Sur les chemins creux de Bretagne

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C HEMINS CREUX de BRETAGNE

30 balades au fil de la mémoire bretonne

Bernard Rio

1 Langon

2 Gomené

3 Martigné-Ferchaud

4 Sainte-Barbe du Faouët

5 Moëlan-sur-Mer

6 Saint-Jean-la-Poterie

7 Messac

8 Barbechat

9 Saint-Aignan

10 Moncontour

21 Locarn

22 Dinan

23 Fégréac

24 Melrand

25 Saint-Aubin-du-Cormier

26 Monteneuf

27 Rochefort-en-Terre

28 Sel-de-Bretagne

29 Boussay

30 Landunvez

3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 1 2
Guérande
Guenrouet
11 Plougrescant 12 Langolen 13
14 Crozon 15
16 Conquereuil 17 Clohars-Carnoët 18 Brec’h
19 Spezet 20 Iffendic

sommaire

Introduction .................................................................................................................... 6 Voie romaine à Langon 8 Récréation pédestre à Gomené 12 Sortie de printemps à Martigné-Ferchaud 16 Ascension à Sainte-Barbe du Faouët 20 Trait de couleur à Moëlan-sur-Mer 24 En dehors de la route à Saint-Jean-la-Poterie 28 Errance solitaire à Messac 32 Sur la trace du chat de Barbechat 36 Faux pas légendaires à Saint-Aignan 40 Le chemin des meuniers à Moncontour 44 De la terre à la mer à Plougrescant 48 Passage secret à Langolen 52 Dédale solaire à Guérande .................................................................................. 56 Le sentier des douaniers à Crozon 60 Marcheur à la ligne à Guenrouet ..................................................................... 64 Au gué à Conquereuil 68 Le chemin du roi à Carnoët ............................................................................... 72 Le chemin des chouans à Brec’h 76 Le passage de Pont Roc’h à Spezet ................................................................ 80 À pas de loup à Iffendic 84 Digression granitique à Locarn ........................................................................ 88 De passage à Dinan, au carrefour du Tro Breiz 92 Jacquet à Fégréac ..................................................................................................... 96 Melrand, un chemin de l’An-mil 100 Le chemin de l’autre à Saint-Aubin-du-Cormier ................................. 104 Concerto pour une lande à Monteneuf 108 Évasion à Rochefort-en-Terre ........................................................................ 112 Le chemin des dames et des saulniers au Sel-de-Bretagne 116 Feuille de route à Boussay 120 La circumambulation de Samson à Landunvez 124

Ascension à Sainte-Barbe du Faouët

Légendes carte

❶ Fontaine Sainte-Barbe

❷ Chapelle Sainte-Barbe

❸ L'Ellé

Au Faouët (56057) ; sur le chemin de Sainte-Barbe.

Carte IGN 0719 O Le Faouët.

Trajet court : moins de 1 km. Avec du dénivelé et des escaliers. Voir aussi le circuit des chaos de L'Ellé au Faouët, d'environ 7 km.

À la fin du XVe siècle, le seigneur du Faouët, Jehan de Toulbodou, fut surpris par un violent orage alors qu’il traversait la forêt le long de L’Ellé, dans les parages de l’actuelle chapelle. Il pria sainte Barbe et promit de lui construire un sanctuaire dans cet endroit escarpé s’il s’en sortait indemne. Le cavalier fut entendu et tint sa promesse. Il racheta au seigneur du lieu, Jehan de Boutteville, l’emplacement de l’actuelle chapelle et y fit bâtir un oratoire. Jehan de Toulbodou n’en resta pas là puisqu’avec l’aide de Jehan de Boutteville, il commença en 1489 la construction d’une chapelle dont les travaux ne furent achevés qu’en 1512.

Le chemin est vieux. Sa mémoire est ancienne. Il monte de la vallée de L’Ellé jusqu’à Roc’h ar Marc’h Bran, le « rocher du cheval corbeau », où messire Jehan de Toulbodou fut surpris en pleine chasse par un violent orage.

Combien de fois l’ai-je emprunté depuis mon enfance ? Une douzaine d’allers et retours entre la chapelle et la fontaine pour sonner les cloches à la volée et voir les jeunes filles jeter leurs épingles dans le

bassin, va-et-vient de la conjuration et de la superstition.

Cet hiver, j’y suis venu avec des rafales de pluie pour une ascension glissante en me souvenant d’un chemin de lumière, en me promettant de repasser un beau jour par ici, un jour avant la confusion de l’été. Un jour comme aujourd’hui où je ne croise personne, où les mésanges répondent à l’office solaire. La mousse déroule son tapis vert sous mes pas. Elle enrobe les talus et

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accole les troncs des chênes. Le végétal se marie avec le minéral, adoucissant le chaos chthonien, au seuil du sanctuaire, régissant une atmosphère feutrée où percent les asphodèles, flambeaux d’un cortège cosmique.

Le chemin, qui grimpe jusqu’à la chapelle Sainte-Barbe, accueille et accompagne le visiteur à la porte du monde céleste. La mémoire de l’homme y vacille, conscient qu’il faillirait à ne pas monter jusqu’à la fusion promise du profane et du sacré. À chaque pas s’affirme la nécessité de suivre le sentier granitique jusqu’au plus haut.

Le pardon de Sainte-Barbe perpétue la magie des origines. L’ascension explique l’association légendaire du corbeau et du cheval, la sert et la sacralise. Le cheval des ténèbres, passeur archétypal entre les mondes, s’élance vers les sommets.

Le corbeau fut solaire avant d’être infernal, conjurateur avant d’être conjuré. Marc’h Bran, c’est la monture de l’homme en quête, le cheval ailé des cavales célestes, Pégase chevauchant Bellérophon dans son combat contre la chimère. Je ne crois pas au hasard d’une chasse qui ait conduit Jehan de Toulbodou en ce lieu. Je ne crois pas aux coïncidences de l’orage, ce feu de Dieu, et de son vœu de bâtir un sanctuaire à Roc’h ar Marc’h Bran. La chasse du seigneur breton muée en une illumination divine emprunte aux mythes qui généraient les antiques rituels de sublimation. Le cheval corbeau entraîne le héros des profondeurs jusqu’aux cieux. Une quête spirituelle, une cosmogonie fantastique, une fantaisie des dieux où l’homme peut concourir.

Sainte-Barbe, ce haut lieu de pèlerinage, somptueusement doté par la famille de Boutteville, se distingue des chapelles bâties au milieu d’un village. Il échappe à la

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vue du commun. Fondé en 1489, en pleine Renaissance, il s’enfouit en pleine nature, encastré dans les rochers de la vallée de L’Ellé. Le sanctuaire augure d’un pardon périphérique, aux frontières du Vannetais et de la Cornouaille, d’une itinérance spectaculaire jusqu’aux portes de l’Au-delà. L’invention de Sainte-Barbe dans ce décor des confins met en scène les reliefs plus qu’il ne les estompe. La nature des lieux a dicté sa loi à l’architecture des hommes. Fi de l’orientation traditionnelle du levant

au couchant, la chapelle voûtée s’incline du nord-est au sud-ouest, 302°/122°, dans la veine rocheuse. Ici le soleil se lève dans l’axe du sanctuaire au solstice d’hiver et s’y couche au solstice d’été. Les maçons ont obéi à la roche parturiente pour élever leur chef-d’œuvre sur la dernière marche, harnachant les amas rocheux avec des portiques et des escaliers monumentaux. Cet enchevêtrement possède l’élan d’une symphonie baroque, chaque marche donne la cadence. Je passe des coulisses à la scène d’un théâtre vide de spectateurs, me signant à la chapelle dormante, déambulant sous les gargouilles, montant et descendant les escaliers, et finalement j’arrive sous le clocher pour éloigner les démons en sonnant une cavalcade.

Avant que la foudre ne s’abatte sur la tour de sainte-Barbe, une piste conduisait les audacieux à la roche, en 1488 Jehan de Toulbodou a cru sa fin dernière jusqu’à la délivrance tutélaire. Don et contre-don, le baroque a sellé le chevalcorbeau. Hier comme aujourd’hui et demain, processionner depuis les bords de L’Ellé jusqu’au promontoire octroie en guise d’absolution au pèlerin une communion avec la terre, une réflexion avec le ciel. Tous les visiteurs de Roc’h ar Marc’h Bran n’ont pas obtenu cette grâce. Dans le transept nord de la chapelle Sainte-Barbe, la tribune seigneuriale des Boutteville rappelle la prééminence des droits de haute et basse justice et me ramène les pieds sur terre. Le sanctuaire bâti pour la gloire de Dieu a aussi comblé la prétention et contribué à l’omnipotence des mécènes justiciers. Mais, quittant la chapelle et gravissant les ultimes échelons dallés du chemin, il n’est pas question de penser un retour en arrière.

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Je me sens au début du chemin en dépit des kilomètres avalés et dévalés dans la campagne bossue du Faouët. Et je ne suis pas de trop dans ce monde inventé pour le rite pérégrin. Le chemin entrelace les apparences, offrant l’inachevé au marcheur pressé et le sauvage au pieux civilisé. Il n’y a pas de fin à son issue architecturale mais des escaliers et des portes, un possible endormissement dans un rêve de pierre, un réveil sur la croupe du dragon ailé, Marc’h Bran !

J’entends des voix dans mon dos et je me sauve sans me retourner. Je reviendrai une autre fois, un autre jour, par un autre chemin peut-être ? Dans la vallée colorée, les merles noirs carillonnent. Je vais plus loin, à la chapelle Saint-Sébastien, où le diable mène la danse depuis plusieurs siècles, et puis plus haut peut-être ?

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Trait de couleur à Moëlan-sur-Mer

Revenant du port de Belon, après une halte à la chapelle de Lanriot, j’ai encore des images bleu marine dans la tête lorsque je débouche sur ce chemin emmuretté de pierres. Changement de ton : des bleus du bord de mer je passe aux verts du bocage. Liseré de granit gris effrangé de fougères blechnum qui dardent leurs longues feuilles en épi dans un parterre de myosotis. À l’ombre du mur, les scolopendres tirent la langue en compagnie des nombrils de Vénus. Leur association témoigne d’un sol frais et humide au pH acide, une typicité commune aux chemins bretons tracés dans les sous-bois, enfoncés dans la terre, bordés de fossés et de talus. Un botaniste pourrait extrapoler à profusion dans ce milieu où les vieux pommiers côtoient les chênes, où les fleurs de coucou et les anémones

Légendes carte

❶ Blorimond

❷ Kergroës

À Moëlan-sur-Mer dans le Finistère (29350) ; sur le chemin de Park Roz entre Blorimond et Kergroëz.

Carte IGN 0620 et Quimperlé.

Trajet court : moins de 1 km. Voir aussi le circuit Kergroës-Kerfany, d'environ 10 km.

tapissent le sol. De la plante à l’arbre, de l’arbre à l’oiseau, de l’oiseau à l’insecte et de l’insecte à la plante, c’est toujours une question de bon ménage, une association de « bienfaiteurs » pour que tout le monde pousse et chante à l’unisson. Invitation à folâtrer aux premiers beaux jours, le chemin en pente douce de Park Roz quitte le village de Blorimond pour rallier Kergroëz à travers un fouillis de feuillus. La nature prend ses aises après l’hiver. Un rayon de soleil et le regard s’ébroue, comme à la récréation, prêt à l’ensauvagement. Tournant le dos aux habitations, ce chemin prend pas à pas ses distances avec les jardins de la raison. Il s'incline vers un fond de vallée et sans effort impulse le passant jusqu’au prochain croisement. Que de chemin parcouru en quelques mètres ! Un recommencement instantané et instinctif ! Paul Gauguin a

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lui aussi pu venir jusqu’ici, à son retour de la chapelle de Lanriot, entre deux escales à Pont-Aven et Le Pouldu. La magie du chemin, un jour comme aujourd’hui, opère et je sais intuitivement pourquoi. Quelques jours plus tôt ou plus tard, quelques heures de décalage, et je n’avais qu’à marcher sans me surprendre, sans jouir de cette palette de verdure. Les relations se nouent ainsi, inattendues, inespérées. Remplacez le rayon de soleil par un nuage, enfouissez les myosotis et déposez une canette de bière sur le muret, et le chemin trahi par une accumulation de détails et de souillures perdrait l’harmonie fugace que je lui connais.

Ce chemin est comme une œuvre d’art, une musique qui fugue, un poème qui rime, une peinture qui enlumine… Je pars d’une impression et la progression naturellement aboutit à une symphonie, une épopée, une fresque. La balade bucolique se transforme en une relation intime avec la nature. Le chemin change de traits. Ses contours se fondent dans des combinaisons de lignes et de couleurs. Décrire un chemin vert relève du désordre. Comme la nature est à la fois multiple et simple, complémentaire

et primaire. Les mélanges de lignes et de couleurs existent, à la fois superpositions et juxtapositions, mais je ne retiens finalement qu’une direction sans perspective et qu’une couleur dominante, la direction du chemin qui ordonne et compose avec le paysage, la couleur de l’instant qui contraste ou qui atténue, qui embrase ou qui dilue le chemin dans un ensemble.

Je peux comprendre la démarche de Paul Gauguin dans cet instant où le vert violemment rehaussé de soleil vibre si vert. Le peintre exhorte à l’exagération car l’homme a tendance à rester en deçà du monde, à fausser sa vision, à traverser l’espace. 1887-1889, une leçon de nature avec Paul Gauguin en Bretagne.

Le mélange des couleurs donne un ton sale. Une couleur seule est une crudité et n’existe pas dans la nature. Elles existent seulement dans un arc-en-ciel apparent,

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mais comme la riche nature a bien eu soin de vous les montrer à côté les uns des autres dans un ordre voulu et immuable, comme si chaque couleur naissait l’une de l’autre.

Or, vous avez moins de moyens que la nature et vous vous condamnez à vous priver de tous ceux qu’elle met sous votre main. Aurez-vous jamais autant de lumière que la nature, autant de chaleur que le soleil ? Et vous parlez de l’exagération, mais comment voulez-vous être exagéré puisque vous restez au-dessous de la nature ?

La Vision après le sermon

La Vision après le sermon est une huile sur toile peinte par Paul Gauguin, en 1888, à Pont-Aven, après qu’il est revenu de Martinique. Il y représente, dans des couleurs vibrantes, d’une part un groupe de Bretonnes en costume traditionnel qui sortent de la messe ; et d’autre part la vision d’une scène biblique de la Genèse, la lutte de Jacob avec un Ange.

Le peintre ne proclame pas la vérité d’une couleur. Il dit l’harmonie d’une pensée instinctive sur sa palette. Il peint les couleurs, les formes, les lignes. Paul Gauguin exagère délibérément puisqu’il s’ensauvage. Il compose avec la nature sans souci de l’humanité civilisée. Cela n’a rien à voir avec la Bretagne du xixe siècle et fort heureusement, car cette terre alors récemment soumise à la République n’a rien à voir avec la matière épique de Bretagne retrouvée par le peintre chez les lutteurs et dans les files de danseuses de l’Aven.

Paul Gauguin donne une grande leçon de simplicité et d’authenticité à ces Bretons qui n’en finissent pas de pleurnicher leur complexe du pas tout à fait Français. Iconoclaste Gauguin, qui peint le religieux sans dépeindre l’institution ecclésiastique et parvient au primitif. Quelle audace et quelle force pour transcrire l’archétype épuré de l’anecdotique ! Le décor extrapolé à une impression monumentale. Une Bretagne impulsive et théâtrale, instantanée et intemporelle ! Est-ce le sens de La Vision après le sermon ?

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Le chemin de Park Roz sort de Blorimond en traversant des lopins de terre.

Bordé de fougères et baigné de lumière,

c’est un passage avant d’être un décor. Il vire à droite en suivant le muret. Je m’échappe du cadre, vers Kergroëz.

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En dehors de la route à Saint-Jean-la-Poterie

Légendes carte

❶ Le Veaujobert

❷ Les Trois Chênes

❸ Les Rues Morel

➍ La Grée des Moulins

❺ Sur la Grée

À Saint-Jean-la-Poterie dans le Morbihan (56350), chemin de La Grée des Moulins.

Carte IGN 1121Ouest Redon.

Trajet d'un peu plus de 1 km. Voir aussi la boucle de Saint-Jean, d'environ 6 km.

Àquoi peut servir un chemin de terre lorsqu’il existe une route qui descend du bourg de la Poterie jusqu’à la chapelle Saint-Jean-des-Marais ? Il est tellement plus simple de s’en remettre à la locomotion mécanique pour s’affranchir du temps et dominer l’espace. Trois ou cinq minutes et vous voilà transporté à l’autre bout du village sans désagrément. Ni fatigue, ni sueur, ni intempérie, ni chien méchant…

Mais pourquoi faudrait-il se déplacer du bourg de Saint-Jean-la-Poterie jusqu’à ces ruines en bordure du marais ? Une connexion sur ordinateur ou téléphone portable, quelques clics et de chiches informations touristiques apparues à l’écran suffi sent à apprendre trois fois rien sur

pas grand-chose. Aux inconvénients de la marche se substitue un trajet virtuel, rapide, expéditif. Pas de place pour l’impondérable. Pas de pause imprévisible. La technologie accélère les mouvements et dispense de marcher. Dorénavant l’homme se déplacet-il plus vite qu’il pense ? Illusion d’un temps et d’un espace raccourcis au clavier de l’ordinateur.

Digression géographique avant un détour historique. Je n’ai aucune urgence et aucune utilité à me rendre pedibus cum jambis jusqu’aux ruines de cette chapelle pillée lors de la Révolution française. Faut-il une autre raison que la lumière du jour ? J’aime marcher à l’ombre clairsemée des arbres au printemps. Le soleil transperce le feuillage encore frêle des chênes et

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châtaigniers. Ses rayons irisent les herbes. Bleu ciel et vert tendre. Le monde chante et je m’ébroue sur les chemins à l’instar des passereaux dont j’entends les vocalises alentour. Avril est une bonne période pour aller le nez au vent. Émergeant d’un fond de vallée fleurant l’anémone sylvie, je retourne à l’école buissonnière par La Grée des Moulins, à mi-chemin entre le vieux bourg de Saint-Jean-de-la-Poterie et la chapelle de Saint-Jean-des-Marais.

La chapelle Saint-Jacques-des-Potiers installée ici depuis le iv e  siècle a été détruite au milieu du xxe siècle tandis que les pierres de la chapelle dite templière ont été vendues par un curé au bénéfice de l’église saint-sulpicienne du bourg. Un double naufrage architectural permis par les autorités civiles et religieuses dans une commune qui conserve un nom en guise de patrimoine, et quelques châtaigniers en bordure de chemin. Devant moi, seigneur statufié par la maladie de l’encre, un vieillard centenaire implore les cieux de ses branches écorcées. Spectre d’une campagne jadis nourrie de pommes de terre et de châtaignes Saint-Jean, châtaignes qu’on surnomme aussi les « jaunettes ». C’est la plus goûtée des variétés du marron de Redon, parmi lesquelles on trouvera aussi la cruaud, la gros-poil, la petit-poil, la persillaude, la précoce lelièvre, la précoce de maure, la rochette… En 1843, le Dictionnaire historique et géographique de Jean Ogée indiquait que le châtaignier était une des richesses du pays, et que les plus belles châtaignes étaient récoltées au village de Saint-Jean.

La châtaigne, le pain du pauvre et le marron glacé des bourgeois, est désormais un fruit oublié des agriculteurs inféodés à

la Politique agricole commune. Relique d’un passé rural qui n’intéresse plus et qui ne vaut plus, la récolte des châtaignes ne rapporte pas assez. Jusqu’au milieu des années 1950, leur vente payait les impôts et, certaines bonnes années, le fermage. 30 à 130 kg par pied greffé, c’est désormais insuffisant pour concurrencer les gros marrons du Portugal ou d’Italie. Aujourd’hui quelques tonnes grillées en octobre à la foire Teillouse à Redon rassasient les chalands mais ne rempliraient plus les cales d’une péniche ou un wagon du train spécial qui partait jadis pour l’Angleterre et la Hollande. Combien reste-t-il de vieux châtaigniers greffés dans le pays de Redon ? Je ne sais pas et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Voilà quarante ans, plusieurs dizaines de milliers ont été arrachées, en un couple d’années, sur les talus et dans les châtaigneraies. 1972-1973, les années à l’encre rouge des ingénieurs de la Chambre

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Bernard Rio nous raconte dans ce livre les chemins creux de Bretagne qu’il a maintes et maintes fois arpentés. Il invite le lecteur à le suivre le long des talus maçonnés, à l’ombre des chênes et châtaigniers comme en bord de mer et d’étang, à la rencontre des oiseaux, des abeilles ou des lézards, avec des détours fascinants par les fontaines, les calvaires et les chapelles. Et ces belles balades sont prétextes à d’autres explorations, dans les récits, les contes et les légendes.

Les chemins creux, reliques d’un temps paysan révolu, furent d’abord de labeur. Mais ils furent aussi chemins de pèlerinage, de noces, de contrebande et d’insurrection… Ils s’inscrivent dans le paysage et la mémoire bretonne. Les suivre revient à apprendre l’histoire et la géographie du territoire où ils sinuent.

Du même auteur :

MDS : VA08923 14,95 € TTC www.vagnon.fr

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