En 7 dates
1957
Naît le 28 octobre à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
1978
Finit 11e de la Route du Rhum pour sa première participation.
1982
Écrit l’ouvrage Fiancée de l’Atlantique, éditions du Pen-Duick.
1990
Termine vainqueur de la Route du Rhum sur Pierre 1er Élue championne des champions français par le quotidien sportif L’Équipe
1997
Finit 1re de la Transpacifique avec Bruno Peyron.
1998
Se classe 6 e de la Transat AG2R sur Guy Cotten – Chattawak avec Jean Le Cam.
2020
L’écrivain Yann Queffélec lui consacre la biographie La Mer et au-delà
grands-parents, Florence et Jean-Marie, le grand frère, sont les seuls à sortir leur dériveur même dans 50 nœuds de vent. Des têtes brûlées, pro bablement. Des passionnés, assurément. Le sort de Flo bascule à ses 17 ans. Un grave accident de voiture et sept tonneaux sur la route la plongent dans un coma, dont elle ressort paralysée et défi gurée. Six mois à l’hôpital de Garches, et deux années de convalescence douloureuse suivront, « la chance de [sa] vie », avouera-t-elle rétros pectivement. Elle est encore fragile et seule la pratique de la voile lui est permise. Elle fonce, traverse l’Atlantique en avion et embarque sur un voilier pour le retour. Une révélation totale à dix-huit ans : « Les étoiles, le ciel immense, la courbe de l’horizon, le monde sans fin, le murmure de l’océan, la compagnie des dauphins, le souffle des baleines. Tout est nouveau pour moi, tout a changé. Je me sens libre et légère. La terre ne me manque pas. Je viens de faire connaissance avec
mon jardin secret, mon univers à moi. » De retour à Paris, elle arrête ses études de médecine. « J’ai besoin de prendre le large »1, écrira-t-elle sur un mot qu’elle laisse sur son oreiller avant de quitter le domicile familial. Dans le Sud, elle apprend le métier auprès de marins confirmés comme Marc Linski. Mousse au club de voile d’Antibes, elle rafistole les mâts ou recoud les voiles avant de se lancer dans le monde de la course au large.
En 1978, à tout juste 21 ans, elle est la ben jamine de la Route du Rhum, première édition, qu’elle boucle à une prometteuse 11e position, elle est 2e de sa catégorie et première femme. « À Saint-Malo, au départ, j’étais la fille à papa à qui l’on avait payé un bateau pour son anniver saire2 », confiera-t-elle au Monde en 2009. La voilà désormais qui se lance dans un nouveau Rhum en 1982, obtenant une 20e place. Nouvelle parti cipation en 1986 avec une 11e place et un souvenir marquant. En course et en pleine tempête, elle
Navigatrices 016
Florence
Arthaud
Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), 19 novembre 1990, Florence Arthaud brandit la coupe du vainqueur de la 4 e édition de la Route du Rhum.
n’a pas hésité à se dérouter quand elle a entendu l’appel de détresse de Loïc Caradec. Elle est allée lui porter assistance dans une mer déchaînée, et a retrouvé le maxi-catamaran Royale II retourné sans trace du marin. En mer, la vie ne tient qu’à un fil.
Freins et rebonds
Une rencontre va se révéler décisive. Par l’en tremise de son père, elle parvient à convaincre un promoteur immobilier, Christian Garrel, de financer la construction d’un grand trimaran baptisé Pierre I er, un bateau performant avec un mât-aile, trois coques à la longueur maximale de 18,28 mètres et trois safrans. En août 1990, elle s’attaque sur ce navire au record de la traversée de l’Atlantique Nord à la voile en solitaire, détenu par Bruno Peyron. Bingo ! Record pulvérisé de près de deux jours. Trois mois plus tard, elle par ticipe à sa 4e Route du Rhum et triomphe. Cette notoriété va finalement se révéler encombrante, pour elle qui préfère la navigation aux palabres à terre. Confirmation d’Hubert, son frère : « Elle n’était pas une femme d’affaires. Elle n’a pas cher ché à se mettre à l’abri jusqu’à la fin de ses jours3. » Crise économique oblige, en 1992, son partenaire ne peut plus suivre. Sa gouaille et sa franchise effrayent. D’année en année, elle voit ses rêves d’exploit sur un grand multicoque s’évanouir.
Elle participe néanmoins avec Titouan Lamazou et deux illustres marins (sir Peter Blake et sir Robin Knox-Johnston) à la création du Trophée Jules Verne, un tour du monde sans escale en équipage, une course à laquelle elle ne pourra néanmoins jamais s’attaquer, faute de budget. En femme libre, Flo poursuit sa route. Elle s’engage sur des courses moins prestigieuses, ou se met au service d’autres skippers pour cache tonner. Elle fonctionne à l’ancienne, à l’instinct et sur des coups de tête. 2010, pour le vingtième anni versaire de sa victoire, Flo est pourtant à quai, sans sponsor et même lassée. Elle avait l’intention d’y participer à la barre du maxi-trimaran Oman. Ses
propriétaires en ont décidé autrement. Ils ont pré féré confier la barre à un homme. Profondément dégoûtée, elle décide d’arrêter là la compétition. À 53 ans, sa personnalité dénote dans un milieu qui s’est définitivement professionnalisé. À l’ère du carbone et du GPS, elle paraît larguée. Il faut dire qu’à ses débuts, les marins naviguaient encore au sextant et en pull de laine. « Florence était quelqu’un d’extraordinaire sur l’eau, mais incontrôlable à terre, ça a joué contre elle. Elle mangeait, elle buvait, elle fumait, à une époque où le mot d’ordre était no limit. Ce n’était sans doute pas du goût des sponsors. Regardez les marins qui naviguent aujourd’hui, ils sont plus rangés, plus lisses, plus gentils garçons ! » raconte dans un grand quotidien un visage populaire de la voile féminine qui tient à rester anonyme. Son frère Hubert est forcément plus mesuré : « Florence n’avait pas les budgets pour avoir des bateaux performants, les siens avaient toujours cinq ans de retard en matière technologique »4. Comme un
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« On n’avait rien, on n’avait pas de maison, on vivait sur nos bateaux. On avait une bande de copains qui était notre famille. Moi, j’ai fait ma fille à 36 ans. Avant, je n’ai pas eu une vie de femme. J’ai eu une vie de patachon et d’aventurière. »
Florence Arthaud
résumé de sa carrière qui s’est paradoxalement étiolée après sa victoire au Rhum en 1990.
Vents fous
Dans sa vie privée, les vents et les courants sont là aussi capricieux. En 1993, elle donne naissance à Marie, née de sa liaison avec Loïc Lingois, un navigateur professionnel. En 2005, elle épouse le marin Éric Charpentier, mais leur union capote très rapidement. Elle est ensuite la compagne de Philippe Monnet, navigateur lui aussi. Novembre 2010, ses excès éthyliques s’étalent au grand jour. Elle est jugée par le tribu nal correctionnel de Marseille pour « conduite en état d’ivresse, blessures involontaires et vitesse excessive » avec à la clé trois mois de prison avec sursis, une amende de 500 euros et une suspen sion de son permis de conduire pour une durée de 10 mois mais surtout une mauvaise presse. Certains se délectent de voir la « Fiancée de l’Atlantique » plonger ainsi et naviguer en eaux troubles. Devant une classe de collégiens, elle fera amende honorable, déclarant qu’elle est « l’exemple à ne pas suivre 5 ». Sans langue de bois, elle se confiera aussi au quotidien sportif L’Équipe Mag : « C’est bien fait pour ma gueule. C’est la rançon de la gloire, même si c’est doulou reux de voir que tout le monde me bave dessus. J’ai déconné, j’assume, je le reconnais6 . » Elle trouvera du réconfort auprès de l’association La Roue tourne, qui vient en aide aux célébrités dans le besoin ou qui ont des difficultés.
Décidément jamais là où on l’attend, Flo fait de nouveau parler d’elle dans les médias, mais cette fois c’est le récit d’un miracle. 29 octobre 2011, elle navigue seule pour le plaisir sur son voi lier de 10 mètres quand elle tombe par accident à la baille. La voilà à patauger en pleine nuit au large du cap Corse. « J’ai vu mon bateau partir, avec mon chat, seul à bord », racontera-t-elle aux jour nalistes. Son téléphone portable étanche encore dans sa poche et du réseau lui ont sauvé la vie.
Dans la patouille, elle est parvenue à appeler sa mère qui a prévenu son frère. Hubert a alerté les autorités qui ont déclenché les secours. Grâce à la géolocalisation de son téléphone portable et à sa lampe frontale, elle a été repérée. Consciente mais en état d’hypothermie, elle a été hélitreuil lée vers l’hôpital de Bastia, d’où elle est sortie le lendemain. « On peut dire que je suis une miracu lée »7, dira-t-elle en rentrant chez elle à Marseille, quartier de la Madrague, où elle s’est établie. Elle fourmille alors de projets. Elle ouvre un temps une galerie d’art, avant de vouloir lancer « Les voiles de la liberté », une course avec des équi pages 100 % féminins pour donner une chance à des femmes de goûter au grand large. « Je serai aussi concurrente »8 , expliquera-t-elle, comme une évidence.
Fortes empreintes
Autant pour renflouer sa trésorerie que par goût de l’aventure, elle accepte d’être can didate à l’émission téléréalité Dropped. 9 mars 2015 en Argentine, deux hélicoptères loués par la production se heurtent en plein vol. Les huit passagers et les deux pilotes décèdent dans cet accident. Parmi les victimes, Florence Arthaud, marin star et pionnière. Une femme « lumineuse, libre, rock’n’roll, féministe sans la ramener, elle allait sur le terrain des hommes avec grâce et caractère. Elle était indomptable, mystérieuse et charismatique9 », selon Géraldine Danon, son amie. D’elle restent aujourd’hui de nombreuses traces dont une chanson éponyme en duo avec Pierre Bachelet, une digue et un amphithéâtre
Navigatrices 018 Florence Arthaud
« Je pense que sa planète à elle, c’était la passion, la pulsion. Elle n’était pas sur terre, elle était sur une autre planète. » Catherine Chabaud (à propos de Florence Arthaud)
En course sur le Class40 Deep Blue pendant la Transat Jacques Vabre 2007 courue en tandem avec Luc Poupon, frère de Philippe.
à Brest, un quai à Paris, des rues et deux écoles à son nom un peu partout en France. La preuve que son destin est sans pareil. Elle, « l’icône de la féminité dans le monde des vilains barbus qui sentent mauvais », selon Isabelle Autissier. Elle qui détestait la routine du quotidien à terre et ne supportait pas la médiocrité. Elle qui avait su assouvir son besoin de liberté, d’aventure et de solitude en mer. Elle qui s’était hissée à la force de ses mains de marin jusqu’au plus haut niveau,
« pas pour faire carrière, mais pour être heu reuse »10, selon son ami Olivier de Kersauson.
Elle qui avait su donner de la confiance à la gent féminine indépendamment de la voile. Elle qui parlait de sa voix rauque de l’au-delà avec des mots forts de son vivant : « La disparition, c’est un peu comme dans les contes de fées. On ne meurt pas vraiment, on disparaît. On est toujours là11. » Elle qui se régalait d’irrationnel et qui n’était finale ment heureuse qu’en mer.
Florence Arthaud 019 Navigatrices
Elles s’appellent Alexia, Anne, Catherine, Clarisse, Dee, Florence, Isabelle, Miranda, Naomi…
Elles sont navigatrices et autrices de folles épopées océaniques. Dans un milieu très masculin, elles sont de plus en plus nombreuses à s’élancer à l’assaut des mers à bord de puissants voiliers. De la Route du Rhum au Vendée Globe en passant par des tours du monde en solitaire contre les vents et les courants, certaines ont même clairement établi leur suprématie. Découvrez l’incroyable destin de ces femmes de l’océan.
Reporter, auteur, réalisateur et chroniqueur, Stéphane Dugast multiplie depuis l’an 2000 les enquêtes et les tournages sous toutes les latitudes avec un goût prononcé pour les mondes sauvages et les embarquements en tout genre. Il collabore à différents titres de la presse magazine, dont Le Figaro Magazine, Geo, Terre Sauvage, Détours en France. Il réalise également des films documentaires pour la télévision (France 3, TV5 Monde ou Ushuaïa TV), et est l’auteur de nombreux ouvrages dont Polar Circus (Éditions Pocket), Vélo ! (Éditions Glénat) et L’Atlas des Grandes Découvertes (Éditions Autrement). Depuis 2015, il est le secrétaire général de la Société des explorateurs français.
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