Paysage choisi (2017)

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Je dis Venise et aussitôt, dans la vacance du mot, éclatent des couleurs et des feux d’artifice. Turner, Renoir, Monet, Signac, une ville de papillotements et d’éclats, une ville carnavalesque et croustillante, dorée et cuite à point d’un midi sempiternel. Il existe pourtant une Venise plus secrète, éloignée, silencieuse et crépusculaire, qui ne se laisse guère saisir. C’est celle de Music et de ses dessins à la plume, celle de Whistler et de ses gravures. C’est dans cette seconde lignée que s’inscrit la Venise de Marie Lavie. Venise des ombres et des brouillards, Venise de la pluie tenace et de passants furtifs, c’est la Venise des Papiers d’Aspern de Henri James. C’est la ville des industries et non des plaisirs, des Moulins Stucky et des grues de la Giudecca, des visages dérobés derrière les grillages de fenêtres dans les calli étroites, des campielli déserts, des petits ponts qui font le gros dos… Permanence et précarité… Pour fixer cet univers urbain de transitivité, d’éphéméréïté, de noirceur, il fallait un médium très particulier, un médium capable capable aussi de faire ressortir la gamme des noirs et la labilité des frottis : le monotype, si rare et si précieux, était trouvé. Il est aux fumées, aux suies, aux charbons, aux voilettes obscures qui se posent sur la peau de la cité ce que le pastel – autre médium privilégié de Marie Lavie, est aux couleurs, transitoire et pulvérulent, triomphant par sa légèreté et sa vulnérabilité mêmes. Jean Clair


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