GrandChelem 35, juillet 2013

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WIMBLEDON

WIMBLEDON

MARION

BARTOLI

Quelques fois, c’est le regard dédaigneux des autres qui nous donne la force de nous battre ; quelques fois, c’est le regard amoureux des siens qui nous permet de nous transcender. Voilà, en deux phrases, résumée la carrière de Marion Bartoli, petite fille, dernière à tous les tests fédéraux dans ses plus jeunes années, et, depuis le samedi 6 juillet 2013, championne à Wimbledon. Il y a tout ce que l’on aime, à GrandChelem/Welovetennis, chez Marion Bartoli. Et, surtout, cette idée de ne pas faire les choses comme les autres, de frapper chaque balle comme si on allait mourir, l’envie de démontrer que le tennis est avant tout un sport de neurones. Rester dans son rythme, montrer les dents, serrer le poing, maintenir un regard, noir, noir, comme pour expliquer à son adversaire que le combat sera une mise à mort. On sent un peu de Rafael Nadal en Marion Bartoli dans sa façon de mettre tout son corps dans une frappe, dans cette gesticulation permanente pour garder son calme aux moments importants. Mais pas de Roger Federer chez elle, parce que le classicisme a laissé la place à une épreuve de force où c’est le résultat qui compte. « Je suis d’une mentalité américaine et je pense toujours de manière positive en me disant que tout est possible », nous avait-elle confié lors d’un bel entretien paru dans notre numéro 5. Sa finale passée et perdue en 2007 ? Beaucoup de spécialistes étaient venus nous rire au nez en expliquant qu’elle n’était qu’une verrue de l’histoire et qu’on ne verrait plus jamais cette Marion Bartoli à pareille fête. Prétextant, comme d’habitude, un physique inadapté, ces amoureux du beau geste, voire du geste pur, avaient juste oublié que la volonté et la croyance nous permettent de déplacer des montagnes. Plus simplement, de saisir sa chance. Et Marion a bien compris, durant cette quinzaine, que la chance venait à elle, qu’il fallait la choyer, la chérir. Alors, au fil des tours, elle a installé sa patte, elle a souri, souri encore et encore au point de ne plus savoir ce qui lui arrivait lors d’une balle de match extravagante. « Finir sur un ace à Wimbledon, vous vous rendez compte ! » s’exclamait la native du Puy-en-Velay à un public conquis par son anglais grande classe. Car Marion est aussi une vraie professionnelle, qui ne néglige rien et qui a compris que le tennis moderne se joue dans la langue de Shakespeare, surtout quand on veut soulever des trophées qui marquent l’histoire du tennis. Féérique, titrait L’Equipe le lendemain du titre, pour tenter de nous faire passer le coup de la princesse. Nous, on a choisi de le marquer, le coup. Faire taire les sceptiques et les aigris une fois pour toutes. Non, le tennis ne se joue pas qu’avec une technique léchée, apprise dans les grandes écoles, non le tennis n’est pas un sport uniquement réservé à une certaine élite. Le tennis s’apprend face à un mur, comme l’a fait Victoria Azarenka, ou dans un boulodrome couvert, à Retournac. Forcément, si l’on va aussi loin dans le département de la Haute-Loire, on est obligé d’évoquer Walter Bartoli. Personnage étrange, que j’avais eu la chance de rencontrer il y a trois ans à Roland Garros. Nous avions échangé brièvement

et convenu qu’un jour nous pourrions évoquer sa manière assez particulière de trouver des solutions inventives pour faire progresser sa fille. Cette première rencontre avait été marquée par un petit détail qui m’avait frappé. A chaque fois que je faisais un pas pour me rapprocher de lui, Walter en faisant un, en arrière, pour garder constamment une distance de sécurité. Distance qu’il a eu soin de préserver également tout au long de la carrière de sa protégée, car c’est isolés du monde que Marion et Walter ont parcouru les continents. Néanmoins, malgré son envie, on ne peut combattre le temps qui passe et un mode de fonctionnement qui a ses limites. Quand sa fille grandit, comme tout père aimant, on veut la voir heureuse. « Ma fille a 28 ans et, quand je la vois aujourd’hui, elle est épanouie. » Rien ne peut être ajouté à cette confession d’un père qui a tout sacrifié pour réaliser le rêve d’une vie, le sien, celui de sa fille et d’une certaine idée de la paternité. Maintenant qu’ils sont parvenus à se délester d’un poids énorme, ils peuvent enfin parler de sérénité. Et, comme en tennis, seul le résultat compte, les défauts d’hier seront déjà oubliés, voire effacés, les brimades aussi, les entraînements qui n’en finissaient plus... Le parcours de Marion Bartoli va sûrement faire naître des ambitions ça et là et engendrer quelques accès de folie. D’ailleurs, si Walter et sa fille ont toujours placé l’aspect mental au centre de leur projet, ils ont su lâcher du lest, finalement, au moment où on leur tendait vraiment la main. Après une folle ambition née dans l’envie de prouver au monde qu’ils avaient raison, ils ont accepté une aide précieuse, celle de la famille du tennis. Alors bien sûr, Amélie Mauresmo, Alexandra Fusai, Nicolas Perrote et les coéquipières de Fed Cup n’étaient pas sur le terrain, mais il est indéniable que Marion avait besoin d’amour et d’un vrai supplément d’âme. Pour cette quinzaine de feu, pour cette finale quasi-parfaite, pour ce samedi historique, pour cette joie de partager enfin une victoire en Grand Chelem, pour tout ça, Marion méritait notre une, avec un mot en sept lettres. Un mot qui claque et qui ne laisse pas la place au rêve, un mot qui clôt le débat, un mot qui sonne aussi bien en français qu’en anglais. Ce mot, c’est : RESPECT. Respect pour ce parcours, respect pour cette envie, respect pour cette croyance. Car, tout le reste, les polémiques, les jugements, c’est bon pour ceux qui n’ont pas compris que réaliser son rêve est un Graal qui appartient aux forcenés du travail, aux amoureux de l’émotion et, je dirais presque, aux accidentés de la vie. Laurent Trupiano

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Je me souviens… par Chryslène Caillaud, photographe de GrandChelem/Welovetennis « Marion et moi nous sommes rarement parlées. Mais, sur le court, nos regards se croisent depuis des années. Car il n’y a pas toujours eu beaucoup de supporters français pour la soutenir... Oui, je photographie Marion Bartoli sur les courts de tennis du monde entier. Je l’affirme : sa volonté de gagner est assez exceptionnelle et j’ai énormément de respect pour tout le travail qu’elle a fourni, avec tant de courage et de mérite. Je m’en souviendrai. Toujours. Je me souviens l’avoir vue se mettre dans un état second pour remporter un set et en faire un malaise ensuite… Je me souviens l’avoir vue battre Serena Williams sur le court n°1 à Wimbledon. D’ailleurs, la famille Williams a toujours pris Marion Bartoli très au sérieux. Quand je voyais le père de Serena venir au bord du court pour observer Marion, cela voulait dire qu’il y avait danger pour l’une des deux

« Sisters »... Je me souviens également de ce match qu’elle avait perdu à Wimbledon pendant un orage diluvien. Le toit du central avait été déployé, mais la pluie était si forte que le bruit des trombes d’eau qui s’abattaient l’empêchait d’entendre la frappe des balles. Elle avait été très gênée… mais n’avait rien dit. C’était incroyable. Avec Marion, c’est souvent comme cela. Elle est différente des autres joueuses. Elle a un caractère à part, mais également de grandes valeurs. Ce samedi 6 juillet 2013 restera gravé dans ma mémoire : c’est la date à laquelle Marion a remporté le plus grand tournoi du monde en s’imposant en véritable patronne. Je me souviens aussi pourtant… Il y a un mois, elle perdait contre une joueuse italienne, Giorgi, au premier tour des Internationaux de Strasbourg. Je l’avais croisée dans les couloirs du stade, elle était très

triste. Et je lui avais dit : « Ce n’est pas grave, je t’ai déjà vue accomplir de grands exploits… notamment à Wimbledon. » Elle m’avait gentiment remerciée. Hier, en entrant sur le court central, elle m’a aperçue. J’étais assise sur la plateforme des photographes. Nos regards se sont croisés et je lui ai fait signe d’y aller, que tout irait bien. En sortant du court, après son formidable match, elle m’a regardée à nouveau avec un sourire radieux. C’était maintenant une championne qui sortait avec le plus beau titre qu’elle puisse espérer. Aujourd’hui, quoi qu’il arrive, Marion Bartoli est entrée dans l’histoire du tennis français et je suis fière d’avoir pu photographier ce moment. Ce matin, lors d’une séance pour la Fédération Française de Tennis, nous avons pu faire cette photo ensemble, sur laquelle je refais ce petit signe que je lui ai fait au moment ou elle est entrée sur le court… pour gagner ! »

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