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Genèse

Il était une fois, une Tisserande. C’était une belle jeune femme, aux lèvres

bleues et aux yeux verts ; sa peau, pâle comme la neige, ajoutait une note froide

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à sa beauté. En dépit de son apparence, la Tisserande était très ancienne ; elle

était née au commencement des temps. Ainsi, parmi les siens, on l’appelait l’Éternelle. Elle habitait une petite chaumière poussiéreuse, dans laquelle le

bruit rythmique des métiers-à-tisser se mêlait aux glouglous d’une petite

fontaine enchantée. Son seul compagnon était un Augurey doré.

L’Éternelle était une femme très affairée : sa chaumière était encombrée de fils

entrecroisés, telle une immense toile d’araignée. Ses trois métiers-à-tisser

étaient enchantés, ne cessant jamais de travailler ; l’un d’eux créait les fils, le

second tissait les trames en enlaçant tous ces fils à leur place, et le troisième,

enfin, défaisait les trames. L’Éternelle, quant à elle, entretenait les métiers,

observait le motif du Tissu, et coupait les fils. Puis le cycle recommençait : les

fils étaient créés, tissés, coupés…

On lui avait confié cette tâche il y a fort longtemps, et elle poursuivait son

travail méticuleusement, chaque jour depuis des milliers d’années… Mais un jour, alors qu’elle observait un fil particulier, elle vit l’homme qui le parcourait

faire une erreur. Oh rien d’exceptionnel, une toute petite erreur de jugement, si

bénigne qu’il ne s’en aperçut pas lui-même… Mais aussitôt, le métier à tisser

dévia le fil de son destin. Il aurait dû faire partie de la trame quelques années de

plus, mais ce nouveau pas l’avait dévié ; il entrait déjà dans le troisième métier,

prêt à être dénoué. L’Éternelle avait vu cela des milliards de fois, mais elle avait

observé l’humain parcourir ce fil si longtemps, que son cœur se serra de

tristesse…

À cet instant, elle se demanda s’il n’existait pas un moyen de déjouer la fatalité.

Après tout, elle voyait clairement les destinées ; peut-être pouvait-elle faire

quelque chose de plus ?

Peut-être que son rôle ne se bornait pas qu’à observer ?

La femme tapota la surface de sa fontaine en laissant des cercles s’y déployer, puis, saisissant une poignée d’eau, elle la jeta devant elle en une gerbe

scintillante ; l’eau se dispersa, puis se recomposa comme une porte enchantée.

L’Éternelle tapota la surface transparente jusqu’à ce que l’eau se transforme en

glace, et la glace devint Miroir.

Fébrile, elle attrapa ensuite son Augurey, qui laissa échapper un cri contrarié,

car il était très chatouilleux. Sa main cueillit délicatement l’une de ses jolies

plumes dorées, et la transforma en un cadre gravé qui enveloppa le Miroir.

Après quoi la femme admira son œuvre avec un sourire ravi ; elle allait enfin

pouvoir établir un dialogue grâce à cette fenêtre sur le monde.

Soudain, elle réalisa avec épouvante que ce n’était pas suffisant : pourquoi les

humains écouteraient une inconnue avec un miroir ? Les chances étaient

grandes qu’ils choisissent la méfiance, et préfèrent ignorer leur destin…

Alors l’Éternelle saisit l’onyx qui ornait son propre cou, le détacha de sa chaîne

et posa ses lèvres glacées sur la pierre. Aussitôt, au cœur de la noirceur opaque

du joyau, s’élevèrent et tournoyèrent des lambeaux de brume : l’Onyx portait

désormais un fragment de sa Personne et de sa Vision qui dévoilait les destinées

humaines.

Satisfaite, l’Éternelle incrusta la Pierre en haut du cadre doré, juste au-dessus de

son reflet. Ainsi, les Hommes verraient par eux-mêmes, au travers de l’Onyx

enchantée, et ils croiraient.

Et c’est ainsi qu’elle laissa choir son Miroir dans un petit village, au fond d’une

forge.

C’est un serf moldu qui le découvrit pour la première fois. Lorsqu’il effleura le cadre doré, très intrigué, l’Éternelle apparut dans le reflet, prête à éclairer cet

homme sur sa destinée. Mais ce dernier fut épouvanté, et cria à la sorcellerie et

au diable. Les moldus tentèrent de détruire ce Miroir maudit, sous le regard

impuissant de l’Eternelle, mais aucun feu, ni aucun coup, ne put en briser le

reflet.

En revanche, l’Onyx brumeux se détacha du cadre doré dans un petit nuage

scintillant ; il ricocha sur les pavés, puis disparut comme par enchantement, et

aucun moldu ne put mettre la main dessus pour le détruire.

Le Miroir, abandonné loin des Hommes, fut perdu.