Eclectiques - Freelance France Japon #3 > Independance et Appartenance

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Variations sur

la fidélité et la vertu P AR Yukiko Ka no Tradu ct rice

En Occident, quand on dit fidélité, on dit exclusivité sexuelle entre époux. Il n’y a pas d’acception plus dominante du mot que celle-là aujourd’hui, notamment en France. La fidélité, c’est un article inscrit noir sur blanc dans le Code civil. La fidélité, c’est une condition déterminante pour qu’une vie de couple s’établisse officieusement ou officiellement à la vertu d’un contrat tacite ou écrit, où elle s’oppose à l’infidélité et où celle-ci n’a qu’une signification à son tour : tromper le partenaire conjugal dans le domaine de la sexualité et des sentiments amoureux, peut-être même, pourquoi pas, dans celui du fantasme érotique. La définition est d’un côté comme de l’autre aussi étroite que possible, comme la tautologie de la formulation, caractéristique de tout contrat, semble l’illustrer avec une certaine autodérision. Étant donné que le contrat de mariage fait partie intégrante du Code civil, et que c’est de ce Code civil que sortit la première société moderne des citoyens éclairés, l’infidélité individuelle est considérée en Occident aujourd’hui encore à la fois comme source de malheur personnel et comme amorce d’une anarchie au niveau de l’ordre social. Si l’institution familiale et l’État, uniment préoccupés par la reproduction et le nonchangement substantiel des composantes, ne sont pas étrangers aux Japonais depuis le temps où ils étaient seuls sur leurs petites îles, une telle

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notion de fidélité, tiède et peureuse, en un mot foncièrement bourgeoise, les ferait rire dans leur barbe. Il faut leur pardonner, c’est plus fort qu’eux, car leur constitution psychique est restée finalement assez archaïque et peu civilisée sur le plan affectif, en dépit de bien des changements opérés dans leur système social depuis une centaine d’années. En effet, pour les Japonais dont corps et âme retournent sans cesse à l’imaginaire médiéval pour y puiser stabilité émotionnelle, sentiment d’identité, chaleur et élan, la fidélité comme conséquence d’un engagement personnel n’a rien à voir avec le sentimentalisme de la sainte famille, non pas que le clan écrase le couple au Japon, mais c’est simplement parce que la fidélité selon la conception japonaise n’est pas quelque chose qui en appelle à la consolidation de l’ordre social, encore moins au triomphe de la raison, bien au contraire. C’est plutôt une subversion. Loin d’être un socle de la quiétude sociale, la fidélité japonaise est avant tout un état d’esprit où l’homme fidèle, s’obligeant à ne regarder que ce qui est l’objet de son amour et de son dévouement, accepte en toute connaissance de cause de rester aveugle au contexte social autour de lui, et de se duper sciemment sur la réalité, ce qui parfois transforme la fidélité en une quasi-folie. Certes, dans la thèse de fidélité-aveuglement consenti, il y a une certaine vérité humaine qui s’exprime, où


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