Je ne voulais pas y croire

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voulais pas ne Je croire y

DE L’INDIFFÉRENCE À L’ÉVIDENCE DE LA FOI

À Lucas, Joseph et Anna.

À nos grands-mères, Éliane et Bahija.

À nos parents.

« Le Fils de Dieu est mort ? Il faut y croire puisque c’est absurde.

Il a été enseveli, il est ressuscité : cela est certain puisque c’est impossible. »

TerTullien 1

1. Liber de Carne Christi, 5,5.

AVANT- PROPOS

Je ne suis pas théologien, je ne suis pas historien, je ne suis pas physicien. Je suis chrétien ; un type qui essaie de faire de son mieux dans un monde qui ne le comprend plus. J’ai vingt-cinq ans, et il y a trois ans, j’étais loin de tout ça, je n’y connaissais quasiment rien. Le hasard, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, a fait que je me suis penché sur le sujet de la religion. J’étais habité par une double quête de vérité et de liberté qui m’a fait croiser le chemin d’un homme ayant vécu il y a deux mille ans en Palestine. À toi qui ressembles peut-être à celui que j’étais il y a quelques années, je souhaite parler de philosophie, de sciences, de l’Église, et du trésor qu’est le christianisme. Ce trésor, notre trésor, est destiné à tous, et je souffrirais que tu passes sur Terre sans avoir eu l’opportunité de l’entrevoir.

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À l’époque où j’ai commencé à m’intéresser à tout cela, où je voulais en savoir plus sur cette folie qui conduisit les hommes à construire de si grands ouvrages, d’étranges personnes ont sonné à la porte de mon studio d’étudiant. Elles m’ont affirmé que Dieu existait, qu’il était vivant et parmi nous. Pour preuve que la Création émanait d’un être intelligent, il n’y avait qu’à voir l’incroyable et parfaite complexité de l’homme : l’être humain ne pouvait être qu’une créature de Dieu. J’ai renvoyé ces fous après avoir essayé de leur parler de l’évolution, de Darwin et de ces petites imperfections, comme le bout de notre colonne vertébrale qui semble être un vestige de queue. J’ai essayé de leur montrer que l’homme s’inscrivait plutôt dans un processus d’évolution imparfait que dans une création spontanée et intelligente. La fille qui me parlait m’avait dit qu’elle était médecin et je m’inquiétais pour la compétence du corps médical français. Le problème, c’était que ces pieuses personnes et moi ne parlions pas la même langue : il était impossible que nous nous comprenions. Aujourd’hui, je crois être pratiquement bilingue cathopaïen et c’est pourquoi je me suis permis, humblement, de t’écrire. J’espère ne pas te heurter, j’espère quand même te secouer, j’espère ne pas enfoncer trop de portes ouvertes.

J’entreprends de parler de Dieu à quelqu’un qui en a peu ou mal entendu parler.

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UN CHEMIN

Au commencement

« Au commencement était le Verbe 1 . » Je suis né à Rouen quelque quatorze milliards d’années plus tard ; et pourtant nous nous sommes rejoints. Mon père a grandi au Liban dans un environnement fervent, et s’il est très attaché à l’institution de l’Église et apprécie les crèches et messes de Noël, nous ne pouvons pas dire qu’il m’ait transmis la foi. Ma mère, elle, a grandi dans une famille normande, ouvrière et socialiste, où la question de Dieu n’en était pas une. Leur union a donné vie à quatre enfants, moi en qualité d’aîné. Nous n’avons pas été baptisés. De bons instituteurs, des amis, et celle que nous appelons encore notre nourrice gravitaient autour de nous, mais

Jn 1,1. 11
1.

jamais Dieu n’a montré le bout de son nez. Moi, ce que j’aimais, c’étaient les mathématiques et l’histoire.

Assez logiquement, je me suis orienté vers des études d’ingénieur. Je considérais alors la religion comme quelque chose de sympathique, de folklorique, peut-être autrefois nécessaire pour cimenter un peuple et pour expliquer des choses qui nous dépassaient. Pris de stupeur devant les éclairs et le tonnerre, et incapables d’en donner une explication rationnelle et satisfaisante, les premiers hommes les avaient associés à quelqu’un ou à quelque chose de bien plus puissant qu’un homme, et de très certainement colérique : un dieu. Ainsi naissaient les dieux et les religions pour rendre compréhensibles les phénomènes du monde qui entoure l’homme. La religion englobait alors tout ce qui dépasse l’entendement : les récits des origines, les cycles de vie, la vie même, la mort aussi, les astres, etc. Dans cette optique, la religion était condamnée à s’effacer au fur et à mesure que la science faisait son œuvre. De fait, quand l’homme comprend le mécanisme météorologique qui provoque la foudre, le dieu de la foudre n’étant plus nécessaire ni plus désiré, il meurt. Tous ces dieux déchus qui errent quelque part dans le fond de la mémoire humaine me donnaient bien raison. Ainsi, et comme je le pensais, quand l’homme découvrait le Big Bang, le Dieu-créateur n’avait plus lieu d’être, et sa religion non plus. La science ayant vocation à tout expliquer,

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la religion avait vocation à disparaître, il était donc inutile de perdre du temps là-dessus. Si la foi était toujours aussi forte dans de nombreux pays, c’était que les gens y étaient peu éduqués, et cela leur passerait quand ils auraient reçu la lumière à laquelle nous avons accès en France. Les quelques croyants demeurant chez nous étaient donc des gens effrayés par la mort ou endoctrinés. Voilà à peu près quelles étaient mes convictions à la fin de l’adolescence. La religion, au fond, provoquait chez moi une indifférence molle ; comme chez toi, peut-être.

Un premier intérêt culturel

Mes premières années d’études étaient très riches. Outre une dizaine d’heures de maths par semaine, j’ai rencontré beaucoup de mes amis, je me suis lancé dans des aventures associatives et chacune de ces expériences m’a grandi. J’ai aussi renoué avec ma passion pour l’histoire et je me suis mis à dévorer des livres. J’ai compris assez vite que la religion en était indissociable. Comment vouloir entendre les questions géopolitiques en faisant abstraction des religions qui modèlent les peuples – et sont modelées par les peuples – qui composent le monde ? J’ai trouvé le sujet des religions immensément intéressant, immensément dramatique dans son irrationalité, immensément poétique. Il y avait là une expression vraiment humaine. La religion étant indissociable de l’Histoire, la religion

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chrétienne devenait indissociable de l’Histoire de France ; et la société française se retrouvait, qu’elle le veuille ou non, une société aux racines chrétiennes sans lesquelles beaucoup de choses n’avaient plus de sens. J’ai alors commencé à regarder la religion chrétienne comme une amie sympathique dont notre société, et moi-même, étions les héritiers. Le christianisme devenait mes racines : christianisme catholique côté normand, christianisme orthodoxe côté libanais – finalement, le christianisme était le point commun entre mes parents, entre leurs pays, le point de commencement de ma vie.

Je m’intéressais également beaucoup à la philosophie et à l’histoire des sciences, aux grandes figures de scientifiques en particulier. J’étais admiratif de ces très grands esprits et plusieurs fois je me suis étonné que, non satisfaits d’être géniaux, ils étaient parfois aussi croyants. Louis XIV était croyant, c’est entendu : sans Dieu, un roi de droit divin aurait perdu son titre et son pouvoir. Mais Pascal ? Grand philosophe et grand physicien, cet « effrayant génie qui à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques 2 », croyait en Dieu. Et Heisenberg ? Père de la physique quantique ; il croyait en Dieu. Chateaubriand m’avait bouleversé par son génie littéraire ; il croyait en Dieu. Beaucoup d’autres croyaient

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2. Chateaubriand, Le Génie du christianisme, 1802.

ou ont cru en Dieu, ou ont été torturés par cette quête. De nombreux géants avaient la foi, j’ai donc décrété que j’allais vraiment m’intéresser à cette question lorsque j’en aurais le temps. Tu remarqueras que, du temps, on en a de moins en moins à mesure qu’il passe. Aussi, ce temps, prends-le maintenant. C’est un fraternel conseil.

J’ai acheté une bible à un euro sur Internet, pour la lire et découvrir la religion chrétienne. J’ai fait comme j’ai l’habitude de faire avec un livre : j’ai commencé par le début. Première page : « Au commencement », etc. Des répliques cultes que j’étais heureux de redécouvrir et de replacer dans leur contexte. Le premier livre de la Bible, la Genèse, présente les origines du monde, de l’homme, et raconte l’histoire de sa relation avec Dieu : Adam et Ève, Noé, Abraham. Des récits palpitants. Le deuxième livre, l’Exode, nous parle de Moïse, de l’Égypte, du désert. Puis il devient assez lent, et si je puis dire, ennuyeux. Je me suis arrêté là, encore sur le seuil de l’ouvrage. Tu as vu

l’épaisseur des feuilles et la taille des lettres : c’est vraiment un gros livre. Je n’avais pas plus d’explications sur Jésus.

J’ai rangé ma Bible.

Des témoins comme source d’une conversion

Jeune ingénieur, à vingt-deux ans je suis parti en Asie dans une nouvelle école. J’ai emmené ma bible, sans que je

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sache vraiment pourquoi, au cas où je m’ennuierais suffisamment pour que cette lecture soit divertissante. Ce n’est pas arrivé. Cependant, j’ai eu la chance au bout de quelques mois de me lier d’amitié avec deux jeunes filles françaises et chrétiennes, dont une de qui je fus très proche. Elle était belle et intelligente. Elle portait certes des pantalons-éléphants fabriqués dans quelque pays asiatique du tiers-monde que toute norme morale devrait interdire de porter, mais elle me semblait rationnelle. Elle m’était aimable et elle me touchait mais je riais intérieurement quand elle parlait de l’Église. Elle en parlait certes peu mais ne se cachait pas d’y aller. Elle a dû me proposer de l’y accompagner mais je n’y ai vu aucun intérêt : après tout, la messe était surtout un lieu de reproduction sociale, de tradition, de sociabilisation, et ça ne correspondait pas à l’éducation que j’avais reçue ni à mes centres d’intérêt. Il y avait des gens qui allaient à la salle de sport, et il y avait des gens qui allaient à la messe. Je n’appartenais à aucune des deux cultures. Mais le Vendredi saint 3 est un jour férié à Singapour, alors puisque je n’avais pas cours précisément pour pouvoir m’adonner à des activités chrétiennes, j’ai accepté de suivre mes deux camarades à la paroisse française ; Notre-Dame avait brûlé quatre jours auparavant 4 .

3. Le vendredi qui précède Pâques, jour de la mort de Jésus.

4. Le 15 avril 2019.

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Pendant le chemin de Croix que nous avons fait, j’ai bavardé avec ma seconde amie. Pendant l’office qui a suivi, je me suis à peu près tenu, j’ai réprimé mon envie de parler, et j’ai regardé. La messe, c’était assez déroutant : assis, debout, assis, genoux, debout, en marche, on revient. Un grand manège dont je ne connaissais pas les codes, mais dans lequel j’ai vu que les chorégraphes traçaient aussi leur propre chemin. Force a été de constater que mon amie, celle sur laquelle j’avais les yeux rivés et qui avait troqué son pantalon-éléphant contre une tenue décente, n’était pas en train de simplement répéter des mouvements et des paroles par simple automatisme. Pas tout le temps. Quand elle priait, elle priait, et peu importait ce qui se passait autour. En la voyant prier, j’ai compris qu’elle vivait un moment fort dont j’étais exclu, je l’ai trouvée sublime ; il y avait quelque chose de transcendant, il y avait Dieu puisqu’elle lui parlait. Et je crois bien qu’il lui répondait. À la sortie de la messe, j’ai sauté sur les filles, les ai assaillies de questions. J’avais vu Le Prince d’Égypte 5 quelques jours plus tôt : pensez-vous vraiment que Moïse a ouvert la mer avec son bâton ? Cela me semblait être une question pertinente et c’était un point clé qui me laissait dubitatif. Il me semblait impossible que des filles intelligentes et cultivées puissent croire à de telles fables.

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5. Dessin animé Dreamworks sorti en 1998, centré sur le personnage de Moïse.

Je continuai : vous pensez vraiment que Jésus est ressuscité après sa mort ? J’aurais préféré que leurs réponses soient simples, binaires. Mais elles amenaient plus de questions encore. J’ai compris que si je voulais m’aventurer sur ce chemin, il fallait que j’accepte qu’il soit exigeant. Mais j’en avais trop vu pour ne pas vouloir y aller ; un voile venait de légèrement se lever et me faisait la faveur de me laisser entrevoir tout un monde merveilleux. N’était-ce pas ce dont j’avais toujours rêvé ?

J’ai lu quelques livres sur les bons conseils des filles, loin de me douter que la seconde deviendrait un jour ma marraine de baptême. Là encore, ces livres posaient beaucoup de questions, me mettaient face à de grandes lacunes, et je suis entré dans une spirale de questions et une quête de réponses. J’ai suivi des cours de catéchisme 6 , puis j’ai lu les évangiles 7, les quatre livres qui racontent la vie de Jésus. Quatre fois la même histoire par quatre auteurs différents. Les évangiles ne sont pas un traité, ce sont des histoires avec des personnages, des actions et des dialogues ; et je n’avais jamais rien lu qui disait avec autant de précision tout ce que je portais au fond de moi sans avoir les mots pour l’exprimer. Je les ai lus deux fois.

6. Enseignement de l’Église, aujourd’hui résumé dans le Catéchisme de l’Église catholique.

7. Du grec εὐαγγέλιον (euangelion), littéralement : Bonne Nouvelle. Livres faisant partie du Nouveau Testament et racontant la vie de Jésus.

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On m’a dit plus tard que quand on lit l’Évangile, c’est l’Évangile qui nous lit. Je voulais décidément que ce Jésus, né il y a deux millénaires, devienne mon maître à penser. J’ai lu la vie de quelques saints, en particulier celle de saint Paul. Quelle vie et quel témoignage ! Quelle fierté de porter son nom ! C’est dans les pas de ces hommes et femmes que je voulais mettre les miens, à l’école de ce Christ dont j’avais encore tout à découvrir. J’ai demandé à un prêtre d’entrer en catéchuménat 8 , c’est-à-dire de commencer à cheminer dans l’Église en vue du baptême.

Je voulais qu’on me parle de Jésus.

Je ne vais pas m’étaler maintenant sur le long chemin que j’ai parcouru, pavé de lectures, de rencontres, de témoignages, de joies, de chutes. Chemin qui fut le lieu de nombreuses grâces et d’expériences sensibles de la présence, de l’œuvre et de l’amour de Dieu. J’ai été baptisé au petit matin de Pâques 2021, à vingt-cinq ans. Le chemin ne fait que commencer, il dure toute la vie, et peut-être même après. Il est exigeant, il est l’occasion d’une maturation, d’une élévation. Il est aussi le lieu de nombreuses questions et de beaucoup d’étonnements. En un mot, il est un lieu édifiant, et j’émets le souhait qu’un jour, tu t’y aventures pour en goûter la saveur.

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8. Parcours pendant lequel le non-baptisé découvre les fondements de la foi chrétienne.

Depuis que j’ai entrepris ce parcours, j’ai discuté avec maintes personnes, croyantes ou pas. J’ai lu, investigué, questionné. J’ai pris part à des débats, j’ai dû me justifier parfois, rassurer, défendre l’Église, expliquer certains points. Je croyais au début avoir découvert le Graal et que ma conversion allait convaincre tout mon entourage de suivre cette route qui me semblait évidente. Certains ont été mis en mouvement, c’est vrai, mais pas la grande majorité. J’ai cherché à comprendre ce qui empêchait les gens de croire en Dieu et à son Église. J’ai essayé de travailler sur les choses qui m’ont moi-même bloqué. Je t’écris à toi, mais je mets à disposition de tous ce témoignage qui soulève de nombreuses questions. Ceci dans l’espoir de nourrir chez certains leur foi chrétienne, et d’aider d’autres à oser se présenter avec un cœur sincère devant Celui qui a changé tant de vies.

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PREMIÈRE PARTIE

Je crois en Quelque chose

QUELQUE CHOSE

Je ne crois pas en Dieu. Voilà ce que je t’aurais dit il y a dix ans. Je crois peut-être en un être, ou en une force, ou en un esprit, ou en quelque chose, qu’on ne peut pas comprendre, qui nous dépasse ; une force ou quelque chose qui est dans le monde ou hors du monde, qui l’a peut-être créé, qui l’ordonne peut-être, qui nous regarde peut-être, mais avec laquelle il est vain d’espérer entrer en contact. Cette chose ne parle pas, ne se montre pas, ou rarement, je ne sais pas. Il est inutile d’en discuter puisque nous n’arriverons à aucune certitude. Il se pourrait aussi bien que l’Univers soit dirigé par un monstre en spaghetti volant invisible comme le confessent ironiquement les pastafaristes 9. En fait, ces questions ne me semblaient

9. Le pastafarisme est reconnu comme religion par plusieurs pays !

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d’aucune utilité. Et si Dieu existait ? Il serait ridicule de croire pouvoir trancher entre les différentes religions puisque de brillants personnages n’avaient pas réussi à se mettre d’accord. Et au fond, il serait naïf de prendre au sérieux des écrits millénaires.

Dieu avait eu sa chance

Pourtant, Dieu avait eu sa chance avec moi ; comme toi, je l’ai prié plusieurs fois quand j’étais petit, à mon bureau ou dans mon lit. Comme toi, je lui ai demandé de me parler, de simplement me le dire, s’il existait, ou de me le montrer par un signe. Je me souviens très bien lui avoir demandé d’effacer une tache sur le bois de mon lit pour me prouver son existence. Et comme pour toi, Dieu n’a jamais répondu. Il m’a déçu, on s’est fâché, j’ai définitivement fermé l’Imagerie de la Bible 10 que mes parents m’avaient offerte, et je l’ai oublié.

Je ne connaissais pas vraiment de croyants quand j’étais adolescent, mais certains de mes amis étaient allés au catéchisme. Certes, ils l’avaient fait plus pour se retrouver que pour autre chose. Mais s’ils n’allaient pas à la messe, ils semblaient néanmoins accorder un minimum de valeur aux symboles. Je trouvais cela ridicule. Un jour que nous étions devant une croix immense qui domine la ville où

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10. Émilie Beaumont, L’Imagerie de la Bible, Paris, Fleurus, 1998.

j’ai grandi, et pour leur signifier que je n’accordais à ce Jésus crucifié de cinq mètres aucun pouvoir magique, j’ai baissé mon caleçon pour lui montrer mes fesses, sous leurs regards amusés et consternés. Je ne croyais ni au sacré ni au surnaturel, et je me moquais de ceux qui y croyaient. Cette anecdote a disparu de ma mémoire pour resurgir brusquement la veille de mon baptême. Je pense que Jésus a accusé réception de mon geste. Quelque part, je t’écris en pénitence ! Non, je ne croyais pas en Dieu, pas en ce dieu qu’ils présentent dans la pierre, pas en ce dieu d’où découle la religion, pas en ce dieu barbu, qui crée la terre en six jours, qui a des états d’âme et qui l’inonde, mais je croyais peut-être déjà en Quelque chose. C’est le point de départ.

J’ai remarqué que beaucoup de gens croyaient en Quelque chose, avec plus ou moins de nuances, à tel point que c’est peut-être devenu la première religion du pays. La nature, le karma, le dieu sans religion, la force, l’intuition, le cosmos, un truc. Un principe de justice, d’ordre ou de matière. La Bible était un recueil de contes sympathiques, qu’il fallait bien se garder de prendre trop au sérieux au risque de tomber dedans. Et tout pourrait s’arrêter là.

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Le Quelque chose de Thomas

Au tout début de mon cheminement, en voyant des gens prier Dieu, la question a éclaté : mais c’est quoi, Dieu ? C’est qui ? Je suis alors tombé sur saint Thomas d’Aquin qui m’a répondu depuis son xiiie siècle : « Dieu est l’être dont l’essence est d’exister 11 . » Saint Thomas ne m’a pas été d’un grand secours sur ce coup-là. Je ne savais pas si la définition était stupide ou géniale. J’ai essayé de la décortiquer un peu pour la comprendre. Dieu est un être, c’est-à-dire qu’il est. Saint Thomas ne se mouillait pas beaucoup. Un être qui a une essence, évidemment, c’est-àdire des caractères constitutifs de son être. Je t’explique. L’essence d’une abeille est à la fois sa physionomie, sa manière de se comporter, sa manière d’évoluer dans le temps. Toutes les abeilles partagent cette essence qui fait d’elles des abeilles. L’essence d’une abeille réside aussi dans le fait qu’elle vole, qu’elle butine, qu’elle me piquait quand j’étais petit. Et chaque être existe, ou pas. Représente-toi l’abeille : c’est bien une abeille, mais elle n’existe pas. Celle qui est en face de moi existe puisque je la vois, je l’entends, elle m’agace, je pourrais la toucher si j’étais plus habile. Ton abeille n’existe pas, elle est le fruit de ton imagination ; la mienne existe. Ces deux insectes ont la même

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11. Thomas d’Aquin, De l’être et de l’essence, 1256.

essence, ce sont des abeilles, mais l’une existe et l’autre pas. Chaque être a une essence et une existence. Et quelle est donc l’essence de Dieu ? Quels sont ses caractères constitutifs et invariables ? Exister, nous dit saint Thomas. Existe-t-il ? Oui, par essence. Pour saint Thomas, Dieu existe, parce que c’est sa nature d’exister. Il est. Même si tu ne le vois pas comme mon abeille. Même si tu ne l’imagines pas comme ton abeille. Cette définition de saint Thomas, si elle ne m’a pas ébloui, m’a au moins permis de rentrer avec un peu plus d’humilité dans la recherche de Dieu. Les voies de Thomas

Je sens ta déception et j’étais aussi déçu, mais j’ai donné une deuxième chance à Thomas puisqu’à défaut de m’expliquer clairement ce qu’était Dieu, il m’avait proposé cinq preuves de son existence. J’étais tout ouïe. Je te préviens, au sens où nous l’entendons, ce sont plutôt cinq indices, cinq pistes qui nous mènent à la thèse de l’existence de Dieu. « Premièrement, m’a-t-il dit, nous pouvons procéder par raisonnement causal. » Saint Thomas adore les termes pompeux. « Tout être a une cause, il est la conséquence d’une cause. » Pour faire simple, la montre que je porte au poignet a une cause, elle a été conçue et fabriquée par un horloger, et lui-même a une cause. La cause de l’horloger a une cause. Il en va ainsi

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de tout, et on peut créer des chaînes de causalité, et les remonter en remontant le temps. « Mais ! » Là, Thomas m’a fixé en levant son index en l’air comme pour retenir mes clignements d’yeux 12 . « Aristote l’avait très bien compris : on ne peut pas remonter le temps à l’infini. »

Il est évident qu’il faille s’arrêter à un moment donné sur un être qui cause sans avoir lui-même été causé. Le premier être de la chaîne de causalité, qui a causé tous les autres. « Nous appelons cet être Dieu. » C’était limpide. « Deuxièmement, nous pouvons procéder par raisonnement cinétique. » Tout être est en mouvement, et ceux qui semblent immobiles ne le sont que temporairement. Ils ne sont d’ailleurs immobiles que par rapport à un référentiel donné. Le train que je prends est mis en mouvement par ses roues, et elles-mêmes sont mises en mouvement par quelque mécanisme. On peut, là aussi, remonter dans le temps pour déterminer l’origine des mouvements, mais vient un moment où on ne peut plus remonter : il a bien fallu un premier mouvement qui a mis en mouvement tous les autres. On parle souvent de Big Bang, qu’évidemment Thomas ne connaît pas, mais le Big Bang lui-même doit avoir été déclenché. Un être a dû causer le premier mouvement sans être lui-même en

12. Avant que tu ne te convainques que je suis devenu fou, je te précise que je n’ai pas rencontré Thomas physiquement, mais à travers son legs.

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mouvement. « Cet être immobile, nous l’appelons Dieu. » Je notais.

« Troisièmement, nous pouvons contempler l’excellent ordre de l’Univers. » Je n’ai pas osé faire de blague sur le contrexemple manifeste qu’était son bureau désordonné au possible. Le bureau de saint Thomas d’Aquin mis à part, tout l’Univers est ordonné de l’infiniment petit à l’infiniment grand et les physiciens de tout temps s’en sont toujours étonnés : il y a des lois, nous pouvons anticiper des choses. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cela nous semble évident mais pourquoi devrait-ce l’être ? Les conditions – ô combien invraisemblables – à l’apparition de la vie ont été exaucées. Pourquoi ? Le hasard produit le désordre. Si un ouragan passe par le salon, il est peu probable que celui-ci en ressorte parfaitement rangé. Si le monde était advenu par hasard, il eût été peu probable qu’il fût ordonné. L’ordre est le fruit d’une intelligence : le monde a donc été conçu par une intelligence. « Cette intelligence, qui n’est pas une intelligence humaine et qui n’est pas compréhensible pour l’intelligence humaine, mais qui est un principe d’ordre, nous l’appelons Dieu. » Épatant.

« Quatrièmement, nous pouvons raisonner par contingence. » Je le suivais en remarquant qu’il avait scié un arc de cercle dans son bureau pour pouvoir y rentrer son ventre. « Est contingent un être qui ne porte pas en

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lui-même sa raison d’exister. » Je suis contingent, toi aussi, nous existons parce que nos parents nous ont faits mais nous aurions très bien pu ne pas exister. Nous n’avons pas décidé d’exister. Nous ne nous faisons pas exister. Nos parents eux-mêmes sont contingents. Tout être que nous voyons est contingent, aucun ne peut affirmer qu’il existe par lui-même. De même que précédemment, nous pouvons remonter de contingence en contingence mais nous sentons que nous ne pouvons pas remonter à l’infini et devons arriver à un être qui porte en lui-même sa raison d’exister, ce qu’on appelle un être nécessaire. Cet être nécessaire qui a donné l’existence aux autres, nous l’appelons Dieu.

« Cinquièmement et ultimement, nous pouvons raisonner par finalité. » Tout être conçu par une intelligence a une finalité, un but. Une clé n’est pas créée si elle ne sert pas à ouvrir une certaine serrure. Cette serrure a été faite pour permettre de verrouiller une porte qui, elle-même, a été faite pour pouvoir tantôt accéder à une pièce et tantôt en bloquer l’accès. Cette pièce – une cuisine – est conçue pour que nous puissions préparer à manger, cela dans le but de subvenir à nos besoins vitaux et nous faire plaisir. Tout ceci pour vivre ou pour être heureux ? Mais pourquoi ? Nous pouvons progresser ainsi, mais il faut bien un but terminal. « Ce but terminal, le souverain Bien, est ce que nous appelons Dieu. » Cette

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fois-ci, Thomas m’avait bien éclairé, et je suis reparti avec ce tout petit trésor, me demandant ce que j’allais bien pouvoir en faire. Je te le partage, espérant qu’il te donnera aussi envie d’en savoir plus.

De Quelque chose à Dieu

Dieu, Dieu, Dieu, il parlait beaucoup de Dieu. C’est un terme un peu effrayant. Il m’a souvent dérangé et, à vrai dire, je ne sais pas si tu es, de ton côté, bien à l’aise avec ce mot. Mais après tout, même si j’étais réticent à l’utiliser, ces quelques pistes de réflexion sur Dieu n’étaient pas bien traumatisantes. Dieu n’était pas un corps, il ne parlait pas, il ne pensait pas, il était juste un être auquel nous pouvions arriver assez logiquement – tu en conviendras – et sans invoquer de foi ou de religion. Dieu était juste cause et finalité de tout, à l’origine de tout mouvement, intelligent et nécessaire – dans le sens où il se fait exister. Il n’était pas bien méchant. Et puis, c’étaient juste des petits raisonnements intuitifs, pas des démonstrations rigoureuses 13 .

J’ai découvert ensuite que nous pouvions aller un peu plus loin dans son exploration. Puisque Dieu est la cause

13. Par exemple, que tout être ait été causé implique-t-il que l’univers dans son entièreté ait été causé ? Chaque homme sort du ventre de sa mère mais l’humanité n’a pas de mère.

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première, il a la capacité de créer. Créer avec un C majuscule : faire jaillir l’être du néant. Quelque chose qui dépasse notre entendement et tout ce que nous ayons pu observer. Il faut bien que Dieu en soit capable : il est celui qui a créé à partir de rien. On appelle cela la toute-puissance. Dieu est tout-puissant. Là aussi, j’étais réticent devant ce terme et, si tel est ton cas, garde en tête ce qu’il veut dire : la capacité de Créer. Il n’est pas dans le temps puisqu’il est l’être qui l’a créé en créant le mouvement : il est donc éternel. Il n’est pas corporel, pas physique. Il semble sans bornes, infini. En fait, il est simple : un être qui n’est pas dans le temps, qui est donc stable, qui n’a pas de contours, qui n’a pas de distinctions. Dieu est l’être le plus simple qui soit. Il n’a pas de distinction corps et âme, essence et existence, être et agir. S’il n’a pas de bornes, il est infini en tous ses attributs. Il est intelligent, ordonné, à l’image du monde qui émane de lui. Être infini et infiniment simple, ne connaissant aucune distinction ; il est donc partout, tout le temps, dans toute chose. Dès lors, il devient très difficile de se le représenter. Il ne pense pas puisqu’il n’y a pas de distinction entre ce qu’il est et ce qu’il fait : il n’a pas besoin de réfléchir, de préméditer. On parle d’une pensée performative quand celle-ci agit directement sur le monde. Dieu, lui, est performatif en amont même de la pensée. Ce n’est pas ce qu’il pense qui agit sur le monde mais ce qu’il est. Aristote l’appelle la

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pensée de la pensée, et Aristote était déjà arrivé à toutes ces conclusions. Simple, tout-puissant, cause, fin. Bien, nécessaire, infini, éternel, intelligent. Ni dans le temps, ni corporel, ni réellement compréhensible par notre esprit. On ne peut pas le dessiner, le cerner, le connaître pleinement. Finalement, j’ai trouvé qu’il ressemblait à bien des égards à ce Quelque chose qui rassemble tant d’adeptes : quelque chose qui a créé la matière au début pour certains, quelque chose qui ordonne le monde pour d’autres, quelque chose qui a donné la pichenette originelle, quelque chose qui est capable d’agir parfois, qui est principe de justice. Ainsi, pourquoi ne pas l’appeler Dieu ?

C’est le premier pas que j’ai osé franchir, et je t’invite à me suivre, si tu n’en as pas peur.

AU COMMENCEMENT
Avant -propos .................................................................. 9 Un chemin ....................................................................... 11 Première partie : Je crois en Quelque chose Quelque chose ................................................................. 23 Le raisonnable agnosticisme ........................................ 35 Dieu est amour ............................................................... 43 Deuxième partie : Je crois en la Science Je suis cartésien ............................................................... 57 Science versus religion ................................................... 67 Troisième partie : Je crois en Christ La Bible ............................................................................. 87 Jésus ................................................................................... 97 De la Croix à la chrétienté ............................................ 105 Du mythe à la réalité ..................................................... 113 Quatrième partie : Je crois en l’Église L’Église catholique ......................................................... 121 295
TABLE DES MATIÈRES
JE NE VOULAIS PAS Y CROIRE Pourquoi l’Église ? ......................................................... 129 Morale, société et liberté ............................................... 139 Lumineuse Église ? ......................................................... 159 Cinquième partie : Dieu au présent Deux mille ans après ...................................................... 173 Dieu face au Mal ............................................................ 183 Dieu agissant ................................................................... 195 Dieu exigeant .................................................................. 205 Sixième partie : Le chemin commence Au petit matin ................................................................ 227 Épilogue .......................................................................... 237 Symbole de Nicée-Constantinople ......................... 243 Annexes ........................................................................... 245

Paul est jeune, il aime voyager et boire des bières avec ses amis, il n’a jamais vraiment d’adresse et toujours 10 000 projets sur le feu. Mais, dans sa vie de jeune ingénieur passionné d’histoire et de philosophie, il y a un socle immuable : le besoin de comprendre, de démontrer, de prouver.

Pour un esprit cartésien comme le sien, croire en Dieu n’est pas logique et il range bien vite sa Bible pour enfants dans un carton, avec les contes et légendes de ses premières années. Pourtant, alors même que cela lui paraît impossible, alors même que la question de Dieu ne suscite en lui qu’une indifférence parfois moqueuse, il fait une rencontre. La rencontre qui bouscule les certitudes et les démonstrations, la seule rencontre qui pousse à tout remettre en cause : celle de Dieu.

Au fil des pages de cet ouvrage plein d’humour et d’une richesse théologique rare, Paul fait sa profession de foi. Un Credo décortiqué, mesuré et argumenté. Le Credo des jeunes d’aujourd’hui.

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D.R.
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