Fugues mai 2011

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LE DISCOURS DE XAVIER DOLAN réalisateur explique «qu’il n’y a jamais personne qui nomme exactement ses scrupules ou qui baptise ses réticences, mais c’est sûr que j’ai senti des gens qui étaient rétifs par rapport à ces personnages». «Mais les gens sont habiles aujourd’hui», poursuit-il. «L’homophobie se ressent d’une manière beaucoup plus perfide qu’avant. Je n’ai pas eu de refus précisément pour ça, mais c’est sûr que c’est plus audacieux de montrer un adolescent qui est en couple à 16 ans que de montrer un adolescent qui a un flirt avec une jeune écolière blonde qui saute sur un trampoline au ralenti. Ce n’est pas la même vibe…» «Ça doit servir mon écriture, j’imagine, puisque j’en parle», pense Xavier Dolan, en abordant son homosexualité. «Je fais un troisième film, une relation qui met en scène un couple hétérosexuel. Mais je ne me voyais pas, surtout pour le premier film, faire le portrait d’un jeune homme avec une jeune femme. Ce n’est pas que ça ne me parle pas. Pour moi, ce serait de la fumisterie, puisque ce n’est pas quelque chose que je connais, une réalité à laquelle je suis habitué; ce n’est pas ma zone de confort. Pour moi, c’était comme un réflexe de poser en homosexuel dans le film.»

Un trait de caractère «L’homosexualité ne définit absolument rien dans mes films. C’est une trilogie sur les amours impossibles : J’ai tué ma mère, le premier opus porte sur l’amour impossible adolescent. Les Amours imaginaires, sur l’amour impossible jeune; Laurence Anyways, sur l’amour impossible adulte. Mais l’homosexualité ne joue pas un rôle prépondérant dans la détermination de ce que sont ces films. » «Et, à vrai dire, ce n’est même pas une caractéristique qui me viendrait à l’esprit quand je parle de mes films. Je ne penserais même pas à aborder l’homosexualité puisque pour moi, c’est acquis. Mais en même temps, je suppose que j’ai de l’imagination comme tout le monde et que ce ne sera pas toujours forcément au cœur de mon œuvre.» «Un homosexuel n’est pas un personnage», rappelle l’acteur et scénariste. «Un personnage se trouve à être homosexuel en amont de sa personnalité, mais je ne veux pas mettre en scène des personnages homosexuels. Pour moi, ce sont des personnages. Ils seront homos, ou hétéros, ou… comme tout le monde.» Xavier Dolan a reçu le trophée des mains du ministre de la Justice Jean-Marc Fournier, Procureur général du Québec et ministre responsable de la lutte contre l’homophobie. Xavier Dolan rejoint ainsi d’autres sommités comme, entre autres, Janette Bertrand, Dany Turcotte, Michel Tremblay ou Pierre Elliott-Trudeau. q Michel JOANNY-FURTIN

«Je ne sais pas trop sur quel ton m’adresser à vous pour vous remercier ce soir. Dans mes films, dans mes histoires, je ne ressens jamais le besoin de revendiquer, de me poser des questions parce que les choses, en quelque sorte, pour moi, ont été acquises dans mes films. Jamais par peur ou par honte. Mais je réalise que l’homosexualité dans mes films est acquise…» «Malgré l’étiquette de réalisateur gai qui me précède souvent dans quelques articles et blogues, les gens n’en font pas grand cas. On me laisse tranquille, on m’accueille… on m’fait pas chier!» «Et si c’est possible, c’est parce que des hommes et des femmes, plusieurs d’entre vous d’ailleurs, se sont battus pendant des années, bien avant que je naisse et pendant que je grandissais, pour leurs droits, leur liberté et le progrès.» «Ces gens comme vous sont des visionnaires, des surhommes, des surfemmes. Et je soupçonne qu’on imagine à peine la virilité, la grâce et le courage qu’il faut pour s’imposer en tant qu’homosexuel dans la société comme ils l’ont fait.» «Le salaire de cette ardeur, de cette pugnacité, c’est l’héritage de la tolérance, la tolérance arrivée, la tolérance attendue, la tolérance en mouvement; la permission de ne plus se poser de questions, ou de s’en moins poser; la prétention de tenir les choses pour acquises; le projet de vivre et non de survivre grâce au progrès.» «Votre témoignage, votre choix me touche et me laisse croire que, peut-être, je participe moi aussi à ce progrès qui continue et qui se doit de continuer encore aujourd’hui, et pour toujours.» «J’ai appris des hommes et des femmes qui nous précèdent, ou qui nous regardent. Pour continuer leur travail, assurons-nous que les magistrats élus par la société nous défendent et non nous dédaignent. Tenonsnous la main pour évincer la crainte et la solitude. Soyons alertes et punitifs devant la violence, éduquons l’ignorance. Soyons nous-mêmes, enfin, sans compromis, sans scrupules, sans haine, et alors nous pourrons vivre ensemble. » Montréal, le 11 avril 2011 Pour visionner la vidéo du discours, visitez le fugues.com


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