Victor Hugo un romantique au coeur de la tourmente

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vraishéros • v raies histoires

au cœur de la tourmente Un romantique

Vict Hugo SYLVIE BAGES

vraishéros • vraies histoires

Un romantique au cœur de la tourmente SYLVIE BAGES

Illustration de couverture : Corey Egbert

mame

Direction : Guillaume Arnaud

Direction éditoriale : Sophie Cluzel

Édition : Marie Rémond, assistée de Clémence Delorme

Direction artistique : Thérèse Jauze

Direction de la fabrication : Thierry Dubus

Fabrication : Audrey Bord

Mise en page : Patrick Leleux PAO

© Mame, Paris, 2023

57 rue Gaston Tessier, CS 50061, 75166 Paris Cedex 19

www.mameeditions.com

ISBN : 978-2-7289-3377-8

MDS : MM33778

Tous droits réservés pour tous pays.

« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. »

I LA JEUNESSE

Chapitre 1

Aux Feuillantines

J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère, Trois maîtres : un jardin, un vieux prêtre et ma mère1 .

Paris, septembre 1809.

Victor et Eugène jouaient dans le salon quand Sophie, leur mère, pénétra dans la pièce, tout excitée : – Les enfants ! s’écria-t-elle, je nous ai trouvé une nouvelle maison !

Les deux frères se précipitèrent.

1. « Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 », Les Rayons et les Ombres, 1840.

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LA JEUNESSE

– C’est où ? C’est comment ? S’il te plaît, petite mère, allons-y tout de suite ! crièrent-ils en virevoltant autour de ses amples jupes.

Sophie se mit à rire devant ce tourbillon.

– C’est trop tard pour aujourd’hui, mais nous irons demain, c’est promis. Dînons, à présent.

Inutile de dire qu’Eugène et Victor furent debout aux aurores, le lendemain, et eurent tôt fait d’expédier toilette et petit déjeuner. Sophie s’enveloppa dans son châle en cachemire et prit les enfants par la main. Une marche rapide les conduisit impasse des Feuillantines, devant une propriété bordée de hauts murs. C’était un ancien couvent. Ils franchirent un portail, traversèrent une cour et découvrirent l’appartement.

– Tout le rez-de-chaussée est pour nous, chacun aura sa chambre, expliqua la mère. Alors, que pensez-vous de la taille de ce salon, de ces grandes fenêtres, de la hauteur des plafonds ?

Nul ne lui répondit. Elle n’entendit qu’une exclamation enthousiaste et la course effrénée des galoches2 sur les dalles : les enfants venaient de découvrir le jardin !

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2. Chaussures à dessus de cuir et semelles de bois.

Le premier vrai souvenir du jeune Victor Hugo, ce fut ce jardin. Il avait sept ans, Eugène en avait neuf, et un monde merveilleux s’ouvrait sous leurs yeux : des parterres de fleurs, une allée de marronniers majestueux, des arbres fruitiers, des vignes grimpantes, les ruines d’une vieille chapelle, puis, au fond du parc, une espèce de forêt vierge faite de grands arbres et de buissons enchevêtrés. Les gamins coururent à perdre haleine à travers les allées.

– À cette branche, nous attacherons une balançoire, suggéra Eugène.

– Regarde, un lézard ! s’écria Victor. Il vient de filer par un trou dans ce puits !

Il désignait un puisard à sec, peu profond.

– Ce sera le donjon de notre château fort.

– Oh ! Du raisin !

Mme Hugo et le propriétaire de la maison avaient suivi les enfants et riaient de leur enthousiasme. Victor leva vers les adultes un regard suppliant :

– Pouvons-nous en manger ?

– Mangez-en autant que vous voudrez, répondit le propriétaire. Ce raisin pousse exprès pour les oiseaux et les petits enfants.

5 Aux Feuillantines

En semaine, Victor et Eugène avaient le jardin rien que pour eux. Mais le dimanche ramenait leur grand frère Abel, onze ans, et les enfants de Pierre et AnneVictoire Foucher, amis de leurs parents : Victor, sept ans, et la petite Adèle qui n’en avait que six. La bande était alors au complet et faisait les quatre cents coups dans le jardin.

– Pas si haut ! glapissait Adèle, mi-excitée, mi-terrorisée, cramponnée à la balançoire que ses camarades poussaient presque à la verticale.

Eugène avait trouvé une brouette dans la chapelle où le jardinier entreposait ses outils. On y fit asseoir la fillette et on lui banda les yeux.

– Devine où tu es ? disaient les garçons en la transportant à toute vitesse à travers les allées.

Adèle ne trouvait jamais, ce qui faisait bien rire les garnements qui l’abandonnaient ensuite derrière un fourré et se sauvaient en courant.

Mais le plus souvent, ces garçons bercés par les exploits militaires de leurs pères et de leurs oncles, officiers au service de Napoléon Ier, jouaient à la guerre. Le puisard

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LA JEUNESSE

servait tour à tour de fortin3, de redoute4 ou de dunette5 de vaisseau corsaire, selon l’humeur des belligérants6.

Cependant, il ne s’agissait pas que de s’amuser. Abel, collégien, était pensionnaire durant la semaine. Trop jeunes pour aller au collège, Eugène et Victor furent placés dans une école du quartier tenue par M. et Mme La Rivière.

– Mais, s’exclama Mme La Rivière qui s’occupait d’enseigner la lecture aux plus jeunes élèves, votre petit

Victor sait déjà lire !

– Je vous assure qu’il n’a pourtant jamais été scolarisé, répondit Sophie, étonnée. Elle se tourna vers Victor :

– Qui t’a appris ?

– Personne ! répondit l’enfant. J’ai vu les lettres en devanture des magasins, et puis je suis les lignes sur les livres quand tu me racontes des histoires.

3. Fortification, abri militaire.

4. Petit fort de terre ou de maçonnerie.

5. Structure élevée sur le pont arrière d’un navire.

6. Combattants.

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Il lui restait à apprendre l’écriture, ainsi que la grammaire et l’orthographe. Quelques mois plus tard, Mme La Rivière fit faire une dictée aux enfants. Victor s’en tira avec une seule faute : il avait oublié le « o » du mot « bœuf » ! Il put passer dans la classe supérieure, où M. La Rivière enseignait le latin de Virgile et le grec d’Homère.

LA JEUNESSE

Chapitre 2

L’intermède espagnol

C’était un Espagnol de l’armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié 7 .

Paris, janvier 1811. Un jour, à l’heure du déjeuner, on frappa à la porte.

C’était un homme portant un bel uniforme de colonel.

Sophie pâlit :

– Louis ! s’exclama-t-elle. Serait-il arrivé quelque chose à Léopold ?

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7. « Après la bataille », La Légende des siècles, 1859-1883.

– Rassurez-vous, ma chère belle-sœur, sourit l’officier, je n’apporte que de bonnes nouvelles.

– Eugène, Victor, venez embrasser votre oncle. Louis est le frère de votre père. Claudine, hâtez-vous de rajouter un couvert.

Un peu intimidés, les deux garçons vinrent saluer l’officier qui, avec l’éclat de son sabre, les broderies de son uniforme et l’or de ses épaulettes, leur faisait l’effet de « l’archange saint Michel dans un rayon8 ».

Impossible de faire coucher les enfants, ce soir-là, tant ils étaient captivés par les histoires que racontait leur oncle. Outre ses propres souvenirs de bataille, Louis leur apprit les exploits de leur père en Espagne. Les deux officiers avaient suivi Joseph Bonaparte, frère de Napoléon Ier, devenu roi de ce pays. Ils y avaient gagné de belles promotions.

– Grâce à son courage, votre père a maté la guérilla à Avila, Ségovie et Soria. En récompense, le roi Joseph l’a élevé au grade de général et l’a nommé gouverneur de Guadalajara et comte de Sigüenza.

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8. Adèle Foucher, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, 1863.

Louis se tourna vers sa belle-sœur :

– Chère Sophie, pour la bonne tenue morale de sa cour, le roi Joseph insiste pour que la famille de son général soit réunie. Il faut donc vous préparer à venir en Espagne.

– Mais l’Espagne n’est pas entièrement pacifiée ! se récria Sophie. Les routes ne sont pas sûres !

– En tant qu’épouse de général, vous bénéficierez d’une escorte armée.

– Et l’éducation des enfants ?

– Mon frère entend faire entrer ses fils dans le corps des pages du roi.

Ravis, les petits garçons battirent des mains.

– Eugène et Victor sont encore trop jeunes.

– Il y a un excellent collège à Madrid. Voyons, Sophie, ne seriez-vous pas heureuse de profiter de la bonne fortune de Léopold et de paraître à la cour du roi ?

Ces dernières raisons emportèrent la décision de la femme. Dès le lendemain, en rentrant de l’école, les frères trouvèrent une grammaire et un dictionnaire espagnols sur la table de leur chambre.

11 L’intermède
espagnol

– Vous avez intérêt à vous y mettre tout de suite, dit leur mère. Dans trois mois, nous partons en Espagne ! Paris, 10 mars 1811.

Un empilement de malles devant la porte cochère, trois enfants aux yeux ensommeillés, une dame au bord de la crise de nerfs donnant ses ordres aux domestiques affairés, telle était l’atmosphère, en ce matin de mars, impasse des Feuillantines. Les bagages venaient d’être arrimés sur le toit de la diligence. Sophie, Abel et les domestiques Claudine et Bertrand prirent place à l’intérieur. Les deux plus jeunes levèrent la tête : au-dessus du cocher, il y avait de la place sur l’impériale.

– Maman, s’il te plaît, laisse-nous monter, Eugène et moi, supplia Victor, ce sera plus amusant de dominer le paysage de là-haut plutôt que de faire la route dans la berline !

Abel, le grand frère, rit sous cape :

– Maman, laisse-les monter… et attends que le vent et la pluie leur fassent changer d’avis !

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LA JEUNESSE

Blois, Angoulême, Bordeaux, Bayonne enfin, après dix jours de route… Que de villes traversées, de paysages variés, de rivières franchies sur des ponts, des bacs ou des gués ! Que de nuits passées dans des auberges plus ou moins confortables ! Le jeune Victor ouvrait grand ses yeux et ses oreilles. Ce n’était pourtant pas son premier voyage. La famille avait tellement changé de résidence depuis qu’il était petit ! Il était né à Besançon le 26 février 1802, mais les Hugo avaient quitté cette ville quelques semaines plus tard pour suivre Léopold, chef de bataillon, au gré de ses nominations à Marseille, Bastia puis Porto Ferrajo, sur l’île d’Elbe. Sophie n’aimait pas cette dernière ville, et des disputes de plus en plus fréquentes déchiraient le couple. La mère avait finalement décidé de rentrer à Paris avec ses fils, en novembre 1803. Elle avait bien voulu rejoindre son mari à Naples, entre 1807 et 1808, un séjour qui s’était soldé par de nouvelles disputes, une autre séparation et le retour de l’épouse à Paris avec les enfants. Victor était donc issu d’une famille nomade, mais c’était le premier voyage dont il garderait des souvenirs durables.

13 L’intermède espagnol

Seulement, avant de parvenir à Madrid, que de péripéties ! Considérés comme des agresseurs, les Français n’étaient pas bien vus par la population espagnole. Victor et sa famille durent voyager en convoi de plusieurs dizaines de véhicules, sous la protection d’une forte troupe armée et de quatre canons, afin d’éviter les attaques de la guérilla. Une fois les Pyrénées franchies, les enfants découvrirent des paysages rudes, des routes cahoteuses où la poussière se transformait en boue au moindre orage, rendant la progression difficile. On dormait à la dure dans des villages incendiés. Il y avait l’angoisse des embuscades, les coups de feu la nuit…

Enfin, le 11 juin, la petite famille arriva saine et sauve à Madrid et fut logée dans le somptueux palais du prince de Masserano réquisitionné par l’armée française. Mais quelle déception pour Abel, Eugène et Victor ! Leur père Léopold Hugo n’était pas là pour les accueillir…

Madrid, automne 1811. Assis à la table d’étude, Victor regardait tomber la pluie à travers les étroites fenêtres grillagées du collège des Nobles, dans le monastère San Antonio.

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LA JEUNESSE

– Il fait froid dans ce couvent sinistre et j’ai faim ! se plaignit-il à l’oreille de son frère.

– À cause de la guerre, c’est la disette9 dans la capitale, répondit Eugène sur le même ton. Et on ne peut pas chauffer cet immense bâtiment juste pour vingt-quatre pensionnaires.

Les garçons comptaient les jours depuis ce fatal mois de juillet où, sur ordre de leur père, ils avaient été arrachés aux jupes de leur mère pour être enfermés dans ce collège. Leur grand frère Abel, lui, avait eu la chance d’intégrer le corps des pages du roi.

– Qu’avons-nous fait à Papa pour qu’il nous traite si durement ? soupira le benjamin de la famille.

Eugène ne répondit pas. Plus âgé, il avait compris ce que les adultes évoquaient à mots couverts. Léopold Hugo menait sa vie à sa guise en Espagne. Il n’avait pas été mis au courant de la venue de sa femme, et sa réaction avait été vive en l’apprenant. Il avait aussitôt intenté une action en divorce, et seule l’intervention du roi Joseph, à la requête de Sophie, avait interrompu le

15 L’intermède
espagnol
9. Manque de nourriture, famine.

processus. Il avait trouvé le meilleur moyen de nuire à sa femme : la séparer de ses enfants chéris, sous couvert de veiller à leur éducation. Il aimait profondément ses garçons, mais il était ulcéré par l’attitude de son épouse et sa hargne retombait sur ses fils.

– En plus, c’est difficile de nous faire des copains, reprit Victor. Comme ils sont espagnols, les autres élèves nous traitent en ennemis.

– Il n’y a pas que ça, ricana Eugène. Ils nous en veulent surtout d’être meilleurs qu’eux !

En effet, vu le niveau de latin des deux petits Français, les moines qui administraient le collège n’avaient pu faire autrement que de les mettre en classe de rhétorique avec des camarades beaucoup plus âgés qu’eux !

Cependant, Sophie Trébuchet, qui était une femme de caractère, ne restait pas inactive. Elle ne se résignait pas à la séparation et harcelait Joseph Bonaparte de ses récriminations. Lassé, le roi dit à son général :

– Ma volonté est que vous ne donniez pas ici un exemple scandaleux en ne vivant pas avec Mme Hugo. Je ne vous cache pas que je préfère me passer de vos services

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plutôt que d’assister au spectacle qu’offre votre famille depuis trois mois !

Les époux transigèrent : Abel, l’aîné, resterait auprès de son père, tandis que Sophie rentrerait à Paris en ayant obtenu la garde des deux plus jeunes, assortie d’une pension alimentaire en rapport avec le rang de son mari.

Le 3 mars 1812, Victor, Eugène et leur mère reprenaient le chemin de Paris. Le voyage de retour fut encore plus éprouvant que celui de l’aller, car les insurgés espagnols, aidés par les Anglais, avaient déclaré une guerre totale à l’occupant français. Dans les deux camps, toutes les atrocités étaient permises. À Vitoria, les enfants virent un condamné que des pénitents encagoulés traînaient au supplice. Un peu plus loin, ce fut le corps d’un soldat français cloué sur une croix… Ces visions d’horreur s’imprimèrent durablement dans l’esprit du petit Victor.

L’intermède
espagnol

Chapitre 3

Retour aux Feuillantines

Tout le jour, libre, heureux, seul sous le firmament, Je pus errer à l’aise en ce jardin charmant10 .

Paris, avril 1812.

– Quel bonheur de retrouver notre chez-nous ! soupira Eugène.

– Et notre jardin, ajouta Victor en sautant de la diligence.

La maison était telle qu’ils l’avaient quittée, bien entretenue en leur absence par les bons soins de Mme La Rivière.

10. « Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 », Les Rayons et les Ombres, 1840.

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Après cet intermède espagnol, la vie reprit son cours tranquille. Les enfants fréquentèrent à nouveau leurs amis Victor et Adèle Foucher, mais le temps des amusements folâtres dans le jardin était révolu. Victor Foucher, pensionnaire, ne venait plus aussi souvent. Quant à Adèle, elle était devenue une vraie petite demoiselle qui préférait aux activités des garçons les travaux d’aiguille auprès de sa mère.

– Vous êtes trop grands, à présent, pour aller à l’école du quartier, décréta Sophie. J’ai demandé à ce bon M. La Rivière de venir vous donner des cours particuliers en fin de journée, et il a bien voulu accepter.

Les garçons applaudirent : ils adoraient leur vieux maître !

– Mais le reste du temps, pas question de demeurer sans rien faire ! continua leur maman. Le jardinier de notre propriétaire se fait vieux, il sera content que vous lui donniez un coup de main pour l’entretien du jardin.

– Bonjour, M. Royol ! lancèrent d’une seule voix Victor et Eugène au curieux personnage à redingote, bas

19 Retour
aux Feuillantines

de soie et perruque poudrée à la mode d’avant la Révolution, en pénétrant dans son cabinet de lecture11.

– Bonjour, mes jeunes Messieurs, rétorqua le bouquiniste avec le plus grand sérieux en récupérant les livres reliés de cuir que les enfants lui tendaient.

Les deux frères disparurent aussitôt parmi les rayons. Sous prétexte de choisir des livres pour leur maman, Eugène et Victor passaient des heures dans le cabinet de lecture. Ils y dévoraient pêle-mêle les récits de voyage du capitaine Cook, les œuvres de Voltaire ou de Rousseau, des poésies et des romans sentimentaux à la mode, des tragédies de Racine et de Corneille, mais aussi les ouvrages plus lestes de Restif de La Bretonne ou Les Amours du chevalier de Faublas.

– Chère madame, dit un jour M. Royol à Sophie, pensez-vous que de tels ouvrages doivent être mis à la portée d’enfants aussi jeunes ?

– Les livres n’ont jamais fait de mal à personne, répliqua Mme Hugo. Si mes fils n’y comprennent rien,

11. Les cabinets de lecture permettaient aux gens, même peu fortunés, de lire des journaux ou des livres, soit sur place, soit en les empruntant, moyennant quelques sous, comme les bibliothèques publiques de nos jours.

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LA JEUNESSE

ils ne les liront pas. S’ils les comprennent, c’est que ces livres sont à la portée de leur intelligence.

Vendéenne, Sophie Trébuchet nourrissait des sentiments royalistes qu’elle devait dissimuler sous le règne de Napoléon Ier, mais elle avait été élevée par une tante voltairienne qui lui avait inculqué la philosophie des Lumières12. Elle souhaitait donc éduquer ses fils en toute liberté. Mais parfois, elle avait des doutes sur les bienfaits de sa méthode.

Un jour, un grave personnage, laid, chauve et vêtu de noir demanda à parler à Mme Hugo. Victor se tapit dans l’ombre afin d’assister à l’entrevue. L’homme ne lui disait rien qui vaille !

– Je suis le proviseur du lycée Napoléon, se présenta l’individu d’un ton onctueux. Je me permets de vous rendre visite pour vous parler de vos enfants.

– Mes enfants ? se récria Sophie. Qu’ont-ils donc fait ?

12. Mouvement intellectuel européen du xviiie siècle, dont le but était de dissiper l’obscurantisme religieux par la diffusion du savoir philosophique et des connaissances scientifiques : Diderot, Voltaire et Rousseau en sont les principaux représentants.

21 Retour aux Feuillantines

– Ils sont en âge d’entrer au lycée. Des garçons ne peuvent demeurer éternellement dans le giron maternel. Vous gâchez leurs chances d’avenir en ne les scolarisant pas dans une maison sérieuse qui saura leur inculquer, outre de solides connaissances, les notions d’effort et de discipline indispensables aux jeunes gens de leur âge. Il importe qu’ils soient repris en main par des maîtres, il convient…

Victor n’écoutait plus. Terrorisé par l’homme en noir, il fila au fond du jardin, revoyant dans son esprit les hauts murs sombres, les tristes salles de classe et les moines austères du collège madrilène. La prison ! Après le départ du proviseur, il attendit avec appréhension le verdict de sa mère. Pendant quelques jours, elle parut hésiter sur la conduite à tenir. Finalement, elle ne changea rien à son mode d’éducation.

Mais d’autres événements allaient se charger de bouleverser le quotidien de la petite famille.

Paris, juin 1813.

– Oh ! s’exclama Sophie en lisant le journal. Ses fils levèrent la tête, intrigués.

22
LA JEUNESSE

– Que se passe-t-il ?

– Le roi Joseph Bonaparte vient d’être vaincu par les insurgés espagnols alliés aux Anglais ! À présent, les troupes françaises doivent être évacuées. J’espère que tout va bien pour Abel, soupira-t-elle.

– Et pour Papa ! ajoutèrent Eugène et Victor, alarmés.

– Oui, bien sûr, pour votre père aussi.

Sophie était surtout inquiète des suites financières de l’aventure. Si Léopold perdait son grade et ses titres, cela se ressentirait sur la pension qu’il lui versait et donc sur le train de vie de la famille.

En septembre, un jeune homme vint sonner à la porte.

– Abel ! crièrent en chœur Victor et Eugène, tandis que leur mère embrassait son fils aîné.

Comme il avait changé ! Du haut de ses quinze ans, c’était presque un homme à présent. Le séjour en Espagne, l’école militaire, la retraite précipitée de l’armée française, tous ces événements l’avaient mûri.

Paris, décembre 1813.

– Mes enfants, dit un jour Sophie, la mine sombre, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer : la ville de

23 Retour
aux Feuillantines

Paris a décidé d’exproprier les habitants du jardin des Feuillantines afin de prolonger la rue d’Ulm. Nous devons donc déménager.

– Oh non ! se récrièrent les garçons.

– Je sais, je partage votre déception, mais nous ne pouvons rien y faire. Pierre et Anne-Victoire Foucher m’ont parlé d’un appartement à louer en face de l’hôtel où ils habitent.

Le 31 décembre, les Hugo déménagèrent rue des Vieilles-Tuileries. Sophie occupa le rez-de-chaussée et le deuxième étage fut dévolu aux garçons.

LA JEUNESSE
215 Table des matières I – LA JEUNESSE Chapitre 1 : Aux Feuillantines 3 Chapitre 2 : L’intermède espagnol 9 Chapitre 3 : Retour aux Feuillantines ......................................... 18 Chapitre 4 : La Goton 25 Chapitre 5 : La pension Cordier 31 Chapitre 6 : Les premiers pas d’un poète 39 Chapitre 7 : La statue de Henri IV 44 Chapitre 8 : Adèle Foucher ........................................................................ 49 Chapitre 9 : Une mort cruelle 58 Chapitre 10 : Le mariage 65
216
II – LA MATURITÉ Chapitre 1 : Le sacre de Charles X 79 Chapitre 2 : Hernani et le théâtre romantique 85 Chapitre 3 : Le pater familias................................................................... 97 Chapitre 4 : Le Dernier jour d’un condamné 103 Chapitre 5 : Notre-Dame de Paris 108 Chapitre 6 : Le choléra 115 Chapitre 7 : Juliette ............................................................................................ 119 Chapitre 8 : Léopoldine 124 Chapitre 9 : La révolution de 1848 130 III – LE PROSCRIT Chapitre 1 : La Belgique 139 Chapitre 2 : Jersey................................................................................................. 144 Chapitre 3 : Hauteville House........................................................... 150 Chapitre 4 : Les Misérables 157 Chapitre 5 : La dispersion de la famille 162 Chapitre 6 : L’Année terrible .................................................................. 170 Chapitre 7 : L’Art d’être grand-père.............................................. 179 Chapitre 8 : Dernières années 186
Victor Hugo
DOSSIER DOCUMENTAIRE Généalogie de Victor Hugo ..................................................................... 196 Les ouvrages de Victor Hugo 198 Chronologie comparée 202 Victor Hugo et la politique....................................................................... 206 Victor Hugo et la littérature .................................................................... 209 Les amis de Victor Hugo 212
Victor Hugo

Tout le monde connaĭt Quasimodo, Cosette ou Jean Valjean, mais qui connaĭt vraiment la vie foisonnante de l’homme qui façonna ces personnages à l’encre de sa plume ?

Victor Hugo, dont les écrits et les engagements eurent un rayonnement culturel et politique, a vécu une vie pleine de rebondissements, entre la France et les îles anglosaxonnes. Petit poète rêveur qui jouait avec les rimes, romantique frondeur qui refusa de se plier aux règles établies, père qui fit face à tant de drames… Des Feuillantines à l’île de Guernesey, découvrez les différentes facettes de l’auteur des Misérables et d’autres grandes œuvres de la littérature française.

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