Catalogue - fr

Page 1


GALERIE DUPONCHEL

Tableauxetdessinsanciens

Nous tenons à remercier chaleureusement Pierluigi Leone De Castris, Christophe Defrance, Valeria Di Giuseppe Di Paolo, Constance Henry, Riccardo Lattuada, Mauro Lucco, Stefania Mason Rinaldi, Bert W. Meyer,AlessandroNesi,AndreaPiaietAntoineTarantinopourleuraide apportéedansl’étudedesœuvresetlarédactiondececatalogue.

MARS2025

SOMMAIRE

6

14

Giovanni Francesco CAROTO

Saint Jérôme pénitent,parMauroLucco

Polidoro CALDARA, dit POLIDORO DA CARAVAGGIO

La Vierge à l’enfant accompagnée du petit saint Jean-Baptiste

18 IL DISEGNATORE MISTERIOSO (souvent identifié comme le jeune GRECO)

Double étude pour un Christ et un saint Jérôme

24

Jacopo PALMA, dit PALMA LE JEUNE

Groupe de quatre figures

28 Pietro MALOMBRA

Le Massacre des innocents

32 Fernão GOMES

La Dispute des docteurs de l’Église

36 Giovanni FEDINI

L’Annonciation,parAlessandroNesi

40 Le MAÎTRE des MARTYRES

Le Martyre de saint Laurent

44

48

52

Jacques STELLA

Saint Paul martyr

Guillaume COURTOIS, dit IL BORGOGNONE

La Conversion de saint Paul

Guillaume COURTOIS, dit IL BORGOGNONE

Vénus, Mars et Adonis

56 Giovanni Battista GAULLI, dit IL BACICCIO

La Vierge à l’Enfant apparaissant à sainte Marie-Madeleine de Pazzi

60

Niccolò RICCIOLINI

Projets de mosaïques pour Saint-Pierre de Rome,avecl’aidedeVittorioCasale

Les notices sont écrites par Charles Duponchel, sauf mentions contraires indiquées dans ce sommaire.

Toutes les œuvres présentées dans ce catalogue sont prêtes à accrocher : les tableaux sont encadrés et les dessins montés et encadrés. Les montages et encadrements sont décrits précisémentsurlesfichesdesœuvrespubliéessurnotresiteinternet:www.galerieduponchel.com

Giovanni Francesco CAROTO

Mozzanica ou Bergame, vers 1475-78 - Vérone, 1555

Saint Jérôme pénitent

Vers 1515-1518

Huile sur panneau de peuplier - 56,5 x 50,5 cm

Provenance :

Collection de la région de Brescia avant 1859 (cachets de douane au dos du panneau) Dernièrement, dans une collection particulière des Hauts-de-France

Nous remercions le professeur Mauro Lucco d’avoir rédigé la présente notice après avoir attribué notre tableau avec certitude à Giovanni Francesco Caroto. Grand spécialiste de la peinture vénitienne et émilienne, il a publié de nombreuses monographies faisant aujourd’hui référence (Giovanni Bellini, Andrea Mantegna, Giorgione, Bartolomeo Montagna, Antonello da Messina, Dosso Dossi…).

Notre tableau est apparu comme anonyme sur le marché de l’art français en 2022. En excellent état de conservation, il ne présente pas de véritables lacunes sur la surface peinte, ni de manques importants, comme le montre la photo prise après le nettoyage (ill. 1) effectué par l'atelier Arcanes à Paris.

rt (ill. 1) notre tableau, avant et après nettoyage

Cette très bonne conservation réside non seulement dans le grand soin apporté par l'artiste à la durabilité de l'œuvre, mais aussi dans la préparation du dos du panneau à l’aide d’un apprêt brun foncé, afin d'éviter tout affaissement dû à l'absorption d'un excès d'humidité. Dans de petites zones où cette préparation s'est détachée, on distingue clairement la fibre caractéristique du bois de peuplier.

rt

Deux sceaux de cire rouge (ill. 2) sont également visibles au dos du panneau : sur celui qui se trouve en haut à gauche, on peut lire sans difficulté l'inscription circulaire autour de l'aigle bicéphale des Habsbourg : « Provincia di Brescia I.R. Delegazione » ; le second, plus usé, en bas à droite, près de l'étiquette portant le numéro 43 (probablement une étiquette de collection) laisse encore visible l'inscription « Boll....d'Espor..../Bresc..../.... ». Les deux font évidemment référence au bureau de douane chargé de l'exportation des œuvres d'art de cette province. Toutefois, la mention de l’« I[mperial] R[egia] Delegazione » et la présence de l'aigle bicéphale indiquent que l'opération à laquelle ils se rapportent est antérieure à 1859. Cette année-là, suite à la Seconde Guerre d'Indépendance, la partie du Royaume lombard-vénitien située au-delà de l'Adige, autrefois sous l'autorité du gouvernement impérial de Vienne, passe sous la juridiction du royaume de Piémont-Sardaigne, dirigé par la maisondeSavoie.

La position du sceau en bas, partiellement coupé, ainsi que quelques petits éclats de bois sur le côté droit de la peinture (le côté gauche lorsque l'œuvre est vue de dos) suggèrent que le panneau a été légèrement rogné sur ces bords. Cependant, l'équilibre de la composition montre que, si une telle opération a eu lieu, elle n'a probablement concerné que quelques millimètres. Cela est d'autant plus plausible que les deux bandes verticales plus claires, correspondant à des traverses enlevées plus tard pour maintenir le panneau droit, sont légèrement asymétriques, ce qui indiquerait une coupe de4ou5mmaumaximum.

En ce qui concerne la partie figurative du tableau, les photos avant et après le nettoyage, ainsi que son aspect final, montrent qu'elle est intacte et parfaitement lisible dans ses caractéristiques stylistiques. Une radiographie effectuée pendant la restauration montre que le saint était à l'origine de profil parfait avant d’être légèrement modifié dans sa pose actuelle, un trois-quarts très accentué.

Le réseau de plis complexes et zigzagants du drapé de l’ermite évoque clairement les modèles inspirés de Mantegna (1431-1506) peints par le Véronais Francesco Bonsignori (1460-1519), durant son séjour à Mantoue à partir de 1477 (comme l'indique un document retrouvé par Stefano L'Occaso1). Ce séjour ne l'empêche pas d'envoyer certaines de ses œuvres majeures à Vérone. Ce parallèle est particulièrement évident dans la comparaison (malheureusement seulement possible aujourd'hui par photographie) avec le Saint Sébastien du Kaiser-Friedrich-Museum deBerlin,datéde1485etdétruitpendantlaguerreen1945(ill.3).

(ill. 3) Francesco Bonsignori, Saint Sébastien (détruit)

1 Stefano L'Occaso, Fonti archivistiche per le arti a Mantova tra Medioevo e tutta Rinascimento (1382-1459), Mantoue, 2005, pp. 127, 129 note 7

Il est vrai que, bien que Vérone et Mantoue soient des territoires contigus, facilitant les déplacements entre les deux villes, la présence dans la cité des Gonzague du plus grand peintre de l'époque,AndreaMantegna,rendaitcettevillebeaucoupplusattrayantequelapluspeupléeVérone. D'autres détails renvoient d’ailleurs à cette origine : les rochers qui surgissent comme des dents cariées (ill. 4), à gauche du saint, rappellent ceux de la Madone des carrières des Offices, peut-être réinterprétés de manière plus simple et prosaïque par Antonio da Pavia (actif entre 1500 et 1514), comme dans la Nativité avec saint Antoine Abbé et saint Sébastien, autrefois à l'Hôpital d'Ostiglia et aujourd'huiconservéeaumuséediocésaindeMantoueetdatableautourde1506-15102

Le paysage, que l’on pourrait définir avec Manzoni comme « tout en sinuosités et en golfs », avec des monticules émergeant des eaux et un petit arbre frêle indiquant la profondeur, se retrouve dans d'autres œuvres mantouanes encore influencées par Mantegna : par exemple, dans un tableau probablement de Fermo Ghisoni (ill. 5), conservé à l'Académie Albertina des Beaux-Arts de Turin (inv. 135) et peint d’après la gravure de la Vierge d'humilité réalisée par le grand maître vers le milieu du siècle. Si ces détails indiquent une origine culturelle plutôt univoque, il faudra alors chercher parmi les artistes de Vérone ayant séjourné plus ou moins longtemps à Mantoue, durant la période chronologique déduite des observations précédentes. Le fait qu'ils soient très peu

(ill. 5) confrontation avec avec le paysage de la Vierge d'humilité attribuée à Fermo Ghisoni (détails)

2 Michele Danieli, dans Mantegna a Mantova, 1460-1506, catalogue de l'exposition, Milan, 2006, pp. 144-145

(ill. 4) confrontation avec la Madone des carrières par Andrea Mantegna et la Nativité avec saint Antoine Abbé et saint Sébastien par Antonio da Pavia (détails)

nombreux, pas plus de trois ou quatre3, ainsi que la morphologie particulière des rochers, typique de Mantoue jusqu’à la réalisation du retable de Redondesco4, renvoient à un seul nom possible : GiovanniFrancescoCaroto.

Selon Giorgio Vasari5, en effet, « après avoir appris les premiers rudiments des lettres, ayant une inclination pour la peinture, il se mit à l’apprendre auprès de Liberale da Verona, lui promettant de le récompenser pour ses efforts. [...] Quelques années plus tard, ayant gagné en discernement avec l’âge, il vit à Vérone les œuvres d’Andrea Mantegna, et trouvant, comme c’était effectivement le cas, qu’elles étaient d’un autre style et meilleures que celles de son maître, il fit en sorte, avec l’accord de son père et avec la bienveillance de Liberale, de pouvoir s’attacher à Mantegna. Ainsi, parti pour Mantoue et placé sous sa tutelle, il acquit, en peu de temps, tant de compétences qu’Andrea envoyaitàl’extérieurdesœuvresdeluicommesiellesétaientdesapropremain...».

Bien sûr, personne ne peut croire à la véracité littérale de ce récit selon lequel Mantegna, qui préférait refuser de peindre plutôt que de laisser sortir de son atelier des tableaux imparfaits, se serait mis à écouler de fausses œuvres faites par Caroto. Cependant, on ne peut rien objecter au fait essentiel : la présence de Caroto à Mantoue. En guise de preuve, ses retables de Redondesco et de SantaMariadellaCaritàdemeurentaujourd’huidanslavilledesGonzague.

D’ailleurs, en observant de plus près le retable endommagé de la Carità, le profil de saint Bovo ressemble beaucoup à celui de notre saint Jérôme (ill. 6), et encore plus à la première idée, ensuite modifiée, révélée par la radiographie. Mutatis mutandis, dans la transformation d’un visage masculin en un visage féminin, le quasi-profil de notre saint Jérôme se retrouve dans une Vierge à l’Enfant (ill. 7) acquise en 2016 par le musée de Palazzo Ducale de Mantoue sous le nom de Caroto, bien qu’elle ait ensuite été réattribuée à Bonsignori, entre 1510 et 1515. Cependant, si l’on réfléchit à la différence stylistique avec le retable de la chapelle de San Biagio dans l’église Santi Nazaro e Celso de Vérone, commencé en 1514 et achevé avant 1519, il faudra inévitablement conclure, que la premièreattributionétaitplusjustifiée.

(ill. 6) confrontation de la réflectographie infrarouge avec le saint Bovo (détails)

(ill. 7) confrontation avec la Vierge à l'Enfant du musée de Palazzo Ducale de Mantoue

3 Stefano L’Occaso, Pittura a Mantova nel Quattrocento, Mantoue, 2019, pp. 189-206

4 Peint par Giovanni Francesco Caroto à Mantoue, il représente le Christ avec la croix entre deux saints (voir Danieli, op. cit., pp. 194-195)

5 Giorgio Vasari, Le vite de’ più eccellenti Pittori, Scultori ed Architettori, Florence, 1568, éd. Milanesi, vol. V, Florence, 1906, p. 280

Ces physionomies se retrouvent également, selon moi, dans l'une des œuvres majeures de la carrière de l'artiste, la Lamentation sur le Christ mort (ill. 9), autrefois dans la collection Fontana de Turin, signée au verso et datée de 1515 : un document incontournable pour un moment crucial de sa carrière, celui de son service à la cour des Paléologue de Casale Monferrato. En réalité, nous ne savons rien de précis sur les circonstances de son embauche. Il a été supposé qu’elle aurait pu être facilitée par le sculpteur véronais Matteo Sanmicheli (actif jusqu’en 1528), présent à la cour des Paléologue entre 1510 et 1517, et cousin du plus célèbre architecte Michele (1484-1559), qui aurait pu également le recommander au Marquis, ou encore par Antonio Maria Visconte lui-même, mécèneetprotecteurmilanaisdeCaroto.

La première mention de notre artiste à Casale date du 12 juillet 1516 et concerne une donation de terres par Guglielmo IX dont il est bénéficiaire. Cela implique, en dehors d’autres considérations sur le métier et le rôle des peintres, que les deux hommes se connaissaient et se fréquentaient depuis un moment. Sachant que la Lamentation sur le Christ mort, alors déjà peinte, est vraisemblablement ce qui reste de la décoration de la chapelle privée de Guglielmo IX, il n’est pas déraisonnable de penser que Caroto est arrivé dans la ville dès 1514, presque en remplacement immédiat de Macrino d'Alba (environ 1460-1513). On ne trouve effectivement plus aucune trace de ce peintre après sa Vierge à l’Enfant d’une collection privée turinoise, datée du 21 octobre 1513, et qui aurait donc disparuàcetteépoque.

Au même séjour à Casale appartient également le retable avec Saint Sébastien (ill. 11), signé, qui se trouve toujours dans l'église de Santo Stefano, son emplacement d'origine. On y retrouve, au-delà d'autres influences culturelles, le détail d'un petit doigt écarté vers l'extérieur, comme dans notre saintJérôme(ill.8).

(ill. 8) le petit doigt de notre saint Jérôme confronté à celui du saint Sébastien du retable de l’église de Santo Stefano de Casale

Mais je crois qu’au-delà des coïncidences ponctuelles de motifs, il faut reconnaître la très forte parenté qui existe entre notre tableau et la Lamentation sur le Christ mort ex-Fontana (ill. 9) : la disposition des plis, la tonalité profonde de la palette, la similitude des gestes, la puissance volumétrique des formes contrastée par la nervosité des doigts forment une véritable rencontre sur un terrain commun. Je ne voudrais pas non plus perdre davantage de temps à énumérer d'autres petits détails«morelliens»,comme

la forme arrondie des ongles des mains et des pieds, qui revient de manière caractéristique dans toute l'œuvre de Caroto. Ce qui m'importe davantage, en revanche, c'est de souligner que, dans une carrière apparemment discontinue, marquée par de nombreuses ruptures, l'équivalence absolue du style avec le tableau ex-Fontana de 1515 situe également notre peinture dans la période la plus heureuse de l'artiste, à la cour des Paléologue de Casale Monferrato, qui reste encore à explorer plus en profondeur pour nous révéler, si possible, quelque chose de plus sur cet artiste remarquableetinsaisissable.

Il s'agit, en somme, d'une découverte très importante qui permet aussi de mieux évaluer l'importance de Caroto dans le contexte de la peinture véronaise du XVIe siècle, qui, au moins jusqu'àladernièreexpositionmonographiquede2022,nesemblaitpasencorebienétablie.

Mauro Lucco (traduitdel’italienparnossoins)

Peint lors du séjour de l’artiste à Casale Monferrato, IX Paléologue, notre panneau s’ajoute aux deux seules

(ill. 9) Giovanni Francesco Caroto, Lamentation sur le Christ mort (Turin, collection particulière)

Monferrato, entre 1514 et 1518, au service de Guillaume seules œuvres connues de cette période.

(ill. 10) Giovanni Francesco Caroto, Saint Jérôme pénitent (Paris, GALERIE DUPONCHEL)

Polidoro CALDARA, dit POLIDORO da CARAVAGGIO

Caravaggio, 1499 - Messine, 1543

La Vierge à l’enfant accompagnée du petit saint Jean-Baptiste

Plume et encre brune - 5,5 x 6 cm

Bibliographie générale :

Pierluigi Leone De Castris, Polidoro da Caravaggio - L’opera Completa, Naples, 2001

Pierluigi Leone De Castris (sous la direction de), Polidoro da Caravaggio fra Napoli e Messina, Milan, 1988

Dominique Cordellier, Polidoro da Caravaggio, Paris 2007

Nous remercions chaleureusement le professeur Pierluigi Leone De Castris d’avoir confirmé l’attribution de notre dessin à Polidoro da Caravaggio. Spécialiste de notre artiste, il a publié, entre autres,sonderniercatalogueraisonné.

Un dessin inédit de « Polidoro, ce talent original et agile » (Vasari)

La présente feuille constitue une découverte : acquise comme anonyme, nous avons pu l’attribuer aveccertitudeàPolidorodaCaravaggio,grâceauconcoursduprofesseurPierluigiLeoneDeCastris.

Né dans la ville de Caravaggio en 1499, Polidoro gagne Rome où il travaille d’abord comme ouvrier au Vatican. Là, il se lie d’amitié avec les peintres Perin del Vaga (1501-1547), Giovanni da Udine (1487-1561)etGiulioRomano(1499-1546)quilefontentrerauservicedeleurmaître:Raphaël.C’est donc au sein du plus prestigieux atelier de son temps que le jeune Polidoro da Caravaggio apprend son métier de peintre en participant, notamment, aux décorations des Loges du Vatican pour le papeLéonX,entre1517et1518.

À partir de 1522, il s’associe à Maturino da Firenze (1490-1528) avec qui il se spécialise dans la réalisation de peinture de façade de palais en clair-obscur, à l'imitation des bas-reliefs antiques. Cette activité forge la célébrité des deux artistes dans la Ville Éternelle (Vasari mentionne trente-deuxréalisationsdanscegenre).

Suite au sac de Rome de 1527, il part se réfugier à Naples puis, il gagne Messine où il rencontre un vif succès, aussi bien comme peintre que comme architecte. Il y travaille pour les mécènes les plus prestigieux comme Ettore Pignatelli, le vice roi de Sicile, ou Charles Quint lui-même pour qui il réalisedesdécorspoursonentréetriomphaleàMessineen1535.

En 1543, alors que Polidoro avait rassemblé une importante somme d’argent dans le but de rentrer àRome,ilestassassinéparundesesélèvesquiluidérobesonbutin.

Si ses fresques des palais romains, souvent copiées et gravées et qui ont forgé sa renommée dans toute l’Europe, ont aujourd’hui presque entièrement disparu, il nous reste un important corpus de ses dessins qui, chose rare, ont été collectionnés par les amateurs dès le XVIe siècle. Ainsi, un des plus anciens collectionneurs connus de dessins, Francisco de Holanda (vers 1517-1584), possédait plusieursfeuillesdePolidorodaCaravaggio.

rt

Un trait vif et aigu, typique des dessins à la plume de Polidoro

Notre feuille montre une étonnante représentation de la Vierge à l’Enfant et du petit saint Jean-Baptiste. Leurs figures, exécutées par une plume sûre et vigoureuse, présentent des physionomies très stylisées, aux proportions exagérément allongées et aux traits inquiétants, presque simiesques. Ce traitement singulier confère une étrangeté certaine à l’ensemble, renforcée parunfortclair-obscurcrééparunnerveuxréseaudehachures.

Ce style insolite, empreint de stravaganza, est caractéristique de la manière de Polidoro da Caravaggio. Comme le souligne Alessandro Marabottini1, il se démarque rapidement de Raphaël et développe un maniérisme proche de Rosso (1495-1540) qui se traduit par une stylisation accrue et lesdéformationsphysiquesdesesfigures.

Ces caractéristiques, très marquées, sont éminemment présentes dans ses dessins à la plume dont les « signes rudes ou brusques, se font vibrants, et les figures, larvaires »2. Ainsi, malgré la taille relativement réduite de notre feuille, cette esthétique forte confère aux saints personnages du dessinunecertainemonumentalité.

Œuvres à rapprocher de la nôtre

Commenousl’aconfirméleprofesseurPierluigiLeoneDeCastris,notrefeuilledoitêtrerenduesans réserve à Polidoro da Caravaggio, tant son graphisme est caractéristique des dessins à la plume de l’artiste.

Parmi ce corpus, relevons en particulier deux œuvres (ill. 1) qui présentent des canons très proches deceuxdenotredessin.

(ill. 1) Polidoro da Caravaggio, Saint Roch bénissant un pestiféré (Paris, Musée du Louvre) et Études pour un saint Jean-Baptiste (Londres, British Museum)

1 Alessandro Marabottini, Polidoro da Caravaggio, Rome, 1969

2 Dominique Cordellier, Polidoro da Caravaggio, Paris, 2007, p.13

Nous y retrouvons les mêmes physionomies outrées, aux traits et aux mains déformés et allongés (ill. 2), ainsi que le même traitement des drapés et de la lumière rendu par un savant réseau de hachuresnerveuses.

(ill. 2) notre feuille confrontée aux dessins du Louvre et du British Museum (détails)

(ill. 3) Polidoro da Caravaggio, La Vierge à l’Enfant (Sanguine - 7,4 x 6,7 cm, collection particulière)

Notre œuvre peut également être rapprochée d’un dessin au sujet proche (ill. 3) conservé dans une collection particulière et vendue 38 800 € chez Sotheby’s en 2015 (lot n°32, « Old Master & British Drawings », 08/07/2015). Certes à la sanguine, cette feuille de dimension comparable à la nôtre, présente des caractéristiques graphiques très similaires.

IL DISEGNATORE MISTERIOSO

souvent identifié comme le jeune GRECO (1541-1614) à Venise

Double étude pour un Christ et un saint Jérôme

Plume et encre brune - 21,6 x 16 cm

Provenance :

Kate Ganz Ltd, Exposition Master Drawing 1500-1900, Londres, été 1989 (comme Palma le Jeune)

Sotheby’s, New York, 8 janvier 1991, lot 12 (comme Palma le Jeune)

Bibliographie comparative :

Stefania Mason Rinaldi, « Da una costola di Palma il Giovane: il disegnatore misterioso », artibus et historique, n° 55, 2007, pp. 115-127

Nicholas Turner, « A proposal for El Greco as a draftsman », Master Drawings, Volume 45, n° 3, 2007, pp. 291-324

Nous remercions la professeure Stefania Mason Rinaldi d’avoir confirmé que notre dessin est de la mainduDisegnatoreMisterioso.

Le Disegnatore Misterioso, le jeune Greco à Venise ?

Auparavant attribuée à Palma le Jeune (1550-1628), notre œuvre est en réalité de la même main qu’un ensemble de dessins, au style typique et aisément identifiable, dont l’identité de l’auteur fait aujourd’hui débat au sein des spécialistes. En l’absence de consensus, ce maître est, par convention, désignécomme«ilDisegnatoreMisterioso».

La manière de ses dessins, sans conteste vénitienne de la fin du XVIe siècle, est très proche de Tintoret (1519-1594), Schiavone (vers 1510-1563) et Palma le Jeune (1550-1628), sans qu’une attribution à l’un de ses maîtres n’ait pu être retenue de façon convaincante1. Ils ont été, pour la première fois, mis en rapport par le couple d’historiens de l’art Hans Tietze and Erica Tietze-Conrat, comprenant qu’ils appartiennent à une même main et à une même période. Ils les ont alors catalogués comme « Palma le Jeune dans sa période tintoresque », en précisant toutefois que cette attribution est « difficile à prouver »2. Cette hypothèse est d’ailleurs, aujourd’hui, unanimement réfutée.

L’historiendel’artNicholasTurner3défendqueleDisegnatoreMisterioson’estautrequelejeune —-

1 John Marciari, Drawing in Tintoretto's Venice, Catalogue de l’exposition à la Morgan Library, New York, 2019, Chap. 6, The Drawings of the Young El Greco in Italy, pp. 167-184

2 Hans Tietze and Erica Tietze-Conrat, The Drawings of the Venetian Painters in the 15th and 16th Centuries, New York, 1948, réimprimé 1970

3 Nicholas Turner, « A proposal for El Greco as a draftsman », Master Drawings. Volume 45, n° 3, 2007, pp. 291-324

Domenikos Theotokopoulos, universellement connu comme El Greco, durant son séjour italien. Le célèbre maître d’origine crétoise, principalement réputé pour ses travaux tolédans sous le patronage de Philippe II d’Espagne, a, en effet, séjourné à Venise de 1568 à 1570 où il aurait fréquenté l’atelier du Tintoret qui marque profondément son style. Dans une démonstration très convaincante et étayée, il se base sur les styles de deux des trois seuls dessins irréfutables du Greco (ill.1) et se propose de rapprocher plusieurs de ses peintures de dessins du Disegnatore Misterioso (exempleenill.2).

(ill. 1) El Greco, Saint Jean le Baptiste et Saint Jean l’évangéliste (Genève, Fondation Jan Krugier)

Également publiée en 2007, Stefania Mason Rinaldi avance une thèse alternative et attribue ses dessins au peintre vénitien Alessandro Maganza (1556-1632)4.

L’historienne de l’art fonde son hypothèse sur un rapprochement qu’elle opère entre une feuille du corpus du Disegnatore Misterioso et une toile de MaganzareprésentantlaCène(ill.3).

Au fond, peu importe qu’il s’agisse du Greco, de Maganza ou d’un autre maître, tant la grande « qualité intense et frénétique » (Nicholas Turner) de l’œuvre graphique du Disegnatore Misterioso nous semble évidente, élevant cet artiste au rang des plus fascinants dessinateursdelaVenisedutempsdeTintoret.

Un dessin bouillonnant, typique de la manière du Disegnatore Misterioso

Notre feuille présente deux études de figures, très probablement indépendantes l’une de l’autre bien qu’entrelacées. Celle du premier plan peut aisément être identifiée comme saint Jérôme. Fidèle à l’iconographie habituelle, le saint ermite est représenté à demi nu et à genoux, devant une croix (ici finement esquissée à droite), se mortifiant la poitrine de la main droite à l’aide d’une pierre tandis qu’il tient une bible dans la main gauche. Rappelons, en effet, que le saint cardinal a traduit les quatre évangiles en latin en 383. L'étude du second plan, quant à elle, représente le Christ, reconnaissable à son nimbe crucifère (auréole en forme de croix). Son bras levé ainsi que l’objet de forme carrée (peut-être une partie de tombe), dont il semble sortir, nous poussent à supposer qu’il s’agitd’uneétudepourunChristressuscité.

Notre dessin est tout à fait représentatif de la « qualité intense et frénétique » du Disegnatore Misterioso, pour reprendre les termes de Nicholas Turner. Sa grande force visuelle réside dans l'entremêlement des deux études, rendu par une plume à la fois libre et bouillonnante, entre Tintoret et Palma le Jeune. Les deux figures semblent parfois difficiles à distinguer l’une de l’autre et apparaissent presque comme une sorte de créature bicéphale. Cette grande vivacité de traitement associée aux formes simplifiées et enchevêtrées des figures confèrent à notre dessin une facture trèsmoderne(osonscetanachronisme!). xxxx

4 Stefania Mason Rinaldi, « Da una costola di Palma il Giovane: il disegnatore misterioso », artibus et historique n° 55, 2007, pp. 115-127

(ill. 2) rapprochement fait par Nicholas Turner entre un tableau du Greco (National Gallery d’Athènes) et deux dessins de la main du Disegnatore Misterioso (respectivement Art Museum d’Harvard et musée du Louvre)

(ill. 3) rapprochement fait par Stefania Mason Rinaldi entre un dessin du Disegnatore Misterioso (Morgan Library) et la Cène d’Alessandro Maganza (cathédrale de Vicence)

Œuvres à rapprocher de la nôtre

Comme nous l’a confirmé la professeure Stefania Mason Rinaldi, notre œuvre doit être rendue au DisegnatoreMisterioso.

Parmi le corpus cohérent de notre artiste, publié comme « attribué à Maganza » par Stefania Mason Rinaldi et comme « attribué à El Greco » par Nicholas Turner, relevons en particulier trois feuilles (ill. 4) dont les physionomies ainsi que la liberté et la frénésie du traitement nous permettent de rendre aisément notre feuille au Disegnatore Misterioso : deux conservées au musée du Louvre et une conservée dans une collection particulière et vendue 60 000 € chez Sotheby’s en 2015 (lot n°28, « OldMaster&BritishDrawings»,08/07/2015).

(ill. 4) notre feuille confrontée à la Mise au tombeau (musée du Louvre), le Christ mort soutenu par une figure (musée du Louvre) et la Pietà (collection particulière) du Disegnatore Misterioso

Jacopo PALMA, dit PALMA LE JEUNE

Venise, 1550-1628

Groupe de quatre figures (recto)

Trois études d’hommes assis et une étude de tête de jeune enfant (verso)

Plume et lavis d’encre brune sur traits de pierre noire et rehauts de craie blanche (recto)

Plume et encre brune (verso)

19,2 x 14,2 cm

Bibliographie générale :

Stefania Mason Rinaldi, Palma il Giovane: l'opera completa, Milan, 1984

Stefania Mason Rinaldi (sous la direction de), Palma il Giovane, 1548-1628: disegni e dipinti, catalogue de l’exposition, Venise, musée Correr, 1990

Nous remercions la professeure Stefania Mason Rinaldi d’avoir confirmé le caractère autographe de notrefeuille.

Palma dessinateur, « synthèse et conclusion de la Renaissance vénitienne »1

Appelé « Le Jeune » pour le différencier de son grand-oncle Palma Negretti, ou Palma Le Vieux (v. 1480-1528), notre artiste se forme auprès de son père Antonio (1515-v.1580), avant de participer aux séances de dessin dans l’atelier du Tintoret (1518-1594) qui marque son style de manière indélébile. Très vite, Palma Le Jeune enchaîne les commandes prestigieuses. Il participe notamment au décor du plafond de la Sala del Maggior Consiglio du Palais des Doges, chantier qu’il partage avec Tintoret. Après la mort des trois grands maîtres vénitiens (Titien, Véronèse et Tintoret) au tournant duXVIIesiècle,PalmaleJeunedevientlechefdefiledespeintresdelaSérénissime.

Dessinateur virtuose et prolifique, inventeur d’un style graphique puissant, « à la fois synthèse et conclusion de la Renaissance vénitienne », il exerce une influence déterminante sur la pratique du dessindanslaVenisedesontemps.

Une feuille recto-verso, témoin de deux manières complémentaires de Palma

Notre feuille constitue un intéressant témoignage en ce qu’elle nous permet d'appréhender deux facettes complémentaires de l'artiste. Tandis que le recto présente une étude aboutie, d’une facture très léchée avec un lavis délicatement appliqué, le verso, quant à lui, comporte des études schématiques,trèsrapidementexécutéesparuneplumeàlafoispréciseetnerveuse.

Si nous n’avons pu trouver d’œuvre achevée en rapport avec le dessin figurant au recto, l’harmonie dansl’agencementdesfiguressuggèrequ’ils’agitd’uneétudepourungroupe xxxx

1 John Marciari, Drawing in Tintoretto's Venice, Catalogue de l’exposition à la Morgan Library, New York, 2019, Chap. 7, « Sketches: the drawings of Palma Giovane », p. 185

Recto

cohérent de personnages. En l'absence du reste de la composition, le sujet demeure difficile à interpréter même si tout porte à croire que l’artiste dépeint une scène dramatique. Les postures mouvementées et contorsionnées des deux hommes tendant leurs bras vers une figure gisant dans l'obscurité (un cadavre ?), leur expression effrayée, soulignée par un lavis très dense, ainsi que la présence d’un militaire tapis dans l’ombre confèrent une atmosphère inquiétante à l'ensemble. Le fort clair-obscur rendu par un habile travail au lavis (tantôt très fort, tantôt subtilement appliqué) et l’utilisation parcimonieuse de rehauts de craie blanche, renforcent le caractère dramatique de cette scènemystérieuse.

Le verso présente trois études d’une même figure d’homme assis et une étude de tête de jeune enfantoude putto.Cescroquis,trèsrapidementexécutésparuneplumeàlafoissûreetfrénétique, témoignent d’une pratique héritée de Véronèse (1528-1588) qui avait pour habitude de multiplier les petites figures à la plume sur une même feuille. Notons tout de même une particularité dans l'exercice de Palma qui ordonne et espace ses études à la différence de Véronèse qui les juxtaposait demanièrequasicontinue2

Il nous semble naturel de rapprocher ces dessins à la plume de ceux du Kupferstichkabinett de Berlin et de la Studien Bibliotheken de Salzbourg (ill. 1), que Stefania Mason met en rapport avec des figures de la toile monumentale du Jugement Dernier de la Sala dello Scrutinio du Palais des Doges3. Il est très probable que nos études soient également des primi pensieri d’un personnage présent dansunedesnombreusesnuéesdesaintspeintesparPalma.

Quant à la tête, elle peut facilement être rapprochée de nombreuses figures d’enfants (ex. en ill. 2), de putti ou d’enfants Jésus peintes par Palma, sans que l’une d’elles, plus qu’une autre, ne puisse êtremiseenrelationaveccertitudeavecnotrefeuille.

(ill. 2) La Naissance de la Vierge (détail) de la Chiesa parrocchiale di Trebaseleghe confrontée à notre étude

2 Andrew Robinson, La Poesia della Luce: Disegni veneziani dalla National Gallery of Art di Washington, Catalogue de l’exposition, Venise, Musée Correr, 2014-15, no. 32

3 Stefania Mason Rinaldi, 1984, p. 272

Pietro MALOMBRA

Venise, 1556-1618

Le Massacre des innocents

Vers 1586-1590

Plume et lavis d’encre brune - 20,5 x 30 cm

Bibliographie comparative :

Bert W. Meyer, Il disegno veneziano 1580-1650, Ricostruzioni storico-artistiche, Florence, 2017, Chap.20, Pietro Malombra, pp. 279-306

Nous remercions les professeurs Bert W. Meyer (Il disegno veneziano 1580-1650, Ricostruzioni storico-artistiche,Florence,2017)etAndreaPiai(«PietroMalombra:moraliinventioni,mitologie,temi sacri », Musica & Figura, Venise, 2022, pp. 35-50) d’avoir confirmé le caractère autographe de notre feuille.

Une œuvre inédite d’un artiste rare

Initialement anonyme, nous avons pu rendre le présent dessin avec certitude à Pietro Malombra. Cette attribution nous a été confirmée par le professeur Bert W. Meyer et Andrea Piai. Ce dernier se proposededaternotrefeuillevers1586-1590.

Pietro Malombra a été mentionné par l’important théoricien de l'art Marco Boschini (1602-1681) comme ayant fait partie d’une « fraternité » de sept artistes1, réunis autour de la figure de Palma le Jeune (1544-1628) et liés par un style proche, très marqué par le coloris des maîtres vénitiens du XVIesiècle.

Né en à Venise en 1556, il est le fils de Bartolomeo, commis à la Chancellerie ducale et de Caterina Vasti. Selon Carlo Ridolfi (1595-1658), il passe sa jeunesse à travailler pour son père et n'entre dans lemondedelapeinturequebienplustard,enrejoignantl'atelierdeGiuseppePorta,ditilSalviati.

Même si la très grande majorité de ses œuvres a aujourd’hui disparu, les textes anciens2 nous permettent d’affirmer qu’il a exercé une activité artistique très importante pour toute la Sérénissime. Il réalise, notamment, de nombreux autels d’églises et des tableaux d’histoire pour le décor du Palais des Doges. En ce qui concerne son œuvre graphique, il ne nous reste aujourd’hui qu’unequarantainedefeuillesconnues3,pourlaplupartconservéesdesinstitutions. dd

rt

1 Marco Boschini, Breve istruzione… en Boschini, 1674, éd. A. PALLUCCHINI 1966, p. 740-742. Les sept artistes nommés sont Palma il Giovane, Leonardo Corona, Andrea Vicentino, Sante Peranda, Antonio Foler, Pietro Malombra et Girolamo Pilotti.

2 Citons, entre autres, Carlo Ridolfi, Maraviglie dell'arte, 1648

3Bert W. Meijer, Il disegno veneziano 1580-1650, Ricostruzioni storico-artistiche, Florence 2017, p.280

Un sujet violent traité avec terribilità

Relaté dans l’Évangile selon Matthieu, le massacre des innocents désigne le meurtre de tous les enfants de moins de deux ans de la région de Bethléem, ordonné par le roi Hérode qui craignait l’avènementd’unnouveauroidesJuifsaumomentdelanaissanceduChrist.

Notons que Pietro Malombra opte ici pour une solution formelle et narrative atypique pour l’époque :ilreprésentelestroistemporalitésdelascèneréuniesenunemêmecomposition.Ilfigureeneffet

● Hérodeordonnantlemassacre,montésursontrôneenhautàgauchedelacomposition

● Lemassacrelui-même

● Les conséquences du massacre, avec la Sainte Famille fuyant en Égypte, visible au fond de la composition

Outre cette originalité, la grande force de notre feuille réside dans un traitement vigoureux illustrant toute la violence et la confusion de la scène. La vivacité de la plume alliée au fort clair-obscur rendu par un lavis très contrasté accentuent le dramatisme de la lutte : la sinistre mêlée apparaît comme un enchevêtrement de corps contorsionnés dans lequel bourreaux et victimes sont parfois difficiles àdistinguer.

Nul doute que Pietro Malombra ait ici réinterprété les solutions formelles déployées par le Tintoret dans sa célèbre toile de la Scuola Grande di San Rocco (ill. 1 et 2). Ces emprunts ont d'ailleurs trompé un ancien collectionneur qui a attribué notre dessin au grand maître vénitien et l’a annoté « tintoretto»enbasàgauche.

(ill. 1) Le Tintoret, Le Massacre des innocents (Venise, Scuola Grande di San Rocco)
(ill. 2) Notre feuille confrontée à Tintoret (détails)

Œuvres à rapprocher de la nôtre

Notre œuvre a pu être rendue à Pietro Malombra grâce à de nombreuses similitudes stylistiques qu'elle partage avec des feuilles connues de son corpus, en particulier des physionomies très caractéristiques(ill.3) ainsiqu’unfortclair-obscurrenduparunlaviscontrasté(ill.4).

(ill. 3) Enlèvement d’une jeune femme (musée civique de Bassano) et Le martyre de sainte Lucie (collection particulière) confrontés à notre feuille (détails)

(ill. 4) Jeune homme portant un sac (bibliothèque royale de Turin), Descente de croix (collection particulière) et Étude de couples de lutteurs (musée du Louvre)

Fernão GOMES

Alburquerque, 1548 - Lisbonne, 1612

La dispute des docteurs de l'Église

Plume et lavis à l'encre brune - 25,8 x 20 cm

Un rare témoin du maniérisme portugais rendu à Fernão Gomes

Acquis comme anonyme, nous avons pu rendre notre dessin avec certitude à Fernão Gomes grâce aux très fortes similitudes graphiques qu’il présente avec une feuille (ill. 1) conservée au Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne. Ce dessin, signé et daté de 1599, est préparatoire à la grande ascension du Christ de L'église de São Julião de Lisbonne, malheureusement disparue, comme la majeure partie de son œuvre, suite au tremblement de terre de 1755. Notre artiste, né à Albuquerque en Castille, se forme à Delft auprès d'Anthony Blocklandt (1533-1583) avant de s’installer définitivement à Lisbonne en 1573 où il rencontre un grand succès : en 1594, il est y nommé«peintreàl'huiledesamajesté»parPhilippeIId'Espagne(1527-1598)1.

de Arte Antiga)

La confrontation des deux dessins permet de rendre avec évidence notre feuille à Fernão Gomes (et non à Toussaint Dubreuil comme le suggère une inscription au dos de la feuille), tant leurs caractéristiques stylistiques, très marquées, sont proches. Relevons, en particulier, les physionomies très stylisées (ill. 2), aux membres exagérément allongés et aux poses et attitudes outrées ainsi que les mains excessivement musculeuses et déformées, dont le pouce et l'auriculaire présentent un écartement impossible. Notons également que la figure de l’apôtre levant le bras (figure de droite de l’image de gauche de l’ill. 2) est la même que celle du docteur pointant une bible du doigt (image centrale de l’ill. 2). Ces caractéristiques font de notre dessin un très rare témoignage du maniérisme tardif lisboète, synthèse entre les innovations venues d’Italie, leur réinterprétation nordique et les premiers effets esthétiques de la Contre-Réforme entretenue par la domination espagnole.

1 Vitor Serrão, « Fernão Gomes, Pintor maneirista de bravo talento » dans Revistas Oceanos, n°1, juin 1989, p. 27

(ill. 1) Fernão Gomes, L’ascension du Christ (Lisbonne, Museu Nacional

(ill. 2) confrontation des figures des deux dessins (détails)

Un sujet issu de la Contre-Réforme

Le sujet de notre dessin, la dispute des docteurs de l'Église, est d’ailleurs directement issu de ce mouvement de réaction de l’Église : face à l’émergence du protestantisme, il s’agit d’imposer à nouveau la bonne interprétation de la Bible. Occupée à cette tâche, une assemblée de sages et d’ érudits débat ardemment autour de livres ouverts. La robustesse et les lourds drapés des figures (ill.3) évoquent directement les prophètes des niches de la chapelle Sixtine. Leurs attitudes, très expressives,retranscriventunediscussionhouleuseetpassionnée.

Au sommet du groupe central (détail ci-contre), un ange, penché au-dessus d’un des docteurs, semble le guider dans son exégèse. En surplomb, une figure effrayante à tête de mort fond sur le groupe, la langue tirée, tout en pointant un autre livre ouvert. Peut-être peut-on voir, dans cette apparition maléfique, une allégorie de l’hérésie protestante tentant d’induire en erreur les fidèles de l’Église.

Giovanni FEDINI

Florence, 1539-1600

L'Annonciation

Vers 1571

Plume et lavis à l'encre brune - 25,8 x 20 cm

Filigrane : étoile à cinq branche inscrite dans un cercle surmonté d’une croix latine (proche du Briquet 6089)

Bibliographie générale : Alessandro Nesi, Due « minorissimi » dello Studiolo: Francesco Coscia e Giovanni Fedini, Florence, 2023

Nous remercions le professeur Alessandro Nesi d’avoir attribué notre dessin à Giovanni Fedini et rédigé la présente notice. Historien de l’art spécialiste du maniérisme florentin, il a publié plusieurs travauxsurcetartiste.Notredessinseraprochainementpubliédansundesesfutursouvrages.

Un dessin alla macchia, caractéristique du maniérisme florentin

La facture extrêmement vive du présent dessin, la synthèse des formes qu'il propose ainsi que la référence à une gravure publiée en 1571 nous orientent immédiatement vers un environnement pictural, une période et un artiste bien précis. La gravure en question est une célèbre Annonciation, réalisée en 1571 par le graveur flamand Cornelis Cort (1533-1578), d’après une fresque exécutée par Federico Zuccari (1539-1609), entre 1566 et 1567, dans l'église jésuite de Santa Maria Annunziata, au Collegio Romano à Rome, dont il ne subsiste qu’un fragment représentant le buste delaVierge.

L’auteur de notre dessin reprend de la gravure la figure de la Vierge (ill. 1) agenouillée sur la gauche près du lutrin, vue de profil, la main gauche sur la poitrine et la tête inclinée ; à la seule différence que le bras droit est allongé le long du corps et non en raccourci, comme on peut l'observer dans le prototypemuralfragmentaireetdanslagravure.

(ill. 1) Cornelis Cort d’après Federico Zuccaro, L'Annonciation (Londres, British Museum)

L'archange Gabriel est, quant à lui, une création personnelle. Le traitement du corps, exagérément fin et allongé, ainsi que la stylisation géométrique du visage et des détails du vêtement, révèlent que l'auteurdecedessinestGiovanniFedini,l'undesartistesinscritsàl'académiedudessindeFlorence.

Giorgio Vasari et Vincenzo Borghini l'appelèrent entre 1570 et 1572 pour décorer le Studiolo du Prince François de Médicis au Palazzo Vecchio de Florence. Pour ce chantier, Fedini réalise l’ovale représentant l’épisode mythologique de l'Anneau de Polycrate de Samos (ill.2), où l’on observe des figures aux poses figées et aux formes stylisées qui servent déjà de points de comparaison pour le dessinicianalysé.

Toutefois, les comparaisons les plus évidentes se font avec la fresque monochrome (ill. 3) que l'artiste réalise pour la Chapelle des peintres de l’église de la Santissima Annunziata, également à Florence, où les académiciens se réunissaient et étaient enterrés. Dans cette fresque, représentant La Rencontre entre Abraham et Melchisédech, dont l'exécution est documentée en octobre 1570, nous retrouvons exactement le style de notre Annonciation (ill. 4). On y observe, en effet, des figures schématiques, exagérément élancées et allongées (voire décharnées), avec des visages larvaires à peine esquissés comme celui de l'archange, ainsi que des vêtements aux plis très marqués et délimités par des contours sombres, rehaussés de touches lumineuses appliquées rapidement par petites touches claires. Il se dégage donc une identité stylistique indéniable, particulièrement évidente dans ces œuvres monochromes, mais également présente dans d'autres travaux polychromes que j'ai récemment attribués à Fedinilorsd'uneétuderécente.

Dans le dessin comme dans la fresque, notre artiste adopte une technique qui, dès le XVIe siècle à Florence, était appelée alla macchia, signifiant une exécution rapide, synthétique et spontanée, mais en même tempsassuréeetmaîtrisée.Cestyletémoignenonpas d'une qualité approximative due à un métier médiocre, mais de cette « sprezzatura » typique du maniérisme, c'est-à-dire la capacité à créer une manière personnelle faite de synthèses figuratives, parfoiscomplexesetdifficiles,maisréaliséesavecunefacilitéapparente.

Le présent dessin de l'Annonciation, daté vers 1571, est donc une œuvre rare et précieuse, tant les œuvres connues de Fedini sont peu nombreuses. Cette grande rareté s’explique probablement parcequecetartistecombinesonactivitédepeintreàcelled’écrivain.Ilécrit xxx

(ill. 2) Giovanni Fedini, L’Anneau de Polycrate de Samos (Florence, Palazzo Vecchio)

notamment en 1583 une pièce de théâtre intitulée Le due Persilie, jouée la même année à Florence, accompagnéeparlamusiqueducélèbrecompositeurdelacourmédicéenne,JacopoPeri.

(ill. 3) Giovanni Fedini, La rencontre entre Abraham et Melchisédech (Florence, Église de la Santissima Annunziata)

(ill. 4) Confrontation entre la fresque de la Santissima Annunziata et notre feuille (détails)

Alessandro Nesi (traduitdel’italienparnossoins)

Le MAÎTRE des MARTYRES

actif à Naples lors de la première moitié du XVIIe siècle

Le Martyre de saint Laurent

Huile sur toile - 62,5 x 76 cm

Bibliographie comparative :

Pierluigi Leone de Castris, « Maestro dei martiri », dans Il Barocco a Lecce e nel Salento, catalogue de l'exposition, sous la direction de A. Cassiano, Lecce, 1995, p. 64

Giuseppe Porzio, « Martirio di San Stefano », dans Il Museo Diocesano di Napoli. Percorsi di fede e arte, catalogue sous la direction de Pierluigi Leone de Castris, Naples, 2008, pp. 134-135, n. 42

Nous remercions chaleureusement le professeur Pierluigi Leone De Castris de nous avoir confirmé l’attribution de ce tableau. Historien de l’art, entre autres grand spécialiste de la peinture napolitaine,onluidoitlespremièresétudessurnotreartiste.

Une œuvre inédite d’un artiste rare, encore à découvrir

Notre tableau constitue une découverte : acquis comme anonyme, nous avons pu le rendre avec certitude au Maître des Martyres, grâce au concours du professeur Pierluigi Leone de Castris, le premieràavoirétudiécetartistenapolitainactiflorsdelapremièremoitiéduXVIIesiècle.

Son corpus connu, très restreint, est principalement composé de scènes de martyres, d’où il tire son nom de convention. Si ce maître reste à identifier, nous savons qu’il appartient au même groupe d'artistes que Filippo d'Angeli (1600-1660), François de Nomé dit Monsù Desiderio (vers 1593 - après 1623) (ill. 1) et Cornelio Brusco (1606-1620), dont il a sans doute été l’élève1. Il partage avec eux de nombreuses similitudes stylistiques : un certain goût pour le ténébrisme, une touche vive souvent visibleetdesfiguresauxproportionsexagérémentallongées,encoreempreintesdemaniérisme.

rt

(ill. 1) François de Nomé, Vue architecturale fantastique (Metz, musée de la cour d’or)

1de Castris, 1995, p. 64.

Un sujet violent traité avec fougue

En 258, le diacre Laurent de Rome est martyrisé pour avoir distribué aux pauvres les richesses de l'Église convoitées par l'empereur Valérien. Condamné par le préfet de Rome à se consumer longuement sur un gril, saint Laurent reste miraculeusement insensible à la douleur. Selon Jacques de Voragine, il aurait même nargué son bourreau en lui déclarant : « Eh bien, tu m’as suffisamment rôtid’uncôté,retourne-moidel’autrecôté,aprèsquoijeseraiàpoint!»2.

Cet étonnant tableau, par son traitement fougueux, caractérisé par un pinceau vif, appliqué en touches visibles et nerveuses, rend toute la violence du sujet. L’artiste y représente la scène à son acmé : sur le point de succomber, saint Laurent, représenté dans un audacieux raccourci et baigné d’un violent clair-obscur, tend le bras vers le ciel pour recevoir de deux anges entrelacés la couronne etlapalmedesmartyrs.

Ses bourreaux, affairés, se contorsionnent autour du saint supplicié tandis que d’autres groupes épars de soldats encadrent la scène. L’ensemble est complété par d’inquiétantes figures en toge, dont la présence, quasi fantomatique, est à peine suggérée par quelques vifs coups de pinceau (procédé que l’on retrouve dans nombre de tableaux de François de Nomé). Trônant en haut à gauche de la composition, le préfet, accompagné d’un conseiller, ordonne le châtiment. Il est surplombé d’un grand rideau rouge auquel répond l'étendard du cavalier ; cet effet théâtral renforçantledramatismedumartyre.

Œuvres à rapprocher de la nôtre

Si le corpus du Maître des Martyres reste encore, dans sa majorité, à découvrir, ses quelques œuvres connues nous ont permis de lui attribuer notre tableau avec certitude, tant ses caractéristiquesstylistiquessontmarquéesetaisémentidentifiables.

Citons, en particulier, deux toiles : la première (ill. 2) du musée diocésien de Naples, publiée en 20083, et la deuxième (ill. 3), d’une collection particulière, aussi un Martyre de saint Laurent, dont la compositionesttrèsprochedelanôtre.

Nous y reconnaissons, sans difficulté, les caractéristiques propres au Maître des Martyres et présentes dans notre œuvre. Relevons, entre autres, une touche nerveuse et visible, des effets de lumières violents et des physionomies très marquées, aux bras exagérément allongés et aux mains semblables à des pinces de crabe ; caractéristiques que l’on retrouvera plus tard chez nombre de maîtres napolitains, comme Carlo Coppola (documenté entre 1653 et 1665) ou Domenico Gargiulo ditMiccoSpadaro(1610-1675).

2 Jacques de Voragine, La Légende dorée (1221-1226), traduction de T. de Wyzewa, Paris, Perrin et Cie, 1910, p. 423

3 Giuseppe Porzio, In Il Museo Diocesano di Napoli. Percorsi di fede e arte, catalogue sous la direction de Pierluigi Leone de Castris, Naples 2008, pp. 134-135, n. 42

Jacques STELLA

Lyon, 1596 - Paris, 1657

Saint Paul martyr

Plume et encre brune, lavis gris - 15,3 x 13 cm

Provenance :

Collection non identifiée de la seconde moitié du XVIIIe siècle (paraphe L. 2956, en bas à droite du montage)

Collection particulière parisienne, acquis lors d’une vente anonyme toulousaine, le 4 juin 1996

Bibliographie générale :

Jacques Thuillier, Jacques Stella, Paris, 2006

Un dessin raffiné, emblématique de la manière tardive de Stella

L’artiste représente ici Saint Paul recevant d’un putto la couronne et la palme du martyre. Aisément identifiable par ses attributs traditionnels (sa tenue de légionnaire et son épée, instrument de son martyre), le saint occupe la quasi-totalité de la composition. On devine, en fond, un décor à l’antique qui renvoie explicitement à la Rome du Ier siècle, lieu de sa décollation. Son visage, irradié par un halo de lumière divine et sa main droite, posée sur sa poitrine, expriment un mélange d’extase contenue et d’apaisement : il embrasse sa condition de martyre et est prêt à accéder au royaume céleste.

rt

D’une grande fraîcheur, notre feuille est exemplaire du style de Jacques Stella : synthèse entre rigueur poussinesque et douceur italienne. Remarquons qu’elle a été passée au stylet, technique alors courante pour reporter un dessin surunautresupport(gravureoutableau).

Si l'œuvre finale n’a pu être retrouvée, d’un point de vue stylistique, nous pouvons dater notre dessin des années 1645-1655, époque de la grande suite de « La vie de la Vierge ». Notre œuvre s'apparente en effet grandement à la manière des dessins préparatoires à cette suite (exemple en ill. 1), caractérisée par un trait sûr, une lumière élégante et une physionomie masculine très marquée,prochedenotreSaintPaul.

(ill. 1) Jacques Stella, La fuite en Égypte (New York, Metropolitan Museum)

Jacques Stella, peintre de Louis XIII

Éminent peintre du Grand Siècle Français, Jacques Stella est issu d’une illustre famille d’artistes lyonnais. Après une formation dans sa ville natale, dont on sait peu de choses, il part s’établir à Florence,de1616à1621,oùiltravaillepourlacourdeCosmeIIdeMédicis.

Il s’installe ensuite à Rome, de 1622 à 1634. C’est véritablement durant cette période qu’il acquiert sa maturité de peintre et rencontre ses premiers grands succès. Il s’intègre rapidement au milieu artistique romain et côtoie nombre des plus grands artistes de son temps. Nommons, entre autres, Simon Vouet, Claude Vignon, Artemisia Gentileschi, Pierre de Cortone, le Bernin et Nicolas Poussin avec qui il se lie d’amitié. Il honore des commandes pour les plus hauts mécènes, notamment le cardinal Scipion Borghèse et le pape Urbain VIII.Dans les œuvres de Stella produites à cette époque, citons, Le Christ en croix et sainte Madeleine conservé au Louvre (ill. 2), qui traduitlesinfluencescroiséesdubouillonnementartistique de la Rome d’alors, entre caravagisme, maniérisme finissantetclassicismebolonais.

En 1634, il rentre à Lyon puis s’installe à Paris où, grâce au concours de Richelieu, il se met au service de Louis XIII qui le nomme peintre du roi en 1635. Ce titre lui donne accès à un logement aux galeries du Louvre et au versement d’une pensionannuelle.

Durant ces années françaises, il connaît un certain succès, en particulier grâce à ses peintures sur supports précieux (albâtre, lapis lazuli, onyx…) et sa participation à de nombreux chantiers de décoration prestigieux (la chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye, le palais de Richelieu…). Il développe alors un style plus personnel, très marqué par Poussin, et participe à l’essor de l’atticisme danslesannées1640-1660.

(ill. 2) Jacques Stella, Le Christ en croix et sainte Madeleine (Paris, musée du Louvre)

Guillaume COURTOIS, dit IL BORGOGNONE

Saint-Hippolyte, 1628 - Rome, 1679

La Conversion de saint Paul

Lavis brun sur traits de pierre noire - 27,5 x 20,3 cm

Bibliographie comparative :

Dieter Graf, Kunstmuseum Düsseldorf, Die Handzeichnungen von Guglielmo Cortese und Giovanni Battista Gaulli, Vol. II, Düsseldorf, 1976, pp. 64-65

Un dessin enlevé et tumultueux, typique du baroque romain

LaconversiondesaintPaulnousestnarréedanslelivredes Actes des apôtres du Nouveau Testament. Alors qu’il est en route pour Damas, le saint, encore légionnaire et persécuteur des premiers chrétiens, voit le Christ lui apparaître sous forme de lumière. Aussitôt, il tombe de son cheval et est frappé de cécité. Désormais converti, il est baptisé trois jours après par saint Ananie qui lui rend la vue. Ce récit a été représenté à maintes reprises par les artistes baroques qui, fidèles aux préceptes delaContre-Réforme,peignaientnombrederécitsbibliquesédifiants,exaltantlafoicatholique.

Guillaume Courtois dessine ici la scène à son acmé : ébloui par la lumière divine, Paul, inconscient, vient de tomber de son cheval encore cabré. Tandis qu’un de ses camarades tente de lui venir en aide, les autres légionnaires s’agitent dans une grande confusion, effrayés par le miracle. La grande vivacité du pinceau mêlé au fort clair-obscur rendu par un lavis très contrasté accentuent le dramatisme de l’ensemble. Les témoins du miracle sont traités comme une masse bouillonnante au pieddelaquellegîtlafiguredusaint,baignéedansunhalodelumière.

Outre cette grande vigueur de traitement, notons la rareté de la technique employée. Il Borgognone a d’abord, très rapidement, tracé les grands contours de sa composition à la pierre noire sur lesquels il a ensuite appliqué l’encre au pinceau, dans un geste proche de celui d’un peintre. Remarquons que seule la figure du Christ, en haut à gauche de notre feuille, n’a pas été recouverte d’encre. Ce procédé rend sa présence à peine palpable, renforçant le caractère miraculeux de son apparition.

Guillaume Courtois, peintre romain

Comme son frère aîné, le peintre de batailles Jacques Courtois (1621-1671), Guillaume naît à Saint-Hippolyte, ville appartenant alors au comté de Bourgogne. Il effectue toute sa carrière à Rome oùils'installedèssonenfanceavecsafamille,fuyantlapesteetlaGuerredeDixAns.

Ilseformedansl’atelierdePierredeCortone(1597-1669)dontl’influencemarque

marque profondément son style. C'est dans une manière « cortonesque, animée et sonore »1, que Guillaume Courtois, sous la direction du Bernin (1598-1680), produit nombre de décors dans des églisesetdespalaisédifiéssouslepontificatd'AlexandreVIIChigi(1599-1667).

Citons, parmi les exemples les plus emblématiques, la Crucifixion de Saint André pour l’église Saint André du Quirinal (ill. 1), La Bataille de Josué de la galerie du Palais du Quirinal ou encore ses tableaux monumentaux, réalisés en collaboration avec Gaspard Dughet2 (1625-1675), pour la « salle duprince»dupalaisDoria-Pamphilj.

S’il est très influencé par la manière de son maître, il parvient à développer son propre style, très apprécié par ses contemporains. Ses tableaux, brillamment colorés et fortement contrastés, servis par une touche large et une matière savoureuse, ainsi que ses dessins, pour beaucoup attribués jusqu’à récemment à Giovanni Lanfranco2 (1592-1647), font de lui, avant peut-être Ciro Ferri (1634-1689)etLazzaroBaldi(1624-1703),undesplusbrillantsélèvesdePierredeCortone.

1 Francesco Alberto Salvagnini, Le pitture di Guglielmo Courtois (Cortese) e la loro casa in Piazza di Spagna, Rome, 1937

2 Gaspard Dughet en exécuta les paysages et Guillaume Courtois les personnages.

3 Dieter Graf, Kunstmuseum Düsseldorf, Die Handzeichnungen von Guglielmo Cortese und Giovanni Battista Gaulli, Düsseldorf, 1976

(ill. 1) Guillaume Courtois, La Crucifixion de Saint André encadrée par le décor du Bernin (Rome, Saint André du Quirinal)

Guillaume COURTOIS, dit IL BORGOGNONE

Saint-Hippolyte, 1628 - Rome, 1679

Vénus, Mars et Adonis

Huile sur toile - 69 x 77 cm

Provenance : New York, Sotheby’s, 7 avril 1989, lot n° 89 Milan, Finarte, 25 novembre 1998, lot n° 50

Bibliographie :

Valeria Di Giuseppe Di Paolo, « Guillaume Courtois nel cantiere di Nettuno e lo stile del Sesto Decennio », dans Storia dell'Arte, n° 137/138, Rome, 2014, pp. 110-117 (reproduit en figure 7)

Une œuvre aux influences croisées pour un traitement fortement contrasté

Ce séduisant tableau représente les tout derniers instants d’Adonis : Mars, ivre de rage et de jalousie, est sur le point d’occire l’éphèbe endormi tandis que Vénus essaie, en vain, de l’en empêcher. Cet épisode nous est narré dans les Métamorphoses d’Ovide. Quand le dieu de la guerre apprend la liaison qu’entretient son amante officielle avec Adonis, il entre dans une colère folle et se transforme en sanglier pour tuer son jeune rival parti chasser. Notons une certaine liberté prise par le peintre vis-à-vis du mythe ; ici nulle question de métamorphose : Mars s’apprête à passer Adonis parlefildesonépée.

Guillaume Courtois emprunte le groupe de Vénus et Mars à une fresque de Giulio Romano (vers 1492-1546) du Palazzo Te (ill. 1) qu’il réinterprète dans un vaste contexte paysagé, très marqué par ses années de collaboration avec Pier Francesco Mola (1612-1666) et Gaspard Dughet (1625-1675).

La figure d’Adonis est, quant à elle, une invention du Bourguignon dont subsiste une étude préparatoireconservéeaumuséedesbeaux-artsetd'archéologiedeBesançon1(ill.2).

(ill. 1) fresque de la chambre de Psyché (Mantoue, Palazzo Té) confrontée à notre tableau (détails)

1Valeria Di Giuseppe Di Paolo, 2014, p. 117

(ill. 2) Adonis endormi (Besançon, MBAA) confrontée à notre tableau (détails)

Notons que la figure finale comporte une variante avec le dessin préparatoire dans la position du bras gauche ; l’artiste lui préférant finalement une attitude proche du Faune Barberini, découvert peu detempsauparavant.

Guillaume Courtois s’approprie ces influences croisées (l’antiquité et le maniérisme) qu’il retravaille à l’aune des innovations de son temps et nous livre une œuvre très contrastée, entre violence et douceur. D’une part, le groupe de Vénus et Mars exprime tout le dramatisme de la scène : le grand tumulte de leur lutte est rendu par les drapés et le panache mouvementés ainsi que par la contorsion tendue de la figure du dieu. D’autre part, les personnages, relativement petits, sont représentés dans une nature arcadienne d’où se dégage une grande sérénité. Dans ce décor, la figure d’Adonis agit en parfait repoussoir au premier groupe : dans une pose lascive, l’épaule dénudéeetunchiotblotticontrelui,ilignorel’avertissementdesonchienetdortpaisiblement.

Un témoignage de la première manière du Bourguignon, à rapprocher d’œuvres connues

La professeure Valeria Di Giuseppe Di Paolo situe notre tableau dans les années 16502, époque où Guillaume Courtois était engagé à peindre des tableaux et des fresques à sujet mythologique pour son premier commanditaire, Camillo Pamphili, le célèbre neveu du pape Innocent X, tant dans son palaisromaindelaplaceNavonequedanssademeuredeValmontone.

Notre œuvre peut également être rapprochée de deux tableaux de la collection Lemme, conservés à Rome au Palais Chigi (ill. 3 et 4). Attribués à Guillaume Courtois par Erich Schleier, ces deux tableaux sontégalementdatésparSimonettaProsperiValentiRodinòautourdesannées16503

2 Ibid., p. 117

3 Simonetta Prosperi Valenti Rodinò, dans Il Seicento e Settecento Romano nella Collezione Lemme, catalogue de l’exposition, Rome, 1998, pp. 130-131

(ill. 4) Guillaume Courtois, Énée et Didon dans la tempête (Rome, Palais Chigi)

Giovanni Battista GAULLI, dit IL BACICCIO

Gênes, 1639 - Rome, 1709

La Vierge à l’Enfant apparaissant à sainte Marie-Madeleine de Pazzi (recto)

Étude de drapé (verso)

Vers 1707

Plume et lavis d’encre brune sur traits de pierre noire - 34,1 x 25 cm

Provenance :

Sotheby’s London 5 juillet 2000, lot 130

Bibliographie :

Francesco Petrucci (sous la direction de), Pittura barocca romana, dal Cavalier d’Arpino a Fratel Pozzo ; La collezione Fagiolo, Milan, 1999, p.70 (reproduit)

Bibliographie comparative :

Hugu Macandrew, Dieter Graf, « Baciccio’s Later Drawings : A re-discovered group acquired by the Ashmolean Museum », Master Drawings, X, 3, autumn 1972, pp. 231-259 ;

Dieter Graf, Kunstmuseum Düsseldorf, Die Handzeichnungen von Guglielmo Cortese und Giovanni Battista Gaulli, Vol. II, Düsseldorf, 1976, pp. 148-343

Un dessin typique de l’œuvre graphique tardive du Baciccio

La présente feuille, d’une facture léchée et très achevée, est parfaitement représentative de l'œuvre graphique tardive de Giovanni Battista Gaulli, dit le Baciccio. D’origine génoise, il s’installe à Rome, en 1657, où il collabore avec le Bernin (1598-1680). Très marqué par la manière du maître, il devient

(ill 1) Il Baciccio, La Vierge à l’Enfant apparaissant à saint Antoine de Padoue (collection particulière)

rapidement l’un des peintres les plus en vue de la ville et s’impose comme un acteur majeur du grand baroque romain. Emblématique des grands décors de la fin du XVIIe siècle italien, le plafond de la nef de l’église de Gesù, qu’il peint entre 1672 et 1683, est sans doute son plusgrandchef-d'œuvre.

Francesco Petrucci1 se propose de rapprocher notre feuille du dessin préparatoire au retable La Vierge à l’Enfant apparaissant à saint Antoine de Padoue (ill.1),peinten17072

1 Francesco Petrucci (sous la direction de), Pittura barocca romana, dal Cavalier d’Arpino a Fratel Pozzo ; La collezione Fagiolo, Milan, 1999, p.70

2 Robert Enggass, The Painting of Baciccio, Giovanni Battista Gaulli, 1639-1709, Pennsylvania, 1964, pp. 127-128. Aujourd’hui conservé, dans l'église de Monte Calvario à Imperia, le retable se trouvait à l’origine dans l'église de la SS. Annunziata de Porto San Maurizio, démolie par un tremblement de terre en 1887. Il a été peint à Rome et Gaulli a été payé pour sa commande en juillet 1707.

Cette association nous semble évidente, tant la composition et le style des deux feuilles sont proches et typiques de la production tardive des œuvres graphiques du Baciccio, privilégiant alors les dessins plus achevés. La vierge et l’enfant surplombent la figure du saint (ou de la sainte) et des putti tandis que la scène miraculeuse est survolée d’une ribambelle d’angelots. Fidèle à l’esthétique du Bernin, Baciccio traite les figures et les drapés comme une masse vibrante et dansante s'articulant autour d’un espace contraint structuré par la masse nuageuse. Le tout est rendu par une plumepréciseetaiguë,animéeparunjeudelumièresubtilcrééparunlavisdélicatementappliqué.

Notons une différence de traitement entre les deux feuilles : dans la nôtre, la nuée de putti est à peine esquissée et crée un fort contraste avec le reste de la composition, très détaillée. Cet intéressantprocédérenforcelecaractèremiraculeuxetimpalpabledel’apparition.

Un dessin à rapprocher du dernier tableau de l’artiste

Notre dessin est à rapprocher du dernier tableau peint par l’artiste en 1709, Le mariage mystique de sainte Catherine. Leurs compositions sont très proches et les groupes de la Vierge à l’Enfant y sont presque identiques (ill. 2), au point qu’il ne fait aucun doute que Baciccio ait utilisé notre feuille pour concevoircetableau.

(ill. 2) Le mariage mystique de sainte Catherine (localisation inconnue) confronté à notre feuille

Un sujet réidentifié

Si notre feuille est initialement apparue sur le marché de l’art comme représentant sainte Catherine de Sienne, son iconographie nous incite à revoir l’identité de la sainte. Tout d’abord, aucun de ses

attributs traditionnels ne sont présents : Il n’y a ni anneau d'or, ni couronne d'épines, ni crâne, ni livre, ni lys, ni rosaire, ni stigmates. En outre, la sainte de notre dessin porte le scapulaire monastique, typique des carmélites, tandis que sainte CatherinedeSienneestdominicaine.

Nous faisons donc l’hypothèse que notre feuille figure plutôt sainte Marie-Madeleine de Pazzi, carmélite florentine de la fin du XVIe siècle, souvent représentée par les peintres baroques. En effet, le Sacré-Cœur que la religieuse reçoit de la Vierge, par l’intercession d’un ange, est l’un des attributs de cette sainte, canonisée en 1669 parlepapeClémentIXRospigliosi.

Rome, 1687-1772

Projets de mosaïques pour Saint-Pierre de Rome

Le séraphin purifie les lèvres du prophète Isaïe par le feu Élie fait s'abattre le feu sur les hommes d’Achazia

Vers 1730

Plume, encre brune et lavis d’encre grise - 27,9 x 21,5 cm (chaque dessin)

Les dessins sont annotés à la plume, sous chacune des scènes : « Iasi : 6.6. - Il Serafino che col fuoco celeste purga le labbra del Profeta Isaia. » « 2. Reg : Cap. 18. - Elia che fà scendere il fuoco dal cielo sopra la Vittima alla presenza del popolo »

Nous remercions le professeur Vittorio Casale, spécialiste du baroque romain qui a publié plusieurs travaux sur Ricciolini, pour son aide apportée dans la rédaction de cette notice.

Deux sujets rares

Les deux sujets sont tirés de l’Ancien Testament. Le premier (feuille de gauche) (Isaïe, 6) narre un épisode de la vie du prophète Isaïe. Se plaignant d’avoir les lèvres impures, il fut guéri par un séraphin qui l’effleura avec un tison ardent. L’ange dit : « Voilà, ceci t’a touché les lèvres, ton iniquité est enlevée et ton péché expié ». Notons la liberté prise par l’artiste qui représente le séraphin avec deuxailesaulieudessixhabituelles.

Le second (feuille de droite) (Rois, II, 1) raconte un épisode de la vie d’Élie. Le prophète s’apprête à faire s’abattre le feu divin sur les soldats que le roi impie Achazia a envoyés à sa rencontre. Notre dessin illustre l’instant précédant le châtiment : l’ange, convoqué par Élie, pointe le feu sacré d’un autel tout en désignant le ciel d’où il tombera. En bas à droite de la composition, on peut apercevoir dessoldatsqui,ayantcomprisleurfunestedestin,implorent,envain,lepardondeDieu.

Des modelli pour des mosaïques de Saint-Pierre de Rome

Les deux feuilles font partie d’un même ensemble. Les compositions sont en contrepartie, avec les figures humaines au centre, agenouillées sur une base massive, tandis que les anges ferment la partie supérieure. Les deux scènes sont aussi liées iconographiquement. Il s’agit, en effet, de deux interventions divines en lien avec le feu : le feu de la guérison, à gauche et le feu de la punition, à droite.

Nos dessins sont, de toute évidence, des modelli pour les deux côtés d’une lunette encadrant une fenêtre centrale. Ils sont à rapprocher d’une feuille de l’artiste du même format, conservée dans une collection particulière de New York et publiée par Vittorio Casale1, préparatoire pour la mosaïque d’une lunette de la chapelle du chœur de Saint-Pierre de Rome (ill. 1). Les rapports entre nos feuilles

et celle de New York sont évidents en raison du format (elles présentent le même décrochement au milieu du côté rectiligne) et du style identique.Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que nos dessins sont eux aussi des projets pour des mosaïques d’une chapelle de Saint-Pierre de Rome, finalementnonréalisées.

(ill.1) mosaïquesdelachapelleduchœurdelaBasiliqueSaint-PierredeRomeauVatican,d’après descartonsdeNiccolòRicciolini,dontl’und’aprèsundessindel’artiste

Deux dessins typiques de la première manière de Niccolò

Ricciolini

Datables de la troisième décennie du XVIIIe siècle, nos dessins appartiennent à la première phase de l’activité de l’artiste, fortement influencée par les leçons de son père Michelangelo (1654-1715), avec qui il collabore jusqu’à sa mort. Ils usent d’effets voyants et mouvementés proches de Giacinto Brandi (1621-1691), dilués par un clair-obscur à la Francesco Trevisani (1656-1746) (à qui l’artiste est apparenté,ayantépousésanièce,Laura,en1717).C’estàcetteépoquequeNiccolòRicciolinifournit lescartonsdesmosaïquesdeSaint-PierredeRome.

Si, dans ses travaux plus tardifs, Ricciolini montre une certaine attention aux réformes proto-néoclassiques sous l’influence d’Agostino Masucci (1690-1758), nos deux dessins sont des exemples parfaitement représentatifs de sa première manière, fidèle aux canons du barocchetto romain. Efficacement soulignées de fréquents traits de plume et animées par le contraste entre les zones d’ombres et de pénombre rendues par un lavis subtilement appliqué, les figures s’articulent savamment dans des espaces contraints. L’ensemble apparaît comme une sorte de magma fluide et mouvementé d’où jaillissent avec force des ailes, des vêtements et des corps. Une qualité remarquable qui contribue à replacer le Ricciolini dessinateur au rang qui lui est dû au sein du baroqueromaintardif.

1 Vittorio Casale, « La dinastia dei pittori Ricciolini », dans Mario Di Giampaolo (sous la direction de), Dal disegno all’opera compiuta, actes du colloque international à Torgiano de 1987, Pérouse, 1992, pp.171-191, en part. p.189, fig.28.

Le dessin illustre l’histoire biblique du roi Ozias qui, ayant osé entrer dans le temple pour brûler de l’encens pour Dieu (privilège réservé aux prêtres), fut sermonné par Azaria puis contracta la lèpre en punition divine. Le dessin réalisé par Ricciolini pour l’autre mosaïque en pendant, toujours pour la même chapelle, ne nous est pas encore parvenu. Les trois dessins (les nôtres et celui de New-York) présentent sur le côté rectiligne la même marque cruciforme, explicable par la provenance d’une même collection.

Pour Niccolò Ricciolini voir également M.B. Guerrieri Borsoi, « Contributi allo studio di Nicolò Ricciolini », Bollettino d’Arte, 50-51, 1988, pp. 161-185

©2025,GalerieDuponchel Tousdroitsréservés

Conception et réalisation : CharlesDuponchel

Crédit Photos : NohanFerreira,archivesGalerieDuponchel

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.