Sébastien Péguin
Direction : Guillaume Pô
Direction éditoriale : Sarah Malherbe
Édition : Estelle Mialon et Elsa Tirel
Illustration et graphisme de couverture : Sandhya Prabhat
Mise en page et conception du plan : Bleuenn Auffret
Correction : Anne-Sophie Bord
Direction de fabrication : Thierry Dubus
Fabrication : Marie Guibert
© Fleurus, Paris, 2022, pour l’ensemble de l’ouvrage. www.fleuruseditions.com
ISBN : 978-2-215-17447-9
MDS : FS74479
Tous droits réservés pour tous pays.
« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. »
Sébastien Péguin
À mes filles, Anaïs et Héloïse, enfin un roman de votre père que vous pouvez lire.
De la côte Ouest baignée de soleil aux légendes urbaines de la côte Est, les sites hantés sont légion sur le territoire américain. […] Gardez à l’esprit que derrière chaque maison ou chaque monument historique peuvent se cacher des entités fantomatiques, qui n’attendent que vous pour se révéler. »
L’Amérique hantée, Guide à l’usage des chasseurs de fantômes, Sylvie Havart (2016)
« – Savez-vous quel est le plus terrifiant des monstres, docteur ?
– Non.
– Celui que vous invitez dans votre propre demeure. »
La Malédiction Winchester, un film réalisé par Michael et Peter Spierig (2018)
Plans du Manoir Cunningham
Salon
REZ-DE-CHAUSSÉE DU MANOIR
Bureau
Cheminée
Salle à manger
Cachette
Placard Entrée
Bibliothèque
Accès étage
Hall d’entrée
Cuisine
Accès cave
Nord Sud Est Ouest
Tour
Chambre noire
Aile Ouest
1er ÉTAGE DU MANOIR
Chambre blanche
Aile Est
Accès rez-dechausée
Accès grenier
Bibliothèque
Chambre rose
Aile Sud
Chambre bleue
Buanderie
Chambre violette Chambre dorée Chambre verte
GRENIER DU MANOIR
Accès 1er étage
Balcon
Atelier de peinture
Balcon
PROLOGUE
La nouvelle maison
La Nouvelle-Orléans, octobre 2018
– Je prends la chambre violette ! je crie pour me faire entendre.
Je m’appelle Timothée Cunningham. Mes quatre sœurs, mes parents et moi sommes agglutinés autour d’une table basse sur laquelle est posée la maquette du manoir où nous allons désormais habiter. Nous ne parvenons pas à y croire. Nous jouons des coudes afin de mieux voir les pièces reproduites en miniature.
– Voilà, les chambres sont accessibles depuis les ailes Est et Sud, annonce papa en ouvrant une partie de la maquette qui ressemble à une maison de poupée.
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– Moi, je prends la bleue, celle à côté de Tim, braille Tiffany, ma jumelle, en passant devant moi et en me balançant sa queue-de-cheval dans la figure.
Il y a une porte qui communique entre les deux pièces. Parfait : nous sommes toujours fourrés dans la chambre de l’un ou de l’autre. Tiffany renchérit, en désignant son maillot :
– En plus, les murs iront parfaitement avec la couleur de mes tenues de foot !
Elle ne s’habille jamais autrement !
– Alors, Tiff, tu vas adorer les quelques hectares de jardin qui te serviront de terrain… commente papa.
– Nous prenons la chambre blanche, dans l’aile Est, dit calmement maman dans notre dos. Tu es d’accord, Paul ?
Papa fait « oui » de la tête, ravi de nous voir si enthousiastes.
– OK, je prends la verte, celle qui ressemble à une pièce du Moyen Âge, dit Meghan, ma plus grande sœur. J’adore son lit à baldaquin.
Pas étonnant, pensé-je. Dans sa robe à fleurs, Meghan a l’élégance d’une dame et des cheveux noirs à la Blanche-Neige.
– Naturellement, la plus proche de la bibliothèque, fait papa. Elle est immense. Tu vas l’adorer, ma chérie…
12 La
Malédiction du Manoir Cunningham
– Moi, je veux la rose, affirme Emma, la plus jeune d’entre nous.
– C’est la chambre aux poupées, commente papa. Elle est remplie de vieilles poupées de collection.
– Encore mieux ! s’exclame-t-elle.
Curieusement, Emma a elle-même une figure poupine, avec son visage rond, ses cheveux bouclés et ses adorables pommettes constellées de taches de rousseur.
– Quant à moi, dit Shanon, qui a quatorze ans et que tout le monde surnomme Sha-Sha, je prends la dorée. C’est une couleur spirituelle.
Une pièce déjà en harmonie avec sa crinière cuivrée et son style hippie !
– Très bien, si tout le monde a choisi, filez ! conclut maman.
*
– Je n’arrive pas à croire qu’on va vraiment habiter là-bas, dis-je à ma jumelle. Tu te rends compte ? Un manoir, c’est fou. Et à notre nom, en plus. Le Manoir Cunningham… ça en jette !
– C’est sûr, ça va nous changer… répond-elle en faisant une passe à ma petite sœur.
13 La nouvelle maison
Nous jouons au foot dans l’herbe avec Emma, tandis que Meghan et Shanon bouquinent, assises sur les chaises du salon de jardin.
La végétation autour de nous est toute verte et abondante. Il flotte dans l’air le parfum un peu aigre des marais.
– Pour papa, ce manoir est l’endroit rêvé, lance Tiff.
Mon père est auteur de romans. Il nous a toujours dit qu’il cherchait la maison idéale pour trouver l’inspiration et écrire. Quand on sait qu’il imagine des histoires d’horreur, ça m’inquiète quand même un peu…
D’ailleurs, ici, à la Nouvelle-Orléans, il a créé un tas d’histoires affreuses qui se passent dans les marais…
Mais ce manoir, c’est un rêve qui se concrétise pour lui. C’est le lieu dans lequel il a toujours voulu écrire.
Il nous en a parlé pour la première fois un soir, pendant le dîner. Tandis que nous engloutissions nos hamburgers et nos hot-dogs, il nous a annoncé qu’il voulait changer d’atmosphère et qu’il avait trouvé une maison formidable.
« Un lointain héritage, a-t-il vaguement expliqué, mais loin d’ici. » Il s’est absenté quelques jours, avant de revenir aujourd’hui, avec la maquette du manoir.
– Les enfants, vous verrez comme nous serons bien ! lance-t-il en nous rejoignant dans le jardin. Je vais partir
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Malédiction du Manoir Cunningham
quelques semaines avant vous, pour préparer notre installation, puis vous me rejoindrez.
La nouvelle maison
PARTIE 1 Premiers phénomènes étranges
CHAPITRE 1 Emménagement
La Nouvelle-Angleterre, août 2019
Papa est bien parti, mais les choses ne se passent jamais comme prévu.
Ça m’est difficile de l’évoquer.
Papa a eu un accident de voiture en revenant du manoir.
Ça n’aurait dû être qu’une simple expédition pour préparer notre arrivée. Mais il est mort. Décédé à l’âge de quarantecinq ans.
Maman nous a raconté qu’il y avait un orage ce jour-là, qu’il pleuvait à verse. À la suite d’un coup de frein malheureux, sa voiture a dérapé et s’est encastrée dans un sapin.
Son airbag n’a pas fonctionné ; personne n’a su expliquer pourquoi. Il est mort sur le coup.
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Maman a longuement hésité, et nous en avons tous beaucoup parlé, mais elle a finalement décidé que nous devions tout de même venir vivre au manoir.
C’est un gros changement, car nous allons tous perdre nos attaches, nos copains et notre maison dans le Bayou… Mais je comprends maman, et mes sœurs aussi. Nous sommes d’accord avec elle : emménager ici, c’est une façon de réaliser le rêve de papa. De lui rendre hommage…
En quelques mois, aidée de Gran Pa et Gran Ma, mes grands-parents paternels, maman a tout réglé. Les papiers, les formalités et les inscriptions dans nos nouvelles écoles…
C’est une autre vie qui nous attend à la rentrée, en septembre.
Nous voilà donc enfin au manoir, avec les déménageurs !
C’est incroyable ici, papa avait raison… La bâtisse est gigantesque, et tout nous paraît impressionnant.
Traînant ma valise sur la moquette, j’arrive devant la porte de ma chambre, tout en bois sculpté. Je la pousse et entre dans la pièce. Fatigué, je pose mon bagage sur mon nouveau lit. Il est immense, mauve, avec des draps épais.
Ma chambre ressemble à celle d’un château tout droit sorti d’un conte. Elle est violette, et chaque mur est couvert
20 La Malédiction du Manoir Cunningham *
d’un tissu à motifs qui s’élève jusqu’au plafond. La fenêtre, donnant sur l’immense parc, possède des vitraux colorés en guise de vitres.
Les yeux rivés au mur, je soupire, un peu désorienté.
Voilà, je vais habiter ici, maintenant, me dis-je intérieurement. Mais ça ne me fait pas si plaisir que ça… Le lieu est magnifique, mais c’est tellement étrange d’emménager ici sans papa…
Il va me falloir du temps pour m’y habituer. C’est si différent de là où nous avons toujours vécu. Et je serais tellement plus heureux si papa était là, avec nous, dans cette maison qui lui plaisait tant.
Perdu dans mes pensées, je suis comme hypnotisé par le dessin de la tenture au mur. Il représente un grand vase rempli de fleurs.
Plus je le regarde, plus j’ai l’impression qu’il se réorganise. Le vase adopte les contours d’un visage, et ses décorations esquissent maintenant comme une bouche souriante aux dents pointues. Deux yeux aux sourcils épais apparaissent ; enfin, les fleurs au-dessus ressemblent à présent à des cornes tordues.
J’écarquille les yeux. On dirait la figure d’un démon ! Et il me sourit avec malveillance.
« Tim, Tim… » Le visage m’appelle, murmure mon nom.
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Emménagement
Je déglutis, en proie à l’angoisse, et ferme les paupières.
– Timothée !
Je sursaute.
La tête démoniaque a disparu. La configuration du motif a repris celle, innocente, d’un vase fleuri. Mon imagination me joue des tours… J’ai toujours eu le chic pour trouver dans la moindre forme, dans le moindre nuage, des figures monstrueuses.
– Tim, ça va ?
La porte communicante avec la chambre de ma jumelle est entrouverte. Tiffany y a passé sa tête et me regarde d’un drôle d’air. C’est elle qui devait chuchoter mon prénom, me dis-je, avant de se mettre à crier.
– Oui, je… Tu peux me laisser seul un moment, Tiff ?
– OK, OK, Mister Bougon…
Et ma jumelle claque la porte.
La Malédiction
du Manoir Cunningham
Avez-vous déjà eu l’impression que le sort s’acharnait contre vous ?
Comme si vous étiez tombé tout droit dans un piège…
C’est ce que mes sœurs et moi ressentons depuis que nous habitons dans ce manoir. Au début, bien sûr, il n’y avait rien à craindre. Tout semblait merveilleux ici. Mais la peur nous a vite envahis. Quelque chose nous épie. Quelque chose s’en prend à nous. J’en suis certain.
Et si le manoir était en train de réveiller des monstres tapis en lui ?
Et si, en y déposant nos valises, nous avions nous-mêmes enclenché une terrible malédiction ?
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