Dans l'atelier de Capdevielle

DANS L’ATELIER DE CAPDEV IELLE

DEUX VISITES DANS L’ATELIER DE 1 JEAN-PATRICK CAPDEVIELLE Un texte de Magali Martin

Je remercie Jean-Patrick CAPDEVIELLE de m’avoir accueillie si gentiment dans son atelier.

DEUX VISITES DANS L’ATELIER DE JEAN-PATRICK CAPDEVIELLE Un texte de Magali Martin

Photographie page précédente

À droite : Wounded fish equation

À gauche : Blood circus

Au sol : Self-portrait with serial killer (at an art collector’s)

Le coffre de ma Fiat Panda est à moitié ouvert sur un châssis métallique que je compte livrer à CAPDEVIELLE. Je n’ai pas trouvé mieux comme prétexte pour lui rendre visite à son atelier. Je fais ainsi le tour de la Défense par l’A86 dans mon véhicule bringuebalant, je sors, prends quelques rues, puis me gare dans une cour.

J’y suis.

Je prends au fond l’escalier en colimaçon, et j’arrive aux ateliers.

Ces espaces appartiennent à une dame qui a préféré que perdure à cet endroit une activité artistique.

Cela est profitable à quelques-uns. Jean-Patrick CAPDEVIELLE y a trouvé son espace de travail.

Il y a plusieurs espaces, plusieurs portes, et je reconnais sur l’une d’elles l’effigie de CAPDEVIELLE, un grand poster de «politiquement correct», ça me plait bien cette affaire.

Toc toc...

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C’est une pièce carrée, pas très grande mais avec une lumière qui tombe du zénith.

J’entre.

Vue sur trois toiles de 2X2 mètres adossées aux murs.

La première en entrant : Blood circus ; la seconde : Wounded fish equation, et en face, sur le mur opposé : Birth of the seasons.

Je trouve JP s’affairant au sol sur son Self portrait with serial killer (at an art collector’s).

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Deux photographies de Catherine BEUDAERT

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Depuis ce jour de mars, les titres et les toiles ont évolué. Ce jour-là pour le serial killer, les références à Damien HIRST sont nommées et dessinées, ce sont ces disques de couleur qui apparaitront plus tard. Pour l’instant ils sont disposés et dessinés en blanc.

La figure «auto-portraiturée» provient d’une séance photo avec Catherine BEUDAERT. L’image est connue, elle appartient à une série de photographies qui devait donner lieu à la pochette de Bienvenue au paradis. D’accord, l’autoportrait, depuis que les peintres ou les photographes se représentent, nécessitait un dispositif comportant un miroir pour réfléchir l’image de l’artiste à son travail. Mais ici, on trouvera le miroir en lieu et place de son visage représenté, l’artiste change le dispositif et ainsi représente un des «process» de sa représentation ; c’est médusant cette affaire.

Nous sommes donc face à l’effigie de JP assis dans une chaise avec son masque de plâtre à la main. Là, donc, est prévu que le visage de l’artiste reflète celui de son spectateur avec un papier «miroir».

Derrière l’homme au visage en miroir est dessiné le serial killer, il apparait saluant, belle gueule d’un psychopathe monstrueux qui violait, tuait, puis violait jusqu’à décomposition ses victimes. Ted BUNDY, tel est son nom.

Au sol de cet espace figuratif nous trouverons référence à Jackson POLLOCK, mais ça n’y est pas encore.

Pour l’instant Jean-Patrick CAPDEVIELLE travaille à un fond de papier-peint particulier. Il s’agit de l’agencement en reprographie du portrait de Ted BUNDY, son portrait mortuaire, pris en photo après son exécution, balafré d’un sexe féminin dont la diagonale renvoie vers la composition de Birth of the seasons. Nous y reviendrons.

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Self-portrait with serial killer (at an art collector’s) Dans l’atelier le 19 juin 2017

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Pour l’instant JP s’occupe d’un laborieux fond vert autour de ces visages répétés, et c’est un grand moment que je garde pour moi tant JP me livre des pans de sa vie qui mériteraient une mise en forme biographique ; mais comme tout vient en vrac, autant en rester là et écouter...

J’assiste à la mise en forme plastique d’un «self-portrait» aux références artistiques plus avouables et aux personnages de faits-divers troubles et troublants dans cet espace figuré et orchestré.

Il y aura trois plans représentant une tri-dimensionnalité qui a un lointain rapport à la perspective classique. J’y vois pourtant l’effet d’une «camera obscura» dont les graphies opèrent avec l’ombre d’une humanité sérielle et compartimentée. Je dérive.

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Détail Self-portrait with serial killer (at an art collector’s) le «process»

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Au sol, il y aura donc la référence aux drippings de Jackson POLLOCK, la grande figure de l’action-painting américain des années cinquante et suivantes.

Sur l’espace vertical, qui fait figure de fond, la référence à Damien HIRST, l’artiste de la grande époque du white cube londonien qui l’a propulsé sur la place artistique internationale, le marché de l’art florissant et cynique de la scène artistique contemporaine anglaise, bien sériel avec ses disques qui font référence à un monde ultra-chimique, ultra-toxique, mais c’est joli toutes ces couleurs, et ça se vend très cher sur les places du marché de l’art.

Sur le pan de mur, dans la toile, à gauche, figureront les «outils» de l’œuvre morbide et assassine du serial killer, magnifiés et sanctuarisés par des ors. Pour l’instant l’espace est vacant et j’écoute la vision de JPC sur le monde contemporain de l’art...

Plus tard apparaitront des disques «oblitérant» la figure de l’assassin, ils déborderont jusque sur les disques faisant référence à Damien HIRST.

Self-portrait with serial killer (at an art collector’s) Document de travail de Jean-Patrick Capdevielle

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Je fais le tour des autres réalisations. Les diagonales en série du serial killer en série amènent mon regard vers la béance de Birth of the seasons ; côté supérieur gauche : Hadès, Dieu des enfers. On ne voit pas Perséphone liée à lui par un pépin de grenade, j’imagine qu’elle a du partir quelques mois faire le printemps sur terre, comme le veut la mythologie. C’est ici, peut-être que JPC me parle du «process», la manière dont il met en œuvre les matériaux. Comme ils servent à masquer, autant qu’à révéler la matière à l’épreuve.

Vue sur la faille des enfers, une roue ancienne, une belle grenade éventrée dont les graines sont prêtes à essaimer les entrailles de la terre, et des crânes qui me rappellent les vanités qui parcourent l’histoire de l’art.

Hadès porte des lunettes. Il se passe de drôles de choses dans ces lunettes. Une matière semi-transparente brouille la vision, d’un geste, main ouverte, Hadès semble vouloir arrêter l’approche, plus que saluer. Cela me rappelle cette photo de profil FB, le JPC du premier album qui cherche dans un grand sourire à arrêter une prise de vue,

Photo du profil FB de Jean-Patrick Capdevielle

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mais je dérive.

Les objets, leur moulage, et les matériaux plus traditionnellement picturaux sont traités à même enseigne : ils (se) révèlent, autant qu’ils (se) masquent pour figurer autant la bataille qu’ils livrent que pour figurer l’avènement d’un nouvel évènement pictural.

Ainsi les «poumons» d’Hadés, le gel semi-opaque et semi-transparent, la ficelle, des récipients moulés, une mousse expansive ; ils livrent encore bataille.

Plus tard des néons feront circulation, mais nous n’y sommes pas encore.

Plus tard, un scorpion couronnera le prince des ténèbres, mais nous n’y sommes pas encore.

Dans le bestiaire qui parsème ses œuvres, il y a aussi des chauve-souris, des piques de porcs-épics, des plumes... Des fragments, des squelettes, des êtres momifiés ou «tanathopractés» qui se «posent là». Je veux dire qu’il n’y a pas sur ceux-ci, contrairement à d’autres matériaux, trop d’intervention, ce sont des matériaux «bruts», qui restent sacrés.

Birth of the seasons (détail)

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Hadès Birth of the seasons (dÊtail juin 2017)

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Je crois que Blood circus est la première toile de cette série de grands formats ; c’est la plus proche de l’entrée de l’atelier, les textes qui apparaissent par bribes dans la matière picturale sont ceux des derniers instants de condamnés à mort de toute époque, si je me souviens bien. La plupart a été masqué, comme pour les objets de Birth of the seasons. Mais nous sommes ici dans Blood circus. Des flèches primitives, un sexe féminin saignant. Les limites du mur. Une fissure.

Des chauves-souris.

Capdevielle parle beaucoup. Assise dans un fauteuil je l’écoute et le regarde affairé à sa peinture verte, il est quasi allongé au sol. Lors de la seconde visite ce ne sera guère mieux, ou pire. Il sera encore au sol, affairé à une toile posée contre le mur tête en bas. La conversation se fera dos tourné, mais nous n’y sommes pas encore. Juste je me dis que la situation a quelque chose de similaire à une séance de psychanalyse ; toutefois le contexte de l’atelier a autrement plus de gueule que les dispositifs tarifés des psys. C’est devant, à côté, ou au-dessus de ses toiles que l’homme de «politiquement correct» sort de sa cage, ou de son wagon blindé ; enfermé dans son atelier. (Mais la porte est ouverte et parfois vient la visite du fils de l’artiste d’à côté, le «griot» intarissable, les voix d’autres voisins artistes) On a déjà pu lire quelques mots de condamnés dans des peintures numériques partagées sur les réseaux sociaux, et ce avant que l’artiste annonce la fin de sa longue et belle aventure musicale. La peinture est une passion de plus longue date, cela a commencé chez la voisine du dessus quand il était minot. Maintenant le champ est libre pour la mise en forme de ses symboles qui se télescopent dans cet univers pictural qui ne l’a jamais quitté. Et dans ce nouvel espace de 14

Blood circus (dĂŠtail)

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perceptions, on retrouve le même bonhomme qui joue des symboles, des mythologies et des matériaux, comme les personnages traversant ses partitions et univers musicaux.

Dans Blood Circus, des mots et des phrases sont inscrits sur un mur, puis recouverts. JPC aime jouer avec des matériaux qui résistent les uns aux autres. Des transparences qui effacent, des fluides hydrophobes qui recouvrent puis qui sont chassés par des plages de couleur aqueuses. C’est la lutte dans le moindre centimètre carré.

La peinture de CAPDEVIELLE, ce sont des couleurs dans un certain désordre assemblées ; pour reprendre à bon compte la formule galvaudée de Maurice DENIS. Ses références, ses coups de cœurs et ses déclencheurs sont ce peintre espagnol Garcia TELLA qui avait représenté un de ses écrivains préférés, Gérard DE NERVAL, mais aussi Robert RAUSCHENBERG, les gars de l’action-painting, et les plus récents.. On peut le soupçonner de (se) jouer de toutes ces références.

Et la raison en est simple : l’artiste crée, point barre.

Ses peintures sont aussi bavardes que l’homme. À une époque, certains critiques lui reprochaient de mettre trop de mots dans ses chansons... Ceux qui lisent ce texte approuveront le fait que c’est plutôt une qualité. Mais je digresse...

Revenons aux chauve-souris suspendues à ce qui semble être des ceintures d’explosifs. Elle ont quelque chose de terrible. Pour moi ce sont d’inoffensifs êtres vivants doués d’une rapidité de déplacement bluffante, il parait même que ce sont des êtres très doux au toucher.

Mais ici ce n’est pas pareil. Leurs ailes noires ressemblent à l’étoffe de ce voile noir qui rêve de recouvrir le monde. Celui qui crée les murs, renverse les croissants de lune et cache les ceintures d’explo16

sifs.

Les flèches, plantées de part et d’autre de ce sexe féminin qui ponctue la toile tout en bas signent en deux traits que ce sont souvent les femmes qui trinquent dans cette Histoire.

Dans le ciel : des symboles.

Dans le mur : les derniers mots des condamnés à mort.

On se prend Blood Circus en pleine face, comme on se mangerait un mur à pleine vitesse.

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Page précédente Blood circus (détail 19 juin 2017)

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Après le croissant de lune renversé, la croix renversée : celle de Wounded Fish Equation. On y retrouve les limites matérialisées par de la rubalise, celles qui apparaissent sur les scènes de crime dans les séries qui visent à l'international. Plutôt que les limites du mur, ici c'est la limite de la toile qui semble matérialisée. (En fait on la retrouve un peu partout dans cette série de toiles.) Il faudrait un peu reprendre les propos de JPC qui accompagnent le regard à ce moment là. Mais je n'ai rien enregistré, et j'ai une mémoire défaillante, en plus d'être sélective. Cela concerne la résurrection du Christ, c'est pour cela que la croix est renversée, et l'équation renvoie à une formule mathématique complètement impossible, cela dépasse l'entendement, ce qui n'est pas incompatible avec cette histoire de résurrection. Cette formule est inscrite dans la forme d'un poisson, l'un des symboles du Christ qui permettait aux premiers chrétiens de la Rome antique de

Wounded fish equation (détail)

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se reconnaitre sans trop être embêtés par les autorités. On y voit aussi la multiplication des effigies du Christ, directement extraites du saint-suaire. Vaste programme biblique.

En ces jours de veille d'élections présidentielles, j'avoue que cela est savoureux. Nous sommes le 28 mars 2017, et les fêtes électives sont assez carabinées cette année.

Wounded fish equation (détail)

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Détail sur performance réalisée en octobre 2016

Détail sur performance réalisée en octobre 2016

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Je reviendrai dans l’atelier la veille du solstice d’été.

Cette fois-ci Self portrait with a serial killer semble quasi-fini, d’ailleurs il est rangé derrière l’établi des couleurs. Des néons souples sont venus démarquer les trois plans du tableau et les disques blancs sont venus oblitérer Ted et Damien HIRST. Des «lacérations» colorées, quasi fluos, sont venues essaimer la surface de la toile.

D’autres éléments sont à venir, qui n’éloignent pas des rubalises de la PJ. On verra ça plus tard...

Hadès a pris vie dans Birth of the seasons, une circulation lumineuse irrigue ses poumons de lumières, certes il y a eu volonté de masquage/recouvrement, mais cela n’en révèle que mieux cette nouvelle circulation. Hadès respire.

Les ceintures explosives de Blood Circus se parent de leds. Les lumières les plus froides opèrent bien à l’inquiétant objet.

Je n’ai pas bien vu les néons pour Wounded fish equation car la lumière générale ne se prêtait pas à l’expérience ce jour-là.

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Le Déjeuner sur l’herbe le 19 juin 2017

Une nouvelle toile est en cours, il s’agit du Déjeuner sur l’herbe ; une toile «paisible» où les substances hydrophobes et aqueuses se livrent bataille sous le pinceau. La toile est posée renversée, tête en 25

bas, contre le mur ; pour laisser plus facilement les matières vivre leur vie, laisser la main batailler avec tout ça sur des zones dessinées à la craie grasse.

Avec sa toile dessus-dessous, Capdevielle peut faire sens du pictural et faire ainsi image. L’image «tranquille» d’un monde en spectacle face à des silhouettes sombres et anonymes.

Un vieil homme juif à quatre pattes, un handicapé mental envoyé dans les camps nazis, côté chambres d’extermination, une femme qui se masturbe, une autre à sa toilette, un barbu qui en savate une autre. Le tout couronné d’un tank qui explose et encadré de débris miroitants d’un côté et d’un tronc d’arbre de l’autre.

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Les cinq photos précédentes Documents de travail de Jean-Patrick CAPDEVIELLE

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Photographie page suivante : Tirage de Christophe FRONTERA

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On est lundi 19 juin 2017, c’est jour de canicule sur la France.

Et on a un nouveau président.

Post-scriptum : les peintures de Jean-Patrick CAPDEVIELLE sont destinées à être numérisées en grand format et haute définition pour être retravaillées et vivre leur vie en dehors de l’atelier. J’espère pouvoir assister à leur prise de vue numérique. Les grandes toiles ne sont pas destinées au marché. Elles ne peuvent par leur taille sortir de l’atelier. Il faut venir les voir.

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DEUX VISITES DANS L’ATELIER DE JEAN-PATRICK CAPDEVIELLE Un texte écrit et mis en page par Magali Martin sauf mentions contraires photographies de Magali MARTIN Ce texte et ces images sont destinés aux anges qui n’ont pu vivre cette expérience et j’espère que cela leur permettra de rentrer dans l’univers pictural de Jean-Patrick, en attendant de voir tout ça «en vrai».