Evaluation des capacités constructives du miscanthus en architecture

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ÉVALUATION DES CAPACITÉS CONSTRUCTIVES DU MISCANTHUS EN ARCHITECTURE Hannah Höfte ENSA Paris Malaquais – Séminaire de recherche sur l’éco-conception hannah.hofte@paris-malaquais.archi.fr

ABSTRACT : L’objet de cette recherche est l’utilisation d’une nouvelle ressource naturelle, le miscanthus. À l’heure où l’on cherche à réduire l’impact environnemental de nos constructions et au vu des émissions carbones générées par les matériaux contemporains, les fibres végétales semblent constituer une alternative intéressante. Le miscanthus, graminée pérenne qui peut se développer sur des terres pauvres et polluées, est une ressource en développement en Europe. De part sa similitude avec des plantes comme le bambou ou la canne déjà utilisées dans l’architecture vernaculaire, l’hypothèse de l’utilisation de la tige de miscanthus dans la construction est à étudier. C’est l’objectif de cette recherche. Après avoir évalué les capacités structurelles de la tige, en traction et en compression, une application en renfort de la terre crue est proposée et testée. Un premier essai est d’abord fait en renfort à l’échelle de la brique d’adobe (terre moulée), puis à l’échelle d’un poteau et d’une poutre, à la manière d’un ferraillage de béton armé, qui serait ici totalement bio-sourcé.

Mots clés : Miscanthus, fibres végétales, terre crue, tests mécaniques, bio-sourcé, éco-conception

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1. INTRODUCTION Lors de la COP 21 en 2015, la France s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030, par rapport au niveau de 1990. Aujourd’hui en France, le secteur du bâtiment représente un quart de ces émissions de gaz à effet de serre, et 44% de l’énergie totale consommée. Face à ce constat alarmant et la réduction grandissante des ressources en énergies fossiles et en sable par exemple, il est impératif de repenser nos manières de construire. Pour cela, il est important de remettre en question l’usage actuel de nos matériaux contemporains, en intégrant une réflexion sur leur disponibilité, leur empreinte carbone et leur analyse de cycle de vie. L’emploi de matériaux locaux, renouvelables, et peu couteux en énergie, semble un bon élément de réponse à cette réalité. Les exemples que nous fournit l’architecture vernaculaire à travers le monde, qui se nourrit de matériaux naturels locaux et d’une intelligence constructive adaptée à ces derniers et au contexte, semblent constituer une très bonne inspiration pour une architecture contemporaine plus respectueuse de son environnement.

d’application dans la construction. Ainsi, dans un rapport de 2011 [1], l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a particulièrement démontré le potentiel de développement actuel pour les fibres végétales à usages de matériaux en France. Il s’agit principalement du chanvre, du lin et du miscanthus.

1.2. Les différents usages des fibres dans la construction. Elles ont depuis longtemps un grand champ d’applications dans la construction, comme le montre l’architecture traditionnelle vernaculaire, qui est source d’inspiration : - En Irak, les Marsh Arab construisent leurs maisons uniquement à l’aide de roseaux qui, tressés ensemble, forment des arches structurelles. (Figure 1)

1.1. L’intéret des fibres végétales Les fibres végétales, qui constituent une grande ressource à travers le monde, présentent de nombreux atouts et peuvent constituer un réel enjeu pour réduire l’impact environnemental de nos constructions. En effet, elles représentent une ressource renouvelable qui permet dans le même temps de stocker du CO2. Il existe une large variété de fibres aux propriétés variées : la paille, le chanvre, le roseau, le bambou par exemple... Elles se répartissent quasiment partout sur la planète et peuvent donc représenter une ressource locale dans de nombreux lieux. De plus, les fibres végétales présentent différentes qualités selon leur nature (légèreté, résistance thermique, phonique, résistance mécanique...), leur permettant de répondre à un grand champ 2

Figure 1 : Maison en roseau des Marsh Arab, Irak

- En Normandie ou en Alsace depuis le Moyen-Age, la paille est associée à la terre crue pour former du torchis très isolant dans les maisons à colombages - Dans la région montagneuse Paisa en Colombie, les maisons traditionnelles sont construites entièrement en bambou, où il sert à la fois de structure et de parement. Les exemples sont innombrables. Depuis quelques années, le laboratoire Craterre et Amaco (Atelier Matière à construire) s’intéressent particulièrement à l’usage des fibres végétales. Le riche état de l’art qu’ils ont établi [2] nous montre les différentes fonctions auxquelles peuvent


répondre les fibres végétales selon leur nature : portant, renforçant, isolant... Elles sont présentées dans le diagramme ci dessous. (Figure 2)

de miscanthus produit représente 1,8 tonnes de CO2 captés [3] et un hectare de miscanthus utilisé dans le bâtiment permet de stocker environ 40 tonnes de CO2. De plus, la culture de miscanthus présente un fort intérêt territorial. Bien qu’elle nécessite une quantité d’eau relativement importante (au moins 400mm/an) et un minimum de température (entre - 7°C et 30 °C pour produire un bon rendement), elle a la capacité de pousser dans des sols très divers et de s’adapter aux sols pauvres et pollués, ou même chargés en métaux lourds, comme dans d’anciennes zones industrielles. [3]

Figure 2 : Les fonctions des fibres végétales dans la construction - Laboratoire Craterre

De nombreuses applications sont ainsi possibles avec les fibres végétales dans l’architecture, ce qui va inspirer notre recherche.

2. LE MISCANTHUS, UNE NOUVELLE RESSOURCE POUR L’ARCHITECTURE 2.1. Intérêt à l’échelle territoriale et environnementale Le miscanthus est une plante graminée pérenne originaire d’Asie. Elle présente de nombreux avantages, notamment au niveau de sa culture. C’est une plante rhizomatique, c’est-à-dire qu’une fois plantée, elle se renouvelle chaque année par elle même sans avoir besoin d’être replantée. Sa culture nécessite très peu d’intrants chimiques. La variété hybride Miscanthus x giganteus est stérile et n’est donc pas invasive. La culture de miscanthus a par ailleurs un très bon rendement (10-20 tonnes/ha/an[3]), et qui permet donc de capter beaucoup de CO2. En effet, 1 tonne

Figure 3 : Un champ de miscanthus au moment de sa récolte à la fin de l’hiver (photo Hervé Oudin)

2.2 Une filière en développement en Europe Ainsi, ces nombreux atouts font du miscanthus une ressource intéressante, qui est d’ailleurs en fort développement en Europe. Sa filière est croissante en France, mais n’est pas encore comparable à celle de la Grande Bretagne et de l’Allemagne, qui ont déjà depuis plusieurs années misé sur cette ressource (en 2013 : 17 000 ha en Angleterre, contre seulement 4000 en France [4]). Depuis 2013, l’association «Biomis G3» s’est créée pour développer une filière économique autour du miscanthus, réunissant des partenaires dans l’industrie, l’agriculture et les territoires. [5] Parmi eux, la société Novabiom, basée en Eure et Loir, participe au développement de la filière en aidant les agriculteurs à implanter les cultures 3


de miscanthus, difficiles à mettre en oeuvre individuellement (un outillage particulier est préférable pour l’implantation). Elle vise aussi à développer des unités de transformations et de tri de la matière localement directement auprès des cultures. Nous avons visité leur ferme dans l’Eure (Figure 4a), où le miscanthus est cultivé et transformé directement sur place en copeaux de différentes tailles. Nous avons pu observer le fonctionnement d’une telle unité, qui est un prototype à développer, ainsi que les appareils utiles à la plantation des rhizomes. (Figure 4b)

Figure 5a et 5b : Répartition mondiale du miscanthus (en haut) et du bambou (en bas) - source : cirad

Si le miscanthus peut éventuellement être comparé au bambou par sa morphologie , il est intéressant de noter que sa répartition géographique (Figure 5a) est différente car il pousse naturellement en Europe, tandis que le bambou se concentre dans les zones tropicales, comme l’indique la carte ci dessus. (Figure 5b) On peut donc imaginer une application du miscanthus dans la construction en Europe via des filières de distribution locales, comme celles qui se développent actuellement. Il pourrait peut-etre représenter une alternative au bambou, qui présente de nombreuses qualités déjà prouvées dans la construction, mais qui n’est pas endémique en Europe. On pourrait alors s’inspirer de la construction en bambou et se questionner sur son applicabilité au miscanthus. Figure 4a et 4b : La ferme Novabiom, les machines de plantation et de broyage (photos personnelles)

2.4 Caractéristiques de la fibre 2.3 Comparaison avec d’autres fibres Par rapport au chanvre ou au lin, qui sont d’autres fibres également en développement dans le bâtiment, elle nous intéresse pour ses dimensions importantes (jusqu’à 4m de haut et 15mm de diamètre), qui la rapproche du bambou et nous permet d’imaginer un plus grand éventail d’applications dans la construction. 4

Le miscanthus est une plante dont la morphologie et les propriétés botaniques rappellent le bambou. Ses dimensions sont cependant plus réduites. Sa tige se développe verticalement jusqu’à 4m de hauteur, en formant des nœuds successifs de plus en plus rapprochés. Elle est irrégulière, dure à sa base, où son diamètre peut atteindre 10 à 15 mm, et fine et tendre à son extrémité, où son diamètre diminue jusqu’à 2 mm. (Figure 6)


Il est majoritairement constitué de cellulose, et qui constitue environ 43% de la plante. Ses propriétés mécaniques sont négligeables. 2. Le sclerenchyme, tissu hydrophobe qui entoure le parenchyme. Il forme une croûte à la forte concentration en lignine, ce qui lui confère les propriétés mécaniques de la tige. Pour nos expériences, où nous allons nous concentrer sur les capacités mécaniques de la plante, nous allons pouvoir négliger la présence du parenchyme.

2.5 Applications actuelles Le miscanthus est utilisé actuellement pour des usages assez variés : comme combustible pour du chauffage (son pouvoir calorifique étant élevé), en litière animale, ou paillage horticole. Dans le domaine des matériaux, son utilisation est encore moindre mais se développe notamment sous forme de biocomposites (Figure 8) ou de panneaux isolants pour la construction, tirant profit des bonnes propriétés thermiques du miscanthus. Figure 6 : Schéma d’une tige de miscanthus (par l’auteure)

Sclerenchyme (fort taux de lignine)

Parenchyme (fort taux de cellulose)

Figure 7 : Coupe microscopique d’une tige de miscanthus (source : Cirad - PHIV)

En observant une photographie microscopique (Figure 7) de sa coupe, on remarque qu’elle est composée de deux éléments : 1. Le parenchyme, sorte de moelle hydrophile qui contient les nutriments de la plante, située au centre.

Figure 8 et 9: à gauche, biocomposite à partir de miscanthus (source [6]) - à droite, parpaing Calcia à droite

Une utilisation du miscanthus dans des blocs porteurs est à l’étude par l’entreprise de ciment Calcia en partenariat avec l’association Biomis G3 et le programme de recherche «Biomass for the Futur» coordonné par l’INRA. Ce bloc de ciment (Figure 9) est constitué de 60 % en moyenne de broyats de miscanthus en substitution des granulats et vise une résistance mécanique de 3 MPa. [7]

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2.6 Un fort potentiel pour la construction? Comme nous l’avons vu, le miscanthus présente de nombreux avantages environnementaux et semble être une ressource en plein développement qui pourrait être intéressante afin de remplacer nos ressources non renouvelables. Ses applications actuelles dans la construction sont assez moindres et repose sur une mise en oeuvre des fibres broyées et agglomérées, comme dans les panneaux isolants ou le bloc de béton de miscanthus. Cependant, l’utilisation de la tige sans la broyer est encore peu étudiée et nous semble une piste intéressante. C’est celle qu’a poursuivi un groupe d’ingénieurs allemands, Frank Möller, Christel Hoch et Axel Schröder[8], qui ont développé des panneaux sandwich légers végétaux à base de tiges de miscanthus. Le produit est constitué de tiges de 30mm placées à la verticale, collées entre elles à l’aide d’une mousse polyuréthane végétale et prises entre deux plaques de bois. (Figure 10)

Figure 10: Schéma du Light Natural Sandwich Panel

Ces panneaux sont à la fois légers et très résistants (résistance à la flexion maximale de 33 MPa, résistance à la compression maximale de 15 MPa [8]), et peuvent constituer des éléments robustes de plancher ou de parois. Un élément très intéressant de ce projet de recherche est le développement d’une usine de production de ces panneaux “LNS” (Light Natural Sandwich) à partir des tiges de miscanthus, de façon à rendre la fabrication industrialisable et potentiellement rentable économiquement. (Figure 11) 6

Figure 11: Usine de production des LNS Panel (source [9])

Le travail de ces chercheurs allemands n’a pas encore débouché sur une réelle industrialisation, mais constitue une bonne inspiration pour notre recherche. En effet, il ouvre une piste concrète vers un processus de fabrication efficace à partir des tiges : en partant des tiges jointes en bottes, une scie mécanique permet d’obtenir rapidement un grand nombre de tiges coupées à la même hauteur, puis collées entre elles grâce à une colle végétale, elles sont redécoupées en «tranche» de tiges collées les unes aux autres. Ainsi, nous avons vu qu’il existe déjà quelques applications du miscanthus dans le bâtiment, sous forme de copeaux, et qu’une proposition d’utilisation de sa tige non broyée dans des panneaux sandwichs est à l’étude. L’objet de notre recherche est donc d’explorer quelles pourraient être les autres applications dans la construction de cette ressource renouvelable disponible. Sa tige semble présenter des propriétés très intéressantes, notamment par sa similitude avec le bambou. Ses dimensions pourrait nous amener à imaginer différentes applications, notamment en fonction portante et renforçante. Nous chercherons à tester dans quelle mesure sa tige pourrait constituer un élément de construction pour l’architecture, en commençant par tester ses capacités structurelles.


3. ÉVALUATION DES CAPACITÉS STRUCTURELLES DE LA TIGE DE MISCANTHUS Les propriétés mécaniques du Miscanthus ont jusqu’à présent été peu étudiées. Nous savons simplement, d’après un article de Kaak et Schwarz [10], que son module de Young varie selon la composition chimique de la tige et selon son diamètre et est compris entre 2 et 10 Gpa. Il nous semble donc important dans un premier temps d’évaluer ses capacités structurelles, notamment pour pouvoir le comparer à d’autres matériaux et justifier de son intérêt constructif.

3.1. Evaluation de la résistance en traction de la tige du miscanthus Dans le but d’évaluer les capacités structurelles du miscanthus, il nous a semblé important de commencer par tester sa résistance en traction, qui n’a encore été que très peu étudiée. Un article de Bourmaud, Alain, et Sylvie Pimbert [11] indique que la force de traction du miscanthus a été estimée à 700 Mpa par Lundquist et al. à l’aide de modèles. Nous cherchons a vérifier ce chiffre, qui paraît assez élevé. Comparativement, il est situé entre 160 et 240 MPa pour le bambou. Pour réaliser ces tests de traction, nous utilisons un banc d’essai à l’ENSAPM qui peut exercer une force de compression verticale à l’aide d’une presse hydraulique. Le banc est équipé d’un axe horizontal métallique fixé au portique de la presse, qui permet de transférer la force de compression en traction dans un élément vertical, comme l’indique le schéma ci dessous. (Figure 12) Il suffit alors le convertir la force maximale de compression mesurée sur la presse en force de traction, par la formule F’ = F.L / L’ :

F

F’

L L’

F’ = FL/ L’

Figure 12 : Schéma du dispositif de test de traction (croquis personnel)

Nous effectuons le test sur une tige de 30cm de long et de 8 mm de diamètre. Cet élément est prélevé en partie basse de la plante, là où elle est la plus dure. Six échantillons sont prélevés sur six tiges différentes. 3.1.2. Méthode expérimentale La méthode de fixation entre la tige de miscanthus et le banc d’essai a fait l’objet d’une investigation imprévue, rythmée par plusieurs tentatives infructueuses. Après plusieurs tests infructueux avec des cordes, des crochets et anneaux de serrages, nous tentons une solution constitué de pitons filetés fixés à l’intérieur de la tige par de la colle Epoxy. Nous admettons que les propriétés structurelles de la plante sont contenues dans le chaume, et que nous pouvons donc vider la tige de sa moelle cellulosique. (Figure 13) 30 cm 19 cm

F’, la force max de traction, en N F, la force max de compression, en N L, la longueur du bras de levier de F, en cm L’, la longueur du bras de levier de F’, en cm Figure 13 : Schéma du premier système d’accrochage infructueux (croquis personnel)

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La tige de miscanthus est placée entre les deux points d’accorche du banc d’essai. On actionne alors le vérin du banc d’essai qui vient exercer une force de compression sur l’extrémité des profilés acier, celle-ci se convertit en force de traction dans la tige de miscanthus.

Nous refaisons le test avec des tiges filetées enfoncées de 12 cm dans la tige de miscanthus, et toujours fixée par de la colle Epoxy. Les tiges filetées sont accrochées à deux pièces métalliques de 8 mm d’épaisseur reliées entre elles par deux vis. (Figure 15) Le test est enfin fructueux. On observe que la tige craque au niveau du nœud. (Figure 16)

Ce premier test s’est avéré infructueux car les crochets métalliques ont commencé à se déformer avant que la tige de miscanthus ne cède. (Figure 14a)

Figure 16 : Photographie de la tige de miscanthus après rupture

Figure 14 a et b : Photographie des deux systèmes d’accroches infructueux.

Nous avons effectué un second test similaire avec des pitons plus résistants. Cette fois ci c’est la colle Epoxy qui a laché avant que la tige de miscanthus ne cède, par arrachement. (Figure 14b) Nous déduisons que la résistance de la tige de miscanthus est pour le moment supérieure à la force de frottement engendrée par la tige filetée, et qu’il faut donc reproduire la même expérience en augmentant la longueur de la tige filetée.

30 cm

12 cm

Figure 15 : Schéma du troisième système d’accrochage, efficace (croquis personnel)

8

Ainsi, cela a été un long processus pour arriver à obtenir une mesure de résistance de traction, que nous pensions initialement déterminer assez facilement. Cet exercice n’était en fait pas si simple et il est intéressant de voir comme la méthode expérimentale progresse et s’enrichit au fur et à mesure des échecs. La première force de compression mesurée avant rupture est de 2300 N. Cela correspond à une résistance en traction de F = 3367 N. La contrainte correspond à la formule suivante :

σ =

F S

et

S=

π 4

x

(d0²-d1²)

σ, la contrainte en MPa

F, la force en N

S, la surface de résistance, en mm²

d0, le diamètre total de la tige

d1, le diamètre du chaume

La méthode expérimentale enfin aboutie, nous répétons le test sur 6 échantillons différents afin d’obtenir une contrainte moyenne. Quatre échantillons sur six ont présenté une rupture de la tige au niveau du nœud. Pour les deux autres, c’est


153,1

rupture OK

2

1400

2050,0

93,2

rupture OK

3

2600

3807,1

173,1

arrachement de la colle avant la tige

4

2100

3075,0

139,8

arrachement de la colle avant la tige

5

2100

3075,0

139,8

rupture OK

6

1700

2489,3

113,2

rupture OK

moyenne

124,84

écart écart type type

26,84

Photographie de l’échatnillon

3367,9

Commentaire

2300

F, force de compression appliquée avant rupture (N)

1

Echantillon

Contrainte normale de traction (MPa)

une contrainte comprise entre 100 et 150 Mpa, et une moyenne de 125 MPa, ce qui est un résultat très enthousiasmant.

F’, force de traction (N)

l’assemblage de colle qui s’est arraché avant la rupture de la tige, ce qui démontre une résistance de la tige encore supérieure. Les résultats sont présentés dans le tableau ci dessus. (Figure 17) On obtient

Figure 17 : Tableau de résultats des tests de traction

9


3.2. Evaluation de la résistance en compression de la tige du miscanthus

Nous pouvons tirer plusieurs conclusions de ces résultats : - La tige de miscanthus coupée sur une faible hauteur a de très bonnes capacités en compression (entre 50 et 100 MPa) - Plus la tige est courte, meilleure est sa résistance en compression. - La résistance à section totale égale est la même peu importe que l’échantillon soit constitué d’une tige ou de deux tiges plus fines, ce qui nous confirme qu’on peut utiliser toute l’étendue de la tige en couplant plusieurs morceaux de tiges plus fines.

Dans un second temps, nous cherchons à évaluer la résistance en compression des tiges de miscanthus. D’une part nous cherchons à étudier l’influence de la hauteur de la tige sur sa résistance en compression, et sa tendance à flamber. D’autre part, nous souhaitons observer l’influence du nombre de tiges à section totale équivalente : la résistance d’une tige de section S est elle bien la même que de deux tiges assemblées de section 1/2 S ? L’idée est de vérifier la possibilité d’utiliser toutes les parties de la tige et non seulement sa base, qui semble à première vue la plus résistante. Nous effectuons des mesures de résistance en compression avec le banc d’essai de l’ENSAPM, sur des échantillons de section fixe d’environ 28mm², constitués de 1, 2 ou 3 tiges, pour différentes hauteurs h=25mm, 50mm, 75 mm. Les résultats sont présentés dans le tableau et le graphique ci dessous (Figures 18 et 19)

Le tableau de synthèse de la figure 20 fait la synthèse de nos résultats en comparaison d’autres matériaux et nous montre que les capacités structurelles du miscanthus lui permettent tout à fait d’être considéré comme un matériau de construction. De plus, sa balance énergétique (énergie nécessaire à la production en fonction de sa résistance mécanique) COMPRESSION est très intéressante (300 fois plus basse que l’acier).

COMPRESSION hauteur de l'échantillon 1 tige D=10

2 tiges D=7

e1 (d=10, d'=7.5) e2 moyenne e1 (d=7, d'=5) e2 (d=8,d'=5.5) moyenne

2,5 résistance (N) rupture contrainte (Mpa) 3000 3000 3000 106,1 2600 3500 3050 106,7

5 contrainte (Mpa)

7,5 résistance (N) contrainte (Mpa) 800 1800 61,9 1300 46,0 1400 2100 66,5 1750 61,2

1900 1600 1750 1800 2000 1900

Figure 18: Tableau de résultats des tests de compression COMPRESSION

Contrainte maximale de compression en fonction de la hauteur de la tige Pour 1 ou 2 tiges à surfaces égales 120 Contrainte max (MPa)

100 80

1 tige 2 tiges

60 40 20 0 2

3

4

5

6

7

8

Hauteur (cm)

Figure 19: Graphique de la résistance en compression en fonction de la hauteur de l’échantillon, et du nombre de tiges consituant sa section Page 1

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Module de Young (GPa)

Masse volumique (kg/m3)

Résistance à la traction (MPa)

Acier

210

7500-8100

235-355

Béton

20 à 50

2400

8

Chêne

11 à 13

610-980

Bambou

20

Miscanthus

2 à 104

Résistance à la compression (MPa)

Energie nécessaire à la production (MJ/m3)

Balance énergétique (MJ/m3 par MPa)

234000

660-995

25-80

1920

24-240

10

20

600

30-60

580-700

200-300

25-100

300

1-12

90-250

100-150

50-100

150-225

1-4.5

4. Kaack, K, Kai-Uwe Schwarz, and P. E Brander, ‘Variation in Morphology, Anatomy and Chemistry of Stems of Miscanthus Genotypes Differing in Mechanical Properties’, Industrial Crops and Products, 17 (2003), 131–42 <https://doi.org/10.1016/S0926-6690(02)00093-6>

Figure 20 : Tableau comparatif des propriétés du miscanthus avec celles de différents matériaux de construction

Ainsi, par nos différentes expérimentations, nous avons appris que le miscanthus a de bonnes propriétés mécaniques, en traction et en compression sur des petites hauteurs. De plus, il constitue une bonne matière première d’un point de vue environnemental grâce à sa très faible balance énergétique (rapport de l’énergie nécessaire à la production sur la résistance). Nous allons à présent chercher à tirer profit de ces qualités mécaniques au travers d’applications concrètes dans la construction.

4. HYPOTHÈSES D’APPLICATIONS DU MISCANTHUS 4.1 Renforcement de la terre crue Dans la continuité de notre volonté de développer l’utilisation de matériaux naturels, il nous semble intéressant de coupler le miscanthus à la terre crue, matériau de construction ancestral qui a prouvé ses multiples avantages. C’est un matériau fortement disponible partout dans le monde qui peut être mis en oeuvre de nombreuses façons (briques, remplissages, enduits...). En plus de ses bonnes propriétés thermiques et hygrométriques, la terre crue représente un matériau à l’empreinte carbone très basse, du fait de son faible niveau de transformation et de sa disponiblité locale dans de nombreuses régions du monde, qui engage donc peu de transport. La terre crue est largement utilisée dans le monde et est depuis une trentaine d’années de plus en plus étudiée comme matériau alternatif à nos constructions contemporaines énergivores. C’est pourquoi il nous semble intéressant de coupler le miscanthus avec celle-ci. De plus, la terre crue présente certains points faibles en terme de résistance mécanique. Les tiges de miscanthus pourraient être utilisées en renforcement de la terre crue et constituer une alternative à la stabilisation au ciment par exemple. Notre recherche s’inscrit 11


ainsi dans la continuité de travaux précédents sur le renfort de la terre crue, notamment le mémoire de recherche de master de Julia Schults [14] et celui de Jihène Oueslati [15].

la brique. Ici, nous pouvons ajouter des fibres de miscanthus (notamment les feuilles, peu utilisées jusqu’à présent).

4.1.1 Choix de l’adobe Après avoir poursuivi une première piste sur la technique de la BTC (Brique de Terre Comprimée), nous choisissons d’étudier le renfort de briques d’adobe, pour plusieurs raisons : Figure 22 : Composition de l’adobe utilisée pour l’expérimentation (croquis personnel)

4.2. Hypothèse 1 : renfort de brique d’adobe par des tiges verticales.

Figure 21 : Croquis du principe de fabrication de briques d’adobe (personnel)

C’est une technique de terre crue moulée, où un seul moule est nécessaire, et donc plus accessible en auto-construction que les BTC qui nécessite des presses. De plus, l’adobe contient plus d’argile que les BTC, donc plus de “colle” pour fixer les tiges de miscanthus. Enfin, la BTC a déjà fait l’objet de nombreuses études visant à améliorer sa performance mécanique, notamment par la stabilisation à la chaux ou au ciment, tandis que l’adobe est encore en reste. Sa résistance à la compression est comprise entre 0,9 et 4,5 MPa [12]. D’après Craterre [13], la terre idéale pour l’adobe (avant l’ajout de fibres) est composée de 55 à 75 % de sable, 10 à 28% de limon, 15 à 18% d’argile, 0 à 3% de matières organiques. La teneur en eau idéale ajoutée à ce mélange est de 15 à 30%. Nous utiliserons une proportion de 1 volume d’argile ocre de l’atelier de l’ENSAPM + 3 volumes de sable tamisé pour 1 volume d’eau. (Figure 22) Ce mélange est souvent associé à des fibres comme de la paille, pour faciliter la cohésion générale de 12

Par nos expérimentations structurelles nous avons observé que le miscanthus a des bonnes capacités de résistance à la compression sur des courtes hauteurs. C’est cette propriété intéressante qu’a cherché à exploiter le groupe d’ingénieurs allemands Frank Möller, Christel Hoch et Axel Schröder[4], cité plus haut, dans son panneau sandwich «LNS» en collant entres elles des tiges de 30 mm à la verticale. Cette recherche inspire particulièrement notre première hypothèse, qui serait de transposer cette même logique à un renfort vertical de la terre crue. Nous avons prouvé plus haut que l’on peut utiliser tant le haut que le bas de la tige, tant que la section totale de résistance est suffisante. La section étant liée à une volume et donc à une masse, il est possible d’imaginer un processus où il suffirait de peser une masse de tige fixe, à déterminer, à ajouter dans une brique de terre crue afin de lui apporter une résistance à la compression supplémentaire définie.

4.2.1 Premiers échantillons En juillet 2018, nous avons confectionné des premiers échantillons de briques d’adobe renforcée par des tiges de miscanthus, qui reprenaient la morphologie proposée par une étudiante de l’ENSAPM, Jihene Oueslati dans son mémoire de recherche de 2017 [15]. (Figure 24)


Figure 24: Premiers échantillons de brique d’adobe renforcées.

Elle établissait une morphologie particulière de brique de 5*10*5 cm, sillagée d’une encoche permettant un renfort diagonal à but parasismique, par des tiges d’acier par exemple. Il s’agissait d’un prototype à l’échelle 1/2. Cependant, les tiges sont efficaces pour cette hauteur là, mais le seront beaucoup moins à l’échelle 1 avec les mêmes proportions, où elles mesureraient 10 cm de haut. Nous réalison qu’il est donc plus intéressant de revenir à une dimension de brique où l’on conserve cette hauteur de 5 cm, qui permet d’utiliser au mieux les bonnes propriétés en compression de la tige. (plus la tige est courte plus elle est résistante) De plus, d’après le guide de construction parasismique de Craterre [16], une forme de brique carrée est plus adaptée pour une bonne résistance parasismique. Nous choisissons donc de revenir à une morphologie d’échantillons plus simple, qui sera également plus facile à tester car elle correspond à la dimension de la cellule de test de l’atelier de l’école: une brique de dimension 10*10*5cm. Même si la forme expérimentée dans ces échantillons est abandonnée, cette première expérimentation nous a permis d’observer l’influence de la diposition des tiges dans la brique. En effet, on observe qu’il est nécessaire d’avoir un écart minimum entre la tige et le bord de la brique, pour éviter les fissurations. Il faut également un écart minimal entre les tiges afin que la terre s’insère bien entre elles. (Figure 24) Par ailleurs, on observe que la surface ligneuse des tiges est très lisse et n’adhère pas très bien à la terre, certaines «coulissent» dans la terre. Il y aurait une réflexion à mener sur une amélioration de l’adhérence des tiges à la terre.

Figure 25: Morphologie abandonnée (à gauche) et conservée (à droite)

4.2.2 Vérification de l’intérêt du renfort vertical d’une brique La morphologie adéquate de notre échantillon étant déterminée, nous cherchons dans un second temps à vérifier, ou non, que l’ajout de morceaux de tiges de miscanthus à la verticale peut renforcer la résistance à la compression de la brique d’adobe. Nous élaborons 8 échantillons 10*10*5cm, dont 4 témoins (adobe simple sans renfort) et 4 avec renforts. Nous reprenons la même composition de terre d’adobe : 1 volume d’argile, 3 volumes de sable, 1 volume d’eau, 4 volumes de feuilles de miscanthus broyées.

Figure 26: Moule préfabriqué en contreplaqué bakélisé

Processus de fabrication : 1. Mélange de l’argile, du sable, de l’eau, et des feuilles broyées. 2. Moulage de la terre dans le moule préfabriqué en contreplaqué bakélisé. (Figure 26) 3. Les tiges sont placées directement dans la terre une fois coulée. Compactage à la main, puis démoulage directement après. 4. Séchage pendant 8 jours. Le résultat est présenté en photo ci dessous (Figure 27). 13


que sans. Au vu de ces résultats, on ne peut pas conclure de l’intérêt d’une utilisation des tiges de cette façon pour renforcer des briques d’adobe à la compression. Cependant, en observant les tiges à la suite de la ruine des échantillons d’adobe, on remarque qu’elles ont bien travaillé à la compression, puisqu’elles se sont écrasées à chaque extrémité (Figure 29)

Figure 27 : Photos de l’échantillon témoin (en haut) et de l’échantillon avec renfort de miscanthus

Après 8 jours de séchage, des tests de compression sont effectués sur ces 8 échantillons à l’aide de la presse hydraulique de l’école. Les résultats de résistance à la compression sont présentés dans le tableau ci dessous. (Figure 28) La moyenne de la contrainte max obtenue est légèrement plus grande en présence des tiges de miscanthus (7%), mais pas sensiblement plus élevée

Figure 29 : Photographie des tiges après la ruine en compression de la brique

Elles ont également subit une déformation latérale puisqu’elles se sont inclinées, ce qui a probablement provoqué le début de la ruine de la terre crue. Ainsi, une idée pour poursuivre la recherche est donc d’empêcher ce comportement individuel des tiges, difficile à contrôler, et qui ne permet pas d’utiliser au mieux leur résistance en compression. De plus, l’observation des échantillons après leur ruine (Figure 30) nous permet de remarquer que les échantillons avecADOBE tiges présentent une meilleure COMPRESSION

Test de compression sur échantillon de terre adobe 10*10*5 cm Surface échantillon (mm²) Sans miscanthus

Avec miscanthus

10000

Echantillon a b c d moyenne

Composition Adobe 1 (30% d'eau) Adobe 1 (30% d'eau) Adobe 2 (25% d'eau) Adobe 2 (25% d'eau)

a' b' c' d' moyenne

Adobe 1 (30% d'eau) + 5 tiges Adobe 1 (30% d'eau) + 5 tiges Adobe 1 (30% d'eau) + 5 tiges Adobe 2 (25% d'eau) + 5 tiges

Fmax (N) Contrainte (Mpa) 20600 2,06 17200 1,72 19900 1,99 19100 1,91 19200 1,92

22200 18600 21900 19800 20625

2,22 1,86 2,19 1,98 2,06

Figure 28 : Tableau de résultats des tests de compression sur les échantillons d’adobe, renforcé de miscanthus ou non.

14


cohésion générale : le coeur de l’échantillon se tient encore relativement bien tandis que les échantillons sans tige s’effondrent complètement en miette après leur ruine.

Figure 31 : Exemple d’un renfort de bambou dans une construction en terre au Guatemala [17, p 49]

Figure 30 : Observation d’une brique sans renfort (à gauche) et avec renfort de tiges (à droite) après leur ruine en compression.

Ainsi, bien que les tiges de miscanthus ne confèrent pas significatvement une plus grande résistance à la compression, semble bien fonctionner comme armature, qui permet à la brique d’adobe de se tenir plus longtemps.

4.3 Hypothèse 2 : armature pour l’adobe Au vu de ces observations, et comme la mise en oeuvre proposée jusqu’ici n’est pas satisfaisante, il nous semble intéressant de poursuivre la piste des tiges de miscanthus comme armature de la terre crue. En s’inspirant des armatures conventionnelles en acier, notamment pour le béton armé, on peut raisonner à l’échelle d’un poteau ou d’une poutre, plutôt que d’une brique. La tige de miscanthus constituerait une armature sur toute la hauteur du poteau ou la longeur de la poutre, à la manière des tiges d’acier dans le béton armé. Ce type de mise en oeuvre existe déjà dans l’architecture vernaculaire, où il s’agit généralement de tiges d’acier ou de bambou qui viennent renforcer la terre crue. Les différentes mises en oeuvres sont très bien présentées dans le mémoire de DSAA d’Abriseth Hernandez à l’ENSAG.[17] Un exemple ci dessous en est extrait. (Figure 31)

On peut ainsi imaginer une expérimentation sur un élément vertical (poteau) et un élément horizontal (linteau ou poutre).

4.3.1 Armature d’un poteau Afin de conserver le mode de fabrication de l’adobe, qui est de la terre moulée à l’état plastique, on imagine un poteau constitué de briques moulées poreuses empilées, et renforcé par cinq tiges de miscanthus continues sur toute la hauteur.

Figure 32 : Schéma du prototype expérimental de poteau renforcé de miscanthus

Pour notre expérimentation, on reprend l’inertie d’un poteau de 30*30*250 cm, ce qui correspond approximativement à un prototype de 10*10*50 cm 15


(Figure 32). Le processus de fabrication du prototype est présenté ci-dessous (Figure 33). 1. Mélange argile + sable + eau + feuilles

2. Moule avec

de miscanthus

réservations pour les tiges

Séchage pendant 7 jours

3. Brique d’adobe perforée

4. 5 tiges de miscanthus placées dans la première brique

5. Enfilage des briques une à une, avec nouage d’un cadre en fibres de lin entre chaque brique.

6. Assemblage des 8 briques avec 1cm de mortier d’argile entre chaque.

Figure 33 : Processus de fabrication du prototype de poteau en adobe renforcé de miscanthus

16


Après avoir laissé sécher le mortier pendant une semaine, nous testons la résistance du prototype à la compression, à l’aide du banc d’essai de l’ENSAPM. (Figure 34) Nous testons en comparaison un échantillon témoin non renforcé.

Fmax (kN)

σ max (MPa)

Poteau témoin (sans renfort)

11.5

1.15

Poteau renforcé de miscanthus

13.9

1.39

Ainsi, le poteau renforcé de tiges de miscanthus résiste 20% mieux que sans renfort.

Figure 34 : Test de compression sur le prototype de poteau

Dans les deux cas, le poteau ne subit pas de flambement mais est fragilisé par des fissures verticales qui apparaissent au fur et à mesure de la force appliquée, jusqu’à provoquer sa ruine générale. Les fissures se créent dans les briques du haut, puis se propage dans tout le poteau, en diagonale. (Figure 35)

Figure 36 : Fléchissement d’une des tiges de miscanthus et rupture du lien en lin

Par ailleurs, l’observation du poteau renforcé de miscanthus après sa ruine (Figure 36) nous montre que les tiges ont tendance à flamber sous l’effort de compression, et à s’écarter de leur axe, ce qui provoque probablement des fissurations dans la terre. C’est d’ailleurs le lien en fibre de lin qui a rompu avant la tige elle même. Ainsi, les liens reliant les tiges, noués entre chaque brique, permettent de maintenir les tiges au maximum à la verticale. (Figure 37) Elles sont donc un rôle essentiel pour un renfort de ce type.

Figure 35 : Propagation des fissures via le haut du poteau sous la force de compression

Les résultats de la force de compression maximale sont présentés ci-dessous :

Figure 37 : Schéma du comportement des tiges sous la compression du poteau (par l’auteure)

17


4.3.2 Armature d’une poutre Après un essai de renfort vertical, il semble intéressant de tester le renfort d’un élément horizontal en terre, qui pourrait tirer parti de la bonne résistance en traction du miscanthus. Cette démarche s’intègre dans la continuité de travaux similaires réalisés avec le bambou. Le mémoire de recherche de Thang The Long [18] à l’ENSAPM en 2014 en est un exemple.

Le même mélange de terre à adobe est repris, en augmentant légérement la teneur en eau, de façon à ce que le mélange s’insère au mieux entre les tiges et les cadres en lin. La poutre est démoulée au bout de 3 jours puis laissée à sécher pendant encore 7 jours.

Figure 40 : Prototype de poutre de terre renforcée de miscanthus

Figure 38 : Schéma du prototype de poutre renforcée de miscanthus

De la même façon que pour le poteau, cinq tiges de miscanthus de diamètres variés (entre 0.7 et 1.2 cm) sont insérées dans la poutre, reliées entre elle par des cadres en fibres de lin espacés de 10cm. (Figure 38) Ce modèle imite le ferraillage métallique d’une poutre en béton armé, où l’acier est remplacé par le miscanthus et le lin, et le béton par la terre crue.

La résistance de la poutre est testée à l’aide du banc d’essai de l’ENSAPM, en même temps qu’un prototype témoin, sans renfort de miscanthus. On applique une force de compression au centre de la poutre, comme l’indique le schéma statique suivant. (Figure 41)

Figure 41 : Schéma statique de l’essai

Dans le premier cas (sans renfort), une fissure verticale se forme très vite en partant de la face inférieure. Dès 0.8 kN appliqué, la poutre se fissure fortement et est rapidement amenée à rupture totale. (Figure 42)

Figure 39 : Coffrage et armature avant coulage de la terre

18

Figure 42 : Schéma statique de l’essai sans renfort


Dans le second cas (poutre renforcée de miscanthus), la fissuration apparaît au bout de 1.4 kN. Cependant, même après celle-ci, la résistance reste élevée, remonte même jusqu’à la même résistance. Une fois la terre fissurée, c’est donc l’armature en miscanthus qui intervient et qui, grâce à sa bonne résistance en flexion et traction, permet de conserver une bonne résistance générale de la poutre. (Figure 43 et 44).

Figure 43 : Schéma statique de l’essai avec renfort

Figure 44 : Photographie de l’essai après fissuration

La poutre renforcée présente ainsi une bonne ductilité structurelle : malgré une fissuration importante, elle résiste encore à une charge équivalente à 1,4 tonnes. On peut calculer la contrainte de flexion de la poutre grâce à la formule :

3 σ max= 2

x

T S

Les résultats sont présentés ci dessous :

Fmax (kN)

σ max (MPa)

Poutre témoin (sans renfort)

0.8

0.06

Poteau renforcé de miscanthus

1.4

0.1

Le renfort de miscanthus a permis une augmentation de 75% de la résistance à la flexion de la poutre en terre crue. Ce résultat est encourageant, et montre bien l’intérêt du renfort horizontal. En comparaison, les essais effectué par Thang The Long [17] avec un renfort de bambou présentait une contrainte maximale entre 0,23 et 0,33 MPa, soit trois fois plus que nos essais. Cependant, en plus d’être constitués d’un mélange probablement différent de terre, ses essais étaient réalisés sur un prototype de plus petites dimensions (25*7*7 cm) avec une tige de bambou de 10 mm d’épaisseur, qui occupait donc un plus grand volume. Le rapport Volume de renfort / Volume total de l’échantillon est de 3,2% pour son essai, tandis qu’il est de 2,5% pour nous. A taux de renfort équivalent au sien, nous aurions une contrainte de 0,13 MPa, soit environ 50% de celle obtenue avec le bambou dans les essais de The Long. Pour obtenir le même effet, il faudrait donc augmenter la quantité de tiges de miscanthus comprises dans la terre. Il serait intéressant de refaire des essais à dimensions égales d’échantillons et avec une terre identique, d’une part avec le bambou pour vérifier ce chiffre et d’autres part avec d’autres fibres comme la canne ou le lin.

T, l’effort tranchant, en N. (ici, T = F/2)

S, l’aire de la section droite (ici, S = 104 mm2)

19


5. Conclusions Nous avons ainsi testé trois hypothèses différentes de mise en oeuvre du miscanthus, en renfort de la terre crue. Le renfort de briques d’adobe individuellement n’a pas semblé probant, démontrant une augmentation de la résistance à la compression de seulement 7%. L’armature d’un poteau constitué de briques d’adobe a permis une augmentation de celle ci de 20%, ce qui est plus encourageant mais mériterait d’être poussé. La question du maintien des tiges à la verticale contre le flamblement semble décisive dans ce cas là. Enfin, l’armature horizontale d’une poutre est l’hypothèse la plus enthousiasmante de cette recherche. Elle s’est démontrée efficace puisqu’elle a permis une augmentation de la résistance à la flexion de 75% par rapport à un élément de terre non renforcée, tout en conférant à la poutre une ductilité importante. Nous n’avons pas égalé le meme résultat qu’avec un renfort de bambou, mais il pourrait probablement être atteint en augmentant la quantité de tiges dans une poutre, et en les plaçant en majorité dans la partie basse de la poutre, là où elles sont le plus utile pour résister à la flexion (Figure 45).

Figure 45 : Schéma d’une amélioration possible de la poutre en terre crue renforcée

Par ailleurs, la question de l’adhérence entre la surface hydrophobe des tiges et la matrice de terre serait également un élément à prendre en compte pour une poursuite de la recherche. Cette recherche a permis de démontrer que les propriétés constructives du miscanthus sont intéressantes, particulièrement en traction. Bien qu’elles n’égalent pas celles du bambou, il semble tout de même tout à fait pertinent de considérer le miscanthus comme un matériau de construction au 20

même titre que ce dernier, notamment dans les zones géographiques où le bambou n’est pas endémique, tel que l’Europe. La piste du renfort de la terre crue poursuivie dans la recherche serait à développer. Pour atteindre des résistances satisfaisantes, les tiges doivent être placées en plus grande quantité. Cela semble envisageable puisque le miscanthus est une plante au très bon rendement et en plein développement en Europe. D’autre part, l’hypothèse d’une mise en oeuvre sous d’autres formes, en bottes ou en fagots par exemple, serait également à investiguer. Ainsi, cette recherche est un premier pas qui permet d’envisager le miscanthus comme élément de construction alternatif à nos matériaux contemporains énergivores. Cette démarche pourrait participer à produire une architecture plus respectueuse de notre environnement, usant de ressources naturelles locales et renouvelables, à la manière des brillantes constructions de l’architecture vernaculaire.


6. Remerciements Ce mémoire de recherche n’aurait pas pu être ce qu’il est sans plusieurs personnes que je souhaiterai remercier. Merci à Robert Leroy pour son encadrement et ses encouragements. Merci à Benoît Vérant pour sa patience et son aide à la fabrication. Merci à Patrick Navard des Mines Paris Tech, et Frank Möller, pour leurs réponses de professionnels. Merci à mon père, Herman Höfte, sans qui mon intérêt pour ce sujet n’aurait pu naître, et pour son soutien régulier.

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