Sainte Hildegarde de Bingen

Emmanuelle Philipponnat • Père Pierre Dumoulin

GÉNIE DU MOYEN ÂGE

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25/05/2023 10:47

À mon mari, Charles, et à nos quatre enfants, Antoine, François, Pierre-Louis et Adeline, qui cheminent avec moi et sainte Hildegarde dans la joie depuis vingt ans. À tous ces jeunes en quête de vrai, de beau… de Dieu.

Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sophie Cluzel Direction artistique : Thérèse Jauze Direction de fabrication : Thierry Dubus Conception et coordination éditoriale : Dominique Pérot-Poussielgue - Plume sur Loire Correction et relecture : Pascaline Bourget Création graphique et mise en pages : Clotilde Chevalier Fabrication : Marie Dubourg © Mame, Paris, 2023 www.mameeditions.com ISBN : 978-2-7289-3044-9 MDS : MM30449 Tous droits réservés pour tous pays.

EMMANUELLE PHILIPPONNAT • PÈRE PIERRE DUMOULIN

Préface SR. ELAIÈ BOLLEN ABBAYE SAINTE-LIOBA, SIMIANE-COLLONGUE

A

ujourd’hui encore, sainte Hildegarde de Bingen a beaucoup de choses à nous dire.

Qui se met à l’écoute de son message découvrira un champ où sont enfouies des perles, des « paroles de vie », qui nous révèlent l’immense amour du Créateur pour l’homme, sa créature. La sainte a entendu Dieu lui dire : « C’est par amour pour l’homme que j’ai envoyé mon propre Fils dans le monde ».

Sainte Hildegarde nous indique la voie du vrai bonheur. À l’homme si souvent démuni devant le mystère de sa propre naissance, et qui se demande avec angoisse : « Pourquoi est-ce que j’existe, pourquoi la vie m’a-t-elle été donnée ? » elle répond, en substance : « Ne vis pas dans l’illusion d’être ton propre Créateur, tourne-toi vers Celui qui est à l’origine de ta vie, qui t’a créé à son image et à sa ressemblance pour que tu sois capable de vivre une relation de face à face avec Lui ; Dieu a embrasé ta vie, comme la création tout entière, de son grand amour ».

Si sainte Hildegarde est un don pour notre temps, c’est parce qu’elle nous aide à ouvrir grand nos yeux intérieurs, ces yeux grâce auxquels nous pouvons cesser de vivre à la surface de tout ce qui nous entoure et obtenir ce regard profond qui nous

fait toucher, percevoir, le mystère même de Dieu dans la création, dans notre vie.

Tout l’univers est, pour sainte Hildegarde, inondé de l’amour de Dieu, et notre vie même est le lieu, l’enclos, où Dieu, par sa grâce, désire faire ses merveilles. Cet immense amour de Dieu pour l’homme n’éveille-t-il pas en nous ce « oui » à la vie, ce « oui » au don reçu, celui de notre vie ?

Les retraites que nous donnons dans notre abbaye bénédictine de Sainte-Lioba à SimianeCollongue autour du message de sainte Hildegarde, montrent « Ne jamais désespérer chaque fois combien sa parole de la miséricorde de Dieu. » Règle de saint Benoît 4, 74. contient une force indispensable qui redonne vie à celui qui y participe. Ses paroles pleines d’espérance, car remplies de miséricorde, remettent l’homme debout pour qu’il puisse continuer son chemin. Il sait désormais que, même si sa vie est pour toujours marquée par des faux pas, l’amour de Dieu ne le méprise pas. Dieu, qui désire qu’il soit sauvé, sera toujours pour lui miséricorde.

Sainte Hildegarde, moniale bénédictine, a été profondément marquée par une parole de saint Benoît : « Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu. » L’amour miséricordieux de Dieu est le cœur de son message. Dans une prière au Christ qu’elle

PRÉFACE

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nomme son « très doux amant », elle dit : « Notre l’homme, sa créature, qu’il désire être pour nous confiance est en toi car ton désir est de chercher le serviteur et soutien jusqu’au moment où notre joyau jusque dans la pourriture ». vie prendra fin sur cette terre. Alors, par ses anges, Quoi que nous fassions, dit-elle, l’amour de Dieu Dieu viendra nous chercher pour nous emmener est si grand qu’il ne se lassera jamais de chercher dans sa lumière. Là, tous rassemblés et unis par l’homme pour le ramener à nouveau vers lui. Dans sa miséricorde, nous ferons partie de cette grande sa grande miséricorde, il ne peut oublier l’homme, communauté du ciel, où se réalise une communion son grand ouvrage, sa perle entre tous les êtres car, dit-elle, Dieu installe dans « Des louanges doivent être adressées précieuse, sa brebis : « Lorsque les demeures du ciel non seulement ceux qui sont au Créateur céleste puisque par sa grâce, Dieu installe dans les demeures du ciel l’Agneau innocent fut attaché debout et droits, mais aussi ceux qui sont « abattus non seulement ceux qui sont debout à la croix, par sa mort, la bre- et courbés ».

Auprès du Seigneur, dans ce face à face, nous et droits,mais aussi ceux bis perdue a été ramenée aux pâturages de la vie ». découvrirons, enseigne-t-elle, toutes les merveilles qui sont abattus et courbés. » La vie de sainte Hildegarde que Dieu a accomplies dans nos vies. Et notre Sainte Hildegarde de Bingen, Scivias 3, 13, 10. n’a pas été un long fleuve tran- étonnement s’exprimera avec tous les anges du ciel quille. Elle a connu la souffrance ; la séparation en un chant de louange. Lire les écrits de sainte alors que la moniale Richardis, sa secrétaire, la Hildegarde, c’est être empli d’une joie profonde quittait ; l’épreuve d’une autorité qui n’était pas qui est « espérance » ! toujours très juste. Elle a été confrontée à ses De prime abord, ces écrits peuvent sembler difpropres fragilités qui lui ont fait dire : « J’aurais ficiles d’accès. C’est pourquoi nous sommes recondû… » En cela, sainte Hildegarde nous ressemble, naissants au père Pierre Dumoulin et à Emmanuelle nous est si proche ! Sa prière au Christ – « Il est si Philipponnat d’avoir mis leur grande connaissance dur de résister à la saveur du fruit, mais toi relève- de la sainte au service de ce beau livre accessible à nous Christ Sauveur » – révèle qu’elle a connu et tous. Grâce à ces guides sûrs, le lecteur trouvera une partagé nos faiblesses... Mais la Lumière vivante introduction à l’ensemble de ce si large et précieux lui a montré que Dieu n’abandonnera jamais héritage que sainte Hildegarde nous a légué.

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Une lumière dans les ténèbres de notre temps PÈRE PIERRE DUMOULIN

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ans un monde en bouleversement, il est une message, précurseur de l’écologie moderne, certaines réalité qui ne saurait changer : la vie spirituelle, découvertes scientifiques de notre époque sont déjà dont la consécration monastique est un témoin, un ébauchées. Ses prophéties annoncent les changesigne, un étendard. Sainte Hildegarde de Bingen, ments climatiques, car elle dénonce déjà les conséabbesse bénédictine plongée dans cette dimension quences de l’avidité des hommes en des désastres intérieure de l’existence, propose des valeurs sûres environnementaux qui ouvrent des perspectives de aux racines vivifiantes ancrées dans les profondeurs fin du monde. Ses visions grandioses renouvellent de l’histoire… et pourtant tellement modernes ! notre façon de considérer la révélation chrétienne C’est à la découverte de cette « actualité » venue en donnant une dimension cosmique et univerdu fond des âges que ce livre vous invite, vous qui selle au message traditionnel. Sa musique originale l’avez ouvert. Plus qu’un parcours, c’est une aventure introduit à la splendeur des harmonies célestes… qui commence ici. Nous n’avons fait qu’amorcer Quant à l’enseignement thérapeutique qui a permis quelques pistes, pour que l’ouvrage reste accessible à nos contemporains de redécouvrir la visionnaire, à tous les publics : elles sont un encouragement à il fourmille de conseils pour rétablir l’équilibre de continuer l’exploration. Sainte Hildegarde conduit, nos vies stressées et usées. Vivre vrai, sobrement et en effet, sur des chemins de vérité, à la reconnais- en harmonie avec la nature, n’est-ce pas l’aspiration sance d’un univers intérieur aussi vaste que le profonde de tout être humain ? Pour cela il faut monde extérieur, puisque l’un est le reflet de l’autre. apprendre à connaître les vertus propres aux plantes Ce livre veut être simple, sans cesser d’être pro- qui ont été offertes et confiées aux hommes. Il est fond. Les écrits d’Hildegarde sont si riches qu’ils indispensable, surtout, d’ouvrir son cœur à l’émeroffrent à tout chercheur de vérité d’inestimables veillement devant la magnificence de la création. trésors, quel que soit son parcours antérieur. La Nous avons voulu retourner aux sources, aux vie de cette moniale est un véritable roman qui ne écrits de notre sainte : plonger dans ses œuvres est se contente pas des limites d’un cloître ou d’une un véritable bain de jouvence et de simplicité. On époque, mais qui, du cœur de l’Europe, rayonne lui a fait dire tant de choses qui ne viennent pas sur le monde, depuis de nombreux siècles. Dans son d’elle ! La grande abbesse n’a jamais composé une

INTRODUCTION

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« médecine hildegardienne » alambiquée et réservée à des « initiés » : elle a transmis une connaissance des plantes, des pierres et d’autres éléments naturels créés par Dieu pour le bien des hommes. À chacun d’en tenir compte pour prendre soin de soi-même et des autres en ajustant son rapport à la nourriture et aux épices. « Le beau est la splendeur du vrai », disait Platon.

Des enluminures qui ornent les premiers manuscrits des écrits de la sainte nous sont parvenues du lointain Moyen Âge. Elles sont d’une fraîcheur telle qu’elles parlent encore aujourd’hui à qui veut les décrypter. Car, de même qu’on « écrit » une icône, il faut apprendre à « lire » une enluminure. Les citations, semées au fil du texte, donneront à certains l’envie d’approfondir l’enseignement distillé, par la lecture des œuvres, par des retraites, des sessions, des expériences personnelles, en quête des visions contemplées par celle qu’on a surnommée « la conscience du xiie siècle ».

Dans la connaissance de l’homme et du monde que transmet sainte Hildegarde, le corps, l’âme et l’esprit sont inséparables ; s’il convient de les distinguer, c’est pour mieux les placer chacun à leur niveau. Ainsi l’homme n’est ni une machine qu’on répare, ni un pur esprit étranger aux réalités du

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monde. Au fil de ce livre, on passera donc aisément d’un aspect à l’autre pour découvrir la « symphonie » dont l’être humain est porteur et qu’il doit répandre autour de lui pour « symphoniser » le monde. Car la création entière résonne des harmonies que le cœur de l’homme y lance… ou des cacophonies qu’il impose à l’univers.

Il y a urgence à redécouvrir le beau message que la « Sybille du Rhin » offre à notre époque, avertissement venu du ciel et qui a mystérieusement échappé aux destructions du temps. Il n’est pas étonnant que le pape Benoît XVI ait fait d’Hildegarde de Bingen le premier « Docteur de l’Église » du xxie siècle, et la quatrième femme à porter ce titre prestigieux.

I. Hildegarde, l’élue de Dieu PAR EMMANUELLE PHILIPPONNAT

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e ne suis qu’une petite plume que le vent de l’Esprit transporte dans ses merveilles. C’est ainsi que se décrit Hildegarde : toute légère et docile, comme une plume qui se laisse aller par le souffle de l’Esprit Saint, vers les merveilles de la création tout entière.

Cet Esprit Saint était son compagnon de vie, elle lui a consacré et il lui a inspiré des prières d’une grande beauté et dont chaque mot peut trouver une résonnance en celui qui le prie :

Page précédente : La fontaine de vie.

Hildegarde s’est laissé façonner toute sa vie par l’Esprit Saint.

Lui, le Feu de l’Esprit, dispensateur des dons de lumière a fait d’elle une lumière vivante, douée de visions mystiques uniques.

Lui, le chemin très sûr qui pénètre toute chose, dans les hauteurs des cieux ou sur terre et jusque dans les abîmes, lui a révélé toute la beauté, les mystères et la puissance de la création et du Dieu Créateur.

Lui, l’Esprit Saint, feu d’amour, l’a envoyée vers les malades répandre son baume et purifier leurs blessures.

Ô

feu de l’Esprit Consolateur, vie de la vie de toute créature Tu es saint, toi qui donnes vie à toute beauté, Tu es saint, toi qui daignes répandre ton baume sur ceux qui sont brisés, Tu es saint, toi qui purifies les blessures les plus souillées !

Ô souffle de sainteté, Feu d’amour, Délice intérieur qui remplit nos cœurs du parfum des vertus, tu es saint !

Ô source limpide où se mire ce que Dieu anime Toi qui recueilles les exilés et recherches les égarés !

Bouclier de vie, sûre protection des membres de l’Église, Ceinture d’honnêteté, Salut des bienheureux, Veille sur ceux qui sont captifs de l’Ennemi,

Lui, le bouclier de vie, a fait d’elle une missionnaire, partie parcourir le royaume à la recherche des égarés de la foi, de ceux qui sont captifs de l’ennemi, que la divine puissance veut sauver. Cet esprit missionnaire la mènera à parler avec audace aux grands de son monde et à entreprendre des voyages, même à un âge avancé, pour convertir les cœurs à la foi chrétienne.

Lui, sûre protection des membres de l’Église, l’a accompagnée dans sa vocation d’abbesse bénédictine, tout à l’écoute des sœurs de sa communauté.

Lui, qui inspire les savants et les réjouit par la sagesse, a fait d’elle un génie en de nombreux domaines : architecture, musique, et a fait d’elle l’auteure de livres de théologie, de médecine et de science.

Lui, l’Esprit Consolateur, est venu la consoler alors que, de nature chétive, elle était souvent malade, alitée et réduite à l’inaction.

Lui, la louange et joie vivifiante, qui donne vie à toute beauté, lui a inspiré de nombreuses musiques et chants pour louer le Dieu Créateur de toute chose.

Lui, l’espérance et l’honneur des vivants, a fait d’elle une femme comblée des vertus de la Foi, de l’Espérance et de la Charité.

Délivre de leurs chaînes ceux que la divine puissance veut sauver !

Tu es saint ! Ô Chemin très sûr, qui pénètre toute chose, Dans les hauteurs des cieux ou sur terre, et jusque dans les abîmes, C’est toi qui relies tout l’univers.

Par toi vont les nuages et l’air parcourt les espaces, des rochers suintent les eaux, Elles jaillissent en ruisseaux et la terre déploie son manteau de verdure.

C’est toi qui inspires les savants et les réjouis par la sagesse.

Louange à toi ! Louange et Joie vivifiante !

Espérance et honneur des vivants, Dispensateur des dons de lumière !

Symphonie des Harmonies célestes

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Lui, le salut des bienheureux, le délice intérieur de nombreux écrits. Seuls les novices et oblats masqui remplit nos cœurs du parfum des vertus, a fait culins peuvent recevoir une formation littéraire à d’elle une sainte et la quatrième femme Docteur1 cette époque. de l’Église.

Au sein de cette clôture de femmes du Disibodenberg, Hildegarde est formée à l’esprit de la règle de saint Hildegarde, bénédictine Benoît (voir p. 15) qui commence par : « Écoute, Hildegarde nait en 1098 à Bermersheim, dans le mon fils, les paroles d’un Père ». La parole de Dieu, comté de Spanheim en Rhénanie. Le jour exact Hildegarde l’écoute, la médite, la prie, s’en imprègne, de sa naissance n’est pas connu. Elle est la dixième la connaît sûrement par cœur et la vit avec son cœur. et dernière enfant d’une famille de la noblesse Mais pour écouter, il faut pouvoir faire silence rhénane. Ses parents, Mechtilde et Hildebert von car le silence n’est pas vide mais présence, celle de Bermersheim, fidèles serviteurs de Dieu, décident Dieu en particulier. de la consacrer à Dieu alors qu’elle n’a que huit C’est dans ce cadre très privilégié de silence et de ans, afin qu’elle reçoive une formation humaine et présence de Dieu qu’Hildegarde apprend, comme chrétienne appropriée. tout oblat bénédictin, à « Ne rien préférer à l’amour du Christ » et à « Renoncer à soi-même pour suivre Elle est confiée comme élève à une femme de le Christ. ». Elle développe son intimité avec Dieu la noblesse, Jutta von Spanheim, ermite, qui a qui lui parle et se montre à elle dans des visions. formé une clôture féminine au Disibodenberg, vaste monastère bénédictin, muni d’un hospice Hildegarde, visionnaire et d’un jardin de plantes médicinales (à l’ouest de Mayence, au-dessus de la petite ville d’Odernheim, Voici comment elle-même décrit les visions qu’elle dans la vallée de la Nahe). Il reste de ce monastère reçoit. Dans la 5e année de mon âge, j’ai vu une telle quelques ruines à visiter. L’ambiance mystique de lumière que mon âme en a été ébranlée. Lorsque Dieu m’insuffla la vie dans le sein de ma mère, il imprima ce lieu invite à de saintes méditations. ce don de vision en mon âme. […] Depuis que j’étais Jutta devient l’instructrice d’Hildegarde, sa pre- petite fille, c’est-à-dire depuis l’âge de 5 ans, jusqu’à mière élève : elle lui enseigne la parole de Dieu, l’époque actuelle, j’avais ressenti d’admirable façon en lui apprend à chanter les psaumes de David, à moi-même la force et le mystère de visions secrètes et prier, à faire du travail manuel et intellectuel, à admirables. (Scivias : commencement de la première partie du parfaire sa formation spirituelle et théologique, à livre « Sache les voies ». Attestation de l’authenticité des visions allier la vie contemplative à la vie active. Elle lui émanant de Dieu.)

Pourquoi est-elle choisie pour recevoir de telles donne quelques rudiments de lecture et d’écriture en latin, suffisants pour lire les textes sacrés mais visions secrètes et admirables ? Pourquoi Dieu prend-il insuffisants pour écrire personnellement un texte. possession de son intelligence et de son cœur ? Il est Hildegarde ne reçoit ainsi aucun enseignement légitime de se poser une telle question. Mais est-ce littéraire ou musical à proprement parler, ce qui si important d’y répondre ? Un tel mystère apparpeut paraître surprenant alors que subsistent d’elle tient à Dieu.

Les Docteurs de l’Église sont des théologiens auxquels l’Église reconnaît une autorité particulière en tant que témoins de la doctrine, en raison de la sûreté de leur pensée, de la sainteté de leur vie, de l’importance de leur œuvre.

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HILDEGARDE, L’ÉLUE DE DIEU

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II. Les enluminures merveilleuses PAR PÈRE PIERRE DUMOULIN

II

HILDEGARDE, L’ÉLUE DE DIEU

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es visions inspirées

Le travail le plus précieux d’Hildegarde, sur le plan de la pensée, consiste en ses trois livres inspirés où elle décrit ses visions et donne les interprétations qu’elle en a reçues : le Scivias, le Livre des Mérites de la Vie et le Livre des Œuvres divines. Le Scivias est davantage lié à l’histoire du salut (comment Dieu agit dans l’histoire), le Livre des Mérites de la Vie à l’accueil de Dieu en l’homme par le développement des vertus (comment laisser Dieu agir en soi), le Livre des Œuvres divines contemple la puissance divine qui se déploie dans la création (comment Dieu gouverne l’univers). La visionnaire a dicté ce qu’elle percevait, et le moine Wolmar a « mis en forme » ce récit.

Hildegarde voit des images qu’elle décrit avec précision et entend des paroles qu’elle rapporte avec exactitude, puis elle en donne un commentaire, toujours de manière inspirée, affirme-t-elle.

Hildegarde se situe donc davantage comme une prophétesse que comme une mystique ou une théologienne : elle transmet une parole qui ne vient pas d’elle. Suivant la tradition prophétique de l’Ancien Testament, elle utilise souvent des expressions stéréotypées et un style majestueux et redondant. Comme les prophètes, elle était engagée politiquement et socialement et, dans le commentaire de ses visions comme dans sa correspondance, elle adresse volontiers des exhortations morales.

Des enluminures miniatures

Les quarante-cinq miniatures aux couleurs somptueuses qui ornent les manuscrits d’Hildegarde ont été réalisées à son époque et représentent fidèlement ses visions cosmiques (trente-cinq miniatures dans

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Scivias et dix dans le Livre des Œuvres divines). Elles sont d’une facture différente dans les deux ouvrages, mais d’une intensité d’expression exceptionnelle.

Certaines ont probablement été peintes sous sa direction, d’autres peu de temps après sa mort.

Incomparables sont, en particulier, la représentation de l’Amour divin prenant la forme d’un personnage en feu (voir page xxx), la vision de la Sainte Trinité (voir page xxx) et celle de l’homme dans la roue cosmique, animant et emplissant l’univers (voir page xxx), plus de trois siècles avant la naissance de Léonard de Vinci et son fameux dessin de l’homme universel (Homme de Vitruve, daté d’environ 1490).

Le langage symbolique des couleurs, emprunté largement à l’iconographie médiévale dont s’est inspirée Hildegarde pour décrire ses visions, est particulièrement remarquable. Les peintres de miniatures ont illustré avec soin ces descriptions, selon les normes propres à leur époque. En effet, la dimension symbolique répond à un langage conventionnel que les lecteurs comprenaient immédiatement et qui est souvent plus évident dans la représentation que dans le texte : écrits et illustrations s’éclairent mutuellement. Les fresques de cette époque utilisent les mêmes couleurs, les mêmes animaux, les mêmes personnages pour transmettre leur enseignement.

Le Scivias

La voie du salut Le Scivias est aujourd’hui le livre d’Hildegarde le plus largement disponible en traductions, malheureusement souvent abrégées. Cet ensemble de visions commentées peut être considéré comme une œuvre d’enseignement et de direction destinée à orienter le lecteur sur la voie du salut. Les grandes questions théologiques sont abordées, mais, pour

les expliquer, la visionnaire utilise d’ordinaire des ou d’un écrit que Wolmar s’est ensuite chargé de images, et non des raisonnements à base de concepts. mettre en bon latin.

Le trésor des manuscrits « Sache les voies » Dix manuscrits médiévaux du Scivias ont été Le titre Scivias (« Sache les voies »), exprime bien conservés jusqu’au xxe siècle, malheureusement deux le contenu de l’ouvrage : il transmet un savoir (sci, d’entre eux ont été perdus durant la Seconde Guerre impératif du verbe scio : savoir ou connaître) qui mondiale, surtout le manuscrit du Rupertsberg, indique des voies (vias) de salut. Les voies proposées réalisé à la fin de la vie d’Hildegarde, probablement ne doivent pas seulement être étudiées, mais aussi suivant ses conseils. Ce remarquable ouvrage, illustré parcourues : leur connaissance ne donne pas le salut, par trente-cinq miniatures, contient plus de cent mais invite à se mettre en route. De fait, le titre cinquante mille mots, soigneusement calligraphiés complet est plus explicite : Scivias Domini, « connais sur deux cent trente-cinq pages. Bien conservé, il se les voies du Seigneur ». L’expression a un double trouvait à la bibliothèque de Hesse, à Wiesbaden. sens, puisque le génitif peut être subjectif ou objectif : Comme tant d’autres trésors inestimables, il fut voies que suit le Seigneur pour sauver les hommes ou transporté durant la guerre pour être mis à l’abri. voies à suivre pour aller vers lui. La manière d’agir de Envoyé à Dresde, il disparut en route. On espérait Dieu est exposée dans le livre autant que le chemin à que la réunification de l’Allemagne permît de parcourir pour accomplir sa volonté. N’est-ce pas en remettre la main sur ce précieux manuscrit, sans fait la même réalité ? Parce que Dieu s’est fait homme, doute caché dans quelque bibliothèque privée ou ses chemins vers l’humanité deviennent les chemins enseveli dans une cave, mais il demeure introuvable. pour le rejoindre dans la gloire du ciel.

Il en reste néanmoins des photographies en noir et Une « catéchèse en images » blanc et une excellente copie, sorte de fac-similé réalisé à l’abbaye Sainte-Hildegarde d’Eibingen Le drame de l’éloignement et du retour de l’homme de 1927 à 1933. Les photographies confirment vers son Créateur, à travers l’histoire, dans le Christ et la précision du travail des bénédictines. Les par l’Église, est raconté de manière unique dans cet reproductions en couleur aujourd’hui disponibles ouvrage. Non seulement il explique les événements sont tirées de ce document. D’autres manuscrits du bibliques, mais il propose à son lecteur des « voies » début du xiiie siècle sont gardés à la Bibliothèque concrètes de retour à Dieu : les sacrements et les vaticane, à Heidelberg et à Oxford. Celui de Trèves vertus. Sans cesse, avec une surabondante éloquence, date de 1487.

Hildegarde décrit le mystère indicible d’une relation Personne ne peut affirmer avec certitude qu’Hilde- d’amour fondée sur la liberté et la gratuité. garde ait participé à l’élaboration des enluminures Dans un foisonnement d’images, Hildegarde du manuscrit du Rupertsberg. Mais celui-ci, daté propose ainsi un traité de théologie dogmatique de la fin du xiie siècle, semble le plus ancien et il est complet sur l’économie du salut (plan de Dieu pour possible qu’elle ait joué un rôle dans sa composition. l’homme et le monde) : la Trinité, le Christ, l’Église On voit d’ailleurs, sur la première miniature, et la fin des temps ; on y trouve même une pastorale Hildegarde traçant une esquisse sur une tablette de détaillée des sacrements. Les visions offrent aussi cire, mais on ne peut savoir s’il s’agit d’un dessin une morale qui consiste davantage en une généreuse

LES ENLUMINURES MERVEILLEUSES

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III. Une « écologie » avant l’heure PAR PÈRE PIERRE DUMOULIN

ne œuvre centrée sur l’homme

Benoît XVI, Décret du doctorat. Disponible en français sur le site de l’Abbaye de Bingen : Décret apostolique pour la proclamation de sainte Hildegarde de Bingen Docteur de l’Église : https:// abtei-st-hildegard.de/ decret-apostolique

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que certaines tournures et vocables du latin médiéval sont parfois obscurs pour le lecteur du xxie siècle.

Dans son décret d’attriLa sensibilité à la nature bution du Doctorat à Entre autres aspects majeurs, le pape Benoît XVI sainte Hildegarde, le pape souligne l’actualité du message d’Hildegarde pour Benoît XVI a expliqué le l’écologie, car il est susceptible de toucher les choix de cette moniale du défenseurs de l’environnement bien au-delà de la xiie siècle comme quatrième femme Docteur de sphère chrétienne : « Son message apparaît extraorl’Église. Plus que la valeur de ses célèbres ouvrages dinairement actuel dans le monde d’aujourd’hui, de pharmacopée, le pape souligne l’importance de qui est particulièrement attiré par tout ce qu’elle a ses visions prophétiques. Chacune de ses œuvres, à proposé et vécu. Nous pensons spécialement […] sa manière, place l’homme dans l’univers. à sa sensibilité pour la nature, dont les lois sont à - Le Scivias, terminé en 1151, contemple Dieu protéger et ne sauraient être violées. Dès lors, la source de vie, le monde comme création et l’homme reconnaissance du titre de Docteur de l’Église à comme l’enclos des merveilles de Dieu, puis s’attache Hildegarde de Bingen a une grande signification à décrire l’œuvre de rédemption que le Christ opère pour le monde d’aujourd’hui. Sa capacité de parler aujourd’hui par les sacrements, et finalement le à ceux qui se tiennent loin de la foi et de l’Église déploiement de l’âme dans la beauté des vertus. fait d’Hildegarde un témoin crédible de la nouvelle - Le Livre des Mérites de la Vie (1158-1163) met en évangélisation1. » scène trente-cinq couples de vices et de vertus, clasL’homme dans la création sés selon un ordre correspondant au corps humain, Chez sainte Hildegarde, anthropologie (connaisde la tête aux pieds.

- Le Livre des Œuvres divines (1163-1174) admire sance de l’homme), cosmologie (connaissance des la Trinité divine, l’ordre cosmique et la position de lois de l’univers) et écologie (relations des êtres l’homme au cœur de l’univers, avant de décrire la vivants avec leur milieu et entre eux) sont intimeJérusalem céleste, la victoire du Christ à la fin des ment liées. À son époque, ces termes ne sont pas temps et l’admirable harmonie de la vie éternelle. encore utilisés et il serait plus opportun de parler Cet ensemble bien structuré constitue une sorte de de « place et rôle de l’homme dans la création ». « somme théologique » qui vise à la fois l’instruction Par son encyclique Laudato Si’, le pape François a des lecteurs en matière de foi et de sacrements, leur confirmé la ligne d’enseignement de notre sainte : formation morale et la contemplation de Dieu à c’est seulement en fonction d’une certaine idée de travers la beauté de sa création, au cœur de laquelle l’humanité et du monde que peut naître un désir l’homme s’épanouit. Les livres inspirés sont écrits de protéger le milieu dans lequel l’homme évolue, dans un style bouillonnant, particulièrement riche on ne peut donc pas séparer écologie et anthroen images et énergique dans son expression, à la pologie : « “Laudato si’, mi Signore“, “Loué sois-tu, manière d’une apocalypse. Il n’est pas toujours facile mon Seigneur“, chantait saint François d’Assise. de comprendre et même d’imaginer cet univers foi- Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre sonnant de vie, étourdissant et complexe ; d’autant maison commune est aussi comme une sœur, avec

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note : « Au centre de la pensée théologique et spirituelle de la sainte, figure la Création, entendue non pas seulement dans le sens moderne, mais comme renvoyant toujours à son Auteur, Dieu le Créateur qui, en vertu de son amour incomparable pour l’existence créée, a voulu placer l’homme au centre de la Création. Hildegarde ne voit jamais l’homme et le monde, le corps et l’ âme, la nature et la grâce comme des phénomènes isolés. L’anthropologie est fortement liée à la cosmologie et, par conséquent, également à l’écologie. Toute la Création transparaît, au fil de son œuvre, à partir du lien vivant entre tous les phénomènes. Pour décrire ce lien intrinsèque de toute la création, et surtout l’“harmonie” avec laquelle les créatures se rapportent les unes aux autres jusqu’à se compléter, Hildegarde utilise souvent le terme de “symphonie”3 ».

Plus avant dans son décret du doctorat, Benoît XVI précise : [Pour Hildegarde] « La Création est un acte d’amour, par lequel l’univers peut surgir du néant : c’est pourquoi l’ensemble des créatures s’écoule comme un fleuve de l’amour divin. Parmi 2 Pape François, Lettre les créatures, Dieu aime spécialement l’homme et Encyclique Laudato Si’, du 24 mai 2015, lui confie une dignité particulière […] L’homme est disponible sur le La création, un acte d’amour en mesure de connaître Dieu en lui-même, c’est-à- site du Vatican.

3 Osservatore On ne défend bien que ce qu’on honore ; sainte dire son essence individuelle dans la trinité des per- Romano, Hildegarde admire la nature et l’homme, parce sonnes. L’anthropologie d’Hildegarde prend comme 7 octobre 2012. qu’elle adore leur Créateur. Le cardinal Karl Lehman point de départ le récit biblique de la création de

laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : “Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe”.

Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter.

La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui “gémit en travail d’enfantement” (Romains 8, 22). Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Génèse 2, 7). Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure2 ».

Abbaye Saint Hildegard.

UNE « ÉCOLOGIE » AVANT L’HEURE

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IV. La thérapie de sainte Hildegarde PAR EMMANUELLE PHILIPPONNAT

n soin chrétien

Pour l’homme, miroir de Dieu, ultime achèvement de la Création, Dieu, dans sa fidélité et son amour, a mis dans la nature tout ce dont l’homme Une thérapie corps, a besoin pour se soigner. Par les deux facultés de son âme et esprit âme que sont la volonté et l’intelligence, l’homme La thérapie de sainte Hilde- peut prendre des décisions concrètes (alimentation, garde ne saurait être appré- remèdes, thérapie spirituelle) pour sa santé et devehendée sans la compréhen- nir ainsi acteur de sa santé. sion des deux précédents chapitres de ce livre, où Dieu seul guérit l’homme a été décrit comme étant UN : corps, Néanmoins, malgré tous les outils mis à sa disposiâme et esprit.

Ces trois dimensions sont liées, indissociables, tion pour l’aider à se soigner, l’homme doit savoir interdépendantes les unes des autres. Elles forment que la guérison ne dépend pas de lui seul ou de une unité que la Bible elle-même enseigne : « Que son soignant, mais de la volonté de Dieu. votre esprit, votre âme et votre corps soient tout C’est par cette affirmation qu’est introduit le entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Livre III du Causae et Curae consacré aux maladies Seigneur Jésus Christ. » (1 Thessaloniciens 5, 23). et remèdes : Pour les maladies décrites ci-dessus, les Et qu’Hildegarde décrit à merveille dans le remèdes décrits ci-dessous, révélés par Dieu, délivreront Scivias : Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient l’homme ; ou bien celui-ci mourra, ou bien Dieu ne faire ses gammes. veut pas qu’il soit délivré.

Cette affirmation est répétée avec des termes La thérapie de sainte Hildegarde respecte cette unité différents une vingtaine de fois dans le Causae et et cette globalité, car elle est axée sur ces trois dimen- Curae ainsi qu’une vingtaine de fois dans le Livre sions de l’homme. des Subtilités des Créatures divines. C’est dire l’imEn maintenant son corps, temple de l’Esprit, portance de cette notion dans la compréhension de en bonne santé physique ; en prenant soin de son la thérapie de sainte Hildegarde où la maladie peut âme, de ses émotions et de ses réactions, l’homme aussi être vécue comme un chemin de sanctification. pourra s’élever vers Dieu et devenir transparent à Par la tribulation de son corps, l’homme a fréquemla vie divine qui est en lui. Il accomplit ainsi la ment accès aux richesses spirituelles, et par elles, il gagne mission qui est la sienne : rayonner de l’amour le royaume d’en haut. (Livre des Œuvres divines, 2e vision).

Hildegarde le sait bien, elle qui a été malade de Dieu !

Quand l’âme et le corps s’accordent dans leur toute sa vie, alors qu’elle vivait sans nul doute des rectitude, ils obtiennent dans une joie unanime des bons conseils de santé qui vont être livrés dans la récompenses suprêmes. (Livre des Œuvres divines, 4e vision, suite de ce chapitre. paragraphe 2).

Les piliers de la thérapie de sainte Hildegarde L’homme acteur de sa santé La thérapie de sainte Hildegarde est donc une thé- Même si, dans ses livres de sciences ET de théolorapie de l’homme et non des symptômes. gie, Hildegarde nous livre des clés pour appréhen-

150 SAINTE HILDEGARDE DE BINGEN

der le soin, elle ne définit pas à proprement parler un soin « hildegardien » ou une thérapie « hildegardienne » ou encore une « méthode hildegardienne ».

La thérapie de sainte Hildegarde, décrite par La vision initiale du Livre des Œuvres divines se termine la suite, est donc une interprétation synthétique par cette affirmation : Dieu a représenté cela [la Trinité] à partir de ses enseignements tant « médicinaux » dans l’homme : il possède corps, âme et intelligence. que spirituels. À l’instar de saint Augustin, Hildegarde voit dans l’homme Elle repose sur quatre piliers : l’image de la Trinité divine, et c’est précisément ce qui lui donne - une alimentation simple, vécue dans le respect une place particulière dans l’univers. Sa structure ternaire de la création, au rythme des saisons ; le distingue des autres créatures : il est corps, âme et esprit.

- des remèdes naturels révélés par Dieu ; Partie intégrante de ce monde matériel par son corps, - l’élimination des toxines (humeurs viciées) par il a une volonté et une intelligence qui forment son âme. différentes techniques dont le jeûne ; Quelque chose de plus, en lui, transcende la création, - le soin de l’âme et de l’esprit par la foi dans le c’est son esprit qui lui donne la capacité d’entrer en relation Christ Sauveur, la pratique des vertus, la louange, avec Dieu. Dans l’enseignement d’Hildegarde, âme et corps la prière et bien sûr les sacrements. sont étroitement unis et complémentaires. » (cf. Genèse 1).

Tous ces piliers forment eux aussi une unité : pour prendre soin de l’homme, il convient de les PAR LE PÈRE PIERRE DUMOULIN mettre en place ensemble, conjointement. L’un ne saurait être exclu ou avoir plus d’importance qu’un L’alimentation selon sainte Hildegarde ne autre. Chacun de ces quatre piliers va être détaillé peut pas être vue de manière aussi restrictive car dans la suite de ce livre.

Hildegarde n’a pas édicté des règles mais donné des conseils.

Corps, âme et esprit ? L’homme, un et multiple

Une alimentation simple, vécue dans le respect de la création

L’alimentation selon sainte Hildegarde, telle qu’elle va être décrite dans la suite de ce livre, est une interprétation faite à partir de son livre de sciences Des conseils plus que des règles la Physica, où elle décrit les céréales, les épices, les alimentaires légumineuses, les plantes, les arbres et leurs fruits, Quand on parle de l’alimentation selon sainte les animaux, dans le respect des usages et habitudes Hildegarde, on a tendance à la réduire, dans le meil- de la cuisine médiévale. leur des cas, à l’épeautre, au fenouil et aux biscuits Au fur et à mesure de la lecture de ce livre, on de la joie ; et dans le pire des cas, à ses « interdits », se rend compte qu’Hildegarde ne donne aucune le poireau, la fraise, la prune, etc. règle alimentaire et ne propose pas de « menu » On peut aussi employer des termes peu appé- idéal, de combinaisons alimentaires optimales, de tissants : régime hildegardien, diététique hildegar- quantités à manger, d’un équilibre nutritionnel à dienne, etc. Autant d’expressions qui n’invitent pas respecter. On est bien loin des règles édictées par au plaisir du « manger ». la diététique actuelle.

LA THÉRAPIE DE SAINTE HILDEGARDE

151

V. La musique de sainte Hildegarde PAR PÈRE PIERRE DUMOULIN

u’est-ce que la musique pour sainte Hildegarde ?

1 Le « trobar » est une forme poétique des troubadours du xiie siècle. Ces poèmes sont des énigmes qui font appel aux connaissances des lecteurs. Le « trobar » peut être clus (difficile, étroit), leu (léger, compréhensible), ou ric (riche, recherché).

de la pointe des vivantes lumières qui vivent dans la cité d’En-haut, le chant de la prophétie des profondes paroles, le chant venant de l’extension de l’apostolat des paroles merveilleuses, le chant de l’effusion du sang de ceux qui s’offrent fidèlement. (Scivias, 13e vision.)

La musique sacrée libère l’homme de ce qui le sépare de Dieu : dépassant l’intelligence rationnelle, elle ouvre l’homme à l’Esprit. Elle préfigure ainsi le bonheur auquel l’homme est appelé et lui révèle sa propre vérité au-delà de la mort.

La musique est donc la forme la plus élevée de toute activité humaine, miroir de l’harmonie des sphères célestes et des chœurs angéliques. Car l’âme est symphonique ; de même que la parole désigne le corps, la symphonie manifeste l’esprit, car l’harmonie céleste annonce la Divinité et la parole annonce l’humanité du Fils, écrit-elle dans le Scivias.

Hi l d e g a rd e e x p l i q u e qu’avant la chute, Adam jouissait de la voix du « Vivant Esprit », voix spirituelle semblable à celle des anges chantant la louange éternelle de Dieu.

Cette voix, Adam l’a perdue et aspire à la retrouver : la musique, chant et instruments, est le chemin de ce retour à la louange pure.

Pour que l’homme puisse jouir de cette douceur et de la louange divine dont le même Adam jouissait avant sa chute, et dont il ne pouvait plus se souvenir dans son exil, pour l’inciter à les rechercher, les prophètes, instruits par ce même Esprit qu’ils avaient reçu, inventèrent non seulement des psaumes et des Les œuvres musicales cantiques, qui étaient chantés pour augmenter la dévo- de sainte Hildegarde tion de ceux qui les entendaient, mais aussi divers La vision finale du Scivias est une explosion de instruments de musique, grâce auxquels ils émettaient louange en quatorze chants accompagnés d’ande multiples sons afin que, tant des formes et des qua- tiennes et de répons. Le livre se termine donc par lités de ces mêmes instruments que du sens des mots une apothéose musicale qui veut donner le goût de qu’ils entendaient et qui leur étaient répétés, éveillés l’harmonie céleste vers laquelle, de vision en vision, et exercés par ces moyens, ils puissent être instruits Hildegarde a conduit ses lecteurs. Les poèmes sont écrits dans un style énigmatique, qu’on a comparé intérieurement. (Lettre aux Prélats de Mayence.)

Ainsi, pour Hildegarde, la musique est d’abord au trobar clus1 des troubadours contemporains de la une écoute intérieure dans le silence de la médi- sainte. Le décryptage des expressions foisonnantes tation et de la contemplation : il ne s’agit pas de de réminiscences bibliques nécessite une bonne s’écouter soi-même mais bien d’ouvrir son âme. connaissance de l’Écriture sainte et de ses symboles.

Dans le silence, le musicien reçoit la musique qui Les chants se succèdent par paires : deux pour la vient de Dieu. Il s’agit de tendre l’oreille intérieure Vierge Marie, deux pour les anges, et deux pour vers le Verbe divin. Pour Hildegarde, la musique est chacune des catégories de saints : les patriarches et reçue à la manière d’une vision dans l’ordre sonore, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les confesseurs accordée à l’âme qui s’est rendue disponible. et les vierges. Une partie de cette vision finale forme Entends dans la musique le chant venant de l’ar- l’ébauche du drame musical publié en 1150 sous deur enflammée de la pudeur virginale d’une tige épa- le titre d’Ordo Virtutum. Cet ouvrage lyrique met nouie dans l’embrassement des mots, le chant venant en scène les tiraillements de l’âme entre le démon

188 SAINTE HILDEGARDE DE BINGEN

et les vertus, il constitue la plus ancienne « moralité » connue, un genre dont on croyait qu’il n’avait commencé qu’au xive siècle. L’Ordo Virtutum sera joué en 1152 pour l’inauguration du monastère du Rupertsberg.

L’œuvre intitulée Symphonie des Harmonies des Célestes Révélations regroupe, quant à elle, soixante-dix-sept poèmes religieux (des hymnes, des séquences, des antiennes, des répons, un kyrie et un alléluia), destinés à être chantés par les sœurs du couvent lors des cérémonies liturgiques. Car cette musique est une thérapie de l’âme et du corps pour celui qui chante, plus que pour celui qui écoute.

Deux principales sources manuscrites de la musique d’Hildegarde ont été conservées : le Dendermonde Codex et le Riesencodex de Wiesbaden,

en Allemagne. À eux deux, ils contiennent les chants de la Symphonia et l’Ordo Virtutum. Quatre autres manuscrits contiennent des fragments de la musique et de la poésie d’Hildegarde.

Les œuvres d’Hildegarde s’enracinent dans le plain-chant du Bas Moyen Âge germanique. Ce genre musical partage l’esprit et les formes du chant grégorien, mais il s’en distingue par des mélismes (ensembles de notes) très développés, audacieux parfois, et par des ruptures. On remarque chez Hildegarde un rapport plus étroit au texte et une utilisation symbolique des modes (échelles musicales) en fonction du contenu des poèmes. Les motifs, en perpétuelle mutation, reviennent sans cesse, envoûtant l’auditeur par leur fluidité et leur force.

Hildegarde y ajoute des formules personnelles qui font de ses œuvres de véritables visions en musique.

DEVENIR UN « INSTRUMENT DE MUSIQUE » POUR DIEU Pour l’abbesse bénédictine fidèle à l’enseignement de la Règle, la vie intérieure est une « expérience » spirituelle, semblable à la connaissance sensible de notre vie « extérieure », et non une illusion. Il faut laisser Dieu jouer de nous, comme d’un instrument, Hildegarde le dit par de belles images musicales.

Un tambourin : Mon Dieu, fais de moi ton instrument, que je résonne entre tes mains comme le tambourin de ton amour2 .

Une trompette : Les créatures humaines peuvent seulement chanter les mystères divins comme une trompette, qui peut être jouée mais ne peut jouer d’elle-même ; c’est un Autre qui souffle en elle pour qu’elle puisse donner un son3 […]

Une harpe : La personne qui a vu et mis cela par écrit […] publie les mystères de Dieu, non par elle-même, mais touchée par eux, de même que la corde touchée par le citharède [chanteur qui s’accompagne à la cithare] rend un son par son toucher et non par elle-même 4.

2 Poème « Ardent désir » (Au ciel ma patrie, je rencontrerai…) ; on retrouve la même image dans Scivias, 3e partie, 13e vision, et Symphonia 27 De Spiritu Sancto.

3 Lettre de sainte Hildegarde à sainte Elisabeth de Shonaü (Epistolae II, 456457) ; Hildegarde de Bingen, lettres, traduit par Elisabeth Lenoir, Jérôme Million, 2007, p. 60.

4 Livre des Mérites de la Vie, p. 165.

LA MUSIQUE DE SAINTE HILDEGARDE

189

Table des matières Préface

4

I. Hildegarde, l’élue de Dieu

10

Une lumière dans les ténèbres de notre temps 6 Hildegarde, bénédictine Hildegarde, visionnaire Hildegarde, missionnaire Hildegarde, fidèle dans l’obéissance Hildegarde, prophétesse Hildegarde, européenne avant l’heure !

Hildegarde, doublement abbesse Hildegarde, architecte Hildegarde, chef d’entreprise Hildegarde, combattante, l’athlète de Dieu Hildegarde, merveilleuse « mère » pour « ses filles » Hildegarde, conseillère Hildegarde, théologienne Hildegarde, écrivain Hildegarde, médecin du corps et de l’âme Hildegarde, malade Hildegarde, sainte en son temps Hildegarde, sainte pour notre temps

II. Les enluminures merveilleuses La vision introductive

PREMIER LIVRE DU SCIVIAS

Le fleuve de Vie Le péché originel L’univers L’âme La Synagogue Les neuf chœurs des anges Conclusion : les six fondements DEUXIÈME LIVRE DU SCIVIAS

La chute et la Rédemption La Sainte Trinité L’Église engendre par le baptême

13 13 16 17 18 20 20 21 21

22 23 24 24 25 26 27 31 32

34

40

42 44 46 48 54 56 58

60 62 64

La confirmation : onction de force L’Ordre : La hiérarchie dans l’Église Le sacrifice du Christ pour l’Église : l’Eucharistie et la Confession Résister au démon et à ses ruses TROISIÈME LIVRE DU SCIVIAS

Le Tout-Puissant L’édifice du salut La tour de la volonté divine : les vertus fondamentales Le pilier de la parole de Dieu La connaissance et le zèle de Dieu Le triple mur de la Loi Le pilier de la Trinité Le pilier de l’humanité du Sauveur La tour de l’Église Le Fils de l’homme et la montagne de l’Incarnation La chute de l’Antéchrist à la fin des temps Le jugement dernier, les Cieux nouveaux et la Terre nouvelle L’harmonie du monde nouveau LE LIVRE DES ŒUVRES DIVINES

Dieu L’univers et l’homme en Dieu L’homme, centre de l’univers Le travail de l’homme La justice, ajustement de toutes choses à la volonté divine L’œuvre stable de Dieu, l’Église, cité de Dieu L’œuvre du salut La fontaine de vie La sagesse La charité

66 68 70 74

78 82 84 86 88 92 94 96 98 100 102 104 108

112 114 116 118 120 122 124 126 128 130

III. Une « écologie » avant l’heure

Une œuvre centrée sur l’homme La création, un acte d’amour Dieu Trinité, source de toute vie et de toute énergie L’homme dans l’univers L’Univers : un équilibre entre les différentes énergies Les conséquences du péché Grandeur et beauté de l’homme

IV. La thérapie de sainte Hildegarde

Un soin chrétien Une alimentation simple, vécue dans le respect de la création Des remèdes naturels L’élimination des toxines Le soin de l’âme et de l’esprit

132

134 135 137 138

140 144 146

148 150

151 173 180 183

V. La musique de sainte Hildegarde

186

Conclusion

214

Caritas, antienne O aeterne Deus, antienne O magne Pater, antienne Rex noster, répons Cum erubuerint, antienne O quam pretiosa, répons O splendidissima, antienne O clarissima, répons Spiritus Sanctus, antienne O nobilissima viriditas, répons O vos angeli, répons Alleluia, O virga mediatrix

Les vertus chez sainte Hildegarde

190 192 194 196 198 200 202 204 206 208 210 212

215

Prophétesse, musicienne, médecin de l’âme et du corps, sainte

Hildegarde de Bingen est sans nul doute un génie du Moyen Âge.

Emmanuelle Philipponnat, de l’association La Maison de sainte Hildegarde, et le père Pierre Dumoulin nous font profiter de leur expertise sur cette Docteur de l’Église au rayonnement universel.

À travers sa vie, sa spiritualité, ses visions, ses 45 enluminures

décryptées, son regard sur la Création, sa thérapie, ses recettes pour une alimentation saine, ses cantiques harmonieux, cette bénédictine élue de Dieu nous transmet tout son savoir, toute sa confiance, toute la beauté du monde !

Cet ouvrage original et complet est un magnifique cadeau à se

faire ou à offrir pour découvrir ou redécouvrir cette lumière que fut sainte Hildegarde pour tous, encore et toujours aujourd’hui, et transmettre la richesse de son message spirituel et thérapeutique.

4 5 e n l u m i n u re s d é c r y p t é e s 12 cantiques à écouter

35 € France TTC www.mameeditions.com

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