grand théâtre magazine n°16 - Exils politiques

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Christiane Jatahy prépare la révolution dans Nabucco Russie, sur les longues routes du bagne intérieur

Nicola Alaimo à Pesaro, un rossinien chez Rossini

n°16 avril 2023 Exils politiques

Humilité

14 JUILLET – 2 SEPTEMBRE 2023

Cycle « Changement I » 2023 – 2025

PATRICIA KOPATCHINSKAJA (Ambassadrice «Music for the Planet»), Francesco  PIEMONTESI, Maria  JOÃO PIRES, Pretty  YENDE, Sonya  YONCHEVA en TOSCA, Ute  LEMPER, Lahav  SHANI & ORCHESTRE PHILHARMONIQUE D' ISRAËL, Jaap VAN ZWEDEN & GSTAAD FESTIVAL ORCHESTRA, entre autres

gstaadmenuhinfestival.ch

PARTENAIRE MÉDIA

Les chants poignants de l’exil

Va, pensée, sur tes ailes dorées ; Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines, Où embaument, tièdes et suaves, Les douces brises du sol natal !

Oh ma patrie si belle que j’ai perdue ! Ô souvenir si cher et si fatal !

Tout le monde connaît le chœur des Hébreux déportés à Babylone, qui a rendu si populaire Nabucco de Verdi. « Va, pensiero… » est à la détresse des exilés ce que l’Ode à la joie de la 9e Symphonie de Beethoven est à l’espérance d’un monde meilleur : un hymne fondateur. On sait l’importance historique de ce morceau : aussitôt créé, il devint le chant de ralliement des nationalistes italiens soulevés contre les dominations autrichienne et pontificale. La gloire de Verdi, en Italie, fut donc à la fois musicale et politique.

Dans Nabucco, les Hébreux sont présentés comme des esclaves. Or la réalité fut plus nuancée. Les Juifs forcés à l’exil fondèrent entre le Tigre et l’Euphrate des villes qu’ils administraient eux-mêmes. Ils continuèrent d’y pratiquer leur religion et de rêver d’un retour à Jérusalem. Mais ils s’intégrèrent en même temps à leur environnement : ils en adoptèrent la langue, occupèrent parfois des postes influents dans l’administration du royaume. Si bien que lorsque des décennies plus tard, ils furent autorités à revenir sur leur terre, nombreux furent ceux qui préférèrent rester dans leur pays d’accueil – une importante communauté juive subsistera ainsi en Irak jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. C’est ce que nous explique l’historien Simon Erlanger dans notre dossier (page 32).

Mais le théâtre n’aime en général pas les complexités du réel, et surtout pas l’opéra romantique dont Verdi, avec Nabucco, jette les bases. C’est un manifeste qu’il lance à la face de l’Italie avec son ouvrage, désireux d’enflammer les cœurs tout en fouillant les replis de l’âme d’un tyran écartelé entre le pouvoir et le sentiment paternel.

Un petit siècle plus tard, Chostakovitch connaîtra lui aussi les conséquences politiques de son travail. Mais dans un sens opposé à celui de Verdi, puisque Lady Macbeth du district de Mtsensk aura le tort d’irriter Staline. Dénonçant un « flot de sons intentionnellement discordants et confus » et un « chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine », un article de la Pravda, inspiré sinon rédigé par le « petit père des peuples », relégua l’ouvrage au purgatoire avant un remaniement tardif et une renaissance plus tardive encore. Curieusement, nul hiérarque soviétique ne fut choqué par la description désespérante du bagne de Sibérie, au dernier acte, où Katerina Isamaïlova est déportée après son meurtre, suivant ainsi le terrible chemin des réprouvés et des dissidents russes, dont Georges Nivat nous retrace l’histoire (page 18).

Notre dossier s’attache donc à faire le départ entre la fiction des œuvres et les réalités historiques dont elles s’inspirent. Il interroge aussi Christiane Jatahy, la célèbre metteure en scène brésilienne, sur la manière dont elle entend faire de Nabucco un spectacle où les détresses des opprimés d’aujourd’hui s’invitent dans l’Antiquité du drame verdien pour nous en dire la portée universelle (page 24). Il faut donc que des compositeurs se soient approprié la grande histoire ou un misérable fait divers avec leur génie créateur pour que nous soit renvoyé l’écho de préoccupations éternelles. Telle est la magie de l’opéra, lorsqu’il est à son plus haut.

Bonne lecture !

Jean-Jacques Roth

Rédacteur en chef de ce magazine, Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura. Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre.

1 UN MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN du Cercle du Grand Théâtre de Genève, de Caroline et Éric Freymond édito
LES LENDEMAINS DE PREMIÈRE LA CRITIQUE DE GUY CHERQUI 18:30 Le Journal

Portrait de couverture

La gare de Rio de Janeiro : c’est dans sa ville que Christiane Jatahy a pris la pose pour terminer notre série de couvertures en cette saison du Grand Théâtre placée sous le thème de « Mondes en migration ». La metteuse en scène brésilienne montera Nabucco de Verdi, où elle apposera son style qui mêle théâtre et vidéo, afin d’élargir le cadre de la scène à la réalité qui l’entoure, et mieux faire entendre la voix des opprimés de la terre.

RUBRIQUES

Édito 1 par Jean-Jacques Roth

Mon rapport à l’opéra 4

Philippe Bischof, « L’opéra doit provoquer une

Ailleurs 6

Nicola Alaimo, Un rossinien chez Rossini

Portrait 12

Ausrine Stundyte, une torche vive pour Lady Macbeth de Mtsensk

Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Le Temps, Collaboration éditoriale Le Temps

Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret

EXILS POLITIQUES

Dossier, Chassés, exilés, opprimés...

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Le trakt qui mène en Sibérie, Par Georges Nivat 18

Christiane Jatahy, « On montrera le point de vue de peuple », Par Jean-Jacques Roth 24

Opéra, exils et errances, Par Christopher Park 30

De Jérusalem à Babylone, l’exil fondateur, Par Simon Erlanger 32

Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kotsoglou, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Maquette et mise en page Simone Kaspar de Pont Images Anne Wyrsch (Le Temps) Relecture Patrick Vallon

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Promotion GTG Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114
La prison de Tobolsk, construite entre 1838-1855, se composait de plusieurs blocs cellulaires, d’un hôpital pour prisonniers, d’un bâtiment administratif et d’autres locaux. © Alexander Aksakov/Getty Images
extase »
Partenaire 10 Théâtre de Vidy, la folle allure Sur le fil 36 La funeste liste des exils Coulisses 38 Le Grand Théâtre à l’ère vidéo Rétroviseur 42 Mouvement culturel 44 Athènes, ou le mouvement permanent Agenda 48
Photo : Leo Aversa pour le Grand Théâtre Magazine

« L’opéra doit provoquer une extase »

J’ai aussi eu la chance – et on revient à Verdi et à l’Allemagne de l’Est – d’être l’assistant, quelques années plus tard, du metteur en scène est-allemand Frank Castorf qui montait Otello à Bâle. C’était son premier opéra, une expérience incroyable, totalement différente, mais à nouveau engagée, politique et ancrée dans l’actualité.

Philippe Bischof (1967) est directeur de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia depuis 2017. Il a étudié à Bâle et commencé sa carrière comme assistantmetteur en scène au Théâtre de Bâle, avant de travailler comme metteur en scène et dramaturge indépendant en Suisse et à l’étranger. Après un Master of Advanced Studies (MAS) en management culturel, il a créé en 2008 le Centre culturel Südpol de Lucerne, puis en a assuré la direction artistique jusqu’en 2011. Il a ensuite pris la tête, jusqu’en 2017, du Département des affaires culturelles du Canton de Bâle-Ville.

À première vue, le directeur de Pro Helvetia, Philippe Bischof est homme de théâtre, voire de théâtre musical, plutôt que d’opéra. Mais à l’écouter évoquer les productions qui l’ont marqué et détailler ce qu’il aime dans cet art total, on découvre un amateur à la fois exigeant et passionné.

Votre formation, c’est le théâtre, quel rapport avez-vous établi avec l’opéra ?

J’ai fait deux rencontres marquantes.

Au début des années 1990, j’ai vu Don Carlos de Verdi mis en scène par Ruth Berghaus, grande dame de l’opéra en Allemagne de l’Est à l’époque de Brecht, très critique, très politique. Elle n’avait jamais travaillé à l’Ouest et Frank Baumbauer, directeur du théâtre de Bâle où j’étais assistant, lui a proposé de monter Don Carlos. Elle l’a fait presque sans décor : uniquement les personnages et la musique. C’était d’une force ! Elle est parvenue à mettre à nu le système politique qui sous-tend les relations intimes dans cette œuvre. J’étais tellement fasciné que je l’ai vue sept fois.

En Suisse l’opéra a été opposé à la culture underground, un antagonisme qui a culminé en 1980 dans les grandes manifestations zurichoises, les « Opernhauskrawalle ». En tant que responsable culturel, qu’en pensez-vous ? Cette tension est-elle retombée aujourd’hui ?

À l’époque, à Zurich, l’opéra était le grand ennemi considéré comme intrinsèquement bourgeois. Il était hypersubventionné – ce qui reste le cas. Mais depuis, beaucoup d’institutions ont obtenu des subventions à Zurich comme à Genève. Les lignes de tensions ne sont plus si claires. Ces débats n’ont pas cessé pour autant, mais on ne les perçoit plus de la même façon. Quel est le cœur de notre société en matière culturelle ? Quelles sont les institutions importantes et à qui sont-elles accessibles ? Chaque génération doit y répondre à sa façon.

D’une certaine manière, l’underground a rejoint l’opéra…

C’est vrai, Christoph Marthaler a fait de l’opéra. Et en réponse aux critiques contre l’opéra – on pense à Pierre Boulez et à sa proposition de « faire exploser les opéras » – le théâtre musical, un genre que j’adore, s’est développé avec des gens comme Christoph Marthaler, Thom Luz ou Philippe Quesne. Mais il faut souligner que l’opéra, lorsqu’il est

4 mon rapport à l’opéra
Une vraie attention à la création contemporaine, voilà ce que Philippe Bischof, directeur de Pro Helvetia, aimerait voir se développer sur les scènes lyriques suisses.

Philippe Bishof : « L’opéra, lorsqu’il est engagé et contemporain, a repris de la force, en devenant de plus en plus l’interprète critique de la société d’aujourd’hui. »

© Federal studio

engagé et contemporain, a repris de la force, en devenant de plus en plus l’interprète critique de la société d’aujourd’hui. Je l’ai vu à Genève comme à Berlin ou Stuttgart et récemment à Zurich avec Eliogabalo de Francesco Cavalli, un opéra baroque remarquablement mis en scène et d’une actualité frappante. Mais le genre reste onéreux et assez élitiste. Voilà pourquoi j’apprécie le travail de personnes comme Aviel Cahn qui l’ouvrent aux différents publics contemporains.

Écoutez-vous de l’opéra ?

Haendel, Monteverdi. J’adore l’opéra baroque. Verdi aussi, mais je n’ai hélas guère le temps d’écouter Don Carlos en entier : je choisis plutôt des airs que j’aime. Alexander Kluge, écrivain, philosophe et cinéaste – grande figure intellectuelle allemande – dit que l’opéra est das Kraftwerk der Gefühle, « la centrale des émotions ». C’est très juste. Dans Giulio Cesare de Haendel, il y a une aria qui dure

environ dix minutes. Lorsque je suis un peu triste, j’écoute Anne Sofie von Otter la chanter, et ça me console.

Qu’allez-vous voir à l’opéra ?

Je n’achète des billets que s’il y a une dimension contemporaine. Je refuse la nostalgie, l’élitisme qui célèbre les grandes voix. Je comprends que certains adorent, mais ce n’est pas mon truc. Ce qui m’intéresse, c’est le narratif de l’œuvre et son actualité. J’ai vu Katia Kabanova de Janáček à Genève l’automne passé, un très bon spectacle, très frontal. Je vais voir soit des créations contemporaines, même si elles durent quatre ou cinq heures, soit des œuvres classiques mais montées de façon critique, surprenante. Je suis très sélectif. Si on en revient à « la centrale des émotions », je peux dire qu’un opéra qui n’est pas dans la présence totale, qui ne réveille pas les émotions, qui ne provoque pas chez les interprètes comme les spectateurs une sorte d’épuisement et de bonheur mêlés, ne compte pas pour moi.

L’opéra doit être épuisant ?

L’opéra doit provoquer une extase. L’opéra est forcément exagéré. Une cantatrice va chanter sa mort longuement avant de mourir… C’est tellement beau et fou en même temps. L’opéra est complètement artificiel, mais s’il est bien mis en scène, on oublie que ce n’est pas réel et cela devient existentiel. Même un excellent film ne parviendra pas à me faire ressentir une telle énergie.

Cette énergie est rare…

En tant que directeur de Pro Helvetia, je regrette que si peu d’opéras contemporains soient montés. Certains, c’est sûr, sont rudes à nos oreilles, mais d’autres sont plus accessibles, comme ceux de Britten. Les producteurs, les orchestres, les interprètes doivent s’investir dans le contemporain. Un art qui se coupe de la création contemporaine risque de mourir un jour. Je sais que ce n’est pas forcément ce que le public veut voir, mais si on est subventionné, on doit se tourner vers le contemporain et prendre des risques.

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On se dit que les planètes se sont alignées par une passion toute musicale. Mais non : si Nicola Alaimo habite Pesaro, la ville de Rossini qu’il a tellement chanté, c’est parce que son épouse Silvia est de la région.

Nicola Alaimo, lui, est sicilien et la Sicile lui manque « chaque jour », dit-il avec un soupçon de mélancolie. Le couple a longuement cherché une maison dans la région des Marches, à Fano, à Rimini, à Riccione, et c’est à Pesaro qu’il l’a trouvée.

« La maison de nos rêves », dit-il. C’est le nid où le baryton-basse et son épouse, fidèle alliée de sa carrière, ont fondé leur famille, à quelques centaines de mètres du centre historique.

« Le centre de Pesaro est très joli mais la ville n’est pas grande : il se visite en une demi-journée », prévient-il. Il y a la cathédrale de dimensions plutôt modestes. Le Palais Mosca, construit par la richissime famille bergamasque dont il porte le nom : transformé en musée, il abrite notamment le célèbre retable sur bois du Couronnement de la Vierge de Bellini. Ou le Palazzo Ducale qui domine la Piazza del Popolo.

Soyons clair : rien ne rivalise avec la beauté de la voisine Urbino, où Nicola Alaimo n’a pourtant pas ses habitudes. « C’est sublime mais très touristique. » Il préfère les beautés naturelles qui bordent la côte, qu’il parcourt en famille et à vélo. En version rapide, c’est la promenade du « lungomare ». Comme ses voisines de la côte adriatique, Pesaro triple de volume à la belle saison grâce à ses larges plages où les parasols s’alignent comme les fantassins d’une légion romaine. En version plus longue, il pousse jusqu’au parc naturel Monte San Bartolo, où la route longe les falaises tombant sur le bleu infini de l’Adriatique.

Pesaro est plus populaire pour ses longues plages de sable blanc que pour son centre historique, dominé par la figure de son héros, le compositeur Giacomo Rossini. Tout porte son nom ici, du Conservatoire au Teatro dell’Opera, de la rue centrale au festival qui lui est entièrement consacré. Depuis 1980, cette manifestation qui se déroule au mois d’août a été le foyer de la célèbre « Rossini renaissance ».

6 ailleurs
© Cristian Ghisla / EyeEm / Getty Images

Un rossinien chez Rossini

Nicola Alaimo, qui sera Nabucco à Genève, chantait un air du Barbier de Séville à l’âge de 2 ans. Et sa carrière doit beaucoup aux opéras de Rossini dont il est un des spécialistes les plus demandés. Pas étonnant, donc, qu’il habite Pesaro, la ville natale du compositeur. Et pourtant, c’est pour une tout autre raison que le barytonbasse a choisi de s’y installer...

« Pesaro, pour moi, c’est la famille. Lorsque j’y suis, je ne laisse rien m’en distraire. Car si j’ai pu profiter des premières années de ma fille Sonia, qui a aujourd’hui 13 ans, j’ai beaucoup moins vu grandir sa petite sœur Marilena, qui a 8 ans. C’est la face noire de ce métier qui est l’un des plus beaux du monde : à un certain niveau de carrière, vous n’êtes plus jamais chez vous. »

La famille de Nicola Alaimo, parlons-en. Elle n’aura pas été ordinaire. Son oncle Simone est lui-même un fameux barytonbasse et lui aussi un grand interprète de Rossini. À Palerme, le petit Nicola en fait son modèle. « J’ai grandi dans Rossini. Imaginezvous qu’à 2 ans, je chantonnais l’air de la calomnie du Barbier de Séville ! »

C’est sur la scène du Teatro Rossini, à Pesaro, que Nicola Alaimo a chanté son premier Guillaume Tell, en 2013 : un rôle majeur qui a contribué à l’imposer comme un des meilleurs barytons-basses de sa génération. © Ph Amati Bacciardi.

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Mais à l’âge de 9 ans, le destin frappe : le père de Nicola meurt  et, comme il est sans ressources, il demande à Simone Alaimo, son frère, de prendre soin de son garçon. Commence alors une éducation vocale sérieuse. Nicola a pour son oncle Simone une admiration profonde : sa prestance scénique, la qualité de la voix, l’art de la diction le guident et l’inspirent. Relation qui toutefois se tend lorsque le talent de Nicola explose et que les choix de carrière se présentent : « Nous avons eu de très nombreuses discussions », élude-t-il avec sa bienveillance légendaire, qui en fait l’un des chanteurs les plus aimés de ses collègues. Toute la carrière de Nicola est éclairée par l’étoile rossinienne. À 19 ans, il remporte le concours Giuseppe Di Stefano en interprétant le rôle de Dandini dans La Cenerentola. Il intègre ensuite l’Accademia

Rossiniana de Pesaro (déjà !) où il chantera Raimbaud dans Le Comte Ory. Suivra le rôle de Pharaon dans Moïse et Pharaon pour son entrée à la Scala de Milan, sous la direction de Riccardo Muti.

De Rossini, il aura chanté à ce jour 13 rôles majeurs, presque autant que ses 14 rôles verdiens. Sa longue voix sombre et suave et son abattage théâtral font merveille dans les personnages bouffes du Barbier de Séville ou de La Cenerentola. Mais ce sera le monumental opéra historique du compositeur, Guillaume Tell, qui l’intronisera en 2013 comme le grand baryton-basse de sa génération, successeur de ses idoles, les Bruscantini, Capecchi, Taddei.

Et c’est sur la scène du Teatro Rossini qu’il l’a fait briller, où se tient depuis 1980 un festival entièrement dédié à l’œuvre du compositeur dont Pesaro est la ville natale. C’est ici que s’est opérée la fameuse « Rossini Renaissance » des années 80, portée par une relecture informée de ses ouvrages et une exhumation de titres longtemps oubliés. Nicola Alaimo a commencé à s’y produire en 2010 et y est revenu presque chaque année.  Mais les éléments sont incléments avec ce théâtre que le compositeur inaugura en y dirigeant La gazza ladra (La Pie voleuse) alors qu’il n’avait que 27 ans. En 1930, un tremblement de terre l’a ravagé. Puis dans les années soixante, il fallut le fermer pour

La fontaine de marbre rouge véronèse et de pierre d’Istrie, au centre de la Piazza del Popolo bordée par le Palais ducal, est le point de ralliement des habitants de Pesaro. Plusieurs fois remaniée, détruite en 1944, elle a a dû attendre 1988 pour retrouver sa splendeur d’origine. © Pavel Dudek/ Alamy

une rénovation complète, car il était menacé par de périlleuses fissures. Il ne rouvrit qu’en 1980, accueillant la première édition du festival. Depuis, d’autres scènes ont complété cette salle merveilleuse de 800 places, en fer à cheval sur quatre étages de loges, dont les ors et les rouges font irrésistiblement penser à la Scala de Milan. Les grandes productions vont dans l’étrange soucoupe du Palais des sports, la Vitrifrigo Arena, et les petites au Teatro Sperimentale. C’est dans ces lieux que se déroulera le festival cet été, car la malédiction sismique a encore frappé, au mois de janvier, fragilisant le délicat Teatro qui restera fermé à nouveau pour de longs mois.

À Genève, Nicola Alaimo incarnera pour la première fois Nabucco, le roi babylonien dont l’esprit et le pouvoir vacillent avant sa conversion au judaïsme des Hébreux qu’il a fait exiler. « C’est un rôle très important. J’ai attendu d’avoir une certaine maturité pour l’aborder et je pense qu’à bientôt 45 ans, le temps est venu. J’y travaille depuis un an et demi avec mes maîtres – on ne cesse jamais d’apprendre.

Le rôle est encore très influencé par Rossini, mais dans le 4e acte, Verdi déploie déjà toute une gamme de couleurs vocales, caractéristique de son génie, de manière à exprimer à la fois les sentiments d’un monarque et ceux d’un père : au niveau interprétatif, c’est passionnant. »

Le Teatro Rossini héberge 800 spectateurs dans une magnifique salle en fer à cheval sur quatre étages de loges, dont les rouges et les ors rappellent la Scala de Milan. Il est actuellement fermé pour travaux, suite à une secousse sismique.

8 ailleurs

De Verdi, Nicola Alaimo a chanté certains des plus grands rôles, mais parfois avec parcimonie. Il s’estime encore trop jeune pour Rigoletto, par exemple, bien qu’il l’ait déjà abordé sur scène. Nabucco suivra peut-être le même chemin, s’il juge qu’il doit encore mûrir pour le faire sien. En revanche, l’un de ses plus grands titres de gloire est un des personnages les plus stupéfiants de la longue galerie verdienne, dans son mélange de verve, de pleutrerie et d’humanité : c’est Falstaff, qu’il a fait triompher dans le monde entier. « Je pourrais vivre en ne chantant que Falstaff. J’ai découvert l’opéra à l’âge de 16 ans et ce fut une émotion fulgurante qui ne m’a plus jamais quitté. L’opéra de Verdi est peut-être supérieur encore aux Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare, dont Arrigo

Boito a tiré le livret. Il est fabuleux d’imaginer que Verdi a choisi cette comédie pour composer son dernier ouvrage, alors qu’il a presque 90 ans. Tout commence par un accord de Do majeur, l’accord roi de la musique occidentale, et tout se termine par une Fugue époustouflante, elle aussi en Do majeur. C’est la perfection du cycle qui se referme, avec une dimension symbolique évidemment très puissante. Et c’est du théâtre à l’état pur. »

Rossini est partout dans Pesaro, sa statue rappelle ce que la ville doit à sa renommée qui fut phénoménale au début du XIXe siècle. Comme était précoce son génie : à 27 ans, il dirigeait son opéra La Pie voleuse pour l’inauguration de l’opéra, qui portera son nom dès 1855. © massi67/IStock/ Getty

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Au Grand Théâtre de Genève Nabucco Du 11 au 29 juin 2023 gtg.ch/nabucco rdv.

Avec son bâtiment principal entièrement rénové après deux ans et demi de travaux, l’institution lausannoise déploie une force de frappe poétique unique en Suisse romande.

Théâtre de Vidy, la folle allure

Les chiffres d’une histoire exemplaire gravés dans les planches. C’est ce qu’a voulu Vincent Baudriller, directeur du Théâtre de Vidy depuis 2014. Le 18 janvier, il inaugurait la salle Apothéloz enfin rénovée, mieux, transfigurée. Après deux ans et demi de travaux, le cœur de l’institution lausannoise bat de nouveau à haute intensité, irrigué par des alliances de choix avec d’autres vaisseaux, dont le Grand Théâtre. Une nouvelle vie et un second nom désormais : la Salle 64, référence à l’année où le bâtiment conçu par le génial Max Bill a vu le jour. Dites donc « 64 ». Vous verrez dans un mirage une foule butineuse affluer sur la berge du lac et s’émerveiller devant une modernité made in Switzerland, celle que l’Exposition nationale de 1964 exalte. Les plus aventuriers sondent les eaux ténébreuses du Léman à bord du mésoscaphe d’Auguste Piccard. Les plus esthètes visitent le théâtre, admirent son élégance zen et sa fonctionnalité hospitalière.

Charles Apothéloz à la manœuvre

Le 30 avril 1964, les Lausannois découvrent donc ce temple de la culture. Si beaucoup sont emballés, certains sont déconcertés

10 partenaire

Refait à neuf par l’atelier lausannois Pont 12, dans le respect des dessins de l’architecte Max Bill, le Théâtre de Vidy dispose désormais d’un équipement technique de pointe, d’un vaste plateau de répétitions, d’une plus grande capacité d’accueil du public, d’un confort amélioré pour les artistes et de quatre salles : un édifice à la mesure des ambitions de son directeur Vincent Baudriller. © Matthieu Gafsou/Vidy

Vincent Baudriller dirige le Théâtre de Vidy depuis 2014. On lui doit notamment une stratégie d’alliance avec les autres institutions romandes, dont le Grand Théâtre.

par une architecture qui ne ressemble en rien à la vision qu’ils se font d’un théâtre. Ils se rassurent en se disant que cette enveloppe est éphémère. Charles Apothéloz est d’un tout autre avis. À peine le rideau tombé sur l’expo nationale, il mobilise les milieux culturels lausannois, comme le raconte l’historien Matthieu Jaccard et plaide auprès du syndic Georges-André Chevallaz pour que le bâtiment survive. Le 25 mai 1965, le Conseil communal vote son acquisition afin qu’il serve de... salle de répétition au Théâtre municipal. Cette histoire, Vincent Baudriller la connaît par cœur. Quand l’ancien codirecteur du Festival d’Avignon décide, après des discussions passionnées avec son équipe, de rebaptiser la salle Apothéloz, c’est pour que les nouvelles écritures n’éclipsent pas le palimpseste. Dans la même logique, il estampille d’un chiffre les trois autres scènes de l’institution, chacun correspondant à son année de naissance : haut perché sur ses pilotis, la salle René Gonzalez, qui compte 115 places, est dite Salle 96, la Passerelle et ses 97 fauteuils répondront au nom de Salle 76, le formidable Pavillon en bois et ses 252 sièges à celui de Salle 17.

Le bonheur des alliances. Vincent Baudriller excelle dans cet exercice de diplomatie politico-artistique. Les partenaires sont choisis selon des affinités électives. Avec le Grand Théâtre d’Aviel Cahn, adepte lui aussi de lectures contemporaines des œuvres, le lien est naturel : le 17 juin, Vidy mettra à disposition des intéressés une navette pour aller découvrir à Genève Nabucco de Verdi dans la mise en scène de Christiane Jatahy, comme il l’a fait début avril avec Voyage vers l’espoir de Christian Jost. Échange de bons procédés : le transport se fait aussi dans l’autre sens selon les créations. Dites 64 (bis) et vous verrez aujourd’hui un bâtiment à la santé inoxydable dans ses habits en inox, élémentaire dans ses lignes, enrichi d’un cube qui change la vie des professionnels : un studio de répétition où plancher sur la fiction. Son plateau déploie des mesures idéales : 15 mètres sur 15, soit la taille de la scène principale. La voici justement. En apparence, elle n’a pas changé. Sauf que… Elle est désormais dotée d’équipements de haut vol. Exit les coursives supérieures branlantes, les perches nécessitant des muscles de docker.

À la place, un gril métallique où ronronnent sur leurs chariots – à près de 15 mètres de hauteur – des moteurs de levage capables de soulever un vaisseau spatial comme dans le récent Cosmic Drama, odyssée lunaire qui inaugurait le lieu.

Alexandre Demidoff se forme à la mise en scène à l’Institut national des arts et techniques du spectacle à Bruxelles. Il enchaîne ensuite avec un master en littérature française à l’Université de Genève et à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Il collabore au Nouveau Quotidien dès 1994 et rejoint le Journal de Genève comme critique dramatique en 1997. Depuis 1998, il est journaliste à la rubrique Culture du Temps qu’il a dirigée entre 2008 et 2015. Il passe une partie de sa vie dans les salles obscures.

Plaque tournante

Ces chiffres, ce sont les bonnes âmes d’un lieu qui, depuis la révolution du metteur en scène Matthias Langhoff en 1989, privilégie les figures majeures de la scène contemporaine. Dès 1991, le Français René Gonzalez accentuera cette pente en producteur inspiré. Vincent Baudriller poursuit cet élan depuis 2014, avec une différence de taille toutefois : il a fait de Vidy une plaque tournante de la création helvétique, d’où qu’elle vienne, de Suisse romande comme de la Suisse alémanique, tissant des liens privilégiés avec le Schauspielhaus de Zurich et le Théâtre de Bâle.

Et la salle ? Elle a gagné en confort, pas seulement en nombre de sièges – 428 au lieu de 385 auparavant. Naguère, plus on montait dans le gradin, plus le plafond était bas. Chargés de la rénovation, les architectes François Jolliet et Guy Nicollier – du bureau lausannois Pont 12 – ont là aussi fait merveille. Sur le rivage, Vidy change d’allure avec ses quatre salles et sa trentaine de spectacles par saison.

À sa façon athlétique, la grande maison entretient le feu de 1964 : elle chérit le présent pour regarder dans les yeux l’avenir.

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Ausrine Stundyte, une torche vive pour Lady Macbeth de Mtsensk

Habituée à chanter des femmes aux destins brisés, la soprano lituanienne reprend le rôle de Katerina Ismaïlova dans Lady Macbeth de Mtsensk qu’elle avait créé dans la même mise en scène de Calixto Bieito, en 2014, à l’Opéra de Flandres. Sensations garanties au contact de cette voix incandescente.

Yeux bleus, regard fier, Ausrine Stundyte est une torche vive qui n’hésite pas à prendre les risques les plus insensés pour camper des femmes aux destins brisés. Qu’elle chante Katerina Ismaïlova dans Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch, la jeune Renata frappée d’hallucinations et de mysticisme dans L’Ange de feu de Prokofiev, ou encore Elektra de Richard Strauss au Festival de Salzbourg, elle développe un jeu d’une incroyable intensité scénique.

Une fois de plus, la soprano lituanienne retrouvera le metteur en scène espagnol Calixto Bieito au Grand Théâtre de Genève pour une Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch qui avait fait date, en mars 2014, à l’Opéra de Flandres à l’époque où Aviel Cahn en était le directeur général.

Depuis, elle a chanté Katerina dans d’autres productions de Dmitri Tcherniakov à Lyon et de Krzysztof Warlikowski à Paris. Et à chaque fois, on salue son engagement et sa façon de mettre à vif des fêlures émotionnelles extrêmes. Opéra créé avec succès à Léningrad en janvier 1934, puis brutalement retiré de l’affiche dès 1936 sous la censure stalinienne, Lady Macbeth de Mtsensk dépeint le destin d’une femme rongée par l’ennui matrimonial qui en vient à tuer pour faire vivre une passion éphémère qu’elle nourrit d’un feu solitaire. Le sujet en est la détresse sexuelle, exprimée dans l’orchestration crue et imagée. Femme illettrée, épouse d’un riche marchand, Katerina Ismaïlova s’éprend d’un ouvrier de passage, Sergueï, sur lequel elle projette ses désirs sans comprendre que celui-ci n’est qu’un séducteur opportuniste. De son côté, Chostakovitch prend fait et cause pour l’héroïne meurtrière, dont il dépeint les luttes intérieures et la lente descente aux enfers, jusqu’à son suicide final.

Vous semblez vouée à incarner des femmes aux destins brisés et aux facettes sombres…

C’est vrai que j’ai tendance à être cantonnée aux femmes un peu folles et hystériques. J’aime ces grandes explosions d’émotions dont on ne sait pas toujours l’origine ou le sens. Du reste, chaque acteur vous dira que jouer un « bad guy » – ou une femme au caractère passionné ayant subi un traumatisme – est tellement plus amusant que de jouer un « good guy ».

Figurez-vous que par le passé, j’étais une assez bonne Madame Butterfly, mais on ne me demande plus ce genre de rôles !

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Par Julian Sykes

Née à Vilnius, la soprano Ausrine Stundyte a fait ses études de chant en Lituanie puis en Allemagne, pays où commence sa carrière. Elle fait ses débuts au Festival de Salzbourg en 2020 dans Elektra, excellant dans le répertoire postromantique et du début du XXe siècle, de Wagner à Chostakovitch, sans oublier sa participation à de nombreux opéras contemporains.

Chaque cantatrice a sa couleur de voix et ses qualités vocales. Ausrine Stundyte a « sa » voix et ne peut chanter « comme Birgit Nilsson ». « Après tout, nous n’avons que deux cordes vocales ; avec l’expérience, j’ai appris à ne pas forcer la voix audelà de ses limites. »

Quel est l’ouvrage lyrique qui vous a demandé le plus d’efforts à ce jour ?

Elektra est le rôle le plus éprouvant que j’ai fait de ma vie, pas tellement physiquement, mais vocalement : c’est encore plus difficile que Katerina dans Lady Macbeth de Mtsensk ! Elektra n’a aucun moment de répit ; elle est sur scène du début à la fin. C’est assez fou quand on y pense !

Avez-vous une technique particulière pour le répertoire que vous abordez ?

Chaque cantatrice a sa couleur de voix et ses qualités vocales. J’ai « ma » voix et je ne peux pas chanter comme Birgit Nilsson. Après tout, nous n’avons que deux cordes vocales ; avec l’expérience, j’ai appris à ne pas forcer la voix au-delà de ses limites, ce qui est parfois tentant quand vous avez un grand orchestre qui vous « provoque », en quelque sorte.

Quel souvenir gardez-vous de cette production de Lady Macbeth de Mtsensk à Anvers en 2014 ?

Un très grand souvenir. C’est l’une des meilleures productions que j’ai faites à ce jour. Physiquement, c’est très sollicitant, je n’arrête pas de bouger sur scène. On verra si je suis encore à la hauteur !

À quelle lecture de l’opéra le public peut-il s’attendre ?

Calixto Bieito dépeint un environnement très hostile à l’égard de Katarina, un monde rude et oppressant où les règles ne sont plus respectées, ce qui la pousse à commettre des

meurtres. Son beau-père Boris est très brutal avec elle, son mari Zinovy ne réagit pas, comme ces hommes qui restent plantés devant l’écran télé pendant des heures. Elle est complètement isolée. Et soudain, cet amour qu’elle découvre pour Sergueï l’incite à se battre par tous les moyens possibles et imaginables : elle tue pour garder cet amour.

Katerina est-elle victime ou bourreau ?

Bien sûr qu’elle est une criminelle mais elle est aussi une victime, de la société environnante autour d’elle et de son amant Sergueï qui la manipule avec beaucoup d’habileté. Sergueï manipule toutes les fragilités d’une femme esseulée qui cherche désespérément une connexion avec l’extérieur. C’est le personnage le plus vil de l’opéra. Katerina s’est mariée très jeune. On peut imaginer qu’entre elle et son mari Zinovy, il y a eu une forme de tendresse au début, mais ils n’ont pas réussi à avoir d’enfants. Zinovy est comme impuissant face au beau-père Boris qui fait la loi à la maison et exerce une pression sur le couple, sur Katerina en particulier qu’il humilie.

Comment jouer ce drame lyrique ?

C’est très violent et très cru par moments…

Katerina est l’un de mes rôles préférés, parce qu’il est davantage écrit comme une pièce de théâtre que comme un rôle d’opéra. Il y a beaucoup d’action, les personnages sont très humains, très vrais. Bien souvent à l’opéra, le temps émotionnel est étiré par rapport à celui de l’action dramatique. Or, dans Lady Macbeth de Mtsensk, le temps émotionnel et l’action dramatique coïncident. Cela permet de jouer le drame comme au théâtre.

Il y a un sous-texte sexuel, voire pornographique, dans cet opéra. Comment l’appréhendez-vous ?

Après tout, l’érotisme et le sexe sont une grande partie de la vie de chacun et de chacune. Ça ne sert à rien de s’en cacher et de vouloir en faire autre chose. Il semblerait que ce n’est pas le sexe qui ait choqué Staline lorsqu’il a vu une

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Ausrine Stundyte dans la mise en scène de Calixto Bieito de Lady Macbeth du district de Mtsensk lors de la création du spectacle à l’Opéra de Flandres en 2014. Depuis, Katerina Ismaïlova est devenu l’un des rôles fétiches de la soprano, qui le reprend dans la même mise en scène pour le Grand Théâtre. © Annemie Augusstjins/OBV

représentation de Lady Macbeth : ce qui l’a choqué, c’était la manière dont l’opéra se moque de l’inspecteur de la police et des forces de l’ordre, en proie à l’oisiveté et à une joyeuse corruption. Ça, il ne l’a pas supporté.

Pourquoi Katerina donne-t-elle aveuglément ses bas de laine à Sergueï à la fin de l’opéra lorsqu’elle est déportée dans un froid terrible en Sibérie ?

La motivation qui sous-tend l’opéra, c’est la passion amoureuse que Katerina éprouve envers Sergueï. À la fin du récit dramatique,

elle se rend compte qu’il n’y a plus d’issue ni de sens à sa vie. Elle offre ses bas de laine à Sergueï – qui la trahira et les donnera à une rivale, Sonietka – parce qu’elle n’entrevoit plus d’avenir.

Comment vous préparezvous vocalement à ce genre de représentation ?

Il faut s’économiser durant les répétitions. Je passe beaucoup de temps à chauffer ma voix, je « marque » certains passages pour éviter de me fatiguer, mais au moment de la représentation, il faut tout donner et se laisser aller à l’énergie de l’instant !

Avez-vous des rôles en vue prochainement ?

J’aurai le privilège de chanter dans un nouvel opéra de chambre contemporain, Orgia, du compositeur catalan Hèctor Parra, qui sera créé l’été prochain à Bilbao et à Barcelone. Hèctor Parra est un ami de Calixto Bieito qui a conçu le livret d’après la pièce de théâtre de Pier Paolo Pasolini. Parra a écrit de la très belle musique, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’opéra contemporain ! À nouveau, on peut imaginer des choses sexuelles avec un titre pareil, mais ce n’est pas le cas. Orgia traite d’une relation sadomasochiste entre un homme et une femme. C’est une tragédie très intime qui se passe dans un huis clos. Elle et lui sont comme deux âmes solitaires et blessées, emprisonnées dans les conventions du bonheur bourgeois. Ils crient leur besoin désespéré d’en sortir sans savoir comment s’y prendre.

Au Grand Théâtre de Genève

Lady Macbeth de Mtsensk

Du 30 avril au 9 mai 2023

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C’est le trakt, l’interminable chemin du bagne. Le premier grand exilé à prendre ce chemin fut le protopope Avvakoum, qui refusa les réformes du tsar Alexis le Clément et du patriarche Nikon, au XVIIe siècle. Ce cheminement sur sept mille kilomètres fut celui de milliers de bagnards jusqu’à la fin du XIXe siècle, puis reprit sous le régime soviétique.

Chassés, exilés, opprimés...

L’exil intérieur des bagnards russes, dissidents ou criminels, telle la Lady Macbeth de Chostakovitch. L’exil des Hébreux à Babylone, emblématique de toutes les déportations, dans Nabucco de Verdi. Quand l’opéra plonge dans les détresses de l’histoire, c’est pour nous raconter celles du présent.

Illustration originale : Adrien Quan pour le Grand Théâtre Magazine

Le trakt qui mène en Sibérie

Le protopope Avvakoum, qui refusa les réformes du tsar, est le premier MartyrDissident. Son cheminement sur le trakt, l’interminable chemin du bagne, et son exil durèrent onze ans.

Peinture de Sergey Miloradovitch, 1898.

Par Georges Nivat

Historien des idées et slavisant, traducteur spécialiste du monde russe et aujourd’hui de littérature ukrainienne, Georges Nivat est professeur honoraire de l’Université de Genève depuis octobre 2000. Il a été l’un des traducteurs d’Alexandre Soljenitsyne et a également collaboré avec la maison d’édition L’Âge d’Homme, dont il a dirigé la collection Slavica. Parmi ses publications, citons Vivre en russe (2007) et Les trois âges russes (2015).

C’est le trakt, l’interminable chemin du bagne, « le bon petit chemin », comme disaient les forçats, et comme Alexandre Soljenitsyne baptise son long poème autobiographique. Il part de Moscou, puis s’égrènent Mourom, Kazan, Perm, Ekaterinbourg, la traversée des monts trapus de l’Oural, le passage insensible d’Europe en Asie, commence la Sibérie, les eaux coulent vers l’Ob, qui file vers l’océan Glacial, on arrive à Tioumen, de là on passait par Tobolsk au nord avant le XIXe siècle, par Omsk après, puis c’était Tomsk, puis Irkoutsk, on traversait le lac Baïkal par la glace l’hiver, par le contournement sud l’été, puis c’était VerkhnéOudinsk, et là soit le chemin de Pékin vers le sud, soit celui de Nertchinsk à l’est, butant sur la Mandchourie. C’était, c’est encore le « chemin du Tsar », le « chemin des Allemands aux Khazars », perpendiculaire au « chemin des Vikings aux Grecs ». À l’intersection, quelque part entre Kiev et Moscou – l’ancienne Russie.

Le premier grand exilé à prendre ce chemin fut, au XVIIe siècle, le protopope Avvakoum, qui refusa les réformes du tsar Alexis le Clément et du patriarche Nikon, qui avaient été ses « Amis en Dieu ». Il est le premier Martyr-Dissident, et sa Vie, où il raconte cette déportation, est un texte brûlant et superbe. Son cheminement et son exil durèrent onze ans. Le chemin passait alors par Verkhniétourié (au nord d’Ekaterinbourg, qui n’est pas encore fondée). Il y reste des traces de ce vieux trakt, aujourd’hui. Avvakoum et son épouse emmènent leurs quatre enfants, dont un nouveau-né. Ils iront jusqu’à la Nertcha, soit dans les sept mille kilomètres. La protopopesse vend son manteau de fourrure, pour ne pas mourir de faim, le protopope confectionne un traîneau léger, et tire son épouse.

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Du protopope Avvakoum aux dissidents d’aujourd’hui, la Russie et l’URSS n’ont cessé d’expédier les voix réfractaires dans les bagnes de Sibérie. Georges Nivat retrace l’histoire de cette interminable route des forçats, qui a tant marqué la littérature russe, des décembristes à Soljenitsyne. Sans oublier Leskov, dont le récit a inspiré à Chostakovitch l’opéra Lady Macbeth de Mtsensk.

« Montagnes hautes ! fourrés infranchissables, un éperon de pierre droit comme un mur. Dans ces montagnes de grands serpents, des aigles, faucons et poules d’Inde, buffles, élans et sangliers, loups, béliers sauvages, sous nos yeux, mais quant à les prendre – impossible ! » Deux de leurs fils meurent ; une fois, l’archiprêtresse, s’écroule, crie à son mari : « En avons-nous pour longtemps à souffrir, archiprêtre ? Et je dis : Fille de Mark, jusqu’à la mort ! Et elle, en soupirant, répond : Bien, fils de Pierre, alors cheminons encore ! »

Ce cheminement sur sept mille kilomètres fut celui de milliers de bagnards jusqu’à la fin du XIXe siècle, puis reprit sous le régime soviétique. Les hommes à pied, les femmes et enfants sur des chariots. Tous, assurément n’étaient pas des croyants indomptables comme Avvakoum. Le chemin était suivi par les milliers de criminels, et ils s’infligeaient aussi de mutuelles brimades, tortures, clandestins asservissements, comme dans tous les mondes carcéraux, comme dans L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne, où ce n’est plus le trakt que l’on suit à pied, mais on le parcourt dans des wagons pour animaux, pendant d’interminables mois, et sans

La prison centrale d’Alexandrovsky, près d’Irkoutsk en Sibérie. Une illustration parue dans le magazine The Graphic le 18 février 1882. © Universal Images Group/Getty

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Le cheminement fut celui de milliers de bagnards.

Un groupe de déportés et prisonniers, opposants politiques au régime du tsar, dans un camp de Sibérie.

© PrismaArchivo/ Leemage/ AFP

Le canal de la mer Blanche reliant la mer Baltique (Belomorkanal) a été construit entre 1931 et 1933 par le travail forcé des détenus du Goulag. Selon les registres officiels et les récits des ouvrages d’Alexandre Soljenitsyne, entre 120 00 et 240 000 ouvriers sont morts pendant sa construction.

© Laski Diffusion/ Getty Images

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qu’aucune main charitable vienne donner une piécette ou un peu de nourriture, comme cela se faisait sur l’ancien trakt.

Mais avant de revoir le cruel et dramatique chemin pour le bagne de Katerina Ismaïlova la Lady Macbeth du district de Mtsensk, évoquons celui des décembristes, ces révoltés du 14 décembre 1825, dont cinq furent pendus, et plusieurs envoyés au bagne à Nertchinsk. Leurs épouses entrèrent dans la légende, car elles demandèrent au tsar, Nicolas Ier, l’autorisation de suivre leurs maris. Autorisation accordée, et les princesses Troubetzkoy et Volkonsky, d’autres encore suivirent leurs conjoints enchaînés, elles-mêmes privées de tous titres nobiliaires, et exilées à jamais. Le grand poète populaire du XIXe siècle, l’auteur de Pour qui fait-il bon vivre en Russie ? Nikolaï Nekrassov, leur a consacré un long poème magnifique, « Les Femmes russes ». La princesse Troubetskoï revoit en songe sa jeunesse, le voyage à Rome avec son mari, puis revient au réel :

Voici que dans l’obscure mine enfin

J’ai vu les fers aux pieds de mon mari, Enfin j’ai compris ce qu’est son tourment, Sa force de cœur, et tout son martyre. Mes genoux sans le vouloir ont fléchi, Et mes lèvres ont baisé ses entraves.

Dostoïevski émit un petit doute dans son Journal d’un écrivain à propos de ces vers ; lui qui avait passé quatre années au bagne, connu l’enfer du trakt, « l’allée verte » des verges infligées au dos du condamné par une double rangée de soldats, il concluait qu’il y avait en chaque être humain un grossier bourreau caché. Le Récit de la maison morte, depuis sa parution et jusqu’à aujourd’hui, reste le témoignage suprême sur le bagne, et ce qu’est l’humanité plongée dans la violence – ce qu’il lui reste d’humanité, ce qu’elle a perdu d’humanité. Pas un auteur confronté au Goulag, à la sauvagerie de la répression ne peut rester hors du champ de ce livre. Aujourd’hui plus encore. À Tobolsk, Dostoïevski, qui jusque-là avait été emmené en traîneau, des fers d’une dizaine de livres à chaque pied, entama le trajet de tous les bagnards. Il faisait moins 40, à chaque étape c’était une baraque sordide, un tapage infernal. Mais il y avait à Tobolsk et aux autres étapes quelques femmes de décembristes, et l’une d’elle remit au bagnard Dostoïevski un Évangile qui ne le quitta plus jusqu’à sa mort. C’était une sorte de passage de relais, ou passage du sceptre de la souffrance, en ce haut lieu du trakt. L’écrivain y fit comme provision de types humains pour la suite de son œuvre. Il apprit à lire à un jeune Tcherkès, qui était là pour brigandage, et le jeune homme pleura de reconnaissance. Le 24 avril 1850, le bagnard Dostoïevski eut sa première crise d’épilepsie et, d’un coup, nous dit-il, cessa de haïr ses compagnons : l’ivresse, la cruauté, la folie de la chambrée lui révèlent à présent l’humanité de l’homme : le Récit de la maison morte naissait. Entre cruauté et petite aumône d’une piécette, misère morale ou inflexible honneur de décembristes, quoi de commun ? Léon Tolstoï était dévoré par cette question : « Qui est fou ? »

Il ne connut jamais le bagne, mais il était né écrivain dans les tranchées de Sébastopol, il y avait vu la mort, côtoyé l’insouciance. En 1899, il se lance dans Résurrection, un troisième grand roman, plus simple, plus didactique, non moins émouvant que les précédents : l’histoire d’une jeune serve qui a dû s’abandonner à la prostitution et qui, aux assises, est condamnée au bagne. C’est une erreur judiciaire, et le prince Nekhlioudov, son ancien séducteur, devenu juré,

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Le prince Nekhlioudov devint un observateur malgré lui du monde du bagne.

se convainc de son innocence, part à sa suite et découvre l’univers du bagne, univers gigantesque qui va de la forteresse Pierre-etPaul de Saint-Pétersbourg jusqu’à l’île de Sakhaline sur l’océan Pacifique, où le médecin Anton Tchekhov avait passé un été, dix ans plus tôt, pour étudier la vie des bagnards et des relégués.

Le prince Nekhlioudov de Tolstoï devient un observateur malgré lui du monde du bagne, mais un observateur captivé par ses observations. Auparavant, il ne s’intéressait qu’à lui-même et s’ennuyait, désormais il observe une humanité immense, souffrante, qui vit et meurt pleinement. Il suit les forçats de Moscou à Nijni, de Nijni à Perm, et tout au long du trakt – dans sa voiture, connu à présent de tous.

Ainsi le trakt, l’immense trajet du bagne russe qui part des deux capitales et mène jusqu’au Pacifique, accompagne aussi toute la littérature russe depuis les décembristes (et Pouchkine, qui ne doit qu’au hasard de ne pas avoir rejoint les conjurés, ses amis) jusqu’à Soljenitsyne.

Mais en passant également par Nikolaï Leskov et sa Lady Macbeth du district de Mtsensk, dont Chostakovitch tirera son opéra. Souvent le lecteur oublie l’épilogue de ce récit étonnamment shakespearien par la force des passions et l’ivresse sexuelle qui s’y déchaînent. D’où d’ailleurs, le titre si paradoxal, attelage de Shakespeare dans une de ses plus fortes incarnations de la frénésie du crime, avec cette bourgade russe où la folie et le tsunami de la concupiscence entraînent une femme et son amant jusqu’à l’enchaînement de crimes que les sorcières prédisaient au lord écossais Macbeth. Leskov écrit son récit quatre ans après la parution du Récit de la maison morte. Le trakt et le bagne sont connus de tous. La légende sinistre de la Sibérie a gagné l’Europe, que ce soit Alexandre Dumas ou Jules Verne. Dostoïevski a fait entrer dans la littérature européenne l’immense chaîne des bagnards, toute une humanité dont il dit lui-même qu’elle ne semble fantastique

que parce qu’elle est plus réelle que le réel. Leskov le sait et son épilogue sur le trakt ajoute au satanisme de la Lady Macbeth russe un degré de frénésie qui ne pouvait pas se trouver chez Shakespeare : le bagne, le trakt maléfique, la descente aux enfers de la Lady Macbeth de Mtsensk qui a lieu dans les eaux glacées de la Volga, après une lutte au corps à corps des deux rivales – épilogue grotesque d’une comédie sordide de la trahison et de la jalousie.

La Volga les engloutit, comme l’enfer engloutit l’humanité pécheresse, mais Leskov, qui a si merveilleusement décrit la foi religieuse, les vieux-croyants, les persécutions que l’Église officielle est capable d’infliger à l’Église clandestine, ne nous montre pour finir qu’une atroce scène dantesque et ubuesque. On croirait voir plus un dessin de Daumier qu’une icône du Jugement dernier – une rivale puis l’autre se hissant hors de l’eau sur la crête d’une vague du fleuve terrifiant avant que l’une ne se jette sur l’autre, comme un brochet sur un gardon.

C’est cette violence qui a attiré Chostakovitch, et cette violence qui a valu à son opéra la censure, le refus du Maître suprême, Staline, l’enterrement de l’œuvre pour de longues années. L’enregistrement qu’en fit Rostropovitch, en 1978, peu après la mort de Chostakovitch, avec Galina Vichnevskaïa et

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Nicolai Gedda fut un événement, et la voix de basse-baryton du vieux bagnard, chanté alors par Alexander Malta, au début et à la fin du quatrième acte, font entendre comme le chant de toutes les Russies, de tous ses bagnes, de toutes ses générations de bagnards.

Verstes après verstes rampent en longue chaîne, Canicule tombée, soleil couché loin des steppes.

Eh, toi ! ô long chemin raviné par les chaînes, Chemin de Sibérie, semé d’ossements, De sueur, ô toi, chemin ivre de sang, Où résonne comme un long gémissement.

Il est évident qu’en janvier 1934, ce gémissement, une partie du public l’entendait lui aussi, venant sourdement du Goulag, de l’Ukraine affamée, des rangées de victimes qui bientôt allaient s’allonger sans fin après l’assassinat de Kirov. Et lorsque Staline, le 26 janvier 1936, l’écouta au Bolchoï, c’était chose faite : Kirov assassiné en secret, la Terreur déchaînée. Les sorcières de Macbeth hululaient dans le noir du final :

Eh vous ! les steppes que nul ne peut embrasser !

Les jours et les nuits sans aucune fin, Et nos pensées sans rémission, Les gendarmes sans compassion, Et…

De Lermontov, dénonciateur de la Russie des gendarmes, à Alexandre Blok, chantre des « Douze » et de leur chemin de nuit et de mort, de Radichtchev, envoyé au bagne par Catherine, à Dostoïevski, Meyerhold, Mandelstam, Chalamov, Soljenitsyne, et tout le gigantesque martyrologe de la Russie – tout était là, dans ce « Et » sourd qui achève l’opéra.

Au Grand Théâtre de Genève

Lady Macbeth de Mtsensk

Du 30 avril au 9 mai 2023

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Duel

Le 11 mai 2023 gtg.ch/duel

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Un hôpital pour les prisonniers du Goulag travaillant à la construction du Belomorkanal. © Laski Diffusion/ Getty Images
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Nikolaï Leskov, romancier et auteur de nouvelles russe, en 1888 (à gauche) et Fiodor Dostoïevski, romancier et essayiste russe, en 1872. © Universal History Archive/Getty Images © Fine Art Images/ Heritage Images/Getty Images

montrera le point de vue du peuple »

ainsi comme un levier de changement : changement de notre perception du monde, et du monde qu’il s’agit de changer. Plus récemment, elle a consacré une trilogie au thème de la migration, un sujet qui l’a toujours habitée. Dans Le Présent qui déborde, le théâtre proprement dit a disparu : c’est un film qui nous fait voyager auprès de réfugiés ou de communautés opprimées, en Syrie, en Irak, en Afrique du Sud ou en Amazonie. Leurs représentants qu’on voit à l’écran sont aussi dans la salle et soudain, ils se lèvent et parlent, crient. On est saisi : le réel s’engouffre comme une bourrasque et dérange l’ordonnance confortable du rituel théâtral.

Christiane Jatahy conjugue théâtre et vidéo dans ses spectacles très longuement travaillés. Elle connaît une série de succès retentissants au Brésil, avec sa compagnie Vertice de Teatro, dont Julia ou What if They Went to Moscow ont ensuite établi sa réputation en Europe. En 2017, elle met en scène La Règle du jeu à la Comédie-Française, adaptée du film de Renoir. Artiste associée au Théâtre de l’Odéon et au Centquatre, à Paris, elle a présenté à la Comédie de Genève, où elle l’a répété, et au festival d’Avignon, Entre chien et loup, une adaptation du film Dogville de Lars von Trier.

Les spectacles de Christiane Jatahy débordent toujours du cadre. La scène n’est qu’un des éléments de la représentation : la vidéo l’agrandit ou la resserre, elle en use comme personne. Dans What if They Went to Moscow (présenté à la Comédie de Genève), adapté des Trois Sœurs de Tchekhov, elle allait jusqu’au vertige : le spectacle était carrément dédoublé et le public aussi, qui le voyait alternativement dans la salle du théâtre et depuis les coulisses, grâce au film live qui y était tourné, montrant l’envers du décor, l’au-delà de la scène.

Ce désir d’élargir les murs de la représentation est pour Christiane Jatahy la manière de faire entrer la réalité du monde dans la fiction de la représentation. Et d’agir

L’opéra, avec ses contraintes imposées par la continuité du flux musical, peut donc paraître aux antipodes des libertés que Christiane Jatahy impose à sa démarche. Cet étonnement sera le point de départ de la conversation à propos de sa prochaine mise en scène de Nabucco de Verdi, dialogue que nous avons conduit par écrans interposés à travers l’Atlantique, puisqu’elle était alors à Rio de Janeiro, chez elle, dans une maison dont les baies vitrées ouvrent sur une végétation luxuriante.

Pourquoi avez-vous accepté de monter un opéra ?

Ce n’est pas la première fois. À Rio, en 2016, j’ai monté Fidelio de Beethoven. C’était une production modeste, au Théâtre municipal, un joyau de petites dimensions, avec seulement deux semaines de répétitions.

À Genève, ce sera très différent.

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« On
Pour sa première mise en scène d’opéra en Europe, Christiane Jatahy compte montrer, dans Nabucco de Verdi, que le pouvoir d’un roi ne suffit pas à transformer la société. C’est au collectif de le faire. Comme toujours chez elle, la vidéo tiendra une place importante.

Christiane Jatahy a deux maisons, le Brésil où elle est née et l’Europe où elle a produit la plupart de ses derniers spectacles. « Mais ma maison du cœur, c’est Rio de Janeiro », dit-elle, alors qu’elle pose dans la gare de sa ville, clin d’œil au thème de la migration et de l’exil qui hante son travail. © Leo Aversa pour le Grand Théâtre Magazine

Il est surprenant de vous plier aux contraintes de l’opéra, vous qui jouez tellement avec le matériau au théâtre. N’avez-vous pas peur d’être limitée ?

L’expérience avec Fidelio m’a beaucoup appris, j’y jouais avec la caméra pour amplifier la présence des protagonistes et les rapprocher du public. La question la plus importante, au théâtre comme à l’opéra, c’est de savoir comment effacer la frontière entre la scène et le public. Nabucco, c’est le drame de l’occupation et de la guerre, mais la guerre est partout. L’espace du théâtre est un cadre de l’histoire qui nous est racontée, mais l’histoire déborde des cadres. Cette possibilité de montrer les personnes qui souffrent des situations dont parle l’opéra, ça nous met en lien. L’autre idée importante, c’est le collectif :

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Dans Le Présent qui déborde, la scène n’est plus qu’un écran où sont projetés des films tournés auprès de réfugiés partout dans le monde. Les comédiens dont dans la salle, surgissant en cours de spectacle pour interpeller le public.

© Thomas Walgrave

Dans Entre chien et loup, qu’elle a travaillé à la Comédie de Genève, Christiane Jatahy adaptait le film Dogville de Lars von Trier en montrant comment un groupe tente d’accueillir dignement une inconnue qu’il finit par rejeter tout de même. Comme toujours, la mise en scène jouait sur la tension entre théâtre et vidéo. © Magali

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les corps, les visages de ceux qui ne sont pas les protagonistes principaux de l’opéra, mais les victimes actuelles de l’occupation et de la guerre. Bien sûr, les solistes chanteront l’intégralité de l’ouvrage, mais les figurants ne seront pas de simples figurants : leurs corps ont une grande importance. L’occupation de l’espace, c’est aussi l’occupation des corps.

Vous utiliserez beaucoup la vidéo ?

Pour chaque spectacle, je cherche une manière différente de l’utiliser. Donc le dispositif sera spécifique. Le décor jouera sur un jeu de miroirs, un peu comme si les jeux de pouvoirs sont ainsi faits qu’on y donne et on y perd en permanence. Ce sont comme des costumes qu’on enfile et qu’on échange.

Cela permet aussi de donner le point de vue des gens du peuple. Et puis, avec la vidéo, on montrera aussi les loges, les couloirs, l’extérieur : l’ailleurs de la scène.

Vous dites souvent que vous cherchez, dans vos spectacles, des leviers pour activer le changement du monde.

Où sont-ils, dans Nabucco ?

Je ne me contente pas de la réponse proposée par l’opéra, où la conversion de Nabucco ferait que tout s’arrange. Je suis

plus pessimiste qu’idéaliste. Les changements ne viennent pas d’un roi, mais du collectif : Nabucco a beau être transformé, ça ne suffit pas. Il n’y a pas de happy end. La transformation va devoir continuer et c’est au peuple de l’accomplir.

Comment travaillez-vous avec des chanteurs qui n’ont pas les mêmes possibilités de virtuosité corporelle que les comédiens avec lesquels vous travaillez d’habitude après une très longue période de répétitions ?

Ce n’est pas la même chose, j’en suis bien consciente. Mais le cinéma vient en renfort, parce qu’il permet de montrer une autre qualité de jeu, de montrer le sous-texte de ce que vivent les protagonistes. Quand j’ai fait Fidelio, il y avait un moment où des comédiens jouaient dans le film en même temps que les chanteurs chantaient. On fera autre chose ici.

Le jeu entre scène et vidéo n’est pas seulement un dialogue entre le théâtre et le monde, mais vous le présentez aussi comme un jeu de tension entre passé et présent. Est-ce le cas dans Nabucco ?

Le passé, c’est la violence contre les Juifs dont parle l’opéra. Aujourd’hui la violence continue, elle a changé de lieu et de peuple. Le livret raconte donc une histoire du passé pleine d’échos avec le présent. C’est pour ça qu’il est important d’avoir de la diversité sur le plateau. De dire que ça ne se joue pas à un endroit en particulier, à une époque particulière, mais partout, et aujourd’hui.

C’est ce que à quoi peut contribuer la friction entre opéra et cinéma.

D’où vient votre intérêt pour les thèmes de la migration, de l’exil, de l’exploitation ?

Mon travail a toujours été très influencé par ce que je vois et ce que je vis. J’ai étudié le documentaire et le journalisme parce que je suis passionnée par le contexte social et politique. L’art vivant, l’art d’aujourd’hui,

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« L’art vivant doit être en lien avec ce qui se passe dans le monde. On dira que c’est de l’art politique. Mais l’art est toujours politique, même quand il n’é voque pas la politique. »

Dans Before the Sky Fall (Avant que le ciel ne tombe), créé au Schauspielhaus de Zurich en 2021, Christiane Jatahy adaptait Macbeth de Shakespeare pour en faire un manifeste contre la « masculinité toxique » et un plaidoyer pour les peuples indigènes d’Amazonie. Elle y recourait à un maillage entre théâtre et vidéo analogue à celui qu’elle utilisera dans Nabucco au Grand Théâtre.

doit être en lien avec ce qui se passe dans le monde. On dira que c’est de l’art politique. Mais l’art est toujours politique, même quand il n’évoque pas la politique. Et puis, sur un plan plus personnel, quand j’ai fait mes débuts en Europe, j’ai commencé à me poser la question de la maison : la maison qu’on quitte, la maison qu’on construit. Et ça c’est un point de vue de réfugiés. C’est toute l’histoire de l’humanité. La relation à nos ancêtres, à notre nouvelle vie. On a tous des ancêtres venus d’ailleurs. C’est le mouvement du monde. Les frontières sont des créations artificielles, qu’on peut abattre. C’est une utopie, bien sûr, mais en art, on travaille sur les utopies.

Aujourd’hui, savez-vous

où est votre maison ?

Je suis une privilégiée : mes migrations sont choisies et je suis partout bien accueillie. Mais ma maison est à Rio de Janeiro. C’est celle où je pense toujours revenir, même si je suis très reconnaissante à l’Europe qui m’a offert la possibilité d’élargir mon horizon en soutenant la continuité de ma recherche. Le Brésil me donne beaucoup de choses mais c’est une bataille énorme pour y réaliser des projets. L’ouverture de l’Europe à mon

travail m’a donné, à moi et à mon équipe, la possibilité d’approfondir notre démarche.

Le changement de gouvernement au Brésil vous rend-il optimiste ?

Oui, même si je sais que rien ne sera facile. Mais c’est un soulagement énorme. En deux mois, tellement de choses ont déjà changé. Avec la nomination d’une ministre des Peuples indigènes, une femme de surcroît, alors qu’ils étaient en train de vivre un quasi génocide. On a aussi un nouveau ministère de la Diversité, en particulier pour la protection des populations noires. La culture aussi, ça commence à bouger. Sans parler du social, de l’éducation. Ce sont des petits pas pour l’instant. En même temps, si Bolsonaro est parti, le bolsonarisme est encore là. Il tient beaucoup de villes et d’États, le Congrès. Il faut donc rester très vigilant. La bataille va être dure. Mais il faut penser qu’il y a de l’espoir, sinon quoi ?

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Au Grand Théâtre de Genève Nabucco
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gtg.ch/nabucco rdv.
Du
au 29 juin 2023

Prolongez votre soirée

LADY MACBETH DE MZENSK avec l’Avant-Scène Opéra N°141 disponible sur asopera.fr

Lady Macbeth de Mzensk

Une Lady Macbeth modérément shakespearienne

André Lischke88L’opéra et la censure

Pierre Vidal 100 D. Chostakovitch 1906-1975: chronologie

VOIR ET LIRE

Piotr Kaminski 104Disco-vidéographie (+ mise à jour 2019)

C. Capacci, E. Soldini, M. Pazdro114L’œuvre à l’affiche (+ mise à jour 2019)

ET LIRE

Piotr Kaminski 180Disco-vidéographie (+ mise à jour 2019)

C. Capacci, E. Soldini, M. Pazdro184L’œuvre à l’affiche (+ mise à jour 2019)

Elizabeth Giuliani et Elisabetta Soldini 190Bibliographie

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à L’Avant-Scène Opéra ▸ 6 numéros par an pour 214 € ▸ abonnement étudiant : 110 € pour six numéros asopera.fr
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Prix: 28 € ISBN 978-2-84385-495-8 www.asopera.fr Sommaire -:HSMIOD=]ZY^Z]: Avec le soutien du L’ŒUVRE L’ŒUVRE 127Points de repères Pierre Vidal129Argument Jean-François Boukobza132Introduction et Guide d’écoute E. Zamiatine, G. Ionine, A. Preis et D. Chostakovitch 132Livret intégral Vladimir Hofmann132Translittération et traduction française 3Points de repères Cécile Auzolle 8Argument 12Introduction et Guide d’écoute Alexandre Preis et D. Chostakovitch 15Livret intégral Corinne Hémier15Translittération cyrillique Hélène Trottier15Traduction française Jean-Michel Brèque80
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CHOSTAKOVITCHLADY MACBETH DE MZENSK — LE NEZ AVANT-SCÈNE OPÉRA 141
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Le Nez N° 141 Lady Macbeth de Mzensk Avant Scène OPERA asopera.fr CHOSTAKOVITCH Extraits audio avec l’appli ASOpéra Extraits audio avec l’appli ASOpéra Le Nez Lady Macbeth de Mzensk Le Nez 141 Couv 4 pages.qxp_Couv 27/02/2019 14:48 Page1

« Va, pensiero… » est le plus célèbre des chants inspirés par l’exil à l’opéra. La disposition traditionnelle est celle d’un alignement des chanteurs pour en souligner la puissance collective, comme ici aux Arènes de Vérone. © Foto Ennevi, avec l’aimable autorisation de la Fondation Arena di Verona

Des périples d’Ulysse et d’Enée à la déportation des Hébreux à Babylone, l’exil a fourni par ses légendes et son histoire une abondante matière d’inspiration aux artistes. À l’opéra, son chant a toujours été synonyme de déploration, sauf chez Bernstein, où Candide finit son voyage dans la paix retrouvée.

Opéra, exils et errances

Terrible à vivre, il est pourtant l’un des thèmes les plus féconds de la vie culturelle, intellectuelle et artistique du monde entier. Rupture irrémédiable entre le moi et son chez-moi, l’exil est un motif puissant des récits anciens. De l’interminable voyage de Gilgamesh vers le pays d’Utnapishtim aux périples d’Ulysse et d’Énée en passant par la captivité du peuple des Hébreux à Babylone, l’exil est passé dans la modernité avec une couche supplémentaire de signifiance. Ayant écarté le divin, la période moderne est spirituellement orpheline et aliénée : un âge de l’anxiété et de l’éloignement.

Genre moderne par excellence, l’opéra est né dans des récits d’exil. Des trois opéras survivants de Claudio Monteverdi, tous ont un rapport plus ou moins direct avec un voyage sans retour ou un retour de voyage : le terrible exil infernal d’Eurydice dans L’Orfeo (et l’exil astral final d’Orphée comme prix de consolation) et le retour d’Ulysse à Ithaque, dont FC Bergman nous aura proposé qu’il fut tout sauf heureux – un exil chez soi, quelle idée glaçante, pourtant si possible ! Dans L’incoronazione di Poppea, l’exil est celui de l’impératrice répudiée Octavie, dont le bannissement historique sur la petite île de Ventotene, au grand large d’Ischia, se termina

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Par Christopher Park
dossier

Christopher Park, expatrié canadien plus Candide que Des Grieux, a choisi de s’exiler sur les rives du Léman où il a trouvé un poste respectable de rédacteur-traducteur dans une institution culturelle réputée sur la place de Neuve. Il faut cultiver notre jardin…

quand ses geôliers l’étouffèrent dans une étuve surchauffée. Monteverdi lui fait entonner des adieux émouvants à Rome sa patrie : « Vado a patir l’esilio in pianti amari, Navigo disperata i sordi mari 1 ». Et ce qui fut sans doute la plus grande œuvre de Monteverdi, L’Arianna, désormais perdue, est l’un des récits antiques de l’exil les mieux connus : celui d’Ariane, abandonnée sur l’hostile rocher de Naxos. Il n’en reste qu’un déchirant lamento : « Lasciatemi morire ».

Heureusement qu’il y a un jeune dieu en coulisse pour ne pas la laisser mourir. Passons les Alpes et tendons l’oreille à la plus grande œuvre de l’opéra baroque français, Médée (1693) de Marc-Antoine Charpentier. Lorsque Médée est chassée de Corinthe par Créon, Jason la persuade que le bannissement ne sera que temporaire, qu’il la rejoindra sous peu, mais le but secret de la manœuvre est que Jason épouse Créuse. Médée, qui accepte tout par amour pour Jason, confie alors ses enfants à Créuse, avec l’aide des vers poignants de Thomas Corneille :

Princesse, c’est sur vous que mon espoir se fonde.

Le destin de Médée est d’estre vagabonde ; Preste à m’éloigner de ces lieux, Je laisse entre vos mains ce que j’ayme le mieux.

Je sçay qu’une pitié sincère Pour mes enfants a touché votre cœur ; Prenez-en quelque soin, et souffrez qu’une mère, Au moins dans son exil, gouste cette douceur.

Avançons le chronomètre de 86 années et restons sur la scène de l’Académie royale de musique pour écouter un autre récit de la Grèce antique dans l’un des lieux d’exil de prédilection de la Rome impériale : les rivages de la mer Noire, où le pauvre Ovide fut envoyé pourrir et où se déroule Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck. Iphigénie est télétransportée (avec ses compagnes) par Diane depuis Mycènes vers ce qu’on appelle aujourd’hui la Crimée. Son frère

Oreste qui la cherche partout (sans vraiment savoir à quoi elle ressemble) mettra fin à son exil. Quand il lui apprend la mort terrible de leurs parents (dont il est en partie responsable), le célèbre dialogue entre Iphigénie et ses compagnes, le hit de l’opéra, se fait entendre :

Patrie infortun é e, o ù par des nœuds si doux notre âme est encha î n é e, vous avez disparu pour nous. Ô malheureuse Iphigé nie !

Ta famille est an é antie ! Vous n’avez plus de rois, je n’ai plus de parents.

La liste des exils et des errances à l’opéra serait encore bien longue mais la place dont je dispose étant limitée, je ferai l’impasse sur le Wanderer de Siegfried, sur l’incontournable « Va pensiero » de Nabucco que nous chantera Christiane Jatahy en juin, sur le juif romain exilé à Constance de La Juive, sur la triste procession vers la Sibérie de Lady Macbeth de Mtsenk, sur Manon et Manon Lescaut qui envoient le couple maudit mourir de soif en Louisiane. Terminons avec un exil qui finit (assez) bien, celui de Candide en Eldorado, dans l’opérette de Leonard Bernstein, qui lui offre tout pour être heureux, sauf sa bien-aimée Cunégonde. Et le chœur des Moutons roses lui chante cet envoi alors qu’il regagne sa patrie :

We gave them home.

We called them friend.

We taught them how to live in grace. Seasons passed without an end

In that sweetly blessed place.

But they grew sad and could not stay. Without his love Candide grew cold. So we sadly took them on their way With gracious gifts of gems and gold. 2

Au Grand Théâtre de Genève

Lady Macbeth de Mtsensk

Du 30 avril au 9 mai 2023

gtg.ch/lady-macbeth-de-mtsensk

Nabucco

1 Je vais souffrir l’exil en larmes amères, je voguerai désespérée sur les sourdes mers.

2 Nous leur avons donné un foyer, les avons appelés amis, appris comment vivre gracieusement, les saisons s’écoulèrent à l’infini, dans ce doux lieu béni. Mais ils devinrent tristes et ne purent rester, sans son amour Candide avait le cœur froid. Nous les avons donc mis sur le chemin de retour, avec de généreux présents d’or et de pierres précieuses.

Du 11 au 29 juin 2023

gtg.ch/nabucco

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rdv.

Déportés entre le Tigre et l’Euphrate après la destruction du premier Temple, les Juifs dont l’opéra Nabucco évoque le destin tragique s’assimilèrent en réalité assez bien, tout en conservant leurs rites et leurs coutumes.

Certains repartirent, d’autres restèrent, fondant dans l’actuel Irak une communauté dont l’influence sera fondatrice de l’identité juive.

De Jérusalem à Babylone, l’exil fondateur

Le char de guerre et les rafales de flèches des attaquants, le combat sans issue des défenseurs : telles sont les images dramatiques que l’on peut découvrir sur 12 tablettes retrouvées dans le Palais de Ninive, qui était alors la capitale de l’Empire assyrien. Elles montrent très clairement le cruel destin des habitants de la ville de Lachish, en Judée, l’État méridional qui succéda à l’antique royaume de David, après qu’il fut la proie de la machine de guerre assyrienne, en 701 avant Jésus-Christ. Vingt ans plus tôt, déjà, les Assyriens avaient anéanti le royaume septentrional de Samarie et déporté vers l’actuel Irak la plus grande partie des tribus israélites qui y vivaient. Ces dix tribus s’assimilèrent rapidement et disparurent de l’histoire juive.

32 dossier les exils politiques

Simon Erlanger est historien et journaliste. Après des études à Bâle et à Jérusalem, il a consacré sa thèse Nur ein Durchgangsland (Seulement un pays de transit ; Chronos, 2016, non traduite) à l’histoire des camps de travail et d’internement suisses pour les réfugiés juifs entre 1940 et 1949. Il est chargé de cours et de recherche en études et histoire juives à l’Université de Lucerne.

Le commencement de l’exil

Les reliques de Lachish montrent crûment que la soldatesque assyrienne fut sans pitié avec les prisonniers. Ils furent brutalisés, empalés, scalpés. On y voit aussi comment les prisonniers survivants furent brutalement soumis au roi assyrien Sanhérib, et comment la population juive fut déportée dans le pays d’Assur, entre le Tigre et l’Euphrate. Les reliques, qui se trouvent aujourd’hui au British Museum de Londres, offrent un document précieux sur la conquête et la destruction de la ville fortifiée de Lachish, ainsi que sur la déportation des survivants. Le récit en est également attesté par l’Ancien Testament. Nous savons ainsi quel fut l’élément déclencheur de l’expédition de Sanhérib contre la Judée : il s’agit de la tentative du roi Hiskia, alors au pouvoir à Jérusalem, de se libérer du joug assyrien. Et la ville de Lachish, qui était la mieux fortifiée de la région, fut naturellement la première cible de la conquête assyrienne.

Jérusalem resta épargnée. Mais elle fut ensuite prise pour cible par les Babyloniens, une fois qu’ils eurent supplanté l’hégémonie assyrienne. La ville fut conquise en 587 av. J.-C., entraînant la destruction temple de Salomon. Là encore, une large partie de la population fut déportée. L’exil fut organisé en plusieurs vagues. La déportation était, à l’époque, une arme de domination très répandue. Elle assurait la dissolution du lien des populations avec leurs coutumes, mais aussi la rupture religieuse avec leurs divinités locales, constitutives de leur identité collective. On a vu que cette politique avait porté ses fruits avec la déportation des populations du royaume du Nord. Les dix tribus disparurent et devinrent matière aux mythes et aux légendes.

La constitution de l’identité juive Tout autre fut la réaction des populations du royaume du Sud, qui pour la plupart d’entre elles appartenaient à la tribu de Juda. Contrairement aux précédentes, elles résistèrent à leur assimilation forcée et à leur dissolution. Bien qu’elles fussent établies à Babylone, elles conservèrent leur attachement à Jérusalem, pleurant la ville saccagée et le temple dévasté. On espérait le retour, la reconstruction. La « nostalgie sioniste » était née, dont la Bible porte témoignage, comme dans le Psaume 137 : « Sur les bords du fleuve de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. Aux saules de la contrée nous avions suspendu nos harpes. Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants et nos oppresseurs de la joie : « Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion ! » Puis : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ! »

Cyrus II, roi de Perse, craignant une rébellion des Juifs déportés à Babylone dont il était le maître, les autorisera à rentrer à Jérusalem sous la direction de Zorobabel. Illustration de 1811 par un artiste inconnu. © Stefano Bianchetti/ Bridgeman Images

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L’aspiration au retour allait pourtant de pair avec l’adaptation aux usages locaux. On s’habituait, on prenait part activement à la vie de la nouvelle patrie. En témoignent les Textes d’Al-Yahudu, un ensemble d’environ 200 tablettes datant des 6e et 5e siècles avant Jésus-Christ exhumées en Irak, qui montrent à quel point les Juifs de l’exil s’intégrèrent entre le Tigre et l’Euphrate. Rédigées en langue cunéiforme, elles renseignent sur la vie d’un village juif sur les rives de l’Euphrate, au voisinage de Babylone, après la destruction du premier Temple, contenant des informations sur la Constitution dont s’étaient dotés les bannis et sur leur situation économique. Les tablettes ont été baptisées d’après le nom d’Al Yahudu, également désignée comme « la ville des Juifs ».

Le document le plus ancien remonte à 572 av. JC, soit une quinzaine d’années après la destruction du Temple de Jérusalem, sous le règne du roi babylonien Nabuchodonosor II. Le plus récent date de 477 av. J.-C., sous le règne du roi perse Xerxès Ier : nous sommes alors 60 ans après le début du retour en Judée et environ 20 ans avant l’arrivée à Jérusalem du prêtre et scribe Ezra, un Juif d’origine perse, qui ramena environ 5000 exilés de Babylone à Jérusalem, où il réorganisa le service du Temple.

Les Textes d’Al-Yahudu couvrent ainsi presque un siècle de vie sous les dominations successives des Babyloniens et des Perses. Ils sont constitués d’échanges de correspondance, de documents personnels et d’actes administratifs. On y voit s’exprimer la volonté de préserver l’identité culturelle et religieuse juive, mais en même temps d’encourager l’intégration à la vie de Babylone et l’adoption de la langue.

Les exilés parvinrent ainsi à maintenir leur identité d’origine et à la refonder après leur retour à Jérusalem. Les Juifs d’aujourd’hui sont donc les descendants des survivants de la tribu biblique de Juda. Leur désignation a d’ailleurs été utilisée pour la première fois dans le

34 dossier les exils politiques
On avait la nostalgie de Jérusalem mais on restait à Babylone.

contexte de l’exil babylonien. Dans le Livre d’Esther, le personnage de Mardochée est décrit comme un « Isch Jehudi », un homme juif, qui était haut fonctionnaire à la cour du roi de Perse. Esther, sa fille adoptive, est même reine : c’est elle qui sauve les « Jehudim », les Juifs, de l’anéantissement.

En réalité, ce double mouvement de préservation de l’identité originelle et d’adaptation aux réalités de la société d’exil semble répondre au principe énoncé par le prophète Jérémie : « Dina d’Malchuta Dina », autrement dit « la loi de l’État est la loi », ce qui s’applique aussi bien à la loi religieuse.

L’exil comme domicile

L’exil à Babylone devint donc, dans un premier temps, un domicile, comme l’historien juif américain Yosef Hayim Yerushalami l’a écrit. On avait la nostalgie de Jérusalem mais on restait à Babylone, une ambivalence qui caractérisera pour des siècles l’attitude de la diaspora. Lorsque le roi perse Kyros II, en 538 av. J.-C., autorisera le retour à Jérusalem et la reconstruction du Temple, seule une minorité d’exilés prendra la route du retour sous la houlette des guides Zorobabel, Ezra et Néhémie. La majeure partie demeurera sur sa terre d’exil où elle bâtira de solides communautés, qui traverseront plusieurs siècles. L’araméen devindra leur langue, dès lors que les Perses en avaient fait la « lingua franca » du MoyenOrient, celle aussi d’une partie des textes bibliques et de la littérature rabbinique. Il en ira ainsi jusqu’à la conquête arabe de la région, au 7e siècle après J.-C.

Pendant longtemps, les Juifs du Tigre et de l’Euphrate eurent leur propre administration. Leurs princes, les exilarques, étaient issus de la maison de David, tout au moins jusqu’à l’installation du royaume perse des Sassanides. Les chefs des grandes académies rabbiniques provenaient de Sura et Pumbedita (aujourd’hui Falloujah), qui avaient gagné en importance à partir du 3e siècle après J.-C. C’est dans ces deux villes proches l’une de l’autre que fut rédigé le Talmud babylonien. Et les fonctions de ces guides spirituels furent reconduites après la conquête islamique.

Aujourd’hui encore, lors du shabbat, une bénédiction est dite dans les synagogues pour les exilarques et les chefs des académies rabbiniques, quand bien même ces fonctions ont disparu depuis longtemps. Beaucoup de coutumes et de mœurs juives sépharades comme ashkénazes ont des origines mésopotamiennes.

Les académies de la région juive d’Euphrate et du Tigre furent plus tard dominées par les Gueonim, les plus hautes autorités religieuses reconnues par les Juifs. Ces communautés restèrent jusqu’au haut Moyen Âge l’un des foyers juifs les plus importants, à la fois par la démographie et l’influence culturelle. C’est ensuite, seulement, que le centre de gravité se déplaça, d’abord en Espagne et sur les rives du Rhin. Mais les élites rabbiniques de l’Europe occidentale et centrale continuèrent de se référer au pays du Tigre et de l’Euphrate, et répandirent sous des formes diverses les anciens rites bayloniens.

La communauté juive de Babylone subsista jusqu’au XXe siècle. En 1920, un bon tiers de habitants de Bagdad étaient encore juifs. Le déclin s’amorça avec le Fahroud, le pogrom qui éclata en 1941 lors du soulèvement contre les Anglais consécutif à leur entrée dans le pays et à la fuite du premier ministre pro-nazi Rachid Ali al-Gillani. Plusieurs centaines de Juifs furent alors blessés et tués.

Entre 1951 et 1952, environ 130 000 Juifs irakiens quittèrent leur pays pour s’établir en Israël. Ceux qui étaient restés finirent par les suivre dans les années et les décennies qui suivirent. Après 2700 ans d’histoire, il ne reste aujourd’hui plus aucun Juif ente le Tigre et l’Euphrate.

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Au Grand Théâtre de Genève Nabucco Du 11 au 29 juin 2023 gtg.ch/nabucco

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La ville de Lachish, la mieux fortifiée de la région, fut la première cible de la conquête assyrienne (Musée d’Israël). © Lev Tsimbler/Alamy

La funeste liste des exils

Dimitri Chostakovitch et Irina Antonovna dans un train reliant New York à Chicago, en route pour l’université

Northwestern. Ils

y assisteront à une cérémonie de remise de diplômes au cours de laquelle Chostakovitch se voit décerner un doctorat honorifique.

15 juin 1973. © Alexander V. Dunkel 1973/2017

Sur cette photo, on voit Dimitri Chostakovitch avec sa troisième femme, Irina Antonovna Soupinskaïa, en 1973, non pas en Russie mais bien aux ÉtatsUnis. Il venait, entre autres, se faire honorer par la prestigieuse université de Northwestern, Illinois.

C’était son troisième et dernier voyage dans le pays ennemi par excellence de l’URSS. En février 1974, suite à la publication de L’Archipel du Goulag, Alexandre Soljenitsyne en est exilé de cette même URSS. Vassili Grossman, contemporain à quelques mois près de Chostakovitch, y mourra lui en 1964,

Clara Pons est metteuse en scène et réalisatrice. Elle travaille à l’intersection entre texte, musique et image. Parmi ses projets récents, un film sur le cycle Harawi d’Olivier Messiaen (2017) ou Lebenslicht (2019) avec la musique de J.S. Bach portée par Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Elle est actuellement dramaturge au Grand Théâtre.

36 sur le fil

de mort naturelle, alors qu’il est devenu ouvertement récalcitrant au régime. Cette liste pourrait s’allonger à n’en plus finir sur tous les prochains magazines du Grand Théâtre, année après année. La liste, c’est celle des exils, et la manière, toujours différente, dont chacun est vécu – possible, irrévocable, à mort, nostalgique ou funeste. L’exil, et en filigrane, la peur de celui-ci, est dans tous les cas fondateur car il suspend le sens et réécrit l’identité. Ce qu’ils ont tous en commun, ces exils, c’est de toucher, malgré nous, à notre appartenance, à quelque chose qui nous constitue et semble impossible à extraire de nous-même, comme un rosier ne peut vivre sans son tuteur. L’Exil même, dans ses diverses formes, crée un attachement en le révélant. Il définit une identité dans la rupture, par la rupture et, pour certains, grâce à la rupture. C’est d’ailleurs ainsi que la rabbine Delphine Horvilleur définit l’identité juive, construite sur la brisure d’un monde passé, une faille, une cassure qui ne cherche pas à être colmatée. Pour elle, c’est cette incomplétude qui tient lieu de fondement. Sur ces ruines, l’identité juive s’édifie et le peuple se met en mouvement.

Ainsi, je serai habité par ce que j’ai perdu ou ce que j’ai peur de perdre, consciemment ou non.

Ainsi, on peut voir cet exil – physique ou intérieur – devenir le centre, le noyau de mon identité. Elle se répand, s’épanouit et s’installe comme l’objet qu’on doit perpétuellement contourner, encercler, éviter, pièce maîtresse et clé de voûte de la personnalité. Fondatrice et donc créatrice ? On peut dire que la censure prend cette place chez Chostakovitch, hanté par la peur de l’exil

[…] La Cour suprême de Russie a prononcé la dissolution de Memorial International, l’ONG russe la plus ancienne et la plus connue pour ses travaux de recherche sur les répressions de l’époque soviétique. Devant la Cour suprême, le procureur Alexeï Jafiarov n’a, en effet, laissé aucune chance à l’organisation : « Il est évident que Memorial, en spéculant sur le thème de répressions au XXe siècle, crée une image mensongère de l’URSS comme État terroriste », venait-il de conclure, en l’accusant, en outre, de « blanchir et de réhabiliter les criminels nazis ». À l’extérieur, des anonymes, venus soutenir l’organisation, continuaient à brandir des pancartes : « Nous ne mourrons jamais ».

Le Monde, 29 décembre 2021, Isabelle Mandraud et Benoît Vitkine

(entre autres). Sergueï Prokofiev préfèrera aussi l’arbitraire du pouvoir soviétique à dépérir loin de ses racines. Alors que certains ne résistent pas – on pense à Marina Tsvetaïeva qui après dix-sept ans hors de Russie, se pend deux ans après être à peine rentrée en URSS – de nombreux autres, de Sviatoslav Richter à Mstislav Rostropovitch ou Guennadi Rojdestvenski, en passant par les compositeurs de la liste noire, de Sofia

Gubaidulina à Edison Denisov, inventent au lieu de l’exil, une forme de vivre avec ou peut-être de vivre ensemble malgré le système. Avançons jusqu’à aujourd’hui : l’écrivaine russe Ludmila Oulitskaïa a abandonné la Russie au printemps passé, après que le gouvernement à lancé l’offensive contre l’Ukraine. Mais n’est-ce pas plutôt Ludmila Oulitskaïa qui a été abandonnée par la Russie, par cette Russie là ? Elle et beaucoup d’autres ? Car si Ludmila Oulitskaïa, cette dernière de la génération des « dissidents » sur lequel Poutine fait retomber la faillite démocratique de la Russie, a encore une illusion, c’est cette croyance dans un collectif. Sous le régime soviétique, elle décrit cette entraide qui a permis à beaucoup de continuer vers l’avant et puis, après le régime, de se souvenir. Car si on peut panser le bonheur dans l’oubli, l’humanité s’inscrit elle dans la mémoire. Et celle-ci ne peut être écrite par un seul homme mais bien par la multitude des récits de chacun. L’exil c’est aussi cette capacité de construire des identités imaginaires et d’avoir la nostalgie de l’utopie.

Au Grand Théâtre de Genève

Lady Macbeth de Mtsensk

Du 30 avril au 9 mai 2023 gtg.ch/lady-macbeth-de-mtsensk

Nabucco

Du 11 au 29 juin 2023 gtg.ch/nabucco

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Ainsi, je serai habité par ce que j’ai perdu ou ce que j’ai peur de perdre, consciemment ou non.

Le Grand Théâtre à l’ère vidéo

Par Sylvie Bonier

Photographies : David Wagnières pour le Grand Théâtre Magazine

Française et Genevoise, journaliste et diplômée de piano au Conservatoire de Neuchâtel, Sylvie Bonier a enseigné l’instrument à Genève et collaboré à différentes parutions et radios en France, ainsi qu’à Espace 2 Elle a assuré pendant 40 ans la chronique musicale de La Tribune de Genève puis du Temps, auquel elle continue de collaborer occasionnellement.

La régie se niche au sommet d’un étroit escalier. Il n’y a qu’un étage à gravir mais on croirait rejoindre un nid d’aigle. Aucune échappée visuelle. En arrivant dans le minuscule studio d’enregistrement aveugle, capitonné de mousse et garni d’une multitude de claviers, écrans, tables de mixage et entrelacs de câbles, une sensation étrange s’empare du visiteur. Un rien oppressante pour qui souffrirait de claustrophobie…

La console de commande, reliée au Média serveur pour étalonner et équilibrer les rapports visuels et sonores, ou lancer les actions requises sur le plateau, exige d’être manipulée avec une précision et une instantanéité absolues. L’erreur ou la panne sont redoutées.

38 coulisses
Grâce à l’apport récent d’un mur de leds et d’un Média serveur dernier cri, les productions lyriques bénéficient d’un outil qui les propulse dans la 3e dimension technique. Une visite aux hommes du département « Son et vidéo ».

L’immense mur d’écrans leds est constitué de 180 plaques de 50 cm2. Avec une surface imposante de 90 m2, le système offre une formidable marge de possibilités, grâce à la mobilité de la structure qui permet d’obtenir les formes les plus diverses.

Le bureau « atelier » attenant bénéficie, lui, d’une ouverture vitrée en demi-lune.

Si l’air n’entre pas, la lumière du jour y est bienvenue. Entre ces espaces, les coulisses et la scène, six spécialistes s’activent. Ils sont chargés de la partie sonore et visuelle de l’Opéra.

Lorsque Aviel Cahn est arrivé en 2019 à la tête du Grand Théâtre, l’activité de l’équipe s’est radicalement transformée. Le directeur a investi dans un système imposant qui a bouleversé les pratiques du métier : un vaste mur d’écrans leds, piloté par un ordinateur multitâches dernière génération, a pulvérisé le traditionnel domaine « son et lumière ».

La machine directrice représente un gros investissement, qui a été totalement financé par des privés. Elle se compose d’éléments

multiples rassemblés sur un volume d’environ 2 m3, et place la technique de l’institution dans le lot des plus modernes. Jean-Marc Pinget, actif dans le service depuis des années, mais responsable du secteur depuis le début de la saison, confirme la révolution du nouvellement renommé service « son et vidéo ».

« Avant l’apparition du Média serveur, notre tâche se limitait notamment aux projections scéniques par vidéoprojecteurs, et aux écrans fixes de retour image du directeur musical pour que les chanteurs et le chœur puissent suivre ses indications depuis toutes les parties de la scène », explique le chef de service.

Sur le plan sonore, Christian Lang est aux commandes depuis le mois de mars. « Il y a trois types d’intervention », précise-t-il.

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« D’abord, le retour son pour les chanteurs, grâce à de petits haut-parleurs installés dans les cintres ou dans le bâti, et orientés vers les artistes. Ensuite, une légère amplification de l’orchestre ou des voix en direction de la salle dans les situations acoustiques qui réclament un équilibre spécial entre la fosse et le plateau. Par exemple dans Le Retour d’Ulysse où la dimension de l’orchestre baroque est trop petite par rapport à celle de la scène. »

Reste encore l’augmentation du volume de certains événements musicaux hors scène.

« On appelle ça les bandas. C’est lorsque le chœur, un petit orchestre ou des instruments interviennent en coulisses. » Restent enfin les bruitages quand vent, pluie, feu, tempête, éclats d’armes à feu ou autres compléments plus ou moins naturels agrémentent certains spectacles.

Ce qui a changé aujourd’hui ? « Le service est passé de la simple aide scénique à un jeu de possibilités techniques capable de répondre aux exigences accrues des metteurs en scène et des décorateurs », précisent les deux collègues.

Jérôme Ruchet gère la partie vidéographique. Le travail d’équipe est, pour lui aussi, fondamental. « Nous opérons en lien étroit avec les intervenants de la scène en amont de chaque spectacle. Notre rôle est de traduire techniquement les souhaits des scénaristes, scénographes, chefs ou techniciens », explique-t-il.

« Nous sommes beaucoup plus sollicités qu’avant. Mais par rapport au potentiel incroyable de notre nouvel outil, nous sommes encore loin de ses capacités. Les metteurs en scène et décorateurs ne sont peut-être pas toujours conscients de ce qu’il est possible de réaliser. »

Concrètement, sur quelles nouveautés peuvent-ils compter ? « Du côté scénique, nous disposons actuellement de 180 plaques leds de 50 cm2, qui représentent une surface totale d’écrans de diffusion de 90 m2, modulable et maniable dans les formes les plus diverses », révèle le vidéaste.

« Nous n’avons jusqu’ici travaillé avec ce système que dans Turandot, en collaboration avec l’organisme japonais de

laser teamLabs. Nous animions une pyramide visuelle qui illustrait des fleurs, vagues et autres créations esthétiques. C’était magnifique. »

« Mais nous nous réjouissons d’être encore plus actifs dans Nabucco avec notre mur de leds. C’est très excitant. » Comme l’a été le travail pour Voyage vers l’espoir qui a fait appel à des prises de vues des protagonistes en direct par caméras, projetées parallèlement depuis l’avant et l’arrière de la scène sur deux niveaux superposés. Pour ces installations visuelles, en lien direct avec la partie sonore, l’énorme Média serveur autorise les résultats les plus libres, fluides et spectaculaires. Cela requiert une exigence intense, qui entraîne dans son sillage l’activité sonore. Christian Lang rappelle les bases de l’activité : « Nous plaçons les micros pour les enregistrements, ou les haut-parleurs pour la sonorisation. Et bien sûr, nous contrôlons les niveaux et les équilibres de l’ensemble. Nous devons être une force de proposition, en collaboration avec la vidéo, pour imaginer ensemble les meilleures solutions sur chaque spectacle. Parfois, nous installons des oreillettes pour certains solistes ou le chœur, afin d’obtenir une meilleure précision et cohésion générale, selon l’éloignement des protagonistes. »

Dans la fosse de l’orchestre, pour les enregistrements ou la sonorisation, l’installation des micros répond à des exigences acoustiques précises. Clément Karch veille à leur placement minutieux qui doit permettre à la fois d’isoler le son des instruments et d’équilibrer le rendu sonore de l’ensemble, sans gêner les mouvements du jeu des musiciens.

40 coulisses

Jean-Marc Pinget, actif dans le service depuis plus d’une décennie, connaît les moindres méandres du métier. Récemment nommé responsable de l’équipe, il gère l’organisation et le suivi du travail, du bureau à la scène en passant par les coulisses.

Jérôme Ruchet, le vidéaste attitré aux nouveaux outils visuels, doit contrôler et gérer la somme impressionnante de données du Média serveur en lien avec le mur d’écrans et les instruments d’éclairage. La puissance d’action de la machine et la richesse de son potentiel l’enthousiasment.

Dans le cadre du partenariat avec la RTS, les relations sont serrées. « Nous leur proposons aujourd’hui nos outils, ce qui réduit considérablement leur temps d’installation et de rangement pour les captations, transmissions et diffusions en direct. En plus, grâce à nos enregistrements de chaque spectacle, nous disposons d’une grande palette d’archives. » Les qualités requises pour les deux disciplines sont les mêmes : « Concentration, réactivité, adaptabilité, rapidité, créativité, interactivité et un solide bagage technique… » Sans parler de l’aspect humain, évidemment indispensable dans une spécialité d’équipe de ce type. La plus grande angoisse de tous ? « La panne d’électricité ! » Christian Lang précise : « Ou le couac imprévisible d’une machine

pendant le spectacle. Lorsqu’un problème arrive en répétition, on le reproduit jusqu’à comprendre d’où il vient, pourquoi et comment. Et on répète le défaut jusqu’à sa résolution. Mais il y a toujours un risque. » Jean-Marc Pinget confirme : « Surtout avec des outils vieillissants. Le compteur électrique, par exemple, arrive en bout de course. On croise les doigts pour qu’il tienne jusqu’aux prochains travaux. »

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Nabucco

Du 11 au 29 juin 2023

gtg.ch/nabucco

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De Parsifal de Wagner, Christian Thalheimer a donné une vision épurée et pessimiste, où le héros (Daniel Johansson) revient vers les chevaliers du Graal sous le masque du Joker.

Figure de son innocence perdue ?

Dans Le Retour d’Ulysse de Monteverdi, le collectif FC Bergman s’est en donné à cœur joie, mêlant l’antique et le contemporain dans un hall d’aéroport.

Quand le Grand Théâtre sort de ses murs, cela donne par exemple Electric Dreams, de Matthew Shlomowitz, donné en création suisse au Théâtre Am-Stram-Gram dans la mise en scène colorée de Sara Ostertag. © Magali Dougados

Une épure pour un opéra immense : en baignant Parsifal dans le sang sur un plateau vaste et dénudé, Michael Thalheimer aura renouvelé par une vision forte le chef-d’œuvre de Wagner. En cette fin d’hiver très riche, Sidi Larbi Cherkaoui aura présenté son légendaire ballet Sutra, les agitateurs de FC Bergman Le Retour d’Ulysse de Monteverdi dans un hall d’aéroport, alors que le cinéaste Kornél Mundruczó s’emparait de la création de Christian Jost, Voyage vers l’espoir, et Sara Ostertag de la création suisse d’Electric Dreams de Matthew Shlomowitz.

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© Carole Parodi © Magali Dougados

Reportée par la pandémie, la création mondiale de Voyage vers l’espoir, inspiré au compositeur Christian Jost et au metteur en scène Kornél Mundruczó par le film de Xavier Koller, a frappé par son éloquence musicale et l’utilisation de vidéo sur grand écran.

Gregory Batardon

Pour marquer sa première saison de directeur du Ballet du Grand Théâtre, Sidi Larbi Cherkaoui a repris le célèbre Sutra créé en 2008 après son séjour en Chine auprès des moines Saholin, dans le décor de l’artiste britannique Anthony Gormley. © Andrée Lanthier

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Athènes, ou le mouvement permanent

L’ultra-moderne Fondation Stavros Niarchos, qui abrite l’Opéra national ainsi que la Bibliothèque nationale, est doté d’un parc de 20 hectares et même d’un bassin de 400 mètres de long où l’on fait du bateau en été.

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© Konstantinos Gerakis/ Alamy Stock Photo

Athènes, Fabien Perrier est tombé dedans quand il était petit. C’est son premier voyage à l’étranger et jamais, cette ville n’a cessé de le fasciner. Journaliste, correspondant pour différents médias francophones en Grèce, secrétaire général de l’Association de journalistes européens Europresse et auteur d’Aléxis Tsípras, une histoire grecque publié aux Éditions François Bourin – Les Pérégrines en novembre 2019, et traduit en grec, il passe désormais de nombreux mois dans ce petit bout d’Europe aux allures balkaniques, qui hésite entre Orient et Occident, entre traditions et modernité.

1 • Syntagma, le cœur de la Cité moderne en plein renouveau

POMPONS SUR LA PLACE

Syntagma, la place de la Constitution, est le cœur historique de la Grèce moderne, le centre névralgique d’Athènes et son poumon vert. Redevenu branché, ce quartier semble imposer son rythme à la capitale. Toutes les heures, les pas des Evzones, les soldats de la garde nationale, retentissent sur les pavés de la place. Dans leur uniforme fait main, avec leurs chaussures à pompon, ils viennent prendre leur tour devant la tombe du Soldat inconnu, en contrebas de la Voulí, le Parlement grec. Havre de tranquillité, le Jardin national qui jouxte le bâtiment est devenu le point de rendez-vous pour la jeunesse qui vient palabrer ou se bécoter ici, sous la canopée ou dans les allées arborées.

THE APIVITA EXPERIENCE STORE

Si, en son épicentre, Syntagma incarne la politique, ses ramifications sont synonymes de détente. La preuve ? Le concept store d’Apivita. Nichée dans une magnifique demeure néo-classique, la marque de cosmétiques grecs naturels, basés sur la propolis, propose une expérience holistique sur trois étages avec une boutique, un bar à jus de fruits et un spa chaleureux.

Solonos 6, Athènes 106 73

UN COCKTAIL À CIEL ?

En face du Parlement, la rue commerçante Ermou est un lieu de déambulation privilégié des jeunes Athéniens. Ils rejoignent leur café préféré dans une des ruelles adjacentes. Qui aime le vin se dirigera vers Heteroclito, un bar cosy qui présente une carte de producteurs locaux. Qui souhaite dominer la ville dégustera un café frappé, un brunch ou un cocktail au rooftop Ciel. Fokionos 2, Athènes 105 63, www.heteroclito.gr/en Ciel, Mnisikleous 2, Athènes 105 56, www.cielathensliving.com/ciel-athens

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Par Fabien Perrier
Athènes et l’Acropole... La Roche Sacrée et ses temples dominent tant la ville qu’ils semblent parfois l’écraser de tout leur poids. Pourtant, la capitale grecque, vibrante et bouillonnante, a bien d’autres charmes, cultivant un art de vivre balançant entre l’Orient et l’Occident.
Il se découvre au gré des quartiers, au fil des heures.
© nestign/Alamy Stock Vector

ÎLOT SUISSE

En poussant encore dans les rues piétonnes surgit un îlot suisse : le Flux Laboratory. Ce laboratoire d’expérimentation créé à Genève a ouvert en pleine crise grecque, en 2016, une antenne dans l’Athènes chère à Cynthia Odier, à l’origine du projet. Depuis, il soutient les projets artistiques, sociaux ou entrepreneuriaux liés au corps en mouvement à travers des performances, projections de films, expositions... L’artiste chercheuse et curatrice Mathilde Rouiller y est en résidence de création depuis ce printemps et présentera sa performance « Fuir les Saumons » début juin 2023.

Geronta 12, Athens 105 58 www.fluxlaboratory.com/fr/espaces/ flux-laboratory-athenes-2226

2 • Ô la Belle vie...

PANGRATI

Du haut de la colline des Muses, à Filopappou, se dessine l’une des plus belles vues sur l’Acropole au nord, et sur le Pirée et le golfe Saronique au sud. En contrebas : Athènes à perte de vue. La Galerie nationale dans le bas de Pangrati offre une plongée dans l’histoire artistique de la Grèce contemporaine. Pas loin se trouve l’accueillante librairie Lexikopoleio avec ses livres en français, grec ou anglais. En 2009, c’est le musée de l’Acropole, dessiné par l’architecte suisse Bernard Tschumi, qui a poussé. En 2017, le musée national d’Art contemporain (EMST) s’est installé dans une ancienne brasserie en bord de la longue avenue Syngrou qui mène à la mer.

Lexikopoleio, Stasinou 13, Athènes 116 35

KOUKAKI

De l’autre côté de l’avenue, le quartier Koukaki est en pleine ébullition. Ses zones pédestres bordées d’arbres, avec leurs cafés et bars animés, ses commerces

traditionnels séduisent... comme ses boutiques tendance. Le Morning Bar est de ces concepts novateurs qui se développent dans la capitale. Dans un espace au design minimaliste, il propose cafés, sandwiches, pains faits maison et autres douceurs... Il héberge également la marque de vêtements MeThen dirigée par un collectif d’artistes locaux et internationaux dont les créations unisexes sont mises en vente ici. Koukaki séduit. À l’image de la taverne Mikri Venetia. Quand Venetia, docteure en mathématiques qui a exercé pendant quinze ans dans l’industrie cosmétique, a ouvert le lieu en 2014, c’était un pari. « À 42 ans, je ne savais pas cuire un œuf, et je ne sais toujours pas le faire, mais je sais travailler avec des gens qui le font pour moi. Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ! » D’ailleurs, dans ce pays qui a comme passions nationales la poésie, la politique et la philosophie, elle a lancé la tendance dans Koukaki : en pleine rue piétonne, devant un demi-kilo de vin, on refait le monde jusqu’à point d’heure en se partageant des plats du terroir grec amoureusement réinventés.

Morning Bar & Me Then, Odissea Androutsou 36, Athènes 117 41

Mikri Venetia, Georgiou Olympiou 15, Athènes 117 41

OPÉRA ET BIBLIOTHÈQUE

Réinvention... Le mot colle à Athènes. Il y a quelque temps, l’Opéra proposait une expérience artistique inattendue : Bleat, un film muet en noir et blanc du réalisateur Yórgos Lánthimos avec Emma Stone et Damien Bonnard. Durant la projection, l’orchestre et les chœurs se produisaient en direct dans la grande salle de la Fondation Niarchos. Signé Renzo Piano, ce complexe culturel abrite l’Opéra national et la Bibliothèque nationale. Il est doté d’un parc de 20 hectares, et d’un bassin de 400 mètres de long où l’on fait du bateau

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en été. Le club Shamone devient bondé dès minuit. Le Tout-Athènes s’y éclate jusqu’au bout de la nuit. © DR Heteroclito, un bar cosy qui présente une carte de producteurs locaux, comme les domaines Karadimos ou Skouras. © DR Près d’Exarcheia, le cinéma en plein air VOX propose principalement des films d’art et d’essai sous-titrés. © DR

Le Flux Laboratory, un îlot suisse dans le quartier de Plaka, soutient les projets artistiques, sociaux ou entrepreneuriaux liés au corps en mouvement à travers des performances, projections de films, expositions, résidences ou ateliers. © Spiros Strogilis

3 • Exárcheia, la Belle, la Rebelle

QUARTIER CONTESTATAIRE…

Sur les marches qui mènent à la colline Strefi, dans le quartier Exárcheia, une étoile est dessinée en rouge, noir et blanc. L’image illustre ce quartier intellectuel, tourbillonnant et contestataire. Le bâtiment de l’École polytechnique, joyau d’architecture néoclassique du milieu du XXe siècle, en témoigne. Tous les ans, le 17 novembre, étudiants, enseignants et nombre de responsables politiques s’y retrouvent. Ils viennent commémorer le 17 novembre 1973. Ce jour-là, après plus de six ans de dictature, les étudiants ont entamé un vaste mouvement de contestation, et leurs manifestations ont été réprimées dans le sang. Il y eut des morts. Mais ce soulèvement est considéré comme la première étape menant à la chute de la junte en juillet 1974. C’est aussi dans ce quartier qu’a été assassiné Alexandros Grigoropoulos, 15 ans, alors qu’il manifestait pour une amélioration du sort de la jeunesse grecque en décembre 2008, avant qu’éclate la « crise grecque ».

…ET BOHÈME

Si Exárcheia fascine aujourd’hui les touristes, c’est sans doute parce qu’elle raconte cette histoire grecque sur ses murs. Les graffitis et tags narrent les révoltes du pays, tournent en dérision l’ordre établi ou se souviennent des icônes du mouvement social. S’il est un livre qui décrit cette ambiance, c’est bien Dans les règles de l’art de Makis Malafékas (Éd. Asphalte, 2022).

À travers une intrigue policière, il décrit cet Exárcheia en mouvement.

Parsemé de maisons d’édition, de galeries d’art, de cafés et de restaurants, Exárcheia enchante par son atmosphère bohème. Dans la rue Kallidromiou se tient un marché populaire tous les samedis matins. La taverne Ama Lachei est un incontournable pour déguster des plats traditionnels grecs.

Kallidromiou 69, Athènes 106 83

REBÉTIKO ET CINÉMA EN PLEIN AIR

Une rue plus bas, une autre ambiance s’offre au visiteur dans un repère un brin secret : la taverne Efimeron, où se produisent des adeptes du rebétiko, la musique grecque traditionnelle jouée notamment au bouzouki. Enfin, près de la place centrale, le cinéma en plein air VOX propose des films d’art et d’essai sous-titrés.

Taverne Efimeron, Methonis 58, Athènes 106 81 ; Cinéma Vox, Themistokleous 82, Athènes 106 81, www.facebook.com/vox. athens

POP EN STOCK

Pittoresque, témoignage architectural de l’histoire... Ces qualificatifs conviennent également aux rues de Psyrí. Ses façades néoclassiques ont abrité tour à tour bourgeoisie commerçante, clans quasi mafieux puis familles populaires. Il redevient aujourd’hui tendance, notamment pour être une des scènes de street art les plus

dynamiques d’Europe. Mais aussi parce qu’il est un des endroits où se perdre sur les pistes de danse. Les adeptes de pop grecque, où se mêlent sonorités orientales et rythmes internationaux, iront dans l’un de ses bars où la salle se transforme vite en piste, comme le BackdooR.

BackdooR , Sarri 39, Athènes 105 54

ÉLECTRO & CO

Ceux qui cherchent des clubs versant dans l’électro ou la world music suivront la ligne de chemin de fer rouillée pour se rendre vers Gazi, du nom de l’ancienne usine à gaz qui s’y trouvait. Aujourd’hui, les cheminées en briques et le châssis de fer forgé de l’ancienne centrale électrique sont au cœur d’un centre culturel, Technopolis. Les entrepôts ont été transformés en clubs, bars branchés, et scènes expérimentales qui font la part belle à la techno et à l’électro. Le fameux « hub culturel » Gazarte accueille des concerts, allant de vedettes grecques aux stars internationales. Plus loin, des clubs comme Oddity, le gay Sodade2, Shamone ou Lohan sont bondés dès minuit et jusqu’au bout de la nuit, prouvant que, malgré le poids de l’Acropole, la ville est bel et bien rentrée dans le 21e siècle.

Technopolis, Pireos 100, Athènes 118 54, Gazi www.athens-technopolis.gr/index.php/en Gazarte ; Voutadon 34, Athènes 118 54, www.gazarte.gr/en

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Une femme esseulée, blessée, qui tue son beaupère : c’est Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch. Un despote foudroyé par la révélation de Yahvé, qui libère les Hébreux qu’il a déportés : c’est Nabucco de Verdi. Opéra populaire par excellence, qui sera retransmis live à la belle étoile. Et pour qui préfère les soirées du troisième type, retour à la dernière Late Night de printemps en mode électro, avec Tangerine Dream et Étienne de Crécy. Sans oublier la radieuse Anne Sofie von Otter, la liberté faite musicienne.

ATELIER PUBLIC NABUCCO

Une fois par production, le samedi matin, rejoignez-nous pour un atelier de pratique artistique en lien avec la thématique de l’opéra ou du ballet à venir. Chant, danse, théâtre, écriture, arts plastiques, laissez-vous surprendre et venez mettre en voix, en scène, en mots ou en images, avec des professionnels qui vous guideront à travers l’une des facettes de cet art total qu’est l’opéra. Grand Théâtre, le 3 juin 2023 à 11h

LATE NIGHT

Pour cette dernière Late Night de la saison, nous avons été chercher des pointures avec notre partenaire Electron Festival, qui célèbre cette année sa vingtième édition. Double menu puisqu’on commence dès 20h avec un concert dans la grande salle du groupe pionnier de l’électronique Tangerine Dream et on enchaine dès 22h sur la Late Night avec rien de moins qu’Étienne de Crécy, précurseur de la French Touch, dans un set spécial vinyle de 3h30. Rajoutez quelques live, performances et battles en accompagnement et servez bien frais car ça va être chaud !

Grand Théâtre, le 5 mai 2023. Portes à 19h, concert Tangerine Dream à 20h, Late Night dès 22h

DUEL

Loin de la Russie, loin de l’Ukraine, loin du front, il nous semble être. Mais pourtant les questions que posent cette guerre ont un écho dans chacun d’entre nous. Iegor Gran et Nadia Sikorsky s’interrogent depuis Paris et Genève sur notre avenir et celui de la Russie, sur celui des Russes de là-bas et d’ici et peut-être surtout sur ce qui fait notre humanité. En point d’orgue à leur correspondance parue ces dernières semaines dans T, le magazine du Temps, le metteur en scène et comédien Nicolas Zlatoff et son équipe nous offrent une immersion dans ce dialogue entre l’histoire et l’actualité.

Grand Théâtre, le 11 mai 2023 à 20h

ANNE SOFIE VON OTTER

Avec ses sessions indie en compagnie d’Elvis Costello, ses explorations dans les terrae incognitae baroques, son album jazz avec Brad Mehldau, la curiosité musicale d’Anne Sofie von Otter n’est plus à démontrer. Pour son récital, la mezzo suédoise marque à la fois son goût pour un programme issu de son disque Douce France ainsi qu’une mise en musique de textes de Charles Baudelaire. Qui se souvient de sa Didon des Troyens à Genève en 2007 sait

qu’elle est une diseuse inspirée dans la langue de Baudelaire. On se réjouit de la revoir sur la scène de Neuve, avec un trio de musiciens autant « classiques » que « populaires », pour un récital hors du commun où l’artiste chevronnée va élargir les frontières des genres et des publics.

Grand Théâtre, le 16 juin 2023 à 20h

NABUCCO SOUS LES ÉTOILES

Dans le cadre du programme OFF de la Fête de la Musique, le Grand Théâtre vous invite sous les étoiles, dès que la nuit commence à tomber, au parc des Eaux-Vives. En entrée libre, venez vivre Nabucco de Giuseppe Verdi, sur grand écran, le vendredi 23 juin 2023 à 21h. Une soirée à la belle étoile, les pieds dans l’herbe et la musique de Verdi dans les oreilles. Dans les yeux, le ciel, le lac et la production du Grand Théâtre de Genève, avec à la baguette Antonino Fogliani et Christiane Jatahy à la mise en scène. Bars et location de transats disponibles sur place. Une nuit inoubliable à ne pas manquer !

Parc des Eaux-Vives, projection de Nabucco, le 23 juin 2023 à 21h. Entrée libre

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Par Karin Kotsoglou
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MÉDECINE ESTHÉTIQUE - CHIRURGIE ESTHÉTIQUE MÉDECINE RÉGÉNÉRATIVE - DENTISTERIE ESTHÉTIQUE CHIRURGIE CAPILLAIRE
Pautigny Place du Molard, 5 1204 Genève - Suisse + 41 22 368 55 55 www.cleageclinic.com
Photo © Gilles

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