Hémisphères N° 6 - Transgresser - bulletin

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LA REVUE SUISSE DE LA RECHERCHE ET DE SES APPLICATIONS



Les 15 années d’existence de la HES-SO représentent une success story. Lors de sa création en 1998, personne n’aurait pu s’imaginer qu’en 2013, nos 27 établissements allaient être fréquentés par près de 19’000 étudiants. Au niveau de la recherche, nos équipes rivalisent avec les meilleurs et décrochent des projets européens ou du Fonds national suisse. La qualité de nos diplômes est reconnue par le monde du travail: nos étudiantes et étudiants connaissent moins de chômage et perçoivent un salaire moyen supérieur à celui des universitaires.

Une success story romande ÉDITORIAL

JACQUES BÉLAT

Ces résultats existent parce que des choix visionnaires ont été effectués depuis plus de 15 ans. D’abord, celui de réunir les hautes écoles de sept cantons en une seule entité, puis celui d’associer six différents domaines de compétences professionnelles. Nous avons également intégré de façon exemplaire les accords de Bologne, adaptant nos cursus à ceux des Bachelor et des Master. Et nous collaborons désormais avec des établissements du monde entier, où nos étudiants peuvent faire des échanges.

Martin Kasser, président ad interim de la HES-SO jusqu’au 30 septembre 2013

Ce moment de commémoration représente aussi l’occasion de réfléchir aux défis qui nous attendent. Le souffle de l’intercantonalité qui a animé la construction de la HES-SO reste fragile et n’est plus le même qu’à la fin des années 1990. Nous devons encore nous faire une place dans des instances politiques comme le Conseil suisse des Hautes écoles, qui ne prévoit pas de statut spécial pour des organismes intercantonaux. La HES-SO arrivera-t-elle à surmonter les tensions internes pour valoriser ses points forts? Le second défi à venir concerne la relève académique. Nous allons assister ces prochaines années à de nombreux départs à la retraite et la concurrence sera rude pour attirer les meilleurs enseignants-chercheurs. N’oublions pas non plus que notre haute école a l’âge d’une adolescente, surtout quand on la compare aux universités romandes, dont certaines ont plusieurs centaines d’années. Ce qui lui donne une force créative, mais aussi une fragilité. Dans ce Bulletin spécial consacré aux 15 ans de la HES-SO, nous avons souhaité mieux faire connaître les faits marquants de cette haute école. Nous vous souhaitons une bonne lecture et de belles découvertes.

HÉMISPHÈRES La revue suisse de la recherche et de ses applications HES-SO www.revuehemispheres.com Edition HES-SO, rue de la Jeunesse 1, 2800 Delémont, Suisse, T. +41 32 424 49 00, F. +41 32 424 49 01, hemispheres@hes-so.ch Rédaction Jade Albasini, Camille Guignet, Benjamin Keller, Cynthia Khattar, Serge Maillard, Bartek Mudrecki, Geneviève Ruiz. Images Jacques Bélat, Sabrine Elias, Sébastien Fourtouill, David Gagnebin-de-Bons, Anthony Leuba, Thierry Parel. Maquette & mise en page LargeNetwork (Sandro Bacco, Sébastien Fourtouill). Relecture www.lepetitcorrecteur.com

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1998-2013, le réveil de la Suisse romande PRÉAMBULE

En quinze ans, la Suisse romande est passée d’une fin de millénaire peu glorieuse à une période marquée par un nouveau dynamisme économique. Chronique d’une région décomplexée, au sein de laquelle la HES-SO s’est développée. TEXTE | Serge

Maillard

Souvenez-vous, c’étaient les années 1990. De Genève à Bienne, d’Yverdon-les-Bains à Sion, un chômage en hausse, des finances publiques en difficulté, une crise immobilière désastreuse et une croissance en berne. On en était à prédire pour la Suisse romande un destin «wallon»: l’écart se creusait par rapport aux voisins alémaniques. Avec la saillie du «non» à l’Espace économique européen en 1992, le pays semblait se fracturer – et les francophones en constituaient le maillon faible. On en rirait presque aujourd’hui, tant la mine s’est désamorcée. Mais lorsque Swissair annonce, le 4 avril 1996, qu’elle supprime la quasi-totalité de ses vols long-courrier depuis Genève, le hub romand, le coup est sévère. Tant sur le plan symbolique qu’économique. La compagnie nationale a choisi son camp, et c’est Zurich! L’arrogance de son management finira par conduire la compagnie à l’autodestruction. Et à la risée du pays, voire du monde tout entier. Aujourd’hui, le retournement de situation est total: la nouvelle compagnie nationale, en mains allemandes, revient en force à Genève, pour tenter de reprendre le dessus face au quasi-monopole d’une société low cost britannique. «Swiss veut être la compagnie de toute la Suisse, pas seulement de Zurich», a déclaré à cette occasion son dirigeant Harry Hohmeister. Avec ou sans elle, Pékin, Montréal et Dubaï sont déjà en ligne directe depuis les bords du Léman. Si le pays a perdu le contrôle de sa compagnie nationale, les Romands ont retrouvé la maîtrise de leur destin. «La région croît plus vite que celle de Zurich, avec un climat d’affaires attractif», a poursuivi le directeur de Swiss. Dès 2003, l’économie romande dans son ensemble progresse en effet plus rapidement que la moyenne suisse depuis 2001, et a dépassé la moyenne européenne depuis 2004. PLUS DE POIDS

Le magazine romand L’Hebdo a publié cette année une grande étude sur le sujet, 2 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Pourquoi ce retournement de situation? Des secteurs d’activités divers et dynamiques (horlogerie, construction, commerce, finance), notamment autour du Léman. Une ouverture à l’international, bien sûr, avec des exportations élevées malgré la crise du franc fort. L’innovation, aussi: la Suisse occidentale accueille la moitié des étudiantes et étudiants du tertiaire du pays, avec ses quatre universités, l’EPFL et la HES-SO. NOUVEAUX VISAGES

A la fois cause, preuve et conséquence du succès économique, on trouve aussi la démographie. Avec ses 8 millions d’habitants, la Suisse est toujours plus francophone. Trois cantons romands, Fribourg, Vaud et Valais, se classent parmi les cinq champions nationaux en termes de hausse de la population entre 2000 et 2011. L’avenir appartient aux jeunes – belle lapalissade – et les Romands le sont particulièrement: plus de 30% des Fribourgeois ont moins de 25 ans, contre 27% à l’échelon national. Des chiffres, toujours des chiffres. Si l’Arc lémanique, une des régions les plus cosmopolites au monde, séduit toujours plus les étrangers hautement qualifiés, Fribourg et

+1,4 % Jura

+1,3 % Neuchâtel

+1,4 % +1,1 %

+0,6 %

Fribourg

Vaud

+1,2 % Valais

Genève

SOURCE: INSTITUT CRÉA (MARS 2013). INFOGRAPHIE: ONLAB

en collaboration avec l’Université de Lausanne et les banques cantonales. Le «miracle romand» en chiffres, donc. Avec le recul, on constate qu’en une décennie la Suisse romande a accru son poids économique. Elle représente désormais 24,7% du PIB national, contre 24% en 2003. Gardons-nous toutefois d’un excès d’enthousiasme, pour ne pas tomber dans le piège inverse du défaitisme des années 1990. Après tout, la population romande représente aujourd’hui 25,6% du pays – elle reste moins puissante, en termes de PIB par habitant, que la moyenne nationale. Le seul canton francophone qui la dépasse est Genève, avec plus de 107’000 francs par habitant. Le chômage se maintient à un taux plus élevé de ce côté-ci de la Sarine. Mais la dynamique a changé.

Croissance des PIB cantonaux en 2012

le Valais attirent toujours plus de Vaudois en mal de logements à bon prix. Le prix à payer sur l’autel de ce regain de dynamisme économique et de cette croissance démographique est sans doute celui des infrastructures. Plus d’habitants, plus de pendulaires, plus de trafic, plus de débats sur le tunnel sous la Rade ou le contournement de Lausanne, plus de travaux, plus de tensions frontalières ou intercantonales… D’où la multiplication de projets visant à désengorger le trafic ferroviaire ou routier: CEVA dans le «Grand Genève», RER Vaud, M2 à Lausanne, débat sur la troisième voie entre Genève et Lausanne. Mais aussi densification des villes pour lutter contre le mitage du territoire. Pendant ce temps, les prix de l’immobilier s’envolent: ils n’ont HÉMISPHÈRES BULLETIN

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1998-2013

La Suisse romande a changé

jamais été aussi élevés durant les quarante dernières années. Au risque, prédisent les oiseaux de mauvais augure de revivre la bulle immobilière...

nécessaire que jamais. Elle pose néanmoins la question piège de l’identité romande. Un ouvrage récent est consacré à ce thème: celui de l’historien fribourgeois Georges Andrey, «La Suisse romande, une histoire à nulle autre pareille». Un succès commercial, qui prouve la pertinence de la question. Mais aussi des critiques, qui y voient trop de déterminisme historique.

UNE IDENTITÉ ROMANDE

La multiplication des chantiers provoque la grogne d’une partie de la population, qui doit subir des transformations sociales et économiques rapides: Lex Weber, échec du TransRun à Neuchâtel, initiative d’EcoPop sur la surpopulation. Peu importe, la Suisse romande s’unit politiquement pour soutenir des projets qui dépassent les frontières cantonales. Voilà qui explique l’apparition ou le renforcement d’une longue liste de «structures» romandes, comme la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale, la Métropole lémanique, le Grand Genève, la Greater Geneva Bern Area, la HES-SO...

Dans son livre, Georges Andrey insiste sur le rôle des combourgeoisies puis des concordats inter-cantonaux pour forger une conscience politique commune. Imagine-t-on un jour la réunion de la Suisse romande sous une seule «superstructure»? Ce scénario relève évidemment de la science-fiction, tant les Romands attachent d’importance à un équilibre entre forces et échelons politiques. Mais en automne 2013, pour la première fois depuis 1979, la carte de la Suisse romande pourrait se trouver modifiée, avec le vote sur la «réunion» du Jura. L’occasion de reposer le débat sur l’identité romande. Et vous, la Suisse romande, vous y croyez?

Pour surmonter les jalousies communales et les égoïsmes cantonaux, mais aussi pour mieux représenter la Suisse romande à Berne, cette concertation semble plus

Evolution du taux de croissance du PIB

+2,5%

0

-2,5%

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2004

2003

2002

2001

2000

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1998

Suisse romande Suisse Union européenne -5%

SOURCE: L’EMPLOI AU-DELÀ DES FRONTIÈRES CANTONALES – RAPPORT SUR LE PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (PIB) ROMAND, 23 MAI 2013 (FORUM DES 100). INFOGRAPHIE: ONLAB

+5%


Le glossaire HES Les hautes écoles spécialisées étaient à l’origine les universités des apprentis et comportaient une formation approfondie en culture générale. Ce modèle de formation est originaire d’Allemagne, où ces établissements sont appelés Fachhochschulen. Leur enseignement est traditionnellement davantage basé sur la pratique que dans les universités classiques et vise d’abord à transmettre aux étudiants des compétences professionnalisantes. Avant les années 1990, ces multiples écoles professionnelles étaient disséminées sur tout le territoire helvétique sans lien formel entre elles et dépendaient des cantons et de la Confédération. Elles se sont ensuite réunies sous la bannière «HES» et comptent sept entités publiques dans toute la Suisse. A noter que ce n’est qu’en Suisse romande que sept cantons se sont unis pour créer un réseau de 27 écoles, dont le nom exact est Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale HES-SO. Durant les années 2000, les HES ont intégré les accords de Bologne et structuré leurs formations en Bachelor et Master. MATU PRO La maturité professionnelle représente le sésame qui donne accès aux HES. Il s’agit d’une formation complémentaire que les apprentis effectuent soit durant, soit après leur CFC. Les matu pro sont spécialisées dans les domaines suivants: artisanat, art, commerce, santé-social, sciences naturelles ou technique. Chacune de ces spécialisations permet l’accès direct aux filières HES du domaine concerné. SUISSE OCCIDENTALE La dénomination Suisse occidentale réunit sept cantons: Berne francophone, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Valais et Vaud.

RECHERCHE APPLIQUÉE Les activités de Recherche appliquée et Développement Ra&D ont pour objectif de générer de nouveaux savoirs dans les différents domaines d’études de la HES-SO. Elles sont menées avec des partenaires du monde de la pratique, le plus souvent à l’échelon régional, ou avec d’autres hautes écoles, tant au niveau suisse qu’international. Les résultats sont valorisés dans le monde de la recherche par le biais des publications scientifiques, auprès des milieux professionnels par le transfert de savoir et de technologie, ainsi que par des publications et des formations continues. LES DOMAINES Les domaines de la HES-SO sont au nombre de six. Possédant chacun leur identité et leur mode de fonctionnement, ils collaborent régulièrement entre eux pour des enjeux stratégiques ou des projets de recherche.

Design et Arts visuels Ce domaine offre des formations dans les arts et la communication visuelle, l’architecture d’intérieur, le design et la conservation. Le Design fait partie de la HES-SO dès le début en 1997. Les Arts visuels ont rejoint en 2006. Economie et Services Ce domaine propose des cursus en économie d’entreprise, en informatique de gestion, en information documentaire, en hôtellerie et professions de l’accueil en tourisme, en droit économique ainsi qu’en International Business Management. Ce domaine fait partie de la HES-SO depuis la création en 1997.

Ingénierie et Architecture Les futures et futurs ingénieur-e-s peuvent trouver dans ce domaine des formations qui leur permettront de se spécialiser dans la chimie, les sciences de la vie, la construction, l’énergie, l’environnement, les technologies industrielles, ainsi que dans les technologies de l’information et de la communication. Ce domaine fait partie de la HES-SO depuis la création en 1997. Musique et Arts de la scène Ce domaine forme des professionnels des arts de la scène, de l’interprétation, de composition classique ou du jazz. Il a rejoint la HES-SO en 2005. Santé Les étudiants en santé sont formés aux métiers des soins infirmiers, de l’ergothérapie, de la physiothérapie, des sagesfemmes, de la nutrition, de la psychomotricité, de la radiologie médicale et bientôt de l’ostéopathie. Ces disciplines ont rejoint la HES-SO en 2004. Travail social Les trois orientations enseignées dans ce domaine sont le service social, l’éducation sociale et l’animation socioculturelle. Il a rejoint la HES-SO en 2004.

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«Le plus important, c’est la qualité du travail de nos professeurs» PRÉSIDENCE

DR

Elisabeth Baume-Schneider, la ministre jurassienne de la Formation, de la Culture et des Sports, est présidente du Comité gouvernemental de la HES-SO depuis mai 2013. Son credo: la plus-value académique.

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La HES-SO fête ses 15 ans. Une étape importante?

Je considère toujours un anniversaire comme un moment de fête et de reconnaissance. Il y a, d’un côté, la légèreté des festivités, avec un discours s’éloignant un instant des tableaux d’indicateurs, des objectifs de maîtrise des coûts et d’efficience. D’un autre côté, c’est un fabuleux coup de projecteur sur le travail accompli. Notre haute école a 15 ans et nous souhaitons montrer que nous n’avons pas à rougir de ses succès et de ses perspectives. Comment analysez-vous le parcours de l’institution depuis 1998?

Il s’agit d’un parcours remarquable à plus d’un titre. Les politiciennes et les politiciens qui ont pris la décision initiale de créer la HES-SO ont été des pionniers qui ont pris le pari de la Suisse occidentale et le risque de créer un maillage entre de multiples écoles. Cet élan a contribué à une plus-value et à une visibilité de la haute école qui met en valeur la formation professionnelle. Lorsqu’on réalise à quel point il peut être difficile de fusionner deux écoles, imaginez juste l’exploit aujourd’hui de faire travailler de manière complémentaire 27 hautes écoles. Pour créer la HES-SO telle que nous la connaissons aujourd’hui, il a fallu une énergie et une confiance magnifiques. Et en 2013, que reste-t-il à faire?

La HES-SO n’est pas un édifice achevé, quand bien même il est prometteur. Il s’agit d’un projet architectural vivant, en mouvement. Nous sommes maintenant entrés dans une phase de consolidation. Il y a eu un temps pour inventer, rêver et créer cette école et si la phase actuelle est peut-être moins excitante, elle est tout aussi importante. Nous devons rester fidèles aux utopies des débuts et désormais travailler à les concilier avec les réalités du terrain.

En tant que représentante de la région de l’Arc jurassien, quels sont vos objectifs?

Je relaie les demandes de la région BEJUNE (Berne francophone, Jura, Neuchâtel), j’en suis en quelque sorte le sismographe. On ne peut pas construire la HES-SO en étant imperméable au génie et aux traditions des écoles et des régions, car elles constituent son ADN. Elles ont chacune des attentes et des richesses spécifiques par rapport à la recherche ou à la formation continue: dans l’Arc jurassien, il y a, par exemple, une volonté de développer les pôles de l’industrie de la précision, des medtech, de l’économie et de la santé. Il vous paraît donc important que chaque école garde ses spécificités.

La HES-SO puise sa force dans les écoles de son réseau. La volonté politique des cantons ne vise pas à confiner ces dernières dans un mimétisme réducteur, mais à travailler en cohérence avec les valeurs et objectifs de leur domaine respectif. Il est essentiel que chacun adhère aux mêmes valeurs, notamment à celle de la qualité académique. Actuellement, on parle souvent de conventions et de systèmes, mais ce qui compte avant tout pour la HES-SO, c’est la qualité du travail de ses professeurs et de ses collaboratrices et collaborateurs. Ce sont eux qui font la renommée d’une école et qui, au quotidien, transmettent leur savoir, motivent les étudiants, mènent des contacts avec le tissu socio-économique local, régional, national et international. Ils contribuent ainsi au rayonnement et au succès de la HES-SO. Je tiens à les remercier.

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Trajectoires estudiantines PORTRAITS

A l’occasion des 15 ans de leur école, des étudiants ou anciens étudiants des six domaines racontent leur parcours et leur passion pour un métier. TEXTE | Camille

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Guignet et Cynthia Khattar


DAVID GAGNEBIN-DE BONS

Les voyages d’une architecte-paysagiste Pauline Jochenbein, 23 ans «L’envie de devenir architectepaysagiste m’est venue lorsque j’avais 12 ans, en visitant une exposition d’horticulture avec mes parents.» Onze années plus tard, Pauline Jochenbein est sur le point de réaliser son rêve. Etudiante en dernière année de Bachelor HES-SO à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture – hepia, elle vient de remporter le Prix de la meilleure conception paysagère pour son projet d’aménagement du futur campus de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Son travail a été sélectionné parmi près de 400 propositions. «Pour ce concours, j’ai demandé conseil à trois architectes espagnols. Cette collaboration transdisciplinaire s’est révélée très fructueuse.»

Son parcours, Pauline Jochenbein le qualifie volontiers d’atypique. Durant ses études, elle a saisi toutes les occasions de pratiquer son futur métier dans des contextes différents, notamment par le biais de voyages. Parmi ceux-ci, elle cite un séjour au Canada, pour prendre part à un projet étudiant d’aménagement paysager d’un centre de vacances. Dans le cadre du programme Ingénieuse.ch, l’association de la HES-SO qui promeut les métiers de l’ingénierie auprès des femmes, elle s’envole pour le Qatar en compagnie d’une vingtaine d’étudiantes. Sur place, elle visite des entreprises et des chantiers de constructions immobilières. «Ces

voyages m’ont donné l’occasion de faire de nombreuses rencontres et de me créer un réseau au niveau international.» Elle garde de toutes ces expériences une impression très positive: «Elles m’ont permis de découvrir des facettes insoupçonnées du métier d’architectepaysagiste. Je réalise que de la scénographie urbaine aux installations éphémères, en passant par l’analyse des dynamiques territoriales, les possibles sont innombrables et passionnants.»

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ÉTUDIANTS

Success stories

Faciliter l’accès à la culture des personnes malvoyantes Emmanuel Pechin, 45 ans Aider les autres, c’est depuis toujours la vocation d’Emmanuel Pechin. Après une longue expérience professionnelle dans le milieu psychiatrique, ce Français établi en Suisse romande est aujourd’hui intervenant socioéducatif au sein des Ateliers de l’unité de réhabilitation du CHUV. Un parcours pas tout à fait linéaire, puisqu’il termine actuellement son Bachelor de travailleur social à la HES-SO de Lausanne, à 45 ans. «A la fin de ma trentaine, j’ai eu envie d’aller plus loin, racontet-il. La formation que j’ai suivie m’a permis de développer des outils pour être plus efficace dans mon travail. Mais il n’est pas facile de reprendre des études lorsqu’on travaille à 80% tout en ayant, en parallèle, une vie familiale et sociale.» Pour faire face à ses multiples responsabilités, Emmanuel Pechin puise son énergie dans sa foi et dans sa passion pour le social. «Naître dans une famille d’artistes ouverte à l’autre m’a prédisposé à aimer l’être humain et à porter sur lui un regard non jugeant.» Les bancs de la HES-SO lui ont aussi donné l’occasion de faire la connaissance de Felice Impala, 10 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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un étudiant souffrant d’un handicap visuel. En 2011, les deux amis fondent l’association Ab Oculis, destinée à favoriser l’accès à la culture pour les personnes malvoyantes et aveugles. «Concrètement, nous proposons des casques équipés d’infrarouge diffusant des audio-descriptions in vivo des pièces de théâtre. Ces explications ont la particularité d’être données en directe, elles sont donc ajustées au jeu des acteurs. La qualité du spectacle est ainsi préservée.» Le projet a déjà reçu le soutien de Genilem et du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées. Il rencontre un vif enthousiasme de la part du public. Motivés par ces encouragements, les cofondateurs ne comptent pas s’arrêter là. «Pour l’instant, nous travaillons surtout avec le théâtre Vidy, à Lausanne. Mais nous aimerions proposer nos services à d’autres organismes culturels, comme des musées.»


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Success stories

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ÉTUDIANTS

Cinéma: ne rien faire comme les autres Michele Pennetta, 29 ans Certains l’ont peut-être aperçu au Festival du film de Locarno en août dernier. Michele Pennetta y a en effet remporté le Pardino d’oro du meilleur court métrage pour son film ‘A iucata. Pour ce documentaire, le jeune diplômé du Master en cinéma de la HES-SO s’est immergé dans le monde des courses clandestines de chevaux à Catane, en Sicile. C’est par hasard que Michele Pennetta, italien d’origine, s’est retrouvé en Suisse pour poursuivre des études en cinéma. «J’étais passionné depuis tout petit, mais je me suis dit qu’en Italie c’était impossible d’en vivre.» Il opte pour un lycée scientifique mais décide en dernière année de s’inscrire quand même dans une école d’art à Verbania. Après un passage furtif à l’Académie des beaux-arts de Milan – «l’anarchie complète» – il tombe un jour sur une annonce 12 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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dans le journal pour la Haute école spécialisée de Lugano, où il suivra une formation en communication visuelle. C’est Gregory Catella, alors responsable de la formation film et vidéo, qui va l’encourager à poursuivre le Master HES-SO mené conjointement par l’ECAL et la HEAD. Pas forcément évident pour Michele, qui ne connaissait pas du tout le français. «Je ratais chaque fois les tests!» Non seulement à cause de la langue mais aussi parce que «je ne voulais pas faire ce qu’on me demandait». Aujourd’hui, c’est en partie grâce à sa «grande gueule» que le jeune réalisateur doit d’avoir tenu bon. Il ne souhaitera ainsi pas que son film de fin d’études soit visionné jusqu’au moment de la défense. «Il faut réussir à s’imposer.» Premier film qu’il réalise depuis ses études, «‘A iucata» a entamé une belle carrière dans les festivals à travers le monde, notamment au fameux Cinéma du réel

à Paris et aux Rencontres internationales du documentaire à Montréal. Et, fait plutôt rare pour un court métrage, le film sortira aussi dans les salles suisses cet hiver. Pendant ce temps, Michele sera déjà en Italie à travailler sur son prochain film, un long métrage cette fois.


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Transmettre un savoir en sciences infirmières Pascal Comte, 43 ans L’enseignement, Pascal Comte y a pris goût alors qu’il travaillait comme infirmier aux soins intensifs. «Beaucoup d’étudiants venaient en stage et j’avais du plaisir à répondre à leurs questions et à transmettre un savoir.» Il décide alors d’entamer une formation pédagogique. Engagé ensuite à l’Ecole de soins infirmiers du Jura (ESIJ), il tentera d’abord de concilier son travail d’infirmier et ses nouvelles fonctions d’enseignant. «J’ai tenu six mois, mais impossible.» Pascal Comte souligne cependant qu’il n’a jamais quitté fâché sa profession d’infirmier, «une expérience particulièrement marquante du point de vue relationnel».

Le parcours d’enseignant de Pascal Comte a ceci de particulier qu’il a été l’un des acteurs clés lors de la fusion de son établissement avec les écoles de Neuchâtel et de Saint-Imier. Depuis 2002, ces trois formations se sont en effet réunies en une seule, la Haute Ecole Arc Santé, où Pascal Comte enseigne au niveau Bachelor. «Il s’est agi de concilier trois points de vue différents, explique Pascal Comte. Mais aussi de faire en sorte que la nouvelle formation puisse correspondre aux critères d’une haute école.»

corde à son arc en se lançant dans le Master en Sciences infirmières, «parce que les sciences infirmières sont appelées à beaucoup évoluer dans les années à venir en Suisse romande». Ce programme conjoint à la HES-SO et à l’Université de Lausanne est destiné aux professionnels ayant déjà de la pratique. L’infirmier jongle donc actuellement entre l’enseignement et les études, avec pour objectif d’élargir encore ses connaissances.

Même s’il ne manque pas d’expérience, Pascal Comte a souhaité en 2012 ajouter une HÉMISPHÈRES BULLETIN

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ÉTUDIANTS

Success stories

Vivre de la musique, un privilège Marie Seriot, 27 ans Marie Seriot peut s’enorgueillir d’avoir été non seulement l’une des deux seules représentantes du sexe féminin de sa volée du Master HES-SO de pédagogie de la Haute école de musique (HEM), section jazz, mais aussi son unique pianiste. «Le cliché veut que les filles se cantonnent au chant lorsqu’elles choisissent le jazz», confie-t-elle. Mais Marie s’est accrochée. C’est à sa formation initiale en classique que la pianiste doit la discipline qui lui aura permis, selon elle, de mener à bien ses études. «En jazz, les personnalités sont fortes et beaucoup ont arrêté en première année parce que la structure académique ne leur convenait pas.» La jeune femme de 27 ans optera elle-même pour le jazz afin de se libérer des partitions et pouvoir improviser. Elle se forme d’abord au Conservatoire de Montreux auprès du pianiste de renommée internationale Thierry Lang. Elle rejoindra par la suite l’Ecole de Jazz et de Musique Actuelle (EJMA) à Lausanne, lors de sa fusion avec l’institution de Montreux. De ses études à la HEM, Marie retient en particulier l’aspect «social»: 14 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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être entourée de musiciens du matin au soir, ainsi que d’enseignants compétents. Diplôme en poche, la jeune pianiste donne désormais des cours privés chez elle et dans une école à Morges. Surtout, elle a pu entreprendre son propre projet musical, Miss Lizzie, un trio qu’elle a formé «entre jazz, pop et blues». Marie joue, chante et s’occupe de la promo du groupe. Plusieurs dates sont prévues cet automne en Suisse romande. Si d’autres diplômés sont contraints de trouver des jobs alimentaires éloignés de leur passion, Marie, de son côté, se réjouit: «Je fais ce que j’aime, c’est un privilège.»


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Success stories

ALEX TROESCH

ÉTUDIANTS

Une start-up qui suscite de l’intérêt chez les grandes firmes Julien Denaes, 30 ans Julien Denaes vient de fonder sa start-up baptisée Logrr (prononcer «Logueur») aux Etats-Unis. «Cette plateforme permet aux internautes de s’identifier sur n’importe quel site ou application, sans toucher leur clavier, ni utiliser de mot de passe. L’utilisateur a uniquement besoin d’un smartphone.» Aujourd’hui, les affaires se portent bien pour ce diplômé HES-SO Valais-Wallis en informatique de gestion. «J’ai de l’espoir. Nous rencontrons déjà beaucoup d’intérêt de la part des grandes firmes. AOL, par exemple, est l’un de nos futurs gros clients potentiels.» A une époque où les cas de hacking se font de plus en plus courants sur la toile, le système séduit par son côté ultra-sécurisé. «Nous avons reçu l’aval des spécialistes en sécurité et cryptologie de la Silicon Valley.» 16 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Etabli à New York depuis peu, Julien Denaes profite de sa situation géographique pour promouvoir son projet auprès des sociétés américaines de e-commerce et sur les réseaux sociaux. Tout en gardant un œil sur le marché suisse: «J’aimerais développer ce service auprès des institutions financières et de e-santé.» Confiant dans son succès futur, le jeune entrepreneur n’oublie pas pour autant ceux qui l’ont soutenu à ses débuts. «J’avais terminé mes études depuis plusieurs années quand j’ai lancé Logrr. J’ai alors demandé conseil à mes anciens professeurs de la HES-SO. Ils m’ont rapidement livré des feedbacks précieux.» L’entrepreneur a aussi obtenu le soutien de Genilem. Auparavant, Julien Denaes a travaillé en Allemagne, chez le fournisseur leader de software

SAP. Il a ensuite exercé plusieurs années comme consultant externe en technologie de l’information, notamment pour le compte de la société de conseil en informatique Itecor. «En tant que responsable du marché européen, asiatique et océanien, j’ai beaucoup voyagé.»


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HES-SO

Trois affiches Paléo, créées par des étudiantes et étudiants de la HEAD-Genève.

Espace créatif au Paléo

2010, Philippe Comte

collaboration

HES-SO

Depuis 2005, le Paléo et la HES-SO collaborent pour créer un lieu éphémère destiné aux festivaliers. Chaque année, près de 300 personnes sont engagées dans cette aventure, tous domaines confondus. 2012, Aurélien Farina

Sophie Kellenberger

2013, Marion Erard

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La HES-SO en chiffres Nombre de hautes écoles

Nombre de filières Bachelor et Master

Nombre de cantons

Nombre d’étudiantes et d’étudiants

27 61 7 19’000 Berne-JuraNeuchâtel

• Delémont

Saint-Imier • Neuchâtel •

• Fribourg

Yverdon-les-Bains •

Vaud Lausanne • Nyon •

Fribourg

Genève •

Sion •

Genève

• Sierre Valais

Types de formation Bachelor

Master

Formation continue

89,2% 8,3% 2,5%


Les autres HES de Suisse Age moyen

25,3 Sexe

52,7% 47,3%

2

1

7

4

3

5

8 6

1 Berner Fachhochschule 2 Fachhochschule Nordwestschweiz 3 Hochschule Luzern 4 Zürcher Fachhochschule 5 Fachhochschule Ostschweiz 6 Scuola universitaria professionale della Svizzera Italiana (SUPSI) 7 Kalaidos Fachhochschule (HES privée) 8 HES Les Roches-Gruyère (HES privée)

Nombre total d’étudiantes et d’étudiants par domaine

5’440 Economie 4’072

et Services

Ingénierie et Architecture

3’100

Santé

3’035

Travail social

1’322 Design 1’155

Musique et Arts de la scène

et Arts visuels


10’000

5’000

0

1994

1995

1996 Une ligne =  100 étudiants

Sources: Vademecum 2012-2013, HES-SO; Etude sur les salaires HES 2011, FH SUISSE; Scénarios 2012-2021 pour le système de formation, OFS.

Arts visuels Intégration du domaine Arts visuels au sein de la HES-SO.

Musique et Arts de la scène Intégration des domaines Musique et Arts de la scène au sein de la HES-SO.

Santé et Travail social Intégration des domaines Santé et Travail social au sein de la HES-SO.

20’000

12’845

15’000

6’094

1996

4’950

1995

Ouverture La HES-SO accueille ses premiers étudiantes et étudiants dans trois domaines: Ingénierie et Architecture, Economie et Services ainsi que Design.

1994

Signature Les sept cantons partenaires signent le «concordat intercantonal HES-SO», qui définit la structure et le fonctionnement de la nouvelle institution.

Alliance Les cantons romands s’engagent à regrouper une vingtaine de hautes écoles en une seule HES de Suisse occidentale. Objectif: revitaliser la formation professionnelle.

Explosion du nombre d’étudiantes 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006


étudiantes et étudiants

2007 2008 2009 2010

2010

Nouveau départ Les sept cantons partenaires valident à leur tour la nouvelle convention, qui courra jusqu’en 2016.

Feu vert Le Conseil fédéral approuve l’avantprojet de nouvelle convention de la HES-SO.

2007 2008 2009

18'124

15’363

Plan de renouvellement La HES-SO dépose auprès du Conseil fédéral un avant-projet de nouvelle convention intercantonale, qui vise notamment une plus forte coordination entre les hautes écoles.

Premiers masters Ouverture de huit filières de master.

et d’étudiants 2011

2011

2012

2012

Débouchés

2013 Salaire mensuel moyen d’un jeune diplômé

CHF 5’677

Types d’entreprises et d'institutions

34 %

17 %

6 %

Plus de 1’000 employés

250 – 999

21 %

50 – 249

22 %

5 – 49 1 – 4

2013

Infographie: onlab/LargeNetwork


Une passionnée du service public RECTORAT

Luciana Vaccaro est rectrice de la HES-SO depuis octobre 2013. A 44 ans, cette mère de deux enfants est heureuse de relever ce défi. Ruiz

Quels vont être vos premiers défis en tant que nouvelle rectrice de la HES-SO?

THIERRY PAREL

TEXTE | Geneviève

Physicienne de formation, Luciana Vaccaro a pris ses nouvelles fonctions de rectrice de la HES-SO il y a quelques semaines. Cette Napolitaine d’origine, âgée de 44 ans, était jusque-là cheffe du Grants Office de l’EPFL. Sa carrière l’avait auparavant menée à gérer des formations en économie et santé à l’Unil.

Ils seront nombreux... Tout d’abord, je constituerai une équipe de rectorat, avec des vice-recteurs ou vice-rectrices pour l’enseignement, pour la recherche et la qualité. Il s’agira de donner aux services centraux de la HES-SO une empreinte académique encore plus forte. Il faudra ensuite faire adhérer les équipes en place à notre projet. Lorsqu’on se trouve à la tête d’une institution comme la HES-SO, il faut constamment jouer les équilibristes: articuler les différentes hautes écoles, domaines et cantons entre eux, tout en gérant la croissance et les coûts financiers. Qu’est-ce qui vous a motivée à postuler à la tête d’une telle institution?

Je suis une passionnée du service public. Mais j’aime surtout être dans l’impulsion et concrétiser mes idées. Pour moi, l’éducation représente l’un des piliers de la cohésion sociale. Ces HÉMISPHÈRES BULLETIN

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RECHERCHE

L’internationalisation

valeurs-là m’engagent et me motivent. On ne se rend parfois pas compte, en Europe, de la chance que nous avons de pouvoir bénéficier de l’éducation à un prix accessible. La HES-SO représente un élément fort de cohésion sociale car elle permet l’intégration de personnes aux parcours différents. C’est un ascenseur social qui donne la possibilité à des apprentis d’acquérir des compétences pointues. Vous savez, le virage de la formation professionnelle au niveau tertiaire a été manqué en Italie. Le résultat, c’est que les jeunes issus des écoles techniques qui souhaitent poursuivre leurs études n’ont pas d’autre option que l’université. On se retrouve alors avec un marché saturé de jeunes diplômés aux compétences similaires, et surtout sur-formés. Vous avez vous-même travaillé en tant que chercheuse au CERN, à l’EPFL, puis à l’Université de Neuchâtel, durant une dizaine d’années. Quelles sont vos ambitions pour la recherche au sein de la HES-SO?

Je souhaite agrandir les pôles de recherche de la HES-SO car je crois en leurs atouts: il s’agit d’une recherche qui développe un savoir systémique et multidisciplinaire, contrairement au savoir de pointe, développé dans les universités. Ce dernier donne des résultats à un horizon de 40 ou 50 ans. La recherche systémique permet de trouver des solutions pratiques aux problèmes auxquels la société est confrontée maintenant. Il faudra développer des pôles de com26 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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pétences sur des thèmes phares de la société, comme le vieillissement, l’aménagement urbain, l’énergie ou la traçabilité des denrées. Je veux aussi travailler au niveau de la relève des chercheurs, qui représente l’un de nos gros défis à venir. J’aimerais que les HES soient capables de générer leur propre relève, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nos étudiantes et étudiants talentueux doivent pouvoir envisager de faire carrière chez nous. Vous allez gérer de nombreuses personnes et de nombreux projets. Quel est votre style de management?

Mon parti est clairement celui d’un management participatif. Je suis à l’écoute de mes collaboratrices et collaborateurs et j’aime faire remonter les idées. Je me nourris des échanges avec les autres. Cela ne veut pas dire qu’au moment voulu, je ne puisse pas trancher. Je suis ensuite capable d’assumer mes décisions. Il me semble important de faire adhérer mes équipes et de les entraîner dans un mouvement positif. Comment faites-vous pour concilier votre carrière et l’éducation de vos deux filles de 8 et 11 ans?

Je constate que cette question n’est pas posée aux hommes qui ont le même niveau de responsabilités, et qui ont aussi une famille! Néanmoins j’y réponds volontiers car je pense que mon parcours peut inspirer des jeunes femmes qui pensent qu’un choix entre famille et vie

professionnelle s’impose. Je crois que cela n’est plus d’actualité. Au fond, comme l’a très bien dit Sheryl Sandberg (COO de Facebook), il faut de la volonté et beaucoup d’organisation. Personnellement, je suis une féministe décomplexée: je ne cherche pas à copier les hommes et je m’assume en tant que femme et maman. J’aime m’habiller de façon féminine et mettre des talons. J’adore mon rôle de mère et je suis très investie dans la vie et l’éducation de mes deux filles. Tout cela n’aurait pas été possible si je n’avais pas été soutenue aussi par des hommes. Tout d’abord mon mari, qui a toujours travaillé à 80%. Puis mes supérieurs successifs, qui m’ont fait confiance et m’ont laissée être flexible. Je pense qu’il est très important de permettre aux cadres, tant hommes que femmes, d’opter pour un 80% s’ils le souhaitent. Cela fait partie des mesures que je vais mettre en place. Que signifie pour vous l’anniversaire des 15 ans de la HES-SO?

La HES-SO est une adolescente... Mais je me promets que je la mènerai jusqu’à l’âge de raison! Trêve de plaisanterie, je ressens beaucoup d’émotion pour toutes les étudiantes et étudiants qui ont déjà été formés chez nous et qui portent nos titres. Et je rends hommage au travail de pionnier effectué par le monde politique, mes prédécesseurs, l’ensemble du corps enseignant et de recherche, ainsi que du personnel administratif et technique durant toutes ces années.


L’édification d’une haute école HISTOIRE

Un grand nombre de femmes et d’hommes ont contribué à l’édifice de la HES-SO durant 15 ans. Nous en avons rencontré quelques-uns pour qu’ils partagent leurs souvenirs. TEXTES | Jade

Albasini, Benjamin Keller, Bartek Mudrecki, Geneviève Ruiz

HÉMISPHÈRES BULLETIN

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HISTOIRE

Les contributeurs

Le parcours de Simon Darioli est celui d’un infatigable constructeur. «J’ai eu la chance, si on peut dire, de toujours arriver dans des organisations et des services qui étaient à créer ou à restructurer, et donc de faire bouger les choses.» Alors qu’il part en préretraite à la fin de 2013, il est évident qu’il ne s’arrêtera pas: «Je n’ai pas la passion de cultiver des bégonias. J’aime entreprendre, faire grandir des projets. Dès l’année prochaine, j’ouvre un cabinet de consultant pour le domaine du social.»

ANTHONY LEUBA

A 61 ans, Simon Darioli, chef du Service d’action sociale du Valais, est loin du cliché que l’on se fait du fonctionnaire. Il ne compte pas ses heures et ne s’arrête jamais: «J’ai la chance de ne pas devoir pointer et j’exploite ce privilège pour rencontrer des personnes dans le cadre de mon travail, en dehors des heures officielles de bureau.» A côté de ces fonctions, Simon Darioli a fait partie du groupe de pilotage pour mettre en place la structure HES Santé sociale romande. En 2001, il a été nommé par le Conseil d’Etat pour monter la partie valaisanne de ce projet: «Nous avons dû prendre de l’avance sur l’histoire. Et faire vite, car la rentrée était prévue pour 2002.» Surtout, il ne fallait pas que les étudiants de la région aillent voir ailleurs pour se former. Mais les choses ont pu être organisées à temps et Simon Darioli est devenu directeur ad interim à 50% de la filière HES, ouverte en 2002. Il a parallèlement gardé son poste de chef du Service d’action sociale, qu’il occupe depuis 1995.

«Nous ne voulions pas que les Valaisans aillent se former ailleurs»

Simon Darioli, chef du Service de l’action sociale du Valais. 28 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Anne-Catherine Lyon aime les anniversaires. Car ils permettent de revenir un instant sur le chemin parcouru et de prendre du recul. Les 15 ans de la HES-SO lui tiennent particulièrement à cœur. En tant que présidente puis vice-présidente du Comité stratégique de la HES-SO depuis 2003, la politicienne vaudoise s’est particulièrement investie dans ce projet auquel elle a beaucoup cru. «Je ne fais pas partie de la génération qui a posé les bases de l’édifice, mais j’ai activement participé à sa construction.»

La socialiste tient également à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui se sont investis dans l’ombre pour le succès de la HES-SO: «Les professeurs, ainsi que le personnel technique et administratif des écoles, des services cantonaux et de la HES-SO à Delémont, ont travaillé d’arrache-pied. Imaginez seulement ce que représente passer de 4’000 à 19’000 étudiants en moins de 15 ans! Les budgets de recherche ont également explosé, passant de quelques milliers à plusieurs millions de francs. La gestion de tout cela s’est faite de façon remarquable.»

«Nos diplômés sont très cotés sur le marché du travail»

ANTHONY LEUBA

Parmi les souvenirs marquants de la conseillère d’Etat figurent les différentes conventions successives qui ont permis de donner un socle juridique à ce réseau de 27 écoles. «Les combats ont été rudes, car il s’est agi de fusionner des établissements et de convaincre les cantons qu’ils gagneraient à abandonner une partie de leur souveraineté pour le bien collectif.» Ce dont Anne-Catherine Lyon est particulièrement fière, c’est de la qualité des diplômes HES-SO, très cotés sur le marché du travail. Et sur la possibilité que ces filières offrent à des apprentis titulaires d’une maturité professionnelle d’embrasser de belles carrières en enchaînant leurs études jusqu’au niveau master. «C’est important dans un pays comme la Suisse, qui manque de diplômés universitaires.»

Anne-Catherine Lyon, conseillère d’Etat vaudoise chargée du Département de la formation et de la jeunesse, présidente, puis vice-présidente du Comité stratégique de la HES-SO depuis 2003. HÉMISPHÈRES BULLETIN

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HISTOIRE

Les contributeurs

Pierre Wavre connaît chaque recoin de la Haute Ecole de Musique (HEMU) et du Conservatoire de Lausanne. A l’âge de 7 ans, il y a fait ses premiers pas, une flûte à bec à la main. «Je suis un des rares produits maison, confie-t-il en souriant. J’ai fonctionné dans tous les rouages de cet établissement.» Après avoir achevé sa formation, il se perfectionne en Allemagne à la Hochschule für Musik de Fribourg-enBrisgau, avant de rejoindre l’Orchestre de Winterthour. Nommé flûte solo de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, il retrouve le Léman en 1973 et s’y installe avec sa famille. Il ne repartira plus. En 2001, Pierre Wavre reprend la direction du Conservatoire de Lausanne. «A l’âge où en tant qu’instrumentiste le déclin commence, j’ai pris de nouvelles fonctions. J’ai été engagé pour effectuer la transformation de l’institution en HES. Il a ensuite fallu neuf ans pour mettre sur pied le domaine Musique et Arts de la scène.»

«La Suisse devra choisir combien de musiciens elle veut former»

ANTHONY LEUBA

L’ouverture du département de Jazz ainsi que les alliances avec les sites de Fribourg et de Sion marquent la création de la Haute Ecole de musique moderne et permettent à l’établissement de rassembler une masse critique de musiciens. Sous l’impulsion de la HES-SO, l’ancien Conservatoire a pris son envol. La mobilité offerte via les accords de Bologne a ouvert de nouvelles perspectives aux étudiantes et étudiants. Malgré cela, Pierre Wavre se pose la question de l’avenir de la formation classique. «De nos jours, la moyenne d’âge dans les salles de concert est élevée. La société se transforme et le concert devra aussi s’adapter. La Suisse devra choisir combien de musiciens elle veut former dans ces HEM.»

Pierre Wavre, ancien directeur de la Haute école de Musique de Lausanne – HEMU avec ses sites décentralisés de Fribourg et de Sion. 30 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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La plateforme HES-SO au festival Paléo et le développement des activités de recherche appliquée, également au niveau européen, ont représenté d’autres projets importants pour Marc-André Berclaz. Ce dont il est particulièrement fier, c’est du développement du système de passerelles qui permettent à un apprenti mécanicien d’obtenir une matu pro, puis d’entamer un Bachelor, qui peut être suivi d’un master et, pourquoi pas, d’un doctorat. «Certaines trajectoires de nos étudiants m’ont beaucoup touchés et j’étais heureux de pouvoir leur remettre ce diplôme.»

Marc-André Berclaz a quitté le navire HES-SO en juin 2013 pour un nouveau défi en tant que directeur opérationnel du pôle EPFL Valais. «Cette opportunité est arrivée au bon moment car j’avais fait mon temps à la HES-SO. Lorsqu’on reste trop longtemps dans une structure, on la connaît parfois trop bien pour la faire évoluer.» Ce changement représente également un retour à ses origines pour cet «homme de chantier» – comme il se définit lui-même – qui a passé son enfance à Sierre et a dirigé la Haute école valaisanne avant de prendre ses quartiers au siège de la HES-SO à Delémont.

ANTHONY LEUBA

Lorsqu’il a repris les rênes de la HES-SO en 2003, Marc-André Berclaz pensait s’engager pour trois ou quatre ans. Ce quinquagénaire à l’esprit d’entrepreneur est resté dix ans à ce poste, qu’il considère comme ayant été une aventure passionnante. «Construire un édifice intercantonal comme la HES-SO a nécessité endurance et persévérance. Les résistances ont été nombreuses et il a fallu beaucoup négocier, tant avec les cantons qu’avec les écoles et la Confédération. L’un de mes meilleus souvenirs reste l’ouverture des filières Master de la HES-SO en 2007, qui a permis un grand bond en avant. Les différents acteurs impliqués ont alors compris qu’ils gagneraient davantage en travaillant ensemble. Ils ont commencé à intégrer l’identité HES-SO en plus de celle de leur école.»

«Cette construction a nécessité endurance et persévérance»

Marc-André Berclaz, directeur opérationnel du pôle EPFL Valais et ancien président de la HES-SO. HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Les contributeurs

Pour Eric Fumeaux, les hautes écoles représentent une université des métiers indispensable à la construction de la Suisse. Mais l’ancien directeur de la HES-SO Valais-Wallis et de l'OFFT (Office Fédéral de la Formation professionnelle et des Technologies) confie que sa naissance dans le Vieux-Pays n’a pas été de tout repos. «Il fallait concilier les divergences entre le haut et le bas du canton, ainsi qu’entre la plaine et la montagne, tout en étant novateur dans le choix des filières et ouvert à la collaboration avec l’industrie. Des écoles ont été par la suite fermées ou délocalisées, alors que d’autres ont été renforcées.» L’histoire de la HES-SO Valais-Wallis a commencé en 1988. Diplômé de l’EPHZ en ingénierie, Eric Fumeaux retourne dans la plaine du Rhône pour travailler chez Lonza. La direction de l’époque menaçait de délocaliser car il manquait une infrastructure de formation de cadres à proximité de leur entreprise. «Ils avaient raison, le Valais devait être plus compétitif. Nous avons donc créé l’école d’ingénieurs à Sion. Tout a été bâti de zéro, il a fallu monter les laboratoires, trouver le corps professoral.» Avec le temps, les hautes écoles se sont rassemblées, devenant en 2007 l’emblème de l’éducation supérieure en Valais. «La HES-SO a attiré de nouvelles sociétés et des emplois. Elles sont devenues une réelle valeur ajoutée au cœur des Alpes.»

«La HES-SO a attiré de nouvelles entreprises et créé des emplois»

ANTHONY LEUBA

HISTOIRE

Pour ce conseiller en management, la jeune génération doit désormais prendre le relais. «Il faut leur donner la parole, qu’ils construisent la Suisse de demain. Pour cela, ils doivent être armés, capables de s’adapter aux contraintes. La HES leur apprend un métier, mais ils doivent être encore plus flexibles et savoir évaluer d’autres possibilités.» Eric Fumeaux, CEO de Fumeaux Consulting, ancien directeur de la HES-SO Valais-Wallis et de l'OFFT (Office Fédéral de la Formation professionnelle et des Technologies). 32 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Depuis qu’il a été élu syndic de Nyon il y a cinq ans, Daniel Rossellat a toutefois moins de temps à consacrer au festival qu’il a fondé en 1976. Aujourd’hui, il s’occupe surtout des nouveaux projets et conserve un regard sur les finances et la communication. Parmi les réalisations qu’il chapeaute figure aussi la collaboration avec la HES-SO. Depuis 2005, ses installations artistiques couplées d’un message de prévention sont devenues incontournables sur la plaine de l’Asse et gagnent chaque année en amplitude. «La HES-SO cherchait un moyen d’accroître sa visibilité et nous avons pensé qu’il serait intéressant de faire collaborer toutes les filières sur un travail commun. L’idée était de montrer que la HES-SO n’est pas qu’une juxtaposition de hautes écoles, mais qu’elle forme une institution avec une identité propre. Ce qui n’allait pas forcément de soi.»

Lorsqu’il ne court pas les festivals ou les séances politiques, Daniel Rossellat se ressource dans la maison qu’il possède au Québec. «C’était un rêve de gamin. J’aime les grands espaces, et la mentalité québécoise est très agréable. Les gens sont un peu moins stressés qu’en Suisse.» Une région qui permet à ce fan des Canadiens de Montréal d’assouvir sa passion pour le hockey. Peu de Nyonnais le savent, mais il a fondé le Hockey Club de la ville et n’a rangé ses patins que récemment.

ANTHONY LEUBA

Daniel Rossellat ne s’arrête jamais. A peine le Paléo terminé, il se trouve déjà sur un autre festival, celui d’Outside Lands à San Francisco, au moment de prendre contact avec lui. «On fait la tournée des événements musicaux avec nos programmateurs pour évaluer les groupes que l’on suit», explique le patron de l’open air nyonnais.

«Nous voulions montrer que la HES-SO n’est pas une juxtaposition de hautes écoles»

Daniel Rossellat, fondateur du Paléo Festival et syndic de Nyon. HÉMISPHÈRES BULLETIN

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HISTOIRE

Les contributeurs

Lydia Christe fait partie de ces personnes qui ont connu la HES-SO dès ses débuts, mais vu d’en bas. Secrétaire et procès-verbaliste de l’institution durant douze ans, elle a participé à la mise en place du siège administratif de la HES à Delémont, en 1997: «Nous avons commencé dans un bureau de 60 m2, avec pour seul équipement un ordinateur! Puis tout s’est développé extrêmement vite, nous engagions des collaborateurs à tour de bras. Cela ressemblait à un marathon.»

Outre la course effrénée, Lydia Christe se rappelle également de belles rencontres: «Ce furent des années exigeantes mais enrichissantes.» D’ailleurs, alors qu’elle pensait prendre une retraite anticipée pour souffler un peu, Lydia Christe a finalement poursuivi son parcours professionnel jusqu’au bout: «Un événement personnel tragique, le décès de mon petit-fils, m’a beaucoup ébranlée. J’ai alors décidé de rester à ce poste pour m’occuper l’esprit et ce fut très positif.»

ANTHONY LEUBA

Organisée et efficace, Lydia Christe se voit confier la responsabilité des séances des organes dirigeants, qui s’accéléraient au fur et à mesure que la HES-SO prenait de l’ampleur. «J’ai apporté mon petit caillou à ce grand édifice», confie-t-elle. Parmi les souvenirs partagés par cette jeune retraitée, il y a d’abord le rythme intense des journées de travail: «Il fallait toujours tout faire vite. Mais il n’a jamais été question de bâcler mes tâches. Heureusement, je travaille bien sous pression, c’est même un stimulant. J’étais parfois tellement méticuleuse que certains se riaient de mon anxiété préventive.»

«Au début, le siège de Delémont ne comptait qu’un seul ordinateur»

Lydia Christe, ancienne secrétaire et procès-verbaliste de la HES-SO. 34 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Depuis dix ans, Laurent Essig incarne l’aventure Paléo de la HES-SO, qui rassemble près de 300 participants. Ce projet d’envergure réunit les talents des différents établissements. «Nous concevons des installations monumentales et éphémères, ainsi que des scénographies qui dévoilent un savoir-faire spécifique. Pour les réaliser, les étudiantes et étudiants doivent relever de nombreux défis. Ils plongent dans la réalité du monde de l’architecture et du paysage sans gilet de sauvetage. Il faudrait que d’autres idées similaires puissent émerger en Suisse pour offrir aux jeunes l’opportunité de vivre un projet de A à Z.»

«Le projet de Paléo représente un voyage intense dans la réalité»

ANTHONY LEUBA

Durant le Paléo Festival de Nyon, Laurent Essig se mue en capitaine d’un navire qui traverse l’océan, sous un ciel parfois agité. «Je tiens la barre mais j’ai d’excellents matelots. Ensemble, nous réalisons nos rêves», confie avec passion cet architecte-paysagiste et professeur à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève-hepia. L’océan évoque la plaine de l’Asse et les intempéries les contraintes techniques d’un projet créatif et éphémère monté en quelques mois pour 250’000 festivaliers.

La passion pour le paysage, l’architectepaysagiste l’a développée très tôt. Après une formation à l’école d’horticulture, puis un diplôme d’ingénieur paysagiste dans les années 1980, Laurent Essig se spécialise en aménagement du territoire, avant d’aller puiser de nouvelles sources d’inspiration à Buenos Aires, en Argentine. «Je vois mon métier comme celui d’un artisan. La dimension esthétique n’est pas une fin en soi. C’est la valeur d’usage qui m’intéresse en priorité. Décomplexer les contextes et bousculer les apriori me motive.»

Laurent Essig, architecte-paysagiste et professeur HES. HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Une pionnière de la HES-SO

OPINION

Martine Brunschwig Graf a participé à la naissance de la HES-SO. Elle raconte ses souvenirs.

La HES-SO fête ses 15 ans d’existence. J’ai de la peine à imaginer aujourd’hui qu’elle ait pu ne jamais exister! Et pourtant, il s’en est fallu de peu car, le 2 décembre 1994, les conseillers d’Etat chargé du dossier devaient décider entre une ou deux HES pour l’ensemble de la région. Ils ont tranché à l’unanimité pour une structure, convaincus du potentiel que représentent, pour l’ensemble de la région, les lieux de formation et de recherche, mais aussi les différences économiques et culturelles des sept cantons concernés. La HES-SO est un modèle unique dans le paysage suisse des hautes écoles. Institution multi-sites, réunissant l’ensemble des domaines de formation HES et, surtout, sept cantons engagés dans ce qui était une véritable aventure.

36 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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ANTHONY LEUBA

«Abandonner le Kantönligeist n’allait pas de soi»

Martine Brunschwig Graf a présidé le Comité stratégique de la HES-SO entre 1998 et 2003 et y a contribué depuis ses tout débuts. La politicienne, qui a également présidé le Conseil suisse des hautes écoles spécialisées, s’est engagée corps et âme dans ce projet auquel elle croyait. Pour cette libérale, le système HES est porteur d’une valeur forte: permettre à chacun de tirer le meilleur de lui-même. Une mission dont elle se souvient qu’elle a été ardue et qu’elle ressemblait à un combat permanent. Durant toutes ces années, elle a dû non seulement intégrer des domaines différents, mais surtout convaincre les cantons de leur avantage à participer à la HES-SO. Certaines décisions ont été douloureuses: «Nous avons dû trouver un équilibre entre centralisation et décentralisation et adopter un système de financement équitable. J’ai pris des risques politiques à Genève pour faire avancer les choses.» La loyauté indéfectible de Martine Brunschwig Graf au projet HES-SO a inspiré la confiance de ses collègues des autres cantons, avec lesquels elle a toujours cherché à être transparente. Tout ce travail en a valu la peine à ses yeux: «Le parcours de cette institution est fantastique. Nous avons réussi la tâche difficile de faire du neuf avec du vieux. Qui aurait cru, à l’époque où nous avons pris la décision de réunir toutes ces écoles en une seule structure, que l’avenir lui réserverait un tel succès?»

La politicienne genevoise Martine Brunschwig Graf était présidente du comité stratégique de la HES-SO de 1998 à 2003.


Abandonner le Kantönligeist au profit d’un projet commun, cela ne va pas nécessairement de soi dans un système démocratique où chaque conseiller d’Etat partenaire doit rendre des comptes à son gouvernement, à son parlement et ses électeurs. Restait aussi à trouver le bon équilibre entre ce qui doit être fait et dirigé au centre et ce qui peut et doit être réalisé sur le terrain, dans les lieux de formation et de recherche. Il y aura toujours des tensions, tout comme il s’en est manifesté depuis le début. La HES-SO s’est faite malgré la complexité, mais elle doit vivre aujourd’hui avec cette complexité et savoir la dépasser. Il n’existe pas de recette miracle pour arbitrer, si ce n’est de répondre en permanence à une exigence de qualité. En matière de formation, de recherche, de formation continue et de collaboration avec le tissu économique, social et culturel de la région, et bien au-delà. Il faut savoir renoncer au tout partout pour choisir le meilleur quel que soit le lieu. Les étudiants qui choisissent la HES-SO sont en droit d’attendre d’elle qu’elle sache rayonner et renforcer sa réputation régionale, nationale et internationale. Chacun y trouve son avantage: l’institution qui attire ainsi les enseignants de qualité et des contrats de collaboration intéressants, mais aussi et surtout les étudiants dont l’avenir professionnel en sera d’autant facilité. Je suis convaincue depuis longtemps que la plus grande réforme de formation que la Suisse ait conduite durant ces dernières décennies est la création des HES. Avec elles, la formation professionnelle dispose d’une voie de formation qui se poursuit jusqu’au niveau des hautes écoles. C’est l’honneur de la HES-SO d’avoir choisi de s’y lancer en unissant les forces des cantons d’une grande région. C’est aussi un défi permanent pour elle que de démontrer que ce choix était le bon. Elle en a la force, elle en a les moyens. A celles et ceux qui la vivent au quotidien d’assurer la pérennité du bien-fondé de ce choix.

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Quand la recherche s’applique DÉVELOPPEMENT

La recherche à la HES-SO est à l’image de ses filières: axée sur la pratique, diversifiée et liée aux réalités économiques. Un champ en développement qui mise de plus en plus sur l’international. TEXTE | Cynthia

En matière de recherche, il y a l’image d’Epinal de l’universitaire passant plusieurs années à étudier un champ théorique bien défini. A l’opposé se situent les entreprises, pour qui l’élaboration de nouveaux produits nécessite une phase de recherche sur un très court terme. «Entre deux, il manquait un maillon dans la chaîne de valeur», explique l’ingénieur Eric Fumeaux, qui a participé à la création de la HES-SO il y a 15 ans et en a assumé la vice-présidence jusqu’en 2000. C’est ce maillon manquant que sont venues combler les HES avec la recherche appliquée. L’idée: «s’adapter aux besoins de l’économie sans y être soumis». En effet, la recherche exercée à l’université, généralement fondamentale, s’adresse surtout à la communauté académique, qui s’en 38 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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Khattar

inspire pour aller plus loin. Tandis que, dans les HES, «la recherche a pour bénéficiaires l’économie, l’enseignement et le public en général», indique Vincent Moser, conseiller recherche appliquée et développement pour la HES-SO. Mais la variété des filières implique «différentes cultures de recherche au sein de la haute école». ENTRE TRADITION ET PREMIERS PAS

La tradition de la recherche est en effet établie depuis plus ou moins longtemps selon les disciplines. Ainsi, en ingénierie, où les projets sont nombreux, la recherche existait déjà avant la création des HES, ce qui a permis au domaine d’évoluer depuis. «L’orientation vers le monde pratique et la collaboration avec les entreprises a longtemps été le modèle dominant dans les


TROIS PROJETS D’ENVERGURE

Des informations certifiées sur la santé

Innover dans les soins aux personnes âgées

Contrôler la consommation d’énergie

Offrir au public aussi bien qu’aux professionnels une plateforme internet de recherche d’informations vérifiées liées à la santé. C’est l’objectif du projet Khresmoi, initié en 2009 par Henning Müller, professeur responsable de l’unité eHealth à l’Institut Informatique de gestion de la HES-SO Valais-Wallis. «L’idée de la plateforme est de proposer une alternative à la recherche sur les moteurs internet classiques», explique le professeur. Afin de fournir des renseignements de qualité, Khresmoi compte parmi ses membres la fondation genevoise Health on the Net qui s’occupe depuis plusieurs années de répertorier et de certifier les informations sur la santé présentes sur internet. Khresmoi inclut également une analyse d’informations visuelles, soit des images ou vidéos, qui permettra entre autres aux radiologues de retrouver plus facilement à quoi peut correspondre la pathologie qu’ils découvrent sur une région spécifique d’une image. Khresmoi était à l’époque de son lancement le plus grand projet de l’Union européenne coordonné en Suisse. En effet, celle-ci pilote le projet par l’intermédiaire du professeur Henning Müller avec comme partenaire principal l’Université technique de Vienne. Plusieurs autres universités européennes, ainsi que des fondations et entreprises participent au projet, qui devrait aboutir en août 2014.

Pas moins de 13 pays européens ont collaboré au projet Interlinks, qui s’est déroulé de 2008 à 2011. Regroupés en 15 équipes, les chercheurs avaient pour objectif d’étudier les diverses politiques nationales de prise en charge des personnes âgées et de dresser un inventaire des projets innovants susceptibles d’améliorer la cohérence des prestations. C’est le professeur Pierre Gobet, sociologue au sein de la Haute école de travail social et de la santé – EESP – Lausanne, qui a initialement eu l’idée d’un projet lié à l’intégration des prestations sociales et sanitaires.. «J’ai contacté le professeur Kai Leichsenring de l’Université de Vienne qui, le recentrant sur les soins de long terme, a activé son réseau dans le domaine», explique Pierre Gobet. Interlinks a abouti à la publication d’un ouvrage en février dernier, Long-term care in Europe Improving policy and practice. De ce projet à grande échelle, Pierre Gobet tire un bilan positif: «Grâce à notre réseau de contacts, nous avons eu l’opportunité de montrer que le développement des soins de longue durée en Suisse s’inscrit dans un mouvement plus large, duquel elle s’inspire et auquel elle contribue.»

Piloté par le département d’ingénierie de l’Université d’Aarhus au Danemark, le projet SEMIAH s’inscrit dans le champ des Smartgrid, en l’occurrence l’optimisation de la chaîne de distribution d’électricité issue d’énergies renouvelables. L’idée de SEMIAH: implémenter un système informatique qui régulera la consommation énergétique directement dans les foyers reliés à ce réseau pour éviter les pertes. Cette vaste étude étendue entre la Scandinavie, l’Allemagne et la Suisse démarrera début 2014. Particularité? Parmi la douzaine de participants européens, on dénombre six institutions et entreprises suisses, dont quatre valaisannes. L’équipe de Dominique Gabioud, professeur de télécommunications à la HES-SO Valais-Wallis – Haute Ecole d’Ingénierie, en fait partie. L’enseignant voit dans ce projet l’opportunité de «collaborer avec des institutions qui disposent des compétences qui nous manquent. Tout en étant nousmêmes reconnus pour certaines spécificités.» Le projet SEMIAH est d’ailleurs intégré aux récents Swiss Competence Centers for Energy Research, pôles de compétences interuniversitaires qui visent à renforcer la recherche énergétique pour la période 2013-2016.

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DÉVELOPPEMENT

Quand la recherche s’applique

études d’ingénierie, précise Vincent Moser. Mais, aujourd’hui, on essaie d’être plus nuancé, en s’étendant davantage vers une recherche plus fondamentale.» D’où des projets de plus en plus nombreux réalisés en collaboration avec les écoles polytechniques fédérales.

chercheurs de la HES-SO à déposer des projets européens: «Nous assurons les relations officielles avec la Commission européenne et prenons en charge une partie des tâches administratives qui accaparent beaucoup les chercheurs dans le cadre de ces projets.»

L’histoire est plus courte en Santé. La Suisse fait en effet partie des quelques pays pionniers à offrir un enseignement dans le domaine à un niveau supérieur. La recherche ne s’y est donc développée que lorsque la HES-SO a été créée. Ce qui implique aussi «des professeurs non détenteurs de doctorat qui se sont formés à la recherche en parallèle à leur activité d’enseignement pour élargir la base des enseignants chercheurs». Désormais bien établie pour le domaine de la Santé, c’est actuellement la recherche en art, filière intégrée en 2005, qui doit définir ses propres contours. «La question est en plein débat. Comment différencier la recherche d’une activité de création? s’interroge Vincent Moser. En parallèle à des travaux de type académique, des projets émergent en recherche-création, mêlant théorie et pratique personnelle.»

Pour Marc-André Berclaz, la HES-SO doit encore «renforcer ses collaborations et ses spécificités. Chaque école veut tout faire, mais la concurrence interne face à des projets internationaux peut être destructrice.» Pour l’ancien président, le défi de la recherche appliquée consiste aujourd’hui à affirmer son importance, «non seulement pour le monde de l’entreprise, mais pour l’enseignement lui-même». Ouvrant ainsi la porte à un autre débat, autour de la relève. «Comment réussir à mieux représenter la recherche dans l’enseignement sans nuire à l’application?» Une question complexe qui constituera l’un des enjeux cruciaux pour la nouvelle rectrice de la HES-SO, Luciana Vaccaro.

RENFORCER LES COLLABORATIONS, ICI ET AILLEURS

En quinze ans, la recherche à la HES-SO s’est ainsi modelée selon les filières et continue encore à se remodeler. En parallèle, l’institution a également accru sa présence à l’échelle internationale à travers des collaborations qui impliquent souvent une multitude de partenaires à travers le monde. Mais comment la jeune HES-SO peut-elle réussir à s’imposer sans une culture académique bien ancrée? «En compensant par des activités dans le réseau international», répond Marc-André Berclaz, qui a récemment quitté ses fonctions de président de la HES-SO, après dix ans à ce poste. L'ancien président a ainsi développé depuis plusieurs années un système d'incitation qui encourage les chercheuses et 40 HÉMISPHÈRES BULLETIN

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