Les belles histoires de grand-mère sous les flocons

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K ARINE -M ARIE A MIOT J ULIE M ELLAN

LES BELLES HISTOIRES DE

GRAND -MÈRE

SOUS LES FLOCONS

Doudou-de-laine

Depuis qu’il sait tenir sur ses pattes, Barbotte court tout le temps. Il ne marche pas, il trotte ! Comme chaque matin, sur le joli chemin de campagne qui conduit à l’école, Barbotte caracole en tête. Maman Lapin le suit au pas de course :

Moins vite, Barbotte ! Attends-moi !

Mais Barbotte n’aime pas attendre. Avec ses bottes, il saute dans les flaques et fait voler les feuilles d’automne. La neige ne devrait plus tarder...

Entre deux bonds, le petit lapin met en garde son doudou, installé dans son cartable entre deux cahiers et sa carotte pour le goûter du matin.

Accroche-toi, Doudou-de-laine !

Pauvre Doudou-de-laine ! Il ferme les yeux et s’accroche comme il peut. S’il pouvait parler, peut-être supplierait-il :

ɧ Un peu moins vite, Barbotte ! S’il te plaît !

Mais les doudous ne parlent pas. Et Doudou-de-laine ne dit rien.

Doudou-de-laine est en mauvaise posture. Il sent bien qu’il glisse lentement.

Très lentement.

À chaque saut.

Il n’ose même plus regarder en bas !

S’il pouvait parler, sans doute préviendrait-il : Au secours, Barbotte ! Je vais tomber… Va moins vite !

Mais il ne dit rien.

En passant devant la maison d’un très très vieux Grand-Papa Lapin, hop ! un saut un peu plus haut qu’un autre, et Doudou-de-laine tombe sur le chemin. Heureusement, une mousse toute douce amortit un peu sa chute.

S’il pouvait parler, le doudou crierait à Barbotte :

ɧ Attends-moi ! Tu vas être triste sans moi. Tu n’arriveras pas à faire la sieste à l’école, et encore moins à t’endormir ce soir.

Mais il ne dit rien.

Il attend. Sous la pluie, dans le vent, dans le froid, il attend. Longtemps.

Très longtemps.

Doudou-de-laine regarde la maison du très très vieux Grand-Papa Lapin. Il sait que le vieux lapin fait tout lentement. Il passe ses journées à sculpter des cuillères en bois et à regarder passer les petits lapins qui vont et viennent de l’école en courant. De ses pattes naissent des cuillères de toutes les formes : des cuillères très fines pour remuer le café dans les tasses de porcelaine, des cuillères rondes pour les bébés et de très très grandes cuillères de service pour les familles nombreuses. Si seulement le vieux lapin pouvait le voir et venir le chercher ! Il fait si froid ! Mais Grand-Papa Lapin est très affairé à ranger ses outils : une gouge, un ciseau à bois, un petit couteau.

Quand il a enfin fini de tout mettre en ordre, il jette un coup d’œil par la fenêtre et distingue quelque chose au milieu des feuilles. Doudoude-laine ! Malgré la nuit qui tombe, Grand-Papa Lapin enfile son pardessus et prend sa canne. Il ouvre sa porte et avance cahin-caha. On marche lentement quand on a cent ans !

Le très très vieux Grand-Papa Lapin ramasse Doudou-de-laine, le secoue délicatement pour en faire tomber la terre et dit :

Tu as de la chance, Doudou-de-laine. Tu aurais pu passer la nuit tout seul dehors, dans le froid.

Puis le vieux lapin rentre chez lui et assied confortablement le doudou sur une chaise de la cuisine. Cela lui fait vraiment plaisir d’avoir de la compagnie ce soir.

Il met sa plus jolie nappe sur la table, donne sa belle assiette à Doudoude-laine et garde pour lui l’assiette ébréchée. Puis il sort deux cuillères en bois, une vieille marmite et annonce :

Ce soir, au menu : soupe d’automne potiron, châtaigne, champignons des bois !

Et comme c’est un jour de fête, le très très vieux Grand-Papa Lapin a soudain envie de faire des crêpes. Il cherche la recette dans sa mémoire un peu usée :

Voyons, voyons… Deux œufs, de la farine, du lait…

Il verse la pâte dans la poêle et fait sauter une première crêpe.

Les crêpes, ce sera notre secret ! C’est entendu, Doudou-delaine ?

Après le dîner, le très très vieux Grand-Papa Lapin installe Doudoude-laine près du feu. Ce soir, il n’a pas envie de lire son journal.

Soudain, il a une idée. Il va chercher son orgue de barbarie, un instrument de musique au moins aussi vieux que lui, et il commence à en tourner lentement la manivelle. La musique résonne. Cela faisait si longtemps qu’il n’y avait pas eu de musique dans sa maison ! Si seulement Doudou-de-laine pouvait chanter ou danser…

Après quelques morceaux, le vieux lapin se met à bâiller. Il n’a pas l’habitude de se coucher si tard.

Au lit, Doudou-de-laine !

Il prend une couverture dans la vieille armoire qui grince un peu, couvre le doudou, puis il lui donne un baiser sur le front : Bonne nuit ! Fais de jolis rêves.

Le lendemain matin, après le chocolat chaud et les tartines grillées, le très très vieux Grand-Papa Lapin ouvre sa fenêtre et assied Doudoude-laine sur le rebord. Il l’a coiffé avec attention et même parfumé à l’eau de Cologne.

Doudou-de-laine attend. On dirait même qu’il est impatient. Au loin, il voit arriver un petit lapin qu’il connaît bien. S’il pouvait parler, il appellerait : Barbotte !

Il ne dit rien, mais on dirait qu’il sourit.

Le petit lapin l’a vu, lui aussi. Il court, encore plus vite que d’habitude. Doudou-de-laine ! J’ai cru que je t’avais perdu ! Pour toujours !

Maman Lapin arrive et s’écrie :

ɧ Comme tu as de la chance, Barbotte ! Je crois que le très très vieux Grand-Papa Lapin a pris bien soin de ton doudou.

Barbotte regarde le vieux lapin droit dans les yeux.

ɧ Merci ! Beaucoup !

Barbotte et sa maman promettent de revenir après l’école.

Alors Grand-Papa Lapin les regarde partir, le cœur léger.

L’après-midi passe plus vite que d’habitude. À l’heure du goûter, il entend frapper à la porte. Il pose ses outils et répond :

Entrez !

Ça sent bon le bois, la cire d’abeille, les pommes et la noisette, pense Barbotte à haute voix.

Lentement, le très très vieux Grand-Papa Lapin étale de la confiture de coing sur une large tranche de pain bis. Pour une fois, Barbotte attend patiemment, sans bouger.

ɧ Alors, l’école s’est bien passée ? demande le vieux lapin.

Oui, répond Barbotte. Dans la cour de récréation, j’ai joué à chat perché. Et toi, qu’est-ce que tu fais toute la journée ?

Je regarde par la fenêtre passer les petits lapins, et je fabrique des cuillères en bois.

C’est tout ?

Le très très vieux Grand-Papa Lapin sourit :

ɧ Oui, c’est tout. Mais maintenant que je te connais, je penserai à toi.

Puis il reprend :

Quelquefois, tu peux prendre ton temps, toi aussi.

Au moment de se dire au revoir, le vieux lapin tend une cuillère à Barbotte :

Tiens ! Pour donner à manger à Doudou-de-laine.

C’est doux de prendre le temps de s’occuper de ceux qu’on aime !

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