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Décoration

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ANDRÉ PACCARD Royalement architecte mais pas que !

Retour sur la carrière d’André Paccard, architecte-décorateur annécien dont le talent inonda sa ville, mais dont la réputation dépassa largement ses frontières…

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TEXTE : LAURENT GRACHUSS ET CAROLINE KREBS - PHOTOS : DOMINIQUE GAY – STUDIO DGC

Annécien de naissance (février 1929) et de cœur, André Paccard s’installe en tant que décorateur dès 1952, date à laquelle il crée L’Atelier 74 – André Paccard. Une base d’où il conçoit de multiples projets à Paris (1968), Rabat (1973), New York (1983), ou Riyad en Arabie Saoudite (1987).

C’est surtout en tant que décorateur attitré du roi Hassan II du Maroc jusqu’au milieu des années 1980 que l’architecte de talent connaîtra un succès d’envergure. Quinze ans durant, il travaillera dans de nombreux palais, activité éminemment fructueuse qui l’amènera à passer des commandes à de nombreuses sociétés de la région d’Annecy, près de 600 dit-on. Une époque bénie pour les artisans de sa garde rapprochée tant ce visionnaire prônait la qualité et n’hésitait pas à mettre tous les moyens pour accéder à la perfection. DES RIVES DU LAC À LA MAMOUNIA

La rencontre entre les deux hommes se fit par hasard alors que l’architecte vivait encore modestement à Saint-Jorioz. Une chance qui lui vaudra la confiance totale du roi qui, paraît-il, rêvait secrètement d’être architecte lui aussi. L’ascension du cabinet d’André Paccard devient vertigineuse, dans un contexte très faste. Les grandes entreprises annéciennes se mondialisent, son maire Bernard Bosson devient ministre, l’industrie touristique est en plein essor et Annecy devient, selon les témoins de l’époque, la « base arrière » du Maroc.

Ignorant la demi-mesure et porté par un talent hors du commun, l’architecte s’illustre par ses chantiers aux matériaux et mobilier d’exception, des marbres les plus précieux aux bois d’ébénisterie. Les meilleurs artisans sont alors recrutés à prix d’or, répondant à des cahiers des charges de la plus haute exigence.

Le grand salon de la Ferme qu’André Paccard bichonna à Thorens-Glières, une rénovation de très grande qualité dédiée aux amis et aux bons moments... Notons l’intégration parfaite de la boiserie en chêne massif recouvrant les surfaces murales et la cheminée.

Les réalisations menées pour le compte d’Hassan II, à l’image du fameux chef-d’œuvre La Mamounia à Marrakech, valent à André Paccard une renommée sans conteste, mais pour autant, son altruisme le pousse à œuvrer activement pour sa ville à laquelle il est très attaché.

ENTREPRENEUR ET VISIONNAIRE

Fervent de culture et ayant à cœur de développer l’attractivité touristique de sa région, il se positionne comme mécène d’événements phares comme les Journées internationales du cinéma d’animation. Président de la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy, il crée en 1984 l’imposante Libellule, véritable emblème du lac, qui devient le lieu flottant des soirées les plus en vue du moment. Il met également en place le pratique et novateur service des taxis du lac. Visionnaire, André Paccard imagine des projets d’aménagement de sites incroyablement avant-gardistes qui, pour diverses raisons, ne verront jamais le jour. Ainsi, il propose, lors du projet de rénovation du téléphérique du mont Veyrier, l’implantation à son sommet d’un restaurant circulaire tournant qui aurait permis de profiter d’une vue tantôt face au lac tantôt face au mont Blanc. Il réalise également une maquette des Nouvelles Galeries sur sept niveaux, dont le toit aurait été occupé par sept villas avec piscine, toutes vendues sur plan !

« Président de la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy, André Paccard crée en 1984 l’imposante Libellule, véritable emblème du lac »

Agencement, ameublement, souci du détail, les nouveaux propriétaires, grands amateurs de Paccard, ont respecté sa patte pour faire perdurer son style...

Une baie vitrée coulissante installée sur le toit côté chambre, une invention technique imaginée par l’architecte surdoué.

Le bureau noir, un exercice de style pour lequel l’architecte utilisa différents matériaux : tissus, cuir, bois et Alcantara. Le sol, par exemple, est entièrement gainé de cuir, tout comme la surface du bureau au premier plan.

« La rencontre entre les deux hommes se fit par hasard alors que l’architecte vivait encore modestement à Saint-Jorioz »

Aujourd’hui encore, on peut reconnaître le style Paccard dans certains quartiers de la ville, comme une fontaine ornementale au détour d’un jardin public, ou dans certaines somptueuses maisons privées à Veyrier au caractère architectural exceptionnel et singulier. Cette même passion et cet amour de la belle ouvrage se retrouvaient aussi dans ses demeures particulièrement soignées et réussies, entre autres sa splendide Ferme installée à Thorens-Glières et l’immeuble – dit immeuble Paccard – quai Perrière à Annecy. Grâce à lui, bien des rêves sont devenus réalité, et il aimait se qualifier de chef d’orchestre et se rappeler que le résultat de sa réussite était dû à la somme des cerveaux qui l’entouraient, ses collaborateurs avec qui il entretenait des relations paternelles.

Parfois sulfureuse mais profondément généreuse, cette personnalité haute en couleur et au parcours hors normes ne laissait personne indifférent et aura indéniablement marqué sa ville de sa patte virtuose.

L’escalier de la bibliothèque, une véritable sculpture !

L’immense salon accueille une cheminée traversante qui en impose. Dans cette pièce aussi, Paccard le visionnaire n’a rien laissé au hasard, jusqu’à la télécommande qu’on devine au premier plan, posée sur la table : elle permettait déjà de commander un certain nombre de services, dont l’éclairage... la domotique avant l’heure en quelque sorte. En pied de page : l’entrée d’une splendide salle de bains, travail d’orfèvre du bois qui ouvre sur une vasque et un sol en marbre inspiré du Petit Trianon.

Au-dessus : la salle de bains de la suite gay, un modèle de raffinement avec robinetterie en or et colonnes en marbre. À noter, sur le côté gauche de la photo, la présence pas banale à cette époque d’une télé brillamment protégée par une bulle plastique.

L’entrée, spectaculaire, et l’escalier qui mène aux appartements, sont décorés de fresques aux accents romantiques, le tout sublimé par l’œil du photographe, Dominique Gay. En médaillons, en bas à droite : le dégagement desservant la suite réservée aux visiteurs, qui a pris le nom évocateur de « suite gay » ou suite « Orient-Express », a été décoré tel un wagon du célèbre train. En bas : le salon perché de la suite gay, laquelle dispose – au premier plan – de deux fauteuils dessinés pour La Mamounia par Paccard et installés par le propriétaire actuel en guise de clin d’œil.

Remerciements : la photographie peut aider à sublimer l’architecture, c’est le cas avec ce reportage. Merci Dominique Gay. studiodgc.com

Encore connue sous le nom de maison Paccard, cette bâtisse emblématique fait partie du patrimoine annécien.

Le local poubelle à la mode Paccard... Des vitraux représentant Annecy ornent les dégagements. La chambre de la suite gay : le lustre a été retrouvé sur un site marchand entre particuliers par le propriétaire actuel.

INTERVIEW Jean-Christian Bozon

DIRECTEUR CHARMILLES IMMOBILIER

Grâce à son crayon d'architecte André Paccard était devenu un personnage illustre d’Annecy, pourtant il est tombé un peu dans l’oubli non ?

André Paccard avait certainement en lui ce qui permet la réussite : le talent, un savoir-faire aiguisé et les qualités de meneur d’homme. Sa réussite dans les années 80 a fait également celle de centaines d’entreprise de la région d’Annecy. Il a permis de monter en compétences nombre d’entre elles. Le plus important était la qualité de réalisation de l’œuvre, pas le prix qu’elle pouvait coûter. Il aimait à répéter (m’a-t- on rapporté) que "l’argent coulait à flot dans l’entreprise, mais qu’il le ramassait avec les doigts des mains bien écartés pour en laisser beaucoup aux autres" (ces collaborateurs). Le Roi du Maroc était son plus important client. Leur relation a duré de nombreuses années et a marqué également la vie annécienne : la vie de

Pour moi, la résidence d’Annecy quai Perrière est certainement une des plus belles réalisations de Paccard.

Paccard avait une aura qui fascinait autant qu’elle était jalousée. La carrière de Paccard a peu ou prou décliné quand la relation avec le Roi s’est terminée, et c’est à ce moment que beaucoup lui ont tourné le dos puisque, de l’avis de beaucoup, l’intérêt financier qu’il représentait à Annecy n’y était plus.

Qu’est-ce qui pousse un spécialiste de l’immobilier comme Charmilles Immobilier à souhaité le réhabiliter ?

Je n’ai jamais connu personnellement André Paccard mais j’en ai beaucoup entendu parler. Au début de ma vie professionnelle, nombres d’artisan avec lesquels je travaillais me rapportaient avoir été collaborateurs de l’atelier Paccard, ce qui était pour eux une distinction, un gage de leur professionnalisme. Beaucoup plus tard, Paccard a ressurgi dans ma vie si je puis m’exprimer ainsi, à l’occasion d’échanges avec un ami, un passionné par l’œuvre de l’architecte, presque un mécène devrait-on écrire puisqu’il a pu acquérir deux résidences personnelles du maître, qu’il a rénovées, maintenues dans leur esprit initial, sauvées de la spéculation et des modes. C’est grâce à lui que ce patrimoine est encore présent et que nous avons pu réaliser ce reportage. Et puis, de l’avis de beaucoup, Paccard n’a pas la reconnaissance qu’il mérite. Il fait partie des grands hommes dont on a besoin individuellement ou collectivement pour évoluer, qui voit plus grand que leur environnement. Lui qui a tant donné à sa ville natale. Je ne citerais pas ses œuvres connues de tous, mais peu savent qu’il a offert deux fontaines à la ville d’Annecy. Aujourd’hui, pas une plaque commémorative, pas un nom de rue… Au vu des nombreux témoignages concordant que j’ai recueilli suite au reportage, je suis heureux d’avoir modestement permis, si ce n’est une certaine réhabilitation, au moins de rappeler sa mémoire.

Quelles sont les pièces maîtresses de son oeuvre à Annecy ?

Pour moi, la résidence d’Annecy quai Perrière est certainement une des plus belles réalisations. Il y a également le bateau le Libellule. J’ai eu l’occasion de visiter la Mamounia à Marrakech, très bel établissement, récemment rénové par Garcia, où l’on peut encore admirer la patte du Maître, mais ce n’est pas à Annecy…

Si vous aviez à définir son style en quelque mots ?

C’est le style des années 80 et 90, hautement inspirant pour les prochaines réalisations de Charmilles immobilier. J’ai été séduit par l’intégration des boiseries dans les intérieurs, mais également le travail de ce que j’appellerais la parqueterie marbrière, tellement l’œuvre est raffinée. Et puis, la présence du cuir : dans les rideaux, aux murs, sur le mobilier. J’adore le bureau noir quai Perrière : cuir sur le sol, alcantara sur les murs !

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