La sirène de la baie
Il était une fois, dans une petite île des Caraïbes, un potier nommé Juan, qui vivait au bord de la mer avec sa famille. Juan était un artiste talentueux, mais malgré sa passion et son habileté pour la poterie, il ne parvenait pas à gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins des siens.
Juan avait une femme nommée Mirella, un fils de dix ans nommé Miguel et une fille de sept ans, Isabella. Tous les jours, Juan se levait tôt pour aller chercher de l’argile. Il la rapportait à la maison et la façonnait avec soin pour en faire des pots, des assiettes et des bols.
Mirella, quant à elle, aidait son mari en nettoyant les pots et en les faisant sécher au soleil. Elle confectionnait aussi des paniers. Elle s’occupait des enfants et préparait les repas. La famille vivait dans une petite cabane en bois, au bord de la mer, à l’endroit où finit la vallée. Ils étaient à l’abri des tempêtes mais exposés aux aléas de la mer. Certains disent qu’on en voit encore les ruines, mais cela n’est guère plausible, car cette histoire est bien ancienne, et d’habitude les cabanes des potiers ne laissent guère de traces.
La vie de la famille était simple et humble. Ils mangeaient du riz et des haricots tous les jours, parfois agrémentés d’un peu de poisson qu’ils allaient chercher eux-mêmes dans la mer. Les vêtements de Juan et de sa famille étaient simples et souvent usés, mais ils ne se plaignaient jamais de leur sort.
Malgré les difficultés, Juan aimait son métier et il transmettait sa passion à ses enfants. Miguel était fasciné par la poterie de son père et passait des heures à l’observer travailler. Isabella, quant à elle, aimait jouer avec la terre et faire des formes avec ses mains. Le petit garçon et la petite fille, qui n’étaient pas assez grands pour travailler, allaient tous les jours à la pêche le long du rivage.
Un matin ensoleillé, Miguel se leva tôt pour aller attraper des crabes dans les rochers près de la mer. Il était fasciné par les petites bêtes qui se cachaient entre les pierres, et il aimait les attraper avec ses mains agiles.
Alors qu’il se promenait le long de la plage, il entendit tout d’un coup un chant doux et mélodieux ; en regardant l’endroit d’où il venait, il vit une créature étrange qui nageait en chantant sur les flots. Autour d’elle, la mer était si brillante que la vue en était éblouie. Elle sortit de l’eau pour s’allonger sur les rochers baignant dans l’eau cristalline. En s’approchant, il vit sa longue chevelure dorée, sa peau lisse et scintillante et une queue de poisson chatoyante. C’était une sirène !
Miguel avait souvent entendu parler des sirènes dans les histoires de pêcheurs, mais il n’avait jamais imaginé qu’il en verrait une un jour. Il était à la fois effrayé et fasciné par cette créature magique, qui semblait flotter dans l’eau sans effort. Miguel était émerveillé. Il avait vu des dauphins et des tortues de mer, mais jamais une créature aussi étrange et belle. La sirène semblait elle aussi surprise de voir Miguel. Elle plongea sous l’eau pour se cacher, mais ressortit rapidement la tête hors de l’eau. Elle fixa Miguel avec ses grands yeux noirs et reprit son chant mélodieux.
L’enfant courut bien vite à la cabane où son père travaillait : Ah ! papa, lui dit-il, viens donc voir ! Il y a dans l’anse près du petit port un poisson plus beau que tous ceux que j’ai vus : il chante et il brille comme de l’or.
Comme du feu, papa, dit la petite fille qui l’avait vu, elle aussi.
Le potier et sa femme suivirent leurs enfants.
Mais, quand ils arrivèrent au rivage, la sirène avait disparu, ils ne virent rien, et n’entendirent point de chant. Ce n’était rien, dit la mère, les enfants se seront trompés.
Mais le potier n’était pas aussi incrédule que sa femme ; le lendemain il dit aux enfants :
Retournez à la mer pour voir si le beau poisson qui chante se montre encore.
Le petit garçon sortit, mais, dès qu’il eut fait quelques pas en dehors de la cabane, il y rentra en s’écriant :
Ah ! papa, le beau poisson est revenu, on l’entend chanter d’ici.
Ils se hâtèrent de sortir, et dans le lointain ils entendaient une musique délicieuse. Quand ils arrivèrent au bord de la mer, ils virent une sirène qui jouait en chantant, et sautait très haut dans les vagues.
Ce n’est pas un poisson ordinaire, dit le potier, c’est une personne.
Ah ! lui répondit sa femme, il faut préparer des lignes de pêche ; peut-être pourras-tu prendre cette créature ? Je voudrais bien la voir de près.
Ils se mirent tous à amorcer des lignes et ils les tendaient quand la mer était haute ; mais ils avaient beau garnir les hameçons des meilleurs appâts, le poisson chanteur ne venait pas s’y prendre.
Le potier prépara aussi des petites cordes garnies d’hameçons, comme celles avec lesquelles on pêche au gros, mais il ne réussit pas davantage.
Le potier pensait souvent au poisson merveilleux et il réfléchissait au moyen de s’en emparer. Un jour qu’il se promenait sur le rivage, il vit la sirène qui s’était endormie et, bercée par la vague, flottait à peu de distance du bord. Il se mit à l’eau sans faire de bruit, et passa tout doucement sous son corps un grand panier dans lequel il l’emporta à terre sans l’éveiller.
Elle était grande comme une enfant de huit ans ; sa tête et son corps ressemblaient à ceux d’une femme, mais au lieu de pieds elle avait des nageoires et son corps se terminait en queue de poisson.
Ah ! dit le potier, mon petit gars n’avait pas menti, c’est la plus curieuse chose que j’aie vue, et c’est sans doute une sirène, car elle est moitié femme et moitié poisson.
Il faisait ces réflexions en retournant à sa cabane, et il était sur le point d’y arriver, quand la sirène se réveilla et lui dit :
Ah ! potier, tu m’as surprise pendant que je dormais. Je t’en prie, remets-moi dans l’eau, et je vous protégerai, toi et toute ta famille, tant que tu vivras.
Non, répondit le potier, je ne te remettrai pas à la mer ; il y a trop longtemps que je te guettais, de même que ma femme et mes enfants. Je vais te porter à la maison et, quand tu auras chanté une chanson, si ma femme le veut, je te rapporterai où je t’ai prise.
Il cria à sa femme :
Mirella, viens donc voir, et amène les enfants, j’ai la chanteuse dans mon panier.
La femme accourut, toute joyeuse, et se mit à regarder la sirène.
Elle demande, dit le potier, que je la remette à l’eau. Y consens-tu ?
Non, répondit-elle, c’est un trop beau poisson, jamais je n’en ai vu un semblable ; il faut le manger.
Ah ! s’écria la sirène, si tu manges ma chair, si tu te nourris de ma part de poisson, tu ne mangeras plus rien au monde, car tu périras : je ne suis pas un poisson comme les autres, je suis la sirène de la baie, et ton mari m’a surprise pendant que je dormais. Demande-moi ce que tu voudras, et je te l’accorderai. Mais hâte-toi de me porter à la mer : il est grand temps, car je faiblis déjà.
Qu’en dis-tu ? demanda Mirella à son mari.
Si tu y consens, je veux bien la remettre à l’eau.
Ils prirent le panier chacun par un bout, et portèrent la sirène tout doucement à la mer, où ils la laissèrent retourner, sans avoir songé à émettre de conditions.
Quand elle sentit la fraîcheur de l’eau, elle éclata de rire, de la joie qu’elle avait de n’être plus prisonnière, et elle dit au potier :
Que me demandes-tu à présent ?
Merci, répondit le potier, pour le moment je n’ai besoin de rien.
Mais il survint une année où tout était cher, et le potier ne savait comment nourrir ses enfants. Il alla guetter la sirène qu’il revoyait de temps en temps, et quand il l’aperçut, il lui dit :
Ma sirène, je n’ai rien à manger aujourd’hui, ni mes petits enfants non plus. Nous laisserezvous mourir de faim ?
Tends tes filets, répondit-elle.
Dès qu’ils furent à l’eau, ils se remplirent de tant de poissons, que le potier fut obligé d’en laisser. Il revint à la maison, et dit à sa femme :
Vois comme j’ai bien pêché, c’est la sirène qui m’a valu cela.
Ah ! répondit-elle, voilà du poisson en abondance, mais nous n’avons pas d’huile pour le frire, ni de riz pour manger avec.
Le potier retourna au bord de la mer et dit à la sirène ce qui lui manquait.
Retourne à ta maison, lui répondit-elle, je t’assure qu’il y a maintenant chez toi du riz et de l’huile autant qu’il t’en faut.
Quand il arriva chez lui, sa femme lui dit qu’un homme était venu apporter un gros sac de riz et une grande bouteille d’huile. Ce jour-là, ils mangèrent tous à leur faim.
Peu après, la pluie s’abattit sur leur cabane des jours durant, et les enfants du potier n’avaient que de pauvres habits déchirés, trop petits et tout mouillés. Il alla trouver sa sirène et lui dit :
Ma sirène, comment faire ? Je n’ai pas d’argent et rien à mettre sur le dos de mes pauvres enfants.
Retourne chez toi et va chercher ta femme, répondit-elle. Et si tu reviens avec elle pour me saluer, vous allez avoir de quoi les vêtir dignement.
Le potier revint avec sa femme comme l’avait demandé la sirène qui leur dit :
Je suis une sirène enchantée, vous m’avez capturée, et vous ne m’avez pas tuée ; pour vous récompenser, je vous rendrai heureux jusqu’à la fin de vos jours, et tous les vôtres avec vous.
La sirène ne dit plus rien, mais elle se mit à battre l’eau avec ses nageoires, et, à chaque fois qu’elle frappait les vagues, l’eau jaillissait, et tout ce qui atteignait les airs devenait de l’or qui venait tomber aux pieds du potier.
Le rivage en fut bientôt couvert. Alors elle cessa de s’agiter, et elle dit au potier et à sa femme :
Tout cela est à vous, ramassez, mes bonnes gens.
Ils remercièrent la sirène qui s’éloigna, puis ils remplirent leurs poches d’or et s’en retournèrent, bien contents, à leur cabane.
Quand vingt-quatre heures se furent écoulées, Mirella et son mari retournèrent sur le rivage pour chercher les habits que la sirène leur avait promis. Ils l’entendirent chanter au loin, et bientôt ils la virent s’approcher d’eux en continuant son chant doux et mélodieux. Elle frappa l’eau de ses nageoires ; une grosse vague vint déferler sur la grève et laissa aux pieds du potier un coffre bien fermé et de grande taille.
La sirène sauta ensuite sur l’eau par trois fois, puis elle dit au potier :
Au revoir, toi qui as été bon avec moi. Quand tu auras besoin de poisson, n’oublie pas ce rivage.
Toutes les fois que le bonhomme ou ses enfants avaient envie de prendre du poisson, ils allaient au bord de la mer, et en peu d’instants ils faisaient une pêche abondante.
Pendant un an, ils ne revirent pas la sirène : leur bourse diminuait cependant, et plus elle devenait légère, plus ils pensaient à elle, et souvent ils allaient au bord de la mer, prêtant l’oreille, et espérant percevoir sa voix.
Un jour, ils l’entendirent de loin, qui chantait. Ils accoururent au rivage et furent bien contents de la voir revenir. Partout où elle avait passé, la mer brillait comme un rayon de soleil.
Quand elle fut à une petite distance, le potier lui dit :
Ma sirène, je suis bien aise de vous revoir et, si vous voulez, vous pouvez me rendre grand service. Je n’ai plus ni riz ni argent.
Je vais, répondit-elle, vous donner de quoi remplir votre bourse.
Elle déplia ses nageoires, et, battant l’eau autour d’elle, elle envoya au rivage un flot d’or et d’argent.
Avec cela, dit-elle, tu achèteras ce dont tu auras besoin. Conserve-le bien, car tu ne me reverras plus, je quitte ce pays, et je pars pour l’Inde.
La sirène s’éloigna alors, et jamais depuis personne ne la vit ni ne l’entendit chanter dans la baie.
Le potier, Mirella et leurs enfants n’ont jamais été pauvres depuis ce temps-là ; ils vécurent à leur aise, et, bien que puisant souvent dans leur bourse, jamais ils n’ont vu leurs richesses diminuer.
Le bonhomme et la bonne femme vécurent jusqu’à un âge avancé. Quand ils moururent, l’un avait cent quinze ans, et l’autre, cent vingt-cinq. Après leur mort, ils laissèrent leurs enfants dans leur cabane, avec le coffre rempli par la sirène, et je ne sais pas ce qu’ils sont devenus depuis.
Ce recueil de dix contes, inspirés de textes du patrimoine littéraire de France et d’ailleurs, feront voyager les jeunes lecteurs dans des contrées fabuleuses peuplées de sirènes, de poissons magiques, de châteaux sous l’eau, et de bateaux pirates…
Ces histoires merveilleuses feront rêver petits et grands ! MDS :