Wolinski, 50 ans de dessins

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Wolinski et les

femmes Élisabeth Roudinesco

J’

ai toujours adoré les dessins de Wolinski autant que ceux de Reiser. L’un a le génie de la vie pulsionnelle et du désir sexuel, par-delà l’attirance pour la mélancolie, et le second a toujours su exprimer la destruction et l’abjection. À l’un la soif des corps et l’émoi devant la sensualité des femmes, les seins, le sexe, les lèvres, les cheveux – quelque chose qui ressemble aux films de Jean Renoir et à l’été 1936 –, à l’autre les pervers, crasseux et méchants, façon Édouard Drumont : l’une et l’autre France. Tous deux ont en commun une même détestation de la bêtise. Et Georges est allé plus loin encore que ceux de sa génération en inventant l’histoire du roi des cons, avec sa tête de galette couronnée et son gros nez en forme de verge molle, fourré partout et partout introduit dans les trous, et plus encore dans la bouche des femmes. On a beaucoup dit que Georges était un macho méditerranéen, petit Juif tunisien malade des femmes, obsédé par les femmes, toxicomane des femmes et il n’a cessé, lui, le mari fidèle, de les dessiner, goulues, échevelées, vêtues de jupettes ou de petites culottes, monstrueuses parfois dans leur avidité ou coquines avec leurs mimiques démentes ou leur sourire carnassier. Et c’est sans doute dans son autoportrait – « Georges entouré de femmes nues » –, le plus drôle et le plus ironique, qu’il dévoile ce qu’il rêve d’être. On dirait du Ingres revu et corrigé par Buster Keaton. Planté avec ses yeux ronds et son cigare, nœud papillon et smoking noir années 1950, il trône tel un enfant comblé au milieu de quinze baigneuses hilares et allumées, fièrement assis sur le canapé d’un bordel, sorte de divan freudien en forme de vagin charnu. D’habitude, le « Ils ne pensent qu’à ça » est attribué aux hommes. Or, Georges renverse la proposition, comme d’ailleurs il inverse tous les clichés liés à la sexualité en montrant des femmes troussant des hommes terrorisés qui ne savent plus quoi faire à force de se voir envahis jusque sur le bout de leur nez. De quoi ridiculiser le puritanisme des féministes sans jamais tomber dans la vulgarité des réactionnaires qui nient l’existence

des aspects les plus sombres de la domination masculine. Car, par ses inversions, Georges n’oublie jamais de rendre hommage à toutes les femmes : les belles, les jeunes, les laides, les vieilles, les folles. Tous les âges de la vie et tous les territoires du féminin sont présents dans ses dessins qui pourraient illustrer des ouvrages savants sur l’histoire des pratiques sexuelles dans la société française moderne. Fellations, cunnilingus, sodomie, postures multiples : le tout enveloppé d’un halo de romantisme joyeux qui ne saurait faire oublier que la pulsion sexuelle renvoie l’être humain à l’angoisse de sa mort imminente. Telle est l’éthique matérialiste de Wolinski quand il fait dialoguer une femme et un homme : « Toutes les religions sont liguées contre les femmes », dit la première. « Je n’ai qu’une seule religion : la Femme », répond le second. Tout est dit. Mais rien n’est plus vibrant chez lui que son humour, issu autant de son expérience tragique de la vie – un père assassiné, une mère en proie à la maladie, une première femme morte dans un accident de la route – que de sa conception de la vertu conjugale, un humour juif à couper le souffle puisqu’il a osé dire un jour : « Je veux être incinéré. J’ai dit à ma femme : tu jetteras les cendres dans les toilettes, comme cela je verrai tes fesses tous les jours. »

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