9782843785535 Chevauchée au Mont Saint-Michel

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Chevauchée au Mont St-Michel Jean-Dominique Formet

Jean-Dominique Formet

Chevauchée au MontSaint-Michel

Éditions du Triomphe

Personne n’ignore que les abords du mont SaintMichel ont été, de tous temps, fertiles en tragiques aventures...

La Fée des grèves, Paul Féval

Évasion ! 1

«... et maintenant, le fait divers du jour. Une spectaculaire évasion ce matin en plein Paris ! Un malfaiteur bien connu des services de police, Hubert Touillard, surnommé dans le milieu « Le Cerveau », s’échappe du fourgon de police qui le ramène du palais de justice à la maison d’arrêt. Deux gangsters attaquent le véhicule en plein jour alors qu’il circule dans une rue déserte, forçant sous la menace d’armes lourdes les agents de police à libérer l’individu. Il s’ensuit une fusillade durant laquelle les trois hommes parviennent à prendre la fuite. On pense qu’il doit s’agir de ses deux habituels complices, Gaspard Doutendieu, dit « Le Sulfateur », une allusion à la mauvaise habitude qu’il a d’utiliser à tout bout de champ des fusils mitrailleurs de gros calibre et Jérôme Binoclard, dit « Le Prof », du fait de ses étonnantes connaissances en physique et en électronique. Quant au « Cerveau », c’est un esprit d’une grande intelligence, d’une grande culture même, car il a fait ses études chez les Jésuites. Il a déjà réalisé un bon nombre de hold-up, c’est un spécialiste des scénarios tordus et parfois spectaculaires. On se

souvient de l’attaque de l’avion postal en plein ciel l’année dernière, et du vol de la Vénus de Milo au musée du Louvre il y a deux ans. Il n’y a heureusement pas eu de blessé parmi les forces de l’ordre. Les trois hommes en fuite sont activement recherchés, toute information permettant de retrouver... »

Marguerite éteint la télévision et soupire :

– Et voilà ! Encore des types dangereux dans la nature... j’espère qu’ils ne viendront pas par ici... *

– Prune ! Téléphone ! hurle Papa depuis son bureau, de l’autre côté de la maison.

– J’arrrriiiiive !

Une fillette se rue dans les couloirs, glisse artistiquement sur les tomettes séculaires, en profite pour enchaîner une roue et deux saltos, frôle un vase en Quimper véritable, atterrit une seconde et trois dixièmes plus tard, attrape le combiné des mains de son père, lequel ronchonne quelque chose du genre qu’il n’a pas que ça à faire et qu’il n’est pas son secrétaire et que le téléphone commence à l’agacer prodigieusement, ça va bien, quoi, non mais sans blague.

– Ouiiiii ?

– Prune ?

– Non, c’est la princesse Rostopchine de Vladivostok !

– Oh ! Votre altitude ! Quel honneur !

– Je vous en prie. À qui ai-je l’insigne plaisir de parler ?

– À ta chef de patrouille, andouille.

– Enchantée ! Moi, c’est Prune.

– Continue à m’énerver et je raccroche aussi sec !

– Chiche !

– Bon, tu viens au week-end de la Pentecôte ?

– Évidemment !

– Zut alors ! Je pensais faire une sortie peinarde.

– C’est raté.

– Tâche qu’il ne nous arrive pas encore un truc de malade, une aventure à dresser les cheveux sur la tête, hein ?

– Tu sais bien que je suis sage comme une image.

– À propos de truc dément : elle va bien, la petite fée ?

– Marie-Morgane ? Oui, oui, elle va bien. Elle semble reprendre goût à la vie.

– Tes parents l’ont déjà adoptée ?

– Pas encore, tant qu’on n’a pas de nouvelles plus précises à propos de ses parents. Tu sais, ils ont disparu dans la nature, personne ne peut dire ce qui leur est arrivé.

L’oncle, là, il doit bien savoir, non ?

– Peut-être, mais il ne veut rien dire.

– Ah bon ! Bizarre.

– Donc pour l’instant, elle est juste placée chez nous, mais pour moi c’est tout comme une petite sœur. Tu sais, j’ai parfois l’impression qu’elle a toujours été là. C’est rigolo.

– Il va falloir lui parler des louvettes pour l’année prochaine.

– Ce sera une recrue de choix.

– Je crois, oui. Bon, plus sérieusement, tu pourras venir avec ton cheval ?

– Avec mon...

Prune jette un regard en direction de son père, alors qu’il semble fort affairé à déballer des cartons, à tenter de ranger le grand champ de bataille post-déménagement, à maugréer quand ça ne va pas, c'est-à-dire tout le temps. Assurément, ce n’est sans doute pas le bon moment... Le cheval, ce doit être le dernier de ses soucis ! Temporiser.

– Oui, rappelle-toi, susurre Marguerite, nous sommes une patrouille équestre !

– Heu... je sais... je... je ne peux pas te dire ça tout de suite. Ça va se négocier dur.

– Je vois. Bon courage. Et ta copine ?

– Laquelle ? J’en ai trois milliards !

– Ta sœur jumelle qui est aussi dérangée que toi.

– Caro ?

– Parce qu’il y en a une autre qui répond au signalement ?

– Heu... non. Quoique...

– Alors ?

– Eh bien, il faudrait que je lui demande.

– Judicieuse idée. Eh bien, tu lui demandes et tu me bigophones, ok ?

– Ok ! Et où allons-nous cette fois-ci ?

– Surprise !

– Et zut ! Comme d’habitude !

– Pour te donner une piste, tu nous prépares, s’il te plaît, un petit exposé, pas plus de dix minutes, sur La Fée des grèves. Salut.

– La fée... mince !

Elle a déjà raccroché. Pas possible ! Ça m’énerve, ça ! Elle a bu trois litres de café ce matin ou quoi ? Elle est nerveuse comme une puce ! La fée quoi ? Flûte, j’ai déjà oublié... Ah si ! La fée dégrève ! La fée dégrève ? Qu’est-ce que ça veut dire, dégrever ? Arrêter de faire grève ?

– Alors que raconte ta chef ? demande Papa.

– Marguerite ? Euh... elle voulait savoir si je venais à la sortie de la Pentecôte.

– Pourquoi ? Elle en doute ?

– Non, mais elle voulait que... enfin que je...

– Que tu quoi ?

Que je vienne avec Altaïr.

– Ah.

Papa cesse de fourailler dans le colossal tas de cartons, s’essuie le front et prend le temps de considérer sa fille, une occupation qu’il affectionne après tout ! Treize ans depuis peu, son minois agréable, ses quelques petites taches de rousseur dans les nuances pastel, ses longs cheveux châtain clair parsemés de quelques mèches bien blondes, ses jolis yeux bleu-vert, ses longues gambettes nerveuses émergeant d’un short de sport, et son tee-shirt marqué ‘Nooooon !’, ce qui n’est pas extrêmement drôle en soi si l’on omet d’ajouter que lui, porte un tee-shirt de même facture où l’on peut lire : ‘Je suis ton pèèère !’ . Une fille toute en énergie, explosive comme une caisse de dynamite. Mais elle possède aussi un cœur gros comme ça, elle se tient toujours prête à aider la veuve et l’orphelin. Il sait déjà qu’à ce regard plein d’espoir, à ce ravissant sourire confiant, il aura bien du mal à refuser quoi que ce soit. Néanmoins, il estime pouvoir le tenter, ne serait-ce que pour la taquiner un peu :

– Tu sais que j’ai beaucoup de travail. Nous venons tout juste de déménager. Maman est fatiguée...

– Je sais, je sais, mais notre patrouille est une patrouille équestre.

– Je sais bien que c’est une patrouille équestre, mais... mais ton cheval est en Mayenne ! J’en ai pour une bonne heure aller et autant pour le retour.

– Oh... Papa !

– Bon, on verra, si tu es sage, si tu as fait tous tes devoirs, on ira le chercher vendredi soir.

– Ouaiiis ! Chouette !

– Mais veille à ce que le comte soit d’accord. À toi de gérer ça avec lui. Et puis, où allons-nous le mettre ?

– Qui ça, le comte ?

– Mais non, le cheval ! Je n’ai pas eu le temps de lui faire un enclos, moi !

– Bah, je ne sais pas, je pense qu’il faudra le conduire directement à l’endroit où nous passerons le week-end. Sinon, il restera ici, ne t’en fais pas. C’est clôturé !

– Avec du barbelé. Tu sais que ce n’est pas bon pour les chevaux !

– Bah, il n’est pas niais. Et puis il tondra la pelouse ! Ça te fera moins de travail !

– Mouais. Dis-donc pendant qu’on y est, si tu nous mettais le couvert pour le dîner ?

Prune sourit : c’est de bonne guerre.

– Ok. J’y vais. Au fait, dégrever, tu sais ce que ça veut dire ?

Dégrever ? Non. À mon avis, ce n’est pas dans le dictionnaire.

– Ah.

– Pourquoi cette question ?

– Margot me demande de faire un exposé sur une fée qui dégrève, alors...

– La fée qui...

Papa éclate soudain d’un rire inextinguible, il est plié en deux. Vexée, Prune ronchonne :

– J’ai dit quelque chose de drôle ?

– Qu’est-ce qui est drôle ? demande une voix flûtée derrière elle.

La voix flûtée, c’est celle de Bertrand, le petit frère de Prune, un beau garçon d’une dizaine d’années, brun, au visage intelligent, avec une petite houppette rigolote à droite. Il est accompagné d’une fillette de huit ans, Marie-Morgane, aux cheveux noirs joliment bouclés, au visage souriant, aux yeux bleus, immenses, magnifiques, pétillants. Une charmante petite fille, joyeuse la plupart du temps. Mais parfois, son regard devient lointain, pensif, presque triste, et peut-être revit-elle un épisode plus difficile de son passé récent. Orpheline, elle s’est retrouvée sous la coupe d’un oncle stupide et brutal qui la battait. À la suite d’une aventure extravagante et dangereuse à Carnac en compagnie de Prune, Caroline et les guides, Papa l’a recueillie pour quelques jours. Les vacances terminées, personne n’a imaginé une seconde renvoyer la petite. Papa et Maman embrassent la fillette

comme si elle avait toujours fait partie de la famille. D’autant qu’elle est gentille, intelligente et possède même quelques capacités sortant de l’ordinaire. Bien sûr, il a fallu quelques coups de fil, quelques paperasses, les visites d’une assistante sociale, une place dans une école, se démener à droite à gauche, mais ce qui est fait est fait.

– Explique donc à Prune, parvient à dire Papa entre deux hoquets de rire, ce qu’est La Fée des grèves.

– Et bien, c’est un roman de Paul Féval, pourquoi ?

Prune regarde son frère avec étonnement :

– Ce n’est pas possible, il sait tout celui-là !

– Boh, c’est facile. Paul Féval, c’est l’auteur du Bossu. Tu te souviens du vieux film que papa nous a passé l’autre jour ?

– Ah oui, avec Jean Marais et Bourvil. C’était génial.

– C’est ça.

– Bon, eh bien, il ne me reste plus qu’à trouver ce bouquin.

– Ce n’est pas difficile, rétorque Papa, nous irons nous balader à Bécherel, le village du livre, tout près d’ici. Il y a au moins une quinzaine de librairies et c’est un bel endroit.

– Bonne idée ! dit Maman apparaissant à la porte du salon. Ma fille ne lit pas suffisamment !

– Oh, Maman !

Prune vient se faire câliner, elle embrasse sa jolie maman et regarde avec intérêt son ventre déjà bien arrondi.

– Il bouge ?

– Oui, souvent, mets ta main, tu vas voir.

Prune pose sa main, elle peut en effet ressentir quelques petits mouvements.

– C’est rigolo ! C’est un garçon ou une fille ?

– Je ne sais pas. Je ne veux pas le savoir.

– Bon, c’est pas tout ça...

Elle se dirige vers la cuisine.

– Qu’est-ce que tu fais ? demande MarieMorgane.

– Je vais mettre le couvert.

– Oh ! Oh ! ricane Bertrand, tu as dû demander quelque chose à Papa, toi.

Prune soupire.

– Oui, et... zut, superflûte ! Il faut que je téléphone !

– À qui ? demande la petite.

– Au comte de Villers.

– Ah ! On va revoir Altaïr ?

Les yeux de Marie-Morgane s’illuminent, elle bat joyeusement des mains. Elle l’aime bien aussi, le cheval d’or ! Prune admire une nouvelle fois les

magnifiques yeux bleus de la fillette, lui lance un sourire, empoigne courageusement le téléphone et compose le numéro d’un doigt un peu tremblant. Pourvu qu’il soit d’accord ! Un instant passe, une voix masculine :

– Allô !

– Heu... Bonjour Monsieur, c’est Prune.

– Ah, Prune ! Comment vas-tu ?

– Très très bien, Monsieur le Comte, merci.

– Et quel bon vent t’amène ?

– Et bien voilà. Nous allons faire une sortie avec les guides pour la Pentecôte, et...

– Mais c’est formidable ça. Où donc ?

– Je ne sais pas, en fait. Ma CP aime bien faire des surprises.

– Bon, eh bien je te souhaite une bonne sortie. Au revoir ! Ça m’a fait plaisir de...

– AAAh ! Attendez ! En fait je voulais vous demander...

– Me demander quoi ?

– Si... si je pouvais prendre, hum... Altaïr pour les trois jours ?

– Altaïr ? Ah non, ça ne va pas être possible, le vétérinaire vient samedi et après ses piqûres, il ne sera pas bien en train.

– Oooooh !

Prune est à deux doigts de fondre en larmes.

– Allez ! Je te fais marcher !

– Quoi ?

C’était une blague ! Tu peux le prendre, ton cheval. Il est en pleine forme ! Tiens, non, je vais te l’apporter moi-même. Ton papa doit être bien occupé avec le déménagement.

Oh merci ! Merci !

– Vendredi soir, alors ?

– D’accord ! Super ! Formidable ! Génial !

– Alors, à vendredi !

À vendredi Mons... Il a raccroché aussi ! Mince, qu’est-ce qu’ils ont les gens aujourd’hui à raccrocher à toute vitesse ? Bon. Quoi d’autre ? Ah oui, Caro !

Prune compose le numéro qu’elle connaît par cœur :

– Centre équestre de la Vallée, bonjour !

– Bonjour Madame, c’est Prune !

– Tiens tiens ! Il y avait longtemps !

– Hum... je téléphone assez souvent, c’est ça ?

– Oh pas plus de deux fois par jour, heureusement. Je vais chercher Caroline.

– Euh ! oui, s’il vous plaît... merci...

– Je t’embrasse, Prune.

– Moi aussi, Madame.

Un léger instant...

– Allô ?

– C’est moi.

– Tu vas ?

– Ça boume. Dis, tu viens pour le week-end ?

– Euh... oui... sûrement...

– Tu amènes Arsinoé ?

– Ah... je ne sais pas. Ça va être compliqué.

– Évidemment. Écoute, je connais Marguerite, elle nous a sûrement concocté un truc de folie.

– C’est sûr. Bon, je fais l’impossible pour trouver une solution et je te rappelle.

– Ça marche ! Et comment va ta jument ?

La conversation roule sur les chevaux, cela dure des heures. Les copines ont tant de choses à se dire ! Elles ne raccrochent qu’à la fin de leurs adieux déchirants.

– Bon. Tout ça m’a l’air de baigner dans l’huile ! Encore une petite sortie calme et tranquille qui s’annonce ! Caroline n’est pas nunuche, et puis ses parents sont sympas. Elle pourra sûrement venir avec sa jument.

Prune se remémore les aventures qu’elle a vécues avec sa plus grande amie, Caroline, aussi passionnée d’équitation qu’elle, aussi brune qu’elle est blonde. Une fille terriblement sympathique, fidèle, courageuse. Hélas, elle habite dans la région parisienne, en vallée de Chevreuse. Et les occasions de rencontre sont si rares. Heureusement qu’il y a

les guides, et que les parents font l’impossible pour que les deux amies puissent se voir au moins de temps en temps !

- Tout ça, c’est bien beau mais je me demande bien où Marguerite va nous emmener ? *

« ... Étrange cambriolage dans une petite entreprise de Tremblay-les-Eaux-Fraîches. Cette société ‘startup’ travaille actuellement sur les applications des hologrammes, ces photos ou vidéos en relief assez étonnantes. Le matériel dérobé aurait une valeur avoisinant le demi-million d’euros. Sa perte serait un coup dur pour l’entreprise, car il s’agit d’un prototype ultra secret. Et de nombreux concurrents sont à l’affût... »

L’homme repose son journal sur ses genoux, adopte une attitude pensive qu’il agrémente d’un léger sourire. Il regarde sans les voir les murs de la vieille baraque qu’il occupe dans le fin fond du Loiret, avec ses deux acolytes. Une maison bien indigne de lui et de son génie. Les murs sont décrépis, striés de fissures, les poutres ploient sous l’effet des siècles, un tapis élimé par endroits s’étale tristement devant la cheminée, une vieille table en chêne sans style complète le décor. Sur le canapé en cuir usagé, dort un grand et large bonhomme au faciès impressionnant. Les cheveux coupés ras, le nez cassé de boxeur ou de rugbyman, les oreilles

décollées, il tient autant de l’incroyable Hulk que d’Al Capone, roi des bandits de Chicago. Il ronfle. À sa droite, un homme d’une trentaine d’années, maigrichon, lunettes sur le nez, le regard fureteur, les cheveux échevelés comme Albert Einstein, l’allure d’un professeur d’université spécialiste en mathématiques appliquées. Devant lui, un monceau d’appareillages bizarres, contenant de l’optique et de l’électronique, des ordinateurs aussi, dont il doit être le seul à comprendre le fonctionnement et qu’il semble tripatouiller depuis des heures. Il lève la tête :

– Vous, patron, vous avez quand même de drôles d’idées.

L’homme dénommé patron est élégant, le front immense et le regard intelligent, il porte un complet-veston trois pièces, un peu usé par endroits il est vrai, et un foulard noué autour du cou pour remplacer la cravate. Il joue de ses mains élégantes, avec lesquelles il lisse parfois ses cheveux soigneusement peignés. De son pouce, il caresse une coupure qui lui strie la joue droite depuis l’oreille sur au moins quatre centimètres, souvenir d’une rixe dans un quartier sombre de Paris, qui lui vaut aussi le surnom de « balafré ». Mais dans le milieu, on le nomme surtout, avec un certain respect, le Cerveau.

– Tu sais bien que je ne monte jamais des coups ordinaires. Il me faut du magnifique, du tonitruant, du jamais-vu !

– Mouais. Mais c’est compliqué. J’espère que ça va réussir !

– Mais oui, ça va réussir. Et nous n’allons plus longtemps croupir dans ce lieu qui n’est pas digne de nous. Après ce coup-là, nous achèterons une grosse voiture avec laquelle nous irons d’abord sur la Côte d’Azur passer une quinzaine de jours au Carlton, ensuite nous ferons le tour du monde : Miami, Tahiti, San Francisco, Las Vegas, Bangkok, Macao... Oui, nous allons bien nous amuser.

– Mais vous ne m’avez toujours pas dit où cela va se passer.

– Je peux te dire que cela ne se passera pas à Paris.

– Ah ? Où cela, alors ?

Le patron ne répond pas. Il sourit de plus belle, replie soigneusement le journal en quatre pour l’envoyer sur les genoux de son collègue :

– Page cinq, Prof.

L’hirsute dénommé Prof déplie le journal à la bonne page, constate effectivement qu’il est daté d’une quinzaine, en entame la lecture à haute voix, en commençant par le titre de l’article :

– On aurait retrouvé l’épée de saint Michel ! Il fronce les sourcils :

– Quoi ? L’épée de saint Michel ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Pour lui vraisemblablement, saint Michel, c’est une station de métro.

– Lis la suite.

– Bon. « Une rumeur persistante venant de milieux autorisés nous incite à penser que les travaux effectués actuellement dans les parties les plus anciennes du mont Saint-Michel, et notamment la chapelle Notre-Dame-Sous-Terre, livreraient quelques surprises. On dit que des ouvriers seraient tombés inopinément sur un trésor inestimable. Il ne s’agirait rien moins que du glaive et du bouclier de saint Michel, deux objets de grande valeur datant du dixième siècle, que l’on a toujours tenus pour perdus lors de la Révolution. Pour l’instant, les autorités restent silencieuses, aucune déclaration officielle n’est annoncée. Si cela s’avérait exact, cette découverte serait sans doute l’une des plus sensationnelles du siècle. » Ah ben ça alors !

– N’est-ce pas ?

– Mais qui est-ce, ce saint Michel ?

– Saint Michel ? Mais c’est l’archange !

– L’archange ?

– Bon, j’ai l’impression qu’il faut t’expliquer ça. Donc, Michel, le prénom, ou plutôt Michaël, cela vient de l’Hébreu : Mi-kha-El ? Avec un point d’interrogation, car il s’agit d’une question.

Prof grimace, il n’a rien compris : Michel, c’est une question ? Quelle question ?

– Une question qui n’appelle pas de réponse. En Français, cela signifie : Qui est comme Dieu ?

– Qui est comme Dieu ?

– Voilà. Un peu d’histoire sainte, ça ne te fera pas de mal. Saint Michel est l’un des trois archanges, avec Gabriel et Raphaël. Au-dessus d’eux dans la hiérarchie céleste, il n’existait qu’un seul ange, le plus beau des anges, si lumineux, si magnifique, si éclatant de splendeur qu’on l’appelait Lucifer, le « Porteur de Lumière ».

– Ah oui, Lucifer ! J’en ai entendu parler !

– Pratique quand on est dans le noir, grogne le Sulfateur en se réveillant.

– Eh bien, figure-toi que Lucifer n’est pas content. D’être le premier des anges ne lui suffit pas. Il en veut encore plus ! Il veut être aussi grand, aussi beau, aussi puissant que Dieu ! Alors il vient proposer à Michel de se rebeller lui aussi. Immédiatement, Michel dégaine sa grande épée flamboyante, et lui crie : Qui est comme Dieu ?

– Fichtre donc !

Le Prof est impressionné. C’est que le patron la vit, son histoire !

– Et dans l’imaginaire chrétien, on représente souvent Lucifer sous la forme d’un dragon. Tu vois des représentations de saint Michel combattant le dragon un peu partout. À Paris, tu regarderas la fontaine Saint-Michel, par exemple.

– Et vous croyez que... que ce sont vraiment les armes de saint Michel que l’on a retrouvées ?

Le patron revient sur terre, comme s’il s’éveillait d’un rêve :

– Franchement, je n’en sais rien. Mais si l’histoire racontée dans le journal est exacte, ces deux objets n’ont pas de prix. Ce qui veut dire que pour nous, ils en ont un ! Et colossal ! Ah ah ah !

– Oh oh oh ! Mais patron, comment ferons-nous pour nous emparer de ces objets ? C’est pour ça que nous avons volé tout ce matériel ?

– Ne t’en fais pas, j’ai un plan formidable... Bon, dis-moi, c’est au point tout ton fourbi ?

– Ça commence à marcher. Mon personnage en 3D est assez réussi. Je dois maintenant utiliser le programme pour générer les interférences. J’en ai encore pour quelques heures avant que ça ne marche vraiment.

– Bon, travaille bien et vite.

– Ce sera mieux qu’à Hollywood, je vous le prédis ! Mais du diable si je comprends à quoi tout cela va servir !

Le Cerveau réfléchit un instant :

– As-tu déjà lu La Fée des grèves ?

– La Fée des... non.

– Évidemment. Eh bien, tu pourrais y trouver quelques indices.

Hum. La fée des grèves... Qu’est-ce que c’est encore, ça ?

– Bien. Nous partirons dans deux jours. Faites vos valises !

– Déjà ? Mais... il ne vaudrait pas mieux nous faire oublier un moment ?

– Mais non ! Qui imaginerait que nous sommes déjà sur un nouveau coup ?

– Armement, chef ? demande le Sulfateur.

– Rien, mon gros. Nous n’aurons pas à tirer un coup de feu cette fois-ci.

– Ah ? Dommage... Et où allons-nous ?

– D’abord, manger une bonne omelette !

Les deux compères se regardent, et se demandent si leur chef ne fatigue pas un peu, en ce moment.

Jean-Dominique Formet Les Cavalcades de Prune

...

au Mont St-Michel

Week-end de Pentecôte. Prune, qui a enfin déménagé en Bretagne avec sa famille, part camper au bord de la célèbre baie avec les guides et son cher Altaïr.

Tandis que les filles vont vénérer les armes de l’Archange récemment retrouvées, le machiavélique Cerveau et ses sbires commettent un forfait d’anthologie. Prune n’écoute que son courage mais la baie et ses légendes recèlent tant de dangers. Altaïr pourra-t-il sauver cette fois encore sa petite maîtresse ?

Jean-Dominique Formet, breton de souche, père de cinq enfants, est l’auteur confirmé de la série Ségolène chez le même éditeur. Passionné d’équitation depuis son adolescence, il a créé avec Prune une héroïne vive, sympathique, généreuse et... casse-cou !

Illustrations Marie-Marthe Collin

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