. » Quand on aborde le sujet des personnes qui se désolidarisent du féminisme parce qu’il donne le sentiment d’être à charge contre les hommes, Damilola est intransigeante : « Les gens qui ont peur du féminisme sont ceux qui n’ont pas cherché à comprendre de quoi il s’agit réellement. La définition du féminisme est simple et Chimamanda Ngozi Adichie l’a brillamment résumée : l’égalité économique, sociale et politique des sexes. Les féministes ne détestent pas les hommes, elles dénoncent une marginalisation des femmes, et le non-respect de leurs droits. Ce n’est pas difficile à comprendre. On accuse les féministes d’être extrémistes. Laissez-moi vous prendre l’exemple de la religion : Aujourd’hui, la religion catholique est entachée de scandales pédophiles. Mais cela n’empêche pas les gens, et surtout pas les africains, de continuer à pratiquer cette religion. C’est la même chose avec l’Islam, qui est instrumentalisée par des terroristes. Nous savons pourtant très bien que l’Islam ne prône pas la destruction d’autrui, et de fait, les gens pratiquent toujours cette religion. Pourquoi n’appliquons-nous pas la même tolérance au féminisme ? Chaque mouvement possède un pan extrémiste, mais cela ne remet pas en question l’essence même du mouvement. »

Les frustrations quotidiennes ont poussé le jeune femme a lancer Wine and Whine, un groupe de support pour les femmes : un espace intime où elles peuvent s’exprimer sur tous les challenges auxquelles elles font face dans la société nigériane. (Wine signifie vin et fait référence à la convivialité et au plaisir de boire un verre ensemble. Whine signifie se plaindre, NDLR). Tous les mois, ces femmes se réunissent autour d’un cocktail ou d’un apéro, pour parler de leurs challenges et explorer des pistes de solutions, au lieu de toujours se plaindre justement. « C’est un groupe résolument féministe, et je l’assume. Nous souhaitons bousculer les choses dans la société et créer le changement. Cela ne marchera pas avec des personnes qui ne sont pas à l’aise avec la notion de féminisme ». Et quand il s’agit de féminisme, Damilola est intarissable, tant sur les projets, que sur la vision. Elle souhaite créer un média africain, féminin et progressiste, qui adressera tous les sujets que les médias féminins actuels ne traitent pas (assez) : la sexualité, l’inégalité des salaires, la carrière professionnelle, etc. La jeune femme dit vouloir combattre la tendance à présenter la femme africaine sous un seul angle, à la simplifier, alors que cette dernière est complexe, plurielle, influencée par des expériences diverses et variées : « Je suis féministe, j’aime prendre soin de mes cheveux naturels, j’aime bien m’habiller, j’aime porter des talons, mais je n’aime pas me maquiller. Pareil, je suis féministe, et je souhaite me marier. Je ne veux juste pas qu’on me réduise au mariage. ¹ « Nous devrions tous être féministes » INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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INSPIR’INTERVIEW - BÉNIN

ANGELIQUE KIDJO

« ON NE TROUVERA JAMAIS DE SOLUTIONS DURABLES DANS LE CHAOS ET LA VIOLENCE, LE PASSÉ NOUS L’A MONTRÉ » Interview par Joan Yombo Photos par Laurent Serroussi Tout au long de son impressionnante carrière qu’on ne présente plus, Angélique Kidjo a toujours été animée par trois choses : la défense des droits humains, notamment ceux des femmes, la générosité et la reconnaissance. Cette reconnaissance, on la retrouve dans les histoires qu’elle raconte, où elle fait très souvent référence aux précieux conseils que lui prodiguaient son père et sa mère. La reconnaissance, on la retrouve aussi dans les nombreux hommages musicaux qu’elle a rendu aux femmes qui l’ont inspirée : Aretha Franklin, Miriam Makeba, Bella Bellow... Des femmes fortes et engagées, qui ont contribué à construire son âme d’artiste. A quelques semaines du lancement de son dernier album, qui rendra hommage à la cubaine Celia Cruz, Angélique Kidjo nous a parlé de son engagement, de ses valeurs et de comment on peut construire un monde meilleur. Comment avez-vous construit votre personnalité de femme engagée et quelles sont les femmes qui ont inspiré cette construction ? J’ai commencé la musique à l’âge de 6 ans, dans la troupe de théâtre de ma mère. Mes frères en parallèle avaient un groupe de musique où ils reprenaient les chansons des années 60/70. J’avais une décennie de différence d’âge avec mon frère aîné, et en tant que gamine, j’absorbais tout ce que j’écoutais à ses côtés. Dans ma famille on m’appelait « pourquoi, quand, comment ». Je posais des questions tout le temps et très vite, j’ai commencé à m’interroger sur la place des femmes dans cet univers musical : pourquoi il y avait-il sur les albums plus de mecs que de nanas ? Pourquoi mes frères interprétaient peu de chansons féminines ? Le premier disque féminin que j’écoute est celui d’Aretha Franklin. Je me rappelle, sur la pochette, elle était assise devant une église et portait une tenue africaine. Elle fut ma première inspiration, d’autant plus qu’elle avait donné du fil à retordre au chanteur du groupe de mon frère, frimeur devant l’éternel, qui avait eu du mal à interpréter son registre musical. Ensuite est venue Miriam Makeba. La chanson The retreat song m’a vraiment marquée. Elle est devenue à sa sortie, l’hymne des femmes de l’association de ma mère, qui demandait le droit de vote des femmes au Bénin, et aussi l’émancipation des femmes en général. Les femmes de l’association ont customisé les paroles de la chanson, avec des phrases en langue Fon. Ma mère m’emmenait dans tous leurs meetings. Elle me disait « nous on chante comme des casseroles. Si tu viens et que tu chantes, les gens vont t’écouter, et on pourra faire passer notre message ». C’est comme ça que j’ai commencé à chanter en public. Miriam fût donc la deuxième artiste féminine noire avec qui j’ai créé une connexion émotionnelle. En 1969 arrive Bella Bellow, avec son album Rockia, qui m’avait

éblouie et énormément touchée. J’avais 11 ans. Un jour, elle est venue jouer au Beach Club, le club où je chantais moi-même. A l’époque je n’avais pas le droit d’être dans un tel club, mais j’avais tellement insisté que mon père avait cédé. Je passais en douce par la cuisine, je chantais et je repartais aussi sec. En regardant Bella Bellow chanter ce jour-là, j’ai eu l’impression de voir un ange chanter. J’ai été frappée par son sourire et sa grâce. Bella Bellow mourût 2 ans plus tard. Ce fut un choc émotionnel pour moi. J’étais en colère contre la mort. Et c’est ce décès qui a déclenché mon écriture musicale, car j’ai écrit ma première chanson en parlant de la tristesse que je ressentais, sur le fait que la vie nous ait privé d’une personne aussi gracieuse, talentueuse et belle. A partir de ce moment, j’ai commencé à comprendre que la musique pouvait me permettre de régler les douleurs, mes peines de cœur, et plein de choses ! Ces moments furent décisifs dans le démarrage de ma carrière. Le titre Blewu de Bella Bellow vous a tellement marqué que vous avez décidé de l’interpréter le 11 Novembre dernier devant plusieurs chefs d’États en hommage aux combattants Africains qui se sont battus jusqu’à perdre la vie pour la France pendant la première guerre mondiale. Pourquoi ce choix ? Pour moi Blewu était une chanson de paix, de bénédiction et de partage. Blewu signifie « doucement », « patience » … Quand on fait les choses avec patience et bienveillance, on ne peut qu’installer la paix. C’est pour ça que j’ai choisi cette chanson, pour faire passer un message de paix à tous ces chefs d’États. C’était un moment émouvant et difficile. Il faisait extrêmement froid, et quand j’ai commencé ma chanson, mon regard a croisé celui de certains chefs d’États dont je ne vais pas dire le nom, qui dégagent une énergie négative, qui ne sont pas là pour la paix, mais pour réduire le monde en miettes.

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Mais cela m’a donné la force de chanter cette chanson avec encore plus de force et de détermination. Aujourd’hui les peuples ont besoin de paix, de justice sociale, et de considération. Dans une interview vous racontiez comment vous avez découvert l’existence de l’apartheid et comment ça vous a mise en colère. Tant qu’on ne racontera pas la vraie histoire de l’esclavage et de la colonisation il y aura toujours cette frustration et cette injustice, qui touche de plus en plus d’africains. Quel conseil pouvez-vous donner à cette jeunesse, vous qui êtes passée par cette colère ? J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont appris la modération. Mon père avait l’habitude de dire que notre arme la plus absolue, c’est notre cerveau. Si ton cerveau est en phase avec ton cœur, tu peux faire de grands changements et bouger les montagnes. La colère, la peur et la haine, ne créent rien de positif. Quand on éprouve ces 3 sentiments, on ne raisonne plus de manière cohérente, on n’a plus de vision du futur. On ne trouvera jamais de solutions durables dans le chaos et la violence. Le passé nous l’a montré. Les deux guerres mondiales nous l’ont montré. A partir du moment où on est dans la colère, on n’est pas dans le dialogue constructif. Ma première chanson sur l’apartheid, était pleine de colère. Mon père m’a dit : « Je comprends ta colère, ta frustration et ta peur. Mais cette chanson-là est violente, elle ne te fait pas honneur. Elle finira par te salir et par te détruire. Le rôle d’un artiste c‘est d’ouvrir des portes qui sont fermées. C’est de créer des ponts et de pousser les gens à discuter, à faire face à leurs différences. On peut ne pas être d’accord, mais jamais dans la haine et dans la violence. » Mon conseil est donc le suivant : réfléchissez à ce que vous voulez pour votre avenir et celui de vos enfants. Dans quel type de pays voulez-vous vivre ? Et dans ce cas commencez à mettre en place des actions pour transformer profondément les choses, dans vos pays. A cause de l’esclavage, l’Afrique a été dépecée et ces frontières créent déjà des différences entre nous. Comment les gérons-nous ? Avant de regarder les autres, nous avons du travail à faire sur nous-mêmes. Pour l’instant, nous ne sommes pas dans la construction, nous sommes dans la colère. Cette colère est légitime, c’est vrai. Mais pas utile.

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Les migrants africains fuient leurs pays d’origine parce qu’ils n’arrivent pas à y survivre et ils sont rejetés par les pays Occidentaux qui ne veulent plus accueillir « la misère du monde ». C’est un cercle vicieux. Comment on règle ça ? Par l’éducation. Pour ma part, c’est la clé qui permettra de créer des sociétés plus justes en Afrique. Quand j’ai commencé à gagner de l’argent avec la musique, j’étais adolescente. Et un jour j’ai demandé à mon père quel était l’intérêt d’aller à l’école alors que je gagnais déjà de l’argent à travers la musique. Il m’a répondu : « quel que soit le métier qu’on décide de faire, y compris celui d’artiste, être éduqué est toujours un plus. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ne sera pas le monde de demain. Comment vas-tu arriver à être une artiste dans ce monde qui sera en constante évolution si tu n’es pas éduquée ? Si tu ne comprends pas la complexité du monde dans lequel nous sommes ? » C’est cette éducation qui nous permet de prendre des décisions plus éclairées. De contourner la colère, la frustration et donc l’inaction. De comprendre que le paradis ce n’est pas l’Europe, et de trouver des solutions pour que nos pays soient plus attractifs pour les jeunes. Il faut comprendre sa propre histoire, sa propre identité, et déterminer ce qu’on peut apporter à son propre pays afin de changer les choses de l’intérieur. Vous vivez aux États-Unis depuis quelques années. Pourquoi ce choix quand on sait que tous vos engagements sont liés au continent africain ? C’est la musique qui m’a emmenée aux USA. J’ai gardé dans ma tête cette idée selon laquelle l’artiste est celui qui crée des ponts entre les autres et j’ai décidé de le faire avec la musique. Toutes les musiques qu’on écoute aujourd’hui, sans exception, tirent leurs racines d’Afrique. J’ai voulu créer ce pont avec les USA, car ce qui m’intéresse c’est rencontrer les gens, échanger avec eux. Nous les africains on connaît mal l’histoire des afro-américains, et celles des diasporas en général. On ne sait pas par quoi ils sont passés. Or, les afro-américains sont des africains avant tout. J’avais besoin de créer ce lien. Par la suite, je suis allée au Brésil et dans les Caraïbes pour créer ce même type de lien, musical et émotionnel. Je vis aux USA parce que je sais qu’ici, je peux initier un autre dialogue en tant qu’artiste.


Le mouvement #metoo a eu peu de résonnance en Afrique, même si on a récemment entendu des réalisatrices dénoncer des actes de violence et de harcèlement au Fespaco 2019. Le poids de nos traditions pèse encore lourd… Comment réussira-t-on un jour à délier les langues sur les atrocités que vivent les femmes ? Encore une fois, par l’éducation des hommes et des femmes. Il faut sensibiliser les gens. Les femmes subissent la violence notamment dans les couples, car elles n’ont nulle part où aller et elles sont convaincues que la seule chose à faire c’est de rester et de subir, pour éviter la honte et l’opprobre. Quand on est éduquée, quand on connaît ses droits, on peut se défendre. Dans beaucoup de pays, il existe des institutions auprès desquelles les femmes peuvent se tourner. Dans certains, la loi interdit les violences de la sorte. Mais déjà faut-il le savoir. Commençons à fédérer des juges, des avocats, des procureurs, des enseignants, pour expliquer aux femmes que ce n’est pas parce qu’elles sont mariées à un homme que ce dernier a le droit de vie et de mort sur elles. Pour associer les convictions à l’action vous avez donc créé la fondation Batonga qui a avant tout un rôle éducatif sur le continent … Absolument. Batonga a été fondée avec mon mari et deux avocats américains en 2006. Durant l’un de mes voyages avec l’Unicef, j’ai visité un programme de deuxième chance pour les jeunes filles qui n’allaient plus à l’école. Et pendant ce voyage, il y a eu une crise. Il y avait une jeune fille qui travaillait très bien à l’école, et qui tout d’un coup s’est retrouvée dans le programme de seconde chance car elle a eu un enfant. Tout le monde dans le village, y compris sa propre famille, l’a laissé tomber. Donc, je vais voir la fille qui m’explique la situation, elle me dit que ses parents sont divorcés, sa mère s’est remariée, et c’est le mari de sa mère qui l’a violée. Elle n’a pas osé le dénoncer, parce que tout le monde lui est tombé dessus en apprenant qu’elle était enceinte. Après plusieurs conciliabules, on a pu régler le problème et remettre la fille à l’école. Et là, c’est comme si un train m’était rentré en plein dedans. J’ai eu le déclic. Trop souvent encore, de nombreuses jeunes filles à partir d’un certain âge doivent quitter l’école parce qu’elles se retrouvent dans des mariages forcés, ou alors violées. Ce n’est que par l’éducation qu’on arrivera à inverser la vapeur, et qu’on changera l’Afrique. J’ai donc décidé de mettre les jeunes filles à l’école en leur donnant: une bourse, un repas par jour, du tutorat, du mentorat, des livres et des uniformes. Je veux avoir accès aux filles les plus pauvres, qui sont dans les zones les plus reculées. On a commencé en 2006 en Éthiopie, en Sierra Leone, au Bénin, au Mali et au Cameroun. Nous travaillons avec des ONG locales, car elles connaissent les besoins et savent avec qui parler dans les villages pour que le programme ait une existence et que les traditions des gens soient respectées. Cette vague de filles qu’on a accompagné en 2006 sont aujourd’hui soit à l’université, soit entrepreneurs. En 2015, j’ai décidé de me concentrer un peu plus sur le problème des jeunes filles qui arrêtent l’école au secondaire à cause de plusieurs échecs. Au Bénin, nous avons depuis une soixantaine de clubs répartis dans 2 villages. Ces clubs sont des espaces dédiés à des jeunes filles qui souhaitent être autonomes avec leur propre activité économique, même si elles n’ont pas terminé leurs études. Nous mettons en place un certain nombre de moyens pour les accompagner à la réalisation de ces projets. Plusieurs d’entre elles ont immédiatement demandé à fabriquer du savon. J’étais surprise, mais j’ai vite compris pourquoi. L’hygiène est importante, même pour la confiance en soi. Or, le savon est une denrée rare dans ces villages. Aujourd’hui, elles fabriquent du savon liquide, solide et en poudre. Elles ont identifié les besoins de leur communauté et ont construit leurs projets autour de ça.

Dans cette formidable aventure qu’est votre carrière, quelles ont été les challenges que vous avez rencontrés ? La première difficulté ça a été le racisme primaire. Je suis arrivée en France en 1983. En école de musique, on me demandait si je me déplaçais à dos d’éléphant dans mon pays. Ça été très difficile. Mon frère était étudiant, on n’avait pas d’argent. J’étais maigre comme un squelette. Parfois je ne mangeais pas, je buvais de l’eau et je me couchais. Ce qui m’a fait tenir, c’est cette détermination de devenir artiste. J’ai fait de la coiffure, du baby-sitting, du ménage, tout ! La seule chose que j’ai refusé de faire, c’est de me prostituer. Je ne voulais pas de l’argent facile, je voulais faire de la musique. J’ai eu la chance d’avoir commencé à travailler tout de suite, en 1984. Ce qui fait que je n’ai jamais vraiment quitté la scène. J’étais à l’école, puis sur scène en même temps. Je devais redoubler d’efforts. Je me rappelle, mon père m’a dit un jour : « tu es peut-être très connue au Bénin, mais en France personne ne te connais ». Je m’étais donc préparée psychologiquement à jeter mon égo de « star » à la poubelle en arrivant ici. Je ne suis pas arrivée à Paris avec la grosse tête. J’ai joué dans des groupes, j’ai fait les chœurs pour les autres. Cette humilité m’a ouvert beaucoup de portes. Il y a aussi eu beaucoup de chance. J’ai rencontré mon mari, nous étions tous les deux fous de musique. Et ça été l’amour de ma vie. Tous les deux, nous sommes dans la même dynamique artistique. Cet amour aussi m’a permis de tenir. A quoi rêvez-vous aujourd’hui ? Je rêve d’un monde où on repoussera les limites de la réflexion face aux défis qui nous attendent. Parmi eux, c’est la technologie et l’intelligence artificielle. Comment est-ce que nous gardons notre faculté d’aimer, de faire preuve d’empathie, de tolérance et de compassion avec des machines qui ne sont pas dans cette logique-là ? Le danger le plus pressant à la démocratie selon moi, c’est la technologie. Il ne faut pas que nous perdions notre capacité de réflexion et de questionnement, notamment quand on fait face à des fake news ou encore à la violence virtuelle sous couvert de l’anonymat.

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INSPIR’ASSOCIATION - CONGO

DANIELE SASSOU NGUESSO, CELLE QUI VEUT RENDRE LES FEMMES CONGOLAISES AUTONOMES Par Chrys Eve Nyetam Photos par Fondation Sounga « Les chemins qui mènent à l’engagement social sont complexes et par moment inexplicables ». C’est par ces mots que Danièle Sassou Nguesso débute notre entretien, car elle en sait quelque chose. Née d’un père médecin et d’une mère docteur en pharmacie, cette gabonaise de 42 ans est une opticienne de formation et une femme d’affaires. En 2003, elle ouvre son premier magasin d’optique, « Optical », à Libreville. Seize ans plus tard, Mme Sassou Nguesso gère 5 magasins d’Optique et la CMO, clinique pluridisciplinaire basée au Congo dans la ville de Brazzaville. Mais c’est en 2016 que la femme d’affaires décide de s’engager socialement. La question s’impose d’elle-même : comment passe-t-on d’opticienne, femme d’affaires à femme socialement engagée ? « Je vais vous poser une question à mon tour », nous dit-elle : « Comment rester immobile alors que les discriminations contre les femmes prospèrent d’une génération à l’autre, d’un pays à l’autre comme si c’était normal ? ».

Les filles en font donc partie car elles sont les femmes de demain ». Pour favoriser efficacement à l’autonomisation de la femme congolaise dans un premier temps, la fondation Sounga (qui veut dire « aide » en lingala) passe par trois actions concrètes : Le focus group, l’incubateur, et le label genre.

Et sa question mérite réflexion. En Afrique subsaharienne, les femmes représentent plus de 50% de la main d’œuvre agricole. Cependant, dans certains pays, comme le Kenya, seulement 1% des femmes possèdent un titre de propriété seules et 5% en possèdent conjointement avec un homme1. Comme s’il fallait une qualification particulière pour être propriétaire terrien. Selon Danièle, « l’appartenance à la gent féminine, elles l’ont reçue de la nature. Ce n’est donc pas une sanction qui peut ou doit justifier toutes ces inégalités que connaissent les femmes, du berceau à la vie adulte. ». Pour pallier à cette injustice que l’on retrouve à travers le monde, il est nécessaire de promouvoir l’indépendance de la femme africaine.

Le Focus Group Sounga – Un état des lieux de la condition de la femme congolaise Fin 2015, avant le lancement officiel des activités de la fondation Sounga, Danièle Sassou Nguesso cherche à savoir comment la femme congolaise se voit et est perçue. Pour se faire, la fondation a mis en place plusieurs groupes de discussions de 12 personnes constitués à 50% d’hommes. Après deux éditions en 2016 et 2017, ce sont 467 personnes interviewées et 385 questionnaires administrés dans 19 villes congolaises qui ont permis de donner un aperçu de la situation de la femme au Congo. Il en ressort que « 100% des hommes interrogés estiment que la femme doit être inférieure à l’homme. 65% des femmes qui disent être soumises le sont pour des raisons économiques.

Pour que la femme africaine soit autonome, elle doit être libre de faire ses choix, ce qui est difficile à réaliser sur un continent où 125 millions de femmes2 ont été mariées avant l’âge de 18 ans. Cette indépendance passe aussi par l’accès aux mêmes opportunités et aux mêmes ressources que la gent masculine ; objectif compliqué à atteindre quand on sait qu’en moyenne, les femmes africaines salariées ne touchent que 2/3 du salaire des hommes3. Mais l’autonomisation des femmes passe en grande partie par un environnement financier favorable à l’accompagnement des entrepreneures. Prenons le cas de l’Ouganda où les femmes possèdent 38% de toutes les entreprises enregistrées. Pensez-vous que ce soit une avancée ? Loin de là, car seulement 9% d’entre-elles ont droit aux facilités financières. C’est pour contribuer à l’émancipation de toutes ces femmes issues de mariages précoces, entrepreneures laissées pour compte ou encore salariées, que Danièle a mis sur pied la fondation Sounga au Congo. « Quand nous parlons d’autonomiser les femmes, nous parlons de toutes les catégories de femmes quel que soit leur âge, leur lieu de résidence (urbain ou rural), leur niveau d’éducation ou encore leur activité professionnelle.

Seulement 8% des hommes interrogés sont, de façon modérée, en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes ». Ahurissant et révoltant à la fois. Ces résultats sont la preuve que la notion du genre passe avant tout par l’éducation de la masse aux avantages – notamment financiers – que représente la femme autonome dans son foyer. En plus de ces groupes de discussion, Danièle a également organisé 8 conférences-débats dans 8 localités du pays. Le but, recueillir les préoccupations des femmes congolaises afin de mieux les assister. Danièle nous confie que les femmes rencontrées revendiquent principalement « un système éducatif favorisant la parité, la gratuité de certains actes médicaux pour les femmes telle que la césarienne ». Et ce dernier point est important et pourrait permettre de résorber un triste constat : les complications de la grossesse et de l’accouchement sont la principale cause de décès des femmes âgées de 15 à 19 ans. Mais les revendications des femmes vont au-delà de leur santé car elles veulent aussi « une meilleure représentation dans les instances de décisions et un accès facilité aux crédits », ajoute Danièle Sassou Nguesso.

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Fonds International de Développement Agricole de l’ONU Union Africaine 3 Banque Africaine de Développement 2

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« Danièle Sassou Nguesso avec les élèves incubées Sounga Nga 2018 et le partenaire Cofina - Mars 2018 »

Et ce n’est pas un rêve irréalisable quand on sait que le champion du monde de la parité dans les représentations nationales est un pays Africain. Le Rwanda, petit pays à l’est de l’Afrique a un parlement qui compte 61% de femmes, une exception dans le monde entier. L’incubateur Sounga NGA – Pour accompagner les femmes entrepreneures De manière générale, les africaines sont entreprenantes. La preuve en est qu’elles possèdent plus du tiers des entreprises sur le continent, même si des disparités subsistent d’un pays à l’autre. Les championnes d’Afrique (francophone) sont les entrepreneures ivoiriennes, qui possèdent 61.9% des entreprises du pays. Au Congo, alors que la gent féminine représente 52% de la population, seulement 1 entrepreneur sur 6 est une femme. Pour inciter les jeunes femmes à pérenniser leurs entreprises, la fondation Sounga a lancé l’incubateur Sounga Nga. Pour sa première édition en 2016, ce sont 20 femmes qui ont été sélectionnées pour recevoir un coaching de 6 semaines axé sur quatre thématiques : la stratégie d’entreprise, la commercialisation, la communication et la gestion-fiscalité. Les lauréates de cette première promotion ont également bénéficié d’un suivi de 6 mois, afin de mettre en application les acquis de la formation. Pour sa deuxième édition, l’incubateur a affiné sa cible. Pour faire partie de l’édition 2018, les candidates devaient être porteuses de micro-projets ou porteuses de projets à fort potentiel. Après une première pré-sélection de 36 dossiers, ce sont 15 projets qui ont été sélectionnés. Danièle Sassou et ses équipes ont voulu aller plus loin : « Nous voulions une approche plus concrète, plus pratique et qui s’est matérialisée par des visites d’entreprises ou, des rencontres avec des chefs d’entreprise pour recueillir leur retour d’expérience d’entrepreneur afin d’édifier les lauréates de l’incubateur sur les défis de l’entreprenariat et, les moyens de les gérer efficacement ». Ces lauréates bénéficieront

en plus d’un suivi de 12 mois. Danièle nous précise que « ce suivi porte à la fois sur la mise en pratique concrète des acquis de la formation en gestion d’entreprise et sur le remboursement du crédit d’amorçage concédé par nos partenaires à un taux avantageux ». La formation de l’incubateur a eu un impact sur deux lauréates en particulier qui ont reçu au cours de deux éditions consécutives le « Trophée de l’entrepreneure du monde », décernée par l’association française « Entrepreneuriat au Féminin ». Le Label genre Sounga – Pour promouvoir l’égalité professionnelle Danièle Sassou Nguesso défini le Label Genre Sounga comme « un classement qui ordonne les entreprises selon leur degré d’insertion professionnelle des femmes. Autrement dit, plus une entreprise recrute et accorde des postes de responsabilité aux femmes, mieux elle sera classée et, inversement ». Et ce label est nécessaire car le fossé est profond entre les hommes et les femmes sur le marché du travail. Sur l’ensemble du continent, 4 emplois sur 10 sont occupés par des femmes, selon la Banque Africaine de développement. Supporté par le gouvernement de la République du Congo, le Label Genre Sounga permettra à terme de promouvoir l’emploi des femmes au sein des petites et moyennes entreprises du pays. Pour Danièle Sassou Nguesso, l’objectif du label est « d’améliorer de façon significative la place des femmes en entreprise en République du Congo. Il a notamment pour ambition de favoriser l’augmentation de 15% des femmes à des postes de responsabilité à moyen terme ». Pour la phase pilote du Label Genre Sounga, ce sont 130 entreprises qui ont participé à l’étude menée au courant de l’année 2018. Danièle reste confiante : «Nous n’avons aucun doute sur le fait que nos questionnaires seront bien accueillis par les entreprises, fussent-elles majoritairement dirigées par les hommes».

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REPATSTORIES - SENEGAL

OLIVIA CODOU « EN RENTRANT, J’AI PRIS LE TEMPS DE CONNECTER ET DE COLLABORER AVEC LES GENS, SANS PENSER QUE J’AVAIS LA SCIENCE INFUSE À CAUSE DE MES EXPÉRIENCES À L’ÉTRANGER. » Entretien mené par Marie Simone Ngane Photos par Lives Codou Olivia Ndiaye est une jeune sénégalaise de 28 ans. Avec ses amis Mamy, Mamadou et Marouane, ils ont fondé DakarLives, un compte Instagram puis un site internet pour présenter leur ville autrement. Aujourd’hui, le concept «Lives» s’étend à Bamako, au Mali et au Maroc. Engagée, elle a pris la parole lorsque les hashtags #metoo et #balancetonporc ont fait la une pour dénoncer les tabous dans la société sénégalaise qui n’ose pas parler des abus subis par les femmes, très souvent dans le cadre familial. Malgré ça pour elle, le Sénégal n’est pas plus compliqué pour les femmes qu’un autre pays. L’environnement y est même propice à l’entreprenariat féminin selon elle. Des femmes se lèvent chaque jour pour monter de nouveaux projets et de plus en plus de celles qui ont réussi, mentorent les autres femmes. Au fil de nos questions, elle nous a emmené visiter Dakar, la capitale de son pays, le Sénégal. Au-delà de la plateforme Instagram, quels sont les projets de Lives aujourd’hui? Instagram est la vitrine de notre vision, mais aujourd’hui Lives est une startup dont la mission est de connecter les gens avec les villes Africaines et leur culture, nous travaillons sur la sortie d’une application mobile qui va sourcer le meilleur de ce que chaque ville Africaine offre, pour faciliter l’exploration de celles-ci.

géniale, avec des soirées en plein air telles que « Fullmoon » ou encore « Electrafrique », à inclure dans son agenda. En dehors de la ville de Dakar, quelle région faut-il visiter au Sénégal ? Je recommande la région du Sine-Saloum: naviguer en pirogue dans les bolongs1 du delta du Saloum, profiter d’un vol en ULM2 pour admirer les belles couleurs des puits de sel de Palmarin, prendre son courage à deux mains et faire une balade avec les lions à Fathala, aller à la rencontre de la population et découvrir la richesse de la culture Sereer…

Quel est le meilleur coin pour une photo Instagram à Dakar ? Le quartier de la Médina avec son streetart et toute l’énergie dans ses rues. Dakar en un week-end ou une semaine ? En une semaine. Dakar est le carrefour de plusieurs cultures, de plusieurs nationalités. Il y a beaucoup à y découvrir. La ville bouillonne d’énergie, de talents, d’entrepreneurs, d’ambiance diverses: on peut s’évader pour un pique-nique aux îles Madeleines, faire de la plongée ou du surf sur l’île de Ngor, se lancer dans une visite historique à l’île de Gorée, rencontrer des gens, manger, faire la fête, aller dans des orphelinats/centres de dons, faire du shopping sur Dakar, un peu de jogging sur la Corniche à l’heure du coucher de soleil… Le meilleur moment de l’année pour visiter Dakar ? Le mois de Décembre, il fait bon, l’eau n’est pas encore complètement glacée, on peut encore profiter de la plage, il y a beaucoup d’évènements culturels comme « Le Partcours » série d’expositions dispersées dans Dakar, des pops-up et des marchés de Noël pour découvrir et acheter le #MadeInSenegal qui va du contenu de l’assiette, aux cosmétiques, vêtements et autres accessoires…, la vie nocturne y est

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Le bolong est un chenal d’eau salée, caractéristique des zones côtières du Sénégal ou de Gambie, proches d’estuaires. Source : Wikipedia Appareil de la famille des Deltaplane

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Avez-vous l’impression que les combats tels que #metoo ou #balancetonporc aient réellement fait écho au Sénégal ? Les concepts de #MeToo et #BalanceTonPorc ne s’adaptent pas au contexte local, alors ici on a lancé #Nopiwouma qui est plutôt la pour inciter les victimes à libérer leurs paroles en leur offrant une plateforme anonyme où elles peuvent partager leurs histoires. C’est un premier pas pour prendre conscience de l’ampleur du problème qui reste extrêmement tabou au Sénégal. Mais plusieurs initiatives et actions sur le terrain se créent, se déploient par plusieurs parties prenantes.

Ce n’est pas du jour au lendemain que les choses vont changer et un réel changement social demande plusieurs acteurs sociaux engagés sur différentes parties de la chaine de valeur. Mais au moins la conversation commence à prendre forme et se démocratise un peu. Quelques points ont même été abordés dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle. Que pensez-vous de la scène «créative» en Afrique francophone ? Elle est jeune, bouillonnante d’énergie, talentueuse, mais elle est surtout fière, fière de ses origines, de sa culture, consciente de la valeur de son héritage et patrimoine. Elle n’a pas peur de faire entendre sa voix, qu’on lui en donne les moyens ou pas!

Le mot de la fin…. En Wolof ? « Diam ak Kheweul » qui veut dire Paix et Prospérité, c’est une formulation de vœux que l’on fait souvent dans les salutations au Sénégal.

Le retour au Sénégal, si c’était à refaire, qu’auriez-vous fait différemment? Rien! Je suis revenue avec l’esprit ouvert, et une conviction de fer. J’ai pris le temps de connaitre d’apprendre et m’adapter à un environnement que je re-découvrais ; de connecter et collaborer avec les gens et pas venir en pensant que j’avais la science infuse à cause de mes expériences à l’étranger. J’ai beaucoup galéré, fait pleins d’erreurs, eu mes petits moments de succès, mais j’ai surtout beaucoup appris et aujourd’hui je suis contente de m’être accrochée à ma décision de rentrer au Sénégal plus tôt que prévu. Quel est le meilleur hub pour une startup à Dakar ? Dépendamment de son domaine d’activité, il y a plusieurs hubs pour startup très intéressants basés à Dakar. Mais mon préféré reste bien sur celui où je travaille: Impact Hub Dakar. L’ambiance y est stimulante, l’emplacement idéal avec une vue imprenable sur la mer, les programmes, évènements et workshops proposés sont intéressants, et il y a toujours du beau monde qui y passe, ce qui est parfait pour networker. L’activité la plus insolite à faire à Dakar ? À une certaine période de l’année, on peut prendre un bateau ou une pirogue et observer les baleines, dauphins qui longent la côte dakaroise, ou encore faire un tour de la ville de Dakar à l’heure du coucher de soleil à bord d’un hélicoptère rouge. Il y a également une galerie d’art contemporain dont l’adresse reste secrète à découvrir uniquement sur réservation, sur Dakar. L’endroit le plus cliché à visiter ? L’île de Gorée, mais sans suivre le circuit type de la Maison d’esclave. Grâce à l’Unesco & Lives, je l’ai re-découverte sous un autre angle à travers les témoignages, anecdotes et visites des maisons, des familles des descendants d’esclaves et même de maître d’esclaves qui participaient à la traite. C’était très intéressant!

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OSER INSPIRER - CAMEROUN

L’ART AFRICAIN PEUT CONTRIBUER À L’AUTONOMISATION DES PEUPLES Interview par Joan Yombo Photos par IndigoChromia pour Inspire Afrika « Connaissez-vous la mode Africaine ? » c’est avec cette simple question que Nelly Wandji démarre en 2014, la promotion de Moonlook, première plateforme de valorisation des designers africains à l’international basée en France. La question est pleine de sens : existe-t-il une « mode africaine » ou « des modes africaines » ? Qui se cache derrière ces créations, qu’est ce qui inspire ces créateurs et surtout comment leur travail peut-il contribuer à valoriser le patrimoine culturel africain aux yeux du monde ? Depuis, Moonlook a bien évolué. La question posée sur la mode et les enjeux autour s’applique à tous les arts créatifs africains. Nelly nous raconte aujourd’hui son parcours, le « reason why » de la création de Moonlook, son engagement, et ses ambitions futures.

© Aninka Media

DU CAMEROUN A PARIS EN PASSANT PAR GENEVE ET BIENNE En naissant au Cameroun dans les années 80, rien ne me prédisposait à ouvrir une galerie sur le Faubourg Saint-Honoré après seulement 12 ans à étudier et à travailler en Europe. Partie du Cameroun après mon baccalauréat, j’ai intégré une école de commerce pour trouver un moyen de m’insérer dans la vie professionnelle, afin de soulager ma famille modeste qui m’avait accompagnée dans mes études jusqu’au secondaire. Tout au long de ma formation, en France et en Europe, j’ai pu vivre et expérimenter la chaleur des activités culturelles qui nourrissent notre imaginaire collectif sur l’étendue de la marque « France ». Cela m’a aidé à me passionner pour les arts décoratifs, les maisons centenaires, et les entreprises du patrimoine vivant français. Naturellement, quand j’ai terminé mes études, je me suis spécialisée en Marketing & Management du Luxe, car je voulais apporter ma pierre à cet édifice européen. A l’école de l’esthétique, de l’art et de la beauté

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absolue, je voulais apprendre aux côtés des plus grands. Ma détermination m’a conduit vers une institution horlogère suisse, à la tête d’une industrie florissante qui a su faire du label « SWISS MADE » une référence dans l’horlogerie à l’échelle du monde. Depuis Paris, dans l’un des vaisseaux amiraux du géant Suisse de l’horlogerie, je suis alors en charge du développement opérationnel de près de trente marques européennes. Ma passion pour la créativité, l’artisanat d’art et l’excellence a pris forme lors de ces années d’expérience au sein des plus grandes maisons européennes de tradition joaillière et horlogère. Ces maisons, par leur expérience, m’ont appris à apprécier les belles manufactures et m’ont aussi enseigné les mécanismes de valorisation du patrimoine culturel d’un peuple à travers son savoir-faire.


Depuis 2014 nous avons développé, testé et itéré des méthodes qui nous ont permis d’importer près d’une centaine de projets de plus de 10 pays d’Afrique, dans les secteurs du design, de la mode et de l’art contemporain.

La rigueur, la précision, l’innovation et la détermination à toujours délivrer l’excellence sont des valeurs que j’ai ensuite adoptées comme une seconde peau. RETOUR AUX SOURCES Au fur et à mesure de mes apprentissages, j’ai commencé à me questionner sur mes origines, les patrimoines que je pouvais valoriser, les histoires créatives que je pouvais raconter... À l’affût de toutes ces réponses, je commence alors à multiplier les voyages en Afrique. L’émerveillement qui suit chacune de mes découvertes en voyageant du Nord au Sud en passant par l’Ouest, le Centre et l’Est, nourrit peu à peu ma volonté de partager avec le plus grand nombre, les exceptions créatives africaines. Cette volonté de partage s’est rapidement traduite par l’impulsion à formaliser plusieurs initiatives pour valoriser la diversité de nouvelles formes d’excellences créatives dans un monde globalisé où tout tend à s’uniformiser. Le continent africain peuplé à plus de 60% de jeunes de moins de 25 ans, est sans doute le continent le plus créatif, le plus riche en patrimoine culturel de par la diversité des peuples, le plus riche en ressources naturelles de par l’étendue des commodités qui en sont originaires. Cependant, beaucoup de peuples d’Afrique riches de leur sous-sol, de leur créativité et de leur talent, demeurent les plus pauvres au monde. Ceci en majorité à cause d’une absence de structuration qui devrait valoriser les patrimoines, accompagner les talents vers l’innovation et enfin favoriser la création d’une valeur économique qui vise à l’autonomisation des peuples. Après avoir rencontré et échangé avec des talents dans plusieurs pays et domaines en Afrique, j’ai réalisé que le potentiel économique des industries créatives était très grand et pouvait radicalement contribuer à réduire la pauvreté. Et au-delà de l’avantage économique, la valorisation du patrimoine africain, des talents créatifs et l’innovation donneraient aux jeunes africains l’opportunité de bâtir un continent vers lequel le reste du monde aurait envie de venir découvrir des solutions aux problèmes mondiaux. UNE MISSION DE VIE Depuis, ce constat est mon leitmotiv. C’est lui qui me pousse au quotidien à m’engager pour la diversité dans la création à l’échelle internationale. Cet engagement vise également à accompagner une nouvelle génération d’africains, dans leur capacité à promouvoir leurs savoir-faire, à travers l’entreprenariat dans les industries créatives. Cette génération pourra ainsi se présenter au monde de manière juste et authentique. Ce leitmotiv, je l’ai transformé en mission pour mon entreprise Moonlook, et je le partage désormais avec une équipe, des partenaires et des clients. Au quotidien, nous accompagnons les talents du continent africain vers une promotion internationale digitalisée dans un environnement où l’ADN pure, authentique ainsi que l’excellence sont des facteurs clés de succès.

Au départ, nos invitations à la découverte étaient uniquement virtuelles, à travers les réseaux sociaux, un magazine en ligne et un site e-commerce. Au fur et à mesure que notre communauté grandissait, nous avons créé des rencontres physiques à travers des pop-up-stores. Après quelques pop-up-stores, nous avons souhaité ancrer le projet de façon plus pérenne et monter en gamme. C’est ainsi que depuis Janvier 2017, nous sommes installés au 93 Rue du Faubourg Saint Honoré, dans le triangle d’or parisien, où nous attisons la curiosité des riverains avec nos expositions d’art contemporain, nos présentations de nouvelles collections de marques et nos talentueux créateurs. Aujourd’hui notre mission est structurée autour de 3 principaux pôles d’activités : La galerie Nelly Wandji : Un espace unique à Paris qui nous permet de promouvoir nos meilleurs projets à travers des expositions éphémères, des rencontres entre les artistes et leur public. La plateforme en ligne : la première plateforme e-commerce internationale dédiée exclusivement à la promotion des talents créatifs du continent africain et leur diaspora. Elle propose une sélection exclusive célébrant l’avant-garde de la créativité en Afrique, tout en favorisant la professionnalisation et la structuration des chaines de valeur des industries culturelles et créatives. Nous livrons chaque mois près de 50 colis vers une dizaine de destinations dans le monde. Le magazine en ligne : un espace dédié aux passionnés qui souhaitent aller plus loin, se documenter ou approfondir leur connaissance des industries créatives en Afrique. L’AFRIQUE DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL L’Afrique vit depuis quelques années une période d’effervescence créative qui s’est diffusée à grande échelle grâce à internet. Grâce à un réseau social comme Instagram par exemple, un artisan de la ville de Bafoussam au Cameroun peut partager ses dernières réalisations. Ainsi de nombreuses tendances, hier marginalisées, font aujourd’hui l’objet d’un grand intérêt. Sur le continent, les acteurs économiques, culturels et institutionnels veulent faire entendre leur voix et briser les carcans dans lesquels ils sont encastrés. Partout dans le monde, les diasporas veulent se réapproprier leur héritage, en dehors des clichés. Aujourd’hui, l’Afrique change la donne. Cette déclaration est d’autant plus indiscutable dans les secteurs créatifs. Par conséquent, aussi bien dans les domaines de la musique que dans ceux de la mode, le cinéma et la photographie, cette nouvelle vague a fait exploser aux yeux du monde : « une nouvelle Afrique ». Paris, capitale mondiale du lifestyle, s’impose comme centre névralgique pour transformer « l’expérience de l’Afrique » à l’échelle du monde, en connectant le continent au reste du monde, sans oublier, les africains de la diaspora et les voyageurs africains, qui ont fait de Paris leur hub. Notre entreprise, placée au centre de Paris avec des racines bien ancrées en Afrique, transmet et fait vivre cette expérience autour de trois thématiques : l’art contemporain, le design et la culture. La galerie interpelle, anime, imprègne le visiteur de l’inventivité africaine dans chacun de ces domaines. Chaque client peut vivre une expérience qui éveille ses sens. En développant cette mémoire sensorielle des différents publics nous parvenons petit à petit à impulser les tendances africaines à l’international. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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PETITE ENTREPRISE, GRANDS CHALLENGES Chez MoonLook, bien que nous soyons convaincus que la créativité, en tant que processus multidisciplinaire et humaniste, est un levier qui permet de créer des solutions aux problèmes économiques, sociaux et environnementaux du quotidien, nous devons chaque jour relever des défis bien plus grands que nous. Notre manifeste pour le développement des industries culturelles et créatives en Afrique part du constat que les défis mondiaux, auxquels nous sommes confrontés peuvent être résolus grâce aux solutions alternatives, aux pratiques locales, aux idées inhabituelles et non conventionnelles ramenées à l’échelle du monde. Depuis des décennies, la créativité est un outil de prédilection pour démontrer que le changement est possible. En pleine conversion économique, le continent dévoile cette scène créative très dynamique, propulsant globalement des idées locales et authentiques vers un monde de plus en plus connecté, qui s’empresse de les diffuser dans les magazines internationaux. La plupart de ces idées sont porteuses d’espoir pour l’humanité. Ces enjeux et challenges contextualisent notre environnement direct et indirect et représentent des opportunités de changement que nous amorçons avec chacune de nos actions. FAVORISER LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE EN DEVELOPPANT DES LABELS D’EXCELLENCE Depuis la création de MoonLook en 2014, nous avons promu plus d’une centaine de projets. Nous avons accompagné commercialement près de cinquante créateurs et artistes de plus de dix pays africains dans l’exportation de leurs réalisations. Ainsi, nous avons créé des passerelles pour près de quatre mille cinq cents produits réalisés à petite échelle par des artisans et une cinquantaine œuvres et pièces uniques d’artistes et artisans d’art. Notre capacité à consolider les passerelles de diffusion que nous animons tout en accompagnant une meilleure structuration locale de chaque projet pour leur pérennisation est mise à l’épreuve chaque jour. Pour 2020, notre ambition est de porter à cent, le nombre de projets promus commercialement. Nous souhaitons ainsi confirmer que les industries créatives liées aux activités de nos artistes et artisans sont créatrices de valeur économique et pourvoyeuses d’emplois et débouchés, dans la perspective d’une formation spécialisée dans ces secteurs en Afrique. Ceci permettra à long terme d’accompagner des labels locaux qui pourront consolider la préservation des savoir-faire et le développement économique des communautés d’artisans. ACCOMPAGNER UN CHANGEMENT SOCIAL Avec plus de 60 millions de personnes identifiées par le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), le nombre de personnes déplacées et de réfugiés dans le monde a atteint son plus haut niveau en 2014. Si les récents événements ont mis en lumière l’afflux de migrants cherchant à atteindre l’Europe, c’est en fait dans d’autres pays, souvent parmi les plus pauvres du monde, que les 4 / 5ème des réfugiés sont accueillis. En 2016, en consultation sur le projet « Design for peace », à l’initiative des nations unies et de l’association burkinabé Afrikatiss, nous avons proposé des solutions innovantes et durables pour l’autosuffisance des réfugiés. En effet, au Burkina Faso, où près de 38 800 personnes vivent actuellement dans des camps de réfugiés, certaines d’entre elles sont des artisans très qualifiés. L’objectif du projet est de les accompagner vers l’autonomie. Promouvoir l’intégration sociale et économique des réfugiés maliens au Burkina Faso en valorisant leur savoir-faire artisanal est une réponse appropriée que nous avons conçue avec Afrikatiss et le HCR autour d’un projet à titre de pilote. En connectant 17 artisans et 6 jeunes designers, Design for Peace vise à créer de la valeur à Ouagadougou, tout en fournissant les moyens de parvenir à l’autonomie à près de 200 réfugiés et leurs familles. 34

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SENSIBILISER A LA CULTURE AFRICAINE ET REDEFINIR L’IMAGE DE MARQUE Installée dans les plus grandes capitales internationales, la diaspora africaine est importante en France, aux États-Unis et dans le reste du monde. Elle représente près de 44 millions de personnes. Avec la musique, l’art, la mode, le design, la photographie, les créatifs du continent se connectent à cette diaspora et d’autres cultures du monde. Cette diaspora est ainsi garante du récit et raconte ses histoires de sa propre perspective et avec ses propres mots. Sensibiliser à l’échange culturel, c’est surtout effacer les idées reçues avec des connaissances actualisées et des expériences personnelles. « Beaucoup de personnes à l’extérieur du continent ne savent même pas que l’Afrique a aussi des hivers froids » nous disait encore Laduma, créateur de mode sud-africain, qui a fait une entrée remarquée dans le monde de la mode avec sa collection de tricots inspirés de la tribu xhosa. Nous avons eu souvent le témoignage que ce que nous montrions dans nos sélections ne ressemblait pas à l’Afrique telle qu’on l’imagine. Pour Pierre-Christophe GAM, artiste et proche de nos activités, il est temps de clarifier les clichés. En 2013, il a créé Afro-polis, une ville virtuelle africaine, dans laquelle il présente les Affogbolos: un couple fictif qui représente une nouvelle génération de citoyens avisés, passionnés de voyages et épris d’art. Les Affogbolos incarnent les valeurs et l’esthétique de leur génération. Afro-polis, la ville africaine virtuelle, explorant la dynamique sociologique et esthétique au cœur du mode de vie panafricain contemporain, a fait l’objet d’une série d’expositions à travers l’Afrique et l’Europe. En célébrant le paysage culturel d’une Afrique moderne, en encourageant le design, l’art, l’autonomisation des jeunes africains, les artistes tels que Pierre-Christophe GAM ont contribué à repenser l’Afrique avec une narrative positive, attractive, faisant éloge au patrimoine africain. Chaque projet que nous accompagnons, chaque artiste ou créateur que nous exposons, chaque œuvre ou produit que nous offrons à nos clients, est la preuve qu’avec la détermination nous avons le pouvoir de changer les choses. C’est possible ! Nous ne ménagerons aucun effort et continuerons à œuvrer pour consolider les passerelles d’échanges culturels, accompagner la structuration des industries créatives et favoriser les opportunités commerciales entre l’Afrique et le reste du monde. C’est en ce sens que notre futur et notre croissance sont tenus par un plan d’actions précis et le pilotage de deux piliers d’activités prioritaires en faveur du développement des exportations depuis les pays africains : L’éducation des nouvelles générations dans une vision idéologique de la place de l’Afrique dans le monde et le développement massif de la promotion et de distribution internationale de plusieurs labels d’excellence africaine.

© Aninka Media

Aperçu de la galerie Nelly Wandji


OSER INSPIRER - BURKINA FASO

ROUKIATA OUÉDRAOGO : « EN PARLANT DE L’EXCISION DANS MON SPECTACLE, JE NE VOULAIS PAS TOMBER DANS LE PATHOS NI DANS LE VULGAIRE. JE VOULAIS EMMENER LES CHOSES AVEC POÉSIE » Interview par Joan Yombo Photos par ©Fabienne Rappeneau Dans son premier spectacle, Yennenga, l’épopée des Mossé, produit en 2008, Roukiata Ouédraogo raconte l’histoire d’une héroïne. Une sorte de Jeanne d’Arc Africaine, qui a défié l’autorité de son père, le Roi, pour prendre son destin en main. Il se trouve que cette héroïne, qui est un vrai personnage historique au Burkina Faso, est son aïeule, une féministe avant l’heure. C’est donc naturellement que s’il fallait décrire Roukiata, on la qualifierait de féministe, même si, comme elle le dit, elle est « beaucoup de choses à la fois ». Comédienne, auteure et chroniqueuse franco-burkinabé, Roukiata Ouédraogo utilise son art et sa poésie pour dénoncer l’excision dont elle a été victime à l’âge de 3 ans. A 39 ans, la scène est sa plateforme, son espace de revendication et de liberté. Rencontre. Tu as grandi au Burkina Faso et est arrivée en France à 20 ans. Était-ce dans le cadre de tes études ? Pas du tout. Je suis venue pour rentrer dans une école de stylisme, car c’était mon rêve. Mais je n’ai jamais pu le faire. A mon arrivée, j’ai été dirigée vers une conseillère d’orientation qui m’a expliqué que le stylisme n’était pas fait pour moi, que ces études étaient réservées à une certaine élite, et que puisque je n’avais pas les moyens de les payer, je devais me réorienter vers autre chose. Cet autre chose pour elle, c’était travailler dans le social. A l’époque, je n’ai pas remis en question ce « verdict », j’ai fait confiance à cette dame qui en fait, m’avais déjà catégorisée à peine arrivée sur le sol français. Donc tu te retrouves à faire d’autres choses qui n’ont rien à voir avec ce que tu voulais faire …. Exactement. J’ai d’abord commencé par être caissière. Il fallait bien que je trouve un travail afin de subvenir à mes besoins. Mais mon aventure a été de courte durée. Comme je le dis dans mon spectacle, je confondais les francs CFA avec les francs français. Je débarquais de Ouaga, j’étais jeune, j’arrivais dans un tout autre environnement, et je n’avais jamais fait de caisse avant. J’avais fait comprendre à ma patronne de l’époque que je voulais travailler et que j’apprenais vite. J’avais tellement besoin de cet emploi. Elle a été sympa et m’a embauchée, mais elle a dû me remercier au bout d’une semaine en me disant qu’elle avait besoin de quelqu’un de plus efficace. Elle m’a aussi dit que de toutes manières, avec la niaque que j’avais, je n’étais pas destinée à être caissière, mais à aller beaucoup plus loin. J’ai pris ma paye d’une semaine, et je suis partie. Ensuite, j’ai fait mon BAFA1 et j’ai commencé à travailler dans un centre de loisirs pour enfants en difficulté. Ça a duré un an. De temps en temps, j’étais sollicité dans la rue pour poser comme mannequin. Au début je refusais, parce qu’on m’avait toujours dit de me méfier du monde du mannequinat. Ce que j’ai fait jusqu’au jour où quelqu’un m’a persuadée que je pouvais poser comme modèle et gagner de l’argent de manière honnête. J’ai alors fait quelques campagnes pour de grandes marques, notamment Nivea. Le fait de poser m’a aussi ouvert les portes du monde du maquillage. J’ai pris des courts pour devenir maquilleuse. J’ai pu côtoyer de grands stylistes tels que Imane Ayissi, j’ai maquillé des Top Model comme Katoucha. J’ai travaillé dans ce milieu pendant 10 ans. Et puis, j’ai commencé à m’ennuyer. De manière générale, je m’ennuie 1

assez vite, et j’ai besoin de challenges. Je savais que je pouvais aller encore plus loin et tirer encore profit de ma fibre artistique. A quel moment se déclenche l’histoire d’amour avec le théâtre? Le théâtre a toujours fait partie de moi. Seulement, il ne s’est pas révélé assez vite. Mon père et mon frère faisaient du théâtre en tant qu’amateurs. On a toujours eu ce côté « artiste » dans la famille. Il faut savoir qu’à l’époque j’écrivais déjà beaucoup. A un moment donné, j’ai voulu prendre des cours de théâtre, parce que je n’étais pas encore à l’aise avec la langue française, une langue qui n’est pas ma langue maternelle et que j’avais commencé à apprendre à l’école. Je n’avais pas confiance en moi, j’avais du mal à prendre la parole en public. Dans le milieu où j’évoluais, les gens s’exprimaient bien, et moi j’avais du mal à le faire. J’ai pensé que le théâtre allait m’aider à résoudre tout ça. Au début, je ne voulais pas en faire mon métier. C’était juste un stage de théâtre. Et puis, progressivement, ça m’a libéré, et ça m’a permis d’apprendre de nouvelles choses, et de découvrir des auteurs incroyables. Très vite, j’ai été poussée par mes professeurs qui voyaient en moi un certain potentiel. Ils m’ont demandé de persévérer dans mes cours. Mais j’avais des doutes. Déjà, le cours Florent coutait super cher pour moi (environ 3400 euros l’année à l’époque). C’était très compliqué. Je ne connaissais pas la réputation du cours, ni toutes les personnes qui étaient passées par là. J’ai fini par rester après avoir été admise directement en 2ème année, sachant que la formation durait 3 ans. Je me suis donc mise à travailler en intérim le week-end, pour financer les cours qui avaient lieu en semaine. Tu as déclaré dans une interview que tu écris tes propres personnages parce que cela te permet de sortir de certains carcans dans lesquels on t’enferme… Totalement. Toutes les pièces que j’écris c’est pour m’affranchir de cette case dans laquelle on nous met dès le départ. Si j’attendais que les rôles viennent à moi, j’allais être cantonnée à des rôles de nounou ou de prostituée. Moi j’ai envie d’incarner autre chose. Alors, j’écris mes propres rôles. On est jamais mieux servi que par soi-même.

Brevet d’Aptitudes aux Fonctions d’Animateur INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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Je me dit que si mon travail marche et plait, les gens verront que je peux évoluer dans d’autres registres et viendront peut-être me proposer des rôles différents. Ton accent, ta personnalité t’ont donc empêché d’obtenir des rôles au cinéma ? Plein de fois ! Combien de fois on m’a dit : «abandonne ton accent» « il faut que tu arrêtes de parler comme ça ». Il m’est arrivée d’être sélectionnée sur photo dans la rue, par des gens qui trouvaient que mon physique correspondait au profil qu’ils recherchaient. Mais une fois sur le casting, j’entendais « Ouhlala, vous avez un accent à couper au couteau ! Cela ne correspondra pas au personnage ». Quand j’ai quitté l’univers du maquillage pour celui du théâtre, personne ne m’a encouragée. Exception faite de 2 ou 3 collègues, la plupart d’entre eux disaient que j’étais incapable de réussir à cause de mon accent. Mais ça m’a boosté. C’est justement quand on doute de moi que je m’applique pour faire mentir les gens et leurs prédictions. Ma grande victoire dans tout ça, c’est qu’aujourd’hui j’anime une chronique sur France Inter, qui est une radio nationale française, écoutée par plus d’un million de personnes, sans qu’on ne me demande de gommer mon accent. On me prend telle que je suis, et c’est génial ! Tu fais carton plein au théâtre, tu remplis tes dates de tournées. Cela signifie que cet accent ne pose pas de problème aux gens. Comment expliquer qu’au cinéma tu sois toujours soumise à ce type de discrimination ? Même moi je me pose la question… A un moment donné, j’ai voulu arrêter de passer des castings. J’ai un agent aujourd’hui qui me fait passer de très bons castings. Mais je suis rarement choisie pour les rôles. Peut – être que ce n’est pas encore le moment pour moi, ou que ma chance n’est pas encore arrivée, comme on dit chez nous. Je pense que ce n’est pas grave. De toutes manières, je suis actuellement en train d’écrire mon propre court-métrage. On verra bien si je suis une bonne ou une mauvaise comédienne (rires). On a tellement de choses à raconter. L’Afrique regorge de tellement de richesses et d’histoires. Nous devons être capables de raconter tout ça nous-mêmes. Il ne faut pas toujours attendre que les autres nous tendent la main, il faut arracher les opportunités. La scène du dialogue avec le clitoris dans ton dernier spectacle « Je demande la route » est assez déroutante. On connait l’horreur, donc on n’ose pas en rire, mais en même temps les choses sont dites avec tellement de poésie et de légèreté qu’on aimerait sourire. Comment on en arrive à surmonter l’excision au point d’en parler dans un spectacle humoristique ? On ne guérit jamais de ça… Il y a toujours des traces. Je raconte dans ma pièce que je vois encore le trou où on met mon sang, je sens toujours l’odeur de la mixture à base de beurre de karité qu’on avait fabriqué pour mettre sur ma plaie après l’ablation. Je ne ressens plus la douleur parce que j’avais 3 ans, mais j’ai toujours ça en moi. Ce sont des choses qui ne nous quittent jamais. On essaie simplement de vivre avec. Il était essentiel pour moi d’en parler. Ça m’a libéré et donné énormément de force. Les réactions autour de moi aussi m’ont donné de la force. Les gens réagissent avec beaucoup de bienveillance. Certains ne savent même pas ce que c’est qu’une excision. Du coup, ma parole a aussi une dimension pédagogique. Et puis dans mon spectacle, je ne voulais pas tomber dans le pathos. Je ne voulais pas non plus que ce soit vulgaire. Je voulais emmener ça avec de la poésie et de l’humour, parce que c’est ma manière d’aborder les thèmes difficiles. J’ai aussi tenu à faire intervenir la scène à un moment où les gens ne s’y attendaient pas. C’est vrai que ça surprend, parce que ça arrive

comme un cheveu sur la soupe, mais c’est pour ça que ça fait autant d’effet. J’avoue qu’avant de monter sur scène pour jouer cette pièce j’ai toujours un peu peur. Mais une fois sur scène, tout disparaît. Je me sens libre. Je suis wonderwoman, je vole sur scène ! Tu es plutôt engagée sur le sujet … Oui et j’en parle parce que c’est facile pour moi de me prononcer dessus. J’ai eu l’occasion encore d’en parler le 6 Février dernier sur France Inter, lors de la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. J’ai reçu énormément de messages de soutiens et de remerciements. J’ai la chance d’avoir cette exposition et c’est ma manière de sensibiliser les gens afin qu’on se dresse tous contre cette abomination. Mais je ne milite pas que contre l’excision. Je me bats aussi contre le noma, cette maladie qui attaque et défigure les enfants en bas âge, lorsqu’ils manquent d’hygiène ou lorsqu’ils sont mal nourris. Aux côtés de Samuel Le Bihan et de Stéphane Gompertz, nous parrainons l’association, allons sur le terrain , et apportons notre aide. Je soutiens également l’ONG Fitima, qui aide les enfants handicapés moteurs. Tant que je peux, je fais tout pour aider. As-tu réussis à convaincre ton entourage et ta famille pour qu’ils comprennent que l’excision, bien qu’étant une tradition, ne doit pas être tolérée ? Totalement ! Mes nièces ne sont pas excisées. Plus personne dans mon entourage ne l’est. Même ma mère a pris conscience de ça, après nous avoir fait exciser. Elle a même battu campagne pour sensibiliser les gens dans le village contre l’excision. Il est hors de question aujourd’hui de lui parler de ce sujet. Dans ma famille, ce n’est même plus un débat. Tu dégages une certaine bienveillance et de la gentillesse. Estce que ce sont des qualités qui permettent de réussir dans le show-biz qui est un milieu où on perçoit plutôt de la concurrence et de la superficialité ? Je ne me considère pas comme appartenant au show-biz (rires). Quand je finis de jouer, je rencontre mon public. Si mes amis sont là, on se fait un bon restau, et ensuite je retourne dans ma campagne, à 80km de Paris. Le fait de vivre à la campagne ça me permet d’échapper à pas mal de choses. Je vais très rarement à des soirées, sauf quand ce sont celles de France Inter ou si je suis invitée par des associations. Ma vie est loin des strass et des paillettes. J’ai conservé le lifestyle que j’avais au Burkina Faso : j’aime être tranquille dans mon jardin, cultiver mes tomates, planter ma ciboulette, cueillir mes fèves, etc. C’est aussi une façon pour moi de ne pas me perdre. Alors, féministe ou pas féministe ? 100% féministe. Je suis révoltée par les injustices ou les violences faites aux femmes. Et j’ai eu un modèle sous les yeux toute mon enfance. Celui de ma mère, qui s’est toujours battue, qui a toujours travaillé, et qui a ramené de l’argent à la maison, même si mon père avait son salaire. Elle était indépendance. Elle était aussi une figure très forte dans le quartier. Un jour, un de nos voisins a frappé sa femme. Cette dernière a couru pour venir se réfugier chez nous, et s’est cachée derrière ma mère. Quand son mari est arrivé, ma mère s’est levée et lui a dit : « tu vas faire quoi ? La frapper ? Et bien passe sur moi d’abord avant de pouvoir le faire ! ». Ma mère lui a parlé avec tellement d’autorité que je me suis dit ce jour-là que je ne laisserais jamais un homme me faire du mal ou me rabaisser. Ce que mon père ou mon frère ne m’ont pas fait, il est hors de question qu’un autre homme vienne me le faire. Je suis féministe, mais je suis de celles qui pensent qu’il faut choisir ses combats. On peut se faire entendre sans gueuler ou crier son féminisme sur tous les toits. On peut convaincre les autres de manière apaisée. En tout cas, c’est ma méthode. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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INSPIR’START UP - BENIN

SARAH CODJO

« PERLICIOUS EST UNE MARQUE AUDACIEUSE, MAIS SURTOUT INCLUSIVE CAR TOUTES LES CORPULENCES SONT LES BIENVENUES » Propos recueillis par Sylvie Touré Photos par Perlicious Des perles, des bijoux, des accessoires, et des vêtements, Sarah Codjo, celle pour qui les bijoux définissent une personnalité, vient briser les codes de la mode africaine et souffler un vent d’originalité du Bénin vers le monde. Cette jeune créatrice trentenaire, amoureuse du fait-main, et du glamour, a été bercée par la culture de son pays. Son raffinement, son élégance, son savoir-faire, finiront par donner naissance à une marque empreinte de chaleur et de délicatesse, pour des femmes aux formes généreuses et voluptueuses.

Comment as-tu vécu le fait d’être ronde dans ton milieu professionnel ? Au début de mon aventure entrepreneuriale dans le domaine de la mode, je partais avec deux «faiblesses» : un background intellectuel solide (les préjugés veulent que la mode et les travaux manuels soient l’apanage de ceux qui n’ont pas réussi à l’école), et une corpulence dite « non standard ». En tant que femme africaine, c’était dur de créer de belles choses et de voir que ma marque n’était pas créditée parce qu’« il ne fallait pas qu’on me voit ». Or pour moi, le but était que mon travail soit d’abord vu et reconnu. Ma personnalité n’était que secondaire. J’ai essuyé des moqueries et des humiliations publiques, et j’en ai fait une force. Des personnes du milieu, grossophobes et moqueuses hier, ouvrent aujourd’hui leur ligne aux tailles « plus ». J’esquisse toujours un sourire en l’apprenant. Comment est née cette envie d’entreprendre ? J’ai toujours fait des petits bijoux. J’ai commencé à commercialiser mon travail sur les bancs du collège et mes camarades de classe peuvent en témoigner. Entreprendre, je pense que c’est un virus familial. Avec le temps, la vie et ses surprises m’ont fait fermer la page « d’une vie de bureau », pour démarrer une vie d’entrepreneur. Un matin, j’ai décidé de mettre ma créativité au cœur de ma vie professionnelle, et Perlicious était née. Le déclic s’est créé quand j’ai pris conscience que mes créations plaisaient aussi à d’autres personnes. En effet, beaucoup de gens étaient intéressées par les vêtements que je confectionnais pour moi-même. Leur admiration était telle que plusieurs voulaient savoir où et comment je me les procurais. Au bout d’un moment je me suis retrouvée à répondre à des commandes. Cet intérêt manifesté à l’égard du travail que j’abattais m’a permis de prendre conscience qu’il y avait un vrai manque au niveau de la catégorie de vêtements dite « non standard ».

une pièce phare de la collection de maillot de bain de Perlicious

C’est donc à cette seule catégorie que vous vous intéressez ? Non, car il faut préciser que les tailles non standards ne sont pas le fait exclusif des personnes fortes. Elles font également allusion aux petites tailles, qui généralement ont du mal à trouver des vêtements de bureaux ou de soirées en raison de leur corpulence. Ces dernières sont souvent obligées de se rabattre vers le rayon enfants. C’est donc aux besoins vestimentaires de ces deux catégories que j’ai décidé de répondre.

Dans le showroom de Perlicious à Cotonou

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Perlicious est une marque déposée, qui prône une mode audacieuse par la créativité. C’est une marque inclusive, car toutes les corpulences sont les bienvenues. Perlicious est aussi une marque opulente : rien n’est commun ou basique, les tissus, les perlages et les pierres sont riches. Nous proposons une ligne de bijoux mixte, une ligne d’accessoires sacs et ceintures, une ligne de vêtements féminins pour le bureau, une ligne de vêtements féminins pour les soirées, galas et mariages, une ligne de maillots de bains personnalisés avec des pierres et du sequin. Nous utilisons les pierres semi-précieuses et à vertu pour les bijoux, le batik, le sequin, le simili cuir pour les accessoires. Pour les vêtements, nous nous servons du néoprène, du sequin, du tulle perlé, des tissus et imprimés africains que nous embellissons systématiquement avec des pierres Swarovski ou de la broderie de perle. Qui est votre cœur de cible ? Notre cœur de cible est la Boss Lady, qu’elle soit mince comme une gazelle ou corpulente comme beaucoup de gens en Afrique. L’expérience nous a montré que toutes les femmes ont des complexes, et ont besoin de se sentir belles. Par contre le choix d’élargir les offres aux grandes tailles s’est opéré d’abord par volonté personnelle de montrer qu’il est possible d’être belle et charismatique peu importe sa corpulence. Ensuite, sur le plan économique, la demande est 30 à 40 fois supérieure à l’offre sur le marché, compte tenu du croisement entre les «standards» occidentaux et la réalité des consommatrices sur le terrain. Par ailleurs, nous avons pensé à toutes les bourses et nos créations sont accessibles à tous. Nos bijoux ont un plafond de 10 euros, soit 6500 francs CFA, nos tenues chics sont à partir de 50 euros, soit environ 30 000 francs CFA et nos robes personnalisées sont à partir de 150 euros, soit près de 98 000 francs CFA. L’environnement des affaires au Benin vous a-t-il aidé à lancer et à développer votre boutique ? Il y a quelques années rien n’était concrètement fait pour aider les entrepreneurs. En réalité, à mes débuts, la notion d’entrepreneur était méconnue de plusieurs. Plus encore, au Benin dans le milieu de la mode, beaucoup de personnes se limitent au secteur informel. Cependant, les choses évoluent, car des nouvelles dispositions ont été mises en place pour accompagner les entrepreneurs. Au niveau fiscal par exemple, certaines obligations ont été proscrites, au profit de nouveaux régimes. Il est désormais plus facile pour les jeunes de monter leur propre business. Quelle a été la partie la plus difficile lors du lancement de tes activités ? Trouver des partenaires compétents pour aider à la réalisation de ma vision et pour assurer la confection des créations. J’ai longtemps galéré avec des couturiers qui ne savaient faire qu’une chose : coudre le pagne. Avec le temps, j’ai pu constituer une équipe externe avec un background similaire au mien. Nous parlons donc le même langage. Quel message envoyez-vous aux femmes du monde ? Vous êtes tellement plus que vos complexes. Nous vous habillons pour le succès. Nous vous donnons les clés du déploiement de vos capacités, par une mode qui tient compte de vous, et de l’image de femmes d’impact que vous devez véhiculer pour des générations futures.

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INSPIR’START UP - MADAGASCAR

SANDRINE LECOINTE

CRÉATRICE MADAGAS’CARE COSMETICS « Je préfère les actes et les engagements, tels que la reforestation de Madagascar, plutôt que payer pour un label bio » Propos recueillis par Joan Yombo Photos par Madagas’Care Eurasienne (franco-malgache), Sandrine Lecointe a vécu 20 ans au Congo et au Gabon. Fille et petite-fille d’entrepreneur, c’est donc sans surprise qu’elle créé à l’âge de 25 ans la première structure d’éveil artistique pour enfants au Congo. De retour en France et après un bref passage dans le secteur de l’énergie en tant que salariée, Sandrine décide de revenir à ses premiers amours entrepreneuriaux et lance en 2017 la marque Madagas’care Cosmétiques, inspirée des rituels traditionnels malgaches. Aujourd’hui « mompreneur » déterminée et passionnée, elle s’engage activement dans le développement durable. Comment démarre l’aventure Madagas’care ? Raconte-nous. A l’été 2014, alors que je rentrais à Madagascar pour célébrer le baptême de mon fils d’à peine un an, après avoir vécu une grossesse difficile et handicapante, je me suis fait masser par une femme qui fabriquait elle-même ses onguents et huiles. Je vivais depuis un an une interminable rééducation, et en quelques jours, j’ai tout de suite ressenti les bienfaits de ces méthodes naturelles. C’était presqu’une résurrection ! Cette femme m’a montré comment elle récoltait et transformait ses plantes et écorces, comment de façon traditionnelle et naturelle, elle créait des soins efficaces, sains et réparateurs, alors que depuis des mois, la médecine française n’avait pas pu me guérir. Pour moi, elle avait de l’or dans les mains ! Et de là l’idée a germé… Je suis revenue de ce séjour avec cette envie et ce besoin d’utiliser des produits efficaces, sains, bénéfiques pour la peau comme pour la planète. J’ai commencé à me former, à faire des recherches en formulation cosmétique, des études de marché, etc. J’ai découvert le manque de transparence dans ce secteur, les menaces et les dangers présents dans les cosmétiques conventionnels. Comme je n’ai pas trouvé ma gamme de soins idéale, j’ai décidé de la créer. De mes voyages à Madagascar, je veux partager mes découvertes, et je veux pouvoir faire quelque chose en retour pour mon pays et pour la Nature. Ainsi est née Madagas’Care Cosmétiques, un condensé de savoir-faire ancestral et l’expertise cosmétique naturelle d’un laboratoire français. En quoi est-ce que ta marque représente une nouvelle approche de la cosmétique ? Notre différentiation vient de notre détermination à proposer des soins respectueux du corps et de la nature. Madagas’Care Cosmétiques, ce sont des formules généreuses en actifs végétaux, et des produits finis élaborés pour respecter la peau et l’environnement : 96 à 100% d’ingrédients d’origine naturels, choisis dans le respect de la charte Ecocert1, des emballages recyclables et recyclés, encre végétale, colle sans solvants, packagings réutilisables, etc. Madagas’Care est aussi et surtout une marque engagée pour la reforestation de Madagascar ! Un produit acheté, c’est un arbre planté ! 40

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En 2 ans, nous avons planté plus de 1500 arbres et ce n’est pas fini d’autres petits plants sont rentrés en pépinière. Quel est ton engagement aujourd’hui ? Mon engagement est de faire connaitre la biodiversité de mon île à travers une gamme de soins visage et corps exempts de produits issus de la synthèse potentiellement toxique pour l’homme et l’environnement. Faire en sorte que ceux qui utilisent nos produits, participent à préserver la richesse végétale que nous avons et qui est menacée aujourd’hui. Madagascar est une île à préserver et à valoriser ! Je veux que Madagas’Care laisse un héritage à nos enfants. Mon plus grand désir est que mon fils connaisse ce que j’ai connu en Afrique et à Madagascar (des forêts luxuriantes, des lémuriens, des baobabs, et tout le reste !) ! Et puis quoi de mieux que de se faire belle en prenant soin de la planète ? D’où viennent les actifs qui constituent les produits Madagas’Care et comment t’assures-tu qu’ils sont de qualité ? Nos matières premières végétales proviennent de différentes exploitations de toute l’île de Madagascar. Nous privilégions les petites exploitations familiales et traditionnelles. Nous travaillons avec des essences non menacées et mettons en avant des plantes déjà connues en Europe. Jamais, je n’utiliserai le baobab par exemple. Moi qui viens de Morondava, la ville des baobabs, je ne peux tolérer que cette espèce menacée soit exploitée dans ma gamme. Je préfère mettre en avant la Brede Mafane ou le Gotu Kola – si je ne dois citer qu’eux - qui sont des plantes merveilleuses aux pouvoirs anti-âges extraordinaires ! On retrouve ces actifs _entre autres_ dans notre gamme constituée de 2 soins visage et 3 soins corps : un gel douche exfoliant, un lait corps, une huile sèche corps et cheveux, un soin visage et un soin contour des yeux. C’est une collection aux vertus hydratantes et anti-âge, aux textures onctueuses et légères, des formules sûres, sans silicones, sans perturbateurs endocriniens, ni parabènes… Des compositions fondantes, désaltérantes et surtout qui sont riches en actifs. Des odeurs qui vous transportent et font rêver tous ceux qui vivent loin du soleil.

Premier organisme de certification à développer un référentiel pour les « Cosmétiques écologiques et biologiques » 1


Quel a été ton plus gros challenge dans cette aventure entrepreneuriale et quel conseil donnerais-tu à une personne qui veut faire comme toi ? Le plus gros challenge a été de se lancer, en partant de rien et sans aucune connaissance de la création d’entreprise en France, et de l’univers de la cosmétique. Je me suis formée pendant un peu plus de 2 ans en cosmétiques naturelles, aromathérapie, et bien d’autres choses. Et un challenge encore plus gros s’annonce : trouver les associés idéaux pour pouvoir lever des fonds et aller encore plus loin ! Le meilleur conseil que je puisse partager, c’est de ne jamais lâcher ! Garder foi en son projet et ne pas rester seul !

de faire certifier leur production. Aussi, afin de couvrir ces frais de certification, nous serions contraints d’augmenter de manière très significative le prix public de nos produits. Or, à la création de notre marque, nous avons fait un choix social : rester dans un positionnement premium accessible avec des produits de qualité et respectueux de l’homme et de l’environnement. Nous préférons reverser à Madagascar et redonner directement à la Terre et à ses enfants : 5% de notre chiffre d’affaires est reversé à Alamanga pour la reforestation de l’île et l’association Sous le Même Ciel pour la construction d’écoles malgaches. Je pense surtout qu’il y a tellement de labels que le consommateur peut se perdre.

Qui dit produits naturels, dit produits bios et donc chers non ? Non, pas forcément ! Nos produits sont naturels et ne sont pas labélisés BIO pour plusieurs raisons : Pour obtenir la certification biologique, chaque composant du produit fini doit lui-même être certifié bio et cette certification aurait un coût trop élevé pour notre petite structure. Les partenariats avec les producteurs malgaches que nous avons établis dans une logique de développement durable n’ont pas les moyens

Et je préfère les actes et les engagements, tels que la reforestation de Madagascar, plutôt que payer pour un label…

Une cosmétique vraie, naturellement généreuse et généreusement naturelle...

Comment vois-tu ta marque dans 5 ans ? D’ici 5 ans, j’ambitionne une belle croissance (d’arbres notamment, rires) et une présence à l’international, et pourquoi pas la création d’une boutique sur Madagascar avec une gamme spéciale Mada !

EN CADEAU POUR LES LECTRICES D’INSPIRE AFRIKA MAGAZINE : Une réduction de 20%* accordée sur tous les soins (hors accessoires) + les frais de ports offerts en France Métropolitaine. Utilisez le code : MADAINSPIRE au moment de votre achat sur https://madagas-care.com *promo valable jusqu’au 1er Septembre 2019

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CARRIÈRE - NIGERIA

OLA OREKUNRIN BROWN « LES PRISES DE DÉCISIONS NE TIENNENT PAS TOUJOURS COMPTE DES PROBLÈMES DES FEMMES » Propos Recueillis par Chrys-Ève Nyetam Photos par Flying Doctors Nigeria

C’est à 21 ans que le Dr Olamide Orekunrin-Brown obtient son diplôme de médecine à l’université de York en Angleterre. Elle se construit alors un profil solide. Elle officie au sein du National Health Service en Angleterre, où elle obtient son diplôme de pilote d’hélicoptère et se spécialise dans la médecine aéronautique. C’est alors que le malheur frappe à sa porte : sa petite sœur, âgée de 12 ans, fait une crise de drépanocytose. Elle est hospitalisée, mais l’établissement n’est pas en mesure de lui procurer les soins nécessaires. Son transfert ne pouvant se faire par voie terrestre, ses parents souhaitent la transférer par avion médicalisé dans un autre hôpital. Ils découvrent alors qu’il n’y a pas d’ambulance aérienne au Nigéria, ni même en Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que Busola meurt, faute de moyen de transport. Dr Orekunrin décide donc de rentrer au Nigéria et de créer Flying Doctors Nigeria (FDN), le premier service d’ambulance aérienne d’Afrique de l’Ouest. 10 ans après, FDN compte 20 avions et hélicoptères, et 47 employés dont 44 sont médecins. Nous avons rencontré Dr Orekunrin-Brown, la femme qui rêve de la révolution du système sanitaire nigérian. Inspire Afrika Magazine : Cela fait 10 ans maintenant que Flying Doctors Nigeria (FDN) a été créé. Quel a été votre impact et votre valeur ajoutée ces 10 dernières années au Nigéria ? Dr Ola Orekunrin Brown : Plusieurs problèmes rendent l’accès aux soins de santé difficile en Afrique. Le plus évident est sans doute celui lié aux infrastructures routières : certaines routes sont impraticables en fonction des saisons, d’autres ne sont pas goudronnées. Il est donc très compliqué de transférer des patients sur de grandes distances par la route. Le second de ces problèmes est le manque de médecins. Prenons la Norvège par exemple ; vous verrez que pour 10 000 habitants, ils ont environ 42 médecins. D’ailleurs, dans la plupart des pays occidentaux, on compte entre 30 et 40 médecins pour 10 000 habitants. En Afrique, et en particulier en Afrique de l’Ouest, nous comptons entre 3 et 6 médecins pour 10 000 habitants. Les citoyens peuvent difficilement avoir accès à des médecins. Le troisième problème concerne les grands centres hospitaliers. La construction de grands hôpitaux multi-spécialisés coûte entre 300 millions et un milliard de dollars. Certains pays d’Afrique de l’Ouest n’ont même pas un milliard de dollars de budget annuel. Alors, comment peuvent-ils construire ces hôpitaux spécialisés ? La conséquence est que les populations doivent parcourir de très grandes distances pour obtenir des soins spécialisés. Je pense que les services d’ambulance aériens aident à contourner les trois défis dont j’ai parlé plus tôt : celui du manque d’infrastructures routières, du taux de médecins et du manque de structures hospitalières. 42

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Parfois, en particulier en Afrique de l’Ouest, avoir accès à certaines spécialités implique de traverser une frontière. Vous conviendrez donc que tout système permettant à un patient d’accéder plus facilement à un hôpital dans un laps de temps court a un impact. I.A.M : Corrigez-moi si je me trompe, mais seule une petite partie de la population peut se permettre de profiter de vos services. Il est destiné aux personnes riches. O.O.B : Je pense que les soins de santé en général sont chers. C’est pour cette raison que le secteur de la santé connait un taux de croissance à deux chiffres. Le défi pour les gouvernements et les autres organisations mondiales est de trouver un moyen de rendre les soins de santé abordables. Nous travaillons avec les gouvernements depuis 10 ans pour essayer de déterminer quel mécanisme de paiement pourrait être optimal. L’assurance est l’un des moyens les plus courants d’accéder à nos services. Vous pouvez payer une petite prime mensuelle ou annuelle qui comprend une couverture pour un transport par ambulance. Je ne dirai pas que les services d’ambulance aérienne ne peuvent être achetés que par des gens riches. Je dirai que les soins de santé en général sont très coûteux, et que c’est un défi mondial que connaissent même des pays tels que les États-Unis avec Medicaid et Medicare ou le Royaume-Uni avec la crise du Service de Santé Nationale (NHS). Mais les ambulances aériennes réduisent le coût des soins de santé en veillant à ce que les États n’aient pas à répliquer les hôpitaux spécialisés qui sont, comme je le disais précédemment très coûteux. Nous contribuons donc à une centralisation des soins de santé. Cette centralisation est particulièrement importante pour les pays africains qui n’ont pas beaucoup d’argent pour construire plusieurs centres d’excellences car leurs budgets ne le leur permet pas. Je pense donc que l’ambulance aérienne est un élément important pour que les patients puissent avoir accès aux soins. Les soins de santé sont généralement une responsabilité sociale que les gouvernements doivent prendre en main pour leurs citoyens.

Nous avons besoin de nos meilleurs talents, de nos esprits les plus brillants pour être économiquement productifs, afin de pouvoir atteindre ces taux de croissance de 10 à 20% qui pourront faire passer le continent de l’état de pauvreté qui règne actuellement à celui de la prospérité que nous devons atteindre. I.A.M : Quel est le principal problème de santé auquel font face les Nigérianes ou les femmes d’Afrique de l’Ouest en général ? Comment peut-on y remédier ? O.O.B : Un de nos plus gros problèmes, en Afrique, et pas seulement au Nigeria, concerne les décès liés à la grossesse. Le taux de mortalité maternelle et infantile au Nigeria, est l’un des plus élevés au monde. C’est une situation que connait l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Je pense que cela est dû en partie à notre gestion des urgences et à notre niveau de formation médicale. Il y a un problème de formation, mais aussi d’infrastructures, car les femmes n’ont pas accès aux soins. Cela étant remis en question, il est nécessaire de mettre en place des formations et d’améliorer les infrastructures dans la région pour tenter de résoudre ce problème. Le taux de mortalité élevé est aussi dû à la décision tardive de recherche des soins. C’est un problème de santé publique. En fait, les femmes prennent du retard. Le premier retard est celui de la recherche de soin. Parfois, elles ne comptent pas sur des personnes instruites pour gérer les problèmes liés à leurs grossesses. C’est culturel. Notre second retard est celui des moyens de transport. Et c’est là que nous jouons un rôle. Il faut les faire passer, de la région où elles vivent avec un niveau de soins peu élevé vers un niveau de soins plus approprié. Et le troisième retard est bien sûr celui des soins spécialisés et des soins d’urgence, dans lequel FDN a choisi de se spécialiser. Et cela est également souligné par le manque de médecins et d’infirmières dont j’ai parlé tout à l’heure. Nous manquons de spécialistes capables de gérer les urgences maternelles. La résolution de ces trois retards est essentielle pour réduire le taux de mortalité maternelle.

I.A.M : Vous êtes la première femme à diriger le premier service d’urgence médical aérien. Faites-vous face à des challenges liés à votre condition de femme ? O.O.B : Je parle à beaucoup de femmes d’affaires qui disent souvent qu’«être une femme ne m’affecte pas, il faut juste être compétente.» Dans mon cas, ce n’est pas vrai. Je pense que le Nigéria est une société profondément dominée par les hommes et que les hommes sont considérés comme des leaders en Afrique. Comme vous le savez, notre culture a toujours célébré le leadership masculin, et même si cela tend à changer, le changement est beaucoup trop lent pour de jeunes femmes d’affaires. Ce que je dis est vérifiable à travers plusieurs aspects : par exemple, le fait que les femmes n’aient pas accès aux financements aussi facilement que les hommes, en particulier au Nigéria. Sur le plan social, on s’attend à ce que les femmes restent encore en Afrique les principales dispensatrices de soins à domicile : elles sont censées cuisiner, elles doivent faire le ménage, elles devraient s’occuper des enfants. Si en tant que femme d’affaires, vous passez ne serait-ce que 30% de votre temps à faire des activités non économiques sur une période de 5 à 10 ans, cela met une pression significative sur votre entreprise quel que soit son secteur d’activité, et réduit vos chances de développer votre réseau.

I.A.M : Vous avez mentionné la culture. Est-ce un facteur important contribuant à l’augmentation du taux de mortalité maternelle ? O.O.B : Oui. J’ai essayé d’expliquer d’abord et de manière académique la raison pour laquelle le taux de mortalité maternelle est élevé, car c’est une preuve solide qui repose sur des faits. Mais il existe également des preuves indiquant qu’il ne s’agit pas simplement d’un problème d’infrastructure et d’éducation. Le problème a également une composante culturelle qui repose sur quelque chose que j’ai déjà mentionné : les hommes ont toujours été considérés comme des leaders au Nigéria. En conséquence, les voix que nous entendons sont généralement celles de ceux qui ont le pouvoir: les décisions qui sont prises au Sénat, à la chambre des représentants et au niveau présidentiel sont toutes prises par des hommes.

L’Afrique doit adopter un modèle commercial plus égalitaire, non seulement pour aider les femmes, mais pour aider l’économie en général, parce que nous avons au moins 30, 40, voire 50 ans de retard sur le reste du monde.

Lorsque vous avez une assemblée législative et un leadership essentiellement masculin, vous avez des lois, des règles et des politiques qui ne vont pencher que d’un côté. Il y a d’autres éléments culturels comme celui du mariage des enfants, par exemple.

En fait, on dit souvent que si vous n’êtes pas à la table, vous êtes au menu. Les prises de décision ne tiennent pas toujours compte des problèmes des femmes parce qu’ il n’y a pas assez de femmes pour exprimer notre point de vue, pour parler en notre nom, ou pour raconter notre histoire

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Sachant que 43% des femmes et des filles au Nigeria sont mariées avant leur 18e anniversaire, vous pouvez en conclure que les mariages précoces augmentent de manière significative les problèmes rencontrés par les femmes. Notre culture de la polygamie en Afrique de l’Ouest est un autre facteur culturel. L’une des plus grandes études sur les effets négatifs de la polygamie a montré que celle-ci avait des effets négatifs sur les épouses et les enfants. En effet, les enfants ont grandi avec moins de ressources et moins d’attention. Ils ont tendance à se marier plus jeunes et sont plus exposés au VIH, ils vivent des abus, les mutilations génitales et le trafic sexuel. Les femmes mariées sous le régime polygamique sont également plus susceptibles de mourir lors de l’accouchement. Il existe également une culture de la violence domestique et du viol, qui prévaut en Afrique et également, au Nigéria, qui contribue à la mortalité maternelle. Une étude a révélé qu’une femme sur trois était victime de violence domestique chez nous. I.A.M : Que diriez-vous a une jeune femme qui souhaiterait suivre votre voie ? O.O.B : Je lui dirai tout d’abord que c’est possible. Je lui conseillerai de ne pas douter de quelque façon que ce soit d’elle-même. Ensuite j’attirerai son attention sur le fait que l’aventure entrepreneuriale, qu’elle soit menée par un homme ou une femme, a un impact sur la vie privée. Je suis sûre que tout entrepreneur, dira qu’il a dû faire certains sacrifices pour son entreprise, et que ceux-ci ont eu un impact sur d’autres aspects de sa vie. Je ne me souviens plus de l’auteur, mais quelqu’un a dit que « l’esprit d’entreprise, c’est vivre votre vie - ou quelques années de votre vie - comme la plupart des gens ne le feraient pas, pour pouvoir vivre le reste de votre vie comme la plupart des gens ne le peuvent pas ». Il faut environ une décennie pour créer une entreprise réelle et sérieuse, pour constituer une équipe solide et établir un bilan permettant de lever des fonds. Je pense que l’entreprenariat est à la mode : Dans les magazines, dans notre culture, et les gens pensent que c’est une solution de facilité. Je voudrais fortement mettre en garde contre cela. I.A.M : Parlons justement des sacrifices. Pensez-vous qu’une africaine ait besoin de faire plus de sacrifices qu’un africain pour réussir ? O.O.B : Oui. Encore une fois, je pense que la raison principale est culturelle. Beaucoup de cultures africaines ne soutiennent tout simplement pas les femmes faisant ce genre de sacrifices. Et il y a aussi quelque chose appelée l’amende de la sympathie, dont parle Sheryl Sandberg, la directrice financière de Facebook, dans son livre Lean In1. Elle dit que les femmes ambitieuses semblent moins sympathiques quand elles réussissent. La théorie de l’amende de la sympathie est que plus une femme est compétente, moins elle est aimable. Dans le Harvard Business Review, un article a également soutenu une théorie similaire: plus une femme est aimable, moins elle est compétente. Donc, pour les dirigeantes d’entreprise, sympathie et succès ne vont pas de pair, et je pense que c’est probablement la plus grande injustice que les femmes subissent aujourd’hui. Un homme riche qui réussit est en fait perçu comme plus sympathique et plus susceptible de se marier. Une femme riche qui réussit est moins sympathique et moins susceptible de se marier. Je pense que l’un de nos désirs les plus profonds et dont les gens ne parlent pas vraiment, mais qui est quelque chose de tout à fait primordial pour nous en tant qu’êtres humains, c’est le désir d’être aimé et apprécié. Et si vous regardez des aventures entrepreneuriales, comme celle de Mark Zuckerberg par exemple, vous verrez qu’il a en fait créé Facebook pour impressionner une fille, en essayant 1

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« En avant toutes » en Français

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de paraitre plus aimable et plus populaire. Mais cela ne fonctionne pas pour les femmes. Je pense que c’est une amende que beaucoup de femmes ne sont pas toujours disposées à payer. I.A.M : Comment peut-on changer cela ? O.O.B : Je pense que ça change déjà. Notre société évolue. 2017 était vraiment l’année de la femme. Tant de femmes se sont manifestées pour dire leur vérité et raconter leurs expériences. Je pense que c’est extrêmement important. Une étude menée aux Etats-Unis a dévoilé que 80% de tout ce que nous voyons, lisons et écoutons est raconté d’un point de vue masculin. Par conséquent, lorsque nous entendons un point de vue masculin de manière constante, cela devient alors la norme. Plus les femmes donneront d’interviews, plus elles participeront à des conférences, plus elles seront à la radio et à la télévision, plus elles auront accès à des postes de pouvoir, plus tout cela deviendra la norme, et commencera à entrer dans nos mœurs. Cela amènera les femmes à exploiter tout leur potentiel et à être fières de leurs réalisations sans avoir à payer l’amende de la sympathie dont j’ai parlé plus tôt. Je pense que c’est tellement important en Afrique en particulier, parce que nous avons besoin de cette croissance économique qui puisse mener ces millions de personnes à la prospérité. Il est encore plus important que les femmes africaines s’impliquent parce que les habitants de notre continent vivent avec moins d’un dollar par jour. Ce ne sont pas des problèmes occidentaux, ce sont des problèmes africains et nous avons besoin de tous les africains pour trouver des solutions aux problèmes du continent.


INSPIR’ECO - AFRIQUE

ENTREPRENEURES AFRICAINES : ENTRE DYNAMISME ET DISPARITÉ Par Chrys-Ève Nyetam Toutes les études le disent : l’Afrique est le premier continent de l’entreprenariat féminin. Selon le cabinet Roland Berger, les africaines produiraient entre 150 et 200 milliards de dollars de valeur ajoutée, soit 65% de la richesse du continent. Malgré leur multiplication, les établissements de micro-crédit ne correspondent plus à la demande des entrepreneures locales. Conséquence, plus que leurs collègues masculins, les entrepreneures africaines peinent à trouver les financements adéquats qui leur permettraient de développer leurs activités. Pourquoi ? Femme africaine – Femme au foyer D’abord parce que la femme africaine souffre de la vision traditionaliste et de la pression sociale. Si en Occident, il est bien vu d’être à la fois mère et cheffe d’entreprise, en Afrique, une femme n’est valorisée que quand elle a un foyer et sait l’entretenir. La société ne lui en voudra pas de ne pas avoir d’emploi. Cependant, pour avoir un minimum d’indépendance financière, elle se lance dans l’entreprenariat. En Afrique, les femmes deviennent entrepreneures d’abord pour se nourrir et nourrir leur famille. Dans des pays comme le Nigéria où le taux de chômage des femmes atteint 26%1, l’entreprenariat est d’abord une question de nécessité avant d’être une question d’opportunité. Elles opèrent donc souvent dans le secteur informel. Par conséquent, la rentabilité de leurs activités est difficilement traçable par de potentiels investisseurs, car celle-ci n’est pas certifiée. Au Ghana, 34% des femmes sont les principaux soutiens financiers de leur famille selon le MasterCard Index of Women Entrepreneur (MIWE). Ce pays dont la population – à 81.6% - accorde une grande estime à l’entreprenariat, n’apprécie que très peu les femmes entrepreneures car culturellement, cette pratique n’entre pas dans les mœurs. On comprend donc que la société africaine est partiale et accorde plus de crédit aux hommes qu’aux femmes d’affaires. Cette perception de la société influe sur la perception que les femmes ont d’elles-mêmes. D’après le MIWE, seulement 46% des ghanéennes pensent qu’elles peuvent diriger correctement une entreprise. Si les entrepreneures n’ont pas déjà confiance en leur potentiel, comment peuvent-elles gagner la confiance des investisseurs ? Pour augmenter les financements perçus par les entrepreneures africaines, la société doit leur offrir les mêmes opportunités qu’elle offre aux hommes. Comment ?

En favorisant l’inclusion financière de manière neutre Pour que les banques accordent des crédits aux femmes, ces dernières doivent apporter suffisamment de garanties de remboursement. L’une des premières garanties, à apporter à la banque, est de prouver à celle-ci que vous avez un logement, même si vous n’êtes que locataire. En Afrique, où l’adressage des rues n’est pas toujours effectif, les banques sont frileuses à accorder autant de prêts que dans les pays occidentaux car elles ne savent pas avec certitude où trouver les emprunteurs. Les femmes en souffrent plus car elles ne sont pas toujours détentrices de titres fonciers. Au Kenya, les femmes ne représentent que 5%2 des propriétaires terriens (détenus conjointement avec les hommes), mais contrôlent 48% des micro et petites entreprises du pays. Seulement, 7%3 d’entre elles ont accès à l’ensemble des crédits. La neutralité à l’égard du genre face au crédit permettrait ainsi aux agricultrices de cultiver plus, de générer plus de revenus, et de créer des emplois.

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Au-delà de la culture, le point de départ de l’inclusion financière des entrepreneures africaines en particulier est une question légale. Dans un passé récent, une éthiopienne pouvait bénéficier légalement d’un titre foncier ; mais la coutume ne le permettant pas, le terrain revenait de droit à son époux. Dans ces conditions, peu d’éthiopiennes étaient en mesure de présenter des titres fonciers à leurs noms, quand bien même elles en avaient hérité. Les états africains en faveur de l’égalité des genres devraient suivre l’exemple de l’Ethiopie et du Rwanda qui ont coupé la poire en deux en exigeant que la propriété terrienne soit solidaire. Cette solidarité de propriété permet aussi aux femmes d’être protégées en cas de divorce ou de décès de leurs conjoints. Au Rwanda, l’impact de cette loi est direct : les rwandaises présentaient 19%4 de probabilités d’investir dans la conservation des sols afin que ceux-ci servent pour l’agriculture.

Du petit commerce à l’entreprise créatrice d’emploi La troisième raison pour laquelle les entrepreneures africaines ont du mal à trouver des financements est le manque de compétences. Il existe une corrélation forte entre le PIB et l’activité entrepreneuriale : Plus le PIB est bas – et le taux de chômage élevé – plus les entrepreneurs sont dynamiques. Prenons l’Ouganda, pays de 42 millions d’habitants dont le PIB s’élève à 25 milliards de dollars5 : ce pays connait une scène entrepreneuriale féminine en mouvement. Selon MIWE, 34.5% des entreprises sont détenues par des femmes et 90.5% d’entre elles ont accès au financement. Ces chiffres cachent pourtant une réalité triste. Les entrepreneures ougandaises exercent principalement dans l’agriculture, la beauté, et prospèrent dans l’informel, sans créer d’emplois. Elles arrivent à obtenir des crédits car les montants demandés peuvent être débloqués par des établissements de micro-crédits. Même quand elles font du profit, celui-ci ne permet pas de développer l’activité pour que celle-ci passe du statut de petite boutique familiale à entreprise structurée. Ce plafond existe notamment à cause du manque de compétences. En Ouganda, seulement 1.12%6 des femmes ont obtenu un diplôme équivalent à une licence. Pourtant il est possible d’aller plus loin. Au Nigéria, les femmes représentent 65.4% des cadres techniques, et le taux d’alphabétisation des personnes de plus de 15 ans est de 49.68%. La parité hommes/femmes des entrepreneurs actifs nigérians est de 100. L’éducation serait la solution pour permettre aux entrepreneures de saisir les opportunités offertes par les secteurs dans lesquels elles opèrent. L’Afrique est le continent des paradoxes. Malgré le dynamisme certain des entrepreneures africaines, les conditions ne sont pas encore optimales pour que les entreprises tenues par des femmes soient attractives pour des investisseurs. Les conditions sociétales, l’inclusion financière et l’éducation supérieure des femmes permettraient à leurs entreprises d’atteindre un nouveau cap. Elles pourront ainsi suivre leurs activités et tracer leur rentabilité. Plébisciter la neutralité face aux opportunités entrepreneuriales et réduire les disparités hommes-femmes permettraient à l’économie africaine de gagner 95 milliards de dollars7 par an.

MasterCard Index of Women Entrepreneur, 2 Fond International de Développement de l’Agriculture (FIDA – ONU), 3 Banque Africaine de Developpement, 4 African Gender Equality Index 2015 – Banque

Africaine de Développement, 5 Banque Mondiale, 6 Trading Economics, 7 Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)

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LES PENSÉES DE... - NIGER

MARIAM KAMARA OU COMMENT TRANSFORMER UN VILLAGE GRACE A L’ARCHITECTURE Par Chrys-Eve NYETAM Photos par Atelier Masomi

Mariam KAMARA est une femme architecte. Elle ne se contente pas que d’exercer dans un milieu dominé par la gente masculine, mais repousse les limites en vivant entre le Niger et les Etats-Unis. Cette Nigérienne a plusieurs cordes à son arc : d’abord informaticienne, elle enseigne ensuite l’urbanisme à l’université de Brown. Elle a été remarquée par le célèbre architecte britannique d’origine ghanéenne David Adjaye, avec qui elle forme le duo « mentor et protégée » du programme Rolex de mentorat artistique 2018-2019. Mariam KAMARA est aussi une cheffe d’entreprise : elle dirige l’atelier Masomi. L’un de ses projets phares est le Legacy Restored Center, un complexe religieux atypique à Dandadji, sa ville d’origine, où elle fait cohabiter religion et modernité. La lauréate du Global LafargeHolcim Awards 2018 nous livre son opinion sur son métier et son pays d’origine pour lequel elle est engagée.

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Sur la contextualisation de l’architecture et la perception du métier Je pense qu’il y a beaucoup à faire d’un point de vue architectural en Afrique. Tout d’abord, il convient de noter que les pays africains ont rarement le pouvoir économique de créer (matériellement) le type d’architecture mis en œuvre en Occident. De toute façon, ils ne devraient pas le faire. Ce n’est pas durable dans le sens où ce serait insoutenable: il serait difficile de maintenir les constructions sur du long terme pour des raisons de coût et d’accès. Je souhaite trouver un moyen de créer une architecture contextuelle et durable et qui mettrait surtout l’humain au centre des réflexions. Et c’est parce que l’architecture met l’homme au centre de toute démarche, que c’est une discipline importante, utile au développement, contrairement à la perception qu’on en a parfois sur le continent. Je pense que nous avons des problèmes lorsque nous oublions ce fait et cela devient un exercice visuel plutôt qu’un exercice basé sur l’aménagement de l’espace. Sur la (re)structuration des villes africaines afin que celles-ci s’adaptent au mode de vie africain Aucune approche ne conviendrait à tous les pays, puisque nous sommes un continent après tout. Sur ce point-là, il n’existe pas de solution magique. Cependant, tant que nous nous concentrons sur les réalités et les besoins locaux, nous pouvons avoir une idée des solutions appropriées. L’un de nos plus gros problèmes est le manque de recherche d’un point de vue local, mais aussi le manque de confiance en soi. C’est parce que nous manquons de confiance en nous que nous sommes obligés de chercher des réponses ailleurs. Sur l’importance de créer un espace où les femmes nigériennes pourraient être éduquées Le Niger est en pleine explosion démographique, notamment au niveau de sa jeunesse. 75% de la population a moins de 25 ans. Une des particularités du Niger est que les jeunes ont accès à très peu d’activités. Outre l’éducation et de nombreux autres défis urgents, le pays a du mal à accompagner financièrement des projets sociaux et culturels. En tant qu’architectes et penseurs urbains, nous devons faire preuve de créativité dans l’intégration de ce besoin dans nos projets, même si cela ne nous est pas demandé. C’est quelque chose dont nous sommes toujours conscients dans nos projets. Le projet Niamey2000 s’intéressait entre autres, au problème de la densité urbaine. Un de mes premiers travaux, qui était mon projet de thèse, était une proposition architecturale et urbaine qui examinait la réalité des jeunes femmes de Niamey vivant dans un environnement musulman et conservateur, confrontées à un manque d’accès aux espaces publics pour se socialiser. Le projet a examiné la manière dont nous pourrions créer des espaces et des itinéraires qui seraient conviviaux pour ce segment de la population et qui permettraient en réalité de donner le droit d’accès à la ville à la fois aux femmes et aux hommes. Sur la manière de pallier aux difficultés rencontrées par les jeunes… Notre complexe religieux et laïc à Dandaji, est une autre façon de traiter les problèmes de la jeunesse. Ce complexe possède en son sein une bibliothèque, un centre d’alphabétisation et une mosquée toute neuve, à la place d’une mosquée plus ancienne à prédominance masculine. Ce qui était vraiment intéressant, c’était de trouver un moyen d’intéresser les jeunes à ce projet par le biais de la bibliothèque, afin que ceux-ci, et les jeunes femmes surtout, fassent également partie de ce

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paysage. Plus important encore, le projet a permis de canaliser et d’atténuer la tension qui existe au Niger et dans de nombreuses régions du monde entre religion et apprentissage séculier. Le fait d’apaiser cette tension a une incidence directe sur l’état d’esprit des jeunes tout en leur permettant d’avoir une vision du monde plus vaste. Placer la mosquée et la bibliothèque sur le même site crée un dialogue informel entre les deux, car les jeunes gens partent de la bibliothèque vers la mosquée au moment de la prière, puis reviennent à la bibliothèque pour reprendre leurs activités d’apprentissage. Les défis liés à l’explosion démographique du Niger sont en définitive une excellente occasion de bien réfléchir à l’avenir et à la direction que nous voulons prendre. Sur le fait de réussir et d’être respectée dans un secteur dominé par des hommes Je pense qu’il est déjà assez difficile d’être simplement un «architecte» en Afrique. Le plus grand défi pour moi a été de lutter pour imposer de nouvelles idées et solutions qui font progresser les expressions locales tout en gardant mon identité. Parfois, le fait d’être une femme peut avoir une incidence sur la façon dont mes clients ou mes collaborateurs me voient lors de notre première rencontre, mais cela disparaît généralement lorsque nous commençons à parler de travail et d’idées concrètes. De plus, étant donné que j’ai ma propre entreprise, je n’ai pas à lutter très fermement pour être écoutée. Il y a très peu de femmes architectes dans mon pays, il y a donc une responsabilité qui en découle. Plusieurs choses m’ont aidée à en arriver où j’en suis. Je me suis entourée de personnes qui m’encourageaient et me soutenaient dans mes rêves, et j’ai mis les personnes aux commentaires décourageants de côté ; Je n’ai pas attendu qu’on me donne la permission de me lancer. Et c’est ce que je recommande à toutes les femmes : Lancez-vous en toute confiance, tout en gardant en tête que vous avez autant à offrir que quiconque. Efforcez-vous toujours d’être excellente dans ce que vous faites.


4 QUESTIONS A - CÔTE D’IVOIRE

CORINE MAURICE OUATTARA ENTREPRENEURE, CONCEPTRICE DU PASS SANTÉ MOUSSO Interview par Emily Tapé Photo par Magic Studio Photography, Abidjan Corine Ouattara se définit comme une femme battante et dynamique qui puise sa force en Dieu – elle le revendique. C’est une mère très portée sur la famille et les relations humaines et qui adore le chocolat. Mais si nous lui avons concédé les lignes de cette rubrique, c’est pour qu’elle nous en dise plus sur son engagement dans le domaine de l’e-santé. Sa solution innovante pour réduire les risques d’erreurs médicales c’est le PASS SANTÉ MOUSSO qui est depuis 2016, à la conquête de l’Afrique.

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Qui est Corine Ouattara ? Je suis directrice générale de Maurice Communication Marketing (MCM), qui est une agence de communication par l’objet, d’évènementiel et de développement web. Je suis également l’initiatrice du Pass Santé Mousso. J’ai 38 ans et je suis mère de deux enfants. Après ma licence en Droit carrière entreprise à l’université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan et mon diplôme d’assistante juridique option contentieux et directrice administrative obtenu chez Educatel France, je décide d’une réorientation professionnelle dans les domaines de la sécurité électronique, et de la communication. Alors, je me mets à mon propre compte en créant en 2012, Maurice Communication Marketing (MCM) après 8 années de présence en entreprise.

Comment on passe de professionnelle de la communication à entrepreneure dans le domaine de la santé ? Déjà toute petite, j’avais une vision, celle d’avoir une entreprise de communication car j’ai été influencée par Marie-Catherine KOISSY (professionnelle de la communication et propriétaire de radio Cocody Fm). Je trouvais qu’elle n’était pas que belle, elle était aussi intelligente. J’ai franchi le pas grâce à un concours organisé par la Banque Mondiale. J’ai participé à des appels à projets visant à proposer des solutions innovantes et créatrices d’emplois. Certes, j’ai commencé avec la communication par l’objet, mais mon objectif en créant MCM était de faire la promotion de l’innovation et son impact dans la vie des populations. J’ai été fascinée par la technologie QR code en 2013. Je me suis formée sur le sujet, afin de m’approprier ses multiples possibilités. Cependant, la vraie raison de mon changement de cap est un évènement fort malheureux : le décès malencontreux d’Awa Fadiga – mannequin ivoirien, qui a suscité la polémique en 2014. De là est née l’envie de développer au mieux l’existant en matière de technologie dans le domaine de la santé. Nous avons alors lancé la solution Pass Sante, que nous avons affiné avec le concours Tech Mousso, porté par Nnenna Nwakanm, où nous avons remporté le 2ème prix. Les erreurs médicales, les cas de disparitions et d’accidentés, de décédés anonymes, constituent également les raisons d’exister du service, qui est devenu le Pass Sante Mousso. J’ai su m’entourer de compétences multiples pour conduire mon projet. Le Pass Sante Mousso c’est une équipe forte et dynamique de développeurs, de marketeurs, de consultants dans le domaine de la santé. Je n’hésite pas également à m’auto-former. D’ailleurs, je fais moi-même les paramétrages, car j’ai appris auprès de mes collaborateurs. Et je sais beaucoup de choses du domaine de la santé à force de faire des recherches. Mon statut de femme dans l’entreprenariat n’est ni un avantage, ni un inconvénient. Même si en Afrique une femme travaille deux fois plus pour prouver qu’elle a de la suite dans les idées, et qu’elle contribue au développement socio-économique du continent.

Plus concrètement, qu’est-ce c’est le Pass Santé Mousso ? Il s’agit d’un bracelet associé à une plateforme web et mobile qui permet à son propriétaire d’avoir sur lui et à tout moment ses données personnelles et médicales facilitant sa prise en charge et son suivi médical. Il permet aux ambulanciers, pompiers, SAMU, médecins et pharmaciens de disposer des informations pour une intervention efficace. Nous avons commencé à travailler sur le projet depuis 2013, mais c’est en 2016 qu’il a été finalisé. Et chaque jour, nous travaillons à le rendre meilleur. C’est un dossier médical personnalisé numérique, un outil de réponse aux soins d’urgence. Le Pass Santé Mousso comporte des dispositifs médicaux communicants ainsi que des données

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de types « Carnet de Santé ». En langue malinké, « Mousso » signifie « femme ». C’est une façon pour nous de promouvoir le genre parce que très peu d’initiatives féminines sont mises en avant dans les domaines technologiques. Le Pass Santé Mousso vient apporter un début de solution à deux problèmes. D’une part la difficulté du suivi médical d’un patient qui change d’hôpital : son dossier médical n’est pas disponible là où il se rend alors qu’il est nécessaire pour mieux le prendre en charge. D’autre part la difficulté à prendre en charge les personnes qui arrivent aux urgences inconscientes : le manque d’informations médicales et personnelles sur le patient entraine une mauvaise prise en charge. En Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de chiffres, mais de nombreux décès sont dus à des erreurs médicales. Le Pass est disponible au prix de 5000 FCFA et chaque année, les bénéficiaires paient un abonnement de 1000 FCFA qui représente le coût des entretiens, des notifications par sms ou mail, des rendez-vous médicaux, etc. A l’aide d’un smartphone en utilisant l’application mobile ou la plateforme web, et en introduisant l’identification personnelle au dos de chaque bracelet, l’on a accès à l’historique médical qui permet d’actualiser le dossier du patient. Le Pass Santé Mouss, c’est plus de sécurité et plus d’efficacité pour sauver des vies et améliorer la qualité de vies des populations. Nous avons de nombreux partenaires et personnes qui nous font confiance : ONG AGIS, ACPCI, JENY SAS (Bénin), Dashmake (Togo) entre autres. Les institutions sanitaires publiques ont compris l’intérêt du Pass Sante Mousso pour leurs patients. Les données sont sécurisés, cryptées et anonymes. Même en clinique, il y a des risques de perte ou de vol de dossier car on ne peut garantir une sécurité à 100%. Nous faisons tout pour relever le niveau de sécurité.

En plus du 2e Prix du concours Tech Mousso , vous avez été lauréate du Prix Orange de l’entrepreneur social et avez gagné le concours des awards des start-up en e-santé (CASES 2018). Pour 2019, quel est votre principal challenge ? A ce jour, nous avons une solution qui fonctionne. Nous avons fait une phase pilote ici en Côte d’ivoire et nous avons lancé la phase pilote au Bénin cette année. Pour 2019, ce sera le démarrage à grande échelle du Pass Santé Mousso, car pour le moment nous ne couvrons que trois pays en Afrique : Côte d’Ivoire, Bénin et Burkina Faso. Les Prix que nous avons obtenu ont donné de la notoriété au Pass Santé Mousso et nous ont permis de bâtir un réseau et de bénéficier d’accompagnements.


4 QUESTIONS A

YVOIRE DE ROSEN PRÉSENTATRICE, CONFÉRENCIÈRE, COACH ET ACTIVISTE Interview par Joan Yombo Photos par IndigoChromia

Les origines de Yvoire de Rosen sont le fruit d’un véritable melting-pot culturel : le Sénégal, le Mali et le Cameroun de par son père, le Soudan, l’Angola, le Congo, la Belgique, le Portugal, la France et la Suède de par sa mère. Même si son patrimoine suédois ne reflète pas forcément son africanité, Yvoire se définit comme une afro-descendante, très rattachée à sa culture africaine, dont elle est fière, mais aussi comme une afropéenne puisqu’elle est née et a grandi en Europe. C’est sans doute cette énorme richesse culturelle qui en fait une personnalité unique et touche à tout, qui navigue entre des espaces, des univers et des métiers différents, avec une aisance et une adaptabilité qui forcent l’admiration. Vous êtes présentatrice, entrepreneure, activiste et anthropo-sociologue. Pouvez-vous nous raconter précisément quelles actions vous menez dans chacun de ces domaines ? En tant que socio-anthropologue, je suis conférencière au niveau européen et international. Je travaille essentiellement sur les représentations identitaires noires et sur les femmes afro-descendantes. A ce titre, je me suis spécialisée sur le rapport au corps chez les personnes afro-descendantes : la dépigmentation volontaire, le défrisage/le cheveux crépu, la mode, les différents types de créativités, leurs enjeux socio-identitaires et historiques, mais également le rôle que tout cela joue dans la reconstruction de l’image des afro-descendants. A côté de ça, je suis consultante en communication, et je donne des cours, en master, tant en communication qu’en études de genre. Partager mon expérience et mon savoir-faire est très important pour moi. Ma mère, Cerina de Rosen, a fondé en 2011 l’Ethno Tendance Fashion Week Brussels. Je suis co-organisatrice de cet événement et je m’occupe notamment de la programmation et des relations publiques. Cet événement regroupe un public très large. Nous mettons en avant différents acteurs du monde de la mode, de la beauté, de la culture qui ont cet ancrage identitaire afro-descendant. C’est un projet inclusif, à dimension multiculturelle et internationale. Sur l’Ethno Tendance Fashion Week Brussels, nous avons des mannequins de toutes sortes, de toutes morphologies, de toutes origines, des mannequins handicapés, des mannequins albinos … Nous sommes très ouverts, et estimons que toutes les créativités se valent. J’ai également lancé mon agence She Rocks Women Succes Agency. Le point de départ était cette volonté, vécue comme une nécessité, de partager avec d’autres femmes mes expériences professionnelles et mon savoir-faire. A travers She Rocks, je propose tant dans les capitales européennes qu’africaines, des coachings et des formations d’entreprises, privés et collectifs où j’accompagne des femmes et des adolescentes à déployer leur pouvoir et booster leur confiance en elles. Ensemble, nous mettons en place des stratégies pour développer leur compétences et aptitudes en leadership, empowerment et prise de parole en public. J’organise aussi des rencontres inspirantes, telles que l’Afro Women Voice Talk, qui a pour but de mettre en avant des figures et des rôles modèles féminins auprès d’autres femmes, afin qu’elle

puissent s’inspirer et avoir des exemples pour emprunter des voies professionnelles, s’enrichir et se nourrir des réussites et des échecs des autres. Je ne saurais oublier d’évoquer mon engagement activiste. Je suis afro-féministe, et j’ai fondé le premier collectif afro-féministe belge, Mwanamke. Mwanamke signifie « Femmes » en swahili. Au sein du collectif, nous réfléchissons entre autres sur l’auto-détermination des femmes africaines et sur la manière de se réapproprier notre identité.

Comment une socio-anthropologue se retrouve-t-elle à faire de la communication événementielle ? J’ai toujours eu un fort intérêt pour la communication. En réalité, dès ma première année d’études universitaires, mon premier master était dédié à la sociologie et l’anthropologie et le deuxième à la communication. Je me suis retrouvée dans le monde des médias à force de présenter des événements. J’ai fini par me faire repérer par une télévision belge pour passer un casting. Ce basculement (qui n’en est pas vraiment un au final), n’était pas planifié au départ, mais petit à petit la communication s’est entremêlée à mes différentes autres activités. Aujourd’hui je présente tous types d’événements : débats politiques ou forums économiques, festivals de musique, Fashion Week, concerts, présentations de livres, etc. Mon background sociologique est un plus qui me permet d’avoir une vue d’ensemble assez claire sur les débats de société et les sujets d’actualité. Mon métissage culturel est une force, car je suis légitime pour prendre la parole dans quasiment toutes les diasporas. J’arrive à graviter dans différents milieux. Mon univers est à mon image finalement : multiculturel et diversifié.

Quelle est votre définition du féminisme et en quoi est ce que l’afro-féminisme se distingue du reste ? C’est important de distinguer l’afro-féminisme du féminisme en général, mais il faut poser le contexte. Sur le continent Africain, il n’est pas approprié de parler d’afro-féminisme, et c’est normal : les gens sont dans un environnement où ils ne cohabitent pas en majorité avec d’autres identités. Les femmes ne sont pas confrontées au racisme comme les femmes qui vivent en Europe.

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En Afrique, le féminisme est donc celui qu’on connaît tous, et que je définis comme suit : une conscientisation et un travail sur l’amélioration des conditions des femmes, des jeunes filles et des fillettes, pour une société plus égalitaire d’un point de vue politique, culturel, social, et pour l’assurance que ces femmes, jeunes filles et fillettes puissent se projeter comme elles veulent, sans se fixer de limites. L’afro-féminisme est un courant qui concerne essentiellement les diasporas, qui évoluent en dehors de leur continent originel et qui de fait, sont confrontées à d’autres types de problématiques. Une femme afro-descendante en Occident est confrontée à minima au sexisme et au racisme. Après, il y a d’autres oppressions qui vont se cumuler : l’orientation sexuelle ou religieuse, la discrimination à l’embauche, le handicap, la grossophobie, etc. Attardons nous un instant sur ce phénomène qu’est la grossophobie. C’est une pratique très eurocentrée au final, qui se base sur des standards de beauté occidentaux. Comment et par rapport à quoi peut-on catégoriser la grosseur ou la « non-grosseur » de quelqu’un ? Les critères de beauté sont très fluctuants et dépendent de la société dans laquelle on évolue, de la famille dans laquelle on a grandi, etc. Nous les femmes afro-féministes, nous voulons déconstruire cette échelle de valeurs, et affirmer qu’il n’existe pas de supériorité au niveau du physique des femmes. L’afro-féminisme correspond à un contexte et à une réalité spécifiques. Les femmes blanches ne sont pas confrontées aux mêmes discriminations que les nôtres. Ce qu’on reproche au féminisme mainstream, et donc au féminisme blanc (puisqu’on reste dans un contexte occidental), c’est que sous certains aspects, il est raciste et source de discrimination pour les femmes noires. Cela s’explique en partie parce qu’encore une fois, les préoccupations et les revendications ne sont pas les mêmes. Ce féminisme a parfois un regard condescendant vis – à – vis des femmes noires. Nous ne voulons pas d’un discours « maternaliste » qui nous explique comment nous devons nous comporter. C’est pour toutes ces raisons que nous nous distinguons du féminisme mainstream.

Quels enseignements peut-on tirer de votre mémoire « Les nouvelles pratiques de mode vestimentaires et capillaires des personnes afro-descendantes : vers un repositionnement des représentations identitaires noires » ? De façon générale, il faut préciser que le champ de l’anthropologie de la mode et des pratiques capillaires n’est pas foisonnant. Il y a peu de recherches sur le sujet. C’est ma posture d’entrepreneur culturel qui m’a emmenée vers ce sujet. Quand j’étais étudiante en master, je voyais beaucoup de préoccupations par rapport à la question du cheveu et du vêtement. Les gens voulaient se réapproprier leur africanité/identité à travers ces pratiques. Le fait d’organiser une Fashion Week Ethnique m’a amené à graviter dans ces milieux, et j’ai observé que le secteur était en ébullition, avec des enjeux économiques, politiques et socio-identitaires. J’ai voulu explorer comment tout ça s’articulait au niveau des trajectoires professionnelles et personnelles, et au niveau culturel. Mon expérience de terrain a nourri ma pratique en tant que chercheuse et inversement. J’ai interviewé des acteurs en France et en Belgique, cela m’a permis d’avoir des points de vue précis à travers les témoignages d’influenceuses, de designers, de créateurs, de directeurs d’évènements d’envergure.

En interrogeant ces acteurs, je me suis rendue compte qu’il y avait une forte volonté de s’auto-organiser en tant qu’afro-descendants, de créer des espaces dédiés à nos communautés pour la mise en avant de notre culture, qui manque cruellement de place ici en Europe ; de créer des dynamiques de partage et de création d’opportunités commerciales et économiques pour les acteurs du continent ; de créer une circularité des savoir-faire et des expériences ; de créer des espaces de dialogue et de partage. J’ai aussi constaté un ras le bol des consommateurs afro-descendants, qui sont de plus en plus à la recherche de professionnels sachant répondre à leur besoins en termes de beauté capillaire, vestimentaire et esthétique. Ils deviennent donc peu à peu des « consom’acteurs » qui veulent soutenir des actions en provenance du continent. Tout ceci illustre une volonté de se réapproprier une identité qui a été bafouée, minorisée, stigmatisée, et de casser les dynamiques de discriminations; une volonté de faire ressortir une Afrique novatrice, créatrice, belle, puissante, et de changer le storytelling ; une volonté de ne plus se conformer aux dictats des échelles de beauté et de valeurs. Cela passe donc par ce qu’on consomme, comment on s’habille, comment on se coiffe. Voilà les préoccupations qui animent aujourd’hui les afro-descendants. Certains parlent de tendance … J’aimerais préciser qu’une tendance, d’un point de vue sociologique, est quelque chose de saisonnier, qui ne dure pas, et qui se renouvelle. Prenons le cas du retour aux cheveux crépus. Ce n’est pas une tendance. On ne saurait réduire cela à une tendance. C’est un trait de notre corporité, de notre identité, tout comme notre couleur de peau. Et il ne viendrait à personne à l’idée de dire que la peau noire est une tendance. C’est parce qu’on nous a socialement appris à nous défriser les cheveux que le fait de revenir à la normale est qualifié à tort de « tendance ». Il y a une pression qui pèse sur les personnes évoluant dans les diasporas à être dans des systèmes euro-normatifs où on doit calquer les personnes blanches. Mais de nos jours, cela ne correspond plus aux choix de certaines personnes qui ne se reconnaissent plus dans ces modèles qui sont parfois vécus comme des formes de violence symbolique et psychologique. Aujourd’hui on a de nouvelles icônes, de nouveaux modèles, et cela favorise la diversité. Internet joue un rôle important dans cette dynamique, car il bouscule le monopole des moyens de diffusion des canons de beauté. Les choses changent et évoluent de plus en plus. S’il était simplement question de tendance, il y a longtemps que ce phénomène se serait essoufflé. Or on a de plus en plus de médias, de marques, d’événements, d’initiatives qui valorisent les identités afro-descendantes. Je crois beaucoup aux micro-révolutions car elles fonctionnent par effet de contagion et sont plus pérennes. Elles s’inscrivent dans une manière de penser le monde, deviennent de nouvelles habitudes qui émergent, de nouveaux schémas de penser et de se projeter dans nos sociétés.

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TRIBUNE - CAMEROUN

LE DIGITAL AU SERVICE DE LA SANTÉ MATERNELLE EN AFRIQUE Par Amélie Ebongué Photos : Damien Etchverry

Professionnelle du digital et créative dans l’âme, Amélie Ebongué a lancé il y a presque un an Parfait Pour Jaden. Une ONG qui s’engage à réduire les complications liées à la grossesse et l’accouchement au Cameroun. Elle nous donne son sentiment sur la présence du digital dans le secteur de la santé maternelle sur le continent. Depuis l’ubérisation de nos usages quotidiens, les nouvelles technologies n’ont jamais été aussi proches des humains. La mise en relation entre professionnels et clients a rarement été aussi rapide que ces cinq dernières années. Cette économie s’est transformée en bouleversant les schémas de pensées, et la société de consommation. Ainsi, tout comme d’autres secteurs, la santé se digitalise de plus en plus, et en Afrique, elle mélange tradition et modernité. L’Afrique est digital friendly. Selon une étude dédiée aux évolutions en Afrique des usages, de consommation et de marché dans le secteur des technologies, médias et télécommunications (TMT) en 2018 réalisé par le cabinet Deloitte, 66% des foyers africains sont connectés à Internet via les technologies mobiles ; 80% des usagers de smartphones l’utilisent plus d’une heure par jour ; d’ici 2020, 660 millions d’africains devraient être équipés d’un smartphone. Le numérique commence à s’installer dans le quotidien des professionnels, leur permettant de gagner en efficacité. Néanmoins, l’accès à l’information reste un problème majeur. Les formations à destination des professionnels de santé ne sont pas assez nombreuses. Quand elles existent, elles sont parfois obsolètes. Il n’est pas aisé de se tenir informé des best practices et des dernières actualités du secteur sanitaire à l’échelle internationale. Les populations locales sont également peu et mal informées sur leur santé, et comment se préserver et se protéger. Pour améliorer les choses, il faut créer des espaces d’échanges entre professionnels du corps médical et citoyens. Les salons, forums, conférences sont de véritables canaux de diffusion en complément des médias locaux et spécialisés, ou des réseaux sociaux. Mais les choses commencent à bouger. Prenons l’exemple de l’application mobile GiftedMom fondée en Novembre 2013 par le camerounais Alain Nteff. Ce projet fruit d’un travail de recherches conséquent a pour objet de permettre aux femmes vivant dans des zones rurales de bénéficier d’un suivi prénatal et postnatal. Une sorte de hotline numérique destinée aux femmes enceintes et aux nouveau-nés vivant dans des régions reculées du Cameroun. GiftedMom est la première plateforme numérique du genre de par sa position géographique et l’implantation du dispositif qui a vocation à se développer plus largement sur le territoire camerounais. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, au regard de la situation actuelle du système sanitaire au Cameroun, seule 1 femme sur 3 bénéficie des quatre visites médicales recommandées pendant la grossesse. Un chiffre qui entraîne une réflexion profonde sur l’accès aux soins. 54

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Il est vrai que les femmes ciblées par GiftedMom n’ont pas souvent accès aux soins médicaux appropriés. Généralement, plus de la moitié de ces femmes accouchent sans la présence d’une sage-femme, d’un médecin ou d’une infirmière qualifiée. La plupart des décès maternels pourraient être évités si toutes les femmes bénéficiaient d’un accompagnement médical et de soins d’urgence. En effet, d’après le rapport mondial du développement humain du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), on sait que sur 100 000 naissances vivantes, 690 femmes décèdent pour des raisons liées majoritairement à leurs grossesses. La mortalité maternelle dépend aussi de maladies préexistantes chez ces femmes : paludisme, SIDA, etc. Le projet DATASANTE porté par SantéSud est un autre exemple de progrès en matière d’innovation sociale. Le but de ce projet est d’informatiser les centres de santé communautaires du Mali par la création d’un dossier médical électronique partagé. Celui-ci permet d’améliorer la qualité du suivi médical en particulier pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 6 ans vivant en zone rurale. Au-delà de l’aspect purement médical, il ne faut pas exclure la dimension sociale de chacune de ces initiatives qui doivent être soutenues par des actions associatives à différents niveaux. Le partenariat peut intervenir sur l’aspect plus local avec une spécialisation particulière. La complémentarité des compétences de chacun des partenaires se traduit par une synergie d’actions sans précédent, centrée sur un thème peu abordé : les coutumes des populations qui bénéficient des soins. Le digital au service de la santé ne doit pas primer sur les coutumes des peuples. Sur le sujet spécifique de la naissance en Afrique, les traditions et les pratiques culturelles sont sacrées. C’est le cas au Nigéria par exemple, dans l’ethnie Igbo, où les grands-mères jouent un rôle

important dans la vie du nouveau-né. Elles sont chargées de lui donner son premier bain selon la coutume du « omugwo ». C’est une façon d’accueillir officiellement un bébé dans une famille. Ne l’oublions pas, la santé est aussi un concept culturel, car la culture façonne et encadre nos expériences et notre perception du monde. Notre mission chez Parfait pour Jaden repose sur 3 actions majeures : Informer, par le biais de campagnes de prévention auprès des jeunes filles scolarisées. Nous nous engageons à informer librement sur les conditions d’accès aux soins. Éduquer, en sensibilisant les femmes en zone rurale qui ont recours aux matrones. Notre mission est d’apporter le nécessaire pour former au mieux à la pratique du métier de sage-femme (formation et cours sur les différents modes de contraception) Transmettre, en rendant accessible tant sur le plan matériel, économique, social que culturel, l’accès aux soins de santé primaires auprès des populations vulnérables. La démarche initiale de Parfait Pour Jaden tient au respect permanent des traditions et coutumes locales. Nous nous adaptons au contexte et aux habitudes locales, sans jamais imposer de pratique culturelle venue d’ailleurs. Nous veillons à respecter l’éthique et l’autorité médicale concernée. Parfait Pour Jaden vise à diminuer la mortalité maternelle en Afrique car les statistiques y sont alarmantes ... Près de 830 femmes meurent encore chaque jour des suites d’une grossesse ou d’un accouchement. Notre démarche s’inscrit à œuvrer pour la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies. Nos efforts se concentrent sur l’objectif n°3 : assurer une vie saine et promouvoir le bien-être pour tous et à tout âge. INSPIRE AFRIKA MAGAZINE / JUILLET - OCTOBRE 2019

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FOCULTURE - AFRIQUE

COUVREZ CE SEIN QUE JE NE SAURAIS VOIR Par Marie Simone Ngane

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées », Le Tartuffe, Molière. Ah! Tartuffe, cet hypocrite ! Au XVIIe siècle déjà, Molière se moquait de ces personnes faussement prudes qui veulent cacher le corps féminin. A la télé sénégalaise, un professeur de philosophie réputé a récemment déclaré lors d’un débat que les femmes devaient se couvrir et cacher leurs formes voluptueuses pour se protéger, pour « couper la poire en deux ». Ce raisonnement a été défendu par plus d’une femme. Malheureusement, encore en Afrique, les femmes restent bien trop silencieuses et complices des abus commis par la gente masculine. Au Cameroun, au Togo, au Tchad, au Benin, en Guinée-Bissau et en Guinée, des mères, des tantes, des grand-mères, des grandes sœurs s’équipent de pierres, de louches ou spatules chaudes pour repasser les seins de jeunes filles ayant eu le malheur d’être trop vite pubères. On bande la poitrine. On tente par tous les moyens de couvrir ces seins qu’on ne saurait voir. Selon une étude de la coopération allemande GIZ en 2006, près d’un quart des filles camerounaises aurait subi le repassage des seins. L’enquête menée par les anthropologues Flavien Ndonko et Germaine Ngo’o a été menée auprès de 5000 jeunes femmes. Dans 58% des cas, la mère effectue elle-même le « traitement ». Elles tentent de protéger leurs jeunes filles du regard des hommes. Les viols et les grossesses précoces sont le cauchemar des mamans qui veulent donner le meilleur des avenirs à leurs filles. Elles ont parfois elles-mêmes subi les mêmes traitements plus jeunes. Dans 7% des cas, la jeune fille se repasse les seins toute seule. A la puberté, les jeunes filles sont raillées par les garçons, pointées du doigt. L’éducation sexuelle faisant défaut, 56

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elles annihilent comme elles peuvent, ces caractères qui les transforment en proie. Adèle rentre de l’école. Lorsqu’elle enlève sa tenue, sa mère lui fait remarquer que « ses seins commencent à sortir ». Elle rit d’un rire gêné, se rhabille rapidement. Elle ne se doute pas lorsque sa mère l’appelle à la cuisine une heure plus tard qu’elle va vivre un calvaire. Sa mère la somme de se déshabiller. La spatule qui était 5 minutes plus tôt posée sur le feu, se retrouve sur ses seins. Elle a mal dans sa chair, elle crie, veut s’enfuir mais sa tante, à côté, la retient. Elle lui murmure à l’oreille de supporter sa condition de femme : «elles lui font du bien». Ce qu’elles ne savent pas, c’est qu’elles augmentent ses chances de développer des kystes ou des abcès. Le nombre de cancers du sein précoces est élevé parmi les victimes du repassage mais sans réelle étude, aucun moyen d’évaluer la corrélation. Les gouvernements se taisent, cautionnent à demi-mots. Les organisations internationales mentionnent peu cette mutilation pourtant répandue. Au Cameroun, le Réseau National des Tantines (RENATA) se bat pour mettre la lumière sur cette pratique. En 2013, une enquête de suivi réalisée en partenariat avec le GIZ, démontrait que 12% des femmes camerounaises avaient eu leurs seins mutilés. Une réduction de moitié par rapport aux chiffres 7 ans plus tôt. La route est pourtant encore longue. Le RENATA encourage les mamans à éduquer sexuellement leurs jeunes filles. Il est temps de mettre l’accent sur les jeunes garçons à qui l’on donne encore trop la liberté de s’octroyer la possession du corps féminin. Ne soyons pas hypocrites. Le problème n’est pas le sein protubérant mais l’œil qui ne sait point se contenter de regarder. Cachez donc ces pulsions qu’on ne saurait plus tolérer !


LE CHOIX DES LECTEURS - CÔTE D’IVOIRE

CAROLINE HIEN, FONDATRICE DE CAROL’S « J’AI APPRIS À LIRE ET À ÉCRIRE A 25 ANS » Mots par Emily Tapé Photos par Carol’s En 2015, sans le vouloir, Caroline Hien pose les bases de sa marque de produits agroalimentaires et cosmétiques. Aujourd’hui, les produits naturels Carol’s sont dans des centaines de cuisines en Afrique et ailleurs dans le monde. Pour les amoureux des goûts afros, la marque Carol’s est le symbole de la valorisation des produits made in Côte d’Ivoire. Nous avons rencontré ce bout de femme pleine de ressources. Elle nous a raconté son histoire… Jeudi 11 octobre 2018, nous avons rendez-vous avec Caroline Hien, fondatrice de Carol’s Produits Naturels. A notre arrivée à la Riviera Jardin, dans la commune de Cocody, nous sommes accueillis par Stefan Meisel, son époux. Il est 17h30 lorsque nous arrivons à son domicile qui lui sert également d’usine de transformation. « Il est temps de trouver un local pour son usine. Ici c’est la maison. », plaisante son époux. Pour Caroline et ses trois employées, c’est la fin de la journée. Elles rangent les ustensiles, se changent, émargent sur la fiche d’émargement avant de se souhaiter «bonne soirée ». Le lendemain, une longue journée les attend. Mais pour Caroline, le coucher du soleil ne rime pas toujours avec la fin des activités. Ce jeudi soir-là, la chef d’entreprise est invitée par l’ONG Empow’Her dans son espace de co-working, Assoya. En effet, une rencontre entre entrepreneures y a lieu. Caroline participe à la rencontre en tant que speaker. Elle y partagera son expérience d’entrepreneure autodidacte. 18h15, nous voici à l’Espace Assoya, dans la commune de Marcory. Caroline est accompagnée par son mari, sa sœur cadette et sa fillette. Après les échanges de civilité, les participantes sont impatientes d’entendre l’histoire de Caroline. Mieux, elles sont ravies de mettre enfin un visage sur la marque des délicieuses confitures qu’elles consomment déjà.

L’idée de Caroline n’était pas de commercialiser la confiture qu’elle fabriquait. Cependant, notre héroïne se retrouve avec un stock important de confiture qu’elle et sa petite famille ne peuvent consommer. « Quand je me mets à faire quelque chose, je ne peux plus m’arrêter. Le travail me permet d’évacuer mes vieux démons » ; justifie Caroline. Elle fait découvrir ses confitures à ses amis qui sont conquis. Mais lorsqu’il faut se constituer en entreprise et professionnaliser la marque, Caroline doit relever un défi majeur. « Mon mari m’a conseillé de noter la composition de mes recettes et étiqueter les boîtes de confiture. Mais c’était difficile parce que je ne savais ni lire ni écrire ». Pour la jeune femme de 25 ans de l’époque, l’analphabétisme est un handicap qu’il faut absolument surmonter. Son autonomie en dépend ! Ainsi, avec les encouragements de son conjoint, Caroline se met à l’alphabétisation : « J’ai appris à lire et à écrire à 25 ans. Il était difficile pour moi d’apprendre à lire. Mais je l’ai fait et je continue encore aujourd’hui ». Et malgré toutes les sollicitations, « tous les dimanches, je prends des cours à domicile ».

Entrepreneure malgré elle Caroline ne peut parler de ses gammes de confiture sans revenir sur son expérience personnelle avec ce produit. Quand elle rencontre son époux, il lui fait découvrir la confiture à la fraise qui ne l’emballe pas vraiment : « Je n’aimais pas, mais je ne pouvais pas le dire à mon époux » ; explique-t-elle. Même si elle ne le dit pas de façon directe à Stefan, Caroline fait comprendre à son homme qu’elle veut bien consommer de la confiture, mais avec d’autres saveurs. Le fruit qu’elle a toujours pris plaisir à consommer est la mangue. Elle posera une question banale mais qui sera décisive pour son avenir. : « J’ai demandé à mon mari si on pouvait faire de la confiture à la mangue ». Ce dernier répond par l’affirmative. Très vite, Caroline se met à la fabrication de confiture à la mangue. « La mangue parce que c’est un fruit très accessible ici et c’est ce qu’on mangeait quand on avait rien à manger » ; se souvient-elle.

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Enregistrée en juin 2015, Carol’s s’agrandit très rapidement et se convertit en juillet 2016 en société à responsabilité limitée (SARL). Dans le même temps, elle ajoute à sa gamme de produits des épices africaines. En 2017, la marque se dote d’une ligne de cosmétiques à base d’huile de coco et de beurre de karité. Aujourd’hui, Carol’s compte environ 50 produits – confitures artisanales, cosmétiques et épices africaines. Aussi, l’atelier s’adapte aux nombreuses commandes tout en peaufinant le design de ses 80 conditionnements pour les rapprocher plus de l’Afrique et de sa culture. Pour le bonheur des consommateurs, les produits de la marque Carol’s sont présents à Abidjan et à Ouagadougou dans les grandes surfaces, des boutiques artisanales, dans les hôtels du Groupe Accor et également en ligne.

Une telle hargne d’être utile à sa communauté ne peut passer inaperçue. C’est à juste titre que les efforts de Caroline Hien sont récompensés. La jeune entrepreneure, en trois ans d’existence a déjà remporté quatre prix locaux d’entrepreneuriat : le 1er Prix du Patronat, le 1er Prix de la Fondation Total (Startupper de l’année 2016), le prix Alassane Ouattara de l’entrepreneur émergent (2016), le Diplôme de l’Institut Européen de la Coopération et de Développement (IECD) pour la transformation (2017). Ce qui fait la singularité de Caroline Hien, c’est qu’elle travaille exclusivement avec des produits locaux, sans additifs tout en respectant l’environnement et en mettant un point d’honneur sur la production de qualité en Côte d’Ivoire. Guidée par la patience, l’humilité et l’amour qu’elle partage autour d’elle, Caroline est convaincue que si elle n’apporte rien, elle « ne sert à rien ». Cet article a été posté sur www.inspireafrika.com et a été l’article le plus lu entre Novembre 2018 et Janvier 2019.

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LE BAR A LECTURE

HISTOIRE DE FEMMES Revue par Marie Simone Ngane

Il n’y a pas UNE femme africaine. Si l’imagerie populaire l’a longtemps présentée uniquement comme une maman aux grosses lèvres épaisses avec son bébé attaché sur le dos et sa récolte sur la tête, aujourd’hui, toutes les femmes ou presque trouvent leur place, notamment dans la littérature. Cette dernière laisse une grande place à l’imagination et à la créativité. Elle participe pour beaucoup à l’image que nous avons de nous-mêmes, que les autres ont de nous. Elles s’appellent Laura, Mariama, Léonora, Bell ou encore Calixthe et elles s’invitent dans notre bar à lecture pour nous raconter des histoires de femmes.

Enfance Comment faire aimer à vos enfants leurs cheveux crépus ? Comment donner confiance en elle à une petite fille qui ne rêve que de ressembler à Cendrillon ou Blanche Neige ? « Ses vêtements étaient blancs, ses cheveux étaient comme un million de papillons noirs endormis sur sa tête ». C’est cette phrase tirée d’un livre de Toni Morrisson qui a inspiré Laura Nsafou. Dans son livre Un million de papillons noirs, elle raconte l’histoire d’Adé, une petite fille qui est moqué à l’école à cause de ses cheveux crépus. La maman et les tatas d’Adé vont s’employer à lui faire aimer ses cheveux. Un million de papillons noirs, Laura Nsafou, éditions Cambourakis, 2018

Classique Ramatoulaye Fall vient de perdre son mari. Il l’avait épousée contre l’avis de sa famille. Il avait fait fi des traditions et du fait qu’ils soient de clans différents. Modou est mort et il laisse Ramatoulaye seule en proie à ces mêmes traditions auxquelles il avait tourné le dos. Elle écrit à son amie Aïssatou pour lui raconter ses déboires. Son amie lui répond en lui racontant sa réalité ; une seconde épouse va bientôt arriver dans son foyer. Une si longue lettre de Mariama Bâ, publié pour la première fois en 1979 ne vieillit pas et continue de raconter le quotidien de nombreuses africaines. Une si longue lettre, Mariama Bâ, éditions Le Serpent à plumes, 2001

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LE BAR A LECTURE

Afropéen Akasha, Malaïka, Shale et Amahoro sont quatre filles dans le vent. Akasha a la goubestine (peine de cœur). Malaïka va bientôt se marier. Shale est amoureuse. Amahoro veut retrouver son mari qui s’est éloigné. Ce sont des jeunes femmes modernes aux racines africaines « portant des prénoms non alignés, des patronymes à l’ancrage lointain ». Elles mangent « healthy », prennent le vélib, font du speed-dating. Comme beaucoup de jeunes femmes, elles sont entre deux cultures. Blues for Elise peint « la France comme vous ne l’avez jamais vue » d’après les mots de l’auteure Leonora Miano. Blues for Elise, Leonora Miano, éditions Plon, 2010

Afro-féministe 1851, Ohio, États-Unis d’Amérique, Sojourner Truth, ancienne esclave et abolitionniste débute son discours à une convention par les mots « Ne suis-je pas une femme ? ». Si être une femme est difficile, être une femme noire l’est encore plus. Ces dernières années, une nouvelle génération de jeunes femmes portent haut le flambeau du féminisme noir. Parfois incomprises, elles luttent contre les oppressions auxquelles font face les femmes noires dans l’indifférence du féminisme « classique ». La réalisatrice Amandine Gay préface l’édition en français 30 ans plus tard de cette bible de l’afro-féminisme. Ne suis-je pas une femme, Bell Hooks, éditions Cambourakis, 2015

Erotique Faut-il encore présenter Calixthe Beyala ? Célèbre autant pour son talent que pour son franc-parler, personne d’autre qu’elle n’aurait pu oser aborder l’érotisme de cette façon. Femme nue, Femme Noire n’a de rapport avec le poème de Senghor que le titre. Ne vous attendez pas ici à de la sensualité et de la grâce. Irène Fotso a deux passions « voler et faire l’amour ». Elle vient pourtant d’une famille bourgeoise mais elle a choisi de s’opposer à ce que l’on attend d’elle. Irène est libre. Elle a peut-être même quelque chose de féministe tant elle affirme la liberté de faire ce qu’elle veut de son corps dans une Afrique où le corps des femmes est « sacré ». Femme nue, femme noire, Calixthe Beyala, Albin Michel, 2003

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PUBLIREPORTAGE - EXPO JOËL ANDRIANOMEARISOA

I have forgotten the night Joël Andrianomearisoa Installation, collage papier et sons 2019 Courtesy de l’artiste © Juan Cruz Ibanez

Depuis 2005, Marie Cécile Zinsou, à travers la fondation Zinsou, se bat pour l’art contemporain africain, monte au créneau pour réclamer le retour des œuvres africaines sur le continent, et crée des ponts entre les pays. En Novembre 2017, l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa investit la fondation Zinsou au Bénin. Il y transforme autant les intérieurs que les jardins sous le thème « Sur un horizon infini, se joue le théâtre de nos vies ». Un an et demi plus tard, l’artiste au parcours impressionnant expose à la biennale de Venise ! Un livre ouvert un peu abandonné, des murs brûlés, des vêtements oubliés. Dans son installation pour la biennale de Venise, Joël Andrianomearisoa évoque un Madagascar qui renaît. « J’ai oublié la nuit », c’est un projet, un peu comme un roman qui fait appel au passé et parle au présent. C’est une promenade dans une nuit. La nuit, on rêve, on se questionne. La nuit est insaisissable.

Joël Andrianomearisoa, esquisse préparatoire, crayon sur papier 2019 Courtesy de l’artiste 62

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Portrait Joel Andrianoméarisoa, 2019 © Christian Sanna


PUBLIREPORTAGE

DIASPO ASSUR VOUS PROTEGE ET VOUS PERMET DE GARDER LE LIEN AVEC VOTRE FAMILLE Peut-on dire que Diaspo Assur agit dans un environnement hostile à l’assurance ? L’Afrique est un continent où la culture de l’assurance est encore en pleine expansion. La plupart des Africains éprouvent le besoin de toujours rester en contact avec leurs familles et d’éventuellement rentrer en Afrique. Aujourd’hui, nous proposons des solutions d’assurances qui permettront aux Africains de la diaspora (Cameroun, Nigéria, Gabon, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali…) de prendre soin des membres de leurs familles restés dans leurs pays d’origine.

Vous promettez une prise en charge rapide des assurances. Comment garantissez-vous que vos partenaires en Afrique tiennent les délais que vous fixez ? Diaspo Assur a su s’entourer d’un réseau de professionnels sérieux et présents sur tout le territoire africain. Nous travaillons avec la compagnie NSIA Assurance qui a su, de par sa renommée, justifier d’un savoir-faire incontestable. Nous travaillons également avec SUNU Assurance, ACAM VIE, Les Mutuelles Réunies qui sont des compagnies et courtiers exerçants sur le territoire depuis plusieurs années. En Europe, nous sommes en partenariat avec April Assurance et Europ Assistance sur les produits AUTO et IARD1.

Les membres de la diaspora contribuent financièrement aux besoins ponctuels de la famille dans leurs pays d’origine. Pensez-vous qu’ils sont enclin à verser en plus une somme régulière pour les assurer ? J’ai eu l’occasion à maintes reprises de constater la nécessité de maintenir un lien fort entre les Africains installés à l’étranger et leurs familles restées dans leurs pays d’origine à travers un événement heureux ou malheureux, qui requiert l’implication de chacun, la prise en charge de soins médicaux, l’assurance funéraire, l’épargne, l’investissement, les conseils et la prévoyance. Il est de notoriété publique que le continent africain se distingue par des principes tels que l’esprit d’entraide, de solidarité, l’amour d’autrui. Toutefois, avec le temps qui passe, la distance géographique a tendance à y constituer un frein. Le meilleur moyen d’influencer cet état de choses, était de s’intéresser à un domaine que nous maîtrisions. Mon équipe et moi avons entrepris de travailler sur une solution d’assurance visant à concrétiser cette volonté. C’est donc naturellement que cette somme déboursée ne sera que répondre à un besoin déjà existant.

Quels sont les produits qui ont le plus de succès depuis l’ouverture ?

Diaspo Frais Funéraire, qui apporte une réponse au problème de financement lié aux funérailles de l’assuré, et des membres de sa famille pendant la période fixée de son contrat. Il s’agit d’une garantie de type « temporaire décès » annuelle qui consiste à verser un capital garanti au moment du décès de chaque membre de la famille assurée, d’un montant de 1 000 000 FCFA pour une prime annuelle de 35 €. Quotidom Rapatriement de Corps, si vous souhaitez anticiper l’organisation et la prise en charge financière de votre retour dans votre pays d’origine en cas de décès pour y être inhumé. Ce produit assure le respect de votre volonté en effectuant le transfert de votre dépouille selon vos désirs, tout en prenant en charge les procédures qui peuvent être complexes, notamment à l’étranger. Diaspo Santé, qui est une assurance-maladie individuelle qui vous permettra d’assurer la santé et la protection de vos proches depuis votre pays. En cas de maladie, d’hospitalisation médicale et (ou) chirurgicale, de consultations, de frais hospitaliers, ce produit garantit la prise en charge directe, ou le remboursement des divers frais dépensés.

Que faut-il retenir de Diaspo Assur ? Diapo Assur s’inscrit dans des valeurs familiales permettant à tout un chacun de pouvoir prendre soin de sa famille restée en Afrique et de pouvoir garder un lien fort avec ses racines. Nous sommes partis du constat selon lequel la santé de nos proches est une priorité. Le décès étant un événement brusque, il serait judicieux de s’y préparer à tout moment, afin de pouvoir faire face aux dépenses à engager le moment venu. Il est également judicieux de pouvoir préparer au mieux son retour en Afrique et d’anticiper les dépenses et les démarches. Voilà la raison d’être de Diaspo Assur. TCHACHUANG Styve, co-associé – Diaspo Assur 1

Incendie, Accidents et Risques Divers

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