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L’instinCt Et La raison

En octobrE prochain, cEla fEra trEntE ans pilE quE DaniEl Guyot s’aDonnE aux GranDEs travErséEs. pour sa 23E DiaGonalE D’affiléE, lE “ multi-raiDicivistE ” nE comptE riEn chanGEr à la rEcE ttE Du succès. un fin mEzzE EntrE l’instinct E t la raison.

“Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour parler de préparation ”, s’excuse presque Daniel Guyot, avec la modestie qui le caractérise, pour évoquer les différentes étapes qui l’amènent à épingler un dossard chaque année sur le Grand raid. à sa décharge, loin de toute routine, le breton d’origine s’apprête à honorer sa 23e Diagonale d’affilée, la 25e en tout depuis la mythique marche des cimes, en 1989, où il faisait déjà partie de l’aventure (voir ci-dessous). son approche de l’événement n’est donc pas celle de tout un chacun. forcément. se considérant lui-même dans une démarche “ atypique ” en comparaison d’une large majorité de raideurs, il pose les bases de son raisonnement. “ la préparation est généralement liée aux objectifs qu’on se fixe. un coureur qui veut faire un temps, par exemple, s’impose une contrainte qui va le forcer à se préparer pour atteindre cet objectif. mais moi, n’ayant comme unique but que celui d’arriver, ma seule préparation est de me maintenir en forme tout au long de l’année ”, introduit celui qui honore une trentaine de courses dans la saison, entre deux Grr En se creusant davantage les méninges, le Dionysien finit quand même par relever une forme de préparation à laquelle il s’adonne de façon annuelle à quelques mois du grand saut. “ chaque été (boréal), je vais en métropole. Et à chaque fois, je vais passer entre dix et quinze jours en haute montagne, soit dans les alpes, soit dans les pyrénées. Et ça, c’est important je pense. Je suis perché au minimum à 1500 m d’altitude et je fais des randos à plus de 2000 avec des passages de cols difficiles. évoluer dans ce genre d’environnement, ça constitue un très bon élément de préparation ”, estime Daniel.

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“ Ensauvag E m E nt ”

l’an passé, en compagnie de sa dulcinée, mireille vélia, en plus du trail du beaufortain (106 km, 7500 D+), les deux tourtereaux des cimes s’étaient lancés dans un tour du montblanc tout à fait adéquat dans la perspective du baptême diagonal que s’apprêtait à vivre mireille. “ on a fait un utmb par étapes en bivouac complet. avec des sacs énormes donc. ce n’est pas négligeable non plus ”, note l’enseignant. un effort spécifique qu’il compare un peu à celui que s’imposait en son temps pascal parny, le dernier coq lakour à avoir triomphé sur la Diag (2008). “ son truc, c’était ça aussi. il partait en montagne pendant plusieurs jours avec des gros sacs à dos. après, c’est sûr que quand tu poses ton sac, tu te sens tout léger. ” selon Daniel Guyot, cet “ ensauvagement ”, au sens noble du terme, tel qu’il le définit, est “ fondamental ”. à tous ceux qui seraient attentifs à ses propos, le professeur d’arts plastiques, qui confesse fuir toute forme de “ pédagogismes sportifs ” et qui n’a jamais été licencié dans le moindre club, livre quelques conseils de base. pour préparer le rendez-vous, le grand raideur le plus assidu de l’île préconise des “ sorties lon- conscient de sa chance de n’avoir jamais connu l’abandon, ni même la moindre blessure depuis 1987, le costarmoricain aux cannes d’airain n’a absolument aucune raison de changer sa philosophie. En vue de sa 25 e participation, l’athlète, qui avoue s’inspirer de traileurs tels que b rice Delsoulier, pablo vigil, a nton Krupicka, a ntoine Guillon ou bien encore florent b ouguin - “ des coureurs qui durent dans le dur ”, résume-t-iladoptera la même ligne conductrice. à savoir, “ adapter sa propre nature à l’environnement ”, afin de “ trouver l’animal qui est en soi ”. car comme il aime à le rappeler dans la langue de c icéron, “ ambulator nascitur, non fit ”. “ o n naît marcheur, on ne le devient pas ”. u ne sentence latine profondément ancrée dans la gues et bien bosselées en nature. au moins une fois par semaine ”. l’essentiel étant de se frotter “ à tous les terrains, à toutes les altitudes et par tous les temps ”, en prenant soin mémoire vive de l’érudit raideur. “ à bientôt 60 balais ”, comme il dit, le marcheur-né passera pour la première fois son “ contrôle technique ”, tel qu’il le nomme en souriant, dans le camp des v 3, en octobre prochain. comme à son habitude, le métronome qu’il est envisage d’atteindre la r edoute samedi soir, histoire de s’éviter une troisième nuit dans la montagne. En guise de conclusion, l’éternel finisher lance une ultime recommandation à l’attention des futurs bizuths. “ i l faut être sociable et solidaire aux ravitos, mais dans sa bulle sur les sentiers ”. u n conseil qui pourrait permettre à quelques jeunes loups un peu fous-fous de “ ne pas se laisser entraîner dans les faux trains ”. l’un des écueils majeurs à éviter sur le Grand r aid selon lui. E.G. de s’imposer des “ amplitudes thermiques importantes ”. un condensé en somme de ce que chaque fou rencontrera tout au long du parcours sur le Grr

1989 l E TRA il DES o R i G i NES

Daniel Guyot a eu l’insigne privilège de faire partie des 500 premiers fous à prendre le départ de la mythique marche des cimes, la Diagonale originelle, en 1989. le premier ultra de l’histoire à la réunion et l’un des premiers dans le monde. à l’époque, la traversée s’effectuait dans le sens nord-sud, avec un départ du barachois et une arrivée au tremblet, pour une distance totale de 112 km (5500 D+). Et le zorey fraîchement débarqué qu’il était à la fin des années quatre-vingt en garde toujours des souvenirs intacts. une période à laquelle, l’esprit de compétition n’existait pas ”. “ les origines du trail ”, résume-t-il. “ quand j’y repense, c’est incroyable ”, hallucine Daniel avec le recul. “ on devait faire la course en autonomie alimentaire totale. Donc tout le monde partait avec des gros sacs. le mien devait peser dans les 12 ou 13 kilos. J’avais notamment trois barquettes de riz-tomates embarquées dans le sac fourni, arborant le slogan “mon notaire marche avec moi”, qui était juste soutenu par deux bretelles, sans aucune sangle pour le corps. Ça ballottait de partout ! Et j’avais pris aussi une bouteille de 2 litres de thé au miel ”, raconte le pionnier breton.

PilE PlatE, vin roug E Et PoulEt bitumE

En fouillant encore davantage dans sa mémoire, lui reviennent quelques anecdotes savoureuses, illustrant parfaitement la grande convivialité et la solidarité “ extraordinaire ” qui régnaient dans les rangs des premiers grands raideurs de la création. “ peu après le départ, alors qu’on ne parlait que de bouffe, les gars s’offusquent: “quoi ? t’as pas de viande ?” En bons campagnards, ils me mettent l’embrouille. Du coup, je me suis senti obligé d’embarquer un poulet bitume... Deux potes avaient même emporté un litre de rouge ! ”, sourit encore Guyot en resongeant à la scène. chargé comme un mulet avec “ une paire de godasses en double, du linge de rechange et une cape de pluie ”, ainsi qu’un “ prototype de lampe frontale qui m’a fait dix minutes ”, précise-t-il, le marcheur des cimes atteint malgré tout la mi-course en bonne position. “ Je n’ai su que plus tard qu’il y avait un ravito à cilaos mais comme je suis passé dans les premiers, sans le savoir non plus, je n’ai pas croisé le moindre ravito jusqu’à l’arrivée. ” armé d’une seule pile plate (pas celle qui contient du rhum) pour éclairer son chemin, qui le lâchera dans le dernier tiers du parcours, Daniel Guyot franchit au final les portes de la délivrance au tremblet en 98e position, après 34h21 d’effort. lors de cette édition ô combien fondatrice, c’est un gendarme en vacances, Gilles trousselier, qui s’impose en 16h02. E.G.