Le choix du chevalier

CHEVALIER choix DU Le

D’ APRÈS SAINT I GNACE DE L OYOLA

À Jean-Baptiste, qui rêva d’être chevalier et fut bien plus.

« Si ne fût-ce qu’un seul enfant profite de mes enseignements, mon temps et mes fatigues me paraîtront bien employés. »

Saint Ignace de Loyola

CHAPITRE 1

Le vainqueur du tournoi

« Saül répondit à David : “Tu ne peux pas marcher contre ce Philistin pour lutter avec lui, car tu n’es qu’un enfant, et lui, c’est un homme de guerre depuis sa jeunesse. ” »

1 S 17, 33

Les épées se croisent dans un fracas qui fait trembler la foule. Deux chevaliers s’affrontent dans un combat singulier. Depuis les gradins décorés de bannières colorées, les spectateurs soutiennent Rodrigo. Il est le chouchou du public parce qu’il est le plus petit des chevaliers et qu’il montre un courage physique incroyable. Malgré sa petite taille, il a déjà remporté l’épreuve de tir à l’arc, et il s’est illustré en joute. Son rival, qui le dépasse de deux têtes, commence à s’essouffler et à moins bien encaisser les attaques. Rodrigo feinte, bondit puis, avec une passe violente et précise, renverse son adversaire et s’empare de son arme.

La foule qui tient son vainqueur se met à hurler de joie. Rodrigo aide l’autre chevalier à se relever, lui serre la main, puis brandit son épée vers le public qui l’acclame.

Le bruit des applaudissements étourdit le petit chevalier. Il retire son heaume pour reprendre ses esprits.

– Incroyable ! Ce chevalier a un visage d’enfant, s’exclame une jeune fille dans le public en lui soufflant des baisers.

Rodrigo baisse les yeux. C’est vrai, il n’est qu’un enfant…

– La valeur n’attend pas le nombre des années, lui fait remarquer son oncle qui l’a rejoint dans la lice pour le féliciter. Malgré ton jeune âge, tu as fait preuve de vaillance et d’adresse. Tu as battu, ces deux derniers jours, des guerriers expérimentés. Chacune de tes flèches a fait mouche. Aucun chevalier n’a réussi à te désarçonner lors des joutes, et à la fin tu remportes le tournoi avec ce duel à l’épée !

– C’est ton épée ! répond modestement Rodrigo en rendant à son oncle l’arme que celui-ci lui a prêtée la veille.

Une autre lame plus pure t’attend… ainsi qu’un avenir brillant.

Le vieux chevalier ne cache pas sa fierté et pousse son écuyer à marcher vers son prix et vers la gloire.

CHAPITRE 2 Le doute

« Guerrier valeureux, porte l’épée de noblesse et d’honneur ! Ton honneur, c’est de courir au combat pour la justice, la clémence et la vérité. »

Ps 44, 4-5

Rodrigo a du mal à mettre un pied devant l’autre. Pourtant, quelques jours plus tôt, il n’a pas hésité une seconde à entrer en lice, monté sur le cheval de son oncle. Maintenant, le jeune adolescent réalise qu’il vient de remporter le tournoi le plus prestigieux du royaume…

La vérité, c’est qu’il n’est même pas encore chevalier, juste écuyer. Rodrigo a remplacé son oncle car celui-ci s’était blessé. Le seigneur d’Alumbria, qui organise le tournoi, a autorisé la participation de l’écuyer au dernier moment, en oubliant de lui demander son âge.

Et voilà que trois jours plus tard, Rodrigo s’incline devant la fille du seigneur d’Alumbria pour recevoir le prix du vainqueur.

La dame, vêtue d’une robe somptueuse, lui remet une coupe d’or et une épée en acier de Tolède. Pour ajouter au trouble de Rodrigo, la jeune femme dépose un baiser sur une rose avant de la fixer à la boutonnière du champion.

Le soir même, un festin est donné en l’honneur du vainqueur. Entre deux ballades jouées par les ménestrels, Rodrigo est sollicité par tous les puissants du royaume.

Le seigneur d’Alumbria en personne lui propose de le prendre à son service. En échange de son engagement, il lui promet deux chevaux, une armure argentée et des terres. Au-delà de ces trésors, Rodrigo entrevoit aussi le sourire de la jeune fille à la rose.

Le duc de Cardolan, qui est le seigneur de son oncle, lui propose également de le faire chevalier. Il lui offre un château en Espagne, des causes justes à défendre, une vie d’aventures. Rodrigo assure à chacun qu’il va réfléchir à toutes les propositions.

Le lendemain, il se lève avant l’aube et presse son vieux maître :

– Que faire mon oncle ? Mon esprit bondit d’un rêve à l’autre : un château à protéger, les chevauchées à travers l’Espagne, les hourras des tournois, un départ pour la guerre, le sourire des princesses. Et si tout cela me rendait malheureux ? Une vraie bataille se livre dans ma tête : servir le seigneur d’Alumbria ? Ou comme vous, servir le duc de Cardolan ? J’ai demandé la solution à Dieu, mais il est resté silencieux.

– Dieu respecte ta liberté mon enfant. Et moi aussi. Sois patient, la réponse viendra en temps voulu.

– Je ne pensais vraiment pas remporter ce tournoi.

Ni être fait chevalier si tôt. Peut-être faut-il laisser le hasard décider ? Pile Alumbria, face Cardolan ? dit le jeune garçon en jetant une pièce d’argent au-dessus de sa tête.

Le vieux chevalier rattrape la pièce au vol.

– Ta décision mérite réflexion ! Le bien est caché, il faut parfois chercher longtemps pour le trouver.

Je connais un célèbre chevalier qui guidera ton âme.

– Qui donc, mon oncle ?

– Ignace de Loyola.

– J’ai entendu parler des voyages et des exploits

d’Ignace de Loyola. Il a défendu la ville assiégée de Pampelune avec bravoure. Même le boulet de canon qui a traversé son corps n’a pas réussi à le tuer. J’ai hâte de rencontrer ce héros.

Déjà, Rodrigo selle son cheval. Son oncle sourit, il reconnaît bien là son écuyer : toujours prêt à l’action !

– Va, cours, vole, et puisse Dieu inspirer ton choix !

souffle-t-il en regardant son neveu partir au grand galop.