Bilan de sept ans d'appui contre la traite des personnes au Costa Rica et au Honduras (2015-2022)

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RENFORCER LES SYSTÈMES DE PROTECTION POUR

LUTTER CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES

BILAN DE SEPT ANNÉES D’APPUI

COSTA-RICA : 2015-2018 // HONDURAS : 2019-2022

BUREAU INTERNATIONAL DES DROITS DES ENFANTS (IBCR)

Projets mis en œuvre avec le soutien du gouvernement du Canada, dans le cadre de son Programme d’aide au renforcement des capacités de lutte contre la criminalité (PARCLC)

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AdobeStock / yanadjan Couverture © 123RF / Chuanpis Sandee

TABLE DES MATIÈRES

5 Avant-propos

8 La traite des personnes - contexte et défis

8 Portrait d’un enjeu protéiforme

9 Cadre juridique de la lutte contre la traite des personnes

9 La traite des personnes au Costa Rica et au Honduras

15 Défis rencontrés dans le cadre de la lutte contre la traite des personnes au Costa Rica et au Honduras

21 Sept années de renforcement des systèmes de protection face à la traite des personnes au Costa Rica et au Honduras

22 Les approches utilisées

23 Les actions mises en œuvre

24 Les principaux résultats

27 L’accompagnement offert aux victimes de traite est plus adapté et respectueux des droits de chaque personne

31 Les acteurs du système de protection savent mieux identifier, signaler, prévenir et accompagner les cas de traite des personnes

35 Les changements de pratiques et de perception sont pérennisés

38 Les actions de lutte contre la traite des personnes sont mieux coordonnées

41 Les espaces d’échanges sont mis en valeur

44 Pour aller plus loin : les incontournables de la lutte contre la traite des personnes

47 À propos du Bureau international des droits des enfants

49 Annexe : Brève description des projets

© Pexels / Porapak Apichodilok

Avant-propos

La prévention et la lutte contre la traite des personnes est au cœur des actions du Bureau international des droits des enfants depuis près de 20 ans. Tout a commencé au Canada, en 2004, par un travail de renforcement des compétences des acteurs communautaires québécois travaillant auprès d’enfants victimes de traite, puis par un accompagnement de l’industrie canadienne du voyage pour mieux prévenir l’exploitation sexuelle des enfants liée au tourisme international.

En 2015, alors que le phénomène prend de l’ampleur à l’échelle internationale, le Bureau, fort de son expertise et de son expérience, s’engage au Costa Rica pour poursuivre et développer son travail de lutte contre la traite des personnes et des enfants, avant d’étendre son action au Honduras en 2019. Après sept années d’action dans la région, un bilan s’impose quant aux avancées permises en matière de renforcement des systèmes de protection contre la traite des personnes dans ces deux pays.

Lutter efficacement contre la traite des personnes nécessite une forte coordination nationale, mais aussi régionale – ce crime dépassant souvent les frontières d’un pays. Une double dimension qui a toujours été prise en compte dans le travail du Bureau. Tout d’abord, en veillant à créer des liens régionaux forts, notamment en appuyant le positionnement des organes de coordination nationaux et internationaux et en leur permettant d’agir plus efficacement. Ensuite, en contribuant à améliorer les compétences et les pratiques professionnelles des acteurs des systèmes de protection (qu’il s’agisse de partenaires étatiques ou issus de la société civile) et en mettant l’accent sur la coor-

dination. Enfin, l’IBCR s’est attaché à accorder une attention toute particulière à l’intégration de la perspective de la victime de traite, à la réhabilitation de sa parole et à la réduction des risques de victimisation secondaire (pour en savoir plus à ce sujet, voir page 29). Les résultats de ces approches constituent le cœur de cette publication.

La traite des personnes étant un phénomène profondément ancré en Amérique centrale, il est difficile de démontrer une amélioration effective de la situation à court terme. Cependant, les premiers éléments de suivi dans les deux pays visés permettent de noter les prémices d’un changement d’ampleur. On constate, par exemple, une hausse des signalements dans les zones des projets – signe encourageant d’une meilleure identification des cas de traite par les populations. Une évolution favorisée, dans une moindre mesure, par l’action du Bureau et de ses partenaires, et qui pose les bases d’un changement systémique. Aujourd’hui, au Costa Rica comme au Honduras, les acteurs du système de protection contre la traite des personnes savent mieux identifier, signaler, prévenir et accompagner les cas de traite, tout en coordonnant mieux leurs actions.

Afin que ces changements de pratiques et de perception soient généralisés et pérennisés, le Bureau a favorisé l’innovation et le développement de compétences, allant au-delà de la sensibilisation, et a œuvré à la consolidation de la confiance parfois ténue entre société civile et acteurs étatiques. Au terme de ces projets en Amérique centrale, le Bureau croit fermement en la durabilité des transformations obtenues, notamment grâce à la mobilisation de celles et

de ceux qui se sont engagés à ses côtés pour faire évoluer les sociétés costaricienne et hondurienne dans l’intérêt de leurs populations les plus vulnérables. Nous les remercions de cette confiance mutuelle précieuse.

Dans la continuité de ces résultats encourageants, l’IBCR reste mobilisé pour accompagner le Costa Rica et le Honduras dans la lutte contre toute forme d’exploitation des enfants dans le futur, notamment en accentuant l’implication nécessaire et la valorisation des organisations de la société civile et des acteurs communautaires, en renforçant les partenariats locaux et régionaux ainsi qu’en plaçant davantage l’enfant au cœur des décisions et des transformations souhaitées.

directeur général du Bureau international des droits des enfants (IBCR) Théophane Nikyèma président du conseil d’administration du Bureau international des droits des enfants (IBCR)

Bureau du procureur adjoint contre la traite des personnes du Costa Rica

Au Costa Rica, la plupart des victimes de traite des personnes identifiées sont des filles soumises à l’exploitation sexuelle. En 2021, le Bureau du procureur adjoint chargé de la lutte contre la traite des personnes et le trafic de personnes migrantes a reçu 40 plaintes et a engagé des poursuites dans neuf affaires, qui ont donné lieu à deux condamnations. Toutefois, ces chiffres ne révèlent pas l’ampleur du problème dans le pays pour diverses raisons, notamment la capacité limitée des fonctionnaires à identifier les cas de traite des personnes, à enquêter sur ces affaires et à lancer des poursuites en justice.

À cet égard, le Bureau du procureur adjoint contre la traite des personnes apprécie la précieuse contribution apportée par l’IBCR en termes de renforcement des compétences des professionnelles et des professionnels responsables de la prise en charge et de la protection des enfants, des adolescentes et des adolescents victimes du crime de traite des personnes, ainsi que de celles et de ceux dont le travail consiste à poursuivre le crime ou à rendre justice pour que les criminels soient correctement poursuivis.

La formation continue est primordiale, et l’accompagnement ainsi que les outils développés pendant la mise en œuvre du projet sont des acquis qui seront pérennisés. Le

projet a contribué à l’élaboration d’une cartographie de la situation de la traite des personnes, qui a mis en évidence les besoins en formation. Sous cet aspect, nous avons contribué à combler les besoins des écoles et des unités de formation en certifiant des personnes formatrices et en définissant des procédures opérationnelles qui ont permis d’établir les voies de prise en charge des victimes. Ces outils renforcent le travail des fonctionnaires dans divers domaines où les victimes, notamment les enfants et les adolescentes et adolescents, sont traitées dans un cadre légal.

Le Bureau du procureur adjoint contre la traite des personnes considère que les contributions des cours et des outils développés par le projet ont eu un impact positif, sont durables et ont été maintenues même après la fin du projet. En outre, ces dispositifs continueront à être utilisés, en raison de leur pertinence et de leur qualité. En ce sens, les actions menées sont utiles pour les personnes chargées de faire respecter les lois nationales et internationales de protection des enfants, mais aussi pour celles et ceux qui doivent développer des stratégies garantissant le respect de l’intérêt supérieur des enfants dans les processus judiciaires, afin qu’ils puissent jouir pleinement de leurs droits et d’une vie digne.

Fiscalía Adjunta contra la trata de personas

Costa Rica

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École

de la magistrature

Francisco Salomón Jiménez Castro du Honduras

La tâche institutionnelle de l’École judiciaire du Honduras est de former les fonctionnaires du secteur de la justice du pays en leur permettant de développer des compétences qui contribuent à l’amélioration continue de l’administration de la justice.

Le projet du Bureau international des droits des enfants pour renforcer les acteurs du changement dans la lutte contre la traite des personnes a contribué à des améliorations significatives pour la société hondurienne, en particulier pour le cadre institutionnel de la lutte contre la traite des personnes et la protection des droits de l’enfant. Bien que constituant une synthèse complète de toutes les informations, activités et autres détails pertinents, le présent rapport ne reflète pas pleinement l’impact holistique bénéfique du projet sur le renforcement de la prévention, de la protection et de la poursuite des crimes de traite des femmes et des filles dans le pays.

Les actions efficaces, multiformes et stratégiques menées par l’IBCR au Honduras dans le cadre de ce projet se traduisent chaque jour par de nouvelles vies sauvées et par la protection pleine et entière de la liberté et de l’intégrité de la population nationale, en particulier des femmes et des jeunes filles qui peuvent être affectées par ce fléau aux tentacules internationales. Ces actions consistent principalement en la formation de celles et de ceux qui agissent dans ce domaine interinstitutionnel pour la prise en charge des personnes, la formation pratique sur ces questions et la sanction pénale adéquate dans chaque État de droit.

Cet exemple vivant et précieux de collaboration efficace entre des nations et des entités de différents pays face à un phénomène mondialisé et préjudiciable aux êtres humains est digne d’émulation. Il convient ainsi d’accorder une reconnaissance bien méritée aux organisations qui se positionnent comme pionnières, engagées et proactives dans la lutte contre la traite des personnes, et qui ont également incarné un leadership international positif, comme c’est le cas de l’IBCR et d’Affaires mondiales Canada.

L’effort concrétisé dans des projets tels que ceux présentés ici, impliquant une variété d’activités conjointes et coordonnées entre différents gouvernements, leurs institutions publiques et privées, ainsi que des entités nationales et internationales, constitue aujourd’hui un paradigme efficace dans la lutte contre des problèmes aussi complexes, répandus et atroces que la traite des personnes, ce qui confirme que la voie suivie par l’IBCR au Honduras est la bonne, et favorisera son expansion dans ce domaine et dans d’autres, pour le bénéfice de l’humanité.

Dans ce contexte particulier, l’Académie judiciaire du Honduras se félicite de la relation et de l’effort conjoint avec l’IBCR dans le cadre du projet d’autonomisation.

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Abg. Elsa Gertrudis Calderón Godoy Directrice de l’école de la magistrature Francisco Salomón Jiménez Castro Honduras

LA TRAITE DES PERSONNES - contexte et défis

// Portrait d’un enjeu protéiforme //

Selon le rapport mondial de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) sur la traite des personnes, la moitié des victimes détectées en 2018 ont été soumises à la traite à des fins d’exploitation sexuelle, et 38 % à des fins de travail forcé1. Le recrutement au sein d’activités criminelles, à des fins de mendicité forcée ou encore de trafic d’organes sont également des modalités d’exploitation liées à la traite des personnes. Les estimations de la fondation Walk Free, de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour l’année 2021 montrent que 50 millions de personnes dans le monde sont en situation d’esclavage moderne, obligées de travailler contre leur gré, ou se trouvent dans un mariage forcé. On dénombre ainsi plus de 11 millions de femmes et de filles astreintes au travail forcé, et plus de 3 millions d’enfants au total – des chiffres en hausse depuis 20162. Il est à noter que, bien que les hommes et les garçons restent minoritaires dans les statistiques relatives à la traite des personnes, notamment à des fins d’exploitation sexuelle, il est pro -

bable que les stéréotypes sociaux liés à la masculinité les empêchent de dénoncer leur situation et de chercher ou d’obtenir de l’aide, ce qui contribue ainsi à leur invisibilité.

LES FACTEURS DE VULNÉRABILITÉ

Plusieurs facteurs interviennent dans la vulnérabilité face à la traite des personnes. Le genre tout d’abord : entre 2016 et 2019, 72 % des filles victimes de traite l’étaient à des fins d’exploitation sexuelle, contre 23 % des garçons. Inversement, 66 % des garçons étaient victimes de traite à des fins de travail forcé, contre 21 % des filles. L’âge, ensuite : les enfants représentent un tiers des victimes à l’échelle mondiale3, et jusqu’à la moitié des victimes en Amérique centrale. Le statut socio-économique enfin : les enfants les plus susceptibles d’être victimes de traite sont ceux qui sont issus de familles pauvres ou de familles dites dysfonctionnelles ainsi que les enfants privés de soins parentaux4. L’ONUDC identifie également un

1. UNODC. (2020). Global Report on Trafficking in Persons. https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/glotip.html

2. OIT, Walk Free, OIM. (2022). Estimations mondiales de l’esclavage moderne : Travail forcé et mariage forcé. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/ public/---ed_norm/---ipec/documents/publication/wcms_854796.pdf

3. Ibid.

4. Ibid.

8 © 123RF /
Sinisha Karich

lien entre la situation économique, sociale et politique d’un pays ou d’une région et les flux liés à la traite des personnes5. Ces dernières années, l’intensification des conflits et des mouvements migratoires, ainsi que la crise

liée à la pandémie de COVID-19 ont accentué la vulnérabilité de nombreuses personnes et communautés et peuvent avoir contribué à une augmentation sensible de la traite des personnes6

// Cadre juridique de la lutte contre la traite des personnes //

L’adoption du Protocole additionnel de Palerme7 en l’an 2000 a permis la définition d’un cadre légal en matière de lutte contre la traite des personnes au niveau international. Ce cadre définit la traite des personnes et renforce la réponse qui lui est opposée, tant sur la manière de la prévenir et de la combattre que sur la coopération internationale nécessaire pour l’endiguer, mais aussi sur les aspects relatifs à la protection, à l’assistance et à la réhabilitation des victimes. Il met ainsi en avant l’obligation des États de veiller au respect des droits des victimes de traite des personnesun aspect jusque-là négligé.

Il fournit également la première définition internationalement acceptée de la traite des personnes. Selon le Protocole, la traite des personnes « désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité,

ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes8 ».

L’adoption du Protocole de Palerme a également été le point de départ d’un processus d’adaptation des cadres juridiques nationaux aux normes internationales.

// La traite des personnes au Costa Rica et au Honduras //

Les pays d’Amérique centrale se trouvent dans une zone géographique stratégique en matière de flux migratoire, en particulier vers les États-Unis, favorisant la création de « couloirs » pour la traite des personnes. Le Honduras

fait ainsi partie, avec le Salvador et le Guatemala, du « Triangle du Nord de l’Amérique centrale », une région fortement touchée par la traite des personnes depuis des décennies9.

6. Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (2021) Effets de la maladie à coronavirus 2019 sur les différentes formes de vente et d’exploitation sexuelle d’enfants : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G21/014/48/PDF/G2101448.pdf?OpenElement

7. Pour référence, consulter : Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/ instruments/protocol-prevent-suppress-and-punish-trafficking-persons

8. Ibid.

9. IPS. (2019). Central America – Fertile Ground for Human Trafficking. http://www.ipsnews.net/2019/11/central-america-fertile-ground-human-trafficking/

9 © 123RF
/ Sonya Etchison 5. Ibid.

En 2018, les femmes et les filles constituaient la grande majorité (79 %) des victimes de traite des personnes détectées en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Parmi ces victimes, la part des filles (40 %) était la plus élevée au monde. La traite à des fins d’exploitation sexuelle constitue 81 % des cas, également l’un des taux les plus élevés dans le monde, contre 13 % à des fins de travail forcé et 6 % à d’autres fins10. En 2018, on estimait à 3,6 millions le nombre de personnes soumises au travail forcé dans les Amériques11

Les pays de la région ont depuis plusieurs années identifié la traite des personnes comme étant un problème d’ampleur dépassant les frontières nationales et justifiant des mesures ciblées et coordonnées au niveau régional. Depuis 2011, tous, incluant le Honduras et le Costa Rica, travaillent ensemble au sein de la Coalicion Regional contra la Trata de Personas y el Trafico Ilicito de Migrantes12 (CORETT). La CORETT joue un rôle de prévention, de détection, de renvoi et de poursuite des crimes liés à la traite des personnes et au trafic de personnes migrantes, et s’efforce de fournir un accompagnement adapté aux victimes. Par ailleurs, chaque pays a mis en œuvre des actions plus ou moins significatives pour lutter contre la traite des personnes au sein de son territoire. Bien que ces mesures aient permis d’augmenter le taux de condamnation pour les crimes liés à ce phénomène ces dernières années, il reste malgré tout en dessous de la moyenne mondiale.

10. UNODC. (2020). Global Report on Trafficking in Persons. https://www.unodc.org/unodc/en/ data-and-analysis/glotip.html

11. OIT, Walk Free, OIM. (2022). Global Estimates of Modern Slavery: Forced Labour and Forced Marriage. https://www.ilo.org/global/topics/ forced-labour/publications/WCMS_854733/ lang--en/index.htm

12. Coalition régionale contre la traite des personnes et le trafic de personnes migrantes

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AdobeStock / AungMyo

LA TRAITE DES PERSONNES AU COSTA RICA

UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET POLITIQUE DÉGRADÉ

Depuis plusieurs années, le Costa Rica fait face à l’érosion de ses acquis économiques, politiques et sociaux. La dégradation de la stabilité économique et sociale du pays et les difficultés politiques exacerbées ont un effet négatif sur le développement humain et les conditions de vie d’une grande partie de la population. En plus de la pauvreté et des inégalités grandissantes, on observe une hausse de l’insécurité et une intensification du trafic de stupéfiants. Par ailleurs, les femmes et les filles continuent d’être la cible de crimes sexistes dans toutes les sphères de la vie sociale, économique et politique du pays13. Si des mesures ont été prises pour garantir le bien-être des enfants et leur accès à l’éducation, certains d’entre eux – en particulier issus des zones rurales, des communautés LGBTQI+, autochtones ou encore d’ascendance africaine – rencontrent des difficultés socio-économiques plus importantes et sont confrontés à une discrimination et à des stéréotypes qui compliquent leur accès à l’éducation, et les rendent plus vulnérables à diverses formes d’exploitation14

Malgré tout, la réputation de démocratie à l’économie stable du Costa Rica en fait une destination particulièrement attrayante pour les personnes ressortissantes des autres pays de la région, créant un flux migratoire qui augmente la vulnérabilité de certaines populations face à la traite des personnes. De nombreuses personnes originaires d’autres pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, mais aussi d’Amérique du Sud ou encore de Chine, migrant à la recherche d’opportunités économiques au Costa Rica ou aux États-Unis, se retrouvent ainsi victimes de différentes formes d’exploitation15

DES VICTIMES AUX PROFILS DIVERS

Les victimes de traite des personnes au Costa Rica sont majoritairement des femmes et des enfants, et sont principalement soumises à l’exploitation sexuelle. Sur les 50 victimes identifiées par le gouvernement en 2021, on dénombrait 20 femmes, 24 filles et 6 garçons. Près de la moitié étaient victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle, et un quart à des fins de travail forcé. Au moins 32 étaient ressortissantes du Costa Rica, 17 du Nicaragua et une du Panama. La même année, le Bureau du procureur a, quant à lui, déclaré enquêter sur plus de 100 cas de traite des personnes, identifiant 15 enfants victimes, à des fins d’exploitation sexuelle commerciale, de mendicité, de travail forcé ou encore d’adoption illégale. Parallèlement à cela, le Conseil national de l’enfance (PANI)16 a déclaré enquêter sur 385 cas d’exploitation sexuelle commerciale d’enfants, dont des cas de pédopornographie et de traite.

Les zones côtières du Pacifique ainsi que les frontières Nord et Sud, et plus généralement les sites touristiques, sont des lieux de forte activité pour le crime organisé, en particulier liée à la traite de personnes (majoritairement des femmes et des enfants) à des fins d’exploitation sexuelle, principalement au profit de touristes originaires des États-Unis et d’Europe. Dans le cadre de la lutte contre la traite des personnes, l’ambassade américaine au Costa Rica a refusé l’entrée sur le sol costaricain de 75 citoyens étatsuniens enregistrés comme agresseurs sexuels en 202117.

Des adultes et des enfants, majoritairement originaires du Nicaragua, sont également victimes de traite à des fins de travail forcé18 dans les secteurs de l’agriculture19 et du travail domestique.

13. IBCR. (2016). Informe de mapeo sobre el combate a la trata de personas en Costa Rica. http://www.ibcr.org/wp-content/uploads/2016/08/ Cartographie-Costa-Rica-ESP_int_WEB.pdf

14. Bureau of International Labor Affairs (2021). Findings on the Worst Forms of Child Labor – Costa Rica. https://www.dol.gov/agencies/ilab/ resources/reports/child-labor/costa-rica

15. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/

16. Patronato Nacional de la Infancia (PANI)

17. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/

18. Bureau of International Labor Affairs (2021). Findings on the Worst Forms of Child Labor – Costa Rica. https://www.dol.gov/agencies/ilab/ resources/reports/child-labor/costa-rica

19. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/

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UNE INTERVENTION GOUVERNEMENTALE LIMITÉE

Dans ce contexte particulier, la traite des personnes a été identifiée depuis plusieurs années par le gouvernement costaricain comme un enjeu national majeur nécessitant des actions coordonnées d’ampleur. Ainsi, en 2005, un décret a été émis créant la Coalición nacional contra el trafico ilícito de migrantes y la trata de personas (CONATT)20, laquelle a ensuite été pérennisée par la Loi 9095 contre la traite des personnes adoptée en 2012. Réunissant plusieurs institutions gouvernementales, la CONATT est chargée de promouvoir la formulation, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques nationales, régionales et locales pour la prévention de la traite des personnes. Elle a aussi pour mission de promouvoir l’accompagnement et la protection des victimes afin de faciliter leur processus de guérison et leur réintégration dans la société, ainsi que la poursuite et la sanction des responsables de ces crimes. La révision des réglementations nationales et leur adaptation aux engagements internationaux pris par l’État costaricain, ainsi que la formation et la spécialisation des ressources humaines institutionnelles font également partie de son mandat.

Plusieurs plans d’action nationaux destinés à combattre la traite des personnes et le travail des enfants ont également été mis en œuvre, tels que le Plan national d’action contre l’exploitation sexuelle commerciale lancé pour la première fois en 2001 et renouvelé pour les années 2003-2006, 2008-2010 et 20172018. En 2021, le gouvernement a également rédigé une loi visant à combattre le trafic de personnes migrantes et la traite des personnes et proposé plusieurs modifications aux lois existantes sur le sujet pour les renforcer. Enfin, une modification du Code pénal proposée par la CONATT, qui supprime la nécessité de prouver l’utilisation de force, de fraude ou de coercition pour les cas de traite impliquant un abus de vulnérabilité de la victime, a été approuvée par l’Assemblée législative en 202221

De manière générale, les institutions du Costa Rica consacrées totalement ou en partie à la lutte contre la traite des personnes manquent de ressources, d’un budget suffisant et de coordination avec les autres acteurs impliqués dans cette lutte. La prévention, la détection et la poursuite des crimes liés à ce phénomène ainsi que la protection et l’accompagnement des victimes restent insuffisants.

21. Nations Unies, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage (2022). https://costarica.un.org/es/208822-declaracion-de-fin-de-mision-costa-rica-tomoya-obokata-relator-especial-sobre-formas

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doidam10
20. Coalition nationale contre le trafic de personnes migrantes et la traite des personnes

LA TRAITE DES PERSONNES AU HONDURAS

UNE INSTABILITÉ GRANDISSANTE

Depuis quelques années, le Honduras fait face à une accentuation notable de l’insécurité. La violence chronique - notamment provoquée par l’omniprésence des gangs -, la crise climatique et la pauvreté, ont aggravé les difficultés auxquelles le pays est confronté. Ainsi, depuis 2020, la part de la population hondurienne nécessitant une aide humanitaire a plus que doublé, pour atteindre plus d’un quart de la population. À cela s’ajoutent des difficultés liées à la gouvernance, qui entravent le plein respect des droits humains22. Par ailleurs, en conséquence des divers enjeux mentionnés, le Honduras est le théâtre de nombreux déplacements internes de populations. À l’instar du Costa Rica, c’est également un pays de transit où convergent les flux migratoires en provenance d’Amérique latine, et dont les zones touristiques ont été identifiées comme étant à haut risque d’exploitation sexuelle des enfants23 - divers facteurs qui se conjuguent pour créer un terreau fertile pour la traite des personnes.

UN CRIME AUX MODALITÉS MULTIPLES

Au Honduras, les enfants sont astreints, parfois par des membres de leur propre famille, aux pires formes de travail, dont l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, le trafic de stupéfiants et le travail forcé dans différents secteurs de l’économie formelle et informelle. Les enfants n’ayant pas accès à l’éducation et étant en situation de pauvreté sont les plus vulnérables face à la traite des personnes, notamment à des fins d’exploitation économique et durant leur parcours migratoire. Les enfants issus des communautés autochtones ou d’ascendance africaine sont également particulière -

ment vulnérables à l’exploitation sexuelle, mais aussi à d’autres formes d’exploitation, telles que le travail forcé dans les secteurs agricole, manufacturier, minier et hôtelier ou encore dans la construction24.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies s’est dit particulièrement préoccupé par la prévalence de l’exploitation sexuelle des enfants et de la pédopornographie au Honduras, qu’il attribue en partie à la persistance de stéréotypes socioculturels tolérant l’exploitation sexuelle des enfants25. En outre, la violence et les discriminations à l’égard des femmes et des groupes marginalisés (membres des communautés LGBTQI+, peuples autochtones, etc.) restent culturellement acceptées et sont très répandues. Ainsi, selon l’Observatoire de l’égalité des sexes pour l’Amérique latine et les Caraïbes de la CEPALC, le Honduras a le deuxième taux de féminicide le plus élevé d’Amérique latine. Le sexisme systémique, combiné au manque d’opportunités économiques et à la forte présence du crime organisé, fait des femmes et des filles honduriennes les premières victimes des réseaux d’exploitation et de traite des personnes.

Ainsi, sur les 101 victimes de traite des personnes identifiées par la CICESCT en 2021, toutes honduriennes, 48 l’étaient à des fins d’exploitation sexuelle et 53 à des fins de travail forcé. Près des trois quarts étaient des femmes et des filles, et les filles étaient les premières victimes d’exploitation sexuelle. Parmi les 10 garçons identifiés, deux étaient victimes de pédopornographie et les autres de mendicité forcée ou d’autres formes de travail forcé26. Au sein des populations migrantes, les femmes et les filles représentaient 68 % des victimes de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle non originaires du Honduras identifiées par la

22. Rescue.org (2022). Crisis in Honduras: Ongoing violence and climate shocks. https://www.rescue.org/article/crisis-honduras-ongoing-violence-and-climate-shocks

23. Canal 8. (2022). CICEST: La trata de personas se ha focalizado en sitios turísticos de Honduras. https://tnh.gob.hn/nacional/cicest-la-trata-de-personas-se-ha-focalizado-en-sitios-turisticos-de-honduras/

24. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/

25. Comité des droits de l’enfant. (2015). Observations finales concernant le rapport soumis par le Honduras en application du paragraphe 1 de l’article 12 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. https://digitallibrary.un.org/record/856062?ln=fr

26. CICEST. (2021). Informe nacional en materia de prevención, atención a víctimas y persecución de los delitos de explotación sexual y trata de personas en Honduras. https://cicesct.gob.hn/informes-anuales/

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CICESCT en 201727. Elles sont souvent contraintes de se prostituer ou de travailler en tant que domestiques, sans rémunération et pendant de longues heures.

UN CADRE JURIDIQUE NATIONAL RENFORCÉ

Afin de contrer ce phénomène, le gouvernement hondurien a mis en place plusieurs actions, en commençant par la création, en 2002, d’un organe interinstitutionnel destiné à promouvoir l’éradication de l’exploitation sexuelle des enfants. La Comisión Interinstitucional contra la Explotación Sexual Comercial de Niños, Niñas y Adolescentes en Honduras (CICESCNNA)28 a d’abord concentré ses efforts sur la lutte contre les crimes d’exploitation sexuelle à l’encontre des enfants. À partir de 2005, la CICESCNNA est devenue la Comisión Interinstitucional contra la Explotación Sexual Comercial y Trata de Personas de Honduras (CICESCT)29, élargissant son mandat à la traite des personnes. À l’instar de la CONATT au Costa Rica, la CICESCT a été pérennisée par une loi contre la traite des personnes adoptée en 2012. Elle est désormais chargée de la promotion, de l’articulation, du suivi et de l’évaluation des actions visant à prévenir et à éradiquer ce crime, par la gestion et la mise en œuvre de politiques publiques spécialisées et la sensibilisation des secteurs professionnels impliqués dans la lutte contre la traite des personnes.

Le gouvernement a également mis en œuvre plusieurs plans d’action nationaux afin de lutter contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle commerciale des enfants pour la période 2006-2011, et plus récemment contre la traite de façon générale pour la période 2016-2022. Ce dernier plan vise à mettre en œuvre des actions préventives auprès des populations vulnérables, à poursuivre les personnes trafiquantes et à mieux accompagner les victimes.

Les efforts mis en œuvre par le gouvernement hondurien restent tout de même insuffisants. Bien qu’elle ait été renforcée au fil des ans, et malgré l’augmentation de son budget entre 2019 et 2021, la CICESCT manque de ressources financières et humaines pour accompagner les victimes de façon adaptée et pour collecter et analyser les données relatives à ces dernières. Ce manque de financement affecte également le Plan d’action national de lutte contre la traite des personnes, d’après le Département d’État étatsunien.

L’entrée en vigueur d’un nouveau Code pénal en 2020 et les ajustements réalisés en 2021 ont eu pour effet de générer d’importantes réformes et de mettre à jour le cadre normatif datant de 1983. Si ces changements ont permis de définir de nouvelles modalités de traite des personnes et d’harmoniser certaines infractions pénales avec les normes internationales, des lacunes persistent. En effet, en réduisant les sanctions pour les crimes liés à la traite, les modifications apportées à la législation nationale diminuent la protection face à des crimes tels que les abus sexuels faits aux enfants, l’exploitation sexuelle ou encore les adoptions irrégulières. De nombreux efforts restent à fournir pour assurer une protection renforcée et un accompagnement plus adapté pour les victimes de traite des personnes.

27. CICEST. (2017). Informe nacional. Acciones contra la Explotación Sexual Comercial y Trata de Personas en Honduras. https://cicesct.gob.hn/ informes-anuales/

28. Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale des enfants et des adolescents au Honduras

29. Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale et la traite des personnes au Honduras

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©
Unsplash / jarin-dominguez

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Le Honduras et le Costa Rica ont ratifié les principaux instruments internationaux en matière de traite des personnes et ont tous deux intégré dans leurs législations respectives des mesures encadrant la protection des victimes et condamnant les crimes liés à ce phénomène. Les deux pays ont également mis en place un programme et des structures dédiés à la coordination des efforts contre la traite des personnes au niveau national.

Malgré ces efforts, la traite des personnes reste un enjeu majeur dans ces deux pays. À l’instar de beaucoup d’autres États, ils font face à de nombreux défis dans la lutte contre ce crime, parmi lesquels nous pouvons citer :

» Un manque de ressources

Dans son dernier rapport sur la traite des personnes publié en 202230, le département d’État étatsunien relève un manque de ressources financières et humaines allouées par les deux gouvernements aux institutions, aux structures et aux programmes dédiés à la lutte contre la traite des personnes et à l’accompagnement des victimes - une situation déjà relevée dans les rapports précédents. Au Honduras, le rapport pointe un sous-financement des structures comme la CICESCT et l’Unidad contra la Trata, Explotación Sexual Comercial y Tráfico Ilícito de Personas31. Au Costa Rica, l’insuffisance des fonds dédiés à la surveillance régulière ou aux patrouilles anti-traite est signalée.

» Un manque de coordination entre les acteurs impliqués

Par ailleurs, le même rapport32 relève un manque de coordination entre les différentes structures impliquées dans la lutte contre la traite des personnes dans chacun des deux pays. Une intervention globale contre la traite est nécessaire pour l’endiguer et ne peut être effective sans mécanismes de collaboration uniformisés et fonctionnels. Si la création des divers organes de coordination mentionnés plus haut répond en partie à ce défi, le manque de financement, la diversité des acteurs impliqués ainsi que leur dépendance aux changements politiques limitent leur réel impact.

Des lacunes concernant les procédures à mettre en œuvre en cas de détection de cas de traite au sein de chaque secteur sont également à noter. Peu ont été définies, et, lorsqu’elles le sont, elles restent peu suivies. Cette absence de procédures internes affecte l’efficacité de la lutte contre la traite des personnes, et génère une méconnaissance du rôle de chaque acteur impliqué.

30. U.S. Department of State. (2022). Trafficking in persons report 2022. https://www.state.gov/wp-content/uploads/2022/10/20221020-2022-TIPReport.pdf

31. L’Unité spéciale de lutte contre la traite, l’exploitation sexuelle à des fins commerciales et le trafic de personnes (UTESCTP), créée en 2018.

32. U.S. Department of State. (2022). Trafficking in persons report 2022. https://www.state.gov/wp-content/uploads/2022/10/20221020-2022-TIPReport.pdf

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// Défis rencontrés dans le cadre de la lutte contre la traite des personnes au Costa Rica et au Honduras

» Une implication insuffisante des organisations de la société civile et des communautés vulnérables

Les populations, en particulier les plus à risque, telles que les enfants, les femmes, les communautés autochtones, d’ascendance africaine ou encore LGBTQI+, restent peu impliquées dans la lutte institutionnelle contre la traite des personnes. Leur mobilisation se limite souvent à une participation à des activités de sensibilisation, sans lien avec l’État ni d’autres acteurs de la lutte contre la traite. Elles restent donc peu intégrées dans les mécanismes holistiques, ce qui limite la coordination d’une intervention nationale.

Les personnes à risque ainsi que les victimes restent également peu associées aux programmes institutionnels de lutte contre la traite des personnes, excepté lors de leur prise en charge. L’équilibre entre les principes de do no harm33 et de sauvegarde34 et le droit de ces personnes de participer aux actions les concernant est difficile à trouver, ce qui complique leur intégration dans les programmes de lutte, en particulier pour les enfants. Cet équilibre est d’autant plus fragile dans les contextes hon-

duriens et costaricains où la prédominance des gangs criminels constitue un risque important pour les populations.

Toutefois, malgré ces difficultés, l’intégration des personnes vulnérables et des organisations de la société civile est essentielle pour que la lutte contre la traite soit efficace et adaptée. À l’heure actuelle, les populations ne sont pas suffisamment outillées et impliquées, ce qui limite tant les efforts de prévention que l’identification et la réintégration des victimes de traite des personnes.

De plus, ces différents acteurs restent peu représentés dans les organes de coordination de la lutte contre la traite des personnes. S’ils le sont parfois au niveau local, leur présence diminue à mesure que le niveau de coordination augmente. Cette absence prive les organes de coordination d’une perspective essentielle.

» Des initiatives trop centralisées

La centralisation des moyens mis en œuvre pour prévenir la traite des personnes et contrer ce phénomène dans les grandes villes de chaque pays a des conséquences négatives sur leur effectivité à l’échelle nationale. Certaines formes de traite sont ainsi visibles dans les régions dans lesquelles les mécanismes et les initiatives de lutte contre la traite font défaut, en particulier dans l’agriculture, dans l’industrie du tourisme et au sein de certaines populations marginalisées, comme les populations autochtones ou d’ascendance africaine.

» Des lacunes dans la formation des acteurs impliqués

Des lacunes dans la formation des acteurs de première ligne impliqués dans la lutte contre la traite des personnes ont été pointées par le Département d’État étatsu-

nien35 et par le Comité des droits de l’enfant des Nations

Unies36 Forces de police, mais aussi personnel de justice ou du secteur social ne sont pas suffisamment outillés

33. Le principe do no-harm (« ne pas nuire » en français) exige des organisations et des institutions qu’elles réduisent au minimum le risque de préjudice qu’elles pourraient causer par inadvertance en intervenant auprès des personnes qu’elles cherchent à aider, par exemple en alimentant indirectement les dynamiques d’un conflit ou d’une situation problématique donnée. Il doit être pris en compte dès la planification et tout au long de l’intervention.

34. Le principe de safeguarding (« sauvegarde » en français) regroupe les politiques, les mesures préventives, mitigatives, réactives et autres procédures visant à protéger les personnes participant à un programme, à une politique ou à toute autre projet des préjudices qu’elles pourraient subir du fait de leur association avec l’organisation ou l’institution qui met en œuvre le projet. Il s’agit de veiller à ce que la participation n’ait pas lieu au détriment de la sécurité et du bien-être des personnes participantes.

35. U.S. Department of State. (2021). Trafficking in persons report 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/

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dans leurs domaines respectifs pour identifier et orienter les victimes de traite des personnes. Ils connaissent mal les spécificités de la traite et sont peu formés à en détecter les indicateurs, à appliquer les dispositions pénales pertinentes en la matière ou encore à communiquer de manière adéquate avec les victimes.36

À titre d’exemple, au Costa Rica, des sessions de formation ou des cours sur la traite des personnes sont offerts au sein des écoles de formation de la police et du personnel de justice, ainsi que des unités chargées de la formation continue dans les différentes institutions judiciaires. Ces cours portent principalement sur le cadre réglementaire international et national relatif à la traite des personnes, sur les techniques d’enquête ainsi que sur les mesures d’assistance aux victimes des crimes liés. Cependant, cette offre de formation comporte plusieurs lacunes. En premier lieu, elle se limite souvent à des modules ponctuels, de courte durée et insuffisamment approfondis, qui ne mettent pas l’accent sur les rôles et responsabilités de chaque acteur dans la lutte contre la traite des personnes. De plus, ces formations ne font pas systématiquement le lien entre la théorie et la pratique. Elles ne sont, enfin, pas nécessairement dispensées aux acteurs pertinents par des personnes formatrices qualifiées et ne sont pas diffusées à l’échelle du pays.

Par conséquent, un grand nombre de professionnelles et de professionnels en devenir ou actuellement en poste ne développent pas les compétences et la spécialisation nécessaires pour appliquer le cadre réglementaire,

les techniques de coordination et les bonnes pratiques relatives à un traitement adéquat des cas de traite des personnes37. Ces lacunes se vérifient d’autant plus pour les situations spécifiques à la région, telles que de la traite au sein des populations migrantes ou déplacées ou encore ciblant les enfants appréhendés pour des activités liées à des gangs criminels.

Des lacunes similaires sont à noter au sein des organes de coordination, dont la mission complexe – cumulant intervention immédiate, mobilisation et coordination de tous les acteurs de la lutte contre la traite – nécessite des compétences spécifiques. Pour favoriser la participation effective et sécuritaire de tous les acteurs, essentielle à un renforcement global des systèmes de protection contre la traite des personnes, les organes de coordination doivent être en mesure de mettre en œuvre des pratiques adaptées.

» Des communautés méfiantes envers les institutions étatiques

Au Honduras comme au Costa Rica, les populations sont généralement réticentes à l’idée de collaborer avec les acteurs étatiques dans le cadre de la lutte contre la traite des personnes. Cette situation est en partie liée à des perceptions héritées de l’histoire parfois répressive des États en question, mais résulte également de pratiques individuelles de personnes représentant l’État et ne respectant pas les droits des populations. On note ainsi un manque de confiance des populations envers les acteurs institu-

tionnels, notamment ceux de la justice, et une perception particulièrement négative des forces de police. De ce fait, les personnes et les communautés sont moins enclines à dénoncer les crimes liés à la traite des personnes dont elles sont victimes ou témoins.

Par ailleurs, les stéréotypes dont souffrent les groupes marginalisés, comme les enfants, les femmes, les communautés autochtones, d’ascendance africaine ou encore

36. Comité des droits de l’enfant (2011). Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention. Observations finales : Costa Rica, CRC/C/CRI/CO/4 https://www.undocs.org/fr/CRC/C/CRI/CO/4

37. IBCR. (2016). Informe de mapeo sobre el combate a la trata de personas en Costa Rica. http://www.ibcr.org/wp-content/uploads/2016/08/Cartographie-Costa-Rica-ESP_int_WEB.pdf

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LGBTQI+, conduisent souvent à la normalisation des violences à leur égard et à une banalisation de leur expérience par les agentes et les agents de l’État. Dans de nombreux cas, la dénonciation conduit à une victimisation secondaire (voir définition page 29) et s’avère peu payante pour les victimes devant le risque de représailles, de la part de personnes trafiquantes souvent liées à des réseaux criminels influents.

Le problème est donc dual : d’un côté, les populations ne dénoncent pas les crimes dont elles sont victimes ou témoins par manque de confiance envers l’État, et, de l’autre, lorsqu’elles le font, les personnes représentant l’État ne les écoutent pas ou ne les considèrent pas suffisamment pour peu qu’elles appartiennent à certaines communautés.

Au-delà de la formation des acteurs institutionnels à une pratique non discriminatoire et respectueuse des droits et du renforcement de la capacité des communautés à identifier et dénoncer les cas de traite ainsi qu’à s’impliquer dans la lutte contre la traite des personnes, un défi persiste donc dans la construction d’un lien de confiance entre institutions étatiques, société civile et communautés, nécessaire pour lutter efficacement contre ce crime

» Une méconnaissance et une vision incomplète de la traite des personnes

La traite des personnes reste un phénomène méconnu par les populations, rendant difficile son identification et donc son signalement. Les victimes ellesmêmes ignorent souvent être en situation de traite. Parfois, ce sont les auteurs qui ignorent commettre un crime, par exemple lorsqu’il s’agit de membres de la famille éloignée ou de la communauté.

Les agentes et les agents de l’État, quant à eux, connaissent souvent mal les outils existants en matière de prévention et de poursuite du crime de traite des personnes, ce qui limite leur capacité d’action. En effet, en raison du caractère protéiforme de ce crime, des acteurs étatiques de plusieurs secteurs peuvent être confrontés à des cas de traite, que ce soit le personnel de la justice, de la police, de la santé, de la sécurité des frontières, de l’inspection du travail ou encore de l’industrie du tourisme, mais nombre d’entre eux restent peu conscients du rôle qu’ils pourraient jouer pour l’endiguer.

» L’accompagnement des victimes peu pris en considération

La réponse actuelle à la traite des personnes est souvent répressive, se concentrant sur la poursuite et la condamnation des auteurs. Si l’impunité est en effet un facteur dans la persistance de ce crime, beaucoup des défis mentionnés ici sont également liés à un manque de reconnaissance des enjeux sociaux et humains relatifs à la traite des personnes, ainsi qu’à un manque de prise en compte de l’expérience des victimes. Adopter une approche centrée sur la victime, respectant ses droits et adaptée à ses besoins, permet de pallier ces lacunes et de créer ou de renforcer le lien de confiance entre les populations et l’État. Baser les initiatives de prévention et d’accompagnement sur le vécu des victimes est ainsi un gage de leur efficacité et de leur pertinence.

Tout comme l’implication des populations vulnérables, ce défi est également lié à la formation des acteurs concernés, afin de favoriser la mise en place de pratiques adaptées aux droits des victimes pour garantir leur sécurité et éviter une victimisation secondaire (voir définition page 29).

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Au-delà des défis nationaux, la forme même de la traite, souvent liée à la mobilité et à la criminalité internationales, exige une action concertée aux niveaux régional, en Amérique centrale, et interrégional, sur le continent américain coordination qui reste insuffisante à l’heure actuelle. Les instances d’enquête et de poursuite des crimes liés à la traite des personnes et les services d’accompagnement offerts aux victimes ayant pour la plupart une compétence nationale, la lutte contre la traite des personnes reste souvent cloisonnée, et donc incomplète. Par ailleurs, la coordination d’une diversité d’acteurs aux pratiques, aux intérêts et aux moyens divergents génère de nombreux défis. Bien que des organes de coordination régionale existent, tel que la Coalición Regional contra la Trata de Personas y el Tráfico Ilícito de Migrantes (CORETT)38, que des initiatives régionales de coopération policière et judiciaire soient lancées, et que les bailleurs de fonds internationaux soient conscients de cette nécessité, l’ampleur et les implications d’une telle coordination en font un défi persistant pour garantir une lutte efficace contre la traite des personnes.

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» Un manque de coordination régionale et interrégionale
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38. Coalition régionale contre la traite des personnes et le trafic de personnes migrantes
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SEPT ANNÉES DE RENFORCEMENT DES SYSTÈMES DE PROTECTION

FACE À LA TRAITE DES PERSONNES

AU COSTA RICA ET AU HONDURAS

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Faisant suite à ces constats, et avec l’objectif de relever certains des défis identifiés, le Bureau international des droits des enfants a mis en en œuvre deux projets pour appuyer la lutte contre la traite des personnes entre 2015 et 2022 – le premier au Costa Rica et le second au Honduras (voir Annexe page 49 pour une brève description des projets). Tandis que le projet au Costa Rica (2015-2018) visait principalement à renforcer les institutions impliquées dans la lutte contre la traite des personnes, en particulier la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle commerciale, le second, au Honduras (2019-2022) allait plus loin en ajoutant un volet d’autonomisation 39 des acteurs communautaires vulnérables face à la traite des personnes.

// Les approches utilisées //

Pour ce faire, l’IBCR a mis en œuvre ces projets en se basant sur quatre approches :

UNE APPROCHE BASÉE SUR LES DROITS

Selon cette approche, la personne détentrice de droits – en l’occurrence, l’enfant dans la mission du Bureau – est abordée comme une personne citoyenne à part entière dont les droits doivent être respectés, et non comme une personne bénéficiaire dont les besoins doivent être comblés. Cette approche permet également d’identifier les obligations des gouvernements et des institutions garantes de ces droits dans la mise en œuvre d’actions sur le plan législatif, politique, économique, social et culturel. Elle vise avant tout l’autonomisation des enfants et des personnes vulnérabilisées.

UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE

L’objectif de cette approche est le renforcement intégral du système de protection contre la traite des personnes. Cette approche capitalise sur la complémentarité des mandats et des forces de l’ensemble des systèmes (communautaires, sociaux, juridiques, etc.) en développant la coordination entre ces acteurs. Dans le cas des présents projets, elle mise sur le renforcement de la collaboration et la valorisation de tous les acteurs impliqués dans la lutte contre la traite des personnes, y compris les éventuelles victimes.

UNE APPROCHE PARTICIPATIVE

UNE APPROCHE PAR COMPÉTENCES

Cette approche vise un renforcement des compétences des personnes ciblées – c’est-à-dire des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être – requises pour pouvoir agir de façon appropriée dans le cadre de leurs activités en tant qu’acteurs d’un système de protection. C’est une approche basée sur l’expérience et les compétences de la personne qui suit la formation, afin de professionnaliser sa pratique.

L’approche participative mobilise les membres d’institutions des secteurs visés et d’organisations internationales et locales impliqués dans la lutte et/ou pour la protection des victimes de traite des personnes. Cette approche permet à l’IBCR d’être constamment à l’écoute des acteurs locaux du système de protection pour fournir des solutions de renforcement ou d’appui qui répondent réellement à leurs besoins et reflètent la réalité de chaque contexte. De plus, par le partage de responsabilités avec les partenaires locaux, l’approche collaborative favorise l’appropriation et la pérennité des actions entreprises.

39. Pour l’IBCR, l’autonomisation est un processus par lequel une personne acquiert la maîtrise des moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son potentiel et d’agir pour une amélioration de son environnement et un meilleur respect de ses droits (définition inspirée du Grand dictionnaire terminologique québécois, disponible ici : https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=1298948)

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// Les actions mises en œuvre //

Dans le cadre de la mise en œuvre des projets au Costa Rica et au Honduras, diverses actions-clés ont été menées :

 Le développement collaboratif de modes opératoires, qui définissent une ou plusieurs procédures, en clarifiant les étapes et les rôles des personnes intervenantes. Ils énoncent et décrivent les normes minimales à suivre au sein d’un service, d’un corps professionnel ou d’un système en précisant comment mener des interventions efficaces et conformes aux normes internationales. Dans le cas de la traite des personnes, les modes opératoires conçus visent à :

• Favoriser des interventions harmonieuses et respectueuses des droits des victimes

• Améliorer la qualité des services en assurant la cohérence, l’uniformisation et l’institutionnalisation des pratiques

• Réduire les risques d’improvisation et de malentendus pouvant mener à des interventions non adaptées

• Contribuer à une réponse multisectorielle mieux coordonnée

 La conception d’outils de formation à destination de différents acteurs du système, ayant pour objectif le développement de compétences-clés en termes de savoir, de savoir-faire et de savoir-être pour améliorer l’accompagnement des victimes de traite des personnes. Au-delà de la compréhension du cadre légal en matière de traite et

de droits humains, les formations conçues visent le renforcement des aptitudes et des techniques permettant d’intervenir efficacement auprès des victimes, avec une approche différentielle selon laquelle chaque personne est unique et a des besoins propres. Dans le cadre des projets menés, des personnes issues de chaque secteur visé sont également formées et certifiées capables de dispenser les formations conçues, afin de garantir leur pérennité.

 L’organisation d’ateliers régionaux réunissant des acteurs impliqués dans la lutte contre la traite des personnes, issus de divers pays de la région. Ces ateliers ont pour objectif de favoriser le partage d’expériences, d’en apprendre davantage sur les enjeux propres à chaque pays, de tirer des leçons de l’expérience de chaque acteur et de réfléchir à des pistes d’actions conjointes pour garantir une intervention régionale coordonnée contre la traite des personnes.

 Un appui aux communautés locales, pour pérenniser et contextualiser les processus de renforcement de leurs compétences et de leur capacité de veille sociale. Par un soutien financier et un accompa-

gnement technique leur permettant d’être mieux outillés pour analyser la situation et mener des interventions adaptées, les organismes bénéficiant de l’appui du Bureau peuvent mettre en œuvre des projets correspondant à la réalité de leur contexte d’action.

 L’élaboration de cartographies, qui analysent les dynamiques entre les principaux acteurs impliqués dans la prévention de la traite des personnes et la lutte contre ce phénomène, et leurs pratiques. Elles brossent ainsi un portrait des systèmes de protection, identifient leurs forces et leurs faiblesses, et permettent aux principales parties prenantes de formuler des recommandations à mettre en œuvre conjointement.

Après sept années d’intervention en Amérique centrale, un regard rétrospectif sur les deux projets menés permet de mettre en lumière différents changements générés au sein du système de protection contre la traite des personnes grâce, entre autres, aux actions du Bureau et de ses partenaires. Ces changements ont permis, par la même occasion, de relever certains des défis identifiés précédemment.

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Cartographie du système de lutte contre la traite au Costa Rica, 2016

EN UN COUP D’ŒIL

// Les principaux résultats //

au Honduras*

76 % des personnes ayant participé au projet affirment que les actions menées ont permis de réduire la vulnérabilité des populations marginalisées, en particulier des femmes et des filles, face à la traite des personnes.

86 % des personnes impliquées affirment que le projet a eu un impact positif sur la vie des victimes de la traite des personnes.

96 % des personnes ayant participé au projet affirment que les effets positifs sont susceptibles de perdurer.

96 % des acteurs de la société civile ont déclaré que leur participation au projet au Honduras a permis de contribuer à l’amélioration de leurs pratiques en faveur de la protection de l’enfance.

92

personnes

ont été formées et certifiées pour dispenser les formations conçues pour chaque secteur institutionnel visé de façon pérenne.

24
*Les chiffres cités pour le Honduras sont basés sur l’évaluation finale du projet, menée auprès de 109 personnes (58 membres des institutions étatiques et 51 de la société civile) entre juillet et aout 2022.

au Costa Rica*2

96 %

du personnel de la police et de la justice estiment que leur participation au projet leur a permis d’améliorer leur mise en œuvre de la législation, des politiques et des pratiques liées à la traite des personnes.

100 %

des personnes ayant participé au projet considèrent que les outils conçus ou renforcés permettront, sur la durée, de réduire la vulnérabilité des victimes dans le pays et de rendre la coordination entre institutions plus efficace, pour une meilleure gestion des cas en général.

100 %

des membres de la police et du personnel judiciaire formés au Costa Rica considèrent désormais être adéquatement équipés pour jouer leur rôle dans la lutte contre la traite des personnes.

3 cours

conçus dans le cadre du projet ont été intégrés de façon permanente dans les programmes de formation initiale ou continue de l’Académie nationale de police, de l’École judiciaire et du Bureau du procureur adjoint (en particulier de son organe d’investigation judiciaire), et permettent désormais de former adéquatement les professionnelles et les professionnels en devenir aux questions liées à la traite des personnes.

61 personnes ont été formées et certifiées aptes à dispenser les formations conçues pour chaque secteur institutionnel visé de façon pérenne.

25
*2 Les chiffres cités pour le Costa Rica sont basés sur plusieurs évaluations réalisées au cours du projet auprès des personnes y ayant pris part.

DES CHANGEMENTS SIGNIFICATIFS

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La vision de la lutte contre la traite des personnes se diversifie et intègre la perspective de la victime

Avant la mise en œuvre des projets, les secteurs visés considéraient que la lutte contre la traite des personnes passait avant tout par la poursuite des auteurs du crime. En articulant les outils et les formations développés autour de l’accompagnement de la victime, cette dernière a pu être intégrée pleinement dans la lutte contre la traite des personnes, ce qui a permis d’accroître l’efficacité des interventions. Au Honduras, les procédures définies en partenariat avec les forces de police et la CICESCT requièrent ainsi dorénavant que tout membre de la police confronté à un cas de traite contacte systématiquement le service de réponse immédiate40 de la CICESCT.

Quant aux formations dispensées favorisant le développement de savoir-faire et de savoir-être au-delà de l’acquisition de simples connaissances, et remettant l’expérience des personnes apprenantes et des victimes au centre de l’apprentissage, elles permettent aux professionnelles et aux professionnels de mieux intégrer la perspective des victimes dans leur pratique.

Un changement de pratique et d’approche a donc été initié au sein des institutions étatiques afin de favoriser des interventions plaçant la victime et ses droits au cœur des préoccupations, au-delà de son statut de preuve à conviction. À terme, cela pourra également participer d’une amélioration progressive de la confiance des communautés envers ces institutions.

88 %

des professionnelles et des professionnels des institutions étatiques visés par le projet au Honduras affirment désormais, grâce aux actions menées, fournir une première assistance aux victimes de traite des personnes appropriée et dans le respect de leurs droits.

100 % des professionnelles et des professionnels des institutions étatiques visés par le projet au Honduras déclarent désormais intégrer une approche de genre dans leur pratique professionnelle et utiliser des techniques de communication appropriées avec les victimes de traite des personnes.

40. Le service de réponse immédiate (ERI) de la CICESCT coordonne l’activation des mesures de soins primaires et secondaires pour les victimes directes et indirectes de crimes d’exploitation sexuelle et de traite des personnes.

27 //
L’accompagnement offert aux victimes de traite est plus adapté et respectueux des droits de chaque personne
//
Atelier de développement de la formation de personnes formatrices pour le secteur de la justice, San José, Costa Rica, novembre 2016

Ce que je retiens de cette formation, c’est l’approche et la conscientisation qui doivent se faire par rapport aux victimes. Cela nous rend plus humains de ne pas penser seulement à condamner l’individu accusé des faits, mais d’essayer d’en apprendre davantage sur la victime, sur son parcours et son histoire.

- Juge d’un tribunal pénal, Costa Rica

Le cours ne porte pas sur la froide réglementation que nous lisons et que nous ne comprenons pas, mais met plutôt en évidence le caractère humain lorsque nous abordons un cas d’application […]. C’est une valeur ajoutée très importante.

- Juge de première instance, Costa Rica

Les professions visées par le projet reconnaissent mieux les situations de discrimination

Si les victimes de traite des personnes ont des profils variés, elles tendent cependant à faire partie de groupes ou de communautés faisant davantage face à de la discrimination ou à de l’exclusion, tels que les enfants, les femmes, les personnes d’ascendance africaine, les peuples autochtones, les membres de la communauté LGBTQI+ ou encore les personnes en mouvement, entre autres. Grâce aux formations développées dans le cadre des projets, les professionnelles et les professionnels des secteurs ciblés ont amorcé une réflexion pour repérer et éviter les pratiques discriminatoires, notamment en prenant conscience des préjugés qui orientent leurs perceptions et leurs actions. Ils peuvent également désormais s’appuyer sur des outils

permettant de mettre en œuvre une approche différenciée, c’est-à-dire qui tienne compte des caractéristiques d’une personne ou d’un groupe lorsqu’on intervient auprès d’eux.

Grâce aux actions menées dans le cadre du projet, 94 % des professionnelles et des professionnels des institutions étatiques visées par le projet estiment savoir désormais identifier les situations à risque et le profil des personnes à risque face à la traite des personnes.

Des membres de l’École nationale de police du Costa Rica suivant une formation pour être certifiés aptes à dispenser le cours conçu dans le cadre du projet, San José, février 2018

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Formation de personnes formatrices pour l’École nationale de police du Costa Rica, San José, février 2018

Les risques de victimisation secondaire sont réduits

L’approche par compétences, favorisant le développement de compétences pratiques plutôt que la seule compréhension théorique, est particulièrement importante pour éviter la victimisation dite secondaire des victimes (voir définition ci-dessous). À l’instar des situations de discrimination, ces compétences permettent de développer une conscience du phénomène lors des interventions et d’acquérir les outils pour éviter de faire subir aux victimes une « double peine ». Par exemple, les formations développant les techniques de communication, le langage non verbal, ciblant les réactions à éviter ou encore l’identification des besoins de la victime (s’assurer qu’elle dispose d’habits confortables, solliciter l’appui d’une ou d’un interprète au besoin, etc.) favorisent des interventions plus respectueuses des droits de la victime et limitent les situations de victimisation secondaire.

Toutefois, la pratique seule des intervenantes et des intervenants ne suffit pas à diminuer la victimisation secondaire, car celle-ci est aussi une conséquence du système dans son ensemble. La clarification des procédures et des responsabilités des différents acteurs impliqués dans l’accompagnement d’une victime participe donc également de la réduction des risques de victimisation secondaire. Ainsi, en permettant à la victime d’être référencée auprès des services adéquats et en lui évitant de devoir répéter son histoire, les procédures définies dans le cadre des projets menés contribuent également à relever ce défi.

95 %

des professionnelles et des professionnels des secteurs ciblés au Honduras affirment désormais savoir comment éviter de faire subir une victimisation secondaire aux victimes de traite des personnes.

VICTIMISATION SECONDAIRE

La victimisation secondaire réfère à la victimisation qui ne résulte pas directement d’un acte criminel, mais de la réaction d’institutions et de particuliers envers la victime41, c’est-à-dire toutes « les attitudes et [tous les] comportements de culpabilisation de la victime ainsi que les pratiques engagées par les fournisseurs de services communautaires ayant pour conséquence un traumatisme supplémentaire […] ». La victimisation secondaire peut également s’entendre comme la réaction sociale négative par rapport à l’acte subi par la victime, qui est vécue comme une deuxième violence42.

41. UNODC (2009) Justice dans les affaires impliquant les enfants victimes et témoins d’actes criminels : Loi type et commentaire, p. 5, disponible en ligne : https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/ModellawFR.pdf

42. Groupe de Travail Interinstitutionnel sur l’exploitation sexuelle des enfants (2016), Guide de Terminologie pour la Protection des Enfants contre l’Exploitation et les abus sexuels, p. 92, disponible en ligne : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Children/SR/TerminologyGuidelines_ fr.pdf

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4142
Formation de personnes formatrices pour l’École de la magistrature du Costa Rica, San José, juillet 2018

[…] Souvent, on oublie ces personnes, les victimes de la traite, surtout celles qui sont victimes de violences sexuelles. Dans ces cas, il devient important de garantir à la victime tous les droits que la loi lui confère pour éviter une victimisation secondaire, ce qui signifie notamment, ne pas la placer dans des situations où elle doit répéter ce qu’elle a vécu et ne pas lui faire subir des épreuves préjudiciables durant le processus de justice.

Formation de personnes formatrices pour l’École nationale de police du Costa Rica, San José, février 2018

La parole des victimes est réhabilitée

La participation de la victime est considérée comme un aspect incontournable de la procédure de poursuite d’un crime et de l’accompagnement des victimes. Or, l’un des grands défis dans l’accompagnement des victimes de traite des personnes est le manque de valeur accordée à leur parole et à leur opinion par les différents acteurs du système de protection.

Pour remédier à cela, les formations conçues et dispensées dans le cadre des projets, tant au Costa Rica qu’au Honduras, insistent sur l’importance de valoriser la parole de la victime. Elles ont ainsi permis aux professionnelles et aux professionnels visés de développer les compétences nécessaires pour mettre une personne victime en confiance et l’encourager à communiquer et à faire part de son avis sur les décisions qui la concernent directement. Dès lors, le climat d’écoute instauré permet d’obtenir des informations utiles et nécessaires à la procédure : informations sur d’autres victimes potentielles pour les personnes chargées de l’enquête de police ou le ministère du Travail et de la Sécurité sociale ; nouveaux éléments permettant de faire la lumière sur les faits et de rendre justice pour la magistrature.

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© AdobeStock / Belinda Pretorius - Juge d’application des peines, Honduras

En plus des compétences nécessaires développées grâce aux outils de formation, les pratiques d’écoute sont également généralisées avec la définition de procédures claires. Ainsi, au Honduras, la procédure définie pour le secteur de l’inspection du travail a formalisé l’intervention des acteurs impliqués à la suite de l’identification

L’année passée, notre équipe d’inspection a identifié un cas de traite dans un restaurant et a mis en œuvre [la procédure]. En plus de réformer la manière d’interroger les victimes, les inspectrices et les inspecteurs savent désormais ce qu’ils doivent faire lorsqu’ils identifient un cas : comme le fait qu’ils doivent alerter les acteurs-clés pour assurer un accompagnement et une attention holistique aux victimes de traite.

- Inspecteur du travail – ministère du Travail et de la Sécurité sociale , Honduras

d’un cas de traite des personnes, assurant que la victime puisse s’exprimer librement et soit consultée sur ses besoins, notamment sanitaires, psychologiques, sociaux et de sécurité. La prise en compte de la parole de la victime permet, par ailleurs, de la référer aux services pertinents selon ses besoins.

Les forces de police sont mieux formées pour prévenir la traite de personnes et intervenir en cas de signalement

Au Costa Rica, le projet a permis de faire évoluer le cours de base sur la traite des personnes qui était dispensé par l’Académie nationale de police en y intégrant les indicateurs de la traite, l’accueil et l’approche des victimes ainsi que la mise en œuvre des droits de l’enfant. Les élèves suivant ce cours développent ainsi les compétences nécessaires pour accompagner les victimes de traite des personnes de façon adéquate dans le cadre des fonctions qui leur incomberont.

La prévention de la traite des personnes au sein des communautés, centrale pour endiguer ce crime, a également été renforcée par la création d’une formation destinée au programme de prévention de la police, ciblant en particulier les interventions auprès des enfants. Au Honduras,

les nouvelles recrues de la Police nationale pourront, par ailleurs, mener des interventions plus efficaces contre la traite, avec l’intégration de la formation développée en collaboration avec l’IBCR au sein de l’Académie de police de façon permanente.

Le cours nous a appris comment traiter les enfants et l’importance de la situation de chaque enfant. Nous avons également appris qu’ils ont des droits et que nous devons les écouter […].

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Formation de personnes formatrices pour l’École de la magistrature du Costa Rica, San José, juillet 2018
// Les acteurs du système de protection savent mieux identifier, signaler, prévenir et accompagner les cas de traite des personnes //
- Instructeur de l’Académie nationale de police, Costa Rica

Ainsi, grâce aux diverses formations conçues dans le cadre de ces projets, les forces de police honduriennes et costaricaines sont en mesure d’améliorer leurs approches et leurs interventions au regard des victimes

98 %

des acteurs institutionnels impliqués dans le projet au Honduras ont déclaré que leur participation leur a permis d’introduire des changements positifs dans leurs pratiques pour mieux protéger les enfants contre la traite des personnes.

Près de 400 agentes et agents

Cérémonie de remise des diplômes aux formatrices et aux formateurs de la police certifiés aptes à enseigner le cours créé dans le cadre du projet au Honduras, Tegucigalpa, août 2022

du programme de prévention de la police ont été formés dans le cadre du projet au Costa Rica. Parmi eux, 49 ont bénéficié des formations conçues dans le cadre du projet, et ont ensuite formé 350 autres fonctionnaires de police qui seront, entre autres, amenés à travailler dans les communautés, en contact direct avec les enfants ou encore dans le secteur du tourisme.

Lorsque j’étais à la police touristique, j’ai dû m’occuper de cas de trafic de personnes dans la région de La Fortuna. Ils amenaient des filles et les gardaient dans des bars où ils les prostituaient. […] Certaines d’entre elles étaient des étrangères, on leur avait confisqué leurs téléphones portables, leurs passeports et elles étaient retenues de force... c’est à ce moment-là que j’ai compris ce qui nous avait été expliqué pendant le cours.

- Instructeur à l’Académie de police, Costa Rica

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Les acteurs de la justice doivent garantir le plein respect des droits des victimes et favoriser leur participation à toutes les procédures judiciaires. Grâce aux formations conçues dans le cadre des projets, le personnel de justice dispose désormais d’outils adéquats pour mettre ces principes en pratique, notamment dans ses interactions avec les victimes de traite. Les juges savent désormais mieux identifier les cas de traite dans les affaires dont ils sont saisis

92,5 %

des acteurs de la justice visés par le projet au Honduras estiment être en mesure d’identifier les situations à risque et le profil des personnes à risques, et 89 % pensent pouvoir reconnaître les cas de traite lorsqu’ils y sont confrontés.

96,6 %

de ces acteurs estiment que le projet leur a permis de renforcer leurs compétences en la matière.

Atelier de validation des outils de formation pour le secteur de la justice, San Jose, Costa Rica, février 2018

J’ai eu la charge d’une affaire […] dans laquelle un homme a enlevé une jeune fille mineure en utilisant de la drogue pour l’emmener dans différents sites touristiques pour l’utiliser comme prostituée. La chambre de première instance a condamné l’affaire pour le crime de privation de liberté et de viol. Quand ils sont venus me voir, grâce aux connaissances acquises dans le cours, j’ai pu leur dire qu’il ne s’agissait pas de proxénétisme ou de viol, mais qu’il s’agissait du crime de traite des personnes. […] Le cours m’a permis de faire la différence.

- Juge de première instance, Costa Rica

Le rôle du personnel de l’inspectorat du travail dans la lutte contre la traite est valorisé

Si le rôle des forces de police, du personnel de justice et du secteur social dans la lutte contre la traite des personnes est reconnu, celui de l’inspectorat du travail l’est moins. Pourtant, le rôle d’inspection des lieux de travail place les professionnelles et les professionnels de ce secteur en première ligne pour identifier certains cas de traite. Pour pallier le manque de formation à leur disposition sur le sujet, un module de formation a été développé et une procédure définie en partenariat avec le ministère

Formation de personnes formatrices pour l’École de la magistrature du Costa Rica, San José, juillet 2018

du Travail et de la Sécurité sociale au Honduras. Ces deux outils ont permis aux membres de l’inspectorat du travail de mieux connaître la traite des personnes, de savoir identifier les cas dans le cadre de leurs fonctions et de réagir de façon adaptée.

Le rôle de ces acteurs a ainsi été valorisé, non seulement par des outils dédiés, mais également auprès des autres secteurs impliqués dans la lutte contre la traite

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Les acteurs de la justice sont plus aptes à identifier les cas de traite et à réagir adéquatement

des personnes au Honduras. Cela a permis de donner plus de sens à leur travail et de resserrer les mailles du système de protection pour le rendre plus efficace contre la traite.

Un professionnel [du ministère du Travail et de la Sécurité sociale] contacté par le PANI43 a dû s’occuper du cas d’une jeune fille qui était exploitée dans un magasin […]. Lorsqu’il a vu la situation, il a compris qu’il s’agissait peut-être d’un cas de traite des personnes et a transmis l’affaire au Bureau du procureur chargé des questions de genre. Et, par le biais du PANI, il a eu à traiter d’autres cas, dans lesquels il a détecté qu’il ne s’agissait pas seulement de travail, mais qu’il s’agissait de traite des personnes et a ainsi porté plainte.

- Membre de la CONATT, Costa Rica

La capacité d’action des associations nationales face à la traite est accrue

La société civile joue un rôle important dans la prévention mais aussi dans l’identification et la réhabilitation des victimes de traite des personnes. Pour renforcer ce rôle, le personnel des organisations de la société civile des deux pays visés (en particulier au Honduras) a bénéficié de formations et d’un accompagnement similaire à celui mené auprès des acteurs étatiques. Ce renforcement a également été pensé afin de favoriser la collaboration entre ces deux secteurs. Ont été ciblées, en particulier, les organisations travaillant auprès des populations à risque, soit les enfants, les femmes, les communautés autoch-

96,3 %

des femmes et des filles ainsi que des membres des minorités ethniques et des communautés LGBTQI+ ayant pris part au projet affirment être désormais conscients, grâce au projet, des facteurs de risque concernant la traite, des conséquences et des ressources disponibles pour y faire face.

18 organisations

de la société civile hondurienne ont été renforcées en matière de veille sociale liée à la traite des personnes,

87 % des représentantes et des représentants communautaires impliqués dans le projet affirment que ce dernier leur a permis de développer ou de renforcer leurs compétences en matière de veille sociale.

tones, d’ascendance africaine ou encore LGBTQI+.

Partant de niveaux de connaissance disparates en matière de traite des personnes, les membres des organisations visées sont désormais en mesure, grâce aux actions menées dans le cadre des projets, de mieux identifier les situations de traite, de réaliser des activités de prévention efficaces et adaptées et de mettre en œuvre des techniques de « veille sociale » permettant de surveiller les dynamiques communautaires pouvant favoriser la traite des personnes.

Outils de formation conçus pour les communautés autochtones du Honduras

Des représentantes des communautés honduriennes d’ascendance africaine participant à un atelier de formation pour renforcer leurs capacités à prévenir et lutter contre la traite des personnes, Honduras, 2022

34
43
43. Patronato Nacional de la Infancia (PANI), l’office nationale pour l’enfance

Les acteurs visés s’adaptent plus facilement aux différents cas de traite

Les formations ont été développées de manière participative avec les groupes cibles, qui en ont validé le contenu et les messages-clés en s’assurant de leur pertinence au regard des contextes propres à chaque pays. Cette adaptation permet de créer un sentiment d’identification qui facilite l’appropriation du contenu, et assure aux personnes participantes de développer les compétences requises et une capacité à s’adapter aux situations qu’elles pourront potentiellement rencontrer dans le cadre de leurs fonctions.

J’ai beaucoup apprécié [la formation conçue pour l’École de la magistrature], notamment parce qu’elle va au-delà de la théorie. Elle est adaptée au contexte latino-américain et tous les exemples et applications sont tirés des expériences personnelles des participants.

- Juge à la cour d’appel en matière pénale, Costa Rica

// Les changements de pratiques et de perception sont pérennisés

Les professionnelles et les professionnels ont accès aux formations conçues de façon permanente

Pour favoriser la pérennisation et la généralisation des changements de pratiques, les formations développées dans le cadre des projets menés par le Bureau ont vocation à être intégrées durablement au sein des écoles de formation professionnelle ayant collaboré à leur création, ou à être dispensées et répliquées par les structures ne disposant pas d’écoles de formation (c’est le cas de la CICESCT, de la CONATT et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale du Honduras). Ainsi, au Costa Rica comme au Honduras, près d’une centaine de personnes ont été formées et certifiées et sont désormais en mesure de dispenser la formation sans l’appui du projet. Cela garantit que les formations pourront se poursuivre après la fin du projet, et rejoindre une audience plus large, favorisant les changements systémiques

Au Costa Rica, la formation développée en collaboration avec la CONATT, initialement pensée comme une ressource didactique facilement modulable selon les disponibilités des membres de la Coalition, a finalement été intégrée aux écoles de formation des forces de police et du personnel de justice, et est désormais dispensée par les personnes formatrices qui ont été certifiées dans le cadre du projet. Les acteurs de ces secteurs auront ainsi développé au cours de leur cursus de formation les compétences nécessaires en matière de traite des personnes et de droits de l’enfant pour réagir de façon adéquate devant les situations qu’ils seront amenés à rencontrer dans le cadre de leurs fonctions.

Les procédures définies dans le cadre du projet ont également vocation à être diffusées durablement auprès des publics cibles, voire à intégrer les différents programmes de formation initiale ou continue pour être connues et respectées par tous les acteurs impliqués.

Deux formations

conçues dans le cadre du projet ont été intégrées respectivement dans les programmes de l’École de police nationale et de l’Académie judiciaire du Honduras, et seront dispensées de façon pérenne.

92 personnes

ont été certifiées aptes à dispenser la formation conçue dans le cadre du projet au Honduras pour chaque secteur institutionnel, et 61 au Costa Rica.

Signature de l’accord de partenariat avec l’École de la magistrature du Honduras, Tegucigalpa, juin 2021

35
//

La formation sur la traite des personnes est durable, car il s’agit d’un sujet essentiel au sein du ministère public […]. Cela a permis de mettre en place une formation spécialisée et de la perpétuer.

- Professionnelle de l’Unité de formation et de supervision du ministère public, Costa Rica

Photo de groupe au cours d’une formation certifiant des personnes formatrices de l’École judiciaire du Costa Rica, qui seront aptes à dispenser le cours conçu dans le cadre du projet, juillet 2018

L’approche andragogique se généralise au sein des structures de formation professionnelle

En associant les institutions, les écoles de formation professionnelle et les personnes certifiées formatrices au développement et à la diffusion des outils de formation conçus avec une approche andragogique, les projets menés favorisent l’appropriation de cette dernière par les partenaires locaux. Caractérisée par l’utilisation d’études de cas, de jeux de rôles et de mises en situation ainsi que par l’analyse de situations concrètes liées à la pratique professionnelle du secteur, cette approche permet d’ancrer les compétences dans les pratiques.

Ainsi, certaines écoles, telles que l’Unité de formation et de supervision du ministère public du Costa Rica, se sont approprié cette méthode et l’incorporent dorénavant dans d’autres cours. Cela permet de renforcer globalement les apprentissages dispensés et les compétences développées par les personnes apprenantes en matière de traite, mais également sur d’autres sujets nécessaires à la bonne mise en œuvre de leurs pratiques dans leurs fonctions une fois diplômées.

De gauche à droite : Atelier donné lors de la formation de personnes formatrices pour la CONATT, Costa Rica, février 2019

Tournage d’outils audiovisuels qui seront intégrés dans les formations institutionnelles par la suite, Costa Rica, novembre 2018

Atelier ludique lors de la formation de personnes formatrices pour l’École judiciaire du Costa Rica, San José, juillet 2018

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Photo de groupe au cours d’une formation certifiant des personnes formatrices au sein de l’organe d’enquêtes judiciaires du ministère public du Costa Rica, qui seront aptes à dispenser le cours conçu dans le cadre du projet, juillet 2018

Les organisations de la société civile s’approprient les formations et les adaptent à leur communauté

Pour que les formations conçues avec les organisations de la société civile remplissent pleinement leur office et garantissent un renforcement à long terme, elles doivent être dispensées de façon régulière et pérenne pour suivre l’évolution du personnel des organisations. Cependant, ces dernières n’ont pas toujours les ressources, le temps ou les compétences suffisantes pour continuer à dispenser des formations de plusieurs heures sans appui extérieur. Ce défi explique en partie la difficulté d’intégrer la société civile à la lutte contre la traite des personnes.

Pour relever ce défi, une initiative pilote a été menée au Honduras avec l’octroi de subventions financières, accompagnées d’un soutien technique auprès d’organisations de la société civile sélectionnées sur la base d’un appel à projets. Cet appui a permis aux organisations de s’approprier les formations reçues et de les repenser dans un format plus adapté au contexte de leur communauté. Ainsi, prenant la forme d’une application mobile accessible aux jeunes filles, d’une campagne de sensibilisation ou de plaidoyer, ou encore d’une pièce de théâtre, la formation sur les droits des victimes de traite a été adaptée et diffusée auprès des communautés visées, permettant de renforcer leurs compétences de façon novatrice et efficace, allant au-delà de la seule formation reçue.

30 actions

communautaires novatrices ont été mises en œuvre au Honduras avec l’appui du projet pour prévenir et lutter plus efficacement contre la traite des personnes.

Public venu assister à l’une des représentations de la pièce de théâtre « El vuelo de una monarca » conçue pour sensibiliser le grand public aux risques de la traite des personnes, Honduras, 2021

Représentation de la pièce de théâtre « El vuelo de una monarca », créée par l’une des organisations de la société civile soutenues par le Bureau à travers son projet au Honduras, et conçue à partir de l’expérience de jeunes filles vivant dans des quartiers très touchés par les crimes de traite, Honduras, 2021

Les formations sont étendues au niveau régional

Dans les deux pays, les formations ont eu un impact régional du fait du mandat de certaines écoles de formation partenaires. C’est le cas de l’Académie judiciaire du Costa Rica, qui a dispensé son cours sur la traite des personnes, basé sur celui qui a été conçu dans le cadre du

projet et adapté en format numérique, auprès du personnel de justice d’Amérique centrale et des Caraïbes et de la magistrature des différents pays ciblés. L’Académie de police du Honduras s’est, quant à elle, approprié la formation développée et l’a adaptée et dispensée par la

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suite auprès de membres de la Police nationale de huit pays de la région (Argentine, Bolivie, Équateur, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama et Pérou) - une initiative qui sera amenée à se répéter et à s’étendre à d’autres pays dans les années à venir.

Ainsi, la certification de personnes formatrices, l’appropriation des méthodes andragogiques et le mandat particulier de certaines écoles ont conféré à la formation une portée qui va bien au-delà de son contexte initial, permettant par là même de renforcer les dynamiques et les collaborations régionales, nécessaires pour lutter efficacement contre la traite des personnes

Les organes nationaux de coordination sont plus solides

Comme mentionné plus haut, la nature même de la traite des personnes nécessite une intervention multisectorielle et coordonnée. La CONATT et la CICESCT, en tant qu’organes nationaux de coordination, sont donc au cœur d’une action efficace. Cependant, la complexité de leur mandat, incluant la coordination d’une diversité de membres ainsi qu’une intervention immédiate pour les cas identifiés, exige des ressources importantes, qui dépassent souvent celles qui leur sont octroyées.

Pour renforcer ces institutions, le projet au Costa Rica a permis la définition et la clarification, entre autres, de 16 processus internes à la CONATT. Représentés graphiquement dans un outil dédié, ces processus schématisent et clarifient l’action de chaque institution membre. Les interventions sont ainsi plus efficaces, les risques de

victimisation secondaire sont réduits, et le contrôle et le suivi des cas de traite sont améliorés. À l’instar des formations conçues dans le cadre des projets, certains de ces diagrammes ont par la suite été intégrés à la formation des corps professionnels visés, et seront donc utilisés

Les outils créés dans le cadre du projet […] peuvent avoir un impact sur la vie des victimes, car ils permettent un traitement homogène et garantissent leurs droits.

- Membre de la CONATT, Costa Rica

38
// Les actions de lutte contre la traite des personnes sont mieux coordonnées //
de façon pérenne. L’IBCR est signataire depuis 2019 de la campagne Cœur Bleu, une initiative qui vise à mobiliser l’opinion publique dans le monde entier pour lutter contre la traite d’êtres humains et ses conséquences sur la société, Tela (Atlántida), 2019 Voyage d’échange au Panama pour un officier de l’École nationale de police costaricaine spécialisé dans la traite des personnes, juillet 2017

Parallèlement à la coordination entre leurs différents membres, le projet a également appuyé l’organisation interne de ces structures. Ainsi, au Honduras, les outils conçus ont permis de standardiser les liens entre le comité national et les comités locaux de la CICESCT, organes décentralisés contribuant à la lutte contre la traite des personnes au niveau local. Le processus de référencement des victimes vers les services et les structures pertinentes a été amélioré et le rôle des comités locaux et des équipes de réponse immédiate a été clarifié dans la procédure d’intervention. La participation des organisations de la société civile au sein de la CICESCT

Le projet a eu un impact positif parce que [la procédure] a facilité l’intervention des professionnelles et des professionnels, même s’ils ne sont pas des experts en matière de traite. [L’outil conçu] propose un chemin facile à suivre pour assurer une réponse adéquate aux victimes de traite.

- Professionnel de la Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale et la traite au Honduras (CICESCT)

par le biais de ses comités locaux a également été valorisée et cadrée.

Le renforcement des instances de coordination peut donc prendre plusieurs formes : améliorer l’organisation interne pour favoriser la décentralisation, renforcer la coordination des acteurs impliqués, standardiser les cellules de réponse immédiate, etc. Pour remplir leur mission et lutter efficacement contre la traite, ces instances doivent être, à l’instar du crime commis, diverses, complexes et protéiformes. Cela nécessite un travail d’adaptation, de perfectionnement et de renforcement constant, appuyé par les divers outils conçus dans le cadre des projets.

Exercice et photo de groupe pendant la formation de personnes formatrices pour la CONATT, Costa Rica, février 2019

Atelier de coordination avec la Commission inter-institutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale et la traite des personnes (CICESCT), Tela (Atlántida), Honduras, 2019

La coordination sectorielle et multisectorielle est renforcée

Si les organes de coordination jouent un rôle essentiel dans la lutte contre la traite des personnes, les secteurs impliqués doivent également faire preuve de coordination interne et connaître les autres acteurs à solliciter selon les situations rencontrées. Des enjeux ciblés par les différents outils développés dans le cadre des projets, qui ont permis de clarifier ces interactions.

La procédure développée avec le secteur de la justice au Honduras a ainsi permis de clarifier le processus d’accompagnement de la victime de traite au sein du système de justice et d’harmoniser les interventions, en particulier autour de trois moments d’interaction : la preuve anticipée, l’audience initiale et le procès. Les éléments sont ainsi résumés dans un seul document, qui décrit concrètement le processus à suivre et les façons de l’adapter

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à chaque victime. Le personnel judiciaire peut désormais s’appuyer sur un outil présentant une vision d’ensemble des étapes par lesquelles passe une personne qui sera entendue comme témoin, et est ainsi à même de lui garantir une attention de qualité

Grâce aux actions du projet, 100 %

des acteurs étatiques visés au Honduras sont désormais conscients de leur rôle et de leurs responsabilités dans la prévention et la lutte contre la traite des personnes, et 98 %

affirment être conscients du rôle des autres secteurs institutionnels.

Le projet a contribué à améliorer la gestion judiciaire qui s’effectue dans les différents organes juridictionnels du pays, de sorte que chaque fonctionnaire puisse connaître conjointement la procédure qui doit être appliquée, afin de générer la sécurité et la tranquillité d’esprit pour les victimes directes.

- Conseillère pédagogique du secteur de la justice, Honduras

De haut en bas : Événement dévoilant la cartographie du système de lutte contre la traite des personnes au Costa Rica, San José, août 2018

Atelier de développement d’outils destinés au secteur de la police, Costa Rica

Maintenant, je suis capable d’identifier des cas de traite et d’aider les victimes en les orientant vers les services disponibles pour leur fournir des soins et du soutien. […] cette coordination avec les autres acteurs est très importante parce que nous (forces de police) sommes souvent les premiers acteurs qui entrent en contact avec une victime de traite, mais d’autres acteurs, comme Casa Alianza ou la CICESCT, mettent en œuvre d’autres types d’actions pour accompagner les victimes et répondre à leurs besoins.

- Agente de police, Honduras

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Atelier avec le ministère du Travail, Tegucigalpa, Honduras, 2020

// Les espaces d’échanges sont mis en valeur //

La collaboration nationale est renforcée, au moyen d’espaces de rencontre entre les secteurs

Plusieurs ateliers de réflexion et de travail ont été organisés au cours des projets, rassemblant des acteurs variés représentant les institutions et la société civile (en particulier au Honduras), souvent issus de plusieurs secteurs impliqués dans la lutte contre la traite. Véritables espaces de rencontre, ces ateliers ont permis aux différentes parties prenantes de la lutte contre la traite des personnes de mieux se connaître et d’améliorer les canaux de communication, créant un véritable réseau de protection.

Les organes de gouvernance ont également contribué à développer la création de liens et la collaboration entre les différents secteurs. De façon générale, les projets menés ont su impliquer et mobiliser une multiplicité d’acteurs, issus de secteurs divers, évoluant dans des contextes spécifiques et ayant des rôles différents dans la lutte contre la traite des personnes, autour d’une initiative commune.

L’approche multisectorielle et participative illustrée ici a donc contribué à créer ou à consolider des liens de confiance entre les différents secteurs, favorisant ainsi la collaboration nécessaire à une approche systémique

Un autre aspect qui a ajouté de la valeur au cours a été les liens qui ont été établis entre les bureaux des procureurs et les enquêteurs judiciaires dans les différentes régions avec le bureau responsable de la traite des personnes à San José. Les procureurs ont désormais un accès direct et peuvent s’informer en cas de doute et recevoir un retour d’information.

Dans ces réunions […], nous avons également eu l’occasion d’échanger avec d’autres fonctionnaires, ce qui a permis d’obtenir le soutien de différentes institutions, telles que la police, le ministère public, l’armée et les services de sécurité. […] C’est extrêmement important de créer des espaces où toutes les institutions sont impliquées, donc nous avons pu nous connaître un peu mieux, créer des liens, ce qui est très important […]. Nous avons pu voir quelles sont les lacunes et les faiblesses de chacune des institutions.

- Conseillère pédagogique, secteur de la justice, Honduras

41
- Bureau du procureur adjoint, Costa Rica Atelier de travail thématique sur les migrations impliquant divers secteurs visés par le projet, Costa Rica, février 2016

Des liens sont créés au niveau régional

Nous l’avons vu, la traite des personnes constituant souvent un crime transnational, elle demande une approche et une intervention coordonnées au niveau régional. Plusieurs instances ont été créées avec cet objectif, telles que la Coalición Regional contra la Trata de Personas y el Tráfico Ilícito de Migrantes (CORETT) ou le Grupo de accion regional de las Americas (GARA)44. Ces deux instances ont été visées par les actions menées au Honduras et au Costa Rica, à la fois avec une contribution financière pour l’organisation d’espaces de rencontre, et en les invitant aux ateliers régionaux organisés dans le cadre des projets.

Quatre événements régionaux ont ainsi été mis sur pied, réunissant diverses parties prenantes de la lutte contre la traite des personnes au niveau régional, notamment la CORETT, des ambassades, des organisations nationales et internationales ou encore des responsables de différents secteurs impliqués dans la lutte contre la traite des personnes. Ces rencontres ont permis de renforcer les liens régionaux et l’échange de bonnes pratiques en

matière de prévention, d’investigation et d’accompagnement des victimes de traite des personnes

D’autres initiatives individuelles ont aussi été organisées, visant le dialogue entre professionnelles et professionnels de différents pays. Ainsi, des échanges internationaux ont permis à des membres de la police et du secteur de la justice du Canada, du Panama, de la Colombie, d’Amérique centrale et des Caraïbes de se rencontrer pour partager les pratiques de chaque pays, mieux comprendre ce qui fonctionne ou non et en tirer des apprentissages pour son propre contexte.

Au total, 10 ateliers régionaux d’échanges ont été organisés dans le cadre des deux projets (6 au Costa Rica et 4 au Honduras), rassemblant plus de 360 personnes représentant des institutions étatiques nationales, régionales ou des organisations de la société civile.

[Les échanges] ont été très précieux parce que le crime de traite des personnes est un crime transnational dans de nombreux cas, donc être capable d’apprendre comment des situations de cette nature sont traitées dans d’autres contextes juridiques [...] m’a semblé irremplaçable.

- Juge de première instance et formateur à l’École judiciaire, Costa Rica

42
44. Groupe d’action régionale des Amériques Congrès régional contre la traite des personnes organisé au Costa Rica, San José, septembre 2018

Congrès régional contre la traite des personnes organisé au Honduras, Tegucigalpa, octobre 2021

Cette visite à Montréal m’a permis de mieux comprendre le profil des victimes et combien il est essentiel de leur fournir une assistance adéquate pour lutter contre la traite des personnes. […] J’ai constaté que le problème de la rareté des cas de traite signalés au Costa Rica est également présent au Canada […].

Afin de réduire la distance observée entre les institutions étatiques et les organisations de la société civile, il était primordial de créer des espaces pour réunir ces acteurs. Au Honduras, les activités du projet ont permis de générer des interactions et de nouer des liens entre organisations de la société civile et institutions gouvernementales - une avancée saluée par les associations participantes. Pour la société civile, initier un contact avec les institutions semble parfois difficile, ces dernières pouvant apparaître comme inaccessibles. Rassembler ces acteurs en un même lieu et autour d’un même objectif a permis, parfois pour la première fois, de poser les bases d’une relation de confiance, qui permettra, à terme, de favoriser une intervention globale et coordonnée afin de contrer la traite des personnes 45

81,5 %45 des membres de la société civile impliqués dans le projet au Honduras affirment que leur participation aux décisions locales et nationales visant à prévenir et à combattre la traite des personnes s’est améliorée au cours des trois dernières années.

Enfants consultés lors du développement de la cartographie du système de lutte contre la traite des personnes, Costa Rica, 2016

43 Des liens
45. 86 % pour les décisions locales et 77 % nationales
entre les acteurs institutionnels et communautaires sont noués
- Juge, Costa Rica Membres de l’École nationale de police du Costa Rica en visite auprès de l’association « Hogar Casa de Pan », San José, février 2018

Pour aller plus loin : les incontournables de la lutte contre la traite des personnes

Les projets menés au Honduras et au Costa Rica ont permis d’impulser des changements dans la prévention et la lutte contre la traite des personnes au niveau institutionnel et communautaire dans deux pays durement touchés par ce crime et ses conséquences. Au

regard de l’expérience du Bureau international des droits des enfants au cours de ces sept années de présence en Amérique centrale, plusieurs points apparaissent comme incontournables pour combattre efficacement la traite des personnes.

Par sa nature complexe, la lutte contre la traite des personnes implique de nombreuses organisations publiques et privées, communautaires et institutionnelles, locales et nationales. Documenter et comprendre les défis inhérents à la prévention, à la poursuite des crimes liés à la traite des personnes et à la réhabilitation des victimes est primordial pour identifier les acteurs ayant un rôle à jouer à chacune de ces étapes.

Il importe ainsi de toujours baser les initiatives de lutte contre la traite sur une analyse détaillée prenant en compte les diverses modalités du crime. Ceci permet d’identifier et de cibler tous les acteurs, en particulier les moins conventionnels, pouvant agir pour créer un

système de protection contre la traite qui soit efficace et solide. Les acteurs dits « conventionnels » désignent les organisations et les professions qui, par leur mandat, jouent un rôle reconnu et dont les actions ont des effets notables dans la lutte contre la traite des personnes. Ils rassemblent ainsi les forces de police, le personnel de justice, les services sociaux, les organes de coordination ou encore, dans une moindre mesure, la société civile. D’autres acteurs, moins visibles de prime abord, peuvent pourtant se révéler essentiels pour endiguer certaines modalités de traite ; il est donc primordial de les identifier ainsi que de renforcer et de valoriser leur rôle, afin de créer un vrai bouclier de protection contre toutes les modalités de la traite des personnes.

// Renforcer le positionnement des organes de coordination nationaux et régionaux //

Le caractère transnational et protéiforme de la traite des personnes suppose une intervention à son image. Il est donc essentiel d’impliquer les organes de coordination, tels que la CICESCT, la CONATT ou encore la CORETT, dans tout projet concernant la traite, qu’il soit destiné aux ac-

teurs étatiques, à la société civile ou aux personnes et aux communautés en situation de vulnérabilité.

Il importe également de prendre conscience du contexte particulier dans lequel évoluent ces organes, dont l’exis -

44
// Valoriser des acteurs moins conventionnels dans la lutte contre la traite des personnes //

tence dépend des choix politiques, qui regroupent des acteurs aux pratiques et aux intérêts divergents et qui ne peuvent pas s’appuyer sur une institution de forma-

tion centralisée. Les partenariats et la pérennisation des actions menées à leur encontre nécessitent donc de faire preuve de flexibilité et d’innovation.

// Maintenir l’équilibre entre les approches utilisées //

Plusieurs approches coexistent dans la lutte contre la traite des personnes. Celles-ci sont souvent choisies en fonction des priorités ou des mandats des acteurs impliqués ou des bailleurs de fonds. L’approche répressive, l’attention aux victimes et l’autonomisation des acteurs non conventionnels en sont trois exemples. Toutefois, pour assurer une intervention adéquate contre la traite, toutes ces approches devraient coexister. À titre d’exemple, les procédures définies avec les partenaires des projets menés au Honduras et au Costa Rica, qui visaient à renforcer la capacité de poursuite des crimes, ont également été centrées sur l’expérience de la victime.

Mêler plusieurs approches dans les actions de renforcement permet de mettre en œuvre des interventions plus adéquates, et de relever des défis différents. Utiliser ces trois approches dans toute initiative favorise ainsi le renforcement global du système de protection contre la traite : les outils répressifs, l’accompagnement et la réhabilitation des victimes ainsi qu’une prévention plus efficace qui permettent aux victimes et aux individus risquant de le devenir pleinement acteurs de leurs droits.

Informer et conscientiser peut être utile, mais ne suffit pas à fournir des moyens d’action pour lutter contre la traite des personnes. Permettre aux acteurs visés de développer des compétences complètes et d’être outillés en la matière, qu’ils représentent la société civile ou l’État, leur assure de savoir comment agir face à la traite. Ainsi, les activités de formation doivent aller plus loin que la seule sensibilisation ou des initiatives ponctuelles. En plus de transmettre des outils et de développer les compétences, les actions de renforcement doivent être pensées comme un processus favorisant l’ancrage des compétences, et répétées afin de multiplier leur impact. Les formations virtuelles se sont, par exemple, révélées

être des outils intéressants en ce sens dans les deux projets. Elles permettent de réduire le coût d’un cours, sont plus accessibles aux personnes éloignées des centres urbains et favorisent la création d’espaces d’échanges à plus grande portée. Ce format peut aussi présenter un grand intérêt pour la formation continue, en cas de partenariat avec un ministère ou un organe de coordination.

Permettre le développement de compétences demande également d’innover lorsqu’on travaille avec la société civile et le secteur informel, qui ne possèdent ni les ressources ni les structures pour reproduire facilement une formation. À ce sujet, les initiatives financées par le

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// Favoriser un développement de compétences pérenne plutôt que la sensibilisation et l’acquisition de connaissances //
Congrès régional contre la traite des personnes organisé au Honduras, Tegucigalpa, octobre 2021

projet au Honduras ont eu un impact au niveau communautaire, en permettant de réaliser une variété d’actions et de rejoindre un grand nombre de personnes au sein des communautés46. Cet appui financier et technique constitue un exemple de processus novateur pour renforcer les

compétences de la société civile – champ d’action qui mérite d’être exploré et qui fait l’objet de plusieurs initiatives pilotes pour une approche efficace et intégrale de lutte contre la traite des personnes.

// Travailler à reconstruire la confiance //

La traite de personnes reposant en grande partie sur l’abus de pouvoir et sur la tromperie, reconstruire un lien de confiance entre les communautés et l’État, mais aussi entre les communautés elles-mêmes apparaît comme une étape incontournable pour lutter efficacement contre ce crime. Renforcer la confiance entre les communautés et les agentes et les agents de l’État permet d’augmenter le nombre de dénonciations et de faciliter la poursuite et la sanction des cas de traite des personnes. Recréer ou consolider le lien nécessaire entre les populations contribue par ailleurs à prévenir les situations propices à la traite et favorise la réintégration des personnes victimes au sein de la société.

Ainsi, créer des espaces d’échanges, outiller les corps de métier pertinents et les communautés pour leur permettre d’agir en respectant les droits humains – que ce soit la non-discrimination, la dignité dans l’intervention ou encore la participation – et renforcer la capacité des personnes vulnérables à être acteurs de leurs droits et de leur protection contribue à créer des liens de confiance qui entravent les mécanismes de la traite. Par l’adoption d’une approche diversifiée et équilibrée misant sur la confiance et un environnement protecteur, le renforcement de l’ensemble des acteurs concernés directement ou indirectement par la traite des personnes est favorisé, tout comme la création de liens entre eux. Ce faisant, les mailles du système de protection contre la traite des personnes sont resserrées, et tous les acteurs en faisant partie y contribuent et agissent de concert pour une meilleure protection des populations contre la traite des personnes.

12 000 élèves et 250 enseignant[e]s.

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46. Les outils sur la traite des personnes conçus dans le cadre du projet au Honduras ont ainsi été diffusés par une organisation de la société civile partenaire appartenant au système éducatif, qui a mobilisé 45 centres éducatifs et permis de rejoindre Membres de l’École nationale de police du Costa Rica en visite auprès de l’association « Hogar Casa de Pan », San José, février 2018 Dessin réalisé par un enfant lors de la consultation liée au développement de la cartographie, Costa Rica, 2016

À PROPOS DU BUREAU INTERNATIONAL DES DROITS DES ENFANTS

Le Bureau international des droits des enfants (IBCR) est une organisation non-gouvernementale internationale basée au Canada et agissant pour les droits de l’enfant depuis près de 30 ans dans environ 50 pays d’Afrique, d’Asie, des Amériques et du Moyen-Orient.

Avec une approche participative et durable, nous œuvrons avec nos partenaires sur le terrain à la promotion et à la protection des droits de l’enfant, qu’il soit en contact avec le système de justice ou confronté à une situation d’urgence. Nous veillons également à ce que les enfants soient protégés contre toute forme d’exploitation, de violence et d’abus.

L’écoute, la participation et la protection de l’enfant sont au cœur de toutes nos actions.

NOTRE VISION

// NOS ACTIONS //

Des projets dans le monde entier : des actions à court, moyen ou long terme pour améliorer durablement et globalement la protection des enfants et le respect de leurs droits.

Des campagnes de plaidoyer en faveur du changement, pour diffuser nos messages et défendre notre vision devant les institutions et les gouvernements.

Du volontariat international, pour renforcer la capacité d’action de nos partenaires répartis dans 11 pays et contribuer à améliorer la protection et le respect des droits de l’enfant dans ces pays.

47 © AdobeStock / yanadjan
//
// Un monde où chaque enfant jouit de ses droits en toute égalité et en toute circonstance.

// NOS MÉTHODES //

ÉCOUTER nos partenaires et collaborer avec eux afin de développer, à partir de processus existants, des solutions novatrices, durables et respectueuses des droits de l’enfant

RENFORCER les capacités des acteurs de première ligne pour faire face aux différents problèmes qui affectent les enfants

VALORISER la participation active de toutes et de tous, y compris des enfants

MOBILISER chaque personne, chaque communauté et chaque institution pour qu’elle devienne actrice de changement

FAVORISER la coopération entre les professionnelles et les professionnels responsables de la protection de l’enfant

SOUTENIR et PROMOUVOIR des réformes, des plans d’action et des législations en faveur des droits de l’enfant

L’IBCR EN CHIFFRES...

4 BUREAUX dans le monde

Près de 30 ANS D’EXISTENCE

Près de 50 PAYS CIBLÉS par nos projets

Les droits de plus de 2,9 MILLIONS D’ENFANTS MIEUX RESPECTÉS grâce à nos actions

Environ 60 PERSONNES

EMPLOYÉES de façon permanente

Plus de 5 500 ENFANTS CONSULTÉS dans le cadre de nos projets

Plus de 66 000

PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS

FORMÉS aux droits de l’enfant

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© Rawpixel

Annexe : Brève description des projets

COSTA RICA HONDURAS

TITRE

Renforcement des institutions pour lutter contre la traite des personnes

Autonomiser les acteurs du changement pour lutter contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des filles

PÉRIODE

Septembre 2015 à septembre 2019 Avril 2019 à novembre 2022

OBJECTIF

Contribuer à la professionnalisation et au renforcement des capacités des acteurs-clés impliqués dans la lutte contre les crimes reliés à la traite des personnes au Costa Rica, dans le but d’améliorer l’intervention des autorités costariciennes, en particulier en matière de surveillance, de prévention, d’enquête et de poursuite en justice.

Contribuer à la professionnalisation et au renforcement des capacités des acteurs-clés impliqués dans la lutte contre les crimes reliés à la traite des personnes au Honduras, dans le but d’améliorer l’intervention des autorités honduriennes, en particulier en matière de protection, de prévention et de poursuite en justice, et la capacité d’action des communautés à risque face à ce crime.

PARTENAIRES PRINCIPAUX

La Coalition nationale contre le trafic illicite de migrants et la traite de personnes (CONATT), le pouvoir judiciaire par le biais de procureures ou de procureurs spécialisés en matière de traite (FACTRA) et l’unité de la traite de personnes (UNITRAT) de l’organisme d’enquête judiciaire (OIJ), les écoles et les unités de formation du secteur police et justice.

La Commission interinstitutionnelle contre l’exploitation sexuelle commerciale et la traite au Honduras (CICESCT), l’Académie de la Police nationale, l’École de justice Francisco Salomon Jiménez Castro et le ministère du Travail et de la Sécurité sociale.

Société civile : Casa Alianza, CEM-H, ODECO, OPROUCE, UDIMUF

LIVRABLES PRINCIPAUX

4 trousses de formation pour la justice, la police, la CONATT, et l’organisme d’enquête judiciaire

3 cours pilotes pour la justice, la police, l’organisme d’enquête judiciaire

5 échanges régionaux

2 modes opératoires conçus pour la CONATT et le Bureau du procureur adjoint contre la traite de personnes et le trafic illicite des migrants

4 outils audiovisuels (3 courts métrages d’animation destinés aux enfants et 1 documentaire, destiné à un public plus large) pour les institutions membres de la CONATT, notamment l’Institut costaricien du tourisme, le ministère de la Sécurité publique, le ministère de l’Éducation publique, etc.

4 modes opératoires pour la CICESCT, la justice, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale et la Police nationale

4 trousses de formation ont été produites respectivement pour la CICESCT, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, l’École judiciaire et l’École nationale de la police

5 cours pilotes pour la CICESCT, l’École de justice, le Ministère du Travail et de la Sécurité sociale et la Police nationale

5 plans d’actions pour les organisations de la société civile

4 trousses de formation en matière de prévention et de lutte contre la traite des personnes, axés sur le genre, les enfants et les ethnies, ont été produites pour les organisations de la société civile

2 échanges régionaux impliquant les secteurs de la justice et de la police

2 ateliers régionaux sur la traite des personnes

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© AdobeStock / oksix ISBN 978-1-989688-38-0 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023 WWW.IBCR.ORG TOUTE L’ACTUALITÉ SUR 805, rue Villeray, Montréal (Québec) H2R 1J4 Canada Tél. + 1 514 932 7656, info@ibcr.org Projets au Costa Rica et au Honduras menés

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