FUSION - Chefs-d'oeuvre de la sculpture en bronze

Page 1

FUSION

GALE R IE TOU R BILLON Chefs-d’œuvre de la sculpture en bronze

FUSION

Chefs-d’œuvre de la sculpture en bronze

TEXTES R ÉDIGÉS PA R

Stéphanie Veyron

François Louveau

Jean-François Bourriaud

EXPOSITION du 20 octobre au 24 novembre 2023 du lundi au samedi de 10h à 18h

Galerie Tourbillon

15, rue Drouot ‒ 75009 Paris www.galerietourbillon.com galerie-tourbillon@wanadoo.fr

01 42 61 56 58

GALE R IE TOU R BILLON

SOMM A IRE

LE B R ONZE DANS TOUS SES ÉTATS

Page 8

CATALOGUE

Page 12

LA FONTE D’A R T EN F R ANCE À PA R TI R DU XIX e SIÈCLE

Page 92

R ÉPE R TOI R E DES FONDEU R S

Page 98

BIBLIOG R APHIE

Page 103

INDEX / R EME R CIEMENTS

Page 104

LE BRONZE DANS

TOUS SES ÉTATS

Le 22 mai 1885, Hugo se meurt et la France entière pleure son poète. Bien après la disparition du génie littéraire, autour duquel s’est cristallisée la discorde entre Rodin et Dalou, cette pensée fulgurante ressurgit parmi des notes manuscrites inédites, résumée en deux phrases condensées et percutantes. Hugo met sur un pied d’égalité l’art du poète et celui du fondeur ; pour la postérité, l’un manie les mots au service de ses idées, l’autre offre aux formes le bronze éternel.

Ce savant alliage principalement constitué de cuivre et d’étain, connu sous le nom d’airain dans l’Antiquité, est l’aboutissement d’une conquête technique immémoriale, dont les prémices remontent au IIIe millénaire avant notre ère, en Anatolie. Sa « mise en œuvre », cette expression prend ici tout son sens, ne cesse de fasciner, de questionner ; tel l’alchimiste dans son laboratoire, le fondeur a su garder jalousement les secrets de son art, ses recettes mises au point au fil du temps.

Des complexités techniques inhérentes à chacune des étapes de fabrication, ressort une question qui, à elle seule, ne peut résumer la nature ni augurer la qualité d’un bronze : s’agit-il d’une fonte au sable ou à la cire ? Si l’identification de la technique employée est fondamentale, à mesure que l’on s’aventure dans ce sujet abyssal, elle apparaît comme insuffisante pour évaluer le degré de perfection d’un bronze. Un œil expérimenté parvient à apprécier la précision d’une fonte, la finesse de la ciselure, la subtilité de la patine, phase ultime qui, tel le révélateur en photographie, insuffle à la sculpture un supplément d’âme. Afin de parfaire sa collection, le connaisseur sera constamment à la recherche du meilleur exemplaire, celui qui saura le mieux rendre justice à l’œuvre du sculpteur.

L’histoire du XXe siècle a arbitrairement cru en la supériorité de la cire perdue, cette technique antique qui s’était éteinte en France avec la chute de l’Ancien Régime, et qui renait à l’aube du siècle, notamment grâce aux recherches passionnées d’Adrien-Aurélien Hébrard et de Claude Valsuani. Que penser alors

9

de Rodin qui, à l’exception de quelques tentatives à la cire perdue, et malgré les persistantes sollicitations d’Hébrard, a milité avec acharnement pour la fonte au sable de son œuvre ? N’appartient-il pas à chaque artiste de choisir le procédé qu’il considère le plus approprié ? En effet, les fontes au sable et à la cire, avec leurs spécificités, leurs possibilités et leurs limites, participent pleinement à l’identité d’une œuvre, au propos du sculpteur et à l’esthétique de son temps.

J’ai consacré ces vingt-cinq dernières années à la sculpture française, de la seconde moitié du XIXe siècle à nos jours. J’ai cherché à comprendre ce qui différencie un tirage d’exception d’une édition plus commune, une fonte du vivant du sculpteur ou posthume, une cire issue d’un moule à la gélatine ou en élastomère, une patine caractéristique de tel ou tel atelier… Je sais à présent la complexité du sujet, les innombrables exceptions à la règle qui viennent brouiller les pistes et obligent à d’incessantes remises en question. Je sais aussi combien de chocs esthétiques, émotionnels même, j’ai ressenti en prenant en main un tirage rare et en parcourant du regard sa surface frémissante, auquel l’art conjoint du ciseleur et du patineur a donné vie. Les noirs profonds de Valsuani, les tons chauds, presque capiteux, d’Hébrard, et les verts subtils de Rudier, qui sont leur signature, leur marque de fabrique, ne cessent de m’émouvoir.

Les bronzes réunis à l’occasion de cette exposition, certains acquis de longue date, d’autres plus récemment, témoignent du talent des sculpteurs, transcendé par celui de leurs fondeurs. Je souhaitais, de cette manière, rendre hommage à la virtuosité de ces artisans passionnés et discrets qui ont consacré leur savoir-faire à la création. Qu’est-ce qu’un bronze d’excellence, si ce n’est la symbiose parfaite entre les talents réunis du sculpteur, et de ceux du mouleur au patineur, qui l’auront accompagné.

10

ERNEST MEISSONIER

(LYON, 1815 – PARIS, 1891)

Quatrième enfant d’un commerçant lyonnais, Ernest aspire à de nouveaux horizons. À 17 ans, il quitte sa ville natale pour Paris ; il intègre l’atelier du peintre romantique Léon Coignet et expose pour la première fois au Salon en 1834. Proche de Charles-François Daubigny et Honoré Daumier, il s’essaie à l’illustration pendant les premières années de sa carrière.

Lors des soulèvements de juin 1848, Meissonier participe à la répression d’un mouvement ouvrier, en tant que capitaine d'artillerie de la Garde Nationale. Marqué par la violence de l’évènement dont il a été acteur malgré lui, il en tire un tableau sombre, intitulé La barricade ou Souvenir de la guerre civile, qui décrit les corps enchevêtrés des victimes gisant sur les pavés (musée du Louvre, inv. RF 1942 31). Meissonier se fait d’abord une spécialité des scènes de genre dans le style des XVIIe et XVIIIe siècles, reprenant les thèmes chers à la peinture hollandaise de joueurs de cartes ou d'échecs, d’hommes attablés et de fumeurs. Puis il s’illustre dans les représentations de scènes militaires, notamment celles relatant les grandes heures des campagnes napoléoniennes, qu’il peint sous le Second Empire et la Troisième République. L’exemple le plus connu est Campagne de France, 1814 (vers 1864 ; musée d’Orsay (inv. RF 1862). Technicien irréprochable et intraitable sur la véracité des sujets historiques, ses tableaux servent d’ailleurs de référence pour l’étude des uniformes. Meissonier a ses inconditionnels, et ses détracteurs ; il vit très confortablement et détient, pour l’époque, le record des prix de vente les plus élevés pour les tableaux d’un artiste vivant. En 1890, il est, avec Pierre Puvis de Chavannes, Carolus-Duran, Jules Dalou, Auguste Rodin et Albert-Ernest Carrier-Belleuse, à l’initiative de la réforme de la Société nationale des beaux-arts dont il est élu président. Membre de l'Académie des beaux-arts, il est fait chevalier de la Légion d'honneur (1846), puis officier (1856), commandeur (1867), Grand officier (1880) et GrandCroix (1889). Meissonier compte également parmi les peintres préférés de Napoléon III, qu’il suit d’ailleurs lors de la campagne d’Italie, en 1859. Outre la perfection technique de son œuvre peint, Meissonier s’est également illustré dans l’art du modelage. Ce grand chroniqueur des campagnes militaires s’est malheureusement trop peu essayé dans ce domaine, ne laissant que de rares modèles équestres d’une éblouissante exécution.

ERNEST MEISSONIER (1815-1891)

Le Voyageur ou La Tempête Vers 1890

bronze à patine brun vert très nuancé sur une base postérieure en bois signé EMeissonier fonte au sable par SIOT-DECAUVILLE, avec la pastille du fondeur, estampillée du numéro « 9 » dans un cercle Haut. (bronze) 48,5 cm haut. (socle) 5,8 cm ; long. (bronze) 60,5 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

P. Kjellberg, Les Bronzes du XIXe siècle. Dictionnaire des sculpteurs, Paris, 2005, pp. 495-96.

Le talent de Meissonier s’exprime pleinement au travers des thèmes équestres, dans lesquels la nervosité du modelé ne cède en rien à la précision anatomique. Comme Gustave Moreau, les premières maquettes en cire qu’il réalise servent à l’élaboration des tableaux. L’ensemble de son œuvre sculpté date du retour des campagnes italiennes de Napoléon III, à partir de 1860.

Parmi les dix neuf modèles laissés par Meissonier, huit seulement ont été édités en bronze par Siot-Decauville : Cheval au galop, Cheval blessé, Cheval de trompette, Cosaque à cheval, Cuirassier à cheval, Hussard, Napoléon er à cheval et le Voyageur également intitulé Officier de l’Empire dans la tourmente ou Napoléon en Russie. Ce dernier modèle, dont un exemplaire est ici présenté, est incontestablement la plus remarquable sculpture de Meissonier.

Un autre exemplaire, également fondu par Siot-Decauville, est conservé au musée des Beaux-Arts de Bordeaux (inv. Sc. 101).

13
12
1

CHARLES ADRIEN PROSPER D'ÉPINAY

(PAMPLEMOUSSE, ÎLE-MAURICE, 1836 –SAINT-C Y R-SUR-LOIRE, 1914)

Fils du politicien Adrien d’Épinay, le sculpteur mondain et cosmopolite Prospère d’Épinay est né à l’Île-Maurice. Il arrive à Paris en 1857 et se forme auprès du sculpteur caricaturiste Jean-Pierre Dantan, dit Dantan le Jeune, et s’établit ensuite à Rome, en 1864. Il travaille d’abord sous la direction de Luigi Amici, auteur du tombeau du pape Grégoire XVI, puis ouvre son propre atelier via Sistina, qu’il dirigera jusqu’en 1912. Sujet britannique, Épinay séjourne à Londres dans les années 1860 et 1870, et exposera à la Royal Academy jusqu'en 1881.

Bien que partageant l’essentiel de son temps entre Rome et Paris, où il ouvre un second atelier boulevard Haussmann, Prosper d’Épinay reste proche de son Île-Maurice natale. Son style élégant, nourri à Rome des leçons antiques, séduit l’aristocratie européenne qui se disputera son talent de portraitiste.

CHARLES ADRIEN PROSPER D'ÉPINAY (1836-1914)

Bacchante endormie

Vers 1879

bronze à patine brun chaud nuancé signé, localisé et daté d’Epinay / ROME / 1879 fonte à la cire perdue par la Fonderia Nelli, inscrite « Fonderia Nelli / Roma. »

44 x 65 x 32 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

P. Roux Foujols, Prosper d'Épinay (1836-1914) : Un Mauricien à la cour des princes, Île-Maurice, 1996, p. 90 (le marbre du même modèle).

Ce sublime bronze est, à notre connaissance, le seul tirage de ce modèle du célèbre sculpteur mauricien. Une Bacchante endormie en marbre, exposée à Paris en 1882, à la galerie Georges

Petit, est mentionnée dans le catalogue raisonné du sculpteur, mais non localisée à ce jour (cf. P. Roux Foujols, op. cit., p. 90). Cette jeune femme alanguie, plongée dans un sommeil langoureux, fait écho à deux modèles similaires du sculpteur : Marion, dont une terre cuite a été vendue par Sotheby's Londres, le 23 novembre 2010 (lot 81), et le Rêve, qui figurait également à l’exposition Georges Petit de 1882, dont une terre cuite a été vendue par Sotheby's Londres, le 11 juillet 2018 (lot 1). Ces trois modèles semblent directement inspirés du sulfureux tableau d'Henri Gervex, refusé au Salon de 1878 pour immoralité, et mettant en scène la courtisane Marion du poème d’Alfred de Musset, Rolla

Issue de la Fonderia Nelli, la principale fonderie romaine de bronzes d’art, cette pièce est d'une qualité d’exécution et de finition remarquable, nourrie par une subtile patine brune aux tonalités chaudes qui rend les volumes plus désirables encore. Contrairement aux productions françaises du XIXe siècle, les fondeurs italiens sont restés fidèles à la technique à la cire perdue, dans laquelle ils n’ont cessé exceller.

15
Regrettez-vous le temps où les Nymphes lascives
Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux, Et d’un éclat de rire agaçaient sur les rives
EXTRAIT DE ROLLA , ALFRED
14 2
Les Faunes indolents couchés dans les roseaux ?
DE MUSSET, 1833

ARTHUR MARIE GABRIEL, COMTE DU PASSAGE

(FROHEN-LE-GRAND, SOMME, 1838 – 1909)

Issu de l’aristocratie picarde, le comte du Passage est né et mort dans le château maternel de Bernaville, sur la commune de Frohen-sur-Authie. Destiné à une carrière militaire, le jeune saint-cyrien se forme en parallèle à la sculpture animalière, sa passion, auprès de Pierre-Jules Mêne et d’Antoine-Louis Barye. Le jeune sous-lieutenant expose pour la première fois au Salon de 1865, et quitte l’armée pour se consacrer à son art. Comme dans l’œuvre sculpté de Meissonier, les chevaux et leurs cavaliers, parfois remplacés par des lads, sont les sujets de prédilection du sculpteur. Il exposera pour la dernière fois au Salon de 1865, et poursuivra sa carrière au moins jusqu’en 1899.

ARTHUR MARIE

GABRIEL, COMTE DU PASSAGE (1838-1909)

Cheval à l’entraînement avec son lad Vers 1896

bronze à patine brune signé Cdu Passage fonte au sable d’époque avec l’inscription sur un cartel « MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE / CONCOURS RÉGIONAL HIPPIQUE DE MOULINS / - 1896 - / PRIX D’HONNEUR » 81 x 110 x 44

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

P. Kjellberg, Les Bronzes du XIXe siècle. Dictionnaire des sculpteurs, Paris, 2001, pp. 530-32.

Le Cheval à l’entraînement avec son lad présenté ici, exemplaire de la plus grande taille éditée, est l’œuvre emblématique du sculpteur. Il fait ici la démonstration de sa parfaite maîtrise de l’anatomie équine, et transcrit admirablement l’allure élégante de ce pur-sang lancé au grand trot. L’encolure dressée, l’œil vif, les oreilles à l’affût, les naseaux frémissants, il semble sur le point de hennir. À ses côtés, le lad suit à grandes enjambées la majestueuse foulée de l’animal.

17
16 3

THÉOPHILEALEXANDRE STEINLEN

(LAUSANNE, 1859 – PARIS, 1923)

Après deux années de théologie à Lausanne, le jeune Steinlen, qui se destine à l’industrie textile, part étudier le dessin d’ornement à Mulhouse. Il abandonne vite son projet initial et, en 1881, la lecture de l’Assommoir de Zola l’incite à venir à Paris. Deux ans plus tard, il s’installe sur la butte de Montmartre, quartier populaire qu’il ne quittera plus. Il fréquente le peintre et illustrateur Adolphe Willette qui lui présente Rodolphe Salis, le fondateur du célèbre cabaret le Chat Noir. Ses illustrations dans la revue éponyme, ainsi que dans L’Assiette au beurre, Le Chambard socialiste, La Feuille et Le Mirliton, lui valent une solide réputation dans ce domaine.

Steinlen se fait le chroniqueur de la rue et des petits métiers, des marchands ambulants, des ouvriers et des gamins des rues, dont il décrit la misère avec tendresse. Révolté par les injustices sociales dont il est le témoin, il collabore également avec des revues anarchistes, comme Les Temps Nouveaux. Steinlen devient rapidement l’une des figures de la vie montmartroise. Il est l’ami d’Henri de Toulouse-Lautrec, d’Aristide Bruant et des habitués du café Au Tambourin, haut-lieu artistique du 62 boulevard de Clichy. Il est également proche de l’imprimeur et amateur d’art Charles Gillot, dont il étudie l’importante collection d’estampes japonaises ; elles transformeront son regard sur le monde animal et sa représentation. Le chat, son animal fétiche, revient constamment dans son travail, et celui qu’il crée pour l’affiche Le Chat Noir reste aujourd’hui encore emblématique de son œuvre.

Steinlen est naturalisé français en 1901. Trop âgé pour être mobilisé pendant la Grande Guerre, il obtient cependant la permission de visiter les tranchées. Cet humaniste militant témoignera sans concession des horreurs d’un conflit qui s’enlise, de soldats épuisés, blessés et désespérés.

Illustrateur, affichiste et peintre reconnu, Steinlen est également un sculpteur de talent. Si le chat est, dans ce domaine encore, son sujet de prédilection, il traitera également de la figure humaine.

THÉOPHILEALEXANDRE

STEINLEN (1859-1923)

Femme dans le vent Vers 1905

bronze à patine brun foncé vert nuancé signé Steinlen fonte au sable, épreuve de l’artiste 33,5 x 14 x 25,5 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

R. Velhagen, S. Gonzalez (dir.), ThéophileAlexandre Steinlen. Chroniqueur d’une fin de siècle cat. exp. Musée d’Art et d’Histoire, Saint-Denis, 2009

P. Kaenel, « Les ambitions d’un peintre et sculpteur », dans Steinlen, l’œil de la rue, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, 2008, pp. 155 et 162.

Nous connaissons peu de sculptures de Steinlen. Outre les chats largement représentés, l’artiste modèle également de petites têtes aux expressions tragiques, qui rappellent la veine naturaliste de Jules Dalou, Bernhard Hoetger et Constantin Meunier. Elles évoquent aussi la série des « Désolés » de Jean-Joseph Carriès, portraits de mendiants décrits avec justesse et compassion.

La Femme dans le vent représente une scène plus légère, captée dans l’instant, comme au détour d’une rue. La jeune femme, ployée en avant pour résister au vent qui lui fait face, tient fermement son chapeau pour éviter qu’il ne s’envole. Les drapés de sa robe fluide virevoltent autour d’elle,

à la manière de la danseuse Loïe Fuller, telle que l’ont immortalisé Hoetger, Raoul Larche et Agathon Léonard. Le sujet rappelle également les petites figures en pied du nancéen Victor Prouvé. Ce modèle s’inscrit pleinement dans l’esthétique Art Nouveau, mais conserve une forme de réalisme social dont Steinlen ne se départira jamais.

Entre 2008 et 2009, une épreuve du même modèle, à l’époque dans une collection privée suisse, a figuré dans deux expositions dédiées à l’artiste ; l’une s’est tenue au Museum Langmatt de Baden puis au Musée d’Histoire de SaintDenis, l’autre a eu lieu au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne puis au Musée communal d’Ixelles (cf. op. cit.). Ces deux exemplaires sont à ce jour les seuls connus.

Outre les épreuves de l’artiste, sans marque de fondeur, certaines œuvres de Steinlen ont été éditées par Hébrard, d’autres par Valsuani.

19
18
4

AGATHON VAN

WEY

DEVELDT, dit AGATHON LÉONARD

(LILLE, 1841 – PARIS, 1923)

Sculpteur, céramiste et décorateur d’origine belge naturalisé français, Léonard commence sa formation à l’Académie des Beaux-Arts de Lille et la poursuit à Paris, à l’École des Beaux-Arts. En 1898, il conçoit plusieurs modèles de danseuses pour l’édition, par la Manufacture de Sèvres, d’un surtout de table en biscuit. Présenté à Paris sous le titre de « Jeu de l’écharpe », cet ensemble composé de quinze statuettes, dont les plissés amples évoquent les drapés de Loïe Fuller, connaît un succès retentissant lors de l'Exposition universelle de 1900. Un biscuit de la Danseuse, tambourin à droite est conservé au musée d’Orsay (inv. OAO 1424). L’année suivante, l’artiste expose les mêmes modèles, cette fois-ci édités en bronze par Susse. Fondues en plusieurs tailles et différentes combinaisons de matériaux, les danseuses en bronze de Léonard vont connaître le même succès que les biscuits. Certaines vont être montés en lampe, variante évocatrice de l’ingénieuse intégration de la lumière électrique dans les chorégraphies de Loïe Fuller.

Léonard expose régulièrement au Salon de 1868 à 1914 et reçoit quelques commandes de l’État, dont le grand marbre de Hébé en 1899 (musée d’Orsay, inv. RF 1177). Son nom demeure intimement lié au courbes élégantes et féminines de la sculpture Art Nouveau, dont il fut l’une des figures de proue. Ses statuettes pleines de grâce se situent au confluent de la sculpture et de l’orfèvrerie.

AGATHON LÉONARD (1841-1923)

Vampire ou Chauve-Souris Vers 1903

bronze à riche patine polychrome brun, vert, cuivre et or signé A. LÉONARD fonte au sable d’époque Haut. 35 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

M. Rheims, La Sculpture au XIX siècle, 1972, p. 133, n° 12 ;

A. Duncan, Fin de siècle Masterpieces from the Silvermann collection 1989, pp. 176-77 ;

I. Böstge, E. Héran, Agathon Léonard : Le Geste Art nouveau, cat. exp. La Piscine-Musée d'Art et d'Industrie André-Diligent, Roubaix, 2003, pp. 78-9, n° 62.

Il plane autour de cette vision onirique, mi-femme, mi chauve-souris, le parfum d’un dangereux désir dans l’air du temps. La danseuse Cléo de Mérode, qui fut l’un des modèles de prédilection des artistes de l’Art Nouveau, a probablement prêté ses traits au visage de la belle tentatrice. Il est aussi probable qu’Agathon, qui aurait eu une aventure avec Sarah Bernhardt, se soit inspiré de l’Autoportrait en chimère de la tragédienne (vers 1890), dans lequel elle se représente dotée d’ailes de chauve-souris (Musée Carnavalet, inv. S3375).

Cette iconographie fantastique puise ses sources dans la mythologie antique ; elle relate, ainsi que le raconte Ovide, la malédiction infligée à une des filles du roi Minyas, changée en chauvesouris pour avoir refusé de célébrer Dionysos. Le caractère hybride de ce petit mammifère à ailes d’oiseau, comparables à celles des chimères

et autres monstres mythologiques effrayants, inspire les artistes. La femme vampire d’Agathon déploie majestueusement ses ailes et tend les bras vers le ciel en un geste incantatoire. Les étoiles semées sur sa longue jupe évoquent la nuit, le royaume du rêve et de la mélancolie où s’éveillent ces créatures des ténèbres souvent associées aux représentations démoniaques.

Un plâtre de la Chauve-Souris, sujet rare et recherché d'Agathon, fut exposé au Salon de la société nationale des Beaux-Arts en 1902 (n° 129), puis deux bronzes polychromes du même modèle en 1903 et 1904 (n° 157 et n° 2003). Frédéric Goldschneider édite le modèle à partir de 1903 (cf. Décoration ancienne et moderne, n° 72, 1903). Deux exemplaires de plus grande taille sont connus, l’un reproduit par Alaster Duncan (cf. op. cit., pp. 176-77), l’autre par Maurice Rheims dans la collection Alain Lesieutre (cf. op.cit. n° 12).

21
LÉONARD
20 5

AUGUSTE RODIN

(PARIS, 1840 – MEUDON, 1917)

Il est difficile de résumer en quelques lignes la vie et l’œuvre du plus illustre sculpteur français actif à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Son aura écrasante est telle qu’au terme d’un bref passage par l’atelier de « Monsieur Rodin », Brancusi conclut que « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ». En 2009, l’exposition organisée par le musée d’Orsay, Oublier Rodin ? La sculpture à Paris, 1905-1914, témoigne de l’emprise persistante du sculpteur sur la scène artistique.

François-Auguste-René Rodin, élève médiocre qui souffrira longtemps de son manque de maîtrise du français, peine à convaincre son père de sa vocation d’artiste. En 1854, il est cependant inscrit à l'École spéciale de dessin et de mathématiques, dite « Petite École », future École nationale supérieure des arts décoratifs. Le jeune Rodin, qui admire la sculpture d’Antoine-Louis Barye et Albert-Ernest Carrier-Belleuse, dessine régulièrement les antiques du Louvre ; néanmoins, il échouera à trois reprises aux admissions de l’École des Beaux-Arts. Il abandonne là ses études et offre ses services comme artisanpraticien, notamment à Charles Garnier et Carrier-Belleuse. Sur les chantiers décoratifs de ces derniers, Rodin fait la connaissance de Jules Dalou (CAT. 10 et 11), son grand ami pour les trente années à venir. Il passe ses journées à faire des mises au point et à dégrossir des blocs de marbre, travail qu’il délèguera systématiquement quand, à son tour, il aura ses propres praticiens. Il s’initie également à l’orfèvrerie et aux diverses techniques de l’ornementation. Au cours de sa carrière, il reviendra aux arts décoratifs, notamment lors de sa collaboration avec la Manufacture nationale de Sèvres, entre 1879 et 1882. En 1871, il quitte Paris, où la production artistique est au point mort depuis le début du conflit franco-prussien, et se rend à Bruxelles. Il rejoint CarrierBelleuse avec lequel il collaborera jusqu’en 1872. En 1875, Rodin expose pour la première fois au Salon et entreprend un long voyage en Italie, au cours duquel il découvre les antiques et la Renaissance. Il a une véritable révélation devant le parti-pris artistique du non finito de Michelangelo. En 1876, Rodin entame sa carrière internationale ; son travail est présenté pour la première fois aux États-Unis, à l'Exposition universelle de Philadelphie. À partir de 1877, une rumeur court autour de l’Âge d’airain (CAT. 7), dont l’anatomie d’un réalisme parfait aurait été moulée sur le vivant. Paradoxalement, ce scandale contribue à la notoriété de Rodin. En 1879, il fait définitivement taire ses détracteurs, en réalisant un Saint Jean-Baptiste plus grand que nature ; d’un fragment de ce dernier, il tirera un nouveau modèle, L’Homme qui marche. L’année suivante, l’État français lui passe sa première commande, la Porte de l’Enfer destinée au futur musée des arts décoratifs. Jusqu’à la fin de ses jours, il travaillera

sur cette œuvre monumentale qu’il ne livrera jamais ; ce chef-d’œuvre ne sera fondu qu’après sa mort. En 1882, Rodin réalise trois autres de ses modèles iconiques, Adam, Ève et le Penseur.

De ses amours tumultueuses avec Camille Claudel, nous ne retiendrons que la collaboration de deux artistes pour les Bourgeois de Calais (1885), ainsi que les œuvres dont elle est l’inspiratrice, tels L'Éternel Printemps (1884), L'Adieu (1892) et La Convalescente (1902). Rodin s’installe à Meudon à partir de 1893, dans la Maison des Chiens-Loups, puis dans la villa des Brillants où il transfère également son atelier.

En marge de l’Exposition universelle de 1900, Rodin organise et finance une rétrospective de ses œuvres place de l’Alma ; sa notoriété s’en trouve considérablement accrue, notamment auprès d’un public international. Le bâtiment temporaire, dit « Pavillon de l’Alma », sera remonté à Meudon pour servir d’atelier. En 1902, il reçoit le jeune poète autrichien Rainer Maria Rilke, grand admirateur de son œuvre, qui lui servira de secrétaire en 1905 et 1906. Il tirera de cette proximité un essai intitulé Sur Rodin. Le plâtre du Penseur est exposé à Londres en 1904 et, deux ans plus tard, un tirage en bronze est placé à Paris, devant le Panthéon. En 1908, Rodin s’installe à l'hôtel Biron. L’année 1911 voit sa consécration : l'État lui commande un buste de Pierre Puvis de Chavannes pour le Panthéon, l'Angleterre fait l’acquisition des Bourgeois de Calais pour son parlement (jardins du palais de Westminster, Londres), et un bronze de l'Homme qui marche est installé à l’ambassade de France à Rome (palais Farnèse). Insigne honneur pour un artiste vivant, une « salle Rodin » est inaugurée en 1912 au Metropolitan Museum de New York ; au même moment, une exposition monographique de son œuvre se tient à Tokyo.

En septembre 1916, Rodin, affaibli, prépare l’avenir et fait successivement don à l’État de l’hôtel Biron, de l’atelier de Meudon et de ses collections, dans la perspective d’un futur musée Rodin. Dans un sursaut de loyauté, quelques semaines avant la mort de sa compagne de toujours, Rose Beuret, il l’épouse. Rodin lui survivra quelques mois seulement.

La carrière de Rodin est émaillée de projets publics, soit directement commandés par l’État, comme la Porte de l’Enfer, le marbre du Baiser (Exposition universelle de 1889) et le monument à Victor Hugo pour le Panthéon, soit remportés à l’issue de concours. Ceux auxquels il échouera laisseront pourtant des modèles novateurs aujourd’hui cités en exemples, comme La Défense de Paris en 1870, projet écarté en 1879, ou le Monument à Balzac, refusé par la Société des gens de lettres en 1898. L’homme a reçu tous les honneurs : chevalier (1887), officier (1892), commandeur (1903) et enfin grand officier de la Légion d'honneur (1910). De plus, il prend la suite de Dalou à la vice-présidence de la Société nationale des beaux-arts. Dans l’atelier immense de Rodin se sont croisés des sculpteurs de talent, certains brièvement, comme Constantin Brancusi, d’autres plus longuement, comme Alfred Boucher, Jules Desbois, François Pompon ou Antoine Bourdelle.

Rodin développe des approches novatrices, et puise dans son vaste répertoire de formes pour ses créations. Il donne naissance à de nouvelles œuvres par assemblage, dit « marcottage », de fragments préexistants, ou par la juxtaposition de plusieurs tirages d’une même figure. Parfois aussi, il choisit d’isoler un élément qui accède alors au statut d’œuvre à part entière. Ainsi, pour la Porte de l’Enfer, Rodin utilise trois tirages de son Adam pour former les Trois Ombres et, à l’inverse, il isole le groupe de Paolo et Francesca qui devient une œuvre autonome, Le Baiser (CAT. 6). Son style, où dominent l’expression des sentiments et la sensualité des formes, s’oppose radicalement à l’académisme prévalant.

24
25
La prose et le vers ne sont que des matières dont se sert le poète, fondeur et ciseleur, pour faire les figures de ses idées. Le vers, c'est le marbre ; la prose, c'est l'airain.
VICTO R HUGO, POST-SC R IPTUM DE MA VIE , 1901

AUGUSTE RODIN (1840-1917)

Le Baiser, réduction « n° 3 » Modèle vers 1882-1886, réduction vers 1901, fonte du 30 décembre 1905 bronze à patine brun foncé vert nuancé signé Rodin fonte au sable par Barbedienne, avec la marque du fondeur « F. BARBEDIENNE Fondeur » Haut. 39,4 cm

PROVENANCE

Acquis par la famille du précédent propriétaire vers 1920 ; Collection particulière, Paris.

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

A. Le Normand-Romain, Rodin et le bronze, catalogue des œuvres conservées au musée Rodin, Paris, 2007, tome 1, pp. 159-163, la réduction « n° 3 » p. 161.

26 6

Créé en 1881, Le Baiser s’inspire de Paolo et Francesca, les deux amants de la Divine Comédie condamnés à errer pour l’éternité. Pour le Ve chant de l’Enfer, Dante s’inspire d’un drame contemporain : celui du seigneur Gianciotto Malatesta qui, pour se venger de la trahison du couple adultère, poignarda son épouse et son propre frère. Dans la troisième maquette de la Porte de l’Enfer, Rodin intègre le groupe des deux amants enlacés au centre du vantail gauche. En 1886, il décide de remplacer cette étreinte éternelle et sensuelle, qui s’oppose radicalement aux tourments perpétuels des âmes damnées, par les corps frêles, presque adolescents, de Paolo et Francesca effrayés, désespérément agrippés l’un à l’autre. Rodin n’abandonne pas le groupe des amants tragiques et l’envisage, au contraire, comme une œuvre autonome. Le Baiser, définitivement libéré de la référence aux amants assassinés, est exposé pour la première fois à Paris et à Bruxelles en 1887. Il remporte un immense succès auprès du public, de la critique et de la direction des Beaux-Arts qui commande un agrandissement en marbre dont l’exécution durera dix ans. En 1898, Rodin exposera enfin le marbre, qu’il appelle son « grand bibelot », au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts (n° 151), en pendant à son très controversé Balzac Cette œuvre sera présentée à nouveau au public en 1900, lors de l’Exposition Universelle, avant d’entrer dans les collections du musée du Luxembourg ; il sera transféré

au musée Rodin en 1919 (inv. S.1002 /Lux.132). Deux répliques en marbre seront commandées à Rodin, l’une par Carl Jacobsen pour la Glyptothèque de Copenhague, l’autre par l’amateur anglais Edward Perry Warren (Tate Britain, inv. N06228).

Le 6 juillet 1898, Rodin signe un contrat renouvelable de dix ans avec la fonderie Leblanc-Barbedienne, pour l’édition de L’Éternel Printemps et du Baiser Ce dernier modèle est d’abord tiré en deux tailles, les réductions de 72 cm et 27 cm ; s’en suivra, à partir de 1901, le tirage dit « n° 3 » de 39 cm, dont fait partie notre épreuve. Cette édition se prolongera jusqu’en 1918, avec 105 à 109 tirages recensés.

À partir de 1904, une dernière réduction de 60 cm est tirée, afin de répondre à une demande toujours aussi forte. À l’expiration du contrat d’édition, les chefs-modèles Barbedienne ont été déposés au musée Rodin où ils sont toujours conservés (inv. S.2061, pour celui de notre édition).

Le charme du grand groupe de la jeune fille et de l’homme qui se nomme Le Baiser tient à cette sage et juste répartition de la vie ; on a le sentiment que, de toutes ces surfaces de contact, des vagues pénètrent dans les corps, des frissons de beauté, de pressentiment et de force. De là vient que l’on croit voir la félicité de ce baiser sur toute l’étendue de ces corps ; il est comme un soleil qui se lève et sa lumière est répandue partout.

28
RAINER MARIA RILKE, SUR RODIN , 1903

AUGUSTE RODIN (1840-1917)

L'Âge d'Airain, réduction « n° 2 » Modèle vers 1877, réduction vers 1904, fonte en novembre 1945

bronze à patine brun noir nuancé signé Rodin fonte au sable par Alexis Rudier, avec la marque du fondeur « Alexis Rudier Fondeur. Paris », et le cachet en relief à l’intérieur « A. Rodin » 64,6 x 24,2 x 18,8 cm

PROVENANCE

Musée Rodin, Paris ; Collection privée, France ; Collection Souliman, France.

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

A. Le Normand-Romain, Rodin et le bronze, catalogue des œuvres conservées au musée Rodin, Paris, 2007, pp. 121-29.

30 7

Cette version en réduction de l’Âge d’airain, œuvre iconique de Rodin, date de 1904. Le plâtre de ce modèle est exposé pour la première fois en janvier 1877, au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles. Un article paru dans L’Étoile belge est à l’origine d’une polémique sur la nature de l’Âge d’airain, dont le réalisme troublant donne à penser qu’il résulte d’un moulage sur nature. En réalité, Rodin a fait poser un jeune soldat belge, Auguste Neyt, pour servir de modèle à cet homme nu dont l’unique attribut, la lance du chasseur primitif, est rapidement abandonné. La même année, la rumeur se propage à Paris, où Rodin expose à nouveau le plâtre au Salon (n° 4107). Les accusations sont si virulentes qu’il doit se défendre en prouvant que l’anatomie parfaite de l’Âge d’airain est le fruit de son talent de modeleur, et non d’une empreinte prise sur le vif. Le jeune sculpteur peine à convaincre le conseil d’inspection qui refuse que le modèle soit coulé en bronze. La bonne foi de Rodin convint toutefois Edmond Turquet, le nouveau directeur des Beaux-Arts ; enthousiasmé par l’œuvre et persuadé de la sincérité du sculpteur, il achète

le plâtre et commande un tirage en bronze à la fonderie Thiébaut Frères. Le sculpteur reçoit une médaille de 3e classe au Salon des artistes français de 1880 pour cet exemplaire de L’Âge d’airain dit aussi L'Homme qui s'éveille ou Le Vaincu (n° 6640) il est aujourd’hui conservé au musée d’Orsay (inv. RF 676).

Contre toute attente, cette mésaventure a considérablement participé à la notoriété de Rodin qui reçoit, en 1880, une commande de l’État français pour la Porte de l’Enfer, destinée au futur musée des arts décoratifs de Paris, et dont le bronze ne sera fondu qu’après la mort du sculpteur.

Sa véritable vie, indépendante et publique, commence aux environs de l’année 1877. Elle commence par l’accusation qu’on porte contre lui d’avoir exécuté la statue de L’Âge d’airain qu’il exposait alors, en la moulant d’après nature. Elle commence par une accusation.

32

AUGUSTE RODIN (1840-1917)

Charles, duc de Rohan (1844-1914)

Modèle vers 1909, fonte vers 1910

bronze à patine brun vert très nuancé ; sur une base rapportée en chêne signé A RODIN

fonte au sable par Alexis Rudier, avec la marque du fondeur

« ALEXIS RUDIER FONDEUR PARIS » Haut. (buste) 46 cm

PROVENANCE

Collection du duc de Rohan, à partir de 1911 ; puis resté dans la famille par descendance.

SOURCE ET BIBLIOGRAPHIE

Archives du musée Rodin, Paris, côte L 1049 ;

A. Le Normand-Romain, Les bronzes de Rodin. Catalogue des œuvres au Musée Rodin, Paris, 2007, vol. 2, pp. 631-32

Alain-Charles-Louis de Rohan-Chabot (18441914), prince de Léon, devient à la mort de son père le onzième duc de la lignée bretonne. Capitaine des gardes-mobiles pendant la guerre contre la Prusse, ce catholique social et légitimiste, qui se ralliera aux orléanistes à la mort du comte de Chambord, fait par la suite une brillante carrière politique. Réputé pour son esprit fin et cultivé, il épouse la poétesse Herminie de La Brousse de Verteillac, dont le salon littéraire est célèbre à Paris. Pendant plus de quarante ans sans discontinuer, il est élu conseiller-général et député du Morbihan. En 1893, il prend la suite du duc de Noailles à la présidence du Cercle de l’Union française, fonction qu’il ne quittera plus.

Lors de ses séjours parisiens, le duc de Rohan loge dans son hôtel particulier, aujourd’hui détruit, du boulevard des Invalides. À partir de 1907, il reçoit régulièrement son voisin de l’hôtel

Biron, Rodin, dont il est un fidèle admirateur. Les deux hommes s’apprécient mutuellement, mais le duc hésite un moment avant de commander son portrait. Sur l’insistance de sa fille, la princesse Marie Murat, il finit par se décider et le travail commence au printemps 1909. Dans une lettre de Charles de Rohan à Rodin, en date du 18 juin 1909, le duc exprime le plaisir qu’il a de le revoir prochainement et dit se tenir à sa disposition (archives du musée Rodin).

Pour ce portrait, Rodin multiplie les études préparatoires, à la recherche de la meilleure inclinaison du visage et des bonnes proportions de la base (musée Rodin, inv. S. 207 et S. 1467 pour les terres, et S. 1539, S. 1540, S. 1540 bis et S. 1616 pour les plâtres). Sur une autre version, en plâtre (ibidem, inv. S. 2021), Charles de Rohan est vêtu il l’est également sur le marbre exécuté par le praticien Victor Peter en 1910, conservé au château de Josselin, fief morbihannais de la famille Rohan. Enfin, sur une dernière étude en plâtre, le buste du modèle est découpé en pointe, pour s’adapter à un piédouche (ibidem, inv. S. 1541, S. 1617 et S. 1662).

En 1911, quand le marbre est exposé au Salon de la Société nationale des beaux-arts, il reçoit un accueil élogieux. Le critique Charles Dauzat le qualifie d’« admirable buste » (cf. Ch. Dauzat, « Les Salons de 1911 », dans Le Figaro n° 105, 15 avril 1911, p. 4). Rodin donne de son modèle l’image d’un homme distingué, sans ostentation.

En 1910, Alexis Rudier fond trois épreuves seulement de la variante que nous présentons ; deux sont acquises par le duc de Rohan, en même temps que le marbre du château de Josselin. La même année, Rudier fond également une épreuve de la version au buste découpé en pointe, achetée par l’État en 1911 pour le musée du Luxembourg (musée Rodin, inv. S. 782).

D’abord un peu déconcerté par la représentation sans détour des traits de son visage, le duc se dit finalement heureux de son portrait dans une lettre au sculpteur du 27 avril 1911 (archives du musée Rodin). Lors d’un discours prononcé le 18 octobre 1911, le duc de Rohan déclare qu’ « un pays s’honore en honorant le talent. La France doit créer le musée Rodin. ».

34
8

AUGUSTE RODIN (1840-1917)

Jules Dalou Modèle vers 1883, fonte vers 1955

bronze à patine brun vert nuancé ; sur une base en marbre noir fin de Belgique signé A RODIN

fonte au sable par Georges Rudier, avec la marque du fondeur « Georges Rudier fondeur.

Paris », avec le cachet en relief à l’intérieur « A RODIN » et le copyright du musée « @bymuséeRodin 1955 »

Haut. (buste) 52,7 cm ; haut. (base) 8 cm

SOURCE ET BIBLIOGRAPHIE

Archives du musée Rodin, Paris, cote D7 RE 7 ;

A. Le Normand-Romain, Les bronzes de Rodin. Catalogue des œuvres au Musée Rodin, Paris, 2007, vol. 1, pp. 284-85 ;

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

C. Goldscheider, Auguste Rodin : catalogue raisonné de l’œuvre sculpté, Lausanne, Paris, 1989, pp. 171-173, n° 131.

Dans ce portrait, oscillant entre intimisme et solennité, Rodin parvient à capturer l’essence même de ce qui définit Dalou : un artiste sans concession, réputé pour ses convictions et une profonde conscience sociale. À la mort de Rodin, Gustave Coquiot, qui fut l’un de ses secrétaires, confirme l’amitié sincère et le respect qui unissaient les deux hommes : « Mon premier ami, me dit-il, ce fut Dalou. Un grand artiste qui avait la tradition des maîtres du XVIIIe » (cf. G. Coquiot, Rodin à l'Hôtel de Biron et à Meudon, Paris, p. 109).

En 1880, Rodin modèle le portrait de son ami de retour d’Angleterre, où ce partisan de la Commune a vécu en exil pendant près de dix ans. Le plâtre est présenté au Salon des Artistes français de 1884 (n° 3863), en même temps

qu’un buste en bronze de Victor Hugo (n° 3862). Les deux portraits suscitent une égale admiration, notamment du critique Louis de Fourcaud qui écrit : « Il n’y a rien, au Palais de l’industrie, de plus moderne, parce qu’il n’y a rien de si implacablement et hautement vrai. » (L. de Fourcaud, « Le salon de 1884 », dans la Gazette des Beaux-Arts). Dalou est alors un sculpteur reconnu, qui triomphe au Salon de 1883 avec le relief en plâtre des États généraux, séance du 23 juin 1789, relatant la célèbre phrase de Mirabeau « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes. » Le sort voulut que Dalou ne prît jamais possession de son buste. En effet, la rivalité entre les deux sculpteurs met un terme à leur longue amitié. Le conflit se cristallise autour du masque mortuaire de Victor Hugo et du projet pour le monument du défunt poète réalisé par Dalou (Petit Palais, inv. PPS00339), auquel Rodin trouve trop de similitudes avec la Porte de l’Enfer Rodin adopte la nudité héroïque, héritée des modèles antiques, pour composer un portrait où le réalisme ne cède en rien à la noblesse. Le visage émacié de Dalou, le regard droit, les yeux cernés de fatigue, est le reflet du tempérament nerveux et intransigeant dont le sculpteur avait en effet la réputation. À chacune des expositions de ce buste, considéré aujourd’hui encore comme l’un des plus expressifs et intimistes de Rodin, la critique et le public s’enthousiasment. L’exemplaire présenté à l’Exposition Universelle de 1889 est certainement celui fondu à cire perdue par Pierre Bingen (Detroit Institut of Art, inv. 60.1), celui avec variante de Léon Perzinka, le buste avec une découpe arrondie sous la poitrine, est probablement le bronze exposé au Pavillon de l’Alma en 1900 (Museums für Kunst und Gewerbe, Hambourg, inv. 1900.264). Un autre exemplaire est réputé avoir été fondu par Griffoul avant que l’édition du modèle ne soit confiée à Alexis Rudier, dont le premier tirage date de 1905. Deux derniers exemplaires seront fondus par Georges Rudier, sous le contrôle du musée Rodin, notre buste, commandé le 5 janvier 1955 (archives musée Rodin, cote D7 RE 7), et celui conservé au Cantor Arts Center, datant de 1969 (Stanford University, inv. 1974.83).

36
9
Voici le sculpteur Dalou en qui vibre, à côté d’une énergie tenace et avare, une fatigue nerveuse […]
G. GRAPPE, LE MUSÉE RODIN , PARIS, 1944, N° 400

JULES DALOU

(PARIS, 1838-1902)

Grâce à Jean-Baptiste Carpeaux, le jeune Dalou entre en 1852 à la « Petite École », future École nationale des arts décoratifs de Paris. Il est admis deux ans plus tard à l’École des beaux-arts et étudie sous la direction du peintre Abel de Pujol, puis du sculpteur Francisque Duret. En 1857, Dalou s’éloigne d’un enseignement académique qui ne lui convient pas et trouve du travail auprès d’orfèvres et d’ornemanistes. Il se fait embaucher sur les grands chantiers décoratifs du Second Empire, dont le luxueux hôtel de la Païva sur les Champs-Élysées. Dalou réintègre l’École des beaux-arts en 1866, pour se prépare une seconde fois au concours du prix de Rome, mais son mariage et la nécessité de subvenir aux besoins du couple l’en éloignent. De 1866 à 1870, Il trouve un revenu régulier auprès de l’orfèvre Fannière, chez lequel il se lie d’amitié avec Rodin. Georgette, la fille unique de Dalou, naît le 27 mai 1867 ; malheureusement affectée d’un handicap, elle nécessitera des soins constants. Les liens se resserrent à l’intérieur de la cellule familiale et lui inspirent des scènes intimistes autour de l’amour maternel.

Né dans une famille résolument républicaine, Dalou restera toujours fidèle à ses idées. La chute de Napoléon III et l’avènement de la Troisième République sont pour lui synonymes d’espérance. Pendant la Commune de Paris, il s’engage dans un bataillon de marche et siège à la Fédération de la Garde Républicaine. Il est également nommé à la conservation du Louvre, avec l'architecte Achille Oudinot et le peintre Jules Héreau, par la Fédération des Artistes créée à l’initiative de Gustave Courbet. À la chute de la Commune, le sculpteur est condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité et doit fuir la France. Il rejoint son ami le peintre Alphonse Legros à Londres. Les maternités et autres sujets inspirés par son entourage familial conquièrent le public anglais. Le comte Carlisle, ardent socialiste comme Dalou, lui achète d’abord la Boulonnaise au rameau, puis lui demande son buste, le portrait de sa femme, une Brodeuse et une Baigneuse. Les succès vont alors s’enchaîner et, pour compléter ses revenus, il trouve un emploi de professeur au Royal College of Art. Sa famille à l’abri du besoin, il entreprend un voyage en Belgique, d’où il revient profondément marqué par les corps sensuels des femmes de Rubens. En 1878, Dalou est encore à Londres quand il participe au concours pour un monument commémorant la République française, destiné à orner la place de

la République ; les frères Léopold et François-Charles Morice remportent la commande. Le projet novateur du Triomphe de la Nation de Dalou, qui a obtenu la seconde place, a tant conquis le jury que la ville de Paris lui en commandera un bronze monumental pour le centenaire de la Révolution (place de la Nation). De retour à Paris en 1880, Dalou reprend, dans un premier temps, ses activités de sculpteur-décorateur. En 1883, il remporte une médaille d’honneur au Salon pour ses bas-reliefs de la Fraternités des peuples (Mairie du Xe arrondissement) et Mirabeau répondant à Dreux Brézé (Palais Bourbon). Le 21 septembre 1889, quand le plâtre patiné grandeur nature du Triomphe de la République est inauguré, pendant les célébrations du centenaire de la Révolution, il remporte un vif succès. Le déroulement de la fonte en bronze va cependant se heurter au tempérament perfectionniste, voire intransigeant, de Dalou. Le sculpteur exige la technique à la cire perdue, peut-être pour rivaliser avec les grands monuments de l’Ancien Régime, et impose le fondeur Bingen. Malgré le talent de ce dernier, la complexité de l’opération à une telle échelle voue le projet à l’échec ; Dalou, après avoir englouti la somme allouée, doit se résoudre à confier aux frères Thiébaut la fonte au sable. Vers 1890-92, probablement pour faire oublier ce désastre financier, Dalou réalise gracieusement les monuments funéraires de Victor Noir et Auguste Blanqui (cimetière du Père Lachaise).

À partir de mai 1893, le sculpteur tombe gravement malade, sa vue et ses forces baissent. Pour assurer des subsides pour sa famille, il produit alors dans l’urgence. À la mort de sa femme, le 18 novembre 1900, Dalou fait le nécessaire pour le placement de Georgette à l’Orphelinat des Arts. Afin de financer la prise en charge de sa fille, il organise l’édition à titre posthume de son œuvre.

À elle seule, la capitale compte quinze monuments de ce sculpteur engagé. Outre ceux déjà mentionnés, citons le Triomphe de Silène (jardins du Luxembourg) et la fontaine à la Bacchanale (Jardin des Serres d’Auteuil). Il est aussi l’auteur du Monument à Léon Gambetta de la ville de Bordeaux, (aujourd’hui déposé).

D’autres projets ne verront pas le jour, notamment celui pour le Monument à Victor Hugo (vers 1885), qui lui vaudra de se brouiller définitivement avec son ami Rodin. Sans qu’il ait reçu la moindre commande, pendant des années, Dalou travaillera sans relâche sur un monument en l’honneur des travailleurs, dont les multiples esquisses ne seront découvertes qu’à sa mort.

38
39

JULES DALOU (1838-1902)

Parisienne allaitant ou Portrait de Madame Dalou

Modèle vers 1874, fonte vers 1910

bronze à patine brun moyen clair nuancé signé et daté DALOU / 1874 fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur Haut. 46 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

F. Delestre, Dalou inédit, cat. exp. Galerie Delestre, Paris, 1978, n° 4 ;

A. Pingeot, A. Le Normand-Romain, L. de Margerie, Musée d'Orsay. Catalogue sommaire illustré des sculptures, Paris, 1986, p. 112 ;

A. Simier (dir.), Jules Dalou, le sculpteur de la République, cat. exp. Petit Palais, Paris, 2013, pp. 356-57, n° 286 (un modèle similaire).

JULES DALOU (1838-1902)

Femme assise dans un fauteuil, retirant son bas

Modèle entre 1870 et 1890, fonte vers 1906

bronze à patine brun clair vert très nuancé signé DALOU fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « 6 » Haut. 18,5 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

A. Simier (dir.), Jules Dalou, le sculpteur de la République, cat. exp. Petit Palais, Paris, 2013, pp. 380-81, n° 308.

Le thème des baigneuses, s’habillant, se déshabillant, se lavant ou s’essuyant le corps, émaille l’œuvre de Dalou. Le sculpteur décrit ainsi avec réalisme les gestes simples du quotidien de femmes aux formes rondes et généreuses, absorbées par leurs menues occupations, qui

semblent surprises dans leur intimité.

A. Simier dresse un parallèle très juste entre les Baigneuses de Dalou et les femmes à la toilette des pastels de Degas. Nous pouvons étendre cette comparaison aux tirages en bronze par Hébrard de nombreuses cires du peintre sur le sujet, notamment Le Tub (musée d’Orsay, inv. RF 2120), Femme assise s’essuyant la nuque (ibidem, inv. RF 2122), Femme s'essuyant l'aisselle gauche (ibidem, inv. RF 2124), ou encore Femme assise dans un fauteuil s'essuyant le côté gauche (ibidem, inv. RF 2131).

La terre cuite de notre modèle est conservée à Paris (Petit Palais, inv. PPS00217) ; un dessin préparatoire exécuté au graphite sur vélin, décrivant la même pause vue de face, a été publié en 2013, lors de la rétrospective Dalou du Petit Palais (cf. A. Simier, op. cit., p. 380). Il provient du fonds d’Auguste Becker, praticien et ami de Dalou qui, à la mort du sculpteur, a conservé l’ensemble des dessins et documents d’archives de l’atelier (collection particulière).

Ce modèle intimiste, teinté d’un léger érotisme, figure sur un contrat du 10 mai 1906, signé entre les héritiers Dalou et Hébrard, lui assurant l’exclusivité de l’édition en bronze (« Femme retirant son bas », n° 20).

Le thème des maternités, comme celui des baigneuses dont un magnifique exemple figure dans cette exposition (CAT 10), est l’un des sujets de prédilection de Dalou. De 1871 à 1879, pendant son exil anglais, Dalou vit au sein d’un cercle familial restreint à sa femme et sa fille qui deviennent, de ce fait, ses modèles privilégiés. Notre composition peut être rapprochée du groupe Maternal Joy, exposé à Londres en 1872 (Salon de la Royal Academy, n° 1500 ; non localisé). Ce thème intimiste correspond au goût de la nouvelle clientèle anglaise du sculpteur. L’année suivante, il expose une terre cuite de la Paysanne française allaitant (ibidem n° 1540 ; Victoria & Albert Museum, inv. A.8-1993), suivie par Hush-a-bye-baby, en 1874, dont le titre s’inspire d’une célèbre comptine (ibidem n° 1530 ; V&A Museum, inv. A.39-1934). Dalou transpose ce modèle particulièrement apprécié en marbre, lequel sera à son tour exposé deux ans plus tard (ibidem n° 1441 ; collection des ducs de Westminster). En 1877, le sculpteur clôt la série des maternités par la terre cuite de La Boulonnaise allaitant (ibidem, n° 1465 ; Sotheby’s Londres, 21 mai 2014, lot 79). Au-delà les clivages sociaux, Dalou témoigne de l’universalité du sujet.

En 1910, quand une terre cuite de notre modèle est présentée par les fondeurs et éditeurs Susse, dans leur galerie du boulevard de la Madeleine, elle est décrite comme un Portrait de Madame Dalou (n° 11). De fait, Irma, l’épouse du sculpteur, a été une source d’inspiration constante. Dalou capture ici toute la tendresse de ce moment d’intimité familiale et inscrit dans la terre l’amour de sa femme pour ce nouveau-né, leur fille unique Georgette, dont la vulnérabilité et l’avenir incertain soudront plus encore le couple.

Un bronze du même modèle se trouvait dans la collection de Carle Dreyfus, conservateur du Département des objets d’art au musée du Louvre (musée d’Orsay, inv. RF 2725).

40
10
11

ARISTIDE MAILLOL

(BANY ULS-SUR-MER, 1861-1944)

Arrivé à Paris en 1882, Maillol entre à l'École nationale des Beaux-Arts. Après un bref passage par l’atelier de Jean-Léon Gérôme, il suit les cours de nu d’Adolphe Yvon, où il rencontre Achille Laugé. À la fin des années 1880, Antoine Bourdelle apportera une grande aide au jeune artiste sans le sou. Il commence sa carrière en tant que peintre, mais manifeste très tôt un intérêt marqué pour les arts décoratifs, notamment la céramique et la tapisserie qu’il découvre à Cluny, avec l’admirable tenture de la Dame à la Licorne. En séjour à Banyulssur-Mer, Maillol rencontre Clotilde Narcis, qui devient son modèle et dont il aura un fils, Lucien. Dans les mêmes années, il se joint aux Nabis, Bonnard, Vuillard et Maurice Denis, et rencontre Paul Gauguin en 1892.

En 1900, Maillol taille ses premiers bois, et modèle en terre des baigneuses et autres figures féminines aux formes voluptueuses. L’écrivain Octave Mirbeau fait l’acquisition d’un bronze d’une petite Léda en 1902, à la galerie Vollard ; en l’examinant, Rodin se serait exclamé : « Maillol est un sculpteur aussi grand que les plus grands… Il y a là, voyez-vous, dans ce petit bronze, de l’exemple pour tout le monde […] Ce qu’il y a d’admirable, en Maillol, ce qu’il y a, pourrais-je dire, d’éternel, c’est la pureté, la clarté, la limpidité de son métier et de sa pensée… » (cf. G. Joly, dans La Revue mondiale, Paris, 1905, p. 326). En 1903, Maillol quitte le brouhaha parisien pour s’installer dans les Yvelines, à Marly-le-Roi.

Au Salon d’Automne de 1905, parmi les tableaux aux couleurs explosives des peintres fauves, il présente une statue monumentale en pierre, intitulée ultérieurement Méditerranée. Elle a été commandée par le collectionneur allemand Harry Kessler, fidèle mécène de l’artiste (Collection Oskar Reinhart, Winterthour, Suisse). La femme assise, à l’anatomie presque architecturale, pose son coude gauche sur la jambe repliée et tient la tête appuyée contre sa main gauche ; elle semble perdue dans ses pensées. L’œuvre de Maillol fait sensation et André Gide déclare : « Elle est belle, elle ne signifie rien, c’est une œuvre silencieuse. Il faut remonter bien loin en arrière pour trouver une aussi complète négligence de toute préoccupation étrangère à la simple manifestation de la beauté. » (cf. D. Vierny, B. Lorquin, A. Le Normand-Romain, Maillol : La Méditerranée, Paris, 1986, p. 11). En 1923, l’État français commande un exemplaire en marbre, conservé au musée d’Orsay (inv. RF 3248). Depuis la Méditerranée, les commandes publiques et privées affluent, mais le style novateur et puissant du sculpteur parfois dérange. Ce sera le cas notamment du Monument à Louis-Auguste Blanqui de Puget-Théniers, à la mémoire du révolutionnaire mort au terme d’une longue captivité qui lui vaudra le surnom de

« l’Enfermé » ; la figure allégorique de L’Action enchaînée, femme nue entravée à la musculature exacerbée, fait scandale. Il en est de même pour la femme nue allongée de l’Hommage à Cézanne, commandé en 1912 par la ville d’Aixen-Provence, et refusé par les commanditaires (musée d’Orsay, inv. RF 3245).

En 1910, par l’intermédiaire de Maurice Denis, Maillol fait la connaissance du grand collectionneur russe Ivan Morozov, qui lui commande quatre bronzes grandeur nature, Pomone, dont le plâtre vient de triompher au Salon d’Automne, Flore, L’Été et Le Printemps (Musée d'État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, inv. Ck-240, Ck-241, Ck-242, Ck-243). La notoriété de Maillol continue de grandir à l’international avec, en 1913, deux premières expositions, à Rotterdam et aux EtatsUnis, où il est l’un des rares sculpteurs français représenté à l’Armory Show. À la mort de Rodin, Maillol devient l’un des plus grands sculpteurs français vivants. Au lendemain de la Grande Guerre, les commandes affluent à nouveau, notamment pour les monuments aux morts de Céret, Elne, Port-Vendres et de sa ville natale.

En 1928, il expose à la Goupil Gallery de Londres, puis chez le marchand berlinois Alfred Flechtheim. En 1931, il reçoit la commande d’un Monument à Debussy, qui se trouve dans la maison natale du compositeur, à Saint Germain-en-Laye. Deux ans plus tard, une grande exposition lui est consacrée à la Brummer Gallery de New York, et une autre à la Kunsthalle de Bâle.

1934 est une année charnière pour Maillol, marquée par la rencontre de Dina Vierny (1919-2009), âgée de 15 ans seulement, qui va devenir son modèle, sa muse et sa collaboratrice pour les dix dernières années de sa vie. Elle pose notamment pour les trois figures monumentales de La Montagne (1937) (musée d’Orsay, inv. RF 3244), La Rivière (1938) et L'Air (1938), commande de la ville de Toulouse à la mémoire des aviateurs de l’Aéropostale. Rétrospectivement, ces deux dernières œuvres, qui représentent des femmes allongées dans l’attitude de la chute, pourraient être perçues comme des préfigurations des années sombres à venir. L’Exposition universelle de 1937 marque la consécration de Maillol. Ses œuvres figurent en bonne place au musée national d’Art Moderne, qui vient juste d’ouvrir ses portes au palais de Tokyo. En septembre 1939, Maillol se réfugie à Banyuls-sur-Mer et travaille sur L’Harmonie, sa dernière œuvre, qu’il laissera inachevée à sa mort.

Après la disparition de son Pygmalion, Dina Vierny n’aura de cesse de promouvoir son œuvre. En 1955, elle achète un hôtel particulier rue de Grenelle pour installer un musée à son nom. Elle offre également dix-neuf tirages en plomb des modèles de Maillol, installés dans les jardins du Carrousel.

42 43
Dans la sculpture, la matière et la pensée sont liées par la main seule ; ainsi la matière brute est imprégnée d'une chaleur de sentiment puisée directement dans la nature de l'artiste.
ARISTIDE MAILLOL, CF. J. REWALD, OP. CIT. , P. 12

ARISTIDE MAILLOL (1861-1944)

Baigneuse debout, avec le drapé sur le bras droit

Modèle vers 1898, fonte avant 1939

bronze à patine brune richement nuancée signé aristide maillol fonte au sable pour l’édition Ambroise Vollard, probablement par Florentin Godard Haut. 63 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

J. Rewald, Maillol, New York, 1939, p. 72 ;

W. George, Aristide Maillol et l'âme de la sculpture Neuchâtel, 1965, p. 131 ;

D. Vierny, B. Lorquin, Maillol, la passion du bronze, Paris, 1995, p. 24 ;

U. Berger, E. Lebon, Maillol (re)découvert, Paris, 2021.

Le modèle initial de cette Baigneuse debout, également connue sous le nom de Femme au chignon, est un bois sculpté réalisé vers 1898 (Stedelijk Museum, Amsterdam). Sur les recommandations d’Ambroise Vollard, Maillol fait des moulages de plusieurs de ses bois, dont celui de la Baigneuse debout, pour les éditer en bronze. Conquis par le résultat obtenu, le marchand décide de poursuivre à son compte l’édition des modèles, parmi lesquels figure le nôtre. Il signe avec Maillol un premier contrat de cession des droits en 1902, puis un second en 1905.

Au total, Vollard achète environ vingt cinq des modèles de Maillol, dont les éditions s’arrêteront à la mort du marchand en 1939.

Grand amateur de Maillol, Ambroise Vollard est représenté en train d’étudier une des statuettes du sculpteur, vers 1908, dans son portrait par Auguste Renoir (Courtauld Institute, Londres, inv. P.1932.SC.340). Dès 1907, Florentin Godard, frère aîné de Désiré, réalise les tirages en bronze des modèles de l’édition Vollard ; il deviendra son fondeur exclusif à partir de 1909. Ses fontes au sable, aussi exceptionnelles que confidentielles, ne sont quasiment jamais marquées ; ceci explique le relatif oubli dans lequel cet artisan de talent est tombé. Godard a pourtant travaillé pour de grands sculpteurs, parmi lesquels Joseph Bernard et Constantin Brancusi. Il a également effectué l’édition de modèles de Picasso et Manolo, en collaboration avec le marchand Daniel-Henri Kahnweiler.

Il existe deux variantes de la Baigneuse debout, l’une à l’identique du bois sculpté, comme notre exemplaire, reprenant le détail du drapé enroulé autour du bras droit, l’autre sans le drapé, la main droite dégagée du corps. Une épreuve en bronze de notre variante est conservée au Los Angeles County Museum of Art. Une autre, provenant de la Collection Abby Aldrich Rockefeller, se trouve au Metropolitan Museum of Art, New-York (inv. 55.21.15). En 1909, une épreuve de la variante sans le drapé a été acquise par le grand collectionneur russe Sergueï Chtchoukine (Musée d'État des BeauxArts Pouchkine, Moscou, inv. Ck-282).

L’épreuve de la Baigneuse debout ici exposée, magnifiée par une patine chaude, légèrement acajou, compte certainement parmi les premiers tirages du modèle et présente toutes les caractéristiques des fontes de Florentin Godard.

Cet exemplaire de l’édition Vollard a fait l’objet d'un certificat d'authenticité établi par Olivier Lorquin, en date du 30 juin 2017.

44
12

JOSEPH BERNARD

(VIENNE, ISÈRE, 1866 – BOULOGNE-BILLANCOURT, 1931)

Au début du XXe siècle, Joseph Bernard compte parmi les artistes novateurs qui, comme Albert Bartholomé et Louis Dejean, décident de rompre avec les grands courants ; il propose une alternative au style puissant de Rodin et se distingue tant des envolées oniriques du symbolisme que du caractère social du réalisme. Il débute sa formation en Isère, auprès de son père tailleur de pierres, qu’il suivra dès l’âge de 12 ans sur des chantiers de restauration. Grâce à une bourse octroyée par sa ville natale, il peut intégrer en 1881 l’École des beaux-arts de Lyon. En 1897, il rejoint l’atelier de Pierre-Jules Cavelier, à l’École des beaux-arts de Paris. Il y acquiert une formation classique solide mais semble peu convaincu par cet enseignement académique. Joseph regarde vers l’incontournable Rodin, dont l’influence va être considérable sur ses œuvres de jeunesse, comme l’Espoir vaincu (plâtre exposé au Salon des artistes français de 1895, n° 2572). Le sculpteur remporte un premier succès avec ce modèle, dont sa ville natale lui commande un marbre. Il participe pour la première fois au Salon des artistes français en 1892, mais ne parvient pas encore à vivre de son art. Pour subvenir à ses besoins, il trouve un travail de nuit dans une imprimerie, emploi qu’il gardera jusqu’en 1911. En 1921, lors de son installation à Boulogne, le sculpteur détruira l’essentiel de ses œuvres de jeunesse. Joseph s’installe dans l’enclave artistique de la cité Falguière en 1900. Vers 1905, il y sculpte l’Effort vers la Nature, tête en pierre aux formes épurées, presque archaïques (musée d’Orsay, inv. RF 3513). Elle prélude à une série de têtes monumentales avec lesquelles il se démarque du pathos de Rodin et trouve son style, sobre et monumental. René Jullian les qualifie de « visages intérieurs » (R. Jullian, « Joseph Bernard en son Temps », dans Bulletin de la Société des Amis de Vienne, n° 77, 1982, pp. 5-20). Jusque dans la technique, il prend le contrepied du maître et préfère au modelage le travail sur le plâtre à sec ou la taille directe de la pierre. En 1905, la ville de Vienne lui passe une première grande commande pour le Monument à Michel Servet. Bernard y travaillera jusqu’en 1911, taillant luimême chacune des figures monumentales. Il exposera pour la première fois au Salon d’Automne en 1910 et une rétrospective lui sera consacrée l’année suivante. Entre 1911 et 1912, il sculpte une autre de ses œuvres emblématiques, la grande frise de la Danse, pour son mécène Paul Nocard (musée d’Orsay, inv. RF 3514).

À partir de 1907, Hébrard prend Bernard dans son « écurie », au côté de sculpteurs confirmés, comme François Pompon, ou à l’avenir prometteur, comme Rembrandt Bugatti. En mai 1908, il lui organise une première exposition personnelle dans la galerie de la rue Royale. Elle sera suivie par une seconde exposition en 1914, à la Galerie Manzi-Joyant. Parmi les modèles réalisés en vue de leur édition en bronze, la Porteuse d’eau est certainement celui qui aura le plus de succès (CAT. 13). Cette œuvre devient tellement emblématique de son époque qu’elle est l’une des rares sculptures françaises exposées à l'Armory Show de New York, en 1913. La même année, handicapé à la suite d’une congestion cérébrale, Bernard est contraint à une longue interruption. L’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, en 1925, marque son grand retour. Il est alors l’égal d’Aristide Maillol et d’Antoine Bourdelle, et la Frise de la Danse de l'hôtel du Collectionneur, réalisée pour Jacques-Émile Ruhlmann, y est particulièrement admirée. À partir de 1928, il s'essaie à un nouveau matériau, la pastiline, puis se consacre au dessin. À la mort brutale de Bernard, une rétrospective lui est consacrée au musée de l’Orangerie, et un hommage lui est rendu au Salon d’Automne. Bernard aura créé l’essentiel de son œuvre sculpté dans un laps de temps très court, entre 1905 et 1913.

JOSEPH ANTOINE BERNARD (1866-1931)

Porteuse d’eau ou Jeune fille à la cruche

Modèle vers 1905-10, fonte vers 1912

bronze à patine brun vert nuancé signé et daté J. Bernard 1912 fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « (2) » Haut. 53,5 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

A. Pingeot, A. Le Normand-Romain, L. de Margerie, Musée d'Orsay. Catalogue sommaire illustré des sculptures, Paris, 1986, p. 50

R. Jullian, J. Bernard, L. Stoenesco, P. GrémontGervaise, Joseph Bernard, Saint-Rémy-lèsChevreuse, Fondation de Coubertin, 1989, pp. 298-302, n° 148 ;

C. Chevillot, Oublier Rodin : La sculpture à Paris 1905-1914, cat. exp. Musée d'Orsay, Paris, 2009, pp. 166 et 274, cat. 56 ; Sculptures du XVIIe au XXe siècle du Musée des Beaux-Arts de Lyon Lyon, 2017, pp. 362-64.

Œuvre emblématique de Joseph Bernard, la Porteuse d’eau, également appelée Jeune fille à la cruche, incarne l’idéal féminin arcadien que poursuivra le sculpteur tout au long de sa carrière. À l’inverse des formes plus statiques des corps taillés dans la pierre ou le marbre, elle possède la silhouette élancée des plâtres destinés à l’édition en bronze. Les formes sont épurées, presque géométriques ; la surface lisse du corps, obtenue par polissage du plâtre à sec, contraste avec les striures à l’antique de la chevelure retenue par un bandeau. De même, la démarche gauche de la jeune fille, les pieds légèrement en-dedans, lui confèrent un caractère presque enfantin qui s’oppose aux courbes gracieuses d’un corps nubile. Entre 1905 et 1907, Bernard réalise une première version du modèle dont le bras gauche est tendu ; la version définitive, le bras gauche légèrement replié, peut être datée autour de 1910.

Avec la Porteuse d’eau, il modèle pour la première fois le sujet directement dans le plâtre, abandonnant le travail conventionnel de la terre. Comme il l’explique dans une lettre du 25 novembre 1920 « Je ne travaille pas à la glaise, voici 15 ans que je travaille et modèle avec le plâtre. […] mon travail en plâtre date de la Jeune fille à la cruche. » (cf. P. Grémont-Gervaise, « Passage de la terre glaise au plâtre comme matériau de création dans l’œuvre sculpté de Joseph Bernard », dans La Sculpture au XIXe siècle, mélange pour Anne Pingeot, Paris, 2008, pp. 326-28). Quand le modèle est exposé pour la première fois au Salon d’Automne de 1912 (n° 91), Frantz Jourdain, le fondateur du salon, admire ce « délicieux poème de candeur et de grâce […] ; c’est un chant pur et joyeux qu’aucun doute, qu’aucune crainte ne viennent troubler, c’est le symbole d’un bonheur que n’osent pas gâter les cris d’angoisse de ceux qui […] ont laissé toute espérance aux portes de

l’Enfer. » (F. Jourdain, « Joseph Bernard », dans Carnet des artistes, 1er juin 1917, p. 4). Comme nous l’avons déjà vu, en 1913, un plâtre de la Porteuse d’eau sera présenté à l’Armory Show, à New York et à Chicago (n° 187 ; Musée des BeauxArts de Lyon, inv. B 1255).

En 1908, Hébrard parvient à signer un contrat d’exclusivité pour l’édition d’un certain nombre de modèles de Bernard, parmi lesquels figure

la Porteuse d’eau. Une première épreuve, taille réelle, est fondue en 1912 ; elle sera acquise par l’État en 1917, pour le musée du Luxembourg (haut. 175 cm ; musée d’Orsay, inv. RF 3161). En réponse à l’immense notoriété du modèle, le sculpteur le déclinera en plusieurs variantes, l’une sans tête ni bras, une autre en torse sans bras, ou même la tête isolée. Claude Valsuani a également édité la Porteuse d’eau, en 28 exemplaires sur les 50 initialement prévus.

47
46
La Porteuse d’eau s’avance avec tant de grâce et de naturel que nous ne pourrions imaginer, dans l’accomplissement d’une telle fonction, attitude plus évidemment nécessaire et plus élégante par surcroît.
13
P. FIERENS, « LE SCULPTEUR JOSEPH BERNARD », DANS L’ART ET LES ARTISTES , N° 42, DÉCEMBRE 1923, P. 104

REMBRANDT BUGATTI

(MILAN, 1884 – PARIS, 1916)

Fils du célèbre ébéniste et décorateur de l’Art Nouveau Carlo Bugatti, Rembrandt est le frère cadet d'Ettore, fondateur de la prestigieuse marque automobile. Éduqué dans un milieu artistique international, ses débuts sont encouragés par son parrain, Giovanni Segantini, chef de file des peintres divisionnistes lombards ; le prince Paolo Troubetzkoy, ami de la famille et sculpteur cosmopolite, remarque également son talent. En 1901, lors d’un séjour dans la région de l’Albula, Rembrandt s’inspire des montagnes qui l’entourent pour sa première œuvre, Ritorno dal pascolo, figurant un jeune pâtre et ses quatre vaches. Un sens inné du modelage et une faculté à capter l’essence même du monde animal se dégagent déjà de ces formes énergiquement esquissées. Âgé de 19 ans seulement, Rembrandt quitte Milan pour Paris. Dès 1904, il signe un contrat d'exclusivité avec le fondeur-éditeur Adrien Aurélien Hébrard. Cette rencontre est certainement décisive pour les deux hommes. Par l’intermédiaire de Rembrandt, Hébrard fait la connaissance d’Albino Palazzolo, son futur chef d'atelier. Le jeune milanais s’avèrera une recrue décisive, grâce à laquelle les éditions atteindront le niveau d’excellence espéré. Hébrard présente un ensemble de bronzes animaliers de Rembrandt pour l’inauguration de sa galerie de la rue Royale, et organisera plusieurs expositions monographiques des nouvelles créations. De 1904 à 1914, Rembrandt expose régulièrement au Salon de la société nationale des beaux-arts.

Le sculpteur passe ses journées au contact d’animaux sauvages, de rares spécimens exotiques mais aussi d’espèces européennes plus communes, qu’il côtoie à la Ménagerie du Jardin des plantes à Paris, et surtout au zoo d’Anvers, le plus important à l’époque. Il étudie leur anatomie, observe leurs comportements, leurs expressions, saisit les gestes fugaces de leur quotidien. En 1906, Michel L’Hoest, directeur du Zoo d’Anvers et grand admirateur du travail de Rembrandt, met à sa disposition un atelier. Le sculpteur, qui se partage entre Paris et Anvers de 1906 à 1911, ne peut rêver plus de proximité avec ses modèles.

Engagé auprès de la Croix-Rouge pendant la Grande Guerre, Rembrandt contracte la tuberculose. Il poursuit dans l’armée italienne, avant d’être réformé quelques mois plus tard. De retour à Paris, en décembre 1915, il souffre terriblement de l’isolement auquel sa maladie le condamne. Dans la capitale désolée, comme partout en Europe, le marché de l’art s’est effondré ; il n’y a plus de bronze disponible, si ce n’est pour l’armement. À l’âge de 32 ans seulement, affaibli et désespéré, Rembrandt se donne la mort le 8 janvier 1916, dans son atelier du Montparnasse. Hommage posthume d’un frère admiratif, Ettore choisit l’Éléphant dressé, créé par Rembrandt en 1904, comme mascotte pour orner le bouchon du radiateur de la Bugatti Royale, nouveau fleuron de son écurie sorti en 1926. Pendant quinze ans, insatiablement, Bugatti a modelé sur le vif le monde animal, sans étude préparatoire ni assistance, adoptant une exécution enlevée afin de rester au plus près des changements d’humeurs des animaux, mouvants, émouvants et peu dociles.

REMBRANDT BUGATTI (1884-1916)

Jaguar accroupi

Modèle vers 1908, fonte entre 1911 et 1914

bronze à patine brun foncé nuancé ; sur son socle d’origine en marbre Emperador signé RBugatti fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « (27) »

Haut. (totale) 14 cm long. (totale) 20 cm ; haut. (marbre) 3,5 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

J.-Ch. Des Cordes, V. Fromanger Des Cordes, Rembrandt Bugatti, catalogue raisonné, Paris, 1987, p. 202 ;

V. Fromanger, Rembrandt Bugatti sculpteur – Répertoire monographique, Paris, 2009, pp. 304-05, n°216.

À ce jour, trois tirages seulement ont été répertoriés de l’édition du grand modèle (Haut. 30 cm), dont la première épreuve, exposée au Salon d'Automne de 1908, a été acquise par l’État pour le musée du Luxembourg (n° 307 ; musée d’Orsay, inv. LUX 338). En 1909, Hébrard entreprend l’édition d’une réduction, comprenant cinquante et un exemplaires répertoriés à ce jour, dont celui exposé ici. Selon les archives du fondeur, les épreuves numérotées de 26 à 39 ont été fondues entre 1911 et 1914 (Cahier Hébrard, pp. 102 et 106, cf. V. Fromanger, op. cit., p. 305).

51
50
En réalité, […] il aura précédé de dix années ceux de son temps.
C’est Rembrandt Bugatti qui éveilla en nous cet amour pitoyable des bêtes que la grande voix de Tolstoï ne nous avait qu’imparfaitement communiqué […].
Un destin singulier voulut que ce jeune homme fût annonciateur.
14
ANDRÉ SALMON, ART ET DÉCORATION , 1913

REMBRANDT

BUGATTI (1884-1916)

Gnou se léchant la patte

Modèle vers 1907,

fonte entre 1908 et 1926

bronze à patine brun rouge nuancé signé RBugatti

fonte à la cire perdue par Albino Palazzolo pour A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur, numérotée dans la cire « 2 »

34,5 x 38 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

J.-Ch. Des Cordes, V. Fromanger Des Cordes, Rembrandt Bugatti, catalogue raisonné, Paris, 1987, pp. 190-91 ;

V. Fromanger, Rembrandt Bugatti sculpteur – Répertoire monographique, Paris, 2009, p. 295, n° 189.

Le sculpteur s’intéresse à l’étrange position que prend la bête, qui se contorsionne pour lécher son membre postérieur droit levé. Cette attitude parfaitement naturelle pour l’animal, mais rarement représentée en sculpture, témoigne de la grande intimité entre le bovidé et l’artiste, dont la présence ne trouble manifestement pas la quiétude.

Un exemplaire en bronze de ce modèle a été exposé au Salon d’Automne de 1908, un autre à la Galerie A.A Hébrard en 1913. Notre bronze compte parmi les huit tirages répertoriés à ce jour, tous fondus par Albino Palazzolo.

52
15

REMBRANDT

BUGATTI (1884-1916)

Petites Antilopes koudou

« deux amis »

Modèle vers 1911, fonte avant 1934

bronze à patine brun noir nuancé signé RBugatti fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur 23 x 43,3 x 8,2 cm

PROVENANCE

Acquis par le précédent propriétaire auprès de la Sladmore Gallery, Londres, 2003.

EXPOSITION

Rembrandt Bugatti Sladmore Gallery et James Graham & Sons, New York, 14 octobre-12 novembre 2004.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

J.-Ch. des Cordes, V. Fromanger des Cordes, Rembrandt Bugatti, catalogue raisonné, Paris, 1987, pp. 268-269 ;

V. Fromanger, Rembrandt Bugatti sculpteur – Répertoire monographique, Paris, 2009, p. 321, n° 269 ;

V. Fromanger, Rembrandt Bugatti sculpteur –une trajectoire foudroyante, répertoire monographique, Paris 2016, p. 355, n° 272.

L’antilope tient une place privilégiée dans l’œuvre et le cœur de Rembrandt. En 1908, il obtient du directeur du zoo d’Anvers, Michel L’Hoest, le prêt de deux jeunes antilopes du Sénégal qu’il souhaite modeler grandeur nature. Arrivées par le train, elles partageront l’atelier parisien du sculpteur plusieurs mois durant. Les nombreuses lettres que Bugatti adresse à L’Hoest, manifestent du grand soin avec lequel il traite ses hôtes. Dans une lettre du 27 septembre 1908, conservée aux archives de la Société royale de Zoologie d’Anvers, Bugatti écrit : « je ne savais pas comment me décider à me séparer de ces deux animaux après plusieurs mois de vie en commun, ils étaient devenus pour moi de vrais compagnons d’existence et de travail. » (cf. V. Fromanger, op. cit., 2009, p. 148). L’unique bronze tiré d’après le plâtre exécuté ad vivum est exposé par Hébrard en 1908, sous le titre Mes Antilopes. Le plâtre est conservé au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (inv. 55.975.10.5).

Passionné par ces bovidés d’Afrique, Bugatti en déclinera plusieurs types entre 1908 et 1911 ; il termine cette véritable étude éthologique par trois suites d’antilopes koudou, dans lesquelles il transcrit avec justesse les manifestations d’affection et d’affliction. Ainsi, Bugatti donne dans la Mère blessée et la Mère malade la mesure de la souffrance, de la compassion et de la peine ressenties par les membres d’un même troupeau. Dans les deux groupes intitulés Caresse et Deux amis, dont fait partie l’exemplaire ici présenté, le sculpteur capture l’expression fugace de la tendresse animale. Cet exemplaire, comptant parmi les trente deux tirages de ce modèle répertoriés à ce jour, a fait l’objet d'un certificat d'authenticité établi par Véronique Fromanger en date du 19 mars 2023.

54
16

17

REMBRANDT

BUGATTI (1884-1916)

Deux léopards marchant

Modèle vers 1912, fonte avant 1921

bronze à patine brun vert légèrement nuancé

signé R. Bugatti

fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « (5) »

23 x 73 x 11,5 cm

PROVENANCE

Ancienne collection de la duchesse Malborough, vers 1919.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

J.-Ch. Des Cordes, V. Fromanger Des Cordes, Rembrandt Bugatti, catalogue raisonné, Paris, 1987, p. 270 ;

V. Fromanger, Rembrandt Bugatti sculpteur –une trajectoire foudroyante, répertoire monographique, Paris, 2016, pp. 208 et 366, n° 305.

En février 1912, la galerie milanaise Grubicy, fondée par le peintre, critique d’art et fervent promoteur du divisionnisme Vittore Grubicy de Dragon (1851-1920), présente pour la deuxième fois à Paris des artistes de l’avant-garde italienne. À cette occasion, Rembrandt expose avec les sculpteurs Medardo Rosso et Paolo Troubetzkoy et révèle au public quinze nouveaux modèles, parmi lesquels un exemplaire des Deux léopards marchant

Notre bronze, comptant parmi les vingt sept tirages de ce modèle répertoriés à ce jour, a fait l’objet d'un certificat d'authenticité établi par Véronique Fromanger en date du 13 septembre 2022.

57 56

PABLO GARGALLO

(MAELLA, ESPAGNE, 1881 – REUS, ESPAGNE, 1934)

À partir de 1895, Gargallo se forme à Barcelone, dans l’atelier d’Eusebi Arnau Mascort, puis dans celui d’Agapit Vallmitjana, à l’école des beaux-arts de La Lonja. Autour de 1900, il rencontre Picasso et fréquente l’avant-garde au café « Els Quatre Gats ». En 1903, il retrouve Picasso à Paris ; il y découvre l’œuvre de Rodin et les musées de la capitale. De 1906 à 1911, il travaille avec Eusebi Arnau à Barcelone, aux décors sculptés de l’Hôpital de la Santa Creu i Sant Pau, réalisation de Lluís Domenech i Montaner. L’architecte fera à nouveau appel aux deux sculpteurs pour le Palau de la Música Catalana. En 1907, Gargallo découvre l’atelier de Picasso au Bateau-Lavoir ; il est profondément marqué par les Demoiselles d’Avignon (MoMA, New York, inv. 333.1939). Il réalise alors ses premiers masques, à partir de fines plaques de cuivre découpées et recourbées. Il se lie d’amitié avec Juan Gris, Manolo Hugué et Max Jacob. De retour à Barcelone, Gargallo travaille aux décors du Théâtre Bosc. À Paris en 1912, il fait la connaissance de sa future épouse, Magali Tartanson, et des marchands Léonce Rosenberg et André Level. L’année suivante, il utilise pour la première fois le fer pour le Portrait de Magali, et réalise un Portrait de Picasso en pierre qui lui apporte la notoriété (Musée national d'Art de Catalogne, Barcelone, inv. 011012-000). Gargallo étend son réseau d’amitiés, notamment à Braque, Modigliani, Reverdy et Apollinaire.

Quand la Grande Guerre éclate, Gargallo est à Barcelone ; il y réalise en 1915 son premier Torse de femme en cuivre découpé. Dans les années d’après-guerre, il est devenu un sculpteur recherché ; une salle entière lui est consacrée en 1921, lors de l’Exposició d’Arte de Barcelone. Il obtient un poste de professeur à la Escuela Técnica de Oficios de Arte de la Mancomunidad de Cataluña et à la Escuela Superior de Bellos Oficios. Entre 1920 et 1923, il travaille un nouveau matériau, le plomb. Il met au point la « forme en creux », construction en négatif des volumes, certainement l’un des aspects les plus novateurs de son œuvre. Trois réalisations majeures vont être éditées en bronze, vers 1922-23 : la Femme au repos en creux, la Maternité en creux et la Femme couchée en creux (Museo Nacional Centro di Arte Reina Sofía, Madrid, inv. AD03643, inv. AD03642 et inv. AD03644). Pour des raisons politiques, Gargallo s’installe définitivement à Paris en 1924. Dans son atelier de Vincennes, il met au point un procédé de patrons en carton découpé lui permettant de décliner plusieurs versions en métal d’une même œuvre. Il expose au Salon d'Automne, aux Indépendants et aux Tuileries, ainsi qu’à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes. En 1925, il participe également à l’Exposition officielle d'art français au Japon. En 1927, il s’installe à Montparnasse et refuse de réaliser les sculptures métalliques de Picasso. Les liens entre les deux artistes se distendent. Gargallo expose à la galerie Jacques Bernheim, avec Lipchitz, Lambert-Rucki, Laurens, Brancusi, Bourdelle et Maillol. À Berlin, la galerie Flechtheim expose également ses œuvres.

L’un de ses modèles iconiques, le portrait de Kiki de Montparnasse, date de 1928 (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, inv. AMS 572). Il expose la même année à la Biennale de Venise. À partir de 1929, le sculpteur se consacre exclusivement au fer. Il déménage une dernière fois rue de Vaugirard, où il réalise l’Hommage à Chagall (ibidem, inv. AD03637). En 1934, à New York, la Brummer Gallery organise une exposition personnelle qui remporte un vif succès ; elle est suivie d’une exposition à la Sala Parés de Barcelone et d’une autre encore au Centre de Lectura, secció d'Art de Reus. À bout de force, Gargallo succombe peu après le vernissage.

PABLO GARGALLO (1881-1934)

Durmiente ou Segadora [Dormeuse ou Moissonneuse] Vers 1924

bronze à patine brun rouge nuancé vert ; sur une base rapportée en marbre noir fin de Belgique signé et daté P. Gargallo / 1924 fonte au sable, épreuve de l’artiste 11 x 26 x 18 cm (sans la base)

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

P. Gargallo-Anguera, Pablo Gargallo. Catalogue raisonné, Paris, 1998, n° 108, pp. 133-34.

Gargallo remporte un vif succès avec cette jeune femme reposant nue, hormis le chapeau de paille qui couvre partiellement son visage, allongée sur le maïs fraîchement moissonné. Il entreprend une édition non numérotée de ce modèle, en Espagne, dont neuf exemplaires ont été répertoriés, afin d’en faire cadeau à des amis (cf. P. Gargallo-Anguera, op. cit., p. 133). Un bronze de cette édition non numérotée, dont fait partie notre exemplaire, est conservé à Barcelone, au Museu Nacional d’Art de Catalunya (inv. 065587-000), un autre à Madrid, au Museo Nacional Centro di Arte Reina Sofía (inv. AS00688). Une édition sur sept, plus trois épreuves d’artistes, suivra.

Notre bronze a fait l’objet d'un certificat d'authenticité établi par Pierrette Gargallo Anguera, fille du sculpteur, en date du 20 juillet 2003 ; il est complété d’une lettre de sa main, du 3 août 2003, confirmant la date de fonte.

59
58 18

ALBERTO GIACOMETTI

(BORGONOVO, SUISSE, 1901 – COIRE, SUISSE, 1966)

Fils du peintre postimpressionniste Giovanni Giacometti (1868-1933), Alberto nait au milieu des reliefs alpins de la frontière italo-helvétique et grandit dans un environnement artistique. Il s’imprègne des travaux de son père, de son oncle, le peintre Agostino Giacometti, et de son parrain, le symboliste Cunot Amiet. La fratrie Giacometti perpétue l’héritage artistique familial ; Alberto, l’aîné, se tourne vers la peintre et la sculpteur, Diego (1902-1985) s’investit davantage dans les dessins de meubles et luminaires, et Bruno (1907-2012), le benjamin, s’oriente vers l’architecture. Alberto commence sa formation à l'École des beaux-arts de Genève, puis à l'École des arts et métiers. En 1920, il découvre la peinture tourmentée du Tintoret à Venise, et les fresques de Giotto à la Chapelle Scrovegni de Padoue. De retour en Italie en 1921, Alberto arpente les rues de Rome et remplit ses carnets de dessins. Sur la nécessaire assimilation des modèles fondamentaux de l’histoire de l’art, il déclarera plus tard : « J'ai beaucoup copié... A peu près tout ce qu'on a fait depuis toujours. »

(cf. P. Schneider, Les Dialogues du Louvre, 1972). Il découvre également Naples et ses environs, Florence et Assise. Cimabue, Giotto, Tintoret et, dans un tout autre registre, la mort subite d’un compagnon de route, sous ses yeux, vont durablement marquer son rapport à l’art et à la vie.

Arrivé à Paris en 1922, il suit l’enseignement d’Antoine Bourdelle à l’Académie de la Grande-Chaumière, et se loge dans l’atelier d’Alexander Archipenko. Encouragé par son maître, il expose pour la première fois en 1925, au Salon des Tuileries. Alberto s’intéresse aux travaux des sculpteurs d’avant-garde : Henri Laurens, qu'il rencontre en 1930, Jacob Lipchitz et Constantin Brancusi qu'il côtoie de 1925 à 1956. Il visite assidûment le Louvre, principalement les antiques grecs et, vers 1926, s’intéresse à la sculpture africaine et océanienne, vingt ans après le choc de Picasso et Derain. Ainsi, la forme de la Femme-cuillère fait écho à celle des reliquaires Kota 1. Son univers s’enrichit, son regard se radicalise, il s’écarte de la représentation naturaliste et des conventions académiques. Diego rejoint Alberto à Paris en 1925 ; l’année suivante, les frères Giacometti déménagent pour le modeste atelier de la rue Hippolyte-Maindron, qu’Alberto conservera jusqu'à sa mort. À partir de 1930, son jeune frère, qui était déjà l’un de ses modèles préférés, devient son plus proche collaborateur. Ensemble, ils réalisent des bijoux pour Elsa Schiaparelli et des objets d’ameublement et luminaires pour Jean-Michel Frank. La lampe Étoile, dont deux exemplaires sont présentés dans cette exposition (CAT 19), est le fruit de cette fructueuse collaboration avec le décorateur. Alberto se passionne pour les objets utilitaires, dont il admire certains exemplaires antiques et extra-européens ; il s’interroge sur ce qui distingue l’objet de la sculpture et questionne son statut d’œuvre d’art. Grâce à Jean-Michel Frank, il est introduit auprès de grands collectionneurs, dont le vicomte de Noailles et son épouse, Marie-Laure, ainsi que les Louis-Dreyfus.

Alberto a maintenant sa place au sein de l’élite artistique et intellectuelle parisienne, aux côtés de Louis Aragon, Michel Leiris, Jacques Prévert, Alexander Calder, Jean Arp, Max Ernst et Joan Miró. En 1929, il signe un premier contrat avec le galeriste Pierre Loeb, l’un des principaux marchands des surréalistes. Son travail évolue vers les sculptures « plates » 2 et « ouvertes » 3. En novembre 1933, il participe à la sixième édition du Salon des surindépendants, avec Man Ray, Tanguy, Dalí, Ernst, Miró, Kandinsky, Arp, … L’Oiseau silence, œuvre inquiétante en bois et plâtre, où se mêlent le monde animal et végétal, est particulièrement remarqué. En 1936, sa Femme qui marche, dont l’anatomie synthétique rappelle les idoles cycladiques, fait sensation à l’exposition surréaliste de Londres (Fondation Giacometti, Paris, n° AGD 386). La plupart des modèles surréalistes d’Alberto n'est connue que par ses éditions en bronze datant des années 1950-60.

L’année 1934 marque une nouvelle étape dans sa carrière avec une première exposition à New York, organisée par le galeriste Julien Levy. Il prend ses distances avec les Surréalistes et travaille à nouveau d’après nature. À partir de 1935, Giacometti fait poser ses proches pour des séries de têtes, notamment Diego et son amie britannique Isabel Delmer. Il la représente également en pied, totalement étirée, les jambes démesurément longues. Giacometti fait la connaissance de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir en 1939. À cette époque, il modèle des portraits et des figures de dimensions très réduites. Quand la guerre éclate, les frères Giacometti sont en Suisse. De retour à Paris, Alberto enterre ses petites sculptures dans l’atelier et, toujours avec Diego, tente de fuir ; ils doivent renoncer à leur projet et rentrent à Paris. En décembre 1941, il part à nouveau, seul, retrouver sa mère en Suisse. Il ne peut plus rejoindre la France ; Diego veille sur l’atelier. Entre 1943 et 1945, Alberto travaille sur le plâtre de la Femme au chariot, portrait de mémoire d’Isabel, prototype de ses figures debout (Fondation Giacometti, Paris, n° AG 370). Ces personnages, présentés seuls sur des socles ou enfermés dans des « cages », évoquent le sentiment d’isolement de l’artiste.

1. Plâtre exposé au Salon des Tuileries de 1927 (Fondation Giacometti, Paris, n° AGD 372).

2. Comme le plâtre intitulé Femme conservé au Centre Pompidou (inv. AM 1982-13).

3. Comme le bronze d’après un plâtre perdu du groupe Homme et Femme ou Le Couple (Centre Pompidou, inv. AM 1984-355).

De retour à Paris en septembre 1945, il partage un temps la vie d’Isabel, puis s’installe avec Annette qu’il épouse en juillet 1949 ; elle devient son modèle de prédilection. Après-guerre, Pierre Matisse organise à New York la première exposition personnelle de Giacometti, à l’occasion de laquelle Sartre écrira La Recherche de l'absolu, un long essai figurant au catalogue. À partir de 1947, débute l’édition en bronze des nouveaux modèles, en partie fondus par Diego, dont un premier Homme qui marche, probablement la série la plus importante du sculpteur. Pierre Matisse organise une seconde exposition en décembre 1950, lors de laquelle Giacometti présente Quatre femmes sur socle, La Forêt, La Cage et Le Chariot

62 63

En juin 1951, après les expositions new-yorkaise et bâloise, sa première exposition personnelle parisienne se tient à la Galerie Maeght. En 1954, il rencontre Jean Genet, dont il fera trois portraits et de nombreux dessins. L’écrivain publie alors un article de référence sur l’artiste, « L’Atelier d’Alberto Giacometti », dans la revue de la galerie Maeght, Derrière le miroir. L’année suivante, Alberto multiplie les expositions, à Londres, New-York, Krefeld, Düsseldorf et Stuttgart. Lors de la Biennale de Venise de 1956, il expose Les Femmes de Venise, une série de dix figures. Giacometti, arrivé au sommet de son art, rencontre deux de ses biographes, James Lord en 1952, et le professeur de philosophie japonaise Isaku Yanaihara en 1955. Lors des séances de pose pour son portrait, Lord rassemble les éléments d’un premier livre, A Giacometti Portrait, publié par le MoMA en 1965. Yanaihara, qui pose pour Alberto de 1956 à 1961, publie un second livre en 1958, le premier au Japon. En octobre 1959, Alberto rencontre Caroline, une jeune prostituée qu’il aimera passionnément, jusqu’à sa mort. Deux ans plus tard, Samuel Beckett lui propose de collaborer à une nouvelle production de la pièce En attendant Godot, pour le Théâtre de l’Odéon.

Le début des années 1960 voit sa consécration. Il reçoit le prix Carnegie (1961) et le Grand Prix de Sculpture à la Biennale de Venise (1962) ; Jacques Dupin écrit la première monographie sur son œuvre, qui fait l’objet d’une grande rétrospective au Kunsthaus de Zurich rassemblant plus de 100 sculptures et 85 tableaux. Lors de la création de la Fondation Maeght, il cède au prix de la fonte un ensemble de bronzes extrêmement important. Malgré sa santé défaillante, il continue à exposer dans les principaux évènements internationaux et se rend à New York pour l’inauguration de la rétrospective du MoMA. À l’été 1964, il voit une dernière exposition monographique à la Tate Gallery de Londres ; en décembre de l’année suivante, il assiste à Zurich à l’ouverture de la « Alberto Giacometti Stiftung ». Le sculpteur meurt le 5 décembre 1965.

19

ALBERTO GIACOMETTI

(1901-1966)

Paire de lampes de table, modèle Étoile

Modèle entre 1935 et 1937, fontes du vivant de l’artiste

bronze à patine brun vert les deux signés et monogrammés DIEGO DG fontes au sable par Diego Giacometti, estampillées des numéros du Comité Giacometti « AG / 012 » et « AG / 013 »

Haut. 41 cm

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

L. D. Sanchez, Jean-Michel Frank Paris, 1980, p. 200 ;

L. D. Sanchez, Jean-Michel Frank Paris, 1997, p. 244

F. Francisci, Catalogue de l'œuvre de Diego Giacometti, Paris, 1986, p. 32 ;

Ch. Boutonnet, R. Ortiz, Diego Giacometti, Paris, 2003, p. 42

P-E. Martin-Vivier, Jean-Michel Frank, Paris, 2006, p. 347.

La lampe tripode Étoile est le modèle iconique issu de la collaboration d’Alberto et Diego avec Jean-Michel Frank. Ses formes élégantes, à la géométrie épurée, évoquent les artéfacts de civilisations lointaines ou disparues.

65 64

HENRI BOUCHARD

(DIJON, 1875 – PARIS, 1960)

Fils d'un menuisier dijonnais, Henri débute son apprentissage auprès d’un décorateur ornemaniste. En parallèle, à partir de 1889, il suit les cours du sculpteur François Dameron à l'École des beaux-arts de Dijon. Arrivé à Paris, il s'inscrit à l'Académie Julian et entre à l'École nationale supérieure des arts décoratifs ; il y suivra l’enseignement d'Hector Lemaire de 1889 à 1894. Il poursuit sa formation à l'École des beaux-arts de Paris, dans l’atelier de Louis-Ernest Barrias, jusqu’en 1901. Cette année-là, Bouchard remporte le grand prix de Rome, avec le relief en plâtre de L’Exil d'Œdipe et d'Antigone chassés de Thèbes (cf. E. Schwartz, Les sculptures de l’école des Beaux-Arts de Paris, Paris, 2003, p. 175, ill.). De 1902 à 1906, Bouchard, pensionnaire de la villa Médicis, réside à Rome ; il sillonne l’Italie et voyage également en Tunisie, au Maroc et en Grèce.

De retour en France, il s’installe à Montparnasse et s’intéresse à l’univers des travailleurs, dans la mouvance naturaliste de Jules Dalou et de Constantin Meunier. En 1907, l’État lui achète une première œuvre, un bronze du Débardeur présenté deux ans plus tôt à l’exposition des Onze, Galerie des Artistes modernes. Il témoigne de l’influence du sculpteur belge sur Bouchard (musée d’Orsay, inv. DO 1983 73). De 1910 à 1917, il enseigne à l'Académie Julian. Dans son œuvre, les thèmes qu’il aborde s’éloignent progressivement de la représentation sociale et son style évolue avec l’émergence de l’Art Déco. Il continue à voyager et se rend en Allemagne en 1911, puis en Angleterre, en Belgique et aux Pays-Bas en 1912. Mobilisé pendant la Grande Guerre, Bouchard ne rentre à Paris qu’en février 1919. L’entre-deux-guerres est une période prospère pour le sculpteur qui reçoit de nombreuses commandes. En 1924, il se fait construire un atelier rue de l’Yvette, dans le quartier d'Auteuil, qu’il conservera jusqu’à sa mort. L’année suivante, il participe à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. Il enseigne brièvement à l'École nationale supérieure des arts décoratifs, avant d’être nommé professeur et de diriger un atelier à l'École des beaux-arts de Paris, fonction qu’il occupera de 1929 à 1945. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Bouchard préside le Salon des artistes français et, à ce titre, fait partie des émissaires reçus en Allemagne en 1941. Il ne pourra cependant empêcher en 1942 la destruction de trois de ses bronzes, le Monument au Maire de Beaune, le Défrichement de Charleville-Mézières et le Faucheur d’Aspet, victimes de la loi de récupération des métaux. À la Libération, le comité directeur du Front national des arts, dirigé par Picasso, enquêtera sur les faits de collaboration de Bouchard ; le dossier sera classé par le Parquet mais le sculpteur se verra définitivement écarté de toutes fonctions honorifiques. Il faudra attendre 2007, et la reconstitution de l’atelier de la rue de l’Yvette, réunissant plus d’un millier de bronzes, pierres, plâtres originaux et dessins, à la Piscine de Roubaix, musée d’art et d’industrie André Diligent, pour que son œuvre soit enfin reconsidéré dans toute son ampleur.

HENRI BOUCHARD

(1875-1960)

Apollon Vers 1937

bronze à patine brun mordoré très nuancé signé h BOUCHARD, et dédicacé e A MON CHER AMI / SANDOZ fonte à la cire perdue par BISCEGLIA, avec le cachet du fondeur une étiquette à l’intérieur du bronze inscrite

« Biennale Internaz. d'Arte Venezia – 1938 –XVI – 354 » ; une autre étiquette des douanes italiennes une autre encore, partiellement lisible, avec le nom et l’adresse du propriétaire

« A… 25… » (peut-être pour l’atelier d’Henri Bouchard, 25 rue de l’Yvette, 75016 Paris)

82,3 x 45 x 30 cm

PROVENANCE

Édouard-Marcel Sandoz, Paris ;

Collection de Seymour Stein, Los Angeles, fondateur de Sire Records, célèbre label discographique américain, et collectionneur passionné d'œuvres d'art des XIXe et XXe siècles, en particulier de l’Art Déco européen.

EXPOSITION

Biennale Internazionale d'Arte, Venise, 1938.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

T. Vallier, Henry Bouchard, Paris, 1943, pp. 40-43 ; Henri Bouchard, sculptures et médailles, Association des amis d'Henri Bouchard, Paris, 1965, n°54 ; Bouchard, l'atelier du sculpteur – À la découverte du musée Bouchard, Association des amis d'Henri Bouchard, Paris, 1995, p. 27.

Le Palais de Chaillot, fleuron de l’architecture française, est l’un des grands chantiers des années trente. Pour le parvis de ce bâtiment Art Déco, Bouchard conçoit l’Apollon dont ce bronze est la seule réduction fondue du vivant de l’artiste. Afin d’adapter la composition monumentale à une échelle plus réduite, le sculpteur a remanié le cortège des Muses qui défilent en procession à l’arrière de la base. Dans la réduction, elles ne sont plus que trois, Euterpe en tête jouant de l’aulos.

Bouchard représente le dieu des arts en Apollon musagète et vainqueur du serpent Python. Il tient, sur son épaule gauche, la lyre reçue de son demi-frère Hermès. Elle est ornée de bas-reliefs relatant différents épisodes de sa vie, dont la victoire sur Marsyas et le châtiment infligé au malheureux satyre ; plusieurs soleils rappellent l’identification d’Apollon à cet astre radieux. Bouchard envoie ce tirage unique, dédicacé à son ami Édouard-Marcel Sandoz, à la Biennale de Venise de 1938. Bien plus tard, dans les années 1990, la fonderie Coubertin réalisera une édition posthume du modèle, tirée à huit exemplaires.

67
66
20

MARIE-LOUISE SIMARD

(PARIS, 1897 – ?, 1963)

Longtemps, on a considéré que l’artiste était née en 1886 ; cependant des recherches récentes indiquent que ses dates d’activité, des années 1920 à 1940, correspondent davantage à celles d’une Marie-Louise Simard née à Paris le 21 juillet 1897 (Paris VII, acte n° 1161). Vers 1919, Marie-Louise apprend les rudiments de la sculpture auprès d’un tailleur de pierre de Monaco. Elle se fait remarquer pour la première fois à Paris en 1921. Dans un compte-rendu, un critique écrit : « J’ai noté au Salon des Femmes Peintres et Sculpteurs, parmi les envois intéressants, dans la section de la sculpture, celui de Mlle Marie-Louise Simard. Sa figure du Poète souffrant exprime bien une douleur plus morale que Physique et l’aspiration de l’esprit à se libérer de son enveloppe corporelle. Cette œuvre, par la profondeur de l’observation psychologique qu’elle révèle, surprend de la part d’une jeune artiste de vingt-trois ans, surtout lorsque l’on sait que Mlle Simard ne s’adonne à la sculpture que depuis deux ans. » (cf. « Bustes de Sculpteur », dans La Revue moderne des Arts et de la Vie, printemps 1921). Elle participe au Salon des Tuileries de 1926 à 1933, et au Salon des Indépendants de 1927 et de 1936. Elle expose à Paris, dans les galeries Brandt et Danthon ; elle expose aussi à Madrid, Prague et Tokyo.

Artiste politiquement engagée, Simard réalise pour la ville de Villeurbanne le buste en bronze du socialiste Albert Thomas, dont le monument sera inauguré le 17 juin 1934. Citons encore, dans les collections publiques françaises, le bronze de Don Quichotte, acquis en 1933 pour le musée du Luxembourg (Médiathèque

André Malraux, Lisieux), et celui intitulé Rugby au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Son œuvre à la géométrie parfaite, dédiée à la représentation animale et à la figure humaine, est représentatif de la sculpture Art Déco.

21

MARIE-LOUISE SIMARD (PARIS, 1886-?, 1963)

Cheval Vers 1930

bronze à patines multiples à décor géométrique ; sur son socle d'origine en marbre noir fin de Belgique signé Simard sur le socle fonte au sable d’époque

Haut. (totale) 37 cm long. (totale) 35 cm long. (socle) 29,5 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

A. Rivière, Dictionnaire des sculptrices Paris, 2017, p. 477.

Le Cheval de Simard, solidement campé sur ses aplombs, est l’œuvre iconique de l’artiste. Il en existe plusieurs variantes. Sur certains exemplaires, la musculature est détaillée à la manière d’un écorché, sur d’autres elle se devine plus subtilement sous la peau de l’animal. Certains exemplaires, les plus élaborés comme celui ici présenté, arborent une riche patine polychrome à décor de cercles concentriques, évoquant la robe pommelée de l’animal.

La composition en frise du cheval, la crinière dressée sur la cime de son encolure enroulée, et le motif de méandre grec qui orne sa queue, évoquent les modèles de la statuaire grecque.

69
68

FRANÇOIS POMPON

(SAULIEU, 1855 – PARIS, 1933)

François Pompon, praticien de talent, ne s’est dédié à sa propre création qu’à partir de soixante-sept-ans. Cet itinéraire atypique fait figure d’exception dans l’histoire de la sculpture moderne. Fils d’un menuisier-ébéniste bourguignon, le jeune Pompon débute son apprentissage auprès de son père, avant de rentrer chez un marbrier de Dijon, en tant que tailleur de pierre. Il est à l’époque âgé de 15 ans seulement. En pleine récession, suite à la guerre de 1870 et à la Commune, Pompon ne parvient pas à obtenir une nouvelle bourse afin de poursuivre ses études à Paris ; il finit par s’y installer à ses frais en 1875. Les compétences acquises par le jeune tailleur de pierre lui permettent de trouver un emploi chez un marbrier funéraire à proximité du cimetière Montparnasse. Repéré au Salon en 1878, où il expose pour la première fois, il est embauché sur le chantier de l’Hôtel de Ville, en cours de reconstruction après l’incendie de 1871. C’est le sculpteur rémois Charles-René Paul de Saint-Marceaux qui va lui garantir le plus gros de ses revenus, jusqu’à sa mort en 1915. En 1890, année charnière dans la carrière de Pompon, il est appelé par Rodin pour rejoindre son atelier ; il débute en tant que praticien au dépôt des marbres, avant d’être promu directeur d’atelier.

Ouvert aux inspirations extrême-orientales et admirateur du japonisme, il étudie également les antiquités égyptiennes du Louvre. Il découvre les animaux en bronze de la collection Cernuschi, dont les formes synthétiques inspirent ses recherches novatrices. Dès 1905, il trouve son style, poussant à l’extrême la simplification des formes. Au Jardin des Plantes par exemple, il observe les animaux en mouvement, dont il multiplie les croquis. Après une interruption forcée pendant la Grande Guerre, Pompon se remet à l’œuvre et les lignes épurées de son Ours polaire en plâtre fait grande impression au Salon de 1922. Tout en continuant d’exposer au Salon des Artistes Français, il rejoint en 1921 les jeunes sculpteurs à la Société des Artistes Animaliers Français. En 1927, il fonde le Salon des Animaliers Contemporains, avec Édouard-Marcel Sandoz ; la même année l’État français lui commande un exemplaire en pierre de l’Ours polaire pour le musée du Luxembourg (musée d’Orsay, inv. RF 3269). De nature modeste, Pompon devient, presque malgré lui, le chef de fil du groupe des « Douze Animaliers Français », dont les statuts seront déposés en mars 1931 ; ils se sépareront naturellement à la mort de leur inspirateur.

En homme du métier, Pompon surveille de près l’édition de ses modèles et choisit avec soin les fondeurs, soucieux de pouvoir reprendre en ciselure chaque tirage et d’intervenir sur la patine. L’excellence des fontes d’Hébrard, avec lequel le sculpteur signe un contrat d’édition en 1906, convient parfaitement à son degré d’exigence. Selon les archives du fondeur, deux cent vingt-six bronzes de Pompon sont sortis des ateliers entre 1907 et 1934. À partir de 1922, il travaille également avec Claude Valsuani et conserve la même liberté d’intervention sur les tirages. L’implication constante du sculpteur auprès des fondeurs fait indéniablement défaut dans les tirages posthumes.

L’œuvre de Pompon, qui est aujourd’hui encore considéré comme l’un des sculpteurs animaliers français les plus novateurs, figure dans les principaux musées internationaux du XXe siècle.

22

FRANÇOIS POMPON (1855-1933)

Oie

Modèle vers 1908, fonte en juin 1910

bronze à patine brun vert foncé signé F. POMPON fonte à la cire perdue par A.A. HÉBRARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « (1) »

Haut. 24,1 cm ; long. 22,2 cm

PROVENANCE

Ancienne collection Bazin, acquis auprès de A.A. Hébrard, le 19 décembre 1910 ; Collection particulière.

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

C. Chevillot, L. Colas, A. Pingeot, François Pompon (1855-1933) cat. exp. musée d’Orsay, 1995, p. 210, n° 120B.

Un plâtre du modèle est exposé au Salon des Artistes Français de 1910 (n° 4404), où il est remarqué par Hébrard. Le fondeur l’achète avec un droit de tirage limité à quinze exemplaires numérotés. L’édition Hébrard, dont notre épreuve est le premier tirage, va se prolonger de 1910 à 1931, en évoluant légèrement au cours des années (source archives Hébrard). Ce modèle a également été édité par Valsuani, de 1924 à 1931. Un exemplaire en plâtre plus lisse, correspondant à la fonte posthume du modèle, est conservé au musée d’Orsay (inv. RF 4257).

71
70
Je fais l'animal avec presque tous ses falbalas, et puis petit à petit, j'élimine de façon à ne plus conserver que ce qui est indispensable.
F. POMPON, CF. R. JARDILLIER, FRANÇOIS POMPON, STATUAIRE BOURGUIGNON, 1855-1933 , 1936

FRANÇOIS POMPON (1855-1933)

Poule d'eau, terrasse lisse

Modèle vers 1925, fonte entre 1926 et 1932

bronze à patine brun vert, légèrement nuancé rouge

signé POMPON

fonte à la cire perdue par Claude VALSUANI, avec le cachet du fondeur

Haut. 26,7 cm ; long. 26 cm

FRANÇOIS POMPON (1855-1933)

Poule d'eau, terrasse imitant le sol, vide entre les pattes et la terrasse

Modèle vers 1923, fonte entre 1923 et 1933

bronze à patine brun vert foncé, légèrement nuancé signé POMPON

fonte à la cire perdue par Claude VALSUANI, avec le cachet du fondeur Haut. 25 cm ; long. 30 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

C. Chevillot, L. Colas, A. Pingeot, François Pompon (1855-1933), cat. exp. musée d’Orsay, 1995, p. 222, n° 154C.

Un plâtre de ce modèle est exposé pour la première fois au Salon des Artistes Décorateurs de 1922 (haut. 19 cm, n° 218 ; non localisé). Une première édition de la Poule d’eau par Hébrard est tirée en trois exemplaires seulement, entre 1921 et 1924 (C. Chevillot, L. Colas, A. Pingeot, op. cit., p. 222, n° 154B). À partir de 1923, Claude Valsuani réalise une seconde édition, de plus grande taille, dont est issu notre bronze (cf. fonds Pompon, livres de comptes, AN, Paris, F21 4258). Un plâtre de cette version, provenant du legs Pompon, est conservé au musée de Grenoble (inv. MG 2748). Une épreuve de la même édition se trouve au musée des BeauxArts de Dijon (inv. 3784 bis), une autre, acquise par le musée du Luxembourg en 1925, est au musée d’Orsay (inv. RF 3278), et une autre encore au musée des Beaux-Arts de Nancy (inv. 73.2.2). Une épreuve Valsuani a été exposée au Salon des Artistes Décorateurs de 1923 (n° 559), puis au Salon des Tuileries en 1924 (non localisée).

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

C. Chevillot, L. Colas, A. Pingeot, François Pompon (1855-1933), cat. exp. musée d’Orsay, 1995, p. 223, n° 154D.

Pompon expose une variante en plâtre du précédent modèle au Salon des Animaliers de 1925, et un bronze l’année suivante. La terrasse, auparavant naturaliste, laisse à présent place à une base parfaitement géométrique. Pourtant, la simplification des lignes aux courbes tendues ne concède rien à l’expression de la nature animale, dont le sculpteur parvient à exprimer l’essentiel. À partir de 1926, Claude Valsuani réalise une première édition du vivant de l’artiste, dont fait partie notre exemplaire, et en fera une seconde, celle-ci posthume, de douze exemplaires numérotés.

73 72
23
24

ÉDOUARDMARCEL SANDOZ

(BÂLE, 1881 – LAUSANNE, 1971)

Fils du fondateur de la firme pharmaceutique éponyme, le jeune ÉdouardMarcel s’inscrit à l’École des arts industriels de Genève en 1901. Il s’initie aux diverses techniques de la sculpture, de la céramique à la taille directe en passant par la forge, et cette diversité engendrera le caractère protéiforme de son œuvre. Arrivé à Paris en 1908, il poursuit sa formation à l'École des beauxarts, auprès des sculpteurs Antonin Mercié et Jean-Antoine Injalbert.

Fort d’un enseignement classique solide, il explore avec une curiosité insatiable les différents matériaux qu’il met au service du monde animal. Il donne un second souffle à la Société Française des Animaliers, association qui vit le jour en 1912, et reprend les locaux de la galerie d’Edgar Brandt, boulevard Malesherbes. Après la Seconde Guerre mondiale, Sandoz apporte à nouveau son soutien à ce groupe d’artistes et fait l’acquisition du Cercle Volney, où ils exposeront régulièrement de 1948 à 1957.

Philanthrope dans l’âme, il soutient également la création française et prend la direction de la Fondation baron Taylor, qu’il présidera de 1952 à 1971 ; il fonde l’Œuvre des Enfants d’Artistes et s’implique dans la création de la Cité des Arts à Paris. La France, reconnaissante du talent et de la générosité de Sandoz, le fera Membre de l’Académie des Beaux-Arts et Commandeur des ordres de la Légion d’Honneur et des Arts et Lettres.

ÉDOUARD-MARCEL

SANDOZ (1881-1971)

Fennec assis tête tournée

Modèle vers 1926, fonte entre 1926 et 1930

bronze à patine brun foncé nuancé ; sur son socle en bronze d’origine signé Ed M. Sandoz

fonte à la cire perdue par SUSSE, inscrite

« Susse Frs Edrs Paris » et « cire perdue », avec la pastille du fondeur

Haut. (totale) 34,2 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

F. Marcilhac, Sandoz, sculpteur figuriste et animalier, Paris, 1993, p. 365, n°602.

Animal fétiche de Sandoz, le fennec, ce petit renard du désert originaire du Sahara, apparaît souvent dans l’œuvre du sculpteur, seul ou en meute. Les différents modèles se déclinent en pierre, en céramique et en bronze. L’édition du modèle que nous présentons ici, effectuée par Susse, comprend soixante et un exemplaires, tous fondus entre 1926 et 1930.

77
76
En art, il faut tout aimer, la nature, la science, son prochain…
25
É.-M. SANDOZ

ROGER GODCHAUX

(VENDÔME, 1878 – PARIS, 1958)

Issu d’une famille prospère de l’industrie textile, Roger est initié jeune aux domaines artistiques par son père, devenu marchand d’art, et sa mère pianiste. Arrivé à Paris en 1894, il prépare les concours d’admission de l’École des beauxarts. En 1896, il suit finalement les cours de l’Académie Julian puis entre dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, où il restera de 1897 à 1900. Le jeune artiste, en grand admirateur de l’œuvre d’Antoine-Louis Barye, se consacre très tôt à la représentation du monde animal. En 1905, il expose une première sculpture au Salon des artistes français, une maquette en cire d’un Lion (n° 3168).

Mobilisé en 1914, puis réformé pour raison de santé, Godchaux passe le reste de la Grande Guerre dans les bureaux du Ministère de la Guerre. Dès 1919, il expose à nouveau au Salon des artistes français et obtiendra une médaille d’argent en 1922. À cette époque, il rencontre Rudyard Kipling, grand amateur de ses lithographies. La lecture du Le Livre de la jungle (1894), chef-d’œuvre de l’écrivain, marque profondément Godchaux. À partir de 1920, il participe également au Salon des artistes animaliers, dont il deviendra trésorier quelques années plus tard. En 1925, il obtient une médaille d’argent à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, puis une autre au Salon des artistes français de 1928. La même année, l’État lui achète un Éléphant en bronze exposé au Salon des artistes animaliers ; cette acquisition sera suivie par celle d’un Pigeon. C’est à cette époque que le Newark Museum of Art (New Jersey) lui achète plusieurs œuvres.

Durant les années 1920-1930, Godchaux fréquente assidument le Jardin des Plantes et expose à Paris, dans les galeries Charpentier, Georges Petit et Edgar Brandt. Il expose aussi avec les sculpteurs animaliers de la Galerie d’art Malesherbes et signe, en 1937, un contrat avec la Manufacture nationale de Sèvres, pour l’édition en terre cuite de ses modèles. À l’issue de la guerre, Godchaux trouve un nouvel atelier, rue Vercingétorix, qu’il ne quittera plus. Il participe à nouveau au Salon des artistes français et aux expositions du Cercle Volney. Sculpteur de la matière, Godchaux préfère aux formes lisses de Pompon, Sandoz ou Petersen les surfaces animées ; il exploite les traces laissées par l’outil pour donner vie à ses modèles. Les animaux sauvages, notamment les félins et grands mammifères, sont ses sujets de prédilection. Certains de ces modèles ont été édités en terre cuite ou en grès ; il confiera aux fondeurs Susse et, dans une moindre mesure, Valsuani, l’édition en bronze de son œuvre, apportant grand soin aux retouches des cires de chaque épreuve.

26

ROGER GODCHAUX (1878-1958)

Cornac lavant son éléphant Modèle vers 1930-35, fonte du vivant de l’artiste bronze à patine brun vert nuancé signé Roger Godchaux fonte à la cire perdue par SUSSE, inscrite « Susse Frs Edrs Paris », avec la pastille du fondeur et estampillée « BRONZE » 13 x 19,6 x 8 cm

Le petit cornac, s’afférant auprès du gigantesque pachyderme, semble tout droit sorti d’un roman de Kipling.

79
78

27

ROGER GODCHAUX (1878-1958)

Éléphant courant trompe enroulée

Modèle vers 1930-35, fonte du vivant de l’artiste

bronze à patine brun foncé nuancé signé Roger Godchaux

fonte à la cire perdue par SUSSE, inscrite

« Susse Frs Edrs Paris » et « cire perdue », avec la pastille du fondeur

Haut. 15,5 cm long. 24 cm

28

ROGER GODCHAUX (1878-1958)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

Roger Godchaux (1878-1958), sculpteur animalier cat. exp. Musée municipal

A.G. Poulain, Vernon, 1993, p. 44, n° 59 (le plâtre original).

Godchaux saisit avec acuité la puissance que dégage ce pachyderme en mouvement.

Retour

d'une chasse au tigre ou Retour de chasse (petit modèle)

Modèle avant 1930, fonte du vivant de l’artiste

bronze à patine brun vert foncé nuancé signé Roger Godchaux. fonte à la cire perdue par SUSSE, inscrite

« Susse Frs Edrs Paris » et « cire perdue », avec la pastille du fondeur

Haut. 30 cm long. 35,5 cm

A. Dayot, Les animaux vus par les meilleurs animaliers, Paris, 1930, t. 4, pl. 41 Roger Godchaux (1878-1958), sculpteur animalier, cat. exp. Musée municipal A.G. Poulain, Vernon, 1993, p. 45, n° 62 (le plâtre original).

Le plâtre original du Retour d'une chasse au tigre a été exposé au Salon des artistes français de 1934 (n° 3666).

81 80

ARMAND PETERSEN

(BÂLE, 1891 – NOGENT-SUR-MARNE, 1969)

À l’issue d’une formation d’orfèvre et ciseleur à Genève, Petersen fait un bref passage à Paris en 1914, avant que la Grande Guerre n’éclate. Il part alors pour la Hongrie et débute sa carrière auprès du sculpteur animalier Bêla Markup, qui l’initie à l’étude sur le vif au parc zoologique de Budapest. Petersen arrive à Paris en 1924 ; il se fera un nom dans la gravure et l’orfèvrerie, avant de se consacrer à la sculpture. Il expose régulièrement au Salon d’Automne, au Salon des Tuileries et au sein de la Société des Artistes Décorateurs. Il continue à étudier assidûment les animaux à la Fauverie du Jardin des Plantes où il retrouve le groupe de sculpteurs de Pompon. En 1927, il participe à la première exposition des « Animaliers », organisée par la galerie d’Edgar Brandt, au côté de Sandoz, Artus, Bigot et Pompon. Plusieurs modèles de Petersen sont choisis par la Manufacture nationale de Sèvres pour des éditions en grès tendre coloré, matériau nouvellement mis au point. En 1932, au cœur de la Grande Dépression, les éditions céramiques seront un bon expédient pour Petersen, qui multipliera les contrats avec Sèvres et Bing & Gröndahl, à Copenhague. En tant qu’invité, Petersen, de nationalité suisse, se joint au groupe des « Douze Animaliers Français ». Malgré la mort de Pompon, en mai 1933, ils continueront à exposer ensemble jusqu’en 1939, dans l’ancienne Galerie Brandt rachetée par Sandoz. En 1939, Petersen échappe à la mobilisation mais passe la guerre en France. En 1942, les animaux du Jardin des Plantes sont abattus, faute de nourriture ; avec leur disparition, une page se tourne pour les sculpteurs animaliers d’avantguerre. Dénoncé par un voisin, Petersen échappe de peu à la déportation.

À la mort de sa femme, en 1950, il s’installe à la Maison des Artistes de Nogent-surMarne. Une nouvelle ère s’ouvre à lui, il veut maintenant représenter les animaux en taille réelle. L’État français acquiert le Grand Chevreuil qui sera fondu en 1955 (musée de Louviers). Vont alors se succéder de nombreuses commandes publiques, notamment l’Hippopotame du Musée de Vernon (dépôt du musée du Louvre), la Grue cendrée du Musée de la Chasse de Gien et le Taureau du Musée d’Angers. Dans sa Suisse natale, citons le Corbeau et le Veau de Bâle. Sur le plan international, la galerie Dreyfus signe l’exclusivité de ses œuvres pour les États-Unis, en août 1959. La même année, il fait la rencontre du jeune sculpteur Étienne Audfray, qui devient son élève et proche collaborateur. Petersen meurt alors qu’il vient de terminer le plâtre de l’agrandissement de la Panthère ; en hommage au sculpteur, Audfray, son ayant-droit, finance la fonte d’un tirage en bronze pour la ville de Bry-sur-Marne. Petersen garde de sa formation de ciseleur un sens aigu de la précision et du détail. C’est d’ailleurs ce que relève le critique d’art Yvon Lapaquerelle, qui écrit dans le périodique L’Amour de l’Art : « Il travaille sa matière aussi précieusement que l’or. L’art de Petersen a quelque chose de religieux et c’est cette spiritualité dont son œuvre est imprégnée qui lui donne un cachet si rare et lui permet de trancher sur les productions des autres animaliers. ». Les lignes épurées de ses animaux se rapprochent du style de Pompon auquel il a souvent été comparé.

ARMAND PETERSEN (1891-1969)

Antilope, dos rond (deuxième taille) Modèle vers 1928, fonte vers 1930

bronze à patine brun rouge nuancé ; sur un socle en bois signé A. PETERSEN fonte au sable, épreuve de l’artiste Haut. (bronze) 21,5 cm ; haut. (totale) 29 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

L. Colas, E. Audfray, Petersen. Sculpteur animalier Bry-sur-Marne, 2004, pp. 38-39, n° 7.

Après les représentations de vulnérables antilopes par Rembrandt Bugatti, dont une magnifique suite figure dans cette exposition, Petersen s’empare à son tour du sujet qu’il traite à plusieurs reprises à la fin des années 1920. Dans ce modèle, aux lignes tendues et à la surface parfaitement lisse, également intitulé Gazelle ou Biche craintive, il s’écarte du réalisme anatomique pour toucher à la nature profonde de l’animal. Le public découvre les antilopes de Petersen à la première exposition des « Animaliers » de la Galerie Brandt, en

novembre et décembre 1927, puis à l’exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en décembre 1928.

À la mort du sculpteur, un plâtre de la même taille que notre épreuve se trouvait dans l’atelier de Nogent-sur-Marne (ancienne collection Étienne Audfray). L’Antilope, dos rond a été éditée par Siot et Bisceglia en deux tailles, une première édition, plus petite (haut. 16 cm), et une seconde dont est issu notre exemplaire. Une plus grande épreuve, dont nous ne connaissons qu’un seul tirage, est mentionnée par Petersen vers 1934 (haut. 40 cm, non localisé ; cf. L. Colas, E. Audfray, op. cit., p. 38). Notre bronze, sans marque de fondeur, est certainement un tirage de l’artiste, fondu en amont de l’édition.

83
82
L’antilope craintive est un petit chef-d’œuvre ciselé avec tant de tendresse que toute la vie de cette petite bête s’y montre touchante de vérité.
RENÉ BRÉCY, L’ACTION FRANÇAISE , 1929
29

30

ARMAND PETERSEN (1891-1969)

Chouette Vers 1962

bronze, à patine brun vert très foncé ; sur un socle en marbre vert de mer signé A. PETERSEN

fonte au sable, épreuve de l’artiste numérotée « 2/5 »

Haut. (bronze) 16,3 cm ; haut. (totale) 27 cm

ARMAND PETERSEN (1891-1969)

Faucon Vers 1962

bronze à patine brun foncé sur un socle vert de mer signé PETERSEN fonte à la cire perdue par BISCEGLIA, avec le cachet du fondeur, numérotée dans la cire « 2/7 » Haut. (bronze) 18,7 cm ; haut. (totale) 34,5 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

L. Colas, E. Audfray, Petersen. Sculpteur animalier, Bry-sur-Marne, 2004, pp. 102-03, n° 42 (un exemplaire du même modèle, fonte Godard).

Dans l’ouvrage monographique, Liliane Colas mentionne une édition sur 7 par Godard, les tirages montés sur un socle haut en forme de stèle. Dans le portrait de Petersen par Willem Van Hasselt (1882-1963), ami et voisin d’atelier entre 1957 et 1963, figure un exemplaire du Faucon ; il est monté sur un plus petit socle en marbre vert, comparable à celui de notre bronze (op. cit. p. 10 ; tableau non localisé).

Petersen ne s’intéresse pas à une description naturaliste de l’oiseau de proie, mais bien plutôt à sa représentation symbolique, comme dans l’antiquité égyptienne. Hiératique, l’œil étrangement fixe, il peut être rapproché du Faucon protégeant un roi en pierre, datant du règne de Senedjemibrê Nectanébo II (359-341 avant J.-C.), conservé au musée du Louvre (inv. E 11152).

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

L. Colas, E. Audfray, Petersen. Sculpteur animalier Bry-sur-Marne, 2004, p. 80, n° 31.

Petersen réalise un premier modèle de chouette en 1936. Un bronze du présent modèle, fondu par Godard à la cire perdue vers 1963, est mentionné dans l’atelier du sculpteur (cf. L. Colas, E. Audfray, op. cit., p. 80).

85 84
31

ANTONIUCCI VOLTIGERNO, dit ANTONIUCCI VOLTI

(ALBANO LAZIALE, ITALIE, 1915 – PARIS, 1989)

Fils d’un tailleur de pierre originaire de Pérouse, Antoniucci nait dans le Latium et suit son père à Villefranche-sur-Mer en 1920. Initié à la sculpture dès son plus jeune âge, il est admis à l’École des arts décoratifs de Nice en 1928 ; Antoniucci n’a alors que 12 ans. Il arrive à Paris en 1932 et suit l’enseignement de Jean Boucher à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Il remporte le second prix de Rome, mais la guerre mettra un terme à ses ambitions académiques. Mobilisé en 1939, Antoniucci est fait prisonnier en Allemagne ; il tombe malade et sera rapatrié en 1943. L’atelier de la rue Jean-Ferrandi, dans le VIe arrondissement, est détruit lors d’un bombardement, avec ses œuvres de jeunesse. Marqué par la guerre et la perte de ses œuvres, Volti fait table rase des influences du passé et développe son propre style. Il commence alors à signer de son pseudonyme, « Volti ».

L’après-guerre voit sa consécration ; il est nommé professeur de sculpture sur bois à l'École des arts appliqués en 1950. La même année, il expose aux Tuileries un groupe monumental en pierre, intitulé Femme et enfant, au Salon de la Jeune Sculpture. La commune d’Île-Rousse, en Corse, en fait l’acquisition pour son monument aux morts. Volti gagne une reconnaissance institutionnelle ; un de ses bronzes, intitulé Femme, est acquis par l’État en 1955 (Centre Pompidou, inv. AM1000S), suivi d’un autre, les Trois Grâces, en 1959 (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, inv. AMS1). Il reçoit également de nombreuses commandes publiques, et ses femmes monumentales prennent place dans les rues de Paris (Harmonie, carrefour des Arts-et-Métiers), de Nice (Fontaine des Trois Grâces, parc Albert Ier), de Cannes, d’Angers, d’Orléans, de Colombes, … Inlassablement, Volti puise dans le répertoire des formes du corps féminin pour nourrir sa création. Au-delà de des courbes sensuelles et fertiles, il envisage le corps féminin comme une architecture et joue sur l’alternance des pleins et des vides. Son œuvre s’inscrit dans l’héritage de Rodin et Bourdelle, et à ceux qui le rapprochent de Maillol, il répond : « Maillol est un charnel. Moi, je suis un architecte de la sensualité. » Volti se nourrit aussi de l’œuvre d’Henry Moore, sans se départir des lignes harmonieuses et d’une conscience aiguë de la figuration. Le Musée-Fondation Volti de Villefranche-sur-Mer conserve une multitude de dessins d’après modèles, au crayon, à la sanguine et au fusain, qui donne l’ampleur de ses recherches sur la figure féminine, son anatomie et sa manière de se mouvoir.

VOLTI, ANGERS, 1988

32

ANTONIUCCI VOLTI (1915-1989)

Rêverie ou Femme de Tours

Modèle vers 1964, fonte du vivant de l’artiste

bronze à patine gris vert nuancé signé VOLTI fonte à la cire perdue par GODARD, avec le cachet du fondeur et numérotée dans la cire « 1/6 »

34 x 98 x 47 cm

RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

Volti, cat. exp. Musée-Fondation Volti, Villefranche-sur-Mer, 1985, pp. 9 et 17.

Notre modèle est une réduction du monument en pierre, Femme de Tours, commandé par la ville éponyme et inauguré en 1964 (aujourd’hui au Lycée Grandmont, Tours). En 1983, Volti offre à la commune d’Île-Rousse un bronze du même modèle, intitulé à cette occasion Rêverie ; un autre exemplaire est visible au Musée-Fondation Volti. Ce modèle iconique de l’artiste a été édité en plusieurs tailles, dont la nôtre, en six exemplaires.

89
88
La sculpture est pour l’homme un besoin fondamental. On peut dire qu’elle se classe tout de suite après la découverte du feu. Le feu a donné à l’homme son confort matériel, l’art lui a permis de communier avec les dieux.

LA FONTE D’ART EN FRANCE

À juste titre, considéré comme l’une des plus anciennes techniques de la sculpture, la fonte du bronze, alliage précieux essentiellement composé de cuivre et d’étain, a peu évolué depuis l’antiquité. Cependant, les progrès techniques du XIXe siècle, induits par l’élan irrépressible de l’industrialisation, pénètrent le domaine plus confidentiel de la fonte d’art, qui bénéficie en retour d’avancées significatives.

Sous l’Ancien Régime, le procédé à la cire domine largement la fonte d’art, et périclite à partir de la Révolution. Dès le début du XIXe siècle, la fonte au sable supplante cette technique jusqu’alors employée, plus coûteuse et au résultat plus aléatoire. Au début du XXe siècle, avec la réintroduction en France de la fonte à la cire perdue, ces deux procédés rivaux se disputent les faveurs des sculpteurs. Il convient donc de décrire les principales étapes qui jalonnent ces deux techniques, puisque la parfaite maîtrise de chacune de ces phases est seule garante d’un tirage d’exception. Au sein d’un même tirage, il résulte de la complexité de ces mises en œuvre des exemplaires de qualité parfois inégale.

LA FONTE À LA CIRE PERDUE

L’ensemble des bronzes à la cire perdue figurant dans cette exposition a été fondu avec la méthode dite « indirecte », qui épargne le modèle original, contrairement à la méthode dite « directe » qui implique la destruction du modèle. Cette dernière technique ne permet d’obtenir qu’un tirage unique ; elle est par conséquent antinomique de la définition d’édition d’art.

À PARTIR DU XIXe SIÈCLE

Jusqu’au XIXe siècle, le plâtre employé pour la fabrication des moules dits « à bon-creux » a été progressivement remplacé par un moule souple, majoritairement en gélatine pour la période qui nous concerne, remplacé au fur et à mesure par l’élastomère. Ce moule est obtenu par la prise d’une empreinte directement sur le modèle original. Afin de rigidifier le moule souple, et d’éviter tout risque de déformation, il est ensuite recouvert d’une chape, généralement en plâtre réfractaire. En fonction de la taille et de la complexité du modèle, cette chape est divisée en plusieurs pièces qui s’assemblent et se séparent à volonté, tels différents éléments d’un puzzle.

La surface interne du moule est ensuite recouverte d’une couche de cire, qui préfigure exactement l’épaisseur de la paroi du bronze ; elle doit être la plus régulière possible, d’environ 2 à 4 mm ou supérieure pour les pièces de

93

dimensions plus importantes. Afin d’obtenir un bronze creux, infiniment plus économique, plus léger et plus facile à fondre, l’espace laissé vide à l’intérieur du moule est comblé par un « noyau » réfractaire qui se rigidifie en séchant. Des tiges métalliques le traversent afin de le maintenir en place tout au long du processus et, ainsi, de s’assurer de l’épaisseur régulière de la paroi du bronze. Une fois démoulé, le tirage en cire est débarrassé des marques de jointures du moule et d’éventuelles irrégularités. Les retouches peuvent être effectuées par le sculpteur. La signature, le numéro de tirage et le cachet de la fonderie complètent la cire ; elle est ensuite dotée d’un réseau d’ « égoûts », par lesquels coulera la cire, de « jets », pour l’alimentation en bronze, et d’« évents », par lesquels s’évacueront les gaz lors de la coulée. Une chape résistante en matière réfractaire, dit moule de « potée », enrobe totalement le tirage en cire et son réseau complexe. Contrairement au moule à bon creux, le moule de potée, capable de supporter la chaleur et la pression du bronze en fusion, est détruit à l’issue de chaque coulée. L’ensemble est chauffé une première fois, entre 200° C et 300° C pour le « décirage » ; la cire liquéfiée s’évacue, dégageant un espace vide entre le noyau et le moule. Ces derniers passent à une deuxième cuisson à plus haute température, avant de descendre dans la « fosse de coulée » et de recevoir le métal en fusion à environ 1 050-1 100° C.

Une fois le métal refroidi à l’intérieur de son épaisse gangue, il est libéré par le « décochage ». Le bronze « brut de fonte » est débarrassé des jets et évents qui l’entourent, ainsi que du noyau. Suit le montage, pour les plus grandes pièces, puis la ciselure et le polissage. Lors de la patine, phase ultime, des oxydes métalliques sont appliqués sur le bronze ; ils agissent sur l’oxydation naturelle du cuivre, qui protège la surface et la colore de subtiles tonalités brunes, vertes, bleues ou noires.

LA FONTE AU SABLE

Sous l’Ancien Régime, la fonte au sable était réservée à l’orfèvrerie, à certaines pièces plates, telles que plaques de cheminée, et aux éléments d’ornement, généralement en bronze doré. Le XIXe siècle voit l’apogée de cette technique, supplantant presque totalement en France le procédé à la cire perdue, notamment sous l’impulsion de l’industrialisation galopante. Au cours du XXe siècle, dans un mouvement inverse et tout aussi inéluctable, la fonte au sable appliquée à l’édition d’art ne cessera de décliner.

Les principes de ce procédé sont globalement les mêmes que ceux de la fonte à la cire perdue : prise d’une empreinte sur le modèle original, fabrication et stabilisation d’un noyau, constitution d’un réseau d’alimentation en métal et d’évacuation des gaz. Contrairement au procédé à la cire, la fonte au sable ne nécessite qu’un seul moule, constitué de sable silico-argileux naturel ou synthétique. Il faudra cependant autant de moules que d’exemplaires à couler. La fonte au sable supporte de plus hautes températures que ne le permet le moule de potée et s’adapte mieux à des éditions en nombre illimité. La principale contrepartie de cette technique réside dans l’impossibilité pour le sculpteur d’intervenir préalablement à la fonte.

Afin de préserver le modèle, particulièrement fragile lorsqu’il est en plâtre par exemple, un modèle intermédiaire en métal, dit « chef-modèle », est coulé à partir de ce dernier ; en autant de parties que nécessaire. Plus résistant, le chef-modèle sert de matrice pour la fabrication des moules. N’étant pas destiné au commerce, les jointures et clavettes du chef-modèle, qui doit rester entièrement démontable, demeurent apparentes.

Pour les formes les plus simples, sans contre-dépouilles, le modèle est enfoncé à l’horizontale dans un « châssis » rempli d’un sable silico-argileux humidifié, et préalablement tassé au « fouloir » et au « maillet ». Le modèle est enseveli jusqu’à mi-épaisseur. La moitié de l’empreinte est ainsi obtenue. Une fois débarrassée du modèle, cette partie du moule est creusée d’un réseau de jets et évents. Le modèle est replacé dans son empreinte et recouvert d’un second châssis, également rempli de sable tassé. Le noyau est obtenu à partir de l’empreinte du modèle ; il est composé du même sable silico-argileux que le moule et, comme pour la fonte à la cire, doté d’une armature métallique. La surface du noyau est réduite d’environ 5 à 7 mm, épaisseur équivalente à celle de la paroi du bronze. Plus le sable est tassé, plus le moule épousera fidèlement les moindres détails de la forme à dupliquer. Au contact de l’eau, l’argile, naturellement présente dans le sable, enrobe les grains qui s’agglomèrent. Pour des formes plus complexes avec « contre-dépouilles », les éléments saillants du modèle sont dissociés et fondus séparément. Des « pièces battues », qui s’imbriquent les unes aux autres, permettent de mouler les angles rentrants. Comme dans la technique à la cire perdue, après la coulée et une fois le bronze suffisamment refroidi, le moule en sable est détruit lors du décochage, et le noyau pulvérisé. Les jets et évents sont sciés et les excédents de bronzes « ébarbés ». Les éléments fondus séparément sont alors montés, et les jointures masquées par la reprise à la ciselure. La pièce est alors prête à passer à la patine.

95 94

Répertoire des fondeurs

Ferdinand BARBEDIENNE

– 1839 / 1892

Fonte au sable

LEBLANC-BARBEDIENNE

– 1892 / 1954

Fonte au sable, et à la cire perdue à partir de 1921

Talentueux entrepreneur autodidacte, Ferdinand Barbedienne (1810-1892) se lance dans l’édition de bronze d’art à Paris en 1839. Il s’associe avec l’ingénieur Achille Collas (1795-1859), inventeur du procédé permettant la reproduction mécanique de sculptures. La société « A. Collas et Barbedienne » rencontre ses premiers succès avec des réductions de marbres antiques, tels que la Vénus de Milo, le Torse du Belvédère, le Tireur d’épine et les reliefs du Parthénon Les premiers ateliers ouvrent rue Notre-Dame-de-Lorette, dans le quartier Saint-Georges.

Parallèlement, Barbedienne se lance dans l’édition de créations contemporaines. Il élabore un type de contrat innovant, par lequel il s’engage à financer la production des bronzes. Le sculpteur garde la nue-propriété des modèles et, au moment de la vente, perçoit une prime qui varie de 20 % à 50 %, en fonction de sa notoriété et de son degré d’intervention sur les tirages. Pour un nombre d’épreuves indéterminé, les contrats courent généralement de 5 à 8 ans, avec reconduction tacite. Certains peuvent durer jusqu’à 20 ans, ce fut le cas pour Rodin, d’autres encore à vie, comme pour Rude et Clésinger, jusqu’au retentissant procès intenté par ce dernier.

À la disparition de Collas, Barbedienne reste seul propriétaire du procédé, à la tête d’une entreprise florissante. Installés depuis 1856 rue de Lancry, au cœur du Xe arrondissement, les ateliers s’agrandissent et forment un immense ensemble, employant jusqu’à 300 ouvriers. Unanimement saluée, la qualité des fontes au sable de Barbedienne est notamment due à un alliage à forte proportion d’étain, réduisant les accidents de coulée et, par la même, le travail de ciselure. En 1875, à la vente après décès de Louis Antoine Barye, Barbedienne fait l’acquisition de 125 plâtres avec leurs droits d’édition. Il réalise probablement là son meilleur investissement, et associe durablement son nom à celui du plus grand sculpteur animalier du XIXe siècle. Entre 1876 et 1889, des tirages prestigieux de certains modèles de Barye seront frappés d’un petit cachet à l’or monogrammé « FB », communément appelé « cachet or ».

En février 1891, Barbedienne s’associe à son neveu, Gustave Leblanc (1849-1945) qui, à la mort du fondateur, reprendra l’entreprise familiale. Depuis sa création, la maison Barbedienne a intégré tous les métiers liés à la production d’objets d’art et d’ameublement, et compte à présent 600 employés. La marque du fondeur « F. Barbedienne » est conservée, remplacée dans certains cas par « Leblanc-Barbedienne ».

Gustave développe considérablement l’export ; il ouvre des succursales en Angleterre, aux ÉtatsUnis, en Allemagne et en Belgique. Auguste Rodin associe à son tour son nom et sa renommée à la maison Barbedienne qui fond, en 1895, le premier groupe des Bourgeois de Calais En 1898, il signe une exclusivité de dix ans reconductible pour l’édition de l’Éternel Printemps et du Baiser, avec obligation de soumettre les tirages au contrôle du sculpteur. Un exemplaire du Baiser figure dans l’exposition (CAT. 6). Vers 1900, Gustave prend également sous contrat quelques modèles d’Emmanuel Frémiet, dont il rachète les droits d’édition à la mort de ce dernier.

En 1911, Gustave s’associe à son fils, Jules. Dix ans plus tard, ils fondent « Leblanc-Barbedienne et Fils », qui ouvre de nouveaux ateliers, consacrés à la fonte à la cire perdue, dans le XVe arrondissement. Les bronzes en sont issus portent le cachet « Leblanc-Barbedienne ». À la sortie de la Grande Guerre, l’entreprise familiale est affaiblie par les mouvements sociaux qui touchent les fonderies ; par ailleurs, l’attrait nouveau pour des intérieurs plus dépouillés renforce la crise à laquelle Leblanc-Barbedienne fait face. Bien que pionnière dans le domaine de la fonte au sable, cette vénérable maison se voit détrônée par son principal concurrent, Alexis Rudier. Son déclin se poursuivra jusqu’à la fermeture en 1954.

BISCEGLIA FRÈRES –vers 1907 / 1912

Fonte à la cire perdue

BISCEGLIA ET CIE –1912, puis vers 1920 ou

1933 / 1962

Probablement sur les recommandations d’Henri Bouchard et Paul Landowski, tous deux à l’époque pensionnaires de la Villa Médicis, le fondeur turinois Mario Bisceglia (1879-1961) s’installe à Paris. Il est embauché par la fonderie Siot-Decauville et rencontre l’un de ses compatriotes, comme lui nouvellement arrivé, le fondeur Tullio Clementi. En 1907 au plus tard, Mario ouvre une fonderie rue des Grands-Champs, dans le XIe arrondissement. Il s’associe avec ses frères, Dominique à la comptabilité et César à la ciselure, et se réserve les patines.

La fonderie « Bisceglia frères » disparaît en 1912. Cette même année, Mario et Dominique s’associent à un investisseur, l’ébéniste Léon Clouard, pour créer « Bisceglia et Cie » ; un nouveau cachet accompagne ce changement. Bien qu’absent du contrat, César collabore avec ses frères ; son fils, André, rejoindra à son tour la fonderie entre 1951 et 1958.

Après une interruption pendant la Première Guerre mondiale, durant laquelle Mario est probablement retourné en Italie, la fonderie ouvre à nouveau ses portes à Malakoff, rue Perrot (vers 1920 ou 1933). Tullio Clementi rejoint l’équipe en 1940. Son fils, Turriddu, formé chez Susse et Valsuani, le rejoindra avant d’ouvrir sa propre fon-

derie en 1960. La mort simultanée de Mario, César et André précipite la fin de l’entreprise familiale, dont les locaux sont rachetés par Émile Godard en 1962. En 1976, les moules Bisceglia seront détruits par un terrible incendie.

Désiré GODARD –

1918 / vers 1956

Fonte au sable

Émile GODARD –

1956 à nos jours

Fonte au sable, et cire perdue à partir de 1962

Désiré-Francis Godard (1886-1956), issu d’une dynastie de trois générations de mouleurs, dépose le brevet d’un procédé de « moulage rapide », reposant sur le principe de matrices métalliques réutilisables. En 1918, il s’associe avec André Grand, en charge de l’administration et de la comptabilité, et crée les « établissements Désiré Godard et Cie ». Désiré dirige la production de la fonderie, dont les premiers ateliers ouvrent rue Saint-Fargeau, dans le XXe arrondissement.

L’activité se développe rapidement et, dès 1933, la fonderie se consacre exclusivement à l’édition d’art ; elle déménage rue Charles-Friedel et rue Pixérécourt. Les deux frères de Désiré dirigent chacun une fonderie, dont les activités restent parfaitement distinctes.

Émile (1911-1971), le fils de Désiré, rejoint l’entreprise qui ferme un temps à la mort du fondateur. Il relance l’activité et, contrairement à son père, marque systématiquement ses fontes. En 1962, il reprend les anciens ateliers Bisceglia de Malakoff, et se lance dans la fonte à cire perdue, tout en conservant les locaux de la rue Charles-Friedel. À la mort d’Émile, sa veuve lui succède à la tête de l’entreprise qu’elle conservera jusqu’en 1977 ; Dina Vierny, l’ayant droit de Maillol, prend sa suite, secondée par l’ancien chef d’atelier, Nino Cristofaro, formé par Claude Valsuani. La fonderie, toujours en activité, est l’une des seules, en France, à pratiquer encore des fontes au sable silico-argileux.

FLORENTIN GODARD –avant 1909 / vers 1933-1937

Fonte au sable

Frère cadet de Désiré, Florentin (1877-1956) est issu d’une dynastie de mouleurs. Ce fondeur trop discret n’a jamais constitué de société et n’a que très rarement marqué ses tirages. Ceci explique l’oubli relatif dans lequel il est tombé, malgré un savoir-faire admirable mis au service des plus grands, notamment Maillol, Joseph Bernard et Brancusi. Il convient de lui attribuer toutes les fontes « Godard » antérieures à 1918, date de création de la fonderie de son frère.

Florentin est mentionné pour la première fois en 1909, en tant que fondeur de la Méditerranée, bronze monumental offert par Maillol à la ville de Perpignan. Compte tenu des difficultés tech-

niques qu’implique une fonte à une telle échelle, il avait certainement à son actif quelques années d’expérience. Il est probable que, dès 1907, Florentin ait réalisé des tirages de modèles de Maillol pour l’édition Vollard ; à partir de 1909, il devient le fondeur exclusif du marchand. En 1912, pour Maillol encore, il fondra l’Été et la Flore destinés au collectionneur Ivan Morosov (Musée d'État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou), ainsi que le Cycliste aujourd’hui au musée d’Orsay (inv. RF 3238). En 1919, il travaille pour Joseph Bernard et, après 1924, il fond également des œuvres de Constantin Brancusi. Un doute subsiste sur les petits nus de Matisse, fondus dans les années 192025, vraisemblablement dus à Florentin. Il a également fondu certains modèles de Picasso, édités par le galeriste Daniel-Henri Kahnweiler. Travaillant dans des conditions précaires, aidé d’un seul ouvrier, Florentin a probablement cessé son activité avant 1937. Gravement blessé lors d’un accident à la fonderie, et après un divorce pénible, Florentin se retire dans sa maison d’Ézy-sur-Eure, où il continue d’effectuer ponctuellement de petits travaux de ciselure et de patine. Ses fontes au sable, aussi exceptionnelles que confidentielles, ne sont quasiment jamais marquées.

Adrien Aurélien HÉBRARD

– 1902 / 1936

Fonte à la cire perdue

« […] la cire perdue permet de tout fondre d’un seul jet, quelle que soit la complexité du sujet : jamais de coupes et point de montures. Et puis ce procédé respecte absolument l’œuvre de l’artiste […] il respecte si bien le modelé qu’on retrouve sur le bronze l’empreinte des doigts du sculpteur. » (L. Vauxelles, « La fonte à la cire perdue », dans Art et Décoration, deuxième semestre 1910, pp. 189-197)

Fils du directeur du journal Le Temps, Adrien Aurélien (1865-1937), jeune ingénieur chimiste passionné d’art et collectionneur, entreprend d’ouvrir sa propre fonderie. Son projet, particulièrement ambitieux, inclut la conception et la commercialisation d’objets d’art et d’ameublement, ainsi que l’organisation d’exposition. Outre l’édition en bronze, il produit d’admirables pièces d’orfèvrerie, marquées de son propre poinçon. L’entrepreneur opte pour la cire perdue, technique qu’il va être l’un des premiers à réintroduire en France, permettant de fondre une sculpture en un seul jet. Fort de ses connaissances en chimie, Hébrard se targue d’avoir percé le mystère des patines des bronzes de Pompéi, grâce à une reconstitution des gaz volcaniques émanant du Vésuve. Quoi qu’il en soit, il résulte de son implication des patines exceptionnelles, aux tonalités subtiles et profondes qui, aujourd’hui encore, forcent l’admiration.

Hébrard est conscient que du savoir-faire des artisans dépend la qualité des bronzes ; il s’entoure des meilleurs, Adolphe Gruet, Marcello Valsuani et ses deux fils, Claude et Attilio. Il rencontre Albino Palazzolo en 1904, par l’intermédiaire de Rembrandt Bugatti. Ce dernier deviendra rapidement directeur technique de la fonderie, et contribuera amplement à hisser au sommet la répu-

tation des bronzes Hébrard. Les ateliers ouvrent rue Victor Duruy, dans le XVe arrondissement, et un premier point de vente voit le jour rue Cambon, dans le Ier arrondissement. Au Salon de la société nationale des Beaux-Arts de 1903, le public découvre les bronzes Hébrard. Ceux du jeune Rembrandt Bugatti feront l’objet de la première exposition monographique organisée par le fondeur l’année suivante. Toujours en 1904, les ateliers déménagent avenue de Versailles, dans le XVIe arrondissement, et la galerie de la très prisée rue Royale l’année suivante. Homme d’affaire passionné d’art, féru d’innovation, Hébrard est le premier à adopter l’édition en nombre limité ; les exemplaires, généralement compris entre trois et vingt, sont majoritairement numérotés. Il restreint ainsi la disponibilité des tirages et garantit, de ce fait, une forme d’exclusivité aux acquéreurs. Rien n’est laissé au hasard dans les contrats léonins qu’il signe avec les sculpteurs, parmi lesquels Joseph Bernard, Bugatti, Pompon et Bourdelle. Une fois le succès au rendez-vous, ils se sentiront souvent lésés. En définitive, seul Rodin, adepte inconditionnel de la fonte au sable, résistera obstinément aux avances répétées d’Hébrard. Le fondeur parvint cependant à lui arracher de rares commandes deux grands bronzes du Penseur et un petit de la Cariatide tombée portant sa pierre (musée Rodin, inv. S.01153.(LUX)).

Degas fait la connaissance de Palazzolo, par l’intermédiaire du sculpteur Bartholomé, et vient à plusieurs reprises à la fonderie, visiblement décidé à lui confier l’édition de certains modèles. Ce projet aboutira en 1921, après la mort du peintre, et les tirages Palazzolo s’achèveront en 1932. Selon les clauses du contrat, l’édition devait être limitée à 22 exemplaires par modèle, mais une seconde série, marquée « A. P. », a été découverte postérieurement. En outre, des tirages tardifs et de nombreux faux rendent plus incertaine encore la question de l’authenticité des bronzes de Degas. Dans cet imbroglio, les tirages de Palazzolo sont unanimement reconnus pour leur qualité et leur fidélité aux modèles. En 1955, les cires de Degas sont revendues à Paul Mellon et les « bronzes d’atelier », probablement donc les modèles fondus par Palazzolo pour l’édition, au Norton Simon Museum de Pasadena.

Quand Hébrard prend la direction du journal Le Temps, en 1925, il confie la fonderie à sa fille Nelly.

Dès 1930, la « Société des fontes à cire perdue

A.A. Hébrard » rencontre des difficultés qui iront s’amplifiant jusqu’à sa liquidation, à partir de 1934, et la fermeture définitive de la rue Royale quatre ans plus tard. Palazzolo ouvre sa propre fonderie vers 1937, et les ateliers de la rue de Versailles sont entièrement détruits par les bombardements de 1940. La liquidation se clôt en 1954.

Fonderia NELLI – 1862 / Vers 1912

Fonte à la cire perdue

En 1862, Alessandro Nelli (1842-vers 1903) crée la fonderie romaine éponyme, seule représentante

étrangère de l’exposition. À partir des années 1880, et jusqu’à la fermeture au début du XXe siècle, elle jouira d’une réputation internationale. La qualité de ses fontes fait merveille, notamment aux expositions universelles de Melbourne, Paris et Chicago. En 1881, les ateliers s’installent Via Luciano Manara, et deux magasins ouvrent Via del Babuino et Via Santa Chiara. Outre les grands noms de la sculpture romaine, dont Guido Tadolini, des artistes de toutes nationalités font appel au savoir-faire de la Fonderia Nelli, parmi lesquels Alfred Gilbert et Prosper d’Épinay (CAT. 2). La grande enseigne newyorkaise Tiffany & Co lui sous-traitera certaines de ses productions.

La Fonderia Nelli se fait une spécialité des grands monuments commémoratifs, qu’elle est l’une des seules en capacité de fondre elle s’illustre également par des réductions d’après les modèles antiques ou de Gian Lorenzo Bernini.

En 1897, criblé de dettes contractées pour la construction des bâtiments de la Via Manara, Alessandro est contraint de vendre ; il employait alors environ 250 ouvriers. Selon les dires de l’époque, il serait parti en Russie, à l’invitation du Tsar, et y serait mort. La date de fermeture définitive de la fonderie n’est pas précisément connue, peut-être vers 1912.

Alexis RUDIER – 1874 / 1897

Eugène RUDIER – 1897 / 1952 Fonte au sable

Dynastie de fondeurs, la famille Rudier sera à la tête de plusieurs fonderies indépendantes et compétitrices. François, le frère d’Alexis, est le premier de la famille à travailler pour Rodin. Entre 1902 et 1904, il est définitivement supplanté par Eugène, le fils d’Alexis, qui, sans être réellement parvenu à un contrat d’exclusivité, obtient néanmoins l’édition de la majeure partie de ses modèles.

Alexis ouvre sa fonderie dans le quartier des Enfants-Rouges, d’abord rue Charlot, puis rue de Saintonge. De 1919 à 1934, elle est installée rue Olivier-de-Serre, dans le quartier Saint-Lambert, et déménagera pour Malakoff en 1934. Quand Eugène prend la succession de son père, il conserve la marque de fondeur « Alexis Rudier ». Vers 1902, les premières commandes qu’il obtient de Rodin marquent un tournant décisif pour ses affaires. Maillol, à son tour, fait appel à Eugène à partir de 1905. Dina Vierny dira de la collaboration du sculpteur et du fondeur qu’elle « a été des plus heureuses, traversée ça et là par de violents orages : Rudier, étant autoritaire et possessif, voulait être le seul fondeur de Maillol. » (cf. D. Vierny, B. Lorquin, Maillol, la passion du bronze, cat. exp. Musée Maillol, Paris, 1995, p. 22).

De 1914 à 1916, Eugène est mobilisé et met ses compétences en matière de métallurgie au service de l’armée française, dans la production d’obus. Grâce à sa clairvoyance, et malgré son absence, la fonderie maintient l’activité, et ses salariés. Contrairement à ses concurrents, il avait anticipé la pénurie d’alliage cuivreux, réservé à

99 98

l’armement, et en avait commandé en quantité à la veille des conflits. En 1915, les réserves s’épuisent et Rudier subit une augmentation prohibitive de la matière première ; Rodin reste intraitable et refuse que ce surcoût lui soit imputé. Seul à disposer encore de stock, Eugène obtient, de fait, la totalité des fontes de Rodin. À la mort du sculpteur, il officialise son exclusivité avec le musée Rodin, qu’il gardera tout au long de son activité, et emploie Jean Limet, le patineur préféré de Rodin, pour les patines des tirages posthumes. Le cachet en relief « A RODIN », visible à l’intérieur de certains tirages seulement, avec ou sans marque de fondeur, figure déjà sur certains bronzes fondus du vivant de Rodin. À ce jour, les raisons précises de son ajout ne sont pas clairement déterminées ; il pourrait découler du premier procès pour faux, intenté en 1913 contre le fondeur Montagutelli.

Gestionnaire exemplaire, Eugène sait composer avec les revendications syndicales, très fortes en métallurgie dans l’entre-deux-guerres. L’activité de la fonderie, qui emploie une quarantaine de salariés, est florissante. En amont de l’Exposition internationale de 1937, l’État français lui confie la fonte des bronzes monumentaux du parvis du Trocadéro. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Rudier anticipe à nouveau la pénurie de matière première. Trop âgé pour être mobilisé, et bénéficiant d’appuis influents, il continuera à recevoir suffisamment de commandes pour maintenir l’activité, et les emplois de la fonderie.

À la mort d’Eugène, et selon ses directives, les archives seront brûlées et les moules brisés. Le fils de Maillol, soutenu par le musée Rodin, œuvre afin que Georges, le neveu et concurrent du défunt fondeur, reprenne les employés de la fonderie. De cette façon, Lucien Maillol s’assurait de poursuivre l’édition des modèles de son père avec une équipe initiée à son œuvre et respectueuse de ses volontés.

L’apparition d’une numérotation sur les épreuves Rudier remonte à la première décennie du XXe siècle, mais elle n’est pas effectuée de façon systématique à l’époque.

Georges RUDIER –1950 / 1993

Fonte au sable

Depuis 1939, Georges acquiert une expérience dans le domaine de l’ornement et ouvre des ateliers à Châtillon-sous-Bagneux. En 1950, il se spécialise dans la fonderie d’art, comme son père Victor et son oncle Alexis. En 1952, la mort de son cousin Eugène entraînera la fermeture définitive de la fonderie Alexis Rudier. À l’initiative de Lucien Maillol et du musée Rodin, Georges bénéficie d’une opportunité extraordinaire ; il peut alors recruter les ouvriers expérimentés de la fonderie, et reprendre son importante clientèle. Il continue ainsi l’édition de l’œuvre de Rodin, sous la supervision du musée, et de Maillol, sous le contrôle de son fils unique.

Au milieu des années 1970, de mauvaises affaires et un usage frauduleux de la marque « Alexis Rudier » entrainent le déclin de la fonderie

Georges Rudier ; une collusion avec le faussaire Guy Hain, à la fin des années 1980, entérine sa perte. Georges meurt en septembre 1994, quelques semaines avant la vente du fonds dans le cadre de la liquidation.

SIOT-DECAUVILLE –1891 / vers 1888

Fonte au sable, et à la cire perdue à partir de 1914

À la fin du XIXe siècle, Edmond Siot, et son épouse Élise Decauville issue d’une famille de métallurgistes, créent la fonderie éponyme, principale concurrente de la maison Barbedienne. Ces marchands de nouveautés se lancent dans l’édition de bronze d’art et, en 1883, reprennent la fonderie Daguet, rue Villehardouin, dans le quartier des Archives. En 1886, Alfred Boucher fait appel à Siot pour la fonte du bronze monumental Au But que l’État lui a commandé. Malgré la complexité extrême de la pièce, les reparages sont à peine décelables et le tirage s’avère d’une qualité remarquable. La réputation de la fonderie est faite, et lui apporte de nouveaux marchés publics.

En 1889, Siot s’associe brièvement avec Léon Perzinka. Ils signent de nouveaux contrats d’édition et fondent un grand bronze de Pompon, Cosette, exposé au Salon de 1890. Ils se séparent l’année suivante et Siot éditera seul ce modèle, en 4 tailles différentes. La fonderie est alors renommée « Siot-Decauville », et ouvre un premier point de vente boulevard des Italiens. Pour attirer une clientèle plus exigeante, c’est probablement à la même époque que Siot tente de mettre en place des éditions à tirages limités et numérotés ; ainsi en 1891, à la mort de Meissonier, des tirages du Voyageur et du Napoléon, fondus en un seul jet et édités par la galerie Georges Petit, présentent un numéro estampillé sur la terrasse. Il édite également le Ratapoil et le relief des Émigrants de Daumier, le premier limité à vingt exemplaires et le second à cinq. Siot apparaît ainsi comme le précurseur de Blot, et surtout d’Hébrard, dans la numérotation des bronzes.

Au tournant du XXe siècle, la fonderie emploie une vingtaine d’ouvriers et édite environ cent soixante quinze modèles de soixante neuf sculpteurs contemporains. La subtilité et la diversité de la gamme colorée des patines fait l’admiration des amateurs. La fonderie se lance avec un égal succès dans l’édition de statuettes en étain, et s’illustre dans la fonte de bronzes monumentaux. SiotDecauville remportera un grand prix à l’Exposition universelle de 1900.

À sa mort, en 1908, Edmond, laisse deux fils, André, l’artiste de la famille, qui trouvera prématurément la mort dans la bataille de la Marne, et Paul, l’ingénieur diplômé de l’école centrale des Arts et Manufacture, qui prendra la suite de son père la fonderie devient « SiotDecauville et Fils ». Malgré les efforts de Paul pour renouveler l’image de l’entreprise, qui réalise ses premières fontes à la cire perdue en 1914, elle peine à trouver un nouveau public ; sa répu-

tation est trop liée aux éditions en grand nombre du siècle précédent. Après s’être défait des salons de vente et d’exposition, boulevard des Italiens et boulevard des Capucines, Paul démissionne en décembre 1926 pour cessation d’activité.

SUSSE Frères

Fonte au sable, et cire perdue à partir de 1918

La maison Susse est la seule fonderie représentée dans notre exposition qui ait réussi la transition délicate entre la fonte au sable, dont les tirages en grandes séries ont lassé les amateurs du début du XXe siècle, et la fonte à la cire perdue qui va progressivement s’imposer dans le domaine du bronze d’art. De fait, elle est la seule à être encore en activité aujourd’hui.

Sa longue histoire remonte au XVIIIe siècle, quand le jeune menuisier lorrain Jean Susse s’installe à Paris. Deux de ses fils, Nicolas et Michel-Victor, ouvrent une papeterie passage des Panoramas, puis une succursale rue Vivienne. Ils ajoutent à leur activité de négoce le matériel de peinture, que de nombreux artistes sans le sou règlent en œuvres. Ainsi donc, les frères Susse ont l’idée d’ouvrir une galerie de tableaux et se lancent dans l’édition de lithographies. En 1836, les trois fils de Michel-Victor, Victor, Amédée et Eugène, prennent la relève sous l’enseigne « Susse Frères ».

En 1832, le caricaturiste Jean-Pierre Dantan, dit Dantan le Jeune, s’amuse à modeler le portrait charge du peintre Guillaume Lepautre. Il plaît tant qu’on lui en réclame de nouveaux. Il confie alors aux Susse, qui éditent déjà ses lithographies, le Dantanorama, tirages en plâtre desdits portraits ; aux éditions en plâtre des premiers temps, s’ajoutent celles en bronze. D’autres sculpteurs font également appel à eux : Antonin Moine et le comte de Nieuwerkerque, Charles Cumberworth, avec lequel ils signent un contrat d’édition avant l’heure, ainsi que James Pradier, avec lequel ils signent un contrat plus abouti en juin 1841. En 1839, les frères Susse sont les premiers à éditer un catalogue de leurs productions.

La maison Susse, qui initialement sous-traitait les tirages en plâtre et en bronze qu’elle éditait, ouvre un premier atelier de montage, ciselure et patine en 1840, et entre à la Réunion des fabricants de bronze, dont Victor prendra la vice-présidence en 1848. Comme sa concurrente, la maison Barbedienne, Susse édite des réductions en bronze des plus fameux modèles antiques ; elles connaissent à l’époque un immense succès commercial.

Si le procédé de réduction mécanique d’Achille Collas fait la fortune de Barbedienne, celui de Sauvage, dont les droits d’exploitation sont achetés en 1847, fera la fortune des frères Susse. Pour répondre à une demande croissante, ils ouvrent de nouveaux ateliers rue de Ménilmontant.

Dès les années 1860, la vente de bronzes d’art et de pendules constitue la plus grande part de leur activité. Jusqu’à la fin des années 1870, ils continueront cependant à sous-traiter, notamment à

Quesnel, Eck et Durand, la fonte des éléments en bronze assemblés ensuite par leurs soins.

À la mort d’Amédée, en 1880, deux de ses fils, Albert et Léon, prennent la tête de l’entreprise familiale. De 1897 à 1904, Albert en assure seul la direction et recentre l’activité sur l’édition en bronze. L’expertise de la maison Susse Frères est unanimement reconnue ; Albert Rose, directeur technique de la fonderie, remporte la Médaille d’or de la ciselure en 1892, à l’exposition de l’Union centrale des arts décoratifs. À l’Exposition universelle de Chicago, en 1893, Albert Susse est membre du jury et commissaire-rapporteur pour les bronzes d’art. Une nouvelle galerie ouvre boulevard de la Madeleine en 1902 ; en 1909, Albert est élu président du Syndicat des fabricants de bronzes. Il milite contre la concurrence de productions bon marché à l’imitation du bronze et soutient l’École de dessin et de modelage pour la formation des ciseleurs, monteurs et tourneurs. En 1911, Albert laisse les rênes de l’entreprise à son fils, Jacques, qu’il remplacera le temps de sa mobilisation, au côté du maréchal Joffre. La réputation de la maison Susse tient en grande partie à la qualité de finition de ses tirages, dont les plus élaborés sont le fruit d’un savant montage d’éléments en ivoire ou en marbre sur des bronzes dorés ou à plusieurs patines. En 1918, Jacques ouvre de nouveaux ateliers à Issy-les-Moulineaux, rue Diderot, pour l’édition en céramique et la fonte à la cire perdue. En 1925, il réaménage la galerie du boulevard de la Madeleine, avec le concours de l’architecte Granet et du décorateur Subes. Il expose la création contemporaine, notamment les sculpteurs animaliers, Sandoz, Guyot, Fiot et Godchaux, ou figuratifs, Belmondo, Couturier, Carton et Yencesse. Lancée dans l’aventure de la fonte monumentale depuis le début du XXe siècle, la fonderie Susse persévère dans cette voie sous l’impulsion de Jacques ; elle fond le gigantesque Général Alvear à cheval de Bourdelle (1929), la France de Bizette-Lindet, pour l’Exposition internationale de Barcelone, et le Monument à Zaghoul Pasha de Mahmoud Mokhtar pour l’Égypte. En 1948, Jacques cède la direction de la fonderie à son fils, André. L’année suivante, un nouveau magasin ouvre à Paris, rue Boissy-d’Anglas. Le couple André et Arlette Susse fréquente l’avant-garde, autour de Giacometti, Léger, Braque, Ernst, Dalí, Arp, Miró, Richier et Zadkine. Il parvient ainsi à survivre à la crise de l’après-guerre, qui a fait des ravages parmi leurs concurrents. Contraint de quitter les locaux du boulevard de la Madeleine, l’activité de la maison Susse se recentre sur les ateliers d’Arcueil et le magasin de la rue Boissyd’Anglas. En 1953, André abandonne le magasin. Dans les années 1970, la maison Susse emploie encore une cinquantaine de salariés. À la mort subite de son époux, Arlette reprend la direction et fait face au désintérêt croissant des artistes et des collectionneurs pour le bronze, au profit de matériaux nouveaux, et à la délocalisation de la création contemporaine vers New York. En 1975, l’entreprise quitte le giron familial, mais garde le nom « Susse fondeur ». Elle est rachetée par un Anglais, Edward Pineles, qui va avec son fils, Charles, moderniser un outil de production

vieillissant, notamment avec l’introduction du sable synthétique et le remplacement des moules en gélatine par ceux en élastomère. Malgré une liquidation prononcée en 1995, et un procès abusif concernant les fontes posthumes de Max Ernst, dont elle sortira victorieuse, la fonderie se relève de la crise qui l’ébranle depuis 1992. Elle continue aujourd’hui encore son activité, sous le nom de « Susse Fondeur Société nouvelle ».

Claude

VALSUANI –1908 / 1981

Fonte à la cire perdue

Issu d’une famille de fondeurs italiens, Claude ouvre sa fonderie à Paris en 1908, rue des Plantes, dans le quartier Plaisance. Il suit les traces de son père, Marcello, qui avait quitté l’Italie en 1902, pour rejoindre les équipes d’Hébrard. Les sculpteurs et les amateurs de bronze plébiscitent ses fontes et ses patines à chaud réalisées au chalumeau, pratique qui avait déjà fait le succès de Marcello. Il adopte le système de numérotation mis en place par Hébrard, auquel il adjoint le nombre total de tirages par modèle. Ce type de numérotation deviendra par la suite la norme réglementaire. À l’exception de rares modèles, Valsuani limite les éditions à dix épreuves maximums ; dans un premier temps, le cachet du fondeur n’est pas systématiquement apposé.

Les secrets de fabrication sont jalousement gardés ; nous savons toutefois que le noyau « à l’italienne », composé de brique et de plâtre ou d’ardoise pilée, et le moule de potée « à la bouse de vache », ont largement contribué à la réputation des fontes Valsuani.

À la fin de la Grande Guerre, Claude s’est séparé de ses ouvriers, faute de commandes et de matière première, et maintient seul un minimum d’activité. À sa mort, en 1923, sa veuve reprend dans l’urgence la gestion de la fonderie avec son fils Marcel, qui renonce à la médecine pour rejoindre l’entreprise familiale. Le cachet « Claude Valsuani » est néanmoins conservé. Dans l’entredeux-guerres, Attilio, le jeune frère de Claude, ouvre sa propre fonderie. Déjà fortement ralentie par la crise des années 30, Marcel étant mobilisé entre 1939 et 1940, la fonderie ferme ses portes et ne les rouvrira qu’en 1947. Quand Marcel se retire à Nice en 1973, âgé et malade, son directeur technique, Antoine Tamburro, prend la relève. L’année suivante, Anne Demeurisse, fille du légataire universel de Pompon, rachète la fonderie et confie la gérance à son mari, Jacques Sokolowski, dont la gestion ambitieuse dans un contexte tendu conduit la fonderie à la faillite. Elle est rachetée en 1977 par le sculpteur Olivier Brice, connu pour être le concepteur du trône et du carrosse du sacre de Bokassa. Les ouvriers quittent alors l’entreprise pour fonder la « Fonderie de la Plaine ». La chute des ateliers Claude Valsuani se poursuit jusqu’à la fermeture définitive, en juillet 1981. Le cachet et l’outil de production sont rachetés par le sculpteur Leonardo Benatov qui ouvre sa propre fonderie à Saint-Rémy-lès-Chevreuse en 1985, sous l’appellation « Airaindor ». Il dépose

le cachet de la maison Claude Valsuani, qu’il peut donc utiliser. La mise en liquidation de la fonderie Airaindor est déclarée en 2016. Il arrive de trouver des fontes Valsuani au sable ; elles n’ont cependant pas été fondues dans les ateliers de la rue des Plantes mais sous-traitées à des fondeurs spécialisés, notamment Susse et Georges Rudier. Les épreuves étaient livrées « brute de fonte » à Valsuani, qui se chargeait de la finition. Les bronzes issus de la fonderie, que ce soit pendant les années d’activité de Claude ou de Marcel, ont en commun une qualité de fonte exceptionnelle, magnifiée par des patines subtiles et profondes, dont le « noir Valsuani » devient la signature. Si des fondeurs concurrents, dont Hébrard, Susse, Siot-Decauville ou Barbedienne, ont eu une activité d’éditeur, les Valsuani se sont cantonnés à être les meilleurs fondeurs pour leurs artistes.

101 100

Bibliographie

OUVRAGES GÉNÉRAUX

BAUDRY, Marie-Thérèse, (dir.), La Sculpture, Méthode et Vocabulaire Paris, 1990.

BERGER, Ursel, LEBON, Élisabeth, Maillol (re)découvert, Paris, 2021.

Bouchard, l'atelier du sculpteur – À la découverte du musée Bouchard Association des amis d'Henri Bouchard, Paris, 1995.

BOUTONNET, Christian, ORTIZ, Raphaël, Diego Giacometti, Paris, 2003.

BUTOR, Michel, Diego Giacometti Paris, 1985.

CADET, Pierre, Susse Frères, 150 ans de sculptures 1837-1987, Paris, 1992.

COLAS, Liliane Colas, AUDFRAY, Étienne, Petersen. Sculpteur animalier, Bry-sur-Marne, 2004.

DAYOT, Armand, Les animaux vus par les meilleurs animaliers, Paris, 1930.

DES CORDES, Jacques-Chalom, FROMANGER DES CORDES, Véronique, Rembrandt Bugatti, catalogue raisonné, Paris, 1987.

FROMANGER, Véronique, Rembrandt Bugatti sculpteur – Répertoire monographique Paris, 2009.

FRANCISCI, Françoise, Catalogue de l'œuvre de Diego Giacometti Paris, 1986.

GEORGE, Waldemar, Aristide Maillol et l'âme de la sculpture, Neuchâtel, 1965.

GOLDSCHEIDER Cécile, Auguste Rodin : catalogue raisonné de l’œuvre sculpté Lausanne, Paris, 1989.

Henri Bouchard, sculptures et médailles Association des amis d'Henri Bouchard, Paris, 1965.

HORSWELL, Edward, Sculpture of Les Animaliers 1900-1950, Londres, 2019.

JULLIAN, René, BERNARD, Jean, STOENESCO, Lucien, GREMONT-GERVAISE, Pascale, Joseph Bernard, Saint-Rémy-lès-Chevreuse, Fondation de Coubertin, 1989.

KJELLBERG, Pierre, Les bronzes du XIX siècle Paris, 2001.

LEBON, Élisabeth, Fonte au sable – fonte à la cire perdue : Histoire d’une rivalité, Paris, 2012.

LEBON, Élisabeth, Le fondeur et le sculpteur, Paris, 2012.

LE NORMAND-ROMAIN, Antoinette, Rodin et le bronze, catalogue des œuvres conservées au musée Rodin, Paris, 2007.

MARCHESSEAU, Daniel, Diego Giacometti, Paris, 1986.

MARCILHAC, Félix, Sandoz, sculpteur figuriste et animalier, Paris, 1993.

MARTIN-VIVIER, Pierre-Emmanuel, Jean-Michel Frank, Paris, 2006.

PINGEOT, Anne, LE NORMAND-ROMAIN, Antoinette, de MARGERIE, Laure, Musée d'Orsay. Catalogue sommaire illustré des sculptures Paris, 1986.

REWALD, John, Maillol, New York, 1939.

RILKE, Rainer Maria, Sur Rodin, 1903.

DANIEL, J., Bruxelles, 2009.

RIVIÈRE, Anne, Dictionnaire des sculptrices, Paris, 2017.

ROUX FOUJOLS, Patricia, Prosper d'Épinay (1836-1914) : Un Mauricien à la cour des princes, Île-Maurice, 1996.

SANCHEZ, Léopold Diego, Jean-Michel Frank, Paris, 1980.

Sculptures du XVII au XXe siècle du Musée des Beaux-Arts de Lyon Lyon, 2017.

VALLIER, Thérèse, Henry Bouchard, Paris, 1943.

VIERNY, Dina, LORQUIN, Bertrand, Maillol, la passion du bronze, Paris, 1995.

ARTICLES, CATALOGUES D’EXPOSITIONS

DELESTRE, François, Dalou inédit cat. exp. Galerie Delestre, Paris, 1978. Volti, cat. exp. Musée-Fondation Volti, Villefranche-sur-Mer, 1985.

La Sculpture française au XIXe siècle cat. exp. Grand Palais, Paris, 1986. Roger Godchaux (1878-1958), sculpteur animalier, cat. exp. Musée municipal A.G. Poulain, Vernon, 1993.

CHEVILLOT, Catherine, COLAS, Liliane, PINGEOT, Anne, François Pompon (1855-1933), cat. exp. musée d’Orsay, 1995.

BÖSTGE, Ingelore, HÉRAN, manuelle, Agathon Léonard : Le Geste Art nouveau cat. exp. La Piscine-Musée d'Art et d'Industrie André-Diligent, Roubaix, 2003.

CHEVILLOT, Catherine (dir.), Oublier Rodin : La sculpture à Paris 1905-1914, cat. exp. Musée d'Orsay, Paris, 2009.

CHAPPEY, Frédéric (dir), 100 sculptures animalières. Bugatti, Pompon, Giacometti…, cat. exp. musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt, 2012.

SIMIER, Amélie (dir.), Jules Dalou, le sculpteur de la République, cat. exp. Petit Palais, Paris, 2013.

103

Index

AGATHON LÉONARD Léonard Agathon Van Weydeveldt, dit 19-21

AIRAINDOR 101

AMIET Cunot 62

APOLLINAIRE Guillaume 58

ARAGON Louis 63

ARCHIPENKO Alexander 62

ARNAU I MASCORT Eusebi 58

ARP Jean 63, 101

ARTUS Charles 82

AUDFRAY Étienne 82

BARBEDIENNE 26, 28, 98, 100, 101

BARRIAS Louis-Ernest 66

BARTHOLOMÉ Albert 46, 99

BARYE Antoine-Louis 16, 24, 78, 98

BEAUVOIR

DAGUET 100

DALÍ Salvador 63, 101

DALOU Jules 9, 12, 19, 25, 36, 38-40, 66

DAMERON François 66

DANTAN LE JEUNE Jean-Pierre Dantan, dit 14, 100

DAUBIGNY Charles-François 12

DAUMIER Honoré 12, 100

DAUZAT Charles 34

DEBUSSY Claude 43

DEGAS Edgar 40, 99

DEJEAN Louis 46

DELMER Isabel 63

DEMEURISSE Anne 101

DENIS Maurice 42, 43

DERAIN André 62

DESBOIS Jules 25

DOMENECH MONTANER Lluís 58

DREUX BRÉZÉ Henri-Évrard de 39

DREYFUS Carle 40

DUPIN Jacques 64

DURET Francisque 38

ÉPINAY d' Charles Adrien Prosper 14, 15, 99

ERNST Max 63, 101

FALGUIÈRE Alexandre 46

FANNIÈRE François-Auguste 38

FIOT Maximilien 101

FLECHTHEIM Alfred 43, 58

FOURCAUD Louis de 36

FRANK Jean-Michel 62, 65

FRÉMIET Emmanuel 98

FROMANGER Véronique 51, 54, 57

FULLER Loïe 19, 20

GALERIE CHARPENTIER 78

GALERIE DANTHON 68

GALERIE DREYFUS 82

GALERIE MAEGHT 64

GALERIE MANZI-JOYANT 46

GAMBETTA Léon 39

GARGALLO Pablo 58, 59

GARGALLO ANGUERA Pierrette 59

GARNIER Charles 24

GENET Jean 64

GÉRÔME Jean-Léon 42, 78

GERVEX Henri 15

GIACOMETTI Alberto 62-65, 101

GIACOMETTI Diego 62, 63, 65

GIACOMETTI Giovanni 62

GIACOMETTI Agostino 62

GIACOMETTI Bruno 62

GIDE André 42

GILBERT Alfred 99

KESSLER Harry 42

KIKI DE MONTPARNASSE Alice Prin, dite 58

KIPLING Rudyard 78, 79

L'HOEST Michel 50, 54

LA PAÏVA Esther Pauline Blanche

Lachmann, dite 38

LAMBERT-RUCKI Jean 58

LANDOWSKI Paul 98

LAPAQUERELLE Yvon 82

LARCHE Raoul 19

LAUGÉ Achille 42

LAURENS Henri 58, 62

LEGROS Alphonse 38

LEIRIS Michel 63

LEPAUTRE Guillaume 100

LEVEL André 58

LEVY Julien 63

LIMET Jean 100

LIPCHITZ Jacob 58, 62

LOEB Pierre 63

LORD James 64

LORQUIN Olivier 44, 99

LOUIS-DREYFUS 62

MAILLOL Aristide 42-44, 46, 58, 88, 98-100

MAILLOL Lucien 42, 100

MALATESTA Gianciotto 28

MAN RAY Emmanuel Radnitsky, dit 63

MANOLO Manuel Martínez Hugué, dit 44, 58

MARKUP Bêla 82

MATISSE Pierre 63

MATISSE Henri 99

MEISSONIER Ernest 12, 13, 16, 100

MELLON Paul 99

MÊNE Pierre-Jules 16

MERCIÉ Antonin 76

MÉRODE Cléo de 21

MEUNIER Constantin 19, 66

MIRABEAU Honoré Gabriel Riqueti, comte de 36, 39

MIRBEAU Octave 42

MIRÓ Joan 63

MOINE Antonin 100

MOKHTAR Mahmoud 101

MONTAGUTELLI 100

MOREAU Gustave 13

MORICE Léopold et François-Charles 39

MOROZOV Ivan 43

MURAT Marie 34

MUSSET de Alfred 14, 15

NAPOLÉON III 12, 13, 38

NARCIS Clotilde 42

NELLI 15, 99

RODIN Auguste 9, 10, 12, 24-26, 28, 30, 32, 34, 36, 38, 39, 42, 43, 46, 47, 58, 70, 88, 98-100

ROHAN Alain-Charles-Louis de RohanChabot, duc de 34

ROHAN Herminie de La Brousse de Verteillac, épouse 34

ROSE Albert 101

ROSENBERG Léonce 58

ROSSO Medardo 57

RUBENS Pierre-Paul 38

RUDE François 98

RUDIER Alexis et Eugène 10, 30, 34, 36, 98-100

RUDIER Georges 10, 36, 100, 101

RUHLMANN Jacques-Émile 46

SAINT-MARCEAUX Charles-René Paul de 70

SALIS Rodolphe 18

SALMON André 50

SANDOZ Édouard-Marcel 67, 70, 76-78, 82, 101

SARTRE Jean-Paul 63

SEGANTINI Giovanni 50

SERVET Michel 46

SIMARD Marie-Louise 68-69

SIMIER Amélie 40

SIOT-DECAUVILLE 13, 98, 100, 101

SOKOLOWSKI Jacques 101

STEINLEN Théophile-Alexandre 18, 12

SUSSE 20, 40, 77-81, 98, 100, 101

TADOLINI Guido 99

TAMBURRO Antoine 101

TANGUY Yves 63

TARTANSON Magali 58

THIÉBAUT 32, 39

THOMAS Albert 68

TIFFANY & CO 99

TOULOUSE-LAUTREC de Henri 18

TROUBETZKOY Paolo 50, 57

TURQUET Edmond 32

VALLMITJANA Agapit 58

VALSUANI 9, 10, 19, 47, 71-73, 78, 98, 99, 101

VAN HASSELT Willem 85

VIERNY Dina 43, 98, 99

VOLLARD Ambroise 42, 44, 99

VOLTI Antoniucci Voltigerno, dit Antoniucci 88, 89

VUILLARD Édouard 42

WARREN Edward Perry 28

WILLETTE Adolphe 18

YANAIHARA Isaku 64

YENCESSE Hubert 101

YVON Adolphe 42

George James Howard, comte de 38

CAROLUS-DURAN Charles Auguste Émile Durant, dit 12

CARPEAUX Jean-Baptiste 38

CARRIER-BELLEUSE Albert-Ernest 12, 24

CARRIÈS Jean-Joseph 19

CARTON Jean 58, 101

CAVELIER Pierre-Jules 46

CÉZANNE Paul 43

CHAGALL Marc 58

CHAMBORD Henri d'Artois, comte de 34

CHTCHOUKINE Sergueï 44

CLAUDEL Camille 25

CLEMENTI Tullio 98

CLÉSINGER Auguste 98

CLOUARD Léon 98

COLAS Liliane 73, 83-85

COLLAS Achille 98, 100

COMTE DU PASSAGE Arthur Marie Gabriel du Passage, dit 16, 17

COQUIOT Gustave 36

COUBERTIN 67

COURBET Gustave 38

CRISTOFARO Nino 98

CUMBERWORTH Charles 100

GILLOT Charles 18

GODARD Florentin 44, 98

GODARD Désiré et Émile 84, 85, 89, 98

GODCHAUX Roger 78-81, 101

GOLDSCHNEIDER Frédéric 21

GOUPIL GALLERY 43

GRAND André 98

GRIFFOUL Jean-Baptiste 36

GRIS Juan 58

GRUBICY DE DRAGON Vittore 57

GRUET Adolphe 99

GUYOT Georges 101

HAIN Guy 100

HÉBRARD Adrien Aurélien 9, 10, 19, 40, 46, 47, 50-52, 54, 57, 70-73, 99-101

HÉREAU Jules 38

HOETGER Bernhard 19

HUGO Victor 9, 25, 36, 39

INJALBERT Antoine 76

JACOB Max 58, 62

JACOBSEN Carl 28

JOURDAIN Frantz 47

JULLIAN René 46, 47

KAHNWEILER Daniel-Henri 44, 99

KANDINSKY Vassily 63

NEYT Auguste 32

NOAILLES Marie-Laure de et duc de 34, 62

NOCARD Paul 46

NOIR Victor 39

OUDINOT Achille 38

PALAZZOLO Albino 50, 52, 99

PERZINKA Léon 36, 100

PETER Victor 34

PETERSEN Armand 78, 82-85

PETIT Georges 15, 100

PICASSO Pablo 44, 58, 62, 66, 99

PINELES Edward et Charles 101

POMPON François 24, 46, 70-73, 78, 82, 99, 100, 101

PRADIER James 100

PRÉVERT Jacques 63

PROUVÉ Victor 19

PUJOL Abel de 38

PUVIS de CHAVANNES Pierre 12, 25

QUESNEL, ECK & DURAND 101

RENOIR Auguste 44

REVERDY Pierre 58

RICHIER Germaine 101

RILKE Rainer Maria 25, 28, 32

ROCKEFELLER Abby Aldrich 44

ZADKINE Ossip 101

ZOLA Émile 18

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont, à titre divers, contribué à l’organisation de cette exposition : Caroline André, Marie-Liesse Blanchet, Yves Breton, Gilberte Mallécot, Élise de Terlikowski. Enfin, je souhaite exprimer ma profonde gratitude à Pascaline Bourriaud pour sa collaboration, son constant soutien et sa patience.

978-2-9584497-1-1

DÉPÔT LÉGAL octobre 2023

CONCEPTION G R APHIQUE

É lise de Terlikowski

C R ÉDITS PHOTOG R APHIQUES

Yves Breton

IMP R ESSION

Suisse Imprimerie, Paris

104
Simone de 63 BECKER Auguste 40 BECKETT Samuel 64 BELMONDO Paul 101 BENATOV Leonardo 101 BERNARD Joseph 44, 46, 47, 98, 99 BERNHARDT Sarah 21 BERNHEIM Jacques 58 BEURET Rose 25 BIGOT Raymond 82 BINGEN Pierre 36 BISCEGLIA 67, 83, 85, 98 BLANQUI Auguste 39, 42 BLOT Eugène 100 BONNARD Pierre 42 BOUCHARD Henri 66, 67, 98 BOUCHER Alfred 25, 100 BOUCHER Jean 88 BOURDELLE Antoine 25, 42, 46, 58, 62, 88, 99, 101 BRANCUSI Constantin Brâncuși, dit 25, 44, 58, 62, 98, 99 BRANDT Edgar 68, 76, 78, 82, 83 BRAQUE Georges 58, 101 BRICE Olivier 101 BRUANT Aristide 18 BRUMMER GALLERY 43, 58 BUGATTI Rembrandt 46, 50-52, 54, 57, 83, 99 BUGATTI Ettore 50 BUGATTI Carlo 50 CALDER Alexander 63 CARLISLE

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.