Les gardiens de Fidem T1

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Blanche Collange

L
’appel des profondeurs

les palissades

passe des bannis

lesouffle

La Perfide

Lagrandebarrièredecorail

les terres sauvages

Archipel de GALERNE

La mer sigrid

Archipel des Nacres

Atolls saphirs

La Pacifique

verS les royaumes du sud passe australe

blanches

îles g amirea

de fidem

porte des rois

Archipel DES BRUMES

Timor

exocet

canyondeserrants

Récif Sophia s

tElos

chaînedulevant rises

es mont ewald

La mer sibylline

cronos

L’inconstante

désert filia

Lesglaceséternelles

o

verS anthemusa

passe des sirènes

Sous la surface

La mer s’étendait devant elle, étincelant sous le soleil. Les vagues déferlaient sur la plage dans un bouillonnement d’écume.

Mademoiselle Laisney !

Chaque fois que les flots se retiraient, des bécasseaux sanderlings se précipitaient sur le rivage pour sonder le sable de leurs petits becs. Lorsque les vagues revenaient s’écraser sur la plage, ils battaient en retraite dans une synchronisation parfaite.

Mademoiselle Laisney !

Un goéland approchait, ses ailes déployées rasant la cime des vagues...

MADEMOISELLE LAISNEY !

Lise sursauta, ouvrit les yeux et fut tentée de les refermer aussitôt. Il faut dire que la vision qui s’offrait à elle était des plus détestables : une salle de classe sans fenêtre, le visage renfrogné de son professeur de physique-chimie et les regards des trente et un élèves de 3e C braqués sur elle tels des projecteurs impitoyables.

Merci de nous honorer de votre attention, mademoiselle Laisney, dit le professeur, d’un ton sarcastique.

Monsieur Carpentier avait sa tête des mauvais jours. Lise sentit sa gorge se nouer. Du premier rang, Hardouin lui jeta un regard désolé qui ne pouvait signifier qu’une chose : elle allait avoir des ennuis.

C’était la première fois de l’année scolaire qu’elle se faisait épingler par un professeur. D’ordinaire, assise au fond de la classe, Lise excellait dans l’art de se faire oublier. Était-ce à cause de l’atmosphère étouffante de cette salle de classe sans fenêtre ? Ou de l’inévitable somnolence qui envahit tout individu normalement constitué après quatre heures de cours soporiphiques ? Peu importe. Lise avait commis une fatale erreur : elle avait fermé les yeux.

Eh bien, nous allons trouver un autre moyen de vous intéresser à la réaction entre le fer et l’acide chlorhydrique, continua le professeur qui semblait prendre un malin plaisir à mettre au centre de l’attention l’élève la plus timide de la classe. Prenez votre livre à la page 46, et venez donc faire l’exercice 13 au tableau.

Elle aurait préféré être collée, ou copier des lignes, ou même décoller la totalité des chewing-gums incrustés sous les bureaux de la salle de classe. Tout sauf ça. Mais le regard noir de monsieur Carpentier ne laissait aucune place à la négociation. Lise se leva et s’avança entre les tables d’un pas mal assuré. Le visage de Mélanie, sa voisine de devoir sur table, se fendit d’un

petit sourire narquois lorsque Lise passa devant elle. Quelle peste ! Elle ne lui avait pas pardonné son refus de lui laisser jeter un coup d’œil sur sa copie de français, lundi dernier.

Une fois sur l’estrade, Lise chercha l’exercice dans le manuel, mais ses mains moites glissaient sur le papier, et cette maudite page 46 semblait s’être évaporée.

Prenez votre temps, surtout, ironisa le professeur.

Lise trouva enfin la page récalcitrante et prit une profonde inspiration.

Dans un bécher contenant vingt millilitres d’acide chlorhydrique…

Articulez !

Dans un bécher...

Les élèves du fond de la classe vous entendez quelque chose ? Non ? Alors, parlez plus fort, mademoiselle Laisney !

Le reste du cours fut à l’image de la lecture de l’énoncé de l’exercice 13, page 46 : une véritable torture. Paralysée par le stress, Lise fit tomber son feutre à deux reprises, et mélangea les notions d’un cours qu’elle connaissait pourtant sur le bout des doigts. Comble de l’humiliation, elle dut rester au tableau pendant que le professeur écrivait lui-même les réponses dictées par les autres élèves. Lorsque la sonnerie retentit, Lise fourra rapidement ses affaires dans son sac et se rua dans l’escalier, quittant avec soulagement l’atmosphère étouffante des sous-sols du collège.

Lise, attends-moi !

Elle se retourna et chercha Hardouin du regard dans la foule des élèves. Elle ne mit pas longtemps à le repérer : avec sa chemise hawaïenne aux couleurs criardes et son énorme tignasse de cheveux bouclés, ce petit blond un peu replet ne passait pas inaperçu. Un personnage de théâtre. Voilà comment Lise aurait pu décrire son ami (si elle n’avait eu le droit qu’à quelques mots, car un roman entier n’aurait pas suffi à détailler les mille facettes dudit personnage).

Arrivé à sa hauteur, il lui décocha une bourrade sur l’épaule et se livra à son passe-temps favori : taquiner son amie.

Alors Lisette, on s’attire les foudres de son professeur ?

Je ne veux pas en parler.

Mmm, cet air sombre et malheureux me crie le contraire. Il faut ex-té-rio-ri-ser ma chère ! Sinon (il prit son air le plus dramatique), tu vas déprimer, broyer du noir, ressasser encore et encore les événements catastrophiques qui viennent de se produire. Et qui va supporter ton sale caractère jusqu’à ta prochaine sortie en mer ? Qui ?? (Il bomba le torse.) Moi, innocente victime collatérale de la tragédie du cours de physique-chimie !

Lise soupira. Elle connaissait suffisamment Hardouin pour savoir qu’il n’allait pas la lâcher.

Très bien, dit-elle, tu l’auras voulu ! D’abord… tout le monde m’a vu rougir comme une idiote.

Mmm, voilà en effet un événement qui va marquer l’histoire de la 3e C, et sera raconté de génération en génération.

Ensuite, j’ai raté un exercice qui n’était même pas difficile !

Et dont ton avenir dépendait ! C’est fini, Lise. Tu ne passeras pas en seconde, tu resteras bloquée en troisième jusqu’à la fin des temps.

Arrête, Hardouin, c’était vraiment horrible ! Et le prof qui s’acharnait sur moi. Je le déteste, lui, et sa stupide matière inutile !

Hardouin fronça son petit nez en trompette. Les états d’âme de son amie étaient pour lui un mystère. Avec son humour décapant et son style vestimentaire décalé, il n’avait pas peur d’attirer les regards. Hardouin s’était fait une solide réputation de boute-en-train dans le collège, et peu lui importaient les remontrances et les moqueries ! À côté de lui, Lise était un monument de discrétion. Tout son corps exprimait sa volonté de passer inaperçue : ses épaules voûtées pour masquer sa grande taille, son regard obstinément fixé sur ses pieds lorsqu’elle marchait dans les couloirs du collège, et même les mèches de cheveux châtains qui lui tombaient devant les yeux, dissimulant une partie de son visage.

Tu ferais une grande tragédienne, tu sais ? se moqua gentiment Hardouin. Je te vois déjà sur le devant de la scène.

Une main sur le cœur et une autre levée vers le ciel dans un geste dramatique, il se mit à déclamer au milieu du couloir : Ô rage, ô désespoir, ô professeur ennemi ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Chuuuuut ! le supplia Lise, gênée par les têtes qui se retournaient sur leur passage.

Mais un mince sourire se dessina sur son visage et son ami leva les deux bras en l’air dans un signe de victoire.

Voilà, ma chère ! Maintenant, c’est ma tirade qui sera dans toutes les têtes et non la tragédie du cours de physiquechimie.

Merci bien !

Tout le plaisir est pour moi.

Lise leva les yeux au ciel pour la forme, mais elle sentait sa morosité fondre comme neige au soleil. Hardouin aurait été capable de dérider n’importe qui. Talent fort utile lorsqu’on avait pour meilleure amie une râleuse professionnelle.

Lise et Hardouin se connaissaient depuis l’enfance car leurs parents respectifs, très amis, se voyaient régulièrement. Mais Lise s’était rapidement désintéressée de ce garçon exubérant qui préférait les livres à la vie au grand air. Ce n’est que trois ans auparavant, lors de son entrée en sixième à l’internat du Marais, établissement réputé de la petite ville de Gouvillesur-Mer que Lise s’était rapprochée d’Hardouin. Le père de Lise, officier dans la marine marchande, multipliait les déplacements professionnels et y avait inscrit sa fille avec regret.

L’établissement n’était qu’à quelques rues de la maison familiale où Lise retournait parfois le week-end, mais la jeune fille avait vécu ce changement comme un véritable déchirement.

Finies les balades du soir sur la plage et les longues soirées au coin du feu dans la jolie maison de son enfance...

C’est au bout de deux semaines, à la suite d’une séance de natation, que le duo improbable s’était formé. Depuis toujours, l’intrépide Hardouin avait une peur secrète : l’eau. Le comble, pour un habitant de Gouville-sur-Mer. Il avait toujours refusé de mettre ne serait-ce qu’un orteil dans la Manche, et la piscine n’échappait pas à son aversion. Il bénéficiait d’une dispense médicale, mais l’absurdité du règlement le forçait à assister à l’intégralité du cours d’EPS. Le malheureux s’était donc installé seul sur un banc humide. Pendant toute la durée de la séance, il avait fixé le bassin d’un regard méfiant, comme si l’eau javellisée allait lui sauter à la gorge. Lorsque les élèves de sa classe s’étaient dirigés vers les vestiaires, il s’était levé pour les rejoindre. Deux petits malins en quête de divertissement n’avaient rien trouvé de mieux à faire que de le pousser dans le bassin. À quelques mètres de là, Lise avait vu Hardouin couler comme une pierre. Obéissant à un élan impérieux, elle avait plongé dans l’eau et l’avait ramené vers le bord.

Tandis que le professeur de sport hurlait sur les deux terminales à s’en casser la voix, Hardouin s’était confondu en remerciements. Un peu gênée devant tant de reconnaissance, Lise n’avait eu de cesse de lui expliquer avoir agi par réflexe. Le soir, au réfectoire, elle s’apprêtait à dîner en solitaire lorsqu’Hardouin avait surgi devant elle et lui avait demandé, avec une pointe de théâtralité, si « elle daignerait

lui faire l’immense honneur de manger en sa misérable compagnie ». Derrière son rideau de cheveux châtains, la jeune fille avait souri... et acquiescé. Depuis ce jour, les deux compères ne s’étaient plus quittés. Portée par cette amitié, Lise s’était progressivement acclimatée à sa nouvelle vie. Elle se sentait à présent presque chez elle dans le collège. Bien qu’elle trouvât l’endroit trop bruyant, trop peuplé, trop loin de la mer...

Wouhou, Lisette ! La cantine, c’est par là ! fit Hardouin. … et bien trop fourni en couloirs et bâtiments pour son sens de l’orientation déplorable. Devant la porte du réfectoire, Hardouin fit un pas de côté pour la laisser passer.

Après vous, ma chère.

Je n’en ferai rien, répondit-elle, imitant son ton ampoulé.

J’insiste !

Non vraiment, c’est trop.

VOUS ALLEZ ENTRER, OUI OU NON ?

Rappelés à l’ordre par les élèves exaspérés qui attendaient derrière eux, les deux amis s’engouffrèrent dans le réfectoire, Lise en baissant la tête et Hardouin en pouffant de rire.

Avant l’heure d’étude, les deux amis profitèrent ensuite d’une petite pause salutaire dans les jardins de l’internat.

Le soleil de septembre diffusait encore la chaleur de l’été.

Allongée dans l’herbe, Lise soupira d’aise.

Pourquoi les cours n’ont-ils pas lieu ici ? Ou même sur la plage de Gouville. Elle est à quinze minutes de marche ! Les

pieds dans l’eau, je jure de m’intéresser à la réaction entre le fer et l’acide chlorhydrique !

Parce que, gente dame, répondit Hardouin en désignant la façade de l’établissement, il serait dommage de ne pas profiter de ce magnifique château.

Lise pouffa. Le bâtiment n’avait rien de magnifique. C’était une construction moderne particulièrement laide, un gros cube en béton gris flanqué de deux ailes rectangulaires vert pomme. L’ensemble totalement dénué de charme contrastait avec les jolies maisons en pierre avoisinantes.

Allez, dit Hardouin, encore une heure et à nous la liberté !

Si tu savais comme j’ai hâte d’être dans l’eau..., souffla Lise.

Oh, je sais... autant que j’ai hâte d’avoir entre les mains l’édition collector du tome III du Seigneur des Anneaux qui sort dans une semaine, trois jours et... (il jeta un coup d’œil à sa montre orange fluo) onze heures exactement !

Depuis la rentrée, un précieux sésame était venu égayer les mercredis de Lise : l’autorisation de sortie pour activités extrascolaires. Dans la case « activité » du formulaire d’autorisation, son père avait écrit : « entraînement intensif de natation ». Puis il avait signé la feuille avant de la donner à sa fille, en la gratifiant d’un clin d’œil appuyé. Il n’avait pas jugé utile de préciser que ledit entraînement se ferait sans professeur, dans les eaux de la Manche.

Mademoiselle Laisney, monsieur Marc ! Que faites-vous encore dehors ? L’étude a commencé depuis dix minutes !

Mademoiselle Dreuille, une des surveillantes de l’internat, s’avançait vers eux à grandes enjambées, sa longue jupe à carreaux voletant autour d’elle. Derrière ses lunettes à monture violette, ses deux petits yeux perçants les fusillaient. Lise et Hardouin ramassèrent leurs affaires et filèrent sans demander leur reste. Après l’étude, Lise regagna l’aile ouest du bâtiment où se trouvaient les quartiers des filles.

Sa chambre était la plus petite de l’étage, mais elle ne l’aurait échangée pour rien au monde. Contrairement aux autres pensionnaires, Lise n’avait pas de colocataire, le Graal absolu pour cette jeune fille introvertie. Son lit, un petit bureau, une armoire bancale et une bibliothèque bien fournie remplissaient quasiment tout l’espace de la petite pièce.

Les posters recouvrant les murs ne laissaient aucun mystère sur la passion de la jeune fille. Fonds marins tropicaux, imagier des poissons de la Manche, et fiers trois-mâts fendant les flots donnaient à sa chambre des airs de musée maritime.

Même l’unique photo de famille avait la mer pour arrièreplan. Accrochée au-dessus de son lit dans un grand cadre en chêne, elle attirait immédiatement le regard.

Le cliché avait été pris un jour de grand vent par un ami de la famille, six ans auparavant, sur la plage de Gouville. Lise se souvenait parfaitement de ce moment. Son père et sa mère

s’étaient agenouillés pour se mettre à sa hauteur et elle avait passé un bras autour de leurs épaules. Ses parents s’étaient relevés en même temps, la soulevant de terre. Les pieds dans le vide, Lise avait éclaté de rire. C’était le moment qu’avait choisi le vieux Gustave pour appuyer sur le déclencheur, capturant cet instant de complicité familiale. À force de la regarder, Lise connaissait cette photo dans ses moindres détails : les longs cheveux châtains de sa maman dansant dans le vent, le sourire franc de son papa se détachant sur sa barbe brune, son visage rieur de petite fille... La petite Lise de cette photo avait le cœur léger et joyeux. Elle ne savait pas que, bientôt, l’insouciance de son enfance s’en irait pour ne jamais revenir. Peu de temps après, la maladie s’était invitée dans leur petite vie paisible. Des foulards colorés avaient remplacé les beaux cheveux de sa maman, et les sorties familiales à la plage s’étaient faites plus rares. Par une journée grise de novembre, sa maman avait fermé les yeux pour toujours. Après le drame, la petite fille avait plus que jamais cherché refuge dans l’océan.

Lise attrapa son sac de plage et descendit quatre à quatre les marches qui menaient au hall d’accueil du collège. Elle y croisa Hardouin, en route pour sa leçon d’échecs. Bon entraînement intensif de natation, dit-il avec un sourire légèrement moqueur.

Le cœur gonflé de joie, Lise traversa la pelouse, franchit le portail et prit le chemin de la plage. Après avoir descendu la rue

de Linverville, elle arriva devant sa maison. C’était une jolie bâtisse en pierres entourée d’un minuscule jardin. Une glycine et des volets bleu ciel égayaient sa façade blanche. En passant devant la boîte aux lettres, Lise effleura de la main la grappe de ballons de baudruche dégonflés qui y était accrochée.

Ah, Papa..., marmonna-t-elle, partagée entre l’amusement et l’exaspération.

À chacun de ses anniversaires, il mettait un point d’honneur à décorer la boîte aux lettres. Bien sûr, Lise avait tenté de lui faire comprendre qu’elle avait passé l’âge, mais dimanche dernier, comme d’habitude, il n’en avait fait qu’à sa tête. Et encore, elle avait échappé à la licorne rose fluo gonflée à l’hélium, l’année dernière, pour ses 13 ans !

Mais licorne ou pas licorne, quel bel anniversaire elle avait passé ! Hardouin était arrivé vêtu de sa plus belle chemise hawaïenne (orange, turquoise et rose) en compagnie de ses parents Alicia et Thomas Marc, que Lise adorait. Gustave était aussi de la partie. Lise avait une grande affection pour ce vieux bonhomme qui le lui rendait bien. Il était comme un grandpère pour elle. De la pêche à pied aux modes de vie des créatures aquatiques, Gustave lui avait tout appris. Il avait un infini respect pour l’océan et ses mystères, et gare aux touristes qu’il surprenait à pêcher des coquillages n’ayant pas atteint la taille réglementaire ou, pire, qui souillaient la plage de leurs déchets !

Lise s’était sentie tout émue en voyant ces personnes rassemblées autour d’elle. « Je ne les mérite pas », avait-elle songé

dans un élan de ce qu’Hardouin appelait sa « tendance chronique à la dévalorisation ».

Mais son émotion n’était rien à côté de celle de son père. Elle avait cru qu’il allait se mettre à pleurer après qu’elle eut soufflé ses bougies.

14 ans, je n’arrive pas à y croire, avait-il murmuré en caressant machinalement sa barbe brune.

C’est juste une année de plus, Papa.

Mais le reste de la soirée, le visage au teint buriné par le soleil d’Édouard avait paru empreint de nostalgie. Le lundi matin, devant le portail de l’internat, il l’avait serrée dans ses bras en murmurant :

Je suis fier de toi, ne l’oublie pas.

Arrête, Papa ! avait-elle marmonné, aussi touchée que mal à l’aise. C’est gentil, mais c’est gênant.

Sous ses pieds, le sable d’un petit sentier remplaça le goudron. Quelques instants plus tard, Lise grimpa à toute vitesse la petite dune qui surplombait la plage. Une fois au sommet, elle sentit avec bonheur les bourrasques chargées d’embruns lui fouetter le visage. Lise perdit son regard dans l’immensité des flots. Agitée et sauvage, la mer était en train de monter. Le cœur de la jeune fille battit plus fort dans sa poitrine et une lueur d’excitation s’alluma dans ses grands yeux bruns. Tout son être aspirait à rejoindre les profondeurs. La mer l’appelait.

Au loin, elle reconnut la silhouette de Gustave. Vêtu de son éternel ciré jaune, le vieux pêcheur, chassé par la marée, remontait vers la plage. Apparemment, la pêche avait été bonne : il ployait sous le poids de son seau de palourdes. Elle lui fit de grands signes et Gustave lui rendit son salut avant de disparaître dans les hautes herbes qui tapissaient la dune.

Lise enfila rapidement sa combinaison de plongée, tenue fort utile pour ne pas se transformer en glaçon dans cette eau qui avoisinait les dix degrés, et se protéger des méduses dont elle avait une peur bleue. Puis, abandonnant ses vêtements au pied d’une des petites cabines colorées qui surplombaient la plage, elle descendit vers la mer. Les rares baigneurs potentiels s’étaient laissé décourager par la fraîcheur de l’eau et le vent glacial qui balayait la plage. Tant mieux, la mer serait toute à elle.

Au moment où ses pieds touchèrent l’écume, Lise ne sentit pas la morsure du froid. Au contraire, l’eau lui parut tiède et douce. Surprise, elle s’avança encore. L’eau atteignait à présent ses genoux et toujours aucune sensation de fraîcheur. Sûrement un courant chaud, pensa-t-elle en s’élançant dans l’eau, à l’assaut d’une vague qui s’élevait devant elle.

Elle nagea d’une brasse régulière vers le large, savourant chaque seconde de cette baignade tant attendue. Si ses professeurs avaient pu la voir en cet instant, ils auraient eu du mal à la reconnaître. Dans les eaux agitées de la Manche, elle n’était plus la fille triste et gauche dont les bulletins scolaires déplo-

raient la discrétion. Elle se sentait libre, profondément vivante. Lise ferma les yeux, attentive à la symphonie de la mer. Le sifflement du vent, le bruissement des vagues, les cris des oiseaux, le bruit de sa propre respiration qui s’intensifiait dans l’effort… Tous ces sons composaient une musique singulière et apaisante qu’elle ne se lassait pas d’écouter.

Lise s’arrêta pour reprendre son souffle. Les vagues, puissantes, la soulevaient puis l’entraînaient en leur creux. Elle aurait pu rester ainsi des heures, abandonnée à la houle.

Mais à l’horizon, le ciel s’assombrissait. Un ballet de mouettes passa au-dessus de sa tête. Elle se retourna pour suivre les oiseaux marins des yeux. Ils filaient vers la côte.

« Bande d’oiseaux de mer se réfugiant à terre, tempête va venir de forte manière », murmura-t-elle.

Elle était incollable en dictons marins grâce à son père, qui les lui avait fait réciter, petite, comme d’autres ânonnaient des tables de multiplication.

Lise se mit à nager vers la plage, mais un courant puissant l’entraînait vers le nord, rendant sa progression difficile. Elle ne chercha pas à lui résister : elle savait d’expérience qu’il la ramènerait vers le sable. Elle se laissa donc dériver jusqu’à ce que la pointe de ses pieds touche les fonds marins de la plage d’Anneville. Les vagues la poussèrent alors avec force vers le rivage. Il était grand temps de sortir de l’eau. La mer commençait à se déchaîner et, au-dessus de la cabane des sauveteurs, le drapeau rouge avait été hissé. Le souffle court, Lise s’avançait

vers le sable sec lorsqu’un objet à l’éclat trop métallique pour appartenir à dame Nature vint heurter son genou. C’était une canette de Coca ballottée par les vagues.

En pestant contre l’inconscience du genre humain, Lise se pencha en avant pour l’attraper sans voir la muraille d’eau qui se formait à quelques mètres d’elle. Un rouleau, une de ces vagues redoutables qui se cassent tout près de la plage, la heurta violemment et Lise perdit l’équilibre. Avant qu’elle n’ait eu le temps de se relever, une série de vagues puissantes déferlèrent sur elle, l’entraînant vers le fond. Ballottée par les flots, elle ne put rien faire. Elle se retrouva dans une de ces situations extrêmes où les réflexes primaires du corps humain l’emportent sur la raison la plus déterminée. À court d’oxygène, elle inspira. Puis expira. Sous l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Aussi naturellement que si elle avait été à l’air libre. Elle sentit l’eau pénétrer ses poumons sans que son organisme ne manifeste la moindre réaction de rejet. Elle resta ainsi quelques instants, immergée, abandonnée aux courants. Puis la mer la rejeta sur la plage.

Ses poumons retrouvèrent immédiatement leur fonction première. Le corps secoué par une violente quinte de toux, la gorge brûlée par le sel, Lise mit un moment à retrouver son souffle. Alors qu’elle tentait, le cœur battant, d’intégrer ce qui venait de se passer, une voix résonna en elle. C’était comme une injonction puissante, un appel à la prudence : Personne ne doit savoir.

L’inattendu

Un brouhaha animé emplissait le réfectoire de l’internat. Le regard de Lise allait et venait entre les lignes et les colonnes de sa grille de bataille navale, mais les pensées qui tournoyaient dans sa tête n’avaient aucun lien avec son jeu de société préféré.

« L’eau m’a paru tiède… C’est le réchauffement climatique.

J’ai inspiré plusieurs fois dans l’eau… C’est humainement impossible. J’ai entendu une voix me dire de garder le secret…

C’était le fruit de mon imagination. »

Alors, tu joues ? la pressa Hardouin en retirant de sa tignasse de cheveux bouclés une boulette de mie de pain (balle perdue de la bataille qui faisait rage à la table voisine).

Oui, désolée. Euh… C6.

Dans l’eau !

Elle n’avait pas soufflé mot à Hardouin des événements de la veille. Elle aurait été de toute façon bien incapable de formuler à haute voix ce qui venait de lui arriver.

Qu’est-ce qui t’arrive ce matin ? Tu m’as l’air complètement à côté de tes tongs.

Lise se contenta de hausser les épaules.

D3 ! lança Hardouin.

Touché.

Hardouin plaça un pion rouge sur sa grille de bataille navale avec une satisfaction non dissimulée. Encore un coup gagnant et il l’emportait.

D4 !

Touché coulé.

Sans laisser à Hardouin le temps de savourer sa victoire, une sonnerie stridente annonça la fin du petit déjeuner. Dans un concert de raclements de chaises et de bruits de vaisselle, les élèves quittèrent le réfectoire. Une quinzaine de minutes plus tard, emmenée par son professeur, la classe de troisième au grand complet prit la direction du terrain de sport. Hardouin ne chercha pas à faire la conversation. Il avait l’habitude que Lise se rende en cours d’EPS absorbée par ce qu’il appelait « les sombres réflexions du poisson ronchon ». Si l’on mettait de côté la natation, Lise n’avait aucun talent sportif. Dénuée de toute souplesse et comme déconnectée de son corps maladroit, elle multipliait les catastrophes, quelle que soit la discipline imposée. Elle avait une haine particulière pour le basket, et ce pour une raison aussi simple que désespérante : elle avait peur du ballon. Après un rapide échauffement, les chefs d’équipe désignés par le professeur commencèrent à choisir leurs joueurs et le

vide se fit progressivement autour de Lise, qui aurait donné la totalité de sa collection de coquillages pour être ailleurs.

Dernière recrue de l’équipe des Jaunes, elle enfila le dossard fluo d’une propreté douteuse et, rassemblant le peu de courage qui lui restait, elle alla se mêler au reste des joueurs. La voix d’Hardouin, prenant pour l’occasion des intonations de commentateur sportif, murmura à son oreille :

Le grand moment est arrivé. Celui que nous attendions tous. Un match historique avec Lise, la plus grande joueuse de tous les temps. Elle est là, au rendez-vous, pour écrire l’histoire. Elle s’avance vers son destin...

Le coup de sifflet du professeur mit fin à la tirade et Lise se mit à courir d’un bout à l’autre du terrain, essayant de suivre le mouvement du jeu. Mais les événements de la veille ne cessaient de repartir à l’assaut de ses pensées : la sensation de l’eau dans ses poumons, les mots qu’elle avait entendus sur la plage… Elle n’allait pas pouvoir attendre le week-end pour en avoir le cœur n…

BAM ! Elle tituba, sonnée par le ballon qu’elle venait de se prendre en pleine figure. Accusant le coup, elle décida de rester à l’écart pour le reste du cours.

Une demi-heure plus tard, dans le vestiaire surchauffé du gymnase, Lise prit sa décision : elle retournerait sur la plage le soir même.

L’escapade était inhabituelle pour cette élève sans histoires, mais la peur de se faire pincer ne faisait pas le poids face au

besoin impérieux d’obtenir des réponses à ses questions. Au pire, en tant qu’élève modèle, elle pourrait toujours plaider un somnambulisme aggravé.

Si Lise n’avait pas d’expérience en matière d’entorse au règlement, elle avait d’autres cordes à son arc. Discrète et observatrice, elle était au courant de tout ce qui se passait dans l’établissement. Elle savait qu’elle pouvait atteindre le jardin en passant par la fenêtre du nouveau local à poubelles. C’était faisable, d’autres s’y étaient risqués pas plus tard que la semaine dernière. Une fois hors du bâtiment, il était inutile d’espérer escalader le portail de l’internat. Haut et moderne, il n’offrait aucune prise aux potentiels grimpeurs. Et vu son niveau en escalade, il ne valait mieux pas y penser. Restait le grillage. Et c’était son jour de chance. Au détour d’un couloir, elle entendit un élève de seconde se vanter de s’être frayé un passage à travers le grillage pour rejoindre la rue. Lise se faufila jusqu’au lieu du méfait à la pause déjeuner. L’élève n’avait pas menti. Il avait pris soin de repositionner les deux pans du grillage cisaillé l’un contre l’autre. Cette précaution et le buisson planté côté rue rendaient son forfait quasiment invisible. Lise se rendit à son cours de maths, l’âme emplie d’un sentiment de victoire : elle avait trouvé un chemin vers la mer.

L’après-midi s’écoula lentement, rythmée par la sonnerie stridente du collège. Après avoir reçu une copie de français catastrophique, Hardouin s’illustra en déclarant à mademoiselle Abergel que cette note, « en provoquant en lui un senti-

ment d’échec, risquait de diminuer son estime de lui-même et d’entraver son épanouissement ». L’enseignante, appréciant moyennement son sens de la repartie, rétorqua à l’insolent qu’« un devoir supplémentaire devrait l’aider à retrouver son estime de lui et entraver sa claire volonté à redoubler, une seconde fois ». Cette altercation eut au moins le mérite d’apporter un peu d’animation dans une après-midi que Lise trouva interminable.

Ce soir-là, elle attendit patiemment 23 heures, après la dernière ronde de mademoiselle Dreuille. La disparation du rai de lumière sous la porte lui indiqua que cette dernière avait fini sa besogne et était allée se coucher. Le cœur battant, Lise sortit de sa chambre et commença son périple dans l’internat. Son sac de plage sur le dos, elle traversa l’aile ouest sans encombre. Mais en descendant l’escalier principal, elle rata la dernière marche et s’étala de tout son long sur le sol en lino.

Qui est là ?

Venue des étages, la voix aiguë de mademoiselle Dreuille résonna dans l’établissement et la lumière agressive des néons inonda le hall d’entrée. Dans un état proche de la panique, Lise se glissa dans la pièce la plus proche et referma la porte derrière elle. Une odeur de javel la saisit à la gorge : elle avait trouvé refuge dans le grand placard de ménage.

Le bruit des pas de mademoiselle Dreuille se rapprochait. « Respire », pensa Lise. Elle descendait l’escalier. « Ne panique pas. » La surveillante marchait dans le hall. « Elle ne va pas te

trouver. » Un grincement de porte se fit entendre. Lise déglutit. Mademoiselle Dreuille inspectait les salles. Lise chercha désespérément une cachette au milieu des serpillières et des réserves de papier toilette. Elle finit par se recroqueviller derrière un vieil aspirateur. Lorsque la porte du local s’ouvrit, son cœur tambourina si fort dans sa poitrine qu’elle crut que mademoiselle Dreuille allait l’entendre. Heureusement, la surveillante se contenta de jeter un bref coup d’œil dans le réduit avant de faire volte-face. Lise se remit à respirer tandis que le bruit des pas de la surveillante s’estompait peu à peu.

Lorsque l’internat fut de nouveau plongé dans le silence, elle sortit de son placard et marcha sur la pointe des pieds jusqu’au local à poubelles dont la fenêtre entrouverte lui offrit une porte de sortie vers le jardin.

Trottinant entre les massifs parfaitement taillés, Lise oublia sa mésaventure et se sentit grisée par le succès de sa petite évasion. Elle se faufila entre les pans du grillage, déchirant une manche de son pull à capuche au passage, mais qu’importe ! Elle avait réussi. Triomphante, elle s’élança dans la ville endormie.

Elle parcourut rapidement les rues désertes qui la séparaient de la mer et atteignit le sommet de la dune en quelques enjambées. De là-haut, elle avait une vue parfaite sur le paysage qui s’étendait à ses pieds. La nuit était claire, elle pouvait apercevoir au loin la lumière du phare du Sénéquet. La mer s’était

retirée à plusieurs centaines de mètres, découvrant les allées des parcs à huîtres. Aucun promeneur ne semblait s’être attardé sur la petite plage de Gouville-sur-Mer.

Après avoir enfilé sa combinaison de plongée, elle descendit vers la mer. Seuls le bruit familier du clapotis de l’eau et le crissement du sable sous ses pieds vinrent troubler le silence de la nuit.

De nouveau, elle fut surprise par la douceur de la température de la mer. Lorsque l’eau atteignit ses épaules, elle jeta un dernier coup d’œil aux alentours. Personne. Son cœur battit plus fort dans sa poitrine. Elle inspira une grande bouffée d’air, ferma les yeux et s’immergea dans la mer. Elle dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à inspirer. Le caractère contre nature de cette action la rendait particulièrement difficile à effectuer. Après quelques tentatives infructueuses, le phénomène extraordinaire se répéta : l’eau emplit ses poumons, offrant à son organisme les mêmes bienfaits qu’une bouffée d’air pur. Lise dut se rendre à l’évidence : elle respirait sous l’eau.

Elle ouvrit les yeux, et resta stupéfaite devant l’incroyable spectacle qui s’offrait à son regard. À des dizaines de mètres à la ronde, une multitude de poissons tournoyaient dans un ballet de lumière hypnotisant. Chaque créature aquatique, chaque plante irradiait une étrange lumière fluorescente. Lise ne savait plus où donner du regard devant ce festival de formes et de couleurs. Même avec un masque, elle n’avait jamais vu

plus loin qu’à quelques mètres de distance dans les eaux troubles de la Manche. Mais en cet instant, son acuité visuelle était extraordinaire. Elle pouvait percevoir d’infimes détails, du corps translucide d’une minuscule crevette aux nuances de couleurs d’une algue bercée par les flots. La mer s’offrait à elle dans toute sa richesse et sa complexité.

C’est complètement fou ! s’exclama-t-elle.

Et sa voix résonna à ses oreilles avec la même clarté que si elle avait parlé à l’air libre.

Sans provoquer le moindre remous à la surface, elle s’enfonça plus en profondeur. Elle avait toujours aimé nager, mais rien de ce qu’elle avait vécu auparavant n’était comparable à l’incroyable sensation de liberté qui l’habitait en cet instant. Les bras le long du corps, elle glissait dans l’eau sans effort.

Une puissante énergie emplissait chaque cellule de son organisme. Finis les mouvements de bras et les battements de pieds. Une légère ondulation suffisait à lui faire prendre de la vitesse. Libérée des lois de la poussée d’Archimède, elle n’éprouvait aucune difficulté à descendre dans les profondeurs. L’eau qui l’environnait ne lui offrait que peu de résistance, et seule la force des courants était capable de dévier sa trajectoire. En quelques minutes, elle atteignit le large. Un banc de dorades grises passa juste à côté d’elle. Elle admira leurs fines écailles et leurs nageoires dentelées et s’amusa à les suivre avant qu’elles ne disparaissent dans les algues. Au sol aussi, le spectacle était époustouflant. Crabes, araignées de

mer, coquillages… tout brillait dans l’obscurité de la nuit. La jeune fille promena son regard à la recherche d’une espèce qu’elle n’aurait pas encore observée.

À une centaine de mètres, une masse sombre attira son attention. Il ne lui fallut que quelques secondes pour s’en approcher. Près du sol, un requin d’au moins deux mètres de long nageait tranquillement. Lise reconnut immédiatement un requin-taupe. Le dos bleu-noir, le ventre blanchâtre, le museau pointu, les dents fines et légèrement incurvées… Impossible de s’y tromper. Elle aurait presque pu réciter la page consacrée à ce spécimen dans son Guide d’identification des poissons de la Manche. Le requin ne lui prêta pas la moindre attention et poursuivit sa course. Subjuguée, Lise le suivit longtemps des yeux avant qu’il ne disparaisse dans le lointain.

Folle de bonheur, elle poussa un cri de joie que l’eau lui renvoya en écho. Puis, elle s’allongea au fond de la mer, un sourire béat sur le visage. Elle avait croisé un requin. Un requin. Hardouin n’allait pas en croire ses oreilles. Penser à son ami la ramena à des considérations plus terrestres. Il était peut-être temps de rentrer si elle voulait profiter de quelques heures de sommeil. Lise pivota sur elle-même et prit le chemin du rivage.

Alors qu’elle n’était plus qu’à environ deux cents mètres de la plage, un étrange spectacle attira son regard. Au fond de l’eau, des rayons lumineux jaillissaient en bouquet du sable, fendant l’eau jusqu’à la surface. La jeune fille plongea vers le sol et, sans

réfléchir, elle commença à creuser. À mesure qu’elle retirait du sable, la lumière se faisait de plus en plus éclatante. Lise avait atteint un bon mètre de profondeur lorsqu’elle le vit.

L’étrange coquillage était posé au fond de la mer. D’une blancheur éclatante, tacheté de bleu roi, il irradiait plus de lumière que tout ce qui se trouvait à proximité. Sa forme allongée n’était pas sans rappeler celle de la porcelaine, un minuscule coquillage que la mère de Lise aimait chercher sur la plage, comme un trésor caché parmi les débris déposés par les vagues. Mais Lise, qui avait ramassé des porcelaines par dizaines, n’en avait jamais vu d’aussi grande ni d’aussi belle.

Lorsqu’elle prit le coquillage dans ses mains, il cessa immédiatement de briller. Le tenant serré contre son cœur, elle reprit le chemin du rivage. Elle remonta vers le sable sec et s’assit sur la plage. Elle avait l’impression d’émerger d’un rêve. Sur sa paume, l’étrange coquillage étincelait à la clarté de la lune. Sa face inférieure présentait une ouverture allongée et dentelée à côté de laquelle trois mots avaient été gravés en lettres gothiques :

Contempler Aimer Servir

Instinctivement, Lise plaqua le coquillage contre son oreille. Une mélodie douce et envoûtante résonna pour elle dans le silence de la nuit. Une multitude de voix d’hommes et de femmes chantaient.

Enfant de Fidem, Écoute.

Du tréfonds de ton âme, Un murmure s’élève.

Tu as été choisi.

En toi résonne l’appel.

Viens.

Ne résiste pas au courant qui t’entraîne À déployer les dons qui sommeillent en ton être, Pour servir le Royaume qui te fut donné.

Viens.

Avance dans le sillage Des gardiens de Fidem.

Lise essuya la larme qui avait roulé sur sa joue. Ce chant dont elle ne comprenait pas le sens l’avait touchée en plein cœur. Et à présent, elle goûtait au silence. Un silence profond. Un silence habité. Par qui ? Par quoi ? Elle n’aurait su le dire.

Lorsqu’elle porta de nouveau le coquillage à son oreille, Lise n’entendit que le bruit de sa circulation sanguine, semblable au doux murmure des vagues. Pourtant, les paroles du chant étaient gravées dans sa mémoire. Un mot en particulier continuait de résonner en elle avec force.

Viens.

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Les gardiens de Fidem T1 by Fleurus Editions - Issuu