
K ARINE -M ARIE A MIOT


I LLUSTRATIONS DE J ULIE M ELLAN








LES MERVEILLEUSES

K ARINE -M ARIE A MIOT
I LLUSTRATIONS DE J ULIE M ELLAN
Mes chers enfants, cette nuit-là, toutes les petites souris du château se sont donné rendez-vous à la bibliothèque. Mais chut ! Pas un mot ! Que cela reste entre nous. C’est un secret !
Elles ont sauté de leurs lits, en chemise de nuit, alors que tout le monde dormait dans le château et que, dehors, la neige tombait sans bruit... Elles ont enfilé leurs petits chaussons et ont trotté, discrètes, pour ne pas faire craquer le beau parquet ciré. Les gourmandes ont même grignoté une boîte entière de petits gâteaux croquants, ces délicieux petits gâteaux que l’on appelle des macarons. Puis chacune a choisi un livre, s’est installée au coin du feu et s’est envolée au pays des contes.
Soudain, une porte grince. Ni une ni deux, les petites souris courent se cacher. Quelle frayeur ! La porte s’ouvre alors juste assez pour laisser passer un chat très sérieux, un chat avec une très, très longue queue. Il avance à pas de velours, dans son costume de scène, queue-de-pie, nœud papillon et haut-de-forme. On dirait un prince ! Les petites souris sont toutes tremblantes. Les unes derrière les gros rideaux de velours rouge, les autres entre deux livres de la bibliothèque, une dernière sous le tapis moelleux. Comme ce chat a de grandes moustaches !
Les souris attendent, sans respirer, les yeux fermés. Notre matou de prince retire son chapeau, s’installe au piano, déplie une partition et ses griffes se promènent avec agilité sur le clavier, trouvant un joli chemin entre les touches.
Comme c’est beau ! Magique, tendre et délicat ! À la fin du morceau, oubliant sa peur, la petite souris cachée sous le tapis applaudit : Bravo !
Le gros chat s’approche d’elle, furieux :
Je ne savais pas que j’avais des spectateurs ! Je n’avais pourtant invité personne. Ouste ! Va-t’en !
Puis il se remet au piano, balaie la pièce du regard, hésite, et reprend sa musique. Les notes s’envolent, comme la première fois…
Derrière la porte, la souris punie n’en perd pas une miette. Soudain, une autre souris, cachée derrière les gros rideaux, se met à fredonner, entraînée par la mélodie joyeuse. Aussitôt, le chat s’approche d’elle, le regard noir et courroucé :
Ah ! Tu étais là, toi aussi ! Décidément, ce n’est pas possible !
Ouste ! Va-t’en !
Le musicien se remet au piano et attend longtemps avant de recommencer à jouer. Puis le piano résonne à nouveau dans la bibliothèque. Derrière la porte, les deux petites souris punies tendent l’oreille. Soudain, toutes leurs amies souris sortent ensemble de leurs cachettes et se mettent à danser et à faire des pirouettes. Le chat s’arrête net :
Ce n’est pas possible !
Une souris courageuse s’approche alors. Elle a bien compris que ce chat n’est pas comme les méchants chats qui mangent les souris, mais que c’est un chat musicien, distingué et très bien éduqué. Un chat de salon, en somme. Mais un chat ronchon !
Elle essaye de l’apprivoiser :
— Vous êtes très doué mais ce n’est pas bon pour la santé de râler tout le temps, monsieur le Pianiste. Pourquoi avoir cette mine de chat fâché ?
— C’est que... je suis timide, avoue le chat en baissant les yeux. Je n’aime pas jouer en public. J’ai peur de me tromper, de faire des fausses notes…
Il reprend, la voix nouée et les yeux remplis de larmes :
Je redoute que l’on se moque de moi. C’est pour cela que je joue la nuit, quand tout le monde dort… enfin quand, d’habitude, tout le monde dort.
Voyons, ne vous mettez pas dans des états pareils, lui répond la souris. Vous voyez, nous, nous aimons beaucoup votre musique. Elle nous donne envie de danser.
Oh oui ! Vous nous faites rêver, monsieur le Chat.
Votre musique nous emporte loin…
Grâce à vous, on se croirait à l’opéra.
Vraiment ? s’étonne le chat. Alors, en piste, mes amies ! Et que le ballet commence !
On raconte que les petites souris ont dansé toute la nuit, que le chat est devenu leur meilleur ami et qu’ils se sont donné bien souvent rendez-vous ainsi. Mais chut ! C’est un secret. Que cela reste entre nous...
Cette année-là, l’hiver arrive tout d’un coup avec le grand vent du Nord qui fait frissonner les marmottes. Tinotte est encore petite puisqu’elle est née au printemps, tout là-haut dans la montagne.
— Oh ! Qu’est-ce que c’est ? s’écrie Tinotte, tout excitée, en passant la tête hors du terrier. Viens vite voir, Craquotte !
— C’est de la neige, lui explique sa grande sœur. Ça tombe du ciel, comme un cadeau ! C’est blanc, c’est beau, doux et léger.
Les deux sœurs sortent du terrier et valsent au milieu des flocons. Et elles ne s’aperçoivent pas que quelqu’un est arrivé…
Tinotte sursaute :
Oh ! Je ne t’avais pas vu ! Mais qui es-tu ? demande-t-elle, intimidée, en se cachant derrière sa grande sœur.
Tu ne me reconnais pas ? s’étonne l’animal. Nous avons joué ensemble tout l’été !
La petite marmotte réfléchit.
Non ! Je ne t’ai jamais vu, moi, répond-elle. Mais si, rit Craquotte. C’est Mathurin !
— Pas du tout, s’écrie Tinotte. Mathurin a des poils tout bruns !
En été et en automne, je suis brun, lui répond son ami. Mais, quand arrive l’hiver, je deviens blanc comme la neige.
— Ça alors, c’est rigolo, poursuit Tinotte. Donc, quand tu es caché, personne ne peut te trouver ?
On essaye ? propose Mathurin en détalant.