Légendes et mythes venus du Nord

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Légendes et mythes venus du Nord

UN NOUVEAU REGARD SUR LES SOCIÉTÉS VIKINGS

Laetitia Abad Estieu • Illustrations de Lucie Louxor

NORVÈGE DANEMARK ISLANDE GROENLAND 4 9 3 8 CANADA 10 FRANCE 5 Lesneuf mondes mythologiquesd’Yggdrasil Niflheim Jotunheim Helheim Vanaheim Svartalfheim Midgard Alfheim Muspellheim Asgard 12 2 7
NORVÈGE DANEMARK SUÈDE 6 1 Audhumla, Ginnungagap ...................................6 2 Embla, Midgard 22 3 Wisna, Islande 38 4 Kåre, Norvège 54 5 Rind, France 72 6 Blenda de Småland, Suède 88 7 Thor, Jötunheim 104 8 Noma, Groenland 122 9 Fenja & Menja, Danemark 140 10 Gudrid, Canada 156 11 Brynhilde, lieu inconnu 172 12 Fille de Sol, Asgard 190
Audhumla

Audhumla

– D’après la « Gylfaginning » dans l’Edda, Snorri Sturluson –

Avant l’espace et avant le temps, avant même mon existence, il n’y avait que l’Immense Abîme. Dans ce gouffre dont nulle entité n’a jamais discerné le fond, d’étranges ondes se mouvaient, solitaires, en circonvolutions infinies. Vibrantes de la magie la plus primordiale, elles ont survécu à tous les bouleversements qui ont suivi ma naissance et me tiennent encore compagnie, alors que l’univers entier m’a depuis oubliée. Elles viennent parfois effleurer mes oreilles ou se prendre dans mes cils, et je crois même souvent que je les sens jouer à se poursuivre le long de mon dos. Ce sont les seuls vrais contacts que je m’autorise depuis que je me suis enfoncée au plus profond de l’Abîme, loin des épreuves des nouveaux mondes où tout change et tout se transforme, mais aussi où tout meurt. Des mondes qui ne voient en moi qu’une chose, un moyen, et non un être sensible et vivant. Des mondes où rien ne m’attend, puisqu’on m’y a tout pris.

Je suis née de la rencontre du givre empoisonné et de l’air brûlant. Prise tout entière dans une gangue de glace transparente à l’intérieur de laquelle perlaient des gouttes acides qui me brûlaient les poils, je m’étais soudain éveillée. Sans passé, sans souvenir et sans dessein, j’étais. La chape froide avait été simple à briser, le premier souffle chaud sorti de mes naseaux l’ayant déjà grandement fragilisée, et je m’étais dressée pour la première fois sur mes quatre pattes.

J’étais arrivée au monde au centre même de l’Immense Abîme et, comme je l’ai compris plus tard, à distance égale entre le Sombre Froid, au nord, et le Grand Feu, au sud. Je me suis longtemps satisfaite de cet état de fait. Ni questions ni émois, la première période de ma vie ne fut qu’une suite qui me semblait

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infinie d’actes instinctifs : ouvrir les yeux, être éveillée, fermer les yeux, dormir, ouvrir les yeux, être éveillée… jusqu’à ce que la Faim vînt tout bouleverser.

Lorsque Ymir daignait encore écouter mes souvenirs, quoique distraitement, il appelait cette période ma « crise d’adolescence », mais je pense simplement que j’étais arrivée au terme de ce cirque grotesque d’yeux ouverts puis fermés. J’avais soudainement pris conscience de ma présence au monde et, surtout, de mon immobilisme. Avec cette épiphanie était venue la Faim de savoir, de tout savoir. Que faisais-je ici ? Qui étais-je ? Quel était cet endroit ? Et, plus que tout, quel sens avait donc cette existence solitaire qu’était la mienne ? Je ruminais ces questions sans relâche, et comme les réponses ne semblaient pas vouloir naturellement me tomber entre les sabots, j’avais décidé de partir à leur rencontre.

Avant tout, j’avais voulu comprendre ce qui m’entourait et, donc, partir explorer mon Abîme. Quoique debout depuis ma naissance, je n’avais pas encore marché, et mes premiers pas m’ont ainsi beaucoup appris. Je m’étais d’abord retournée pour étudier le lieu de ma venue au monde. Chacun de mes mouvements n’était qu’une énième tentative de trouver mon équilibre, ce qui donnait à ma démarche une allure cocasse. Là, gisaient les restes de la gangue givrée qui m’avait emprisonnée, l’empreinte de mon corps toujours discernable. Inspectant deux cylindres de glace situés près de la trace qu’avait laissée ma tête, je compris que je portais sur mon front deux cornes qui, certainement, donnaient à mon apparence un bel air altier. Je redressai donc la tête, me secouai l’échine et pointai fièrement mon museau vers le néant. J’y passai distraitement la langue, et c’est ainsi que je découvris que, si le givre venimeux brûlait ma peau, il se transformait en un pétillement inoffensif dans ma bouche. Inoffensif, et même tout à fait délicieux. Je m’étais donc mise à lécher férocement la glace qui m’environnait, trouvant alors une solution à la faim physique que je découvrais, mais toujours pas à la grande Faim de sens qui embrasait mon esprit.

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Légendes et mythes venus du Nord

De LOKI aux VALKYRIES, douze légendes sous un nouveau regard

À travers une réécriture moderne et l’analyse de douze mythes originels, (re)découvrez la mythologie nordique, qui fascine autant qu’elle est mystérieuse. Femmes exploratrices, guerrières et sorcières, traitement des enfants, perception de la masculinité... Autant d’aspects qui nous permettent de porter un nouveau regard sur la culture viking et de mieux comprendre son influence sur nos sociétés contemporaines.

Activiste féministe sur les réseaux sociaux à travers son compte @cestquoicetteinsulte et autrice, Laetitia Abad Estieu s’attaque à douze mythes pour en donner sa propre réécriture, résolument inclusive, resituer les messages qu’ils transmettent dans le contexte de leur époque, et en tirer de nouveaux enseignements.

www.mangoeditions.com MN31724 25,95 € TTC

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Légendes et mythes venus du Nord by Fleurus Editions - Issuu