Une Arcadie à Vitry | Peut-on concevoir une alternative utopique à l’habitat individuel urbain ?

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PFE Blank Page Gaétan Graff Une Arcadie à Vitry Peut-on concevoir une alternative utopique à l’habitat individuel urbain ?


En débutant mon apprentissage en architecture j’ai été happé par les représentations architecturales et artistiques réalisées par des dessinateurs, des artistes, des amateurs non initiés, mais aussi par celles d’architectes. Ces dessins qui sortent d’un imaginaire souvent complexe permettent de se défaire d’une vision parfois trop pragmatique et cartésienne. Je pense ainsi à la futurologie de Michel Ragon (1996), aux cités obscures de Schuiten&Peeters (1985), à la «Tour dans la tour» de l’agence Kwong Von Glinow (2017), ou encore aux architectures rêvées de Marc-Antoine Mathieu (2018). Ces «utopies», souvent nommées comme telles car tout simplement non-réalisées (plus que non-réalisables), m’ont toujours fasciné. On y ressent comme un besoin de déconsidérer son milieu afin d’apporter à celui-ci une touche d’onirisme. Touche censée améliorer ledit milieu. Ce ballet poétique et graphiquement captivant m’avait d’ailleurs amené en 2017 à une exposition assez inattendue nommée «La Ville rêvée des enfants»[1]. Un concept qui encourage la curiosité de jeunes enfants ainsi que leur plaisir d’apprendre à observer et imaginer l’environnement dans lequel ils souhaiteraient vivre. C’est fascinant comme la naïveté enfantine peut stimuler l’imagination. A travers ces différents regards émergeait une forme de volonté intrinsèque composée d’une envie d’appropriation d’espaces sauvages, d’aspirations d’habitats privatifs individuels, de préoccupations collectives liées à des formes d'habitat plus compact et localisé au plus près de services. Autant de thématiques pouvant alors amener les bases pour une «Blank Page» prête à se remplir. Dans un premier temps Dans un premier temps l’idée a été de développer une architecture hors contexte. Un projet conceptuel dans le cadre d’un dernier projet d’étudiant qui apporterait une alternative entre espace privé intérieur et extérieur. Un projet qui se mettrait en retrait de la surface au sol, de plus en plus rare en milieu urbain. Il garantirait un bon rapport entre la réalité de la surface disponible et l’envie d’espaces extérieurs. Ce concept s’est traduit en une « nano-tour » (petite tour) dont la surface restreinte à la base forcerait le projet à s’élancer par superposition de niveaux. Une habitation fonctionnelle où chaque niveau aurait une fonction, d’abord celui du parking, puis le niveau des espaces humides comprenant la buanderie, puis au centre du dispositif les espaces intimes (chambre et salle de bain), ensuite le niveau salon, une pièce de vie qui communique avec la salle à manger/cuisine pour enfin atteindre la terrasse au dernier niveau. Un ascenseur intérieur viendrait tous les lier ainsi qu’un escalier hélicoïdale entourant toutes la structure. Il entrerait parfois à l’intérieur en fonction des rapports entre les différentes fonctions. [1] Organisée à la Maison de l’architecture Ile-de-France en partenariat avec le Conseil régional de l’ordre des architectes d’Ile-de-France et la Mairie de Gennevilliers)


Dans un second temps après avoir défini les principes de ce concept, nous souhaitions le confronter à une situation, un milieu existant ou en devenir, afin de rendre compte de ce qu’il pourrait advenir. Nous avons donc cherché à confronter le concept avec un contexte. Le site de Vitry-sur-Seine, plus précisément de la ZAC du port à l’Anglais (aussi appelé ZAC Saine Gare Vitry), fragment des Grandes Ardoines, étudié et projeté par l’agence Germe&Jam en 2015, correspond à cette recherche. Il présente ainsi les traits d’un quartier industriel en pleine transformation dans l’espace périurbain de Paris. Il a donné naissance au projet de rénovation urbaine le plus important de France. C’est un lieu à fort potentiel de développement économique et urbain à proximité d’une gare du Grand Paris Express sur la future ligne 15. Ainsi juxtaposé à un espace pavillonnaire il répond logiquement à l’exercice de la densification (le Plan Local de l’Habitat souhaite livrer près de 4000 logements à l'horizon 2022 sur ce site de 39 hectares). Le choix de la ZAC Seine Gare Vitry, nous a donc semblé pertinent puisque nous avons ici un site avec un nouvel environnement en devenir qui semble idéal pour donner à ce concept un contexte de (quasi) Blank Page. Ce site permet ainsi de se confronter à un lieu transitoire entre un milieu essentiellement urbain et un lieu à dominante rurale. Celui-ci combine plusieurs caractéristiques singulières : d’une part des densités intermédiaires tant du point de vue de la population que des activités et de l’emploi. Mais aussi une imbrication des espaces bâtis et non bâtis incluant plusieurs espaces en friche (industriels, ferroviaires et naturels) voire plus rarement agricoles d’autre part. Il a également pour troisième caractéristique une représentation des grands ensembles mêlés à de l’habitat individuel. Cet habitat est soit sous la forme d’une urbanisation diffuse ou d’ensembles pavillonnaires, et des pratiques spatiales dominées par des déplacements motorisés, soit il combine des pratiques régulières à la fois de la ville et des espaces dits « naturels ». Cette adaptation au contexte soulève ainsi de nouvelles problématiques : Comment mettre en place une typologie de logements séparés les uns les autres mais qui seraient inclus dans un milieu urbain densifié ? Comment garantir et dimensionner le projet afin de leur assurer un espace intérieur équivalent à l’espace extérieur ? Comment prendre en compte les questions techniques de circulations afin de disjoindre ces plateaux habitables des uns des autres ? Comment inscrire cette parcelle dans la ville et le futur projet ?


Le projet d’origine est en mesure d’assumer le risque de crue centennale. Ainsi j’ai choisi une parcelle frontalière de la partie innondable du site. En cas de crue une partie est immergée, l’autre reste émergée. C’est la seule parcelle qui a une partie hors du PPRI/hors zone inondable du secteur de Vitry. Cette parcelle est aussi un lieu stratégique, à 600 mètres de la gare et à 600 mettre du bord de Seine et de son écluse mais pour autant éloignée des 3 grandes polarités du projet global. Au Nord Ouest, la polarité «Gare» avec gymnase, médiathèque, groupe scolaire, bassin nautique et gare au théâtre. Au Nord Est la polarité «Albrecht» avec un groupe scolaire, collège et crèche Au Sur Est la polarité «Seine» proche de l’écluse et d’un axe pédestre. Au Sud Ouest s’inscrit notre projet. Nous ne sommes pas dans une confrontation déontologique avec un projet existant mais bien dans l’idée d’amener un concept d’habitat tout en répondant aux demandes contemporaines de la densité. De cette manière, la parcelle choisie pour ce projet est située dans la phase 1.2 qui commence en 2024 du projet établi à l’orgine par Germe&Jam (la phase 1.1 se finissant en 2022). Cette dernière, grande de 4000m², possède une SU 12600m² avec le projet de Germe&Jam. C’est pourquoi, il y a un respect des densités mises en place par l’agence G&J, mon approche sera quasi identique avec une SU de 13000m². Le concept de «nano-tour» deviendrait alors une construction plus large composé de plusieurs paliers dont chacun accueillerait un espace intérieur et extérieur généreux sans mitoyenneté, d’une circulation partagée avec une cage pour deux tours avec passerelles privées, d’une possibilité d’extension à la verticale afin de retrouver les caractéristiques des logements sur Vitry (7% de 1 pièce jusqu’à 14% pour les 5 pièces ou plus) Les deux reproches traditionnels de la pensée utopique - son irréalisme et ses dangereux fantasmes de perfection - m’ont poussé à « inscrire les aspirations utopiques dans la matérialité du monde »[2]. Bien que la mise en œuvre de ce concept au travers d’une réalité économique perdait de sa valeur, le rapport à l’eau, à la végétation et à l’ensoleillement, mais aussi à l’intimité, aux aménagements et à la circulation sont pris en considération afin d’apporter un nouveau contenu d’expérimentation. Un aspect phénoménologique extrait de leurs contextes originels des éléments de la maison ou du rural et les réinterprète au travers de la création d’un habitat alternatif urbain. En prenant comme référence les données produites par data.France sur la dimension des logements Vitry-sur-Seine (entre 41m² et 129m²), nous avons dimensionné plusieurs projets de tours suivant plusieurs surfaces. Puis nous avons composé et dimensionné ces espaces en mettant en place une trame qui poursuit l’intégration territoriale par la prise en compte des transports tout en respectant la trame mise en place par l’agence Germe&Jam.

[2] Sébastien BROCA, Comment réhabiliter l’utopie ? Une lecture critique d’Ernst Bloch, 2012


A travers ce travail, j’aimerais amener à concevoir l’idée de vivre dans un espace qui navigue entre l’isolement et la densité, l’habitat individualisé et la proximité des commodités, un habitat inclus dans l’espace extérieur. On pourrait ainsi dire en reprenant Augustin Berque[3] que c’est la volonté d’inscrire «l’érème dans l’écoumène». L’érème vient du grec « erêmos » (désert, i.e. inhabité), qui, en français, a donné « ermite, ermitage, érémitisme ». C’est l’espace sauvage où, d’ordinaire, on n’habite pas. L’écoumène signifie « la partie habitée de la Terre ». Elle tient compte de l’ambivalence originelle du terme grec « hê oikoumenê » (littéralement : « l’habitée »). Si l’érème exprime la partie sauvage, qui précède la campagne, qui précède la ville, l’écoumène serait alors une notion géographique pour désigner l'ensemble des terres anthropisées (habitées ou exploitées par l'Homme). Elle possède une réalité plus vaste que le simple ensemble des terres habitées, et comprend aussi la relation de l'homme à l'espace habité. La notion d'écoumène ne peut se détacher d'une réflexion ontologique, si l'être humain se crée avec sa temporalité il se crée aussi avec sa spatialité, sa vision personnelle de l'espace qu'il s'approprie. Ainsi l'écoumène se détache de la simple géographie pour entrer de plain-pied dans la philosophie de l'être. Une paire[4] qui correspond à l’opposition faite par les géographes entre les lieux que les hommes fréquentent au quotidien et ceux où ils s’aventurent plus rarement. Je cherche à concrétiser ce projet à travers cette vision mésologique (science des milieux). Un espace qui questionne sur la place d’un habitat personnel, inscrit dans une surface libre, et qui, en s’étirant, offrirait les avantages d’un espace intérieur à acquérir et d’un espace extérieur à conquérir. Un projet que je vous laisse désormais imaginer avant de pouvoir vous le présenter lors de notre présentation finale.

[3] Qu’est-ce qu’habiter la Terre à l’anthropocène ? Séminaire Habiter | L’encrage en littérature contemporaine, Paris, le 23 février 2016 [4] Augustin Berque, « Le rural, le sauvage, l’urbain », Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2011


Paris Express

POLARITE GARE

P

PARCELLE


ZAC du Port à l’Anglais

POLARITE ALBRECHT

POLARITE SEINE

Site + Parcelle Echelle 1/333


PFE Blank Page Gaétan Graff Projet de PFE | 2019 | ENSAPB

François Brugel, Patrick de Jean, Marc Dujon


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