Le royaume du nord et des trolls

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Pierre Dubois

LE ROYAUME DU NORD ET DES TROLLS


LES TROLLS

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Le Géant des tempêtes, John Bauer, À gauche : Troll méditant sur son âge, Theodor Kittelsen, 1911. Page de gauche : M. Birr et les Trolls, John Bauer, 1909. 37


LA MAUVAISE RÉPONSE

T

On avait aussi prévenu Endre de ne jamais les suivre, ni répondre aux appels que leurs femmes font avec les bras, sinon il deviendrait comme eux. Sa peau deviendrait velue et pleine de lichens, sa voix serait comme celle du geai… et il se mettrait à croire en Trunt Trunt et n’aurait plus dans la tête que l’esprit des bêtes et du néant… Et Endre riait de tout cela dans la solitude du chalet qu’il devait garder parce que les deux vieux bergers étaient allés en bas pour une semaine vendre le fromage. Il n’avait pas grand-chose à faire là-haut : le troupeau se débrouillait tout seul sur l’alpage et Endre tuait le temps en réparant ce qu’il y a toujours à réparer dans une vieille cabane. Il n’avait qu’à suivre les instructions des vieux et tout se passerait bien. Il y avait pourtant une recommandation qui le chiffonnait, celle d’aller chaque soir se planter devant la montagne, que d’après Tore ou Tallack les Trolls maintenaient dressée. À la question que lui posseraient les Trolls, il faudrait répondre : « Oh vous pouvez la retenir encore » et ensuite, il pourrait regagner sa couche pour y dormir sans souci. Endre n’avait jamais entendu la question des Trolls, rien d’autre que les échos nocturnes de la vallée et le souffle du vent dans les arbres, et ça l’ennuyait fort de s’adresser au vide ainsi que les vieilles personnes, les marmots et les idiots de village qui se mettent à converser tout seul et à dialoguer avec des choses qu’on ne voit pas. Mais comme il l’avait promis, il a bien fallu qu’il y aille, malgré les moqueries de sa propre raison. Il s’est mis face au sommet tout noir et la question venue du fond des âges l’a pris au dépourvu. « Pouvons-nous la laisser aller ? » et au lieu de répondre : « Vous pouvez la retenir encore » il n’a pas trouvé mieux qu’un irréfléchi : « Oh ! vous faites ce que vous voulez… » et les Trolls ont lâché la montagne…

ore Kyrkjebo et Tallak Brenna racontaient tant de bêtises sur les Trolls ! Comme tous les autres vieux de la montagne, ils en voyaient partout ! Dès que le ciel se mettait à grossir et que le vent grondait sur le Hallingskarv, Tore montrait au jeune Endre des courses de géants là où on ne voyait que des amas de nuages, et il évoquait Wodan. C’était certainement toutes ces années passées parmi les solitudes du monde, au milieu des animaux et des forêts qui avaient dû déranger leurs têtes, pensait le jeune Endre qui, lui, venait de la vallée, d’un gros bourg où l’on ne croyait plus à ces choses-là. Et puis il est plus prudent de feindre de ne pas y croire. Ce à quoi on ne croit pas n’existe pas. Tallak disait que ceux du bas étaient venus bâtir une chapelle en hauteur pour chasser les Trolls et marquer les limites de la nouvelle religion. Mais eux, les bergers de l’alpage, n’avaient pas remarqué que le nombre en eût diminué depuis… Cela glapissait et grouillait encore dans tous les coins. C’était pas quelques pierres surmontées d’une croix de bois qui allaient déloger ceux qui vivaient là avant les gens : les vieux fondateurs qu’il ne fallait surtout pas irriter comme le Jutul de la montagne bleue et Trunt Trunt le père des Trolls. Tore avait montré à Endre sur la poutre maîtresse une antique statuette de bois grossièrement sculptée à leur image. Deux fois par an, à la Noël et à la mi-été, on l’enduisait de suif, de graisse et de sang frais, afin qu’elle protège le chalet des avalanches, de la foudre et des maladies. Si on avait une chose importante à demander comme guérir une vache ou ôter le mal d’une blessure, on portait une jarre de sang de cheval à la lisière de la forêt. Ou, encore mieux, du sang de taureau qui avait été aux prises avec un ours et en avait triomphé. « C’est là le régal du plus vieux des vieux dieux du bois », disait Tallak.

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John Bauer, 1909.

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L E R O YA U M E D U N O R D E T D E S T R O L L S

I

d’un volcan avec des dents pointues autour. Couvert d’algues et d’herbes marines, noirâtre et luisant de boue, il surgit des abysses les jours de tempête et crée des raz de marée en frappant les vagues avec ces larges battoirs de mains palmées. Les marins et les pêcheurs le craignent et s’enfuient dès que l’eau devient noire, se met à bouillonner et mugir. Son cousin Marmel ou Marmennil, quoique moindre de taille, n’est pas plus avenant. Il ne se montre qu’en mer, jamais en eau douce, quelquefois sous la forme d’une vague gigantesque dans laquelle on devine une face livide, deux trous sombres pour les yeux et une sorte de bouche semblable à une entrée de tunnel sans fond. C’est un fou qui lance des clameurs et des rires assourdissants en fracassant navires et barques sur les récifs. Senja Mannen est tout aussi hilare, on ne sait pas pourquoi, et tout aussi dangereux, malgré son air bonasse. Sa bonne

l y en a de l’eau dans le grand Royaume du Nord. Tout ce qu’il faut pour briller au soleil, pour scintiller sous la lune. Il y a même de l’eau qui se cache sous la neige, sous la glace. Il y a de l’eau chaude qui souffle et de la fraîche qui cascade… De l’eau verte, de l’eau d’argent, moirée, paisible ou dangereuse et turbulente avec des mers qui grondent et des lacs si grands, si profonds que l’on croirait des océans. … Et surtout, il y a tant de choses qui nagent, se cachent, guettent, chassent, ondulent dedans… de la plus gracieuse des petites sirènes jusqu’au plus monstrueux Sjötroll. On l’appelle également Drang-Drangen. C’est le plus grand, c’est le plus gros, c’est le plus laid. On ne peut pas faire pire dans l’horreur aquatique. Il épouvanterait le Kraken. Lorsqu’il sort de l’eau, il est aussi haut et large qu’une montagne. Sa gueule, qu’il garde toujours ouverte, est pareille au cratère béant

L’EAU Christian Skredsvig, 1895 (1854-1924). Page de droite : Theodor Kittelsen, 1907.

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L’EAU

La Danse des filles de l’eau, Hasse Bredenberg. Page de gauche : Le Charmeur de Nokken, Johan Tirén, 1898 (1853-1911).


NISSES, TOMTES ET LES PETITS DOMESTIQUES

Un après-midi au ruisseau, Elsa Beskow, 1910. Page de droite : Tomte musicien, Nils Bergslien (1853-1928).

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NISSES, TOMTES ET LES PETITS DOMESTIQUES

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Le Roi des Tomtes endormi, Hugo Simberg, 1896 (1873-1917). Page de gauche : La RĂŠcrĂŠation des Nisses, Erik Werenskiold.

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NOテ記

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Tout est calme dans la maison, Hasse Bredenberg. Page de gauche : Conversation, Hasse Bredenberg.

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John Bauer, 1912. 109


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