La pratique du skateboard dans l'espace public

LA PRATIQUE DU SKATEBOARD DANS L'ESPACE PUBLIC Entre marges et institutions

GAÉTAN VAN CEUNEBROECKE Rapport d'étude - Licence 3 - ENSA Clermont-Ferrand - 2021/2022

LA PRATIQUE DU SKATEBOARD DANS L'ESPACE PUBLIC Entre marges et institutions

GAÉTAN VAN CEUNEBROECKE

Licence 3 - Rapport d'Étude Encadrement: Bénédicte Chaljub et Olivier Guyon Coordination: Marc-Antoine Durand et Laurie Gangarossa École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand

SOMMAIRE

INTRODUCTION 7 I.

II.

III.

INSTITUTIONS

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1.1 Propos introductif 1.2 Le palais de Tokyo à Paris 1.3 La place Louis Pradel à Lyon 1.4 La place de la République à Paris

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MARGES

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2.1 Propos introductif 17 2.2 Les DIY de Malmö 18 2.3 Les bassins du Trocadéro à Paris 21 2.4 Le Southbank Undercroft à Londres 24 2.5 La terrasse Koenig à Bordeaux 25 INTÉGRATION

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1.1 Propos introductif 1.2 Le schéma directeur de Bordeaux 1.3 Penser et concevoir le skateboard dans la ville

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CONCLUSION 34 BIBLIOGRAPHIE 35

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INTRODUCTION Au cours des dernières années, la pratique du skateboard s’est démocratisée et de nombreux skateparks ont été construits. Néanmoins, cette discipline est encore fortement pratiquée dans l’espace public, en particulier dans les territoires urbanisés. En effet, le skateboard, depuis son origine, entretient un lien intrinsèque avec l’espace public. Ce phénomène est explicitement formulé dans l’introduction de l’ouvrage Landskating : « La ville est le terrain de prédilection des skateurs ; opportunément ils la lisent comme une succession de surfaces. L’appropriation des formes urbaines renouvelle leurs valeurs d’usage. La pratique d’un "terrain trouvé" énonce des espaces autres qui se superposent et coexistent avec l’espace ordinaire de la ville. Par une triple relation corps-planche-terrain, le skateboard éprouve fondamentalement l’architecture »(p7). Ainsi, l’arpentage de la ville via le skateboard implique une intention particulière portée aux éléments architecturaux ou non disponibles dans la rue. Ceux-ci sont essentiellement de l’ordre des formes, proportions et matérialités des sols et du mobilier urbain, mais peuvent être enrichis d’éléments éphémères présents sur le lieu à un instant T. C’est parce que la ville est vaste et imprévisible qu’elle sera toujours plus attrayante pour les pratiquants qu’un skatepark clôturé dans un complexe sportif excentré de la ville, dont l’accès est conditionné à des règles et horaires d’ouvertures? tout en proposant des modules correspondant bien souvent à une manière précise de les appréhender. Par analogie avec le street art, le skateboard est indissociable de la rue de la même manière que le graffiti ne pourrait être cantonné à des galeries d’art.

La pratique du skateboard au sein de l’espace public reste cependant controversée et fait encore aujourd’hui encore l’objet de préventions situationnelles (dispositifs « anti-skate », arrêtés municipaux) et de répression par les forces de l’ordre, en particulier dans les petites et moyennes villes où sa pratique n’a pas encore été considérée comme partie intégrante des usages de l’espace public.

Cette politique, menée par les municipalité, n’est cependant pas toujours infondée : cette pratique peut occasionner des nuisances sonores et parfois une relative usure du mobilier urbain. La simple répression en l’absence d’alternative ne semble pas fonctionner pour autant, c’est pourquoi de plus en plus d’associations locales engagent la discussion avec les municipalités afin de trouver des compromis, comme c’est le cas à Bordeaux depuis quelques années, par inspiration des pays nordiques comme le Danemark et la Suède, où le skateboard est intégré aux usages de la ville parfois même dès la conception, sa pratique dans l’espace public étant jugée légitime.

Le philosophe et sociologue français Henri Lefebvre distingue dans La production de l’espace trois types d’espaces : l’espace vécu, l’espace conçu et l’espace perçu.

Iain Borden, directeur de l'histoire et la théorie architecturale ainsi que de la culture urbaine à l'université londonienne Barlett, interprète dans son ouvrage Skateboarding and the city la distinction des espaces développé par H. Lefebvre, en considérant les espaces vécus « espaces trouvés » comme les lieux appropriés par les skateurs, les « espaces construits » comme les skateparks et les « espaces perçus » comme les lieux de la représentation incarnés par la photo et la vidéo documentant la pratique. Cette triplicité de l’espace n’est cependant pas nécessairement distincte et les différents concepts peuvent être amenés à s’entrecroiser comme les cas d’études mentionnés par la suite le démontreront.

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La pratique du skateboard peut avoir lieu dans l’ensemble de la ville dans la mesure où l’architecture de chaque quartier aussi différents soient-ils, ouvrent un champ des possibles, c’est en ce sens qu’elle incite à une exploration globale de celle-ci.

C’est ce que démontre notamment le projet vidéo Parisii, réalisé par Gregory Dezecot et Olivier Fanchon paru en 2015. Il s’agit d’une vidéo retraçant une exploration de Paris sur trois ans faisant intervenir différents skateurs aussi bien de la scène parisienne qu’internationale. Le projet est structuré en 20 parties mettant chacune à l’honneur un arrondissement de la capitale.

Les théoriciens Henri Lefebvre et Michel Foucault constatent que les lieux à valeur symbolique sont les plus sujets à l’appropriation, la pratique du skateboard ne faisant pas exception puisque de nombreux spots de renommée mondiale incarnent et/ou sont liés à des lieux d’institutions. Ceux-ci seront traités dans une première partie.

H. Lefebvre constate également que, parce qu’ils ne sont justement pas liés à une institution, certains espaces publics sont d’autant plus ouverts aux activités liées à la contre-culture. En effet, les lieux en marge de la ville constituent également de forts lieux d’appropriation pour les skateurs.

Ainsi, c’est ce paradoxe entre marges et institutions dans l’appropriation et la pratique des skateurs au sein de l’espace public qui constituera l’axe structurant de cet article, au travers de plusieurs cas d'étude, en abordant par la suite de manière plus globale l'intégration de la pratique dans l'espace public.

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INSTITUTIONS Propos introductif Comme évoquée en introduction, une grande partie des lieux de pratique du skateboard de renommée mondiale sont des lieux à haute valeur symbolique. Elle peut être liée à la proximité avec un espace relevant de l’institution ou du symbole incarné par l’espace en lui-même. On peut ainsi en énumérer un grand nombre à l’échelle européenne dont voici une liste non-exhaustive : la place de la République, la place de la Bastille, le Palais de Tokyo et l’Institut du Monde Arabe à Paris, la place Louis Pradel à Lyon, la place de l’Hôtel de ville à Bordeaux, le Kulturforum à Berlin, la Stazione Centrale à Milan, la Casa da Musica à Porto, le musée MACBA à Barcelone, la Plaza de Colón à Madrid, le théâtre national de Prague, l’opéra d’Oslo, etc.

Au-delà de leur valeur symbolique, l’attrait pour ses lieux est bien souvent lié à une qualité particulière du dessin et de la matérialité des sols et du mobilier urbain.

Dans la grande majorité des cas, la pratique massive du skateboard sur ces espaces n’a pas été prévue lors de leur conception, d’autant plus que la construction de certains d’entre eux pré-date les débuts de la pratique en Europe. L’appropriation de ces lieux par les skateurs peut donc être considérée comme spontanée.

Dans une partie plus restreinte des cas, essentiellement dans le cadre de projets plus récents, l’appropriation potentielle par les skateurs d’un espace en projet peut-être prise en compte dès la conception et les architectes peuvent faire le choix de ne pas y installer de préventions situationnelles à l’encontre de cette pratique supposée voire même de la favoriser.

Ces différents cas de figure seront évoqués au travers de trois exemples principaux relevant de l’institution : le palais de Tokyo à Paris, la place Louis Pradel à Lyon et la place de la République à Paris.

Le Palais de Tokyo à Paris Ce premier espace constitue un lieu de pratique institutionnel en raison du lieu auquel il est rattaché et permet d’illustrer le lien communément entretenu entre le skateboard et les établissements institutionnels relatifs à l’art que sont les musées, opéras, théâtres, etc.

Communément appelé le Dôme, le palais de Tokyo, situé dans le XVIe arrondissement de Paris, constitue un lieu de pratique institutionnel du skateboard à l’échelle mondiale. Ce musée d’art contemporain érigé à l’occasion de l’Exposition Internationale de 1937, fait l’objet d’un concours remporté par les architectes Jean-Claude Dondel, André Aubert, Paul Viard et Marcel Dastugue.

L’esplanade du musée orientée Sud et faisant face à la Seine est appropriée comme un lieu idéal de pratique par les skateurs parisiens dès les années 1990. En effet, le marbre constituant uniformément l’ensemble des surfaces de sols et du mobilier urbain fait de ce parvis un lieu particulièrement propice à la pratique du skateboard [Fig. 1]. En raison également de son caractère esthétique, skateurs, touristes, photographes et mannequins se partagent cet espace faisant de cet espace au-delà d’un lieu d’institution, un véritable lieu de représentation. Cette appropriation spontanée du lieu par les pratiquants est de plus en adéquation avec la politique menée par le musée qui, en plus d’autoriser la pratique sur son parvis, la valorise notamment en proposant ponctuellement des événements relatifs au skateboard au sein même de l’édifice, tels que l’exposition de sculptures skatables réalisées par l’artiste plasticien Raphaël Zarka en 2016 ou encore la projection en avant-première de la vidéo Baker 4 en 2019.

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Le palais de Tokyo n’est pas un cas isolé puisque l’on retrouve en Europe de nombreux lieux de pratique célèbres adjacents à des musées ou des lieux relatifs à l’expression artistique évoqués en introduction tels que le musée d’art contemporain MACBA à

[Fig. 1]

Le skateur français Luy-Pa Sin photographié au palais de Tokyo par Benjamin Debert

[Fig. 2]

1. Le skateur lyonnais Jérémy Daclin skatant la place Louis Pradel en 1996 photographié par Fred Mortage 2. Le skateur lyonnais Aurélien Giraud skatant la place Louis Pradel suite à sa rénovation en 2020 photographié pour un article publié dansl My Presqu'île

Barcelone, le Kulturforum à Berlin, la Casa da Musica à Porto, l’opéra d’Oslo, etc.

La place Louis Pradel à Lyon Ce second lieu relevant de l’institution est particulièrement intéressant car, comme c’est la cas pour la place de la Bastille située dans le XIe arrondissement de Paris, il a fait l’objet d’une appropriation spontanée très forte par les skateurs ayant mené à la prise en compte de cet usage lors des travaux de réaménagement.

La place Louis Pradel à Lyon est l’un des lieux du skateboard les plus emblématiques d’Europe. Sa construction remonte à 1980, simultanément avec les travaux de percement du premier métro lyonnais. Ce projet initialement conçu par l’architecte-urbaniste Charles Delfante prend place dans le 1er arrondissement de Lyon, face à l’opéra et à proximité de l’hôtel de ville. Cette place de renommée mondiale est communément appelée HDV en raison de sa proximité avec la mairie et le nom de l’arrêt des transports en commun la desservant « Hôtel de Ville – Louis Pradel ». Ce lieu de pratique relève ainsi de l’institution du fait de son emplacement central dans la ville en faisant un lieu de rassemblement au sens général (lieu de rendez-vous, de manifestation, de passage, etc.), de la proximité avec les lieux institutionnels que représentent l’opéra et l’hôtel de ville ainsi que de son importance en tant que lieu de pratique du skateboard.

Au-delà de son emplacement, ce lieu est particulièrement adapté à la pratique par la matérialité des sols et du mobilier urbain. Les longs bancs en pierre à dossier disposés au Nord et à l’Est de la place ainsi que la forme pyramidale du socle du Monument à Louise Labé constituent des modules singuliers devenus iconiques. Dès la fin du XXe siècle, plusieurs projets vidéos tournés à Lyon crée la renommée de la place Louis Pradel qui est aujourd’hui un lieu incontournable du skateboard européen pratiqué par des skateurs venus du monde entier [Fig. 2.1].

La pratique du skateboard sur la place est cependant menacée en 2015, lorsque la place fait l’objet d’un projet de rénovation dans le cadre du programme Cœur Presqu’île concernant plusieurs places du centre-ville de Lyon. En effet, le devis mentionne la mise en place de dispositifs anti-skate, la pratique étant en premier lieu jugée responsable de l’usure de la place. Une pétition récoltant 12 000 signatures est lancée par la communauté locale aboutissant à des réunions avec les élus leur permettant de relativiser la responsabilité du skateboard dans l’usure de la place, mais aussi l’importance de celle-ci en tant que lieu de pratique générant des activités commerciales par les boutiques spécialisées à proximité mais également du tourisme. La décision est alors prise de considérer le skate en tant qu’usage de la place etconcevoir des dispositifs favorisant sa pratique tant en limitant considérablement les détériorations du mobilier urbain occasionnées, notamment via la pose de cornières métalliques sur deux socles de sculptures [Fig. 2.2].

La place de la République à Paris Ce dernier cas de figure en tant que lieu institutionnel témoigne de l’évolution de la considération de la pratique dans les aménagements de la ville avec une prise en compte favorable du potentiel usage du skateboard sur cet espace dès sa conception.

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La place de la République, située dans le XIe arrondissement de Paris est devenue, depuis son réaménagement en 2013, l’un des lieux de pratique du skateboard les plus renommés d’Europe. L’agence TVK remporte en 2010 le concours organisé par la ville de Paris en proposant d’aménager la place comme « un plateau d’évolution disponible et appropriable » s’appuyant « sur le concept d’une scène ouverte aux multiples usages urbains » [Fig. 3.1]. Aujourd’hui la place, également du fait de son emplacement central, lieu de jonction entre le IIIe, le Xe et le XIe arrondissement, est un lieu de convivialité et de rassemblement pour de nombreux usages tels que la danse, les jeux de société, de

ballon, le skateboard [Fig. 3.2], les concerts, les manifestations, etc.

Vincent Hertenberger, directeur du projet, affirme en 2018 dans une interview donnée au magasine de presse spécialisée À Propos que le skateboard en tant qu’usage sur cette place a été prévu dès la conception « Sur République, on a réussi à assumer que c’était une pratique de l’espace public, ni meilleure ni moins bonne que les autres », ne s’attendant cependant pas nécessairement à une appropriation aussi rapide « on n’a pas été surpris qu’il y ait autant de skate sur la place, mais plus par la rapidité à laquelle ça s’est fait. », et ce avant même la finalisation des travaux : « C’était assez marrant de voir cette appropriation, ça fait partie des images qu’on montre dès qu’il y a une conférence sur les usages. On montre toujours comment les skateurs, pendant le chantier, se sont approprié l’endroit. » En 2018, la marque américaine Volcom et la mairie de Paris collaborent dans le cadre d’un projet visant à ajouter des modules de skateboard sur la place de la République. Un workshop est organisé avec différents acteurs dont des architectes et des skateurs afin de créer du mobilier urbain skatable qui pourrait se fondre dans le décor, notamment via les matériaux employés faisant référence au mobilier urbain, à savoir du béton armé, de l’acier et du granit [Fig. 4]. Un premier module à l’allure de sculpture est placé au centre de la place à proximité de la station de métro tandis que le second reprend le principe d’estrade en bois initialement présente à cet emplacement à l’Ouest de la place. Ces installations, bien que conçues pour le skate, ont vocation à être appropriées par les autres usagers de la place lorsque celles-ci sont inutilisées par les skateurs. Ces modules sont ainsi utilisés par les autres usagers de la place comme assises, espaces de détente et de jeu pour les enfants, mais également comme promontoire ou scène lors d’événements occasionnels tels que des concerts ou manifestations.

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[Fig. 3]

1. Vue axonométrique de la place de la République publiée sur le site de l'agence TVK 2. Le skateur américain Louie Lopez lors d'un évènement organisé par Converse en 2015, photographié par Valérian Nicolas

[Fig. 4]

Photographie publiée par la mairie de Paris le jour de l'inauguration des modules financés par Volcom, place de la République

[Fig. 5]

Le skateur suédois Pontus Alv disposant du béton dans un lieu en marge de la ville de Malmö, photographie de Bella Diestel

MARGES Propos introductif Si de nombreux lieux de l’institution sont réputés comme étant fortement sujets à l’appropriation et la pratique, la perpétuelle recherche de nouvelles formes et lieux exploitables incite les skateurs à une exploration de la ville à travers ses différents quartiers sans jugement de valeur, les poussant parfois à investir des lieux ordinairement déserts. Ces lieux s’apparentant aux marges de la ville, ne le sont pas nécessairement par leur emplacement en périphérie mais essentiellement dû à leur caractère jugé peu attractif, voire hostile ou simplement dénué d’intérêt pour la majorité des usagers de l’espace public. Les cas d’études évoqués par la suite permettront ainsi d’illustrer plusieurs types de marges par leurs singularités respectives.

Les DIY de Malmö Ce premier cas de figure est certainement le plus prévisible à l’évocation de la notion de marge dans la mesure où ces lieux se situent en périphérie de la ville, dans des espaces en friche. Ils permettent par la même occasion d’illustrer la thématique du DIY (Do It Yourself ) avec le cas d’un célèbre skateur originaire de Malmö : « Le suédois Pontus Alv fait partie des skateurs qui, dans le DIY, ont vu le moyen de favoriser l’évolution d’un lieu dévolu à la pratique en réfléchissant sur le module en tant qu’objet artisanalement fabriqué, déplaçable et pouvant être abandonné. » (Landskating, p. 44) Ancien skateur professionnel et fondateur de la marque Polar, Pontus Alv est l’initiateur du mouvement DIY dans la scène skate européenne. Cette démarche naît initialement au début des années 2000 d’un manque de lieux de pratique et de formes recherchées dans l’architecture de Malmö. Sa perpétuelle recherche de spots le mène jusqu’aux marges de la métropole suédoise où une poignée de skateurs commencent à investir des friches industrielles et autres lieux délaissés en construisant eux même leurs modules [Fig. 5]. De cette démarche naîtra Savannah Side en 2002. Suite à la destruction de ce lieu de pratique en 2004, ces skateurs suédois commenceront simultanément à construire sur différents lieux dont notamment Steppe Side [Fig. 7.1] et TBS (Train Bank Spot) [Fig. 6 et 7.2] afin de conserver des lieux de pratique en cas d’éventuelle destruction de l’un d’entre eux.

Au-delà de l’atmosphère de ces espaces ordinairement inoccupés bien différente de celle d’un skatepark dont l’emplacement est souvent au sein d’un complexe sportif, ces lieux de pratique sont rendus plus riches par la démarche créative nécessitée par la conception et la construction à partir de matériaux disponibles ainsi que par la dimension artisanale du geste de construire, généralement à partir de bois et de béton.

Ces lieux trouvés puis construits ont également selon lui un aspect fédérateur « Ce n’est pas seulement créer, mais plutôt créer ensemble, créer une communauté, créer un espace de sociabilité, et bien sur le plaisir de le skater » (interview pour le magasine Kingpin) rendant ainsi l’appropriation beaucoup plus forte que dans un lieu construit puis investis.

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Ces espaces se distinguent également des skateparks par leur dimension organique, c’est-à-dire qu’ils sont en constante évolution par l’ajout d’extensions et de nouveaux modules, mais aussi par leur caractère éphémère lié au côté sauvage de l’appropriation pouvant causer la destruction de l’espace trouvé et construit du jour au lendemain. Cette dimension créative est primordiale pour ces espaces, comme l’explique Pontus Alv dans une interview pour le magasine spécialisé Kingpin « je pense que les spots DIY sont plus créatifs parce qu’ils sont construits par section, sans aucun plan. Tu commences dans un coin avec un élément, tu le skates et ensuite tu ajoutes la pièce suivante. La plupart des skateparks ont un plan figé et je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. ».

[Fig. 6]

Construction de deux plans inclinés en béton puis pratique du skateboard le long d'un mur de TBS (Train Bank Station, Malmö) par Pontus Alv photographie de Sam Ashley

[Fig. 7]

1. Le DIY de Steppe Side photographié par Nils Svensson 2. Pontus Alv photographiant lui-même le DIY de Train Bank Station

[Fig. 8]

Un groupe de skateurs parisiens investissant les bassins du Trocadéro lors de la vidange annuelle de Mars 2022, photographie de Léonard Berne

[Fig. 9]

Le skateur parisien Adrien Chabiron skatant les bassins du Trocadéro lors de la vidange annuelle de Mars 2022, photographie par Léonard Berne

Les bassins du Trocadéro à Paris À l’exact opposé de l’idée préconçue à laquelle renvoie la notion de marge, ce second cas de figure permet de démontrer à quel point les marges peuvent se situer à n’importe quel emplacement de la ville, y compris dans l’un des quartiers les plus prestigieux de la plus grande métropole de France.

Situés à moins de cinq cents mètres de la tour Eiffel et en contrebas du Palais de Chaillot, les bassins du Trocadéro, par leur proximité avec des lieux forts relevant de l’institution, ne sembleraient pas à première vue s’apparenter à un lieu de pratique en marge de la ville. En effet, si la terrasse du Trocadéro située dans le XVI e arrondissement de Paris constitue l’un des lieux de pratique du skate institutionnel parisien par excellence, il contraste fortement avec un autre lieu de pratique emblématique situé dans le parc en contrebas.

Communément surnommé les bassins du Troca [Fig. 8 et 9], ces bassins situés dans les jardins du Trocadéro constituent depuis plusieurs décennies, au même titre que les bassins situés des jardins de la tour Eiffel de l’autre côté du pont d’Iena dans le VIIe arrondissement un spot mythique de la capitale, bien que les possibilités de le pratiquer soient cycliques. En effet, cet espace à l’accès interdit n’est investi par les skateurs que quelques semaines voire parfois quelques mois dans l’année, au début du printemps lorsque les bassins sont vidés.

Le Southbank Undercorft à Londres Lui aussi situé dans l’hypercentre d’une capitale européenne, ce cas de figure est l’un des lieux de pratique du skateboard les plus anciens et iconiques. Son histoire est d’autant plus intéressante que son statut a évolué au fil du temps, faisant de cet espace relevant initialement de la marge un espace de pratique aujourd’hui institutionnalisé, en particulier au vu de l’engouement social, politique et médiatique dont il a fait l’objet il y a quelques années.

Investis par la scène locale dès le début des années 1970, le sous-sol de la Hayward Gallery est le lieu de pratique du skateboard le plus ancien et le plus renommé du Royaume-Uni [Fig. 10.1]. Située en plein cœur de Londres dans le quartier de Southbank, ce musée d’art à l’architecture brutaliste édifié en 1967 et conçu par les architectes Norman Engleback, Ron Herron, Warren Chalk et John Attenborough est surélevé pour permettre aux visiteurs de bénéficier d’une vue plongeante sur la Tamise. Le sous-sol de celui-ci est volontairement laissé vacant lors de la conception à titre expérimental, afin d’accueillir des usages indéfinis. Il prend la forme d’un espace extérieur couvert plat, structuré par de nombreux poteaux soutenant la galerie, en contrebas du cheminement piéton le long des berges du fleuve et relié à celui-ci par une multitude de plans inclinés. Cet espace considéré comme plus hostile qu’attractif par les Londoniens sera quelques années après sa création investi par les skateurs qui quant à eux verront en cet espace vacant un lieu d’expression et de créativité propice à l’appropriation [Fig. 10.2].

Les architectes du musée considérèrent positivement l’appropriation inopinée de cet espace par les premiers skateurs londoniens lors de l’émergence de la pratique en Europe tandis que les équipes de sécurité du lieu se mirent au milieu des années 1980 à éparpiller des pierres, soulever les dalles et intimider les skateurs pratiquant l’espace. Southbank demeura néanmoins un lieu de pratique en dépit de ces dissuasions.

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En 2004, des marques financent quelques modules en pierre et en béton qui sont ajoutés sur le spot tandis que le centre Southbank fait installer de l’éclairage, des caméras de vidéosurveillance et une démarcation de l’espace qualifiant légalement cet espace comme lieu de pratique du skateboard. La peinture murale est autorisée

par la même occasion et ce sous-sol devient un lieu d’expression pour les graffeurs locaux, mais plus généralement pour les arts urbains, s’agissant aussi bien de photographes et réalisateurs que de poètes, danseurs et musiciens [Fig. 10.3].

Les usages du sous-sol de la Hayward Gallery sont cependant menacés en 2013 dans le cadre d’un projet visant à y installer des locaux commerciaux, un espace dédié au skateboard étant prévu en guise de compensation à proximité du Hungerford Bridge, un pont adjacent.

Différents acteurs de la scène locale incluant la communauté de skateurs, des habitants de Londres, des artistes, mais également des académiciens et des membres du parlement anglais se mobilisent alors via une campagne menée par l’association Long Live Southbank, générant des textes, vidéos et slogans tels que « You Can’t Move History », « Preservation and Not Relocation » ou encore « Construction without Destruction ».

Suite à la mise en place d’une pétition rassemblant 150 000 signatures et plus de 27 000 oppositions à l’application du planning, le maire de Londres Boris Johnson apporte son soutien public aux skateurs qualifiant Southbank de « l’épicentre du skateboard britannique » en considérant ce lieu comme « un espace communautaire très apprécié » et « attirant des touristes du monde entier et ajoutant indubitablement du dynamisme au secteur ». Son veto est alors appliqué et Southbank préservé. Le directeur artistique et le chef exécutif du centre Southbank signent finalement un accord avec le Lambeth Borough Council (le conseil d’autorité de l’arrondissement de Southbank) garantissant au Southbank Undercroft d’être réservé à la pratique du skateboard sur le long terme.

L’histoire de ce lieu du patrimoine londonien est particulièrement intéressante dans la mesure où il s’agit à priori du lieu le plus ancien au monde à avoir été skaté intensivement de manière ininterrompue. Il incarne également une victoire du skateboard contre des acteurs bien plus puissants politiquement que la communauté en elle-même. Au-delà de la communauté de skateurs, Southbank est un lieu très apprécié des autres usagers qualifiant leur pratique et leur attachement à ce lieu comme « inspirante et édifiante » en considérant que retirer la diversité du quartier anéantirait son charme. Contre toute attente, le journal The Times, affilié comme Boris Johnson au partie conservateur proclame lors de cette campagne que supprimer l’usage du skate dans ce lieu au profit d’unités commerciales serait de l’ordre du « cultural vandalism ».

La Terrasse Général Koenig à Bordeaux Le dernier exemple de cette partie illustre un autre type de marges, à savoir les non-lieux de la ville, simplement traversés mais sujets à très peu d’usages. Comme pour la place de la République à Paris, l’usage du skateboard a été prévu lors de son réaménagement.

La terrasse Général Koenig est située dans le quartier d’affaire Meriadeck du centreville de Bordeaux. Ce quartier sur dalle construit entre les années 1960 et 1970 concentre essentiellement des bureaux et locaux administratifs. La terrasse Général Koenig l’un des premiers lieux de pratique des skateurs bordelais dès sa création, avant d’être munis de dispositifs anti-skate sous forme de stries dans le sol dans les années 1990 afin de rendre le lieu impraticable [Fig. 11.1].

Depuis, cet espace n’accueillait plus que très peu d’usages, il n’était quasiment plus que traversé en semaine par les employés des bureaux adjacents et s’apparentait ainsi à un « non-lieu » dans le sens où le conçoit anthropologue français Marc Augé dans l’ouvrage éponyme.

Le skateur professionnel Léo Valls participe dans le cadre de l’agence Dedication à des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage et en parle dans un entretien réalisé pour ce travail de recherche : « La terrasse Koenig est un espace qu’on a 24

[Fig. 10]

1. Le Southbank Undercorft photographié depuis l'extérieur par Richard West 2. Un skateur londonnien skatant Southbank dans les années 1980, photographié par Stephane Decool 3. Le skateur londonnien Tom Knox skatant Southbank de nos jours, photographié par James Griffiths

requalifié pour le skate sur les terrasses de Meriadeck à Bordeaux. C’était un espace en déshérence qui n’était plus utilisé, qui était presque malfamé dans un sens, et avec peu de moyen en fait, en retravaillant le chanfrein des agrégats des jardinières, des prises d’élans, les sols, c’est redevenu un lieu skatable et donc un lieu de vie.

Aujourd’hui ce qui est intéressant, c’est de voir qu’il y a tout un tas d’usages qui viennent se greffer à la pratique du skate sur cet espace-là. Les gens viennent pique-niquer, faire du parkour, d’autres usages qui viennent à partir du moment où tu mets du skate quelque part, ça va créer de la vitalité et une émulsion. » [Fig. 11.2]

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[Fig. 11]

1. La terrasse Général Koenig avant les travaux de rénovation de 2020, photographiée par l'agence Dedication 2. La terrasse Général Koenig suite aux travaux de rénovation de 2020, photographiée par l'agence Dedication

INTÉGRATION Propos introductif Alors que le skateboard fait partie intégrante des usages de la ville dans la conception d’aménagements depuis près d’une dizaine d’années en Suède et au Danemark, son intégration est plus nuancée et progressive dans les pays d’Europe de l’Ouest.

En France, la prise en compte des usages du skate dans l’espace public se manifeste en grande partie par la mise en place d’arrêtés municipaux et d’investissement dans des dispositifs « anti-skate », à l’exception des grandes métropoles dont l’intégration se fait progressivement comme en témoignent certains des cas d’études mobilisés dans les précédentes parties.

Le schéma directeur de Bordeaux La métropole française dont l’évolution au cours des cinq dernières années est la plus considérable est le cas de Bordeaux. Léo Valls, skateur professionnel bordelais, membre de l’association Board-O et réalisant des travaux de médiation, communication et assistance à maîtrise d’œuvre l’évoque lors de l’entretien : « À Bordeaux pendant 10 ans skate le skate a été interdit sur une pluralité d’espaces publics du centre-ville sous couvert d’amendes donc avec des panneaux avec un skateur barré et la police mettait des amendes civiques aux skateurs. À un moment, on est arrivé à pas loin de 1000 amendes par an donc ça devenait vraiment problématique. […] on a une grosse communauté skate, on a recensé 30 000 pratiquants sur la métropole, donc c'est assez conséquent et voilà, il n’y avait pas de communication entre la collectivité et les skateurs et uniquement le skate était interdit parce qu'il y avait une poignée de riverains qui se plaignaient du bruit que ça faisait, qui ne voulaient pas accepter que le skate soit une pratique urbaine et qui disait qu’il y avait un skatepark et que du coup on devait pratiquer dans un skatepark en comparant même le skate avec le tennis. Le riverain me disait "moi je fais du tennis je viens pas taper des balles sur une place urbaine", or, ce n’est pas la même chose, c'est une pratique urbaine qui est née dans la rue. Le tennis, n’est pas une pratique urbaine qui est née dans la rue, donc c'est une pratique sportive, donc le skate en fait, c'est un espèce de caméléon qui est à la fois une pratique sociale, culturelle, sportive, en effet urbaine, un mode de déplacement. Enfin ça touche à plein d'aspects différents et du coup, on a expliqué ça à la ville, la situation devenait trop compliqué et de là on a proposé un système de médiation pour les places qui étaient interdites au skate avec des horaires aménagés, pour essayer de retrouver, de reproposer que ces espaces-là soient partagés. Dans tous les cas, s’il y a des interdits il y aurait toujours du skate, mais ça allait se passer de manière sauvage parce qu'on avait remarqué aussi qu’à partir du moment où c'était interdit, les riverains de ces places-là étaient encore plus remontés parce que c'était interdit et que, du coup, les interdictions n’étaient pas respectées et se sentaient encore plus légitimes de râler et parfois même d'avoir des comportements assez extrêmes.

Et pareil en fait, chez les skateurs, notamment chez les plus jeunes, les ados qui sont souvent en construction identitaire, leur dire que leur passion et ce qu'ils font en fait en se retrouvant sur des espaces publics, qu’ils chérissent, parce qu'ils vont les utiliser, les mettre en avant, les filmer, enfin, ça ne fonctionne pas. Mais du coup, de là, il y a eu un constat qui a été fait et on a fait une première expérimentation de quelques mois et en effet ça a été bien respecté. On a beaucoup communiqué auprès de la communauté pour que les horaires soient respectés sur les sites qui étaient sensibles. » [Fig. 12]

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Suite à cela, l’exposition Landskating Anywhere organisée à Bordeaux en 2017 par le centre d’architecture Arc en rêve [Fig. 13.1]. Cet événement a lieu à l'occasion de la saison culturelle Paysages et vise à mettre en valeur la dimension culturelle et artistique du skateboard par son lien à l'architecture et à la ville. L'exposition inclut photographies, dessin, films, maquettes et performances.

[Fig. 12]

Le skateur bordelais Léo Valls skatant une place du centre-ville légalement grâce au dispostif Skate(z) Zen, photographie de Léo Sharp

« à l'issue de cette exposition, on m'a demandé de débattre avec Alain Juppé, qui est le maire de Bordeaux à l'époque, sur la place du skate en ville et je pense que Alain Juppé a assez vite compris les enjeux et en fait, il nous a demandé de travailler à la planification urbaine de manière à intégrer le skate dans le développement urbain de la ville, c'est-à-dire dans des projets d'espaces publics, que ce soit par là requalification de certains espaces ou par la pose de mobilier urbain calibré, des bancs skatables par exemple, mais qui ne sont pas du tout des terrains uniquement faits pour faire du skate et qui sont plutôt des espaces publics qui, du coup, deviennent calibrés pour la pratique du skate et son partagés avec les autres usages.

On a porté pas mal de projets de ce style depuis 4-5 ans et ça prend plusieurs formes différentes. Ça peut prendre la forme de de de projet culturel avec des expositions de sculptures skatables dans l'espace public avec des parcours, ça peut prendre la forme de mobilier urbain que l’on va déployer qui sont par exemple des bancs skatables qui vont être à la bonne taille dans le bon type de granit, la bonne densité, les bons chanfrein, les bonnes prises d’élan, etc, pour que c'est bancs là soient aussi du mobilier urbain ludique et skatable ou ça peut aussi prendre la forme de requalification d'espaces publics de place en place skatable. Je pense notamment à la terrasse Koenig qui est un bon exemple, un espace qu'on a requalifié pour le skate, sur les terrasses de Mériadeck à Bordeaux. » À l’occasion de la saison culturelle de Bordeaux de l’année 2019 intitulée « Liberté », l’artiste designer Nicolas Malinowsky et le skateur professionnel Léo Valls collaborent afin de créer « Play ! », des œuvres s’apparentant à des installations publiques skatables. Disposées à différents lieux emblématiques de la métropole bordelaise, ces œuvres créent un parcours invitant les skateurs locaux et les touristes à une exploration et une (re)découverte de la ville de manière ludique tout en créant de l’animation dans l’espace public [Fig. 13.2]. Ces installations éphémères visent également à expérimenter la cohabitation entre les usagers habituels de ces espaces et les skateurs dans ces lieux précis de la ville afin de favoriser l’acceptation de la discipline dans l’espace public.

Durant la même période, l’agence suédoise F31 architectes conçoit des sculptures skatables disposées dans différents quartiers de Malmö afin de renouveler l’activité de certains quartiers dans une démarche similaire à celle de Bordeaux.

Deux ans plus tard, les installations de l’exposition Play ! sont disposées à Malmö tandis que Bordeaux accueille les sculptures skatables du programme « We’re all golden » dans le cadre du programme Bon voyage ! Au-delà de ces installations éphémères, ces programmes ont vocation à favoriser les échanges entre différentes scènes du skateboard, s’inspirer mutuellement en terme de ce qu’on appelle le « skate-urbanisme » mais également encourager les échanges touristiques liés à la pratique, ces expositions permettant une découverte de la ville particulière incluant autant des lieux institutionnels et touristiques que des espaces davantage en marge.

Penser et concevoir le skate dans la ville

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Comme évoqué précédemment avec les cas de la place de la République à Paris (en 2013), la place Louis Pradel à Lyon ou encore la terrasse Koenig à Bordeaux, la prise en compte de l’usage du skate dans la conception en permettant la pratique sans pour autant créer de modules exclusivement dédiés peut s'avérer amplement suffisante. En effet, les skateurs fabriquent bien souvent eux-mêmes des modules selon leurs besoins afin d’exploiter un espace en augmentant le champ des possibles comme par exemple dans le cadre du réaménagement de la place de la Bastille dans le XIe arrondissement de Paris en 2020. Une analyse des usages pré-existants à été réalisée en amont montrant l’usage du skateboard, suite à quoi l’architecte Julien Beller a définis un espace dont le dallage au sol plus régulier incluant une surélévation au Sud de la place [Fig. 14.1 et 14.2], suite à quoi des

[Fig. 13]

1. L'exposition Landskating Anywhere au centre d'architecture Arc en rêve à Bordeaux en 2017, photographie de Rodolphe Esher 2. Des skateurs utilisant les sculptures skatables du programme Play! durant l'été 2019, photographie de David Manaud

éléments ont été fabriqués parfois même sur-mesure par les skateurs locaux [Fig. 14.3 et 14.4].

Cette dimension est explicitée dans l’ouvrage Landskating : « Dans de nombreuses villes, la pratique skateboard sous son caractère street procède de la lecture globale d’un espace public où tout élément est un potentiel support de glisse ou de tricks.

Un deuxième type d’interaction consiste en la mise en place d’un exogène et fabriqué, sur la route, sur le trottoir ou sur un mur »(p. 44).

Le skateur suédois Pontus Alv évoqué dans la partie précédente évoque le sujet dans une interview pour le magasine de presse spécialisée Solo :« Parfois il s’agit simplement de finir avec les bonnes hauteurs, avoir les bons matériaux et le bon sol. Je pense qu’il est mieux de dire à un architecte quels matériaux utiliser pour créer une place et le laisser faire. S’ils savent que c’est pour skater, ils vont étudier le skateboard et ça aura l’apparence d’un lieu de skate. ». C’est précisément cette démarche que suit l’agence TVK dans le cadre de projets urbains « On ne fait pas du tout des skateparks, mais l’idée est de laisser libre l’appropriation de l’espace. » (Interview de Vincent Hertenberger pour le magasine spécialisé À Propos).

L’intégration du skateboard dans l’espace urbain passe au-delà de la conception par une dimension sociale, comme l’explique Léo Valls durant l’entretien « Il a plusieurs axes de travail, pour moi ce qui est important c’est l’axe médiation qui est la porte d’entrée de toute cette démarche de skate-urbanisme. C’est avant tout de la communication et de la médiation c’est-à-dire comment expliquer à la fois a la ville que le skate est une pratique positive pour le développement de la ville, expliquer aux gens qui peuvent être contre car ils trouvent ça agressif ou pas approprié ou pensent que ça doit se passer dans un skatepark qu’en fait non c’est une pratique urbaine qui a lieu d’exister et aussi expliquer aux skateurs que la ville n’est pas que faite pour faire du skate et qu’il faut apprendre à partager , que c’est très chouette d’être très libre et de skater le plus librement possible, on aspire tous à ça mais il faut aussi respecter les autres usagers pour que ça se passe bien. Ce travail de médiation est important et passe aussi par des ateliers où on va revenir sur les spots qu’on va faire et les entretenir. On fait ça de manière participative pour que les jeunes soient responsabilisés au fait que ces espaces-là doivent être respectés et bien entretenus et que ce n’est pas non-plu un dû, c’est quelque chose pour lequel on a dû travailler. »

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[Fig. 14]

1. La place de la Bastille suite à son réaménagement de 2020, photographie personnelle 2. La différence de matérialité entre le dallage ordinaire et le dallage dédié aux sports de glisse, photographie personnelle 3. module en bois fabriqué sur-mesure par les skateurs locaux, photographie personnelle 4. module en bois et en métal déplaçable fabriqué par les skateurs locaux, photographie personnelle

CONCLUSION En somme, le skateboard est une pratique à dimension sociale, culturelle, sportive et urbaine qui induit un rapport singulier et une attention particulière portée à la ville. Au travers de sa pratique, le skateur explore et détourne les usages conventionnels de l’espace public. Cette appropriation de l’espace s’effectue depuis les lieux les plus centraux et institutionnels de la ville jusqu’à ses marges et délaissés, en transformant des non-lieux en espaces d’usages. Son intégration dans la ville est un processus en constante évolution depuis l’émergence de la pratique et constitue aujourd’hui un véritable enjeu politique de la conception de l’espace urbain. Cette pratique alternative de l’espace est en effet parfois encore controversée, en particulier dans les petites et moyennes villes, les cas d’études mobilisés concernant les métropoles européennes illustrant pourtant le potentiel de cohabitation de la pratique skateboard avec les autres usages de l’espace public, et dans quelle mesure cette appropriation de l’espace peut s’avérer être un atout pour lieux concernés.

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ARTICLE URBANISME LOISIR ART APPROPRIATION COHÉSION SOCIALE

LA PRATIQUE DU SKATEBOARD DANS L'ESPACE PUBLIC Entre marges et institutions

GAÉTAN VAN CEUNEBROECKE Rapport d'étude - Licence 3 - ENSA Clermont-Ferrand - 2021/2022