Que j'aime ta verdure

Page 1

Saint-Arthur de la famille que j’aime ta verdure !

Paul Beaupère

av en u res de la famille

Saint-Arthur

t j’aime

Illustrations : Ariane Delrieu Paul Beaupère
que
ta verdure !

1

Secouons le cocotier !

Où l’on retrouve la famille Saint-Arthur plongée dans des questions d’une importance capitale, où l’on se demande si Brune ne serait pas à deux doigts de sombrer avec bonheur dans l’adolescence, entraînant avec elle toute une maison qui n’a rien fait pour mériter pareille calamité. Où l’on s’aperçoit que la fin de l’année approche et que certains ou, plus exactement, certaine, ont des idées bien arrêtées.

Tout commence au dîner, un vendredi soir, à la veille d’un week-end bienvenu. Les vacances de la Toussaint s’éloignent à peine et celles de Noël sont encore lointaines.

5
Chapitre

– On fait quoi pour Noël ? je demande.

– On fait quoi, quoi ? s’étonne papa.

– Oui, pourrais-tu préciser ta pensée, ma petite Brune ? Qu’entends-tu exactement par « on fait quoi » ? ajoute maman.

– Ben, ma copine Lucille, elle va dans les îles ! Noël au soleil, avec les palmiers et les doigts de pied en éventail dans le sable fin !

– Super, s’amuse Alex, cinquante degrés à l’ombre ! Avec son manteau, sa barbe et son bonnet, le Père Noël va nous faire un arrêt cardiaque !

– N’importe quoi !

Je continue sur ma lancée.

– Et ma copine Myrtille, elle part aux USA ! Avec ses parents, ils vont faire un tour dans un parc national. Peut-être qu’ils verront des ours !

– Si tu veux apercevoir des ours, faut aller au musée d’Histoire naturelle, c’est plus sûr, me répond Charlotte. Elle va être déçue, ta copine… À cette époque de l’année, les ours, ils pioncent comme des marmottes.

– C’est une obligation de bouger, de partir, de s’en aller ? demande maman. On ne pourrait pas fêter Noël comme les

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
6

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

autres années, en famille, avec les cousins et les grandsparents ? Comme on a toujours fait !

– Naoël, Naoël ? gazouillent Aude et Basile, les jumeaux, intéressés.

– On peut, on peut… On peut aussi s’éclairer à la bougie, vivre dans une grotte et chasser le bison ! Mais OK, si vous voulez passer un Noël de nazes, c’est votre choix, je le respecte. Je ne comprends pas, mais je respecte. J’vous laisse, j’ai du taf !

Et là, je plante les parents et toute la famille, et je monte dans ma chambre. C’est hyper pratique d’être en cinquième, tu peux dire que t’as des tas de devoirs, tout le monde te croit. Mais pourquoi ce sont les parents des autres qui filent aux Maldives ou qui se baladent au Kenya et les miens qui rêvent d’aller au bout du jardin… hein, pourquoi ?

Tandis que je m’éclipse avec des airs de princesse indienne indignée, j’entends les jumeaux qui jacassent, Alex qui ricane et Charlotte qui s’étonne.

– Naoël, Naoël, kado, kado !

– On devrait l’envoyer sur la Lune, la sœurette, ça lui ferait du bien, et ça nous ferait des vacances !

7

– C’est obligé que je devienne comme elle un jour ? L’ado lescence est un naufrage !

Mais surtout, j’entends les parents qui discutent déjà.

– Après tout, c’est vrai que, pour une fois, on pourrait changer un peu d’air ? Tu ne crois pas ? demande maman à papa.

– Mais pourquoi ? Tu l’as dit toi-même, c’était drôlement bien les autres années, pourquoi on ne referait pas la même chose ? Oh, bien sûr, on peut tout modifier tout le temps, on peut se faire une choucroute au petit déjeuner, on peut se mettre des chaussettes sur la tête et des bonnets sur les pieds... mais est-ce que c’est vraiment mieux ?

– Chéri… sourit maman, tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

– OK, OK… Après tout, c’est peut-être l’occasion d’innover un peu, d’aller prendre l’air. Je vais y réfléchir.

Le reste, je ne l’entends pas, je suis déjà dans ma chambre.

Voilà, ça commence comme ça. C’est ma copine Myrtille qui m’a donné le conseil. « Tu poses une question, comme ça, l’air de rien, tu lances l’idée et, ensuite, tu laisses travailler. Tu verras, souvent, ça marche. Nos parents sont sympas, mais ils sont vieux et sans imagination, alors, faut les aider. »

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
8

Et ce soir, je crois que je les ai bien aidés.

– C’est une belle occasion de voyager ! me dit maman en venant m’embrasser plus tard.

Lundi, je pourrai dire aux copines que c’est gagné ! Grâce à moi, Noël, cette année, c’est sous les cocotiers !

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

2

C’est ici que l’on sait qui estqui

Où, pour ceux qui n’étaient pas là aux épisodes précédents, on découvre qui est qui et qui fait quoi. Où, pour ceux qui étaient là aux épisodes précédents mais qui ont la mémoire un peu fragile, on tente de présenter en deux mots, trois phrases et quatre minutes, les principaux acteurs du drame qui se trame…

Celle qui est la voix de ce récit, qui vous parle, narre et raconte, c’est moi, Brune, 12 ans, en cinquième depuis peu, encore un peu enfant, déjà à moitié ado, aînée d’une fratrie de cinq.

11
Chapitre

Juste derrière moi, débarque Alexandre, ou plus simple ment, Alex, mon frère. Il a les qualités du petit frère, c’est-àdire aucune, et les défauts des garçons, c’est-à-dire, tous. Il est pénible, bavard, casse-pieds, il croit avoir toujours raison, il a une voix de canard, des pieds d’autruche, l’intelligence d’une mouche, la douceur du grizzli et la force de la limace. C’est une calamité, une endive sans cerveau, une nouille trop cuite, je le détesterais volontiers, mais c’est mon frère, alors, même si je ne le lui dis pas, en fait, j’l’aime bien. Ensuite vient Charlotte. Elle est en CE2, mais elle parle comme un vieillard de cent ans. C’est le mélange inattendu du crâne d’Albert Einstein avec le corps d’un hamster. Si ça se trouve, elle est le produit d’une expérience de laboratoire, quelquefois je la soupçonne d’avoir deux cerveaux. Mais n’allez jamais lui dire des trucs comme ça, elle déteste passer pour un singe savant.

Enfin, en dernier, arrivent les jumeaux, Aude et Basile, cadeau de Noël d’il y a deux ans. Ils commencent juste à parler, mais en employant des mots étranges et des phrases curieuses. Il est possible qu’il s’agisse de Martiens échoués sur la mauvaise planète. À mon avis, plus tard, ils feront des trucs pas ordinaires, ils iront sur la Lune à la nage ou visiter le Pérou sur des échasses…

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
12

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

Il y a aussi papa et maman, que vous pouvez appeler Nicolas et Juliette, mais que moi j’appelle papa et maman. Ils sont souvent pressés, souvent stressés et même si, de temps en temps, je les trouve un peu nazes… en fait, ils sont quand même assez cools. Papa écrit des livres pour enfants, maman travaille dans la banque et, à eux deux, ils réussissent tant bien que mal à faire, comme le dit papa, « tourner la boutique ».

Dans cette histoire, vous entendrez aussi parler de papy. C’est le papa de maman, il est ancien marin, veuf, vit en Bretagne et envoie des courriers souvent étranges, parfois bizarres, quelquefois explosifs et toujours inattendus.

Vous croiserez aussi un petit frère de maman, oncle Stanislas et sa femme, tante Charlotte, dite « la grande », par opposition à ma sœur qui est, c’est une évidence, plus petite.

Vous découvrirez de nouveaux personnages mais ça, je vous laisse tourner les pages pour les rencontrer.

Passeport pour le paradis… Chapitre 3 ou presque !

Où papa débarque avec une bonne nouvelle, où l’on fait un peu de géographie, où l’on joue au jeu des devinettes, où l’on découvre la destination rêvée pour les vacances, où la révélation est accueillie de façon variée, où l’on se dit que si les voyages forment la jeunesse, ils la font aussi beaucoup parler.

Un peu plus d’une semaine après mon « lancer d’idée » au dîner, papa arrive au petit déjeuner avec sa tête de ravi de la crèche. Il a les cheveux comme un champ de blé après la tempête, l’œil frais du poisson pêché il y a un an et un sourire idiot dont il faut se méfier à tout prix.

15

– Ma petite Brune, tu vas être contente, c’est décidé, nous partons en voyage à Noël. Les cousins ne seront pas là, les grands-parents sont avec eux, papy est en vadrouille, il n’y a qu’oncle Stan et tante Charlotte avec nous… alors j’ai trouvé une destination de rêve, un endroit inattendu, inexploré, exotique, incroyable.

Le problème du petit déjeuner, c’est que l’on n’est pas toujours hyper attentif, on a encore des nuages dans les yeux et de la brume entre les oreilles… En temps normal, quand papa parle comme ça, je me méfie, mais là… j’ai un moment de faiblesse, j’ai trop envie de le croire, alors, je le crois.

– Super ! On va où ? je lui demande.

– Ah non, trop facile, faut deviner !

– Humm… C’est loin ? lance Alex.

– Assez ! dit papa.

– Chaud ou froid ?

– Plutôt froid, mais avec des coins très chauds !

– Du genre Laponie ?

L’année dernière, pour Noël, ma copine Lou, elle est partie en Laponie. Elle a fait du chien de traîneau, dormi dans un igloo géant et visité la maison du Père Noël. Elle m’a tout raconté. « C’était d’enfer, on a vu des aurores boréales et je suis devenue la meilleure copine de Nakmouth, un husky

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
16

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

avec les yeux plus bleus que la mer des Caraïbes et le poil plus doux que les pulls en cachemire de maman… » Elle en a de la chance, ma copine Lou…

– Avion ou voiture ? interroge Charlotte en regardant papa.

– Voiture ! répond papa.

– On va en Laponie en voiture ? s’exclame Alex.

Alors là, mon rêve s’effondre comme une vieille chaussette qui voit passer une mite ! Contrairement à Alex, j’ai quelques notions de géographie et la Laponie en voiture en moins de deux semaines, c’est mort ! On va encore finir dans un coin pourri. Je vais demander aux parents de Lou de m’adopter ! Je sollicite l’asile politique chez Myrtille. Je revendique mon droit au bonheur, à une vie au soleil !

– OK, je sais, dit Charlotte, on part à la montagne !

– Presque ! lâche papa.

– Presque ?

J’hésite entre crier et pleurer.

– Soit on va à la montagne, soit on n’y va pas, mais une presque montagne, ça n’existe pas, pas plus qu’une presque mer !

– Ben si, ça s’appelle une grosse colline ou un grand lac, dit Alex en haussant les épaules plus haut que sa tête.

17

– Ben non, crème d’andouille, ça s’appelle un coin naze où il n’y a ni soleil, ni palmier, ni husky, ni igloo ! je réponds hyper énervée, en retenant mes larmes.

– Un igloo, on pourra peut-être en faire un. Les chiens, je ne sais pas mais, les loups, il y en a ! Le soleil, c’est possible, en revanche, les palmiers, je suis sûr qu’il n’y en a pas, s’amuse papa.

– Alors, c’est où ? On va où ? demandent Alex et Charlotte en même temps.

– Nous allons découvrir une contrée sauvage, un lieu presque oublié des hommes, une terre hostile et rude.

Autour de la table, chacun retient sa respiration, mon idiot de frère et ma sœur ont les yeux qui brillent, moi, j’ai surtout envie de pleurer.

– Nous allons chez oncle William, dans les Vosges !

– Hein ?

Je le savais que ça allait être un plan loose de la mort qui tue ! Les Vosges… Tu rêves « Caraïbes », tes parents te répondent « Vosges ». Je suis au désespoir…

Le lendemain, en classe, je raconte ça à mes copines. Elles me regardent comme si j’allais finir ma vie dans une mine de sel.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
18

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

– La vache, les Vosges ! Si ça se trouve, il n’y a même pas l’électricité ! imagine Lou.

– Pire ! Il n’y a pas le wifi ! s’affole Myrtille.

– Tu vas voir que pour aller là-bas, il faut des vaccins que t’as pas ! C’est peut-être ça qui va vous sauver ! Les vaccins ! Vous ne pourrez pas passer la frontière, à cause des terribles maladies locales qui ont décimé des générations de rudes montagnards couverts de poils, bredouille Lucille en se mordant les doigts de terreur.

Alors, on regarde sur un planisphère, juste pour savoir où c’est et là…

– C’est sûr… t’as pas d’bol, dit Lou. Mais t’inquiète, je t’enverrai une carte postale ! Nous, on fait une croisière autour de Cuba.

– En même temps, faut voir le bon côté des choses, dit Myrtille avec les yeux soudain brillants, dans des coins aussi reculés, tout est possible ! Tu vas peut-être trouver un homme des cavernes. Du coup, tu deviendras célèbre ! Tu passeras à la télé, tu seras une star d’Instagram, tu feras le tour du monde pour parler de ta découverte ! Alors, grâce aux Vosges, tu les auras, tes palmiers. Sauf, bien sûr, si le Cro-Magnon local est affamé et qu’il te mange. Ce qu’il faut, c’est que tu gardes des barres vitaminées dans tes poches, comme ça, s’il t’attaque,

19

tu les lui lances à la figure et, le temps qu’il les mange, tu t’es enfuie. En tout cas, on va pas t’oublier ! Moi aussi, je t’enverrai une carte postale des US.

– Pour les vaccins, ils ne disent rien, je crois que ça doit passer sans. Tu ne vas pas y échapper ma vieille, tu vas finir l’année entre deux sapins congelés et trois sangliers hirsutes. Faut reconnaître que pour un gros coup de pas de bol, c’est un coup de pas de bol gigantissime ! Mais, ce qui est top, c’est que tu vas avoir tout le temps pour faire tes devoirs et, en plus, qui dit « pas de soleil » dit « pas de coup de soleil », alors tu reviendras toute blanche, avec une peau de bébé, conclut Lucille qui passe deux heures par jour à s’enduire de crèmes plus ou moins bizarres.

– Ouais, trop de bol, le coup de la peau ! approuvent les deux autres sans y croire.

J’aime bien mes copines, mais là, elles ont achevé de me tuer. Je rentre à la maison en pleurant comme une madeleine. Je ne sais pas si je vais survivre aux Vosges, mais je suis sûre d’une chose : jamais personne sur cette terre n’a été aussi malheureux que moi. Jamais, personne !

Ce soir-là, Alex et Charlotte viennent me voir dans ma chambre.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
20

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

– On a des trucs hyper méga importants à te raconter ! Des révélations que tu ne peux pas imaginer tellement elles sont incroyables et même que tu vas changer d’avis sur les vacances de Noël.

– On a fait des recherches ! explique Alex.

– Des recherches poussées, insiste Charlotte.

– On a fouillé la bibliothèque de l’école, celle de la maison et j’ai consulté Wikitruc pendant le cours d’informatique. OK, j’ai pas trop le droit, mais là, c’était une question de vie ou de mort et…

– Voilà ce qu’on a trouvé, poursuit ma sœur avec un air gourmand et conspirateur, à côté, les vacances de tes copines, ça te paraîtra une sortie en car au bout de la rue. Écoute ça ! Les Vosges, c’est plein de loups et de lynx !

– Les Vosges, continue Alex, c’est le pays du munster, un fromage qui pue la mort et qu’est bon comme le paradis ! Tout ce qu’on aime à la maison !

– Là-bas poussent des arbres tellement hauts qu’on n’en voit pas le sommet et tellement vieux que même Charlemagne n’était pas né quand on les a plantés !

– À côté de là où on va, il y a une usine qui fabrique de délicieux bonbons à la framboise !

– On peut même y skier !

21

– Alors ? me demandent les deux ahuris avec des faces d’an gelots de la crèche.

– Alors quoi ?

– Ben, tu ne trouves pas que ça a l’air génial ! Qu’on a une chance de dingue d’aller là-bas ?

– Non !

Non, je ne crois pas qu’une usine de bonbons soit aussi bien qu’une plage à Cuba, qu’un vieux fromage qui pue soit aussi bon qu’une aurore boréale et qu’un lynx soit aussi « formidable » qu’un ours.

– Bon, laisse tomber, finit par dire Alex en attrapant Char lotte par le bras. On ne peut plus la comprendre, elle est trop vieille et elle ne peut pas encore comprendre, elle est trop jeune !

Et les deux m’abandonnent, laissant planer dans ma chambre le souvenir de leur munster qui fouette et qui empuantit tous mes rêves.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

4

Une lettre de papy

Où l’on retrouve avec plaisir un colis de papy, où l’on commence à se faire une idée de ce que pourraient être ces vacances de Noël, où l’on se dit qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’aller très loin pour trouver l’aventure et où l’on s’impatiente : vivement Noël !

Ce matin, le facteur a sonné.

Alex passait devant la porte, les yeux encore mi-clos, il a ouvert et le facteur lui a donné un paquet avant de disparaître dans la triste lumière du petit matin d’hiver.

23
Chapitre

– C’est un colis de papy ! hurle Alex, soudain parfaitement réveillé. Je l’ouvre tout de suite ! Rendez-vous dans la salle à manger.

À la maison, pour ceux qui n’y sont encore jamais passés, les courriers et les paquets de papy sont une institution. Il y a deux règles. La première : celui qui ouvre au facteur ouvre le paquet. Et la seconde, la plus importante : il faut être préparé à tout, car tout peut arriver. Alors, pendant que celui qui a été désigné par le sort procède à l’ouverture de la missive, il convient de rester à l’abri.

Ce matin, le colis a l’air normal, ni étrange ni bizarre, il ne fait pas tic-tac et ne sent pas le vieux poisson pourri, il ne fume pas et ne semble pas rempli de monstres venus tout exprès d’un autre monde pour nous sauter au visage et nous faire peur.

– Non, n’ouvre pas tout de suite, c’est trop injuste, je crie depuis ma chambre, je dois partir au collège, je ne peux pas rester.

Trop tard, le temps que je descende l’escalier, Alex est déjà occupé à couper la ficelle qui entoure le paquet, à déchirer le ruban adhésif qui le ferme, à arracher le papier qui le recouvre et, enfin, à ouvrir la boîte en carton.

– Il y a une lettre, je vous la lis !

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
24

« Chers enfants, J’ai appris par vos parents que vous partiez dans les Vosges… (Mes pauvres !) Il faut savoir que, là-bas, le froid peut tuer un bison en quelques secondes, s’il s’avise de sortir sans son écharpe. On raconte qu’au pôle Nord, quand ils ne sont pas sages à l’école, les petits Esquimaux ne sont pas mis au coin, mais envoyés dans les Vosges. J’ai un ami, ce vieil Edmond, vous ai-je déjà parlé de ce vieil Edmond ? Non ? Alors, un jour, Edmond, qui habitait dans les Vosges, est sorti de chez lui pour aller au coin de la rue chercher du pain. Edmond était distrait, il avait oublié de se couvrir, il n’avait mis qu’un manteau, un bonnet et une paire de gants. Il a fait deux mètres avant d’être transformé en statue de glace. On a dû attendre le printemps pour le décongeler, vers le 15 juillet. Il a survécu, mais on a dû lui amputer trois doigts, la moitié du nez et une oreille.

Alors, même si vous n’êtes pas des bisons, ni de petits Esquimaux et que vous êtes plus malins qu’Edmond, je vous envoie ces quelques équipements de survie et je vous souhaite bonne chance. (J’ai bien conscience qu’il est fort probable que je ne vous revoie jamais.) Sachez, si vous êtes dévorés par un monstre de la montagne, par une horde de loups sauvages ou si l’on retrouve vos corps congelés, morts de faim, de fatigue

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
25

ou de froid, que je garderai et chérirai votre souvenir pour le restant de mes jours.

Je vous embrasse tant qu’il en est encore temps !

Signé Papy P.-S. : il paraît que vous allez chez l’oncle William… c’est un choix respectable et courageux ! Vous devez cependant savoir que l’homme est étrange, il vit au milieu des bois depuis si longtemps que certains le soupçonnent d’être devenu à moitié arbre et à moitié renard. Si jamais vous êtes là-bas une nuit de pleine lune et que des branches vous sortent des oreilles, fuyez avant qu’il ne soit trop tard ! »

– C’est donc tout à fait officiel, et ça l’est un peu plus à chaque paquet, dit papa en riant, ton père est complètement fou !

– Il l’est depuis longtemps, répond maman. Mais il faut avouer qu’on l’aime bien comme ça.

– Je ne veux presser personne, dis-je debout, mon sac sur le dos, mais je dois filer au collège. Si ça ne vous gêne pas, j’aimerais qu’on ouvre le carton tout de suite, histoire de décou-

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
26

vrir si papy nous a envoyé des rats déshydratés ou des scorpions atomiques.

– OK, dit Alex.

Alors, les uns après les autres, mon frère sort des petits paquets du gros colis et il lit le message qui est inscrit sur chacun.

– Piège à ours et manuel d’instruction Comment échapper aux loups quand ils vous poursuivent dans la forêt, indispensables pour survivre en milieu hostile.

– Barres survitaminées spécialement conçues pour les voyages dans le Grand Nord. Permettent de résister aux moins trente-cinq degrés que vous allez devoir affronter.

– Fusées de détresse, à utiliser si jamais on se perd dans les forêts enneigées. Elles permettent aussi de faire peur aux lynx et aux loups.

– Couvertures de survie « à toujours avoir sur soi, c’est plus prudent ».

– Boussole, boîte d’allumettes et allume-feux. Il convient, quand on part pour ces régions reculées, de s’entraîner à l’art de faire démarrer un feu même dans la neige. Vous devez intégrer l’idée que votre survie est peut-être à ce prix.

– Gousse d’ail. C’est rare, mais il est possible que des vampires traînent dans le coin.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
27

– « Masque à gaz, à mettre de toute urgence si, par malheur en vous promenant dans la forêt, vous posez le pied sur un champignon atomique et qu’il explose ou, plus simplement, si quelqu’un ouvre la boîte d’un munster à moins d’un kilomètre de vous. »

– Attendez, il y a encore un papier au fond ! dit Alex en fouillant le carton. « Ceci est une recommandation et un ultime conseil avant de vous voir partir affronter ces contrées hostiles. Je ne pouvais pas les mettre dans le paquet, mais il serait prudent de voyager avec chacun un grand couteau et un bâton de dynamite. Je vous l’ai déjà dit, l’Est est sauvage, tout peut y arriver… bon courage. Adieu peut-être ! »

Là, c’est trop pour moi ! J’aime bien papy, mais il ne me fait plus rire ! Je file sans écouter les commentaires des parents. L’école m’attend, mes amies me réclament. J’imagine déjà la tête que vont faire mes copines quand je vais leur raconter le paquet de l’ancêtre.

– C’est triste d’être vieux… Selon moi, à partir de 25 ans, on devient gâteux ! dira Lou.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur
28

– C’est sûr, si ta famille t’envoie en vacances dans un pays où poussent les loups et des champignons atomiques, faut pas s’étonner ! soupirera Myrtille.

– Je vais demander aux parents si tu peux venir avec nous aux Antilles, me proposera Lucille en me prenant par l’épaule. Heureusement que j’ai mes copines.

Les Folles Aventures de la famille Saint-Arthur

Saint-Arthur de la famille

que j’aime ta verdure !

Les aventures rocambolesques et pleines de tendresse d’une famille pas comme les autres qui, pour Noël, découvre les Vosges et ses sapins, charge les valises de pièges à loup et de fusées de détresse, met l’ambiance dans la crèche pendant la messe de minuit, et se retrouve avec des poils de sanglier parmi ses cadeaux.

Paul Beaupère a passé son enfance à élever des cochons d’Inde et des lapins. Plus doué pour parler aux chats ou aux enfants qu’aux adultes, c’est un illustrateur hors pair de vaches volantes et un fournisseur officiel d’approximations orthographiques.

Dans la même collection :

10 France TTC www.mameeditions.com
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.